L’Encyclopédie/1re édition/GANT

La bibliothèque libre.
◄  GANSE
GANTAN  ►

* GANT, s. m. (Art méchan.) espece de vêtement d’hyver, destiné à défendre les mains du froid. Les anciens en ont eu qu’ils appelloient chiroteques. Ils étoient de cuir fort. Les paysans s’en servirent pour se garantir les mains de la piquûre des épines ; ensuite le reste de la nation en prit en hyver contre le froid. Il y en avoit de deux especes. Les uns étoient sans doigts, & les autres avec des doigts. On les fit de drap, & on les garnit quelquefois par les bords avec de la soie. Les gants s’introduisirent dans l’Eglise vers le moyen âge. Les prêtres en porterent en célébrant. Le don du gant marqua le transport de propriété. Le gant jetté fut un cartel ; le gant relevé, un cartel accepté. Il étoit autrefois défendu aux juges royaux de siéger les mains gantées, & aujourd’hui on n’entre ni dans la grande ni dans la petite écurie du Roi, sans se déganter.

Les gants se font de peaux d’animaux passées en huile ou en mégie. Voyez l’article Mégissier. Ces peaux sont celles du chamois, de la chevre, du mouton, de l’agneau, du daim, du cerf, de l’élan, &c. On fait des gants à l’aiguille ou sur le métier, avec la soie, le fil, le coton, &c. Il y en a de velours, de satin, de taffetas, de toile, & d’autres étoffes.

Ce sont les Gantiers qui fabriquent les gants de peau, les Bonnetiers qui font les gants au tricot & à l’aiguille, & les marchands de modes qui vendent les gants d’étoffes & autres.

Voici le travail du Gantier. Cette profession est une de celles qui exigent le plus de propreté. Les instrumens de cet ouvrier sont le ciseau de Tailleur, ou la force ; le couteau à doler, le tourne-gant, &c.

Le Gantier ne prépare point ses peaux, il les prend chez le mégissier ; il doit seulement apporter quelques précautions dans l’achat qu’il en fait, sur tout lorsque la partie de peaux qu’il achete est considérable. On les lui présente en douzaine, sans être parées. Celui qui les lui vend, répand toûjours deux ou trois peaux de rebut sur chaque douzaine de peaux de recette. Le gantier intelligent en fera le triage, & les achetera séparément ; ou il les examinera bien avant que de les prendre, comme on dit, les unes dans les autres, & il comptera le plus exactement qu’il lui sera possible ce qu’elles peuvent toutes lui fournir d’ouvrage. Toute peau percée est censée de rebut, quoique le gantier habile puisse assez souvent en tirer le même parti que si elle n’avoit aucun défaut. Son art doit alors consister à placer dans la coupe les trous entre les fentes des doigts, ou à l’enlevûre qui se pratique pour le pouce de la main.

Le gantier commence par faire parer ses peaux, ou à en ôter le pelun. S’il a à couper des chevreaux en blanc, & que ces peaux soient un peu plus épaisses au dos qu’à la tête, ou sur les flancs, il commence par lever une petite lisiere de la seconde peau, vers la tête. A l’aide de son pouce & de son ongle, il suit la coupe de cette portion de sa peau dans toute sa longueur. C’est ainsi qu’il la rend d’égale épaisseur, & plus maniable. C’est ce qu’on appelle effleurer à la main. Cela fait, il a une brosse de crins rudes ; il brosse chacune de ses peaux du côté de la chair, pour en ôter ce qu’il peut y avoir de crasse & de velu. Il range toûjours ses peaux la fleur sur la chair. Il en place un grand nombre sur une table bien nettoyée. Il a une éponge qu’il trempe dans de l’eau fraîche. Il passe cette éponge le plus legerement qu’il peut sur chaque peau. Il prend sa peau par les pattes de derriere ; il la retourne, & l’étend sur une autre table du côté où elle a été mise en humide, sur la fleur. Il éponge une seconde peau qu’il étend sur la premiere, chair contre chair. Il en éponge une troisieme qu’il étend sur la seconde, fleur contre fleur, & ainsi de suite, un côté humide d’une peau toûjours sur un côté humide de la suivante, & la chair de l’une toûjours contre la chair d’une autre.

Après cette premiere manœuvre, il roule toutes ses peaux & en fait un paquet rond, ce qu’il appelle les mettre en pompe. Il les tient dans cet état jusqu’à ce qu’il soit assure que ses peaux ont bû assez d’eau. Alors il ouvre le paquet. Il prend une de ces peaux qui a conservé un peu de son humidité. Il tire la tête à deux mains, l’étend & la met sur son large ; il continue de la manier ainsi & mettre sur son large de la tête à la culée, & il cherche à en tirer le plus d’ouvrage qu’il est possible. C’est l’étendue de la peau qui décidera de la longueur des gants. Si l’ouvrier est un mal-adroit, & que sa coupe soit mal entendue, il perd beaucoup, & les ouvriers disent alors que les forces ont dîné avant le maître.

