L’Encyclopédie/1re édition/FRACTURE

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FRACTURE, s. f. terme de Chirurgie, solution de continuité, ou division faite subitement dans les os, par la violence de quelque cause extérieure contondante. On appelle plaies de l’os, les divisions qui y sont faites par instrument tranchant.

Les fractures sont transversales, obliques, ou longitudinales. Les praticiens n’admettent point la fracture simple de l’os, suivant sa longueur ; parce qu’il n’y a aucun coup capable de fendre l’os en long, qui ne puisse le rompre de-travers avec bien plus de facilité. On trouve néanmoins, à la suite des plaies d’armes à feu, les os fendus suivant leur longueur, jusque dans les articulations : mais ces exemples ne prouvent point la possibilité de la fracture longitudinale simple.

Presque toutes les fractures ont des figures différentes. Les fractures en-travers sont avec des inégalités : ou bien les os sont cassés net, comme une rave : quelquefois un des bouts de l’os cassé est seulement éclaté, & forme une espece de bec qui ressemble à celui d’une flûte. Les fractures obliques sont de deux sortes : les unes sont obliques dans toute leur étendue ; & d’autres sont transversales pendant quelques lignes, & obliques dans le reste de leur étendue. Il y a des fractures dans lesquelles les os sont brisés en plusieurs éclats ; il n’est pas possible de rien déterminer sur leurs figures, qui peuvent être variées à l’infini.

Les fractures different entre elles par l’éloignement des pieces fracturées : l’écartement est plus considérable dans les unes que dans les autres ; & il y en a sans déplacement. Les os peuvent être déplacés suivant leur longueur, quand les bouts chevauchent les uns sur les autres ; ou bien ils sont déplacés suivant leur épaisseur : il arrive même souvent, dans le dérangement transversal, que les bouts sont portés en sens contraire, sans cesser de se toucher par quelques points des surfaces de la fracture.

Par rapport aux accidens, les fractures sont divisées en simples, en composées, & en compliquées. La fracture est simple, lorsqu’il n’y a qu’un seul os de rompu, sans autre accident contraire à l’indication curative générale, qui consiste dans la réunion des parties divisées. La fracture est composée, lorsqu’il y a en même tems deux ou trois os de cassés dans la partie, sans cependant qu’il y ait d’accidens. La fracture compliquée est celle qui est accompagnée de maladies ou d’accidens qui multiplient les indications, & demandent qu’on employe différens remedes, ou qu’on fasse des opérations différentes pour parvenir à leur guérison : comme sont les luxations, les plaies, les apostèmes accompagnés de fievre, de douleur, de convulsion, &c. Parmi ces accidens, il y en a qui exigent des secours plus prompts que la fracture. Si la plaie qui complique une fracture l’étoit elle-même d’hémorrhagie, il faudroit commencer par arrêter le sang, dont l’effusion forme l’accident le plus pressant. Quand il se rencontre en même tems fracture & luxation, celle-ci doit être réduite la premiere ; à-moins que la fracture voisine de l’articulation, un gonflement considérable, ou autres circonstances ne le permettent pas. Pour peu qu’il y ait d’inconvéniens à réduire préliminairement la luxation, on donnera les premiers soins à la fracture : car on peut réussir dans la réduction d’une luxation ancienne. Voyez Luxation.

On distingue encore les fractures en complettes & en incomplettes. La fracture est complette, lorsque l’os est entierement cassé ; & incomplette, lorsque sa continuité est conservée en partie, au moyen de quelque portion osseuse qui n’a point souffert de division : cela ne se rencontre qu’aux os du crane, des hanches, aux omoplates. Cela peut cependant arriver aux os longs, dans les enfans très-jeunes ou rachitiques ; ou aux adultes, dans le cas des plaies d’armes à feu, qui peuvent écorner un os. Un chirurgien qui donneroit pour preuve de la fracture incomplette une observation dans laquelle le malade, pansé comme d’une contusion considérable, feroit quelque mouvement violent, à la suite duquel la fracture se manifesteroit ; ce chirurgien, dis-je, paroîtroit plûtôt avoir méconnu une fracture complette sans déplacement primitif des pieces osseuses, qu’il ne persuaderoit la fracture totale de l’os, par le mouvement violent qui auroit, selon lui, achevé de rompre les fibres osseuses, que le coup ou la chûte auroient d’abord épargnées.

Les coups, les chûtes, les violens efforts, de quelque nature qu’ils soient, sont les causes les plus ordinaires des fractures. On appelle fractures de cause interne celles qui se font à l’occasion d’une cause très-legere, à cause des dispositions internes qui rendent les os très-fragiles : telles sont la carie, l’exostose, la mollesse, & autres états contre nature, qui dépendent de diverses dépravations de la lymphe & du sang, comme la vérole, le scorbut, le virus écroüelleux, le levain cancereux.

Les signes des fractures sont la douleur, l’impuissance du membre, sa mauvaise configuration, & le craquement des pieces fracturées, connu sous le nom de crépitation. Tous ces signes séparément pris, peuvent être équivoques : la douleur & l’impuissance étant les effets ordinaires de beaucoup d’autres maladies, ne prouvent rien en elles-mêmes. La mauvaise configuration du membre est souvent un vice originaire de conformation ; & l’on sait qu’il y a des fractures sans difformité apparente. Enfin les tumeurs emphysémateuses font ressentir une espece de craquement quand on les presse, & qui pourroit en imposer à ceux qui n’y feroient pas grande attention. Un chirurgien qui demande si la difformité qu’il apperçoit à un membre confronté avec la partie saine, est naturelle, ne peut guere se tromper à la simple vûe sur une fracture simple sans gonflement : il y a même fort peu de cas où cette question ne devînt ridicule. Si la mauvaise configuration du membre n’est pas assez manifeste pour faire appercevoir qu’il y a fracture, on pourra la reconnoître par le moyen du toucher, en sentant les inégalités que font les pieces d’os déplacées. Il faut pour cet effet que le malade soit assujetti par quelqu’un de fort ; de crainte qu’abandonné à lui-même, la douleur ne lui fît faire des mouvemens qui pourroient devenir très-nuisibles. Pour mieux reconnoître les inégalités des pieces fracturées, on choisira les endroits où l’os cassé est le moins couvert de muscles ; & glissant les doigts d’un bout à l’autre, l’on suivra l’une des faces ou des crêtes de l’os dans toute sa longueur. On aura encore attention, afin de ménager la sensibilité, de ne toucher qu’avec beaucoup de douceur & de circonspection les endroits où l’on sent des esquilles ou pointes d’os s’élever & faire tumeur : car en poussant durement les parties sensibles contre les pointes & les tranchans des os, on feroit un supplice d’un examen salutaire. La crépitation ou le bruit que font les bouts de l’os casse, en se froissant l’un l’autre lorsqu’on remue le membre, est un des principaux signes des fractures. Pour faire avec moins de douleur cette épreuve presque toûjours nécessaire, il faut faire tenir fixement la partie supérieure du membre cassé ; afin qu’en remuant doucement la partie inférieure, elle puisse occasionner une legere crépitation : le chirurgien la sent par l’ébranlement que le choc ou le froissement des os fracturés communique à ses mains. Il n’est pas nécessaire que l’air extérieur soit mû au point d’ébranler les oreilles.

