L’Encyclopédie/1re édition/GLACIERE NATURELLE

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GLACIERE NATURELLE. (Hist. nat.) Parmi les curiosités que la Franche-Comté offre aux naturalistes il en est une très-digne de remarque ; c’est une espece de glaciere formée par la nature dont voici la description. On la doit à M. le marquis de Croismare qui l’a faite sur les lieux en 1731.

A cinq lieues de Besançon à l’est, dans un endroit appellé Montagne près du village de Beaume, on trouve un petit bois, au milieu duquel on voit une ouverture formée par deux masses de rochers, qui prenant leur naissance à fleur-de-terre, conduisent par une pente fort roide & longue de 72 toises, à l’entrée d’une caverne dont le bas est 146 piés au-dessous du niveau de la campagne. Cette avenue de rochers large d’abord de 48 piés se réduit bientôt à 36, puis s’élargissant insensiblement vient s’attacher aux deux extrémités de la façade de la glaciere, avec laquelle elle ne paroît plus faire qu’un corps par la couleur & la disposition de ces pierres. L’entrée de la grotte large de 60 piés, & haute d’environ 80, est couverte par deux lits de rocailles horisontaux, qui forment au-dessus de l’ouverture deux especes de corniches ou corps avancés, coupés quarrément, dont le plus élevé est le plus saillant, & est surmonté d’un grand massif de pierre grisâtre coupé verticalement On voit au-dessus quantité d’arbres & d’arbustes qui contribuent à entretenir la fraîcheur de la glaciere. Avant d’y entrer on trouve à main droite une ouverture en forme de fenêtre large de cinq piés, à demi-murée, qui mene dans des concavités ou l’on se retiroit pendant la guerre ; elles avoient un dégagement par le dedans de la caverne, mais il est presque bouché par des morceaux de pierre & de glace.

La grotte s’élargit pour prendre la figure d’une ovale irréguliere, disposée de façon qu’une extrémité de son grand diametre se rencontre dans son entrée ; elle a 135 piés dans sa plus grande largeur, & 168 de longueur : cette ovale avant de se terminer décrit un cabinet ou cul-de-lampe large de 27 piés & long de 48. Dans la premiere partie le roc s’éleve tout autour verticalement comme une muraille, à la hauteur d’environ 30 piés, & soûtient une voûte élevée de 80 piés : la pierre du mur est assez unie, tirant sur le verd, & couchée par lits paralleles entr’eux, mais inégaux ; celle de la voûte, quoique très-brute, présente cependant à l’œil une courbe fort agréable ; on y voit à droite une ouverture longue, étroite & profonde, mais qui ne donne point de jour ; les bords sont ornés de festons de glace, & il en découle sans cesse de l’eau goutte-à-goutte, qui se réunissant dans le bas de la grotte commence à y former un corps glacé qui peut avoir 30 piés de diametre : on trouve aussi sur la gauche en entrant une semblable masse de glace, mais plus petite, l’eau n’y tombant pas en si grande quantité, & ne sortant de la voûte que par des fentes ou veines qui ne sont point sensibles. Ces deux masses de glace étoient autrefois d’une grande élévation, & formoient des colonnes qui dans l’été touchoient au haut de la caverne ; mais la glace manquant dans Besançon, ces colonnes furent détruites en 1727 pour l’usage du camp de la Saone.

Le sol ou le bas de la grotte est d’un roc assez uni, & entierement couvert de glace épaisse d’environ un pié & demi ; mais au mois d’Août son épaisseur peut être de quatre ou cinq piés. Ce plancher glacé remplit tout l’espace que décrit l’ovale dont il a été parlé, & vient se terminer à l’ouverture du cul-de-lampe, où l’on monte par un talus de six piés : le dedans est en voûte, & paroît d’un seul morceau de roc ; la voûte prend sa naissance dès le pié ; la pierre en est fort belle, une partie est d’un rouge-brun clair, & l’autre d’un bleu-pâle ; & tout paroît comme des restes d’une sculpture antique & usée, entre-coupée par des bandes vermiculées. On voit dans le haut une petite crevasse dont il tombe de l’eau, qui forme peu-à-peu un corps de glace semblable aux premiers.

Le dessus de la grotte est un terrein assez uni, sec, pierreux, sans eau, couvert de beaucoup d’arbres, & de niveau avec le reste du bois.

En hyver une partie de la glace se fond, la grotte semble fumer, & se couvre d’un brouillard très-épais qui la dérobe à la vûe, mais aussi-tôt que la chaleur se fait sentir, la glace augmente ; ce brouillard se dissipe presqu’entierement, & il ne reste qu’une legere vapeur à l’entrée de la glaciere. La glace de cette grotte est sensiblement plus dure que celle des rivieres ; elle est mêlée de moins de bulles d’air, & se fond plus difficilement.

Un coup de pistolet tiré dans la caverne y fait un bruit considérable ; mais il faut faire cette expérience avec la précaution de ne pas s’exposer à la chûte de la glace qui est attachée à la voûte de la grotte, de même que les stalactites de glaçons qui pendent le long des toîts en hyver.

Il regne dans cette grotte ou glaciere un froid très-vif ; & quoique l’air extérieur fût assez chaud dans le tems de ces observations, l’auteur fut obligé de les interrompre plusieurs fois pour se réchauffer.