Après qu’il a tiré la peau sur son large, il la manie & la tire sur son long ; il la dépece, & donne à ses étavillons la forme & les dimensions convenables. On appelle étavillons, les grandes pieces d’un gant coupé. Il renferme ses étavillons dans une nape, où ils conservent encore un peu de leur humidité, jusqu’à ce qu’il puisse les dresser. Il les assortit de pouces & de fourchettes. Il observe de donner à la peau du pouce un peu plus d’épaisseur qu’à celle de l’étavillon, & un peu moins à la fourchette. Il colle ses fourchettes trois à trois les unes sur les autres. Il reprend les étavillons, les dresse, les fend ; observant que la fente du milieu détermine la longueur & les autres dimensions du gant. La fente est d’autant plus longue que le gant doit être plus large, & les fentes suivent l’ordre de celles des doigts de la main ; c’est-à-dire que la fente du premier au second doigt est un peu moins profonde que celle du second au troisieme, celle-ci un peu moins profonde que celle du troisieme au quatrieme, & cette derniere un peu moins profonde que celle du quatrieme au cinquieme. Il faut les dégager toutes, selon la douceur de la peau.

Vos enlevûres faites à une distance proportionnée pour placer le pouce, vous pratiquez vos arriere-fentes ; vous repliez votre étavillon ; vous posez le pouce ; vous donnez aux doigts leur longueur ; vous les rafilez ; vous posez les pieces aux rebras ; vous pliez votre gant en deux ; vous le garnissez de ses fourchettes, & vous l’envoyez à la couturiere.

Les gants se cousent avec de la soie, ou avec une sorte de fil très-fort qu’on appelle fil à gant.

Il ne faut perdre ni le pelun ni les retailles ; le pelun se vend aux Tissiers ; les retailles de peaux blanches, aux Blanchisseurs de murailles.

Les gants, au retour de chez la couturiere, sont vergettés paire par paire avec une brosse qui ne soit ni dure ni molle ; dure, elle endommageroit la couture ; molle, elle ne nettoyeroit pas. On prend ensuite du blanc d’Espagne, & non de la céruse, qui brûle la peau. On en répand avec la brosse sur toute la surface du gant. On fait prendre ce blanc à la peau. On ôte le superflu en battant les gants par un tems sec, sur une escabelle, six paires à six paires, jusqu’à ce qu’ils n’en rendent plus. On les brosse, & alors les gants sont prêts à être gommés.

Pour cet effet, ayez de la gomme adragant la plus blanche & la plus pure ; deux ou trois jours avant le blanchissage, versez sur cette gomme un peu d’eau ; que l’eau couvre à peine la gomme. A mesure que la gomme se dissout, ajoûtez de l’eau : quand votre gomme sera bien fluide, passez-la à-travers un linge blanc & serré ; recevez la gomme passée dans un petit pot de fayence bien net ; foüettez-la avec des verges ; à-mesure que vous la foüettez, elle blanchit & s’épaissit : redélayez-la par une petite addition d’eau. Quand elle vous paroît avoir une consistence legere, étendez votre gant sur un marbre, trempez dans la gomme dissoute une éponge fine, & gommez votre gant à toute sa surface : c’est ainsi que vous y attacherez le blanc qu’il a reçû.

A mesure que vous gommez, vous jettez les gants, paire par paire, sur une petite ficelle tendue : quand ils sont à moitié secs, vous les pliez en deux ; vous les dressez, vous veillez à ce qu’il ne s’y forme point d’écailles, c’est-à-dire qu’il n’y ait point d’endroits où la gomme paroisse : vous les renformez sur le large ; vous les dressez encore ; vous les rétendez sur les cordeaux, d’où vous les portez au magasin.

La premiere fois qu’on les dresse au sortir de dessus le cordeau, il faut qu’ils soient encore humides. Si les gants gommés étoient trop secs, il seroit impossible de les bien dresser : alors il faudroit les tenir en presse pendant vingt quatre heures, avant que de les mettre en paquets.

Lorsqu’il s’agit de mettre des peaux de chamois en humide, on se contente de les exposer au brouillard pendant quelques heures. ou de les suspendre en un lieu frais ; elles y prendront assez d’eau.

Tout ce que nous venons de dire des peaux d’agneaux ou de moutons, doit s’entendre des autres : seulement s’il arrivoit qu’on eût à en employer de trop épaisses, on se serviroit du couteau à doler, pour les rendre plus minces en tout ou en partie.

Il y a un grand nombre de sortes de gants ; ceux de canepin sont faits de la superficie déliée qu’on enleve de la peau des agneaux & chevreaux passés en mégie : on en fait aisément tenir la paire dans une coque de noix.

