L’Encyclopédie/1re édition/I

La bibliothèque libre.
Briasson, David l’aîné, Le Breton, Durand (Tome 8p. 423-425).
◄  HYVOURAHÉ
J  ►


I, s. m. c’est la neuvieme lettre de l’alphabet latin. Ce caractere avoit chez les Romains deux valeurs différentes ; il étoit quelquefois voyelle, & d’autres fois consonne.

I. Entre les voyelles, c’étoit la seule sur laquelle on ne mettoit point de ligne horisontale pour la marquer longue, comme le témoigne Scaurus. On allongeoit le corps de la lettre, qui par-là devenoit majuscule, au milieu même ou à la fin des mots pIso, vIvus, ædIlis, &c. C’est à cette pratique que, dans l’Aululaire de Plaute, Staphyle fait allusion, lorsque voulant se pendre, il dit : ex me unam faciam litteram longam.

L’usage ordinaire, pour indiquer la longueur d’une voyelle, étoit, dans les commencemens, de la répéter deux fois, & quelquefois même d’insérer h entre les deux voyelles pour en rendre la prononciation plus forte ; de-là ahala ou aala, pour ala, & dans les anciens mehecum pour mecum ; peut-être même que mihi n’est que l’orthographe prosodique ancienne de mi que tout le monde connoit, vehemens de vemens, prehendo de prendo. Nos peres avoient adopté cette pratique, & ils écrivoient aage pour age, roole pour rôle, separeement pour séparément, &c.

Un I long, par sa seule longueur, valoit donc deux ii en quantité ; & c’est pour cela que souvent on l’a employé pour deux ii réels, manubIs pour manubiis, dIs pour diis. De-là l’origine de plusieurs contractions dans la prononciation, qui n’avoient été d’abord que des abréviations dans l’écriture.

Par rapport à la voyelle I, les Latins en marquoient encore la longueur par la diphthongue oculaire ei, dans laquelle il y a grande apparence que l’e étoit absolument muet. Voyez sur cette matiere le traité des lettres de la Méth. lat. de P. R.

II. La lettre I étoit aussi consonne chez les Latins ; & en voici trois preuves, dont la réunion combinée avec les témoignages des Grammairiens anciens, de Quintilien, de Charisius, de Diomede, de Térencien, de Priscien, & autres, doit dissiper tous les doutes, & ruiner entierement les objections des modernes.

1°. Les syllabes terminées par une consonne, qui étoient brèves devant les autres voyelles, sont longues devant les i que l’on regarde comme consonnes, comme on le voit dans ādjŭvat, āb Jŏve, &c. Scioppius répond à ceci, que ad & ab ne sont longs que par position, à cause de la diphthongue iu ou io, qui étant forte à prononcer, soutient la premiere syllabe. Mais cette difficulté de prononcer ces prétendues diphthongues, est une imagination sans fondement, & démentie par leur propre briéveté. Cette brièveté même des premieres syllabes de jŭvat & de Jŏve prouve que ce ne sont point des diphthongues, puisque les diphthongnes sont & doivent être longues de leur nature, comme je l’ai prouvé à l’article Hiatus. D’ailleurs si la longueur d’une syllabe pouvoit venir de la plénitude & de la force de la suivante, pourquoi la premiere syllabe ne seroit-elle pas longue dans ădaūctus, dont la seconde est une diphtongue longue par nature, & par sa position devant deux consonnes ? Dans l’exacte vérité, le principe de Scioppius doit produire un effet tout contraire, s’il influe en quelque chose sur la prononciation de la syllabe précédente ; les efforts de l’organe pour la production de la syllabe pleine & forte, doivent tourner au détriment de celles qui lui sont contiguës soit avant soit après.

2°. Si les i, que l’on regarde comme consonnes, étoient voyelles ; lorsqu’ils sont au commencement du mot, ils causeroient l’élision de la voyelle ou de l’m finale du mot précédent, & cela n’arrive point : Audaces fortuna juvat ; interpres divûm Jove missus ab ipso.

3°. Nous apprenons de Probe & de Térencien, que l’i voyelle se changeoit souvent en consonne ; & c’est par-là qu’ils déterminent la mesure de ces vers : Arietat in portas, parietibusque premunt arctis, où il faut prononcer arjetat & parjetibus. Ce qui est beaucoup plus recevable que l’opinion de Macrobe, selon lequel ces vers commenceroient par un pié de quatre brèves : il faudroit que ce sentiment fût appuyé sur d’autres exemples, où l’on ne pût ramener la loi générale, ni par la contraction, ni par la syncrèse, ni par la transformation d’un i ou d’un u en consonne.

