L’Encyclopédie/1re édition/LACET

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LACET, s. m (Art mécan.) petit cordon ferré par les deux bouts, qui sert à quelques vêtemens des femmes ou des enfans, & à d’autres usages ; il y a des lacets ronds, des lacets plats, & des lacets de fil & de soie.

Des lacets de fil. On fait avec le fil deux sortes de lacets, les uns de fil de plain, & les autres de fil d’étoupes ; le fil de plain qui provient du chanvre, qui porte le chénevi, & que néanmoins on nomme mâle, parce que c’est le chanvre le plus fort, sert à la fabrique des meilleurs lacets, & ne s’emploie jamais qu’en blanc, parce que ces lacets étant plus fins & plus chers, le débit ne s’en fait qu’aux gens aisés ; le fil d’étoupes qui est fait des matieres grossieres qui restent après que le frotteur a tiré la meilleure filasse, tant du chanvre femelle que du mâle, s’emploie pour la fabrique des lacets d’étoupes que l’on teint de différentes couleurs, parce que les gens de la campagne donnent volontiers dans tout ce qui est apparent ; mais la vraie raison est que la teinture altere beaucoup moins le fil d’étoupes que le blanchissage qui en abrege considérablement la durée. On fait cependant blanchir la sixieme partie du fil d’étoupes, pour faire un mêlange de couleurs dont il sera parlé ci-après ; on teint tout le reste, mais la moindre partie en rouge avec le bois de Bresil & l’alun, & le surplus en bleu avec le bois d’Inde & le verd de gris.

Du rouet. Le fil étant blanchi on le devide en bobines sur un rouet ordinaire, tel qu’on le voit à la Planche I. fig. 1. Ce rouet A est composé d’une roue B, de deux montans C qui la soutiennent, d’une piece de bois D qui sert d’empatement à toute la machine, & de quatre morceaux de bois qui servent de pié pour élever cette piece de bois, au bout de laquelle il y a une espece de coffre E dans lequel on met la bobine F sur laquelle on doit devider le fil. Cette bobine tourne sur son axe, par le moyen d’une broche de fer G, qui parcourt toute la longueur du coffre ; cette broche traverse les deux bouts du coffre. Voyez la bobine séparée de cette broche, Planche III. fig. 1. Cette bobine tourne sur elle-même par le moyen d’une petite poulie qui est fixée sur elle, & la corde de boyau passant sur cette poulie, la fait tourner avec la broche. A deux piés de distance se trouve un devidoir H sur lequel le fil qu’on doit devider doit être mis. Ce qui étant disposé comme on le voit à la Planche I. fig. 1. on commence par tirer de la main droite le fil du devidoir, lequel étant parvenu au rouet, on l’attache sur la bobine, l’ouvrier tourne de la main gauche la roue qui par son mouvement fait tourner la broche, & de la droite il tient toujours le fil qu’il dirige & entasse sur la bobine.

Du tri. Le fil étant devidé sur plusieurs bobines, on les met sur un tri, Planche I. fig. 2. qui est au bas du métier à lacets. Ce tri A est composé de quatre petites colonnes BBBB rangées en ligne droite, & enclavées sur le marche-pié du métier à lacets ; elles sont arrêtées dans le haut par une petite traverse qui les embrasse & leur sert de chapiteau. Ces colonnes sont hautes d’un pié & demi, & eloignées d’un demi-pié l’une de l’autre ; elles sont percées sur leur hauteur, à distance égale de quatre pouces. On passe dans ces trous des petites broches de fer dans lesquelles on fait passer des bobines, & on en met entre les colonnes le nombre dont on a besoin, ce qui ne va qu’à trois ou quatre. Voyez Planche I. fig. 2.