Les gants de Blois sont de peaux de chevreaux bien choisies, & sont cousus à l’angloise ; ils portent le nom de la ville d’où on les tire.

Les Parfumeurs appellent gants de castor des gants de peau de chamois ou de chevre, apprêtée d’une maniere si douce qu’on peut aisément s’y tromper.

Le gant de Fauconnier est un gros ouvrage fait de peau de cerf ou de bufle qui couvre la main & la moitié du bras ; on le fait de peau forte, pour garantir de la serre de l’oiseau.

On appelle gants fournis ceux qui sont faits de peaux auxquelles on a laissé pour le dedans du gant le poil ou la laine de l’animal.

Les Parfumeurs préparent les gants glacés, de la maniere suivante : ils battent des jaunes d’œuf avec de l’huile d’olive ; ils arrosent ensuite le mélange d’esprit-de-vin & d’eau, & passent les gants dans ce mélange, du côté de la chair. Cela fait, ils reprennent du même mélange, mais sans eau, & ils foulent les gants pendant un quart-d’heure.

Les gants se parfument d’une maniere assez simple ; en les tenant enfermés bien exactement dans des boîtes, avec les odeurs qu’on veut qu’ils prennent.

Gants, (Droit coûtumier.) droit seigneurial qui dans la plûpart de nos coûtumes, est dû à chaque mutation ; ce droit est reglé à une petite somme, savoir deux sous en quelques lieux, & en d’autres, quatre deniers, qui suivant la coûtume de Dunois, art. 36. doivent être payés par l’acheteur, huit jours après le contrat de vente. Je n’en savois guere davantage sur ce terme de coûtume : mais M. Aubert, dans ses additions au Richelet, m’a éclairé completement & agréablement : je vais transcrire sa glose, pour n’y pas renvoyer le lecteur.

« Le droit de gants, dit-il, est ancien, selon Galant, dans son traité du franc-alleu : il est dit dans la coûtume de Lorris, art. 4. tit. des cens, &c. aucunes censives sort à droit de lods & ventes, les autres, à gants & ventes. Les coûtumes d’Orléans, art. 106. de Chartres, art. 47. & plusieurs autres, s’expliquent de même ; & Boutillier, dans sa somme, ch. v. en fait mention en ces termes : gants blancs pour les deux livres de tenure ».

Ces gants étoient une reconnoissance de l’investiture accordée par le seigneur au nouvel acquéreur. La tradition réelle se faisoit autrefois de différentes manieres, ou par un fétu de bois ou de paille, ou par un morceau de terre, ou par des gants, que le seigneur féodal recevoit comme une marque de la gratitude de son vassal, ou de son emphitéote : on en voit la formule dans Marculphe ; & l’on seroit sans doute ennuyeux, si l’on rapportoit ici toutes les preuves que l’on trouve dans plusieurs auteurs de cet ancien usage. Je me contenterai, ajoûte M. Aubert, de ces endroit du loman de la Rose, où l’amante parle :

Vienne, dit-elle, à point aux gants.

L’amant répond,

Aux gants, dame, ains vous dis sans lobe,
Que vous aurez mantel & robe.

Le glossaire latin de Ducange est à consulter sur le fréquent usage de la délivrance d’un gant, pour marque de l’investiture. Si aliquam territorii partem, dit une loi anglo-saxonne, venundari contigerit, domini venditiones (les ventes) habebunt, scilicet tot denarios quot venditor indè habuerit solidos : major verò terræ illius, pro wantis (les gants) accipiet duos denarios. Il arriva de cette loi, que les gants devinrent un droit personnel au baili du fief du seigneur : de-là s’établit encore la coûtume, dans la plûpart des marchés, de donner aux domestiques de l’argent pour une paire de gants. (D. J.)

Gants de Notre-Dame, digitalis, (Botan.) Voyez Digitale.

Gants de Notre-Dame, aquilegia, (Botan.) Voyez Ancolie.

Gant, (Géog.) bourg de France dans le Béarn, à deux lieues de la ville de Pau : nous n’en parlons que parce qu’il est la patrie de M. de Marca (Pierre), un des plus célebres prélats de l’église gallicane. On fait qu’après avoir été conseiller d’état & marié, il eut plusieurs enfans, devint veuf, & entra dans l’église ; obtint l’archevêché de Toulouse ; & étoit nommé à celui de Paris, lorsqu’il mourut en 1662, âgé de 68 ans. Son livre, intitulé Marca hispanica, est plein de savantes observations géographiques ; & son traité de la concorde de l’empire & du sacerdoce, de concordiâ sacerdotii & imperii, est très estimé ; il faut l’avoir de l’édition de M. Baluze. Enfin son histoire de Béarn est la meilleure que nous ayons. L’abbé Faget a écrit la vie de M. de Marca ; on peut la consulter. (D. J.)