Le prognostic des fractures se tire de leur nature & différences de leurs symptômes, & les accidens qui les compliquent. Les fractures obliques, celles qui sont en flûte, celles où il y a plusieurs pieces éclatées, sont plus fâcheuses que les fractures transversales, non-seulement parce que les pointes & les tranchans des os peuvent blesser les chairs, & en conséquence produire plusieurs accidens, mais encore parce qu’il est plus difficile de contenir ces fractures exactement réduites. Les vices intérieurs qui accompagnent les fractures, les rendent dangereuses, parce que le suc osseux n’a pas toûjours alors les dispositions requises pour la formation du cal. Voyez Calus. Le plus ou moins d’écartement des pieces osseuses, & les différens accidens qui compliquent les fractures, rendent la cure plus ou moins facile.

La cure des fractures consiste premierement à réduire l’os fracturé dans sa situation naturelle ; secondement à l’y retenir, moyennant les appareils convenables ; troisiemement à corriger les accidens, & à prévenir ceux qui pourroient arriver.

La difficulté de réduire les fractures, ne vient que de ce que les bouts de l’os se touchent par les côtés : il faut donc, pour lever cet obstacle, faire des extensions suffisantes. Voyez Extension. Leur degré doit être mesuré sur l’étendue du déplacement, & sur la force des muscles qui tirent les bouts de l’os fracturé, & qui les tiennent éloignés. Les mains seules ne sont pas toûjours suffisantes pour faire les extensions & centre-extensions nécessaires : il faut avoir recours aux laqs appliqués avec méthode. Voyez Laqs. Il y a des cas où un seul aide fait en même tems l’extension & la contre-extension : la fracture de la clavicule en donne un exemple. Le blessé doit être assis sur un tabouret d’une hauteur convenable ; un aide placé par-derriere appuye du genou entre les deux épaules, & tire le moignon de chacune en-arriere. Le chirurgien qui opere travaille pendant ce tems à l’exacte réduction des bouts de l’os. Il faut voir le détail de toutes les manœuvres particulieres pour la réduction de chaque os, dans les livres de l’art, & principalement dans le traité des maladies des os, par M. Petit. Dans toutes les fractures, lorsque les extensions nécessaires sont faites, on travaille à replacer les pieces d’os dans leur situation naturelle : c’est ce qu’on appelle faire la conformation.

La seconde intention, dans la cure des fractures, est de maintenir l’os réduit ; ce qui se fait par l’appareil & par la situation. L’appareil est différent suivant la partie fracturée, & selon l’espece de fracture.

Dans les fractures simples des grands os des extrémités, qui sont la cuisse & la jambe, le bras & l’avant-bras, on applique d’abord sur la partie une compresse simple fendue à deux ou à quatre chefs. Pl. II. Chir. fig. 18 & 15. cette compresse doit être trempée dans une liqueur résolutive, telle que l’eau-de-vie camphrée ; non-seulement pour l’effet du médicament, mais aussi afin qu’elle s’applique plus exactement sur la partie, sans y faire aucun pli. On se sert ensuite d’une bande roulée à un chef, trempée dans la même liqueur : on commence par faire trois tours égaux de cette bande sur le lieu de la fracture, & l’on continue de l’employer en doloires sur la partie en remontant jusqu’à l’attache des muscles qui la font mouvoir. Voyez Doloire. Après cette premiere bande, on en applique une seconde d’une longueur convenable à son usage, qui est de faire d’abord deux circonvolutions égales sur l’endroit fracturé : on continue les circonvolutions jusqu’en bas de la partie fracturée, & l’on remonte vers le haut par des doloires. Les différens tours de bande ne doivent laisser à découvert qu’une quatrieme partie du tour précédent, afin que la fracture soit plus exactement contenue. Le bandage trop lâche ne contient point, laisse aux muscles la dangereuse facilité de se contracter ; le calus est difforme ; & le membre peut se consolider dans une direction qui ne seroit pas naturelle : d’un autre côté, le bandage trop serré, lorsqu’il l’est avec excès, attire la gangrene ; & sans l’être au point de causer cet accident formidable, il peut l’être encore trop, & mettre obstacle à la libre circulation des liqueurs ; d’où résultera le manque de nourriture & l’atrophie.

L’inégalité des membres dans l’étendue de leur longueur, oblige en appliquant les bandes, de faire avec art des renversés ; sans quoi, il y auroit des godets, dont l’inconvénient est de ne pas faire une compression égale, & de laisser des inégalités capables de blesser la partie par la compression qui résulte de l’application des autres pieces de l’appareil.

Les deux premieres bandes appliquées, on met les compresses longuettes, Pl. II. fig. 17. suivant les regles que nous avons exposées au mot Éclisse. Dans le pansement de la jambe fracturée, quelques praticiens remplissent le bas, depuis le défaut du mollet jusqu’aux malléoles, par l’application d’une compresse graduée inégale, Pl. XXXI. fig. 11. d’autres préferent de donner plus d’épaisseur à l’extrémité inférieure des longuettes ; ce qui se fait en repliant de la longueur qu’on le juge convenable, le linge simple, avant de faire les plis suivant la largeur, qui déterminent celle qu’on veut donner à chacune des compresses longuettes. On les maintient par une troisieme bande, dont les circonvolutions peuvent être faites en doloires plus larges, pour ménager la longueur de la bande. On peut contenir tout cet appareil entre deux gouttieres de fer-blanc ou de carton, liées avec des rubans de fil. On applique ensuite l’écharpe pour l’extrémité supérieure, voyez Echarpe ; & des fanons dans les fractures de l’extrémité inférieure, voy. Fanons. Une legere tuméfaction, sans douleur ni rougeur, qu’on apperçoit au-dessus & au-dessous du bandage, marque qu’il n’est ni trop ni trop peu serré.

