L’Encyclopédie/1re édition/GLORIEUX

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GLORIEUX, adj. pris subst. (Morale.) c’est un caractere triste ; c’est le masque de la grandeur, l’étiquete des hommes nouveaux, la ressource des hommes dégénérés, & le sceau de l’incapacité. La sottise en a fait le supplément du mérite. On suppose souvent ce caractere où il n’est pas. Ceux dans qui il est croient presque toujours le voir dans les autres ; & la bassesse qui rampe aux piés de la faveur, distingue rarement de l’orgueil qui méprise la fierté qui repousse le mépris. On confond aussi quelquefois la timidité avec la hauteur : elles ont en effet dans quelques situations les mêmes apparences. Mais l’homme timide qui s’éloigne n’attend qu’un mot honnête pour se rapprocher, & le glorieux n’est occupé qu’à étendre la distance qui le sépare à ses yeux des autres hommes. Plein de lui-même, il se fait valoir par tout ce qui n’est pas lui : il n’a point cette dignité naturelle qui vient de l’habitude de commander, & qui n’exclut pas la modestie. Il a un air impérieux & contraint, qui prouve qu’il étoit fait pour obéir : le plus souvent son maintien est froid & grave, sa démarche est lente & mesurée, ses gestes sont rares & étudiés, tout son extérieur est composé. Il semble que son corps ait perdu la faculté de se plier. Si vous lui rendez de profonds respects, il pourra vous témoigner en particulier qu’il fait quelque cas de vous : mais si vous le retrouvez au spectacle, soyez sûr qu’il ne vous y verra pas ; il ne reconnoît en public que les gens qui peuvent par leur rang flatter sa vanité : sa vue est trop courte pour distinguer les autres. Faire un livre selon lui, c’est se dégrader : il seroit tenté de croire que Montesquieu a dérogé par ses ouvrages. Il n’eût envié à Turenne que sa naissance : il eût reproché à Fabert son origine. Il affecte de prendre la derniere place, pour se faire donner la premiere : il prend sans distraction celle d’un homme qui s’est levé pour le saluer. Il représente dans la maison d’un autre, il dit de s’asseoir à un homme qu’il ne connoît point, persuadé que s’est pour lui qu’il se tient debout ; c’est lui qui disoit autrefois, un homme comme moi ; c’est lui qui dit encore aux grands, des gens comme nous ; & à des gens simples, qui valent mieux que lui, vous autres. Enfin c’est lui qui a trouvé l’art de rendre la politesse même humiliante. S’il voit jamais cette foible esquisse de son caractere, n’espérez pas qu’elle le corrige ; il a une vanité dont il est vain, & dispense volontiers de l’estime, pourvu qu’il reçoive des respects. Mais il obtient rarement ce qui lui est dû, en exigeant toujours plus qu’on ne lui doit. Que cet homme est loin de mériter l’éloge que faisoit Térence de ses illustres amis Lœlius & Scipion ! Dans la paix, dit-il, & dans la guerre, dans les affaires publiques & privées ces grands hommes étoient occupés à faire tout le bien qui dépendoit d’eux, & ils n’en étoient pas plus vains. Tel est le caractere de la véritable grandeur ; pourquoi faut-il qu’il soit si rare ?