Mais quelle étoit la prononciation latine de l’i consonne ? Si les Romains avoient prononcé, comme nous, par l’articulation je, ou par une autre quelconque bien différente du son i ; n’en doutons pas, ils en seroient venus, ou ils auroient cherché à en venir à l’institution d’un caractere propre. L’empereur Claude voulut introduire le digamma F ou F à la place de l’u consonne, parce que cet u avoit sensiblement une autre valeur dans uinum, par exemple, que dans unum : & la forme même du digamma indique assez clairement que l’articulation designée par l’u consonne, approchoit beaucoup de celle que représente la consonne F, & qu’apparemment les Latins prononçoient vinum, comme nous le prononçons nous mêmes, qui ne sentons entre les articulations f & v d’autre différence que celle qu’il y a du fort au foible. Si le digamma de Claude ne fit point fortune, c’est que cet empereur n’avoit pas en main un moyen de communication aussi prompt, aussi sûr, & aussi efficace que notre impression : c’est par-là que nous avons connu dans les derniers tems, & que nous avons en quelque maniere été contraints d’adopter les caracteres distincts que les Imprimeurs ont affectés aux voyelles i & u, & aux consonnes j & v.

Il semble donc nécessaire de conclure de tout ceci, que les Romains prononçoient toûjours i de la même maniere, aux différences prosodiques près. Mais si cela étoit, comment ont-ils cru & dit eux-mêmes qu’ils avoient un i consonne ? c’est qu’ils avoient sur cela les mêmes principes, ou, pour mieux dire, les mêmes préjugés que M. Boindin, que les auteurs du dictionnaire de Trévoux, que M. du Marsais lui-même, qui prétendent discerner un i consonne, différent de notre j, par exemple, dans les mots aïeux, foyer, moyen, payeur, voyelle, que nous prononçons a teux, fo-ïer, moi-ïen, pai-ïeur, voi-ïelle : MM. Boindin & du Marsais appellent cette prétendue consonne un mouillé foible. Voyez Consonne. Les Italiens & les Allemands n’appellent-ils pas consonne un i réel qu’ils prononcent rapidement devant une autre voyelle, & ceux-ci n’ont-ils pas adopté à peu-près notre i pour le représenter ?

Pour moi, je l’avoue, je n’ai pas l’oreille assez délicate pour appercevoir, dans tous les exemples que l’on en cite, autre chose que le son foible & rapide d’un i ; je ne me doute pas même de la moindre preuve qu’on pourroit me donner qu’il y ait autre chose, & je n’en ai encore trouvé que des assertions sans preuve. Ce seroit un argument bien foible que de prétendre que cet i, par exemple dans payé, est consonne, parce que le son ne peut en être continué par une cadence musicale, comme celui de toute autre voyelle. Ce qui empêche cet i d’être cadencé, c’est qu’il est la voyelle prépositive d’une diphthongue ; qu’il dépend par conséquent d’une situation momentanée des organes, subitement remplacée par une autre situation qui produit la voyelle postpositive ; & que ces situations doivent en effet se succéder rapidement, parce qu’elles ne doivent produire qu’un son, quoique composé. Dans lui, dira-t-on que u soit une consonne, parce qu’on est forcé de passer rapidement sur la prononciation de cet u pour prononcer i dans le même instant ? Non ; ui dans lui est une diphtongue composée des deux voyelles u & i ; ié dans pai-ïé en est une autre, composée de i & de é.

Je reviens aux Latins : un préjugé pareil suffisoit pour décider chez eux toutes les difficultés de prosodie qui naîtroient d’une assertion contraire ; & les preuves que j’ai données plus haut de l’existence d’un i consonne parmi eux, démontrent plûtôt la réalité de leur opinion que celle de la chose : mais il me suffit ici d’avoir établi ce qu’ils ont crû.

Quoi qu’il en soit, nos peres, en adoptant l’alphabet latin, n’y trouverent point de caractere pour notre articulation je : les Latins leur annonçoient un i consonne, & ils ne pouvoient le prononcer que par je : ils en conclurent la nécessité d’employer l’i latin, & pour le son i & pour l’articulation je. Ils eurent donc raison de distinguer l’i voyelle de l’i consonne. Mais comment gardons-nous encore le même langage ? Notre orthographe a changé ; le Bureau typographique nous indique les vrais noms de nos lettres, & nous n’avons pas le courage d’être conséquens & de les adopter.

