L’Encyclopédie/1re édition/HESPERIDES

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Briasson, David l’aîné, Le Breton, Durand (Tome 8p. 188-189).
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HESPERIDES, sub. f. pl. (Hist. & Myth.) filles d’Hesperus selon les uns, & d’Atlas selon les autres. Rapportons ici ce que l’Histoire nous a transmis de ces fameuses nymphes, & ce que les poëtes en ont publié ; c’est tout ce que je veux extraire succinctement d’un grand mémoire que j’ai lû sur ce sujet, dans le recueil de l’académie des Inscriptions.

Selon Paléphate, Hesperus étoit un riche Milésien qui vint s’établir dans la Carie. Il eut deux filles nommées Hespérides, qui avoient de nombreux troupeaux de brebis, qu’on appelloit brebis d’or, à cause de leur beauté ; ou, ce que j’aurois mieux aimé dire, à cause du produit qu’elles en retiroient. Ces nymphes, ajoute Paléphate, confierent la garde de leur troupeau à un berger nommé Dracon ; mais Hercule passant par le pays qu’habitoient les filles d’Hesperus, enleva & le berger & le troupeau. Varron & Servius ont adopté ce récit simple & naturel.

D’autres écrivains en grand nombre, changent le berger des Hespérides en jardinier, & leurs troupeaux en fruits nommés pommes d’or par les Grecs, soit à cause de leur couleur, de leur goût excellent, ou de leur rapport. Cette seconde opinion n’a pas moins de partisans que la premiere ; & il semble même que dans la suite des tems elle soit devenue, sur-tout parmi les modernes, l’opinion dominante, ensorte que les uns ont entendu par ces pommes d’or des coings, d’autres des oranges, & d’autres des citrons.

Diodore ne prend point de parti sur ce dernier article, parce que, dit-il, le mot grec μῆλα, dont les anciens auteurs se sont servis, peut signifier également des pommes ou des brebis, mais il entre dans les détails sur l’histoire même des Hespérides. Si nous l’en croyons, Hesperus & Atlas étoient deux freres, qui possédoient de grandes richesses dans la partie la plus occidentale de l’Afrique. Hesperus eut une fille appellée Hespérie, qui donna son nom à toute la contrée ; elle épousa son oncle Atlas, & de ce mariage sortirent sept filles, qu’on appella tantôt Hespérides, du nom de leur mere, & de leur ayeul maternel, tantôt Atlantides, du nom de leur pere.

Elles faisoient valoir soigneusement, ou des troupeaux, ou des fruits, dont elles tiroient de bons revenus. Comme elles étoient aussi belles que sages, leur mérite fit beaucoup de bruit dans le monde. Busiris, roi d’Egypte, devint amoureux d’elles sur leur réputation ; & jugeant bien que sur la sienne il ne réussiroit pas par une recherche réguliere, il envoya des pirates pour les enlever. Ceux-ci épierent le tems où elles se réjouissoient entr’elles dans un jardin, & exécuterent l’ordre du tyran. Au moment qu’ils s’en retournoient tout fiers de leur proie, Hercule qui revenoit de quelques-unes de ses expéditions, les rencontra sur le rivage, où ils étoient descendus pour prendre un repas. Il apprit de ces aimables filles leur avanture, tua les corsaires, mit les belles captives en liberté, & les ramena chez leur pere.

Atlas charmé de revoir ses filles, fit présent à leur libérateur de ces troupeaux, ou de ces fruits, qui faisoient leurs richesses. Hercule, fort content de la réception d’Atlas, qui l’avoit même initié par surcroît de reconnoissance dans les mysteres de l’Astronomie, revint dans la Grece, & y porta les présens dont son hôte l’avoit comblé.

Pline embrasse l’opinion de ceux qui donnent des fruits & non des troupeaux aux Hespérides, & paroît vouloir placer leurs jardins à Lixe, ville de Mauritanie : un bras de mer, dit-il, serpente autour de cette ville, & c’est ce bras de mer qui a donné aux poëtes l’idée de leur affreux dragon.

Si l’on suit les autres historiens, de la narration desquels je ne me propose point d’ennuyer le lecteur, on trouvera que ce qu’il y a d’incontestable touchant les Hespérides se réduit à ces trois ou quatre articles : qu’elles étoient sœurs ; qu’elles possédoient une sorte de bien, dont elles étoient redevables à leurs soins & à la bonté du terroir qu’elles cultivoient ; que leur demeure étoit bien gardée ; & qu’enfin Hercule étant allé chez elles, il remporta dans la Grece de ces fruits, ou de ces troupeaux, qui leur étoient d’un bon revenu.