Lorsque l’appareil convenable est appliqué, il y a des précautions à prendre pour la commodité du blessé : il est à-propos d’insister un peu sur ces commodités, que tout le monde doit être bien-aise de connoître, & que peu de gens sont à-portée de rechercher dans les livres de l’art.

Nous avons dit au mot Echarpe, ce qui concerne l’extrémité supérieure. Lorsque dans les premiers jours les malades sont obligés de garder le lit, il faut que le membre soit placé sans gêne dans une direction qui tienne tous les muscles relâchés, & sur un oreiller mollet. La jambe sera un peu élévée du côté du pié, pour favoriser le retour du sang ; elle sera appuyée sûrement & mollement : on la posera sur un oreiller égal, appuyé sur un matelas qui lui-même doit être fort égal. Pour cet effet, le lit doit être garni de matelas seulement, sans lit de plume ; & même il est bon de mettre entre le premier & le second matelas, une planche qui occupe depuis le pié jusque par-delà la hanche. Mais comme la nécessité d’être couché deviendroit à la longue insupportable, si l’on ne prenoit des précautions pour en diminuer la gêne autant qu’il est possible ; on fait attacher au plancher une corde qui passe à-travers le ciel du lit, & qui descende à la portée de la main du malade : cette corde lui est très-utile pour se remuer facilement, & satisfaire à ses différens besoins. On attache au pié du lit une planche qui doit être stable, & sur laquelle on a fait cloüer un billot garni d’un matelas ou coussin : ce billot est un des plus grands soulagemens qu’on puisse procurer au malade ; il lui sert à appuyer le pié sain pour se soûlever, avec l’aide de la corde, dans ses besoins, & pour se relever de-tems-en-tems, lorsqu’il glisse vers le bas du lit. Le chirurgien peut prévenir cet inconvénient, en donnant ses soins à la construction du lit ; il doit même aider à le faire convenablement pour le bien de son malade.

Pour éviter que le croupion ne s’écorche, M. Petit conseille de percer le premier matelas, afin de pouvoir passer commodément un bassin entre le premier & le second matelas, lorsque le blessé veut aller à la selle. Dans ce cas le drap de dessous doit être fendu ou composé de deux pieces qu’on puisse écarter au besoin, à l’endroit des fesses : faute de cette précaution, le croupion s’écorche ; & alors il faut l’examiner souvent, & bassiner cette partie avec de l’eau vulnéraire, ou de l’eau-de-vie camphrée, pour prévenir la mortification : on remédiera à cet accident par l’application de l’onguent de stirax.

Dans les fractures compliquées, la nécessité de panser souvent les blessés exigeroit de trop grands mouvemens dans l’usage des bandes roulées ; & ces mouvemens seroient un grand obstacle à la réunion, qui demande un repos parfait, autant qu’il est possible de le procurer. On se sert alors du bandage à dix-huit chefs. Voyez sa description au mot Bandage ; & sa figure, Pl. XXXI. fig. 10. Ce n’est pas seulement dans la fracture de la jambe, mais dans toutes celles des extrémités avec complication, qu’on doit s’en servir : on l’applique même dans les cas où il n’y a point de plaie. Dans les grandes contusions, par ex. quand il n’y auroit point de nécessité d’inciser, pour donner issue au sang extravasé, on employe le bandage à dix-huit chefs dans les premiers tems, & on revient ensuite au bandage roulé. On est alors dans le cas de lever souvent l’appareil contre la regle générale, pour observer ce qui se passe ; & aussi afin de serrer le bandage à proportion que le sang se résout, & que la partie se dégonfle.

Les fractures avec plaie sont plus ou moins fâcheuses suivant la nature de la plaie & de ses accidens. C’est quelquefois la même cause qui fracture l’os, qui fait la plaie ; comme une roue de carrosse, une balle de mousquet, un éclat de bombe, &c. Les os même qui sont cassés peuvent déchirer les muscles & percer la peau ; ces plaies sont avec plus ou moins de contusion, & peuvent être compliquées d’hémorrhagie, de corps étrangers, &c.

Les anciens se servoient dans ces sortes de cas, d’un bandage fenêtré, qui leur permettoit de panser la plaie sans toucher au reste de l’appareil. Suivant Paul d’Ægine & Gui de Chauliac, on peut se servir des bandes roulées, dans le traitement des fractures compliquées avec plaie, avec le soin de ne couvrir des circonvolutions de la bande que les parties circonvoisines de la plaie ; celle-ci demeurant à nud & à découvert, afin de la pouvoir panser tous les jours, & d’y appliquer les médicamens convenables, sans lever les bandes ni toucher à la fracture. Ambroise Paré desapprouve fort ce bandage : si la plaie n’est pas comprimée convenablement, les humeurs y seront envoyées, dit-il, des parties circonvoisines pressées ; & il y surviendra bien-tôt inflammation & gangrene. Jacques de Marque, célebre chirurgien de Paris, mort en 1622, & qui nous a laissé un excellent traité des bandages, qu’aucun écrivain sur la même matiere n’a pû rendre inutile, a disserté très-doctement sur les inconvéniens reconus dans l’usage de ce bandage fenêtré ; il rappelle le précepte de Paré, qui veut que l’on se serve d’une bande en deux ou trois doubles, en façon de compresse qui ne fasse qu’une seule révolution ; c’est cette compresse en trois doubles, fendue pour en faire trois chefs de chaque côté, qui forme notre bandage à dix-huit chefs si recommandée dans la pratique. Il comprime également toute la partie ; & l’on peut, sans la remuer, réitérer les pansemens autant qu’il est nécessaire ; Guillemeau en est l’inventeur : mais Jacques de Marque, qui a écrit depuis ce savant chirurgien, digne éleve du grand Paré, a encore perfectionné ce bandage, tant dans son usage que dans sa construction.