Le prince de Montbéliard est seigneur de ce canton. Pour y aller de Besançon, on passe à Maure, de-là à Nancré, puis à Bouclan, ensuite à Goussan qui n’en est éloigné que d’une grande lieue : on les fait à pié le chemin étant plus long & rude pour les voitures.

Voilà l’état où étoit cette glaciere naturelle en 1731, tems auquel elle fut examinée par M. le marquis de Croismare : on en avoit avant lui donné une description beaucoup moins détaillée dans les mémoires de l’académie royale des Sciences, année 1712. Au reste il paroît que cette glaciere a éprouvé des changemens considérables par rapport à l’aspect qu’elle présentoit, mais non par rapport au phénomene singulier qui la caractérise.

M. le Cat académicien de Rouen, connu avantageusement par plusieurs traités, dans une dissertation qu’il a faite sur le feu central ou la chaleur intérieure de la terre, rapporte une lettre qui lui fut écrite par M. Ravier secretaire de M. l’évêque du Bellay, qui étoit né dans le pays, & qui avoit eu occasion de voir très-souvent la glaciere ; la description qu’il en donne est presqu’entierement conforme à celle qui précede. L’ouverture de la caverne est du côté du nord-oüest ; il y a plus de 30 ou 40 ans que l’eau tomboit goutte-à-goutte en plus de mille endroits de la voûte, se changeoit sur le champ en glace, & formoit des stalactites de glace semblables à celles qui s’attachent à l’extrémité des toîts en hyver ; ce qui produisoit une infinité de figures très singulieres. M. Ravier ajoûte qu’au fond de la grote il y avoit deux endroits où l’eau en tombant avoit formé deux bassins de glace, & que l’eau liquide y étoit conservée, & se tenoit de niveau avec les bords des bassins qu’elle avoit formés : ces bassins avoient environ deux à trois piés de diametre. Dans ce tems-là l’entrée de la grotte étoit ombragée par de grands arbres touffus dont les branches la garantissoient contre les ardeurs du soleil ; mais depuis qu’on se fut avisé de les abattre, les choses ont bien changé de face, & il ne s’y est plus formé une si grande quantité de glace qu’autrefois. Un camp de paix placé à Saint-Jean de l’Osne en 1724, acheva de ruiner la glaciere : pour se procurer de la glace, on abattit les colonnes & les pyramides qu’on y voyoit ; depuis on a long-tems continué à y aller chercher la glace qu’on détachoit à mesure qu’elle se formoit : cela dura jusqu’à ce que M. de Vanolles intendant de Franche-Comté voulant conserver cette curiosité naturelle, fit fermer l’entrée de la grotte par une muraille de 20 piés de haut, dans laquelle fut pratiquée une petite porte dont la clé fut remise aux échevins du village, avec défense d’y laisser entrer personne pour enlever de la glace. Cette précaution contribua encore à empêcher qu’il ne se formât une si grande quantité de glace. M. Ravier finit par conclure que la glace s’y amasse & s’y durcit d’une année à l’autre ; que les colonnes & pyramides qu’on y voyoit anciennement étoient l’ouvrage de plusieurs siecles ; que la fumée qu’on voyoit sortir de la glaciere n’étoit qu’un brouillard causé par la chaleur douce & tempérée qui y regnoit en autonne. Il ajoûte que jamais ce brouillard ne se dissipe avant le mois de Juillet, parce que ce n’est que dans les grandes chaleurs que la glace s’y forme ; ce qu’il prouve par le témoignage d’un de ses amis qui étoit dans l’usage d’aller à cette glaciere une fois tous les dix jours ; au commencement de Juillet il n’y trouva qu’en un seul endroit un morceau de glace de 15 à 20 livres : mais au milieu du mois d’Août il y trouva un grand nombre de morceaux, dont chacun étoit assez grand pour faire la charge d’une charrete.

On voit par ce qui vient d’être rapporté, que cette grotte présente aux physiciens un phénomene unique dans la nature ; la glace qui s’y forme dans les chaleurs de l’été prouve que le froid qui regne dans cet endroit soûterrein est très-réel, & n’est point relatif comme celui des autres soûterreins, & fait par conséquent une exception aux regles que suit ordinairement la nature. Il y a une derniere description de la même glaciere dans le vol. I. des mémoires des Savans étrangers, imprimé par l’ordre de l’académie : cette description a été faite en 1743. Voici ce qu’elle offre de particulier ou de différent de ce qui précede. La rampe n’a que 31 toises de hauteur sur 64 de longueur. Le thermometre s’y fixe constamment à degré au-dessous de la glace. Le froid & le brouillard y sont plus sensibles en Août qu’en Octobre ; cependant l’état intérieur de la caverne ne change pas considérablement à cet égard de l’hyver à l’été, quelque froid ou chaud qu’il fasse extérieurement. Il y a au bas de la rampe une coulée de terre glaise qui s’entretient molle & boüeuse, quoique le reste de cette partie de la rampe, tant au-dessus qu’au-dessous, soit très-dur. Le dessus du terrein qui couvre la caverne, à compter sur une ligne qui tomberoit à-plomb sur la rampe, va, en montant sur 25 toises de longueur, de trois piés cinq pouces, & baisse ensuite sur dix toises d’un pié huit pouces. (—)