Mais il faut voir ce que les poëtes ont fait de ce peu de matiere, & quelle forme ils ont sû lui donner. Ils changent le lieu qu’habitoient les Hespérides en un jardin magnifique & délicieux ; l’or y brille de toutes parts ; les fruits, les feuilles & les rameaux que portent ces arbres, sont de précieux métal ; Ovide nous en assure,

Arboreæ frondes, auro radiante nitentes
Ex auro ramos, ex auro poma ferebant.

Métam. lib. IV.

Toutes ces richesses sont gardées par un horrible dragon, qui a cent têtes, & qui pousse en l’air cent différentes sortes de sifflemens ; aussi les pommes sur lesquelles il tient sans cesse les yeux ouverts, charment la vûe par leur beauté, & font sur les cœurs des impressions dont il est impossible de se défendre. Lorsque Jupiter épousa Junon, cette déesse lui porta de ces pommes en mariage, & ne crut pas pouvoir lui payer sa dot plus magnifiquement. Ce fut avec une de ces pommes que la Discorde mit la division entre trois des plus grandes divinités du ciel, entre Junon, Vénus & Pallas ; & par cette seule pomme, elle jetta le trouble dans tout l’olympe. Ce fut avec ces mêmes pommes qu’Hippomene adoucit la fiere Atalante, la rendit sensible à ses vœux, & lui fit éprouver toutes les fureurs de l’amour.

Tandis que ces mêmes poëtes font de ces jardins un séjour ravissant, ils font de celles qui l’habitent autant d’enchanteresses ; elles ont des voix admirables ; elles temperent leurs travaux par des concerts divins ; elles aiment à prendre toutes sortes de figures, & à étonner les yeux des spectateurs par des métamorphoses également soudaines & merveilleuses. Les Argonautes arrivent-ils auprès d’elles, Hespéra devient un peuplier, Erythéis est un ormeau, Eglée se change en saule.

Il ne restoit plus aux poëtes, pour rendre les Hespérides respectables de tout point, que de les marquer au coin de la religion, & que d’en créer des divinités dans toutes les formes. Ces beaux génies n’y ont pas manqué : ils leur ont donné un temple ; ils y ont joint une prêtresse, redoutable par l’empire souverain qu’elle exerce sur toute la nature. C’est cette prêtresse qui garde elle-même les rameaux sacrés, & qui nourrit le dragon de miel & de pavots. Elle commande aux noirs chagrins, & sait à son gré les envoyer dans les cœurs des mortels, ou les chasser de leur ame avec la même facilité ; elle arrête le cours des fleuves ; elles force les astres à retourner en arriere ; elle contraint les morts à sortir de leurs tombes ; on entend la terre mugir sous ses pieds, & à son ordre on voit les ormeaux descendre des montagnes. Loin d’exagérer, je ne fais que rendre en mauvaise prose la peinture qu’en fait Virgile en de très-beaux vers :


Hesperidum templi custos, epulasque draconi
Quæ dabat, & sacros servabat in arbore ramos ;
Spargens humida mella, soporiferumque papaver ;
Hæc se carminibus promittit solvere mentes,
Quas velit, ast aliis duras immittere curas :
Sistere aquam fluviis, & sidera vertere retrò,
Nocturnos terram, & descendere montibus ornos.

C’est ainsi que les poëtes peuvent tout embellir ; & que, graces à leurs talens, ils trouvent dans les sujets les plus stériles des sources inépuisables de merveilles.

Peu nous doit importer, si l’on remarque dans leurs embellissemens une infinité de différences. Ce sont des choses inséparables des fictions de l’esprit humain, & ce seroit une entreprise ridicule de vouloir les concilier. C’est assez que les poëtes conviennent ensemble que les Hespérides sont sœurs ; que leurs richesses consistoient en pommes d’or ; que ces pommes étoient gardées par un dragon ; qu’Hercule pourtant trouva le moyen d’en cueillir, & d’en emporter dans la Grece. Mais, dira-t-on, ils sont divisés sur presque tous les autres faits ; ils ne s’accordent, ni sur la naissance de ces nymphes, ni sur leur nombre, ni sur la généalogie du dragon, ni sur le lieu où les jardins des Hespérides étoient situés, ni finalement sur la maniere dont Hercule s’y prit pour avoir de leurs fruits. Tout cela est très-vrai, mais ces variétés d’idées ne nuisent à personne ; les fictions ingénieuses seront celles auxquelles nous donnerons notre attache, sans nous embarrasser des autres.