L’Encyclopédie étoit assûrément l’ouvrage le plus propre à introduire avec succès un changement si raisonnable : mais on a craint de tomber dans une affectation apparente, si l’on alloit si directement contre un usage universel. Qu’il me soit permis du moins de distinguer ici ces deux lettres, & de les cotter comme elles doivent l’être, & comme elles le sont en effet dans notre alphabet. Peut-être le public en sera-t-il plus disposé à voir l’exécution entiere de ce système alphabétique, ou dans une seconde édition de cet ouvrage, ou dans quelque autre dictionnaire qui pourroit l’adopter.

I, c’est la neuvieme lettre & la troisieme voyelle de l’alphabet françois. La valeur primitive & propre de ce caractere est de représenter le son foible, délié, & peu propre au port de voix que presque tous les peuples de l’Europe font entendre dans les syllabes du mot latin inimici. Nous représentons ce son par un simple trait perpendiculaire, & dans l’écriture courante nous mettons un point au-dessus, afin d’empêcher qu’on ne le prenne pour le jambage de quelque lettre voisine. Au reste, il est si aisé d’omettre ce point, que l’attention à le mettre est regardée comme le symbole d’une exactitude vetilleuse : c’est pour cela qu’en parlant d’un homme exact dans les plus petites choses, on dit qu’il met les points sur les i.

Les Imprimeurs appellent ï trema, celui sur lequel on met deux points disposés horisontalement : quelques Grammairiens donnent à ces deux points le nom de diérèse ; & j’approuverois assez cette dénomination, qui serviroit à bien caractériser un signe orthographique, lequel suppose effectivement une séparation, une division entre deux voyelles ; διαίρεσις, divisio, de διαιρέω, divido. Il y a deux cas où il faut mettre la diérèse sur une voyelle. Le premier est, quand il faut la détacher d’une voyelle précédente, avec laquelle elle feroit une diphtongue sans cette marque de séparation : ainsi il faut écrire Laïs, Moïse, avec la diérèse, afin que l’on ne prononce pas comme dans les mots laid, moine.

Le second cas est, quand on veut indiquer que la voyelle précédente n’est point muette comme elle a coûtume de l’être en pareille position, & qu’elle doit se faire entendre avant celle où l’on met les deux points : ainsi il faut écrire aiguille, contiguïté, Guïse (ville) avec diérèse, afin qu’on les prononce autrement que les mots anguille, guidé, guise, fantaisie.

Il y a quelques auteurs qui se servent de l’ï tréma dans les mots où l’usage le plus universel a destiné l’y à tenir la place de deux ii : c’est un abus qui peut occasionner une mauvaise prononciation ; car si au lieu d’écrire payer, envoyer, moyen, on écrit païer, envoïer, moïen, un lecteur conséquent peut prononcer pa-ïer, envo-ïer, mo-ïen, de même que l’on prononce pa-ïen, a-ïeux.

C’est encore un abus de la diérèse que de la mettre sur un i à la suite d’un e accentué, parce que l’accent suffit alors pour faire détacher les deux voyelles ; ainsi il faut écrire, athéisme, réintégration, déifié, & non pas athéisme, réïntégration, déïfié.

Notre orthographe assujettit encore la lettre i à bien d’autres usages, que la raison même veut que l’on suive, quoiqu’elle les desapprouve comme inconséquens.

1o. Dans la diphtongue oculaire AI, on n’entend le son d’aucune des deux voyelles que l’on y voit.

Quelquefois ai se prononce de même que l’e muet ; comme dans faisant, nous faisons, que l’on prononce fesant, nous fesons : il y a même quelques auteurs qui écrivent ces mots avec l’e muet, de même que je ferai, nous ferions. S’ils s’écartent en cela de l’étymologie latine facere, & de l’analogie des tems qui conservent ai, comme faire, fait, vous faites, &c. ils se rapprochent de l’analogie de ceux où l’on a adopté universellement l’e muet, & de la vraie prononciation.

D’autres fois ai se prononce de même que l’e fermé ; comme dans j’adorai, je commençai, j’adorerai, je commencerai, & les autres tems semblables de nos verbes en er.

Dans d’autres mots, ai tient la place d’un è peu ouvert ; comme dans les mots plaire, faire, affaire, contraire, vainement, & en général par-tout où la voyelle de la syllabe suivante est un e muet.

Ailleurs ai représente un ê fort ouvert ; comme dans les mots dais, faix, mais, paix, palais, portraits, souhaits. Au reste, il est très-difficile, pour ne pas dire impossible, d’établir des régles générales de prononciation, parce que la même diphthongue, dans des cas tout-à-fait semblables, se prononce diversement : on prononce je sais, comme je sés ; & je fais, comme je fés.

Dans le mot douairière, on prononce ai comme a, douarière.

