L’Encyclopédie/1re édition/HYPERBORÉENS

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Briasson, David l’aîné, Le Breton, Durand (Tome 8p. 405-406).

HYPERBORÉENS, s. m. pl. (Géog. anc.) peuples qui avoient coutume d’envoyer à Délos chaque année les prémices de leurs fruits pour être consacrés à Apollon fils de Latone, qu’ils honoroient particuliérement.

Pausanias rapporte qu’ils faisoient passer leurs offrandes de main en main jusqu’à Délos ; qu’ils les donnoient d’abord aux Arimaspes, les Arimaspes aux Assédons, & les Assédons aux Scythes, qui les portoient à Sinope ; là des Grecs se chargeoient de les remettre à Prasies, bourgade de l’Attique, d’où les Athéniens les envoyoient à Délos.

Tous les auteurs de l’antiquité qui nous restent, Hérodote, Strabon, Pausanias, Pline, Pindare, Callimaque, Apollonius de Rhodes, mettent les peuples Hyperboréens sous le pole, sous le nord, sous le vent du nord, au-delà du nord, au-delà de borée, ultra aquilonem, & c’est de-là que vient leur nom ; par ces expressions au-delà de Borée, le commun des hommes entendoit un peuple, un pays, qui étoit tellement sous le nord, que le vent du nord n’y pouvoit soufler. Le poëte Olen de Lycie débita le premier cette fable, qui fit fortune, & donna lieu à plusieurs autres fictions.

Les Grecs qui aimoient le merveilleux (& leurs philosophes le leur ont reproché), imaginerent qu’un pays où le vent du nord ne se faisoit jamais sentir, devoit être admirable ; ils en firent comme nous dirions nous, un paradis terrestre. Si l’on veut les croire, les habitans de cette heureuse terre ne mouroient que quand ils étoient las de vivre ; ils couloient leurs jours dans la paix & dans l’abondance, sans que jamais ils fussent troublés ni par la discorde, ni par les maladies, ni par les chagrins ; les danses continuelles, les concerts de musique composés de divers instrumens, y faisoient les délices de tous les âges, & toute la vie se passoit dans l’allégresse & dans les festins ; à peine la mort appellée au secours des vieillards, venoit-elle délivrer d’un corps qui n’étoit plus propre au plaisir, des gens ennuyés d’une prison qui cessoit de leur être agréable, & pour le dire dans les termes élégans de Pline, mors non nisi satietate vitæ, epulatis, &c.

Cette idée étoit si généralement adoptée des Grecs, qu’ils disoient en proverbe, la fortune des Hyperboréens ; cependant les bons auteurs, bien loin de regarder ces peuples d’un œil si favorable, nous les peignent sous un climat très-âpre, où l’éloignement du soleil, les frimats, la glace & la neige, n’inspiroient ni la gaieté, ni les plaisirs. Virgile nous représente ces peuples comme des gens farouches, & dont les mœurs se ressentoient de la froideur des vents qui les accabloient, & pecudum fulvis velantur corpora setis.

Mais la question importante est de désigner quel étoit en Géographie, le lieu de l’habitation des Hyperboréens ; plus l’on lit les écrits des anciens, plus on trouve qu’ils different de sentimens & d’idées pour fixer ce lieu.

Strabon donne pour contrée aux Hyperboréens les environs du Pont-Euxin. Pline & Pomponius Mela les placent derriere les Monts-Riphées, & par-delà la mer glaciale. Hécatée de Milet mettoit leur pays à l’opposite de la Celtique, nom qui dans son opinion, comprenoit une infinité de peuples & de pays de l’Europe, tant au septentrion qu’à l’occident ; en un mot, suivant les uns, ce peuple dont ils ne désignent point la résidence particuliere, étoit en Europe, & suivant les autres, il étoit en Asie. Que tant d’écrivains s’accordent si mal sur la position des peuples Hyperboréens ; on n’en sera pas surpris si l’on considere que Strabon avoue que de son tems, on ne connoissoit pas même les pays situés au-delà de l’Elbe, bien moins ceux qui sont plus au nord vers l’océan septentrional ; & cette ignorance, ajoute-t-il, est cause que l’on a écouté tous les conteurs de merveilles au sujet des monts Riphées & des Hyperboréens.

De savans Géographes modernes, qui ont bien vû que les anciens ne pouvoient connoître les habitans du pole, puisqu’on ne les connoît guere encore, ont établi les Hyperboréens dans les extrémités de notre continent, dans les sombres demeures des Sibériens & des Samoyedes ; c’est ainsi qu’en parlent Hoffman & Cellarius ; selon eux, les nations hyperboréennes dans les écrits des anciens, ne sont autre chose que les nations septentrionales du nord, sans qu’ils aient fixé ce nom à aucun peuple particulier ; les montagnes hyperborées sont les montagnes septentrionales où Ptolomée met la source du Volga, ne connoissant rien au-delà de cette source. Les peuples Hyperboréens de nos jours, sont les Russes septentrionaux, entre le Volga & la mer blanche.

Cluvier a pris une autre route, il prétend que les Hyperboréens comprenoient les peuples qui s’étendoient du Pont-Euxin, jusqu’aux bords de l’océan, & selon lui, le nom de Celtes étoit synonyme avec celui d’Hyperboréens.

M. l’abbé Banier, qui a fait sur ce sujet un mémoire exprès dans le recueil de l’académie des Inscriptions, ayant grand égard au système des poëtes grecs, qui font venir le vent borée de la Thrace, pense que les peuples du nord qui habitoient au-delà de cette province, sont les Hyperboréens de l’antiquité. Voyez sa dissertation, voyez aussi le discours de l’Abbé Gédoyn sur le même sujet & dans le même recueil.

On n’est pas sans doute en peine de savoir quel a été le sentiment de Rudbeck sur les peuples que nous cherchons, & l’on se doute bien que cet auteur qui a regardé la Suede sa patrie, comme le grand théatre de l’Histoire ancienne, qui en a fait le séjour des descendans de Japhet, de Saturne, d’Atlas, qui y établit le délicieux jardin des Hespérides, & tous les héros de la Fable, Persée, les Gorgones & le reste, n’a pas manqué d’y placer aussi les Hyperboréens.

Caligine tectus
Orithyam amans, caris amplectitur alis
. (D. J.)