Chaque compresse donne six chefs ; ce qui ne convient, dit-il, qu’aux fractures qui sont au milieu d’un membre ; & dans ce cas, on peut arrêter les chefs supérieurs & inférieurs, se contentant de lever à chaque pansement les chefs du milieu, pour découvrir la plaie. Si la fracture étoit proche de l’articulation, il suffiroit que chaque piece de linge fût fendue de chaque côté pour faire quatre chefs ; à-moins qu’en se servant du bandage avec des compresses à six chefs, on n’attachât les chefs supérieurs ou inférieurs, au-dessus ou au-dessous de l’articulation : c’est-à-dire, qu’en se servant du bandage à dix-huit chefs pour une fracture avec plaie à la partie inférieure de la cuisse, les six chefs inférieurs seroient employés au-dessous du genou ; ou les six chefs supérieurs au-dessus du genou, dans l’application qu’on feroit de ce bandage pour une fracture compliquée à la partie supérieure de la jambe ; ce qui me paroîtroit fort utile. M. Petit décrit le pansement & l’appareil des fractures compliquées, de la maniere suivante. On mettra sur la plaie couverte des plumaceaux, une compresse en quatre doubles, pour empêcher que les matieres purulentes ne gâtent le reste de l’appareil ; puis deux compresses longuettes assez épaisses, une de chaque côté : & au lieu du bandage à dix-huit chefs cousus ensemble, on peut appliquer plusieurs bouts de bande séparés, lesquels feront le même effet que le bandage ordinaire, & auront l’avantage de pouvoir être changés séparément, suivant le besoin. Pour maintenir ce bandage, on peut se servir des gouttieres de fer blanc, liées avec trois laqs ou rubans de fil : on mettra ensuite le membre dans la situation convenable.

M. Petit a corrigé les fanons pour les fractures compliquées de plaie à la partie postérieure du membre ; il faisoit envelopper les torches de paille dans deux morceaux de toile séparés, de façon qu’elle manquât dans l’endroit de la plaie. Cet intervalle peut contribuer à la facilité des pansemens, puisqu’on peut, à l’aide de ces fanons, soûlever le membre & panser la plaie, après qu’on l’a mise à découvert des compresses.

Dans les fractures compliquées de la cuisse, M. Petit recommande que le premier matelas soit partagé en plusieurs pieces qui puissent s’ajuster ensemble, & se séparer au besoin. Une grande piece s’étend depuis le milieu des fesses jusqu’au chevet : le reste est partagé en quatre, deux de chaque côté. L’une, du côte malade, doit commencer où finit la premiere, & s’étendre quatre travers de doigt au-dessous de la fracture : l’autre piece du même côté, commence où finit celle-ci, & s’étend jusqu’au pié du lit. Les deux autres pieces du matelas sur lequel appuie le côté sain, seront partagées de même, à la différence qu’elles soient plus larges ; le lit étant partagé de maniere qu’un tiers de sa largeur seulement fournit les portions qui soûtiennent le côté malade. Chacune de ces quatre portions de matelas est enveloppée de toile ; ce qui sert de drap, sans en avoir l’inconvénient, & sans pouvoir former de plis capables d’incommoder : on peut aussi changer facilement ces toiles, pour raison de propreté. La partie supérieure du matelas, recouverte d’une alaise ou petit drap, n’a aucune communication avec les pieces inférieures.

Voici les commodités qu’on tire de ces différentes pieces de matelas détachées. Quand on veut donner le bassin au malade, on ôte la piece du milieu, qui est du côté sain. Une partie de la cuisse & de la fesse portent alors à faux ; & l’espace qu’occcupoit la portion de matelas ôtée, fait place au bassin qu’on présente au malade, & qu’on retire aisément lorsqu’il a été à la selle. Pour pouvoir remettre aisément cette portion du matelas, il faut y avoir fait coudre deux sangles étroites, ou deux rubans tire-bottes, qui passent sous la pareille portion de matelas du côté malade. Ces sangles sont tirées par quelqu’un, de maniere à ne point changer de place, ni remuer la portion du matelas sur laquelle appuie la cuisse fracturée. Le malade pourra aussi recevoir facilement un lavement, si l’on ôte les deux portions inférieures qui soûtiennent le côté sain.

Pour panser le blessé, on tire la piece du matelas qui est dessous la fracture ; & l’on a la liberté de passer les mains de tous côtés pour lever l’appareil, & le rappliquer, sans risque d’ébranler la fracture.

A l’égard de la fracture compliquée de la jambe, M. Petit a imaginé un moyen particulier dont nous avons donné la description au mot Boîte. Cette boîte a une planchette qui soûtient la plante du pié, & qui empêche le poids des couvertures sur la jambe fracturée. Dans les fractures simples, on est obligé de mettre une semelle de bois garnie de linge pour servir de point d’appui à la plante du pié. Un ruban de fil embrasse cette semelle, & y est fixé par son milieu. Les deux chefs se croisent sur le coup-de-pié, & sont attachés aux fanons par des épingles. On jette ensuite ces rubans alternativement de côté & d’autre, en les croisant également pour former des losanges jusqu’au haut de la partie. On les fixe aux fanons par des épingles, avant que de faire les renversés, pour passer les chefs d’un côté à l’autre. On met la partie sur un oreiller mollet, de façon que le talon n’appuie point ; sans quoi, il y surviendroit inflammation & gangrene.

Au moyen de l’archet ou arceau, qui est une espece de demi-cercle, ou demi-caisse de tambour, on fait un logement à la jambe & au pié, qui les met à l’abri du poids du drap & des couvertures du lit, Pl. IV. fig. 2. En hyver, pour entretenir la chaleur du pié, on est obligé de le garnir de serviettes & autres linges chauds, pour suppléer au défaut de l’application des couvertures.

Après avoir mis la partie en situation, il faut s’attacher à remplir la troisieme indication de la cure des fractures ; laquelle consiste à prévenir les accidens, & à les combattre, s’ils surviennent. Dans les fractures simples, il suffit de faire quelques saignées pour procurer la résolution du sang épanché dans l’intérieur aux environs des bouts de l’os cassé. On fait des fomentations résolutives & spiritueuses, & l’on fait observer un régime convenable pendant quelques jours. Les fractures compliquées exigent des attentions plus suivies & diversifiées, suivant les circonstances. Voyez l’article Chirurgie.

Au mot Flabellation, nous avons démontré la nécessité d’empêcher le prurit, en donnant de l’air à la partie blessée.

On doit continuer l’appareil sur les parties fracturées, jusqu’à la parfaite consolidation des pieces osseuses : elle se fait plûtôt ou plûtard, suivant la nature différentielle de chaque os. Il y a des précautions à prendre pour mouvoir la partie dans ses articulations ; de crainte que restant long-tems dans l’inaction, la synovie ne vînt à s’épaissir ; ce qui donneroit lieu à l’anchylose. Voyez Anchylose. (Y)

Fracture, (Manege & Maréchallerie.) solution de continuité des os & même des cartilages, faite par un corps extérieur contondant, très-différente de la plaie faite à l’os par un instrument tranchant ou piquant, ainsi que de la luxation, qui n’est véritablement qu’une solution de contiguité.