Du métier à lacet, Planche I. fig. 3. il est composé de deux colonnes AA d’un demi-pié d’équarissage, hautes de trois piés chacune. Elles sont soutenues par deux petites pieces de bois BB, longues de deux piés, qui sont couchées, & dans lesquelles sont enclavées les deux colonnes : elles sont éloignées l’une de l’autre de trois piés, & arrêtées dans le bas par deux planches CC, qui sont clouées de chaque côté des colonnes, sur les deux pieces de bois sur lesquelles on met deux poids pesans chacun cent livres ou environ. Voyez ces poids mis séparément, Planche I. fig. 6. AA. Ces deux colonnes soutiennent une traverse D qui est percée à distance égale de vingt-quatre trous F, sur une ligne droite, & de douze autres E rangés également sur une seconde ligne, à l’opposite des vingt-quatre premiers, où l’on place les fers à crochet. Planche III. fig. 2.

Du fer à crochet. Le fer à crochet, Planche II. fig 1. est une manivelle qui sert à tordre le lacet. A en est la poignée, B le coude, C un bouton qui appuie contre la traverse du métier, D le bout du fer à crochet qui ayant passé par la traverse, Planche III. fig. 3. est recourbé à la pointe ; c’est au bout de ce crochet qu’on attache le fil pour le tordre. Derriere cette traverse E, il s’en trouve une autre F, de même longueur, qui est attachée aux deux bouts par deux petits cordons à la premiere traverse, & qui étant percée d’autant de trous que la premiere, reçoit le bout des fers à crochet, & les fait tourner tous ensemble. On observe que cette seconde traverse n’est attachée que foiblement, afin qu’elle puisse se prêter au mouvement. Derriere ce métier est une escabelle C, Planche I. fig. 2. ou s’assied l’ouvrier.

Du chariot. Le chariot, Planche I. fig. 4. est un second métier à lacet, qui se met à l’opposite du premier. Il est composé d’un montant A, arrêté par deux goussets montés sur deux roulettes, & terminé au-dessous par une traverse B pareille à celle du premier métier, laquelle est percée de douze trous qui répondent aux douze autres trous de la seconde ligne, Planche III. fig. 4. du premier métier. Il y a derriere cette traverse, comme à celle du premier mérier, une autre double traverse C, que les Fabriquans appellent la poignée, Planche III. fig. 5. qui étant percée d’autant de trous que cette premiere traverse, reçoit les fers à crochet, comme je l’ai dit dans celle du premier métier. Cette seconde traverse du chariot sert à accélérer le mouvement des fers à crochet, en les faisant tourner en sens contraire, Planche I. fig. 7. de ceux du premier métier, & par ce moyen on parvient à accélérer du double le tortillement des lacets. On met sur ce second métier un poids A de cent livres pesant, ou environ, pour arrêter la force de l’ourdissement du lacet, qui ne doit se faire sentir qu’imperceptiblement.

Connoissant à présent la disposition du métier à lacet, & les instrumens qu’on y emploie, il faut expliquer comment on le fabrique. On commence à placer le premier métier au bout d’une chambre, voyez Pl. II. figure 1. que l’on rend solide par deux poids AA de cent livres chacun, qui se placent de chaque côté des colonnes, afin qu’il puisse supporter tout l’effort de l’ourdissement des lacets. On met à l’autre bout de la même chambre le second métier, que l’on appelle le chariot B, qu’il faut éloigner du premier métier, en ligne droite, de treize piés, quoique la longueur du lacet ne doive être que d’onze. Car il faut observer que quand les fils ont acquis un certain degré de force élastique par le tortillement, le lacet fait effort pour tourner dans la main de l’ouvrier ; c’est par cette raison qu’on a mis deux roulettes au métier appellé le chariot, qui étant tiré par l’effort que fait le lacet en s’ourdissant, diminue la grandeur que l’on a donné aux fils, en se retirant à mesure que le lacet s’ourdit. On commence ensuite par tirer le fil des bobines C, qui sont placées au bas du premier métier, comme je l’ai déja dit ci-dessus ; & réunissant les trois fils des trois bobines en un seul, l’ouvrier acroche par un nœud ce triple fil au premier fer à crochet de la premiere rangée du premier métier ; il va ensuite acrocher ce même triple fil au premier fer à crochet du second métier appellé le chariot. Ce triple fil est destiné à faire la premiere partie des neuf fils dont le lacet doit être composé. Cela fait, il revient attacher un second triple fil au premier crochet de la seconde rangée, opposé à celui où il a attaché le premier, & va l’arrêter sur le même crochet du chariot sur lequel il a déja attaché le premier triple fil. Ensuite il revient au premier métier, & acroche un troisieme triple fil au second crochet de la seconde rangée ; il retourne l’attacher sur le même crochet du chariot où il a déja attaché les deux autres ; ce qui forme une espece de triangle. Il faut avoir attention que les fils que l’on tire des trois bobines pour n’en former qu’un seul, doivent être de même longueur, de même grosseur & avoir une égale tension. Cette opération étant faite sur les trente-six fers à crochet dont le premier métier est composé, & sur les douze fers à crochet du second métier, l’ouvrier commence par tourner pendant un demi-quart d’heure environ, la double traverse du premier métier, laquelle, par son mouvement, fait tourner tous les fers à crochet de gauche à droite, jusqu’à ce que les neuf fils dont chaque lacet est composé, soient ourdis en trois parties.