Hésiode, par exemple, veut que les Hespérides soient nées de la Nuit ; peut-être donne-t-il une mere si laide à des filles si belles, parce qu’elles habitoient à l’extrémité de l’occident, où l’on faisoit commencer l’empire de la Nuit. Lorsque Chérécrate au contraire les fait filles de Phorcus & de Céto, deux divinités de la mer, cette derniere fiction nous déplaît, parce que c’est une énigme inexplicable.

Quant au nombre des Hespérides, les poëtes n’ont rien feint d’extraordinaire. La plûpart ont suivi l’opinion commune qui en établit trois, Eglé, Aréthuse & Hespéréthuse. Quelques-uns en ajoûtent une quatrieme, qui est Hespéra ; d’autres, une cinquieme, qui est Erythéis ; d’autres, une sixieme, qui est Vesta ; & ces derniers mêmes n’ont point exagéré, puisque Diodore de Sicile, historien, fait monter le nombre de ces nymphes jusqu’à sept.

Leur généalogie du dragon nous est fort indifférente en elle-même, soit qu’on le suppose fils de la Terre avec Pysandre, ou de Typhon & d’Echidne avec Phérécide. Mais les couleurs dont quelques-uns d’eux peignent ce monstre expirant, nous émeuvent & nous intéressent. Ce n’est pas une description de mort ordinaire qu’on lit dans Apollonius, c’est un tableau qu’on croit voir : « Le dragon, dit-il, percé des traits d’Hercule, est étendu au pied de l’arbre ; l’extrémité de sa queue remue encore, le reste de son corps est sans mouvement & sans vie ; les mouches s’assemblent par troupes sur le noir cadavre, sucent & le sang qui coule des plaies & le fiel amer de l’hydre de Lerne, dont les fleches sont teintes. Les Hespérides désolées à ce triste spectacle, se couvrent le visage de leurs mains, & poussent des cris lamentables »…

En un mot, de telles descriptions nous affectent, tandis que nous ne sommes point épris des prétendus mysteres qu’on prétend que ces fictions renferment, & des explications historiques, morales ou physiques qu’on nous en a données ; encore moins pouvons-nous goûter les traces imaginaires que des auteurs, plus chrétiens que critiques, croyent appercevoir dans ces fables de certaines vérités que contiennent les livres sacrés. L’un retrouve dans les pommes, ou dans les brebis des Hespérides, Josué qui pille les troupeaux & les fruits des Cananéens ; l’autre se persuade que le jardin des Hespérides, leurs pommes & leur dragon ont été faits d’après le paradis terrestre. Non, non, les poëtes, en forgeant la fable de ces aimables nymphes, n’ont point corrompu l’Ecriture-sainte, qu’ils ne connoissoient pas ; ils n’ont point voulu nous cacher des mysteres, ni nous donner aucunes instructions. C’est faire trop d’honneur à ces agréables artisans de mensonges que de leur prêter des intentions de cette espece ; ils se sont uniquement proposés de nous amuser, d’embellir leur sujet, de donner carriere à leur enthousiasme, d’exciter l’admiration & la surprise, en un mot de peindre & de plaire, & l’on doit avouer qu’ils ont eu, pour la plûpart, le secret de réussir. (D. J.)

Hespérides, îles des, (Géog. anc.) îles de la mer Atlantique ; Pline, l. VI. c. xxxj. n’en parle qu’avec incertitude ; ce qu’il en dit, ne convient point aux Canaries, encore moins aux Açores, ni aux Antilles ; il met une journée de navigation depuis les îles Hespérides au cap nommé Hesperu-ceras ; il parcourt donc la côte occidentale d’Afrique : le cap qu’il nomme Hesperu-ceras doit être le Cap-verd ; les Hespérides étoient, dit-il, à une journée en-deçà de Hesperu-ceras ; seroient-ce deux des îles du Sénégal ? Mais enfin quel fonds peut-on faire sur des relations imparfaites, & dressées dans des tems où ces lieux n’étoient connus que par une tradition également obscure & incertaine. (D. J.)