Les os peuvent être fracturés dans tous les sens possibles.

Il est des fractures transversales ; il en est d’obliques ; il en est de longitudinales : dans d’autres enfin l’os est entierement écrasé.

Nous appellons fracture transversale, celle par laquelle l’os a été divisé dans une direction perpendiculaire à sa longueur ; & fracture oblique, celle dans laquelle la division s’écarte plus ou moins de cette direction.

Ces fractures sont sans déplacement, lorsque chaque portion divisée demeure dans une juste opposition ; avec déplacement imparfait, lorsqu’elles ne se répondent pas exactement ; avec déplacement total, quand elles glissent l’une à côté de l’autre. Elles peuvent être encore transversales & obliques en même tems ; obliques dans une portion de leur étendue ; transversales dans l’autre, &c.

Dans les fractures longitudinales, les os sont simplement fendus selon leur longueur ; elles ne sont proprement que des fissures, les parties divisées de ces mêmes os n’étant & ne pouvant être séparés en entier.

Enfin nous comprenons dans les fractures où l’os a été écrasé, toutes celles où il a été brisé & réduit en plusieurs éclats, & en un nombre plus ou moins considérable de fragmens.

La chirurgie vétérinaire doit encore se conformer à la chirurgie du corps humain, en adoptant la distinction que celle-ci fait des fractures en fracture simple, composée, compliquée, complete & incomplete.

Un seul os cassé en un seul endroit sans accidens extraordinaires & sans un dommage évident pour les parties dont il est environné, constitue la fracture simple.

Plusieurs os cassés dans une même partie, ou le même os rompu en différens endroits, forment ce que nous entendons par fracture composée.

Nous nommons fracture compliquée, celle à laquelle s’unissent des symptomes, qui exigent de la part du maréchal une méthode particuliere dans le traitement : telles sont les fractures avec plaie, luxation, hémorrhagie, contusion violente, &c.

Nous disons que la fracture est complete, lorsque la solution de continuité est entiere ; & incomplete, quand elle ne l’est pas. Ce dernier cas qui n’a lieu dans l’homme & dans l’animal qu’eu égard aux os plats, pourroit ensuite d’un coup de feu arriver aux autres os.

Les coups, les chûtes, les grands efforts, sont les causes ordinaires des fractures ; la destruction de la direction du mouvement musculaire ; la cessation de l’action des muscles attachés à l’os fracturé ; le racourcissement du membre, conséquemment à la contraction spontanée de ces puissances ; sa défiguration relative à leur dérangement ; sa difformité provenant de la surabondance ou de la marche impétueuse des sucs régénérans ; la dilacération des tuniques qui revêtent extérieurement & intérieurement les os ; la rupture des vaisseaux qui rampent dans leurs cavités & dans leurs cellules ; l’irritation, le déchirement des membranes, des tendons & des nerfs ; la compression, l’anéantissement, l’inflammation des tuyaux voisins de la solution de continuité ; la contusion des parties molles qui se rencontre entre la cause vulnérante & l’os, en sont en général les suites les plus considérables & les plus graves.

Nous avons ici pour symptomes univoques, les vuides, les inégalités résultant des pieces d’os déplacées ; la crépitation ou le bruit occasionné par le frotement de ces mêmes pieces, lorsque la portion supérieure du membre étant fixement maintenue, on en remue legerement la portion inférieure, & l’état du membre qui plie dans l’endroit cassé, cette même portion inférieure étant plus ou moins mobile & pendante ; la douleur, la difficulté du mouvement ; l’impossibilité de tout appui sur la partie lésée, &c. sont des signes vraiment équivoques, puisqu’ils peuvent se rapporter à d’autres accidens qu’à celui dont il s’agit.

Quant aux preuves certaines de la réalité de fissures, elles sont très-difficiles à acquérir ; elles se bornent aux tumeurs qui les accompagnent, & quelquefois à l’inflammation, à la suppuration, à la carie ; & toutes ces circonstances ne présagent encore rien de constant & d’assuré.

Plusieurs auteurs, parmi lesquels on peut compter Ruini, dont l’ouvrage fut publié dès l’année 1599, ont proposé des moyens de remédier aux fractures. M. de Soleysel lui-même proteste avoir vu un mulet & un cheval parfaitement guéris ; le premier d’une fracture à la cuisse, le second d’une fracture compliquée au bras. Si néanmoins nous nous abandonnions aux impressions de la multitude, nous déciderions affirmativement que toute solution de continuité de cette espece est incurable dans l’animal. En effet, on a imaginé que ses os étoient dépourvûs de moelle ; & de ce fait qu’il étoit aisé de vérifier, mais qu’on a dédaigné d’approfondir, on a conclu que dès qu’ils étoient fracturés, toute reunion étoit impossible. Quand on pourroit imputer ou reprocher avec raison à la nature d’avoir, relativement au cheval, négligé toutes les précautions qu’elle a prises, eu égard à tous les autres animaux, pour corriger par le moyen de la matiere huileuse & subtile dont les vésicules osseuses sont remplies, & par celui de la masse moelleuse contenue dans les grandes cavités des os, la rigidité de ces parties, il s’ensuivroit seulement qu’elles seroient plus seches & plus cassantes ; & l’on ne pourroit tirer d’autre conséquence de leur fragilité, que le danger toûjours prochain des fractures. Ce n’est ni à cette huile déliée, ni à cette masse médullaire, que les os doivent leur nutrition & leur accroissement. Parmi les vaisseaux innombrables qui traversent le périoste, s’il en est qui pénetrent dans leurs cellules & dans leur portion caverneuse, il en est d’autres qui s’insinuent dans leur substance, & qui y portent des fluides & un suc lymphatique, qui coulant & circulant dans les tuyaux de leurs fibres, réparent toute dissipation. Cette lymphe ou ce suc nourricier qui parcourt ces fibres, ne peut que s’épancher à leurs ouvertures ; il s’épaissit dès qu’il y est déposé : ainsi dans la circonstance d’une fracture il se congele à l’embouchure de chaque conduit osseux, comme à l’orifice des canaux ouverts, dans la circonstance d’une plaie dans les parties molles. La réunion & la régénération s’operent ici presque de la même maniere. Voyez Feu, Cautere. Chaque molécule lymphatique fournit un passage à celles qui la suivent, elles s’arrangent de telle sorte, qu’en effectuant le prolongement des fibres à l’endroit fracturé, elles en remplissent tous les vuides, & soudent enfin très-solidement toutes les pieces rompues & divisées, pourvû néanmoins qu’elles ayent été réduites, rapprochées, & régulierement maintenues dans cet état. La supposition de l’absence totale de la moelle dans les os du cheval, ne devroit donc point conduire à l’opinion & au système de l’incurabilité des fractures, à moins que par une suite de cette premiere absurdité, on eût encore pensé que les os de cet animal non moins durs & non moins arides que ceux des squelettes, ne reçoivent aucune nourriture, & ne sont impregnés d’aucuns sucs.