C’est encore à-peu-près le son de l’e plus ou moins ouvert, que représente la diphthongue oculaire ai, lorsque suivie d’une m ou d’une n, elle doit devenir nasale ; comme dans faim, pain, ainsi, maintenant, &c.

2o. La diphthongue oculaire EI est à-peu-près assujettie aux mêmes usages que AI, si ce n’est qu’elle ne représente jamais l’e muet. Mais elle se prononce quelquefois de même que l’é fermé ; comme dans veiné, peiner, seigneur, & tout autre mot où la syllabe qui suit ei n’a pas pour voyelle un e muet. D’autres fois ei se rend par un è peu ouvert, comme dans veine, peine, enseigne, & tout autre mot où la voyelle de la syllabe suivante est un e muet : il en faut seulement excepter reine, reitre & seize, où ei vaut un ê fort ouvert. Enfin, l’ei nasal se prononce comme ai en pareil cas : plein, sein, éteint, &c.

3°. La voyelle i perd encore sa valeur naturelle dans la diphtongue oi, qui est quelquefois impropre & oculaire, & quelquefois propre & auriculaire.

Si la diphtongue oi n’est qu’oculaire, elle représente quelquefois l’è moins ouvert, comme dans foible, il avoit ; & quelquefois l’ê fort ouvert, comme dans Anglois, j’avois, ils avoient.

Si la diphtongue oi est auriculaire, c’est-à-dire, qu’elle indique deux sons effectifs que l’oreille peut discerner ; ce n’est aucun des deux qui sont représentés naturellement par les deux voyelles o & i : au lieu de o, qu’on y prenne bien garde, on prononce toujours ou ; & au lieu de i, on prononce un e ouvert qui me semble approcher souvent de l’a ; devoir, sournois, lois, moine, poil, poivre, &c.

Enfin, si la diphtongue auriculaire oi, au moyen d’une n, doit devenir nasale, l’i y désigne encore un è ouvert ; loin, foin, témoin, jointure, &c.

C’est donc également un usage contraire à la destination primitive des lettres, & à l’analogie de l’orthographe avec la prononciation, que de représenter le son de l’e ouvert par ai, par ei & par oi ; & les Ecrivains modernes qui ont substitué ai à oi partout où cette diphtongue oculaire représente l’e ouvert, comme dans anglais, français, je lisais, il pourrait, connaître, au lieu d’écrire anglois, françois, je lisois, il pourroit, connoître ; ces écrivains, dis-je, ont remplacé un inconvénient par un autre aussi réel. J’avoue que l’on évite par-là l’équivoque de l’oi purement oculaire & de l’oi auriculaire : mais on se charge du risque de choquer les yeux de toute la nation, que l’habitude a assez prémunie contre les embarras de cette équivoque ; & l’on s’expose à une juste censure, en prenant en quelque sorte le ton législatif, dans une matiere où aucun particulier ne peut jamais être législateur, parce que l’autorité souveraine de l’usage est incommunicable.

Non seulement la lettre i est souvent employée à signifier autre chose que le son qu’elle doit primitivement représenter : il arrive encore qu’on joint cette lettre à quelqu’autre pour exprimer simplement ce son primitif. Ainsi les lettres ui ne représentent que le son simple de l’i dans les mots vuide, vuider, & autres dérivés, que l’on prononce vide, vider, &c. & dans les mots guide, guider, &c. quitte, quitter, acquitter, &c. & par-tout où l’une des deux articulations gue ou que précede le son i. De même les lettre ie représentent simplement le son i dans maniement, je prierois, nous remercierons, il liera, qui viennent de manier, prier, remercier, lier, & dans tous les mots pareillement dérivés des verbes en ier. L’u qui précéde l’i dans le premier cas, & l’e qui le suit dans le second, sont des lettres absolument muettes.

La lettre J, chez quelques auteurs, étoit un signe numéral, & signifioit cent, suivant ce vers,

J, C compar erit, & centum significabit.

Dans la numération ordinaire des Romains, & dans celle de nos finances, i signifie un ; & l’on peut en mettre jusqu’à quatre de suite pour exprimer jusqu’à quatre unités. Si la lettre numérale i est placée avant v qui vaut cinq, ou avant x qui vaut dix, cette position indique qu’il faut retrancher un de cinq ou de dix ; ainsi iv signifie cinq moins un ou quatre, ix signifie dix moins un ou neuf : on ne place jamais i avant une lettre de plus grande valeur, comme l cinquante, c cent, d cinq cens, m mille ; ainsi on n’écrit point il pour quarante-neuf, mais x lix.

La lettre i est celle qui caractérise la monnoie de Limoges.