Il faut avoüer cependant que toutes les fractures ne sont pas également curables ; la quantité des muscles dont, par exemple, l’humerus ou le bras proprement dit, & le femur ou la cuisse proprement dite, sont couverts ; la difficulté d’y faire une réduction exacte ; la force des faisceaux musculeux qui tendroient toûjours, sur-tout si la fracture étoit oblique, à déplacer les pieces réduites ; l’impossibilité de les assujettir solidement par un bandage, vu la figure des membres en ces endroits : tout me détermine a croire que dans le cas où il y auroit une fracture, même simple à l’un ou à l’autre de ces os, nos efforts seroient impuissans, & nos tentatives inutiles. Je ne vois dans les os du corps de l’animal, que les côtes ; dans ses extrémités antérieures, que les os du paturon, du canon, & le cubitus, c’est-à-dire l’os de l’avant-bras proprement dit ; & dans ses extrémités postérieures, que ces deux premiers os & le tibia, vulgairement & mal-à-propos nommé par M. de Soleysel l’os de la cuisse, dont la fracture n’offre rien qui doive d’abord nous faire desespérer des succès, encore ne peut-on véritablement s’en flater, relativement au tibia, qu’autant qu’il n’aura point été fracturé dans le lieu de sa tubérosité, ou dans sa partie supérieure. Je dirai plus, les prognostics de ces fractures ne sont pas tous avantageux ; un fragment d’os considérable emporté par une balle, nous met dans la nécessité d’abandonner a jamais l’animal. Il en est de même lorsque les muscles, les nerfs, les vaisseaux se trouvant entre les fragmens très-écartés de l’os, s’opposent au replacement, & lorsqu’un même os est cassé en plusieurs endroits, car alors il demeure semé d’inégalités sans nombre, & la cure est toûjours très-lente & très-incertaine. Elle est infiniment plus difficile quand il s’agit d’une fracture compliquée, d’une fracture avec déplacement total, d’une fracture oblique, d’une fracture ancienne, d’une fracture dans un vieux cheval, &c. que lorsqu’il est question d’une fracture simple, sans déplacement, transversale, récente, & faite à l’os d’un jeune cheval, ou d’un poulain ; & elle est aussi beaucoup plus prompte dans ces derniers cas, selon néanmoins le volume des os fracturés ; le calus étant solidement formé au bout de vingt ou vingt-cinq jours dans la fracture des côtes ; le canon n’étant repris qu’après quarante jours écoulés ; le cubitus, qu’après cinquante, & quelquefois soixante, &c.

Quelque importans que soient ces détails, quand je les étendrois au-delà des bornes que nous devons nous prescrire dans cet ouvrage, ils seroient d’une très-foible ressource pour le maréchal, s’il ignore d’une part & par rapport aux os, leur nombre, leur figure, leur grosseur, la nature de leur substance, les inégalités, les éminences de leurs surfaces ; & de l’autre, & par rapport aux muscles, leur position, leur fonction, leur direction, &c. ainsi que la situation des nerfs & des vaisseaux considérables qui peuvent se rencontrer dans le membre fracturé ? La nécessité d’être parfaitement instruit de tous ces points divers, est absolue pour qui veut juger sainement des suites du mal, & se décider avec certitude sur les véritables moyens d’y remédier.

Ces moyens consistent à remettre l’os dans sa position naturelle, & à le maintenir fermement dans cet état. La réduction s’en fait par l’extension, la contre-extension & la conformation ; & cette réduction est fermement maintenue par le secours de l’appareil & par la situation dans laquelle on place l’animal.

Nous appellons extension, l’action par laquelle nous tirons à nous la partie malade ; contre-extension, l’effort par lequel cette même partie est tirée du côté du tronc, ou fixée de ce même côté d’une maniere stable ; & nous nommons conformation, l’opération qui tend à ajuster avec les mains les extrémités rompues de l’os, selon la forme & l’arrangement qu’elles doivent avoir.

L’extension & la contre-extension sont indispensables pour ramener la partie dans son étendue, & les extrémités fracturées au point d’être mises dans une juste opposition, & rapprochées l’une de l’autre. On doit donc observer, 1°. qu’elles sont inutiles dans les fractures sans déplacement ; 2°. que dans les circonstances où l’on est obligé d’y recourir, les forces qui tirent doivent être a raison de celle des muscles & de la séparation, ou de l’éloignement des pieces ; 3°. que ces mêmes forces doivent être appliquées précisément à chacun des bouts de l’os rompu ; 4°. qu’il importe qu’elles soient égales ; 5°. que l’extension ne doit être faite que peu à peu, insensiblement & par degrés, &c. Quant à la conformation, on conçoit sans peine qu’elle doit être le travail de la main, dès que l’on connoît le but que l’opérateur se propose ; & il seroit inutile sans doute d’insister ici sur l’attention avec laquelle il faut qu’il évite de presser les chaire contre les pointes des os, & de donner ainsi lieu à des divisions & à des divulsions toûjours dangereuses. Je remarquerai encore qu’il ne s’agit pas dans toutes les fractures de tenter d’abord la réduction ; une tumeur, une inflammation violente, nous prescrivent la loi de ne point passer sur le champ à l’extension & à la contre-extension, & de calmer l’accident avant d’y procéder, par des saignées, des lavemens & des fomentations legerement résolutives. Une hémorrhagie nous indique l’obligation de nous occuper dans le moment du soin de réprimer l’effusion abondante du sang ; des esquilles qui s’opposent constamment à tout replacement & qui ne peuvent que nuire à la cure, exigent que nous commencions premierement à les enlever ; une luxation jointe à la fracture, demande que nous n’ayons dans l’instant égard qu’à la nécessité évidente de la réduire, &c.

Nous comprenons sous le terme d’appareil, les bandes, les compresses, & les attelles.

Les bandes que nous employerons seront des rubans de fil plus ou moins larges, & qui auront plus ou moins de longueur, selon la figure du membre fracturé. Les circonvolutions de ce ruban autour de la partie, forment ce que nous appellons bandage. Nous avons l’avantage de ne mettre en usage que celui que l’on nomme continu, c’est-à-dire celui qui est fait avec de longues bandes roulées, & qui est le plus souvent capable de contenir l’os réduit : car dans les fractures compliquées, nous pouvons nous dispenser de recourir au bandage à dix-huit chefs, puisque nous pouvons dérouler nos bandes & les replacer sur le membre sans rien changer à sa situation, & sans lui causer le moindre dérangement. On doit se souvenir au surplus qu’un bandage trop serré peut gêner la circulation, & produire un gonflement, une inflammation ; & qu’un bandage trop lâche favoriseroit la desunion des fragmens replacés : ainsi le maréchal doit être scrupuleusement en garde contre l’un ou l’autre de ces inconvéniens.

Les compresses sont des morceaux de linge pliés en deux ou en plusieurs doubles ; on en couvre les parties fracturées ; on les tient plus épaisses dans les endroits vuides ou creux qu’elles doivent remplir.

Les attelles ne sont autre chose que des especes de petites planches, faites d’un bois mince & pliant, mais cependant d’une certaine force & d’une certaine consistance, avec lesquelles on éclisse le membre cassé ; elles doivent être par conséquent adaptées & assorties à sa force & à sa grosseur.

A l’égard de la maniere dont on doit situer l’animal ensuite de l’application de l’appareil, il paroît selon le rapport & le témoignage de M. de Soleysel, qu’il est très-possible de l’abandonner sans crainte que par un appui indiscret sur le membre fracturé, il porte la moindre atteinte à la réduction faite. Le cheval & le mulet dont cet auteur parle, & qui avoient été jettés dans des prairies, offrent un exemple de l’attention que lui suggere l’instinct ; & j’en trouverois encore une preuve dans une jument, qu’une personne très-digne de foi m’a assûré avoir vû traiter avec succès d’une fracture sans autres soins, après que les bandages furent assûrés, que celui de la tenir simplement & à l’ordinaire dans une écurie. Je ne sai cependant si je ne préférerois pas la suspension de l’animal dans le travail jusqu’à l’entiere formation du calus, pour prévenir plus sûrement les accidens qui peuvent arriver en le livrant à lui-même, & pour être plus à portée de visiter mon appareil, de l’ôter, de le replacer dans une foule de circonstances qui nous y invitent & qui nous y obligent.

Terminons toutes ces discussions qui n’éclairent encore le maréchal que sur la cure générale des fractures, par l’exposition de la méthode particuliere qu’il doit suivre dans le cas d’une fracture à l’un des membres, & dans celui d’une fracture à l’une des côtes.

Supposons en premier lieu une plaie oblique & contuse de la longueur de quatre travers de doigt, à la partie moyenne supérieure du canon de l’une des extrémités postérieures, avec une fracture en bec de flûte à ce même os.

L’opérateur disposera d’abord son appareil ; il préparera un plumaceau de charpie, une compresse en double d’environ un demi-pié de largeur, sur 8 ou 9 pouces de longueur ; deux bandes de quatre aunes de longueur, & larges d’environ trois travers de doigt ; & des attelles, qu’il enveloppera chacune dans un linge égal, & dont la largeur & la longueur seront proportionnées au volume & à l’étendue de l’os fracturé.

Il procédera ensuite aux extensions. M. de Garsault dans son nouveau parfait Maréchal, propose à cet effet de renverser le cheval, & d’employer les forces opposées de plusieurs hommes. Je doute que ces forces soient toûjours suffisantes ; j’imagine de plus qu’il est assez difficile que les tractions soient en raison égale ; qu’elles soient opérées dans une direction juste & précise ; qu’elles soient exactement insensibles & par degrés ; & d’ailleurs il me semble que l’animal dans l’action de se relever étant nécessairement astraint à faire usage de ses quatre membres, se blesseroit inévitablement en tentant de l’effectuer, & ne pourroit que détruire par cet effort tout ce que le maréchal auroit fait pour replacer les pieces divisées, & pour les maintenir unies. Je conseillerai donc de le suspendre dans un travail ordinaire, mais susceptibles des additions suivantes.

Soient deux rouleaux ou cylindres de trois pouces de diametre au moins, dont la longueur traverse toute la largeur du travail, l’un au tiers supérieur, & l’autre au tiers inférieur, de la hauteur des montans, & qui s’engagent par les deux extrémités par deux collets portés sur la face extérieure de ces mêmes montans. Soit l’une des extrémités de chaque rouleau assemblée quarrément, avec un rochet tel que ceux qui constituent communément les cris des berlines. Soit un fort cliquet attaché par clou rond au montant, & sur la face latérale pour le bec de ce même cliquet, s’engager dans les dents du rochet.

Soient encore deux poulies, dont les chapes terminées en crochet puissent être accrochées, l’une à la traverse supérieure du travail, l’autre à une traverse à fleur de terre. Soient ces mêmes traverses garnies de divers anneaux solidement attachés, & entre lesquels l’opérateur pourra choisir ceux qui répondront le plus exactement à la direction de la partie qu’il est question de réduire. Alors le maréchal placera trois entravons rembourrés ; le premier précisément au-dessus du jarret ; le second directement au-dessous, c’est-à-dire à l’extrémité supérieure de l’os cassé ; & le troisieme à l’extrémité inférieure de ce même os, c’est-à-dire au-dessus du boulet. Ces trois entravons seront serrés, de maniere qu’ils ne pourront glisser du côté où les tractions seront faites. De l’anneau de fer situé à la partie postérieure de l’entravon qui enveloppe le tibia, partiront deux cordages assez forts, qui seront attachés à une traverse immobile à l’effet de fixer le membre. Des anneaux situés latéralement dans le second entravon, partiront encore des cordes, qui passeront dans la poulie supérieure, chargée de former le retour en contre-bas de ces mêmes cordes, qui s’enrouleront sur le rouleau supérieur, tandis que celle de la traverse inférieure recevra les cordages qui viendront des deux anneaux du dernier entravon, & favorisera leur retour en contre-haut, & leur enroulement sur le cylindre inférieur. Ces cylindres mus ensuite sur leur axe par une manivelle appropriée à cet usage, il est visible que l’extension & la contre-extension pourront avoir lieu selon toutes les conditions requises, & dans le même tems. Le maréchal examinera le chemin que feront les pieces fracturées : dès qu’elles seront parvenues au niveau l’une de l’autre, il fera la coaptation ; & dans la crainte qu’une extension trop longue n’ait de fâcheuses suites, il ordonnera à ses aides de se relâcher legerement, & d’introduire le bec de chaque cliquet dans les dents du rochet qui lui répond. L’un d’eux tiendra l’endroit fracturé, pendant qu’il pansera la plaie ; il y mettra le plumaceau qu’il a préparé, après l’avoir imbibé d’eau-de-vie ; il trempera la compresse dans du vin chaud, il en couvrira circulairement le lieu de la fracture : ensuite il prendra le globe de la bande, qui sera imbue du même vin ; sa main droite en étant saisie, il en déroulera environ un demi-pié. Il commencera le bandage par trois circulaires médiocrement serrés sur ce même lien : de-là il descendra jusqu’à l’extrémité de l’os par des doloires ; il remontera jusqu’à l’endroit par lequel il a débuté ; il y pratiquera encore le même nombre de circulaires, & gagnera enfin la partie supérieure du canon, où la bande se trouvera entierement employée. Cette partie ayant plus de volume que l’inférieure, le maréchal fera à celle-ci quelques circonvolutions de plus, & n’oubliera point les renversés, par le moyen desquels on évite les godets, & l’on fait un bandage plus propre & plus exact.

Ce n’est pas tout ; il se munira d’une seconde bande qu’il trempera dans du vin chaud, ainsi qu’il y a trempé la premiere ; il l’arrêtera par deux circulaires à la portion supérieure, où le trajet de cette premiere bande s’est terminé. Après quoi il posera deux ou trois attelles qu’un aide assujettira, tandis qu’il les fixera par un premier tour de bande ; il les couvrira en descendant par des doloires jusqu’au boulet, & remontera en couvrant ces premiers tours jusqu’au-dessous du jarret.

Cette opération finie, il laissera le cheval suspendu ; il le saignera deux heures après, & il le tiendra à une diete humectante & rafraichissante. Dans les commencemens on arrosera l’endroit fracturé avec du vin chaud ; & si l’on apperçoit un gonflement inférieur à l’appareil, & que ce gonflement ne soit pas tel qu’il puisse faire présumer que le bandage est trop serré, on se contentera d’y appliquer des compresses trempées dans un vin aromatique. Il ne seroit pas hors de propos de réitérer la saignée le second jour, & de lever l’appareil le huitieme, à l’effet de s’assurer de l’état de la plaie, qu’on sera peut-être oblige de panser d’abord tous les trois jours, & ensuite à des distances plus éloignées. Lorsqu’elle sera dans la voie de se cicatriser, & les pieces d’os de se réunir, on pourra interrompre tout pansement pendant un espace de tems assez long, pour que la nature puisse nous seconder ; & il y a tout lieu d’espérer qu’au bout de quarante jours, & au moyen de ce traitement méthodique, accompagné d’un régime constant, l’animal sera totalement rétabli de cette fracture compliquée & composée ; car les petits peronnés sont trop intimement unis au canon dont on peut les regarder comme les épines, pour n’avoir pas été rompus eux-mêmes. Il peut arriver encore que le mouvement du jarret du membre affecté soit intercepté en quelque façon, & que l’articulation en soit même si fort gênée que nous soyons dans le cas de redouter une ankilose ; mais un exercice modéré & des applications de quelques linges trempés dans la moelle de bœuf fondue dans du vin, ou dans des graisses de cheval & d’autres animaux, suffiront pour rendre à cette partie sa liberté, son action & son jeu.

Imaginons à-présent une fracture avec déplacement à l’une des côtes, & non une de ces fractures qui pourroient s’aglutiner sans notre secours, & que nous ne pouvons découvrir que par hasard dans l’animal, les fragmens n’étant point sortis de leur situation naturelle, & l’égalité de la partie n’étant point altérée ; supposons que cette fracture est en dedans, c’est-à-dire que le bout cassé se porte du côté de la poitrine, ou qu’elle soit en-dehors, c’est-à-dire qu’il incline du côté des muscles extérieurs : dans le premier cas, nous la reconnoîtrons à l’enfoncement, à la toux, à la fievre, à une inflammation, à une difficulté de respirer plus ou moins grande, selon que les parties aiguës de l’os fracturé piqueront plus ou moins violemment la plevre : nous en serons assûrés dans le second, par l’élévation de la piece rompue, par une difficulté de respirer beaucoup moindre que celle dont nous nous serons apperçûs dans l’autre, par la crépitation, &c.

Ici la réduction n’est point aussi compliquée & aussi embarrassante. Pour l’opérer relativement à la fracture en-dedans, un aide serrera les naseaux du cheval, tandis que l’on pressera fortement avec les mains l’extrémité supérieure & inférieure de la côte, jusqu’à ce que les pieces enfoncées soient revenues dans leur situation. Si cependant les fragmens perçant la plevre, donnent lieu aux symptomes funestes dont j’ai parlé, on ne doit pas balancer à faire une incision à la peau, à l’effet de tirer ces fragmens avec les doigts, avec des pinces, avec une aiguille, telle que celle dont nous nous servons pour la ligature de l’artere intercostale, ou avec d’autres instrumens quelconques. Nous appliquerons ensuite des compresses ; l’une qui sera imbûe d’un vin aromatique sur toute l’étendue de la côte ; les deux autres qui auront beaucoup plus d’épaisseur, seront mises sur celles-ci à chacune des extrémités sur lesquelles j’ai ordonné de comprimer, & l’on maintiendra le tout par un bon & solide surfaix. Relativement à la fracture en-dehors, le replacement est plus aisé. Il s’agit de pousser les bouts déjettés jusqu’au niveau des autres côtes ; après quoi on place une premiere compresse, ainsi que je l’ai dit ; on garnit l’endroit fracturé d’un morceau de carton, que l’on assujettit de même par un surfaix, qui fait, comme dans le premier cas, l’office d’un bandage circulaire. Le nombre des saignées doit au reste être proportionné au besoin & aux circonstances : les lavemens, la diete, tout ce qui peut calmer les mouvemens du sang, doivent être employés, &c. (e)