Tout étant ainsi disposé, l’ouvrier prend un instrument que l’on appelle le sabot ; voy. Pl. I, fig. 5. où il est placé entre la premiere & la seconde rangée des fers à crochet D du premier métier ; il tourne la double traverse de ce métier pendant cinq minutes, cette traverse faisant agir tous les fers à crochet, ourdit chacun des trois fils en son particulier, & par ce mouvement le sabot A s’avance peu-à-peu du côté du chariot. Quand il y est arrivé, l’ouvrier l’arrête avec une ficelle, qui doit être attachée au milieu du chariot ; ensuite il reprend la double traverse du premier métier, & tournant encore quelques tours, il détache le sabot ; puis faisant tourner la traverse du premier métier pendant qu’une autre main fait tourner celle du chariot, le mouvement qui se fait du côté du chariot, éloigne le sabot, & le renvoie du côté du premier métier ; mais il faut que l’ouvrier qui est du côté du chariot ait soin, pendant qu’il tourne d’une main, de diriger le sabot avec l’autre main, au moyen d’un bâton fourchu, Pl. III, fig. 3. parce que ce sabot se trouve quelquefois arrêté par des nœuds qui se rencontrent dans les fils. On se sert aussi d’un autre bâton crochu, fig. 4, pour l’arrêter lorsqu’il s’éloigne trop vîte. Ce sabot, en s’éloignant, glisse entre les fils jusqu’au premier métier par le mouvement du second métier. La traverse du chariot faisant mouvoir les douze fers à crochet du second métier dont elle est composée, réunit en un seul les trois fils que contient chaque fer à crochet en se roulant les uns sur les autres ; mais il faut observer que pendant cette seconde opération, c’est-à-dire pendant que le lacet s’ourdit, il continue de se racourcir, & le chariot B remonte d’environ deux piés. Quelquefois il arrive que plusieurs fers à crochet s’embarrassent en tournant, par le frottement qui se fait contre la traverse : c’est à quoi il faut bien prendre garde ; on peut y remédier en prenant soin de les frotter de tems en tems d’huile d’olive, qu’il faut avoir auprès de soi dans un vaisseau ; voyez la Pl. III, fig. 10. Toute l’opération que les ouvriers du pays appellent un tirage, se fait en un quart-d’heure.

Le lacet étant ourdi, on le cire avec un torchon ciré, & on le détache des fers à crochet du métier. On rassemble ces lacets en grosse ; voyez Planche III, fig. 6. La grosse de lacets est composée de douze douzaines, ou de 144 lacets : ceux de fil de plain doivent être garnis de neufs fils, & ceux d’étoupes de six. La grosse de lacets de fils d’étoupes mise en couleur, est composée de 18 lacets blancs, de 18 mêlés de rouge & de blanc, de 36 mêlés de bleu & de blanc, & de 72 entierement bleus. On fabrique des lacets de cinq longueurs, d’une demi-aune, de trois quarts, d’une aune, d’une aune & demie & de trois aunes, qui est la plus grande longueur qu’on puisse leur donner. On en fait d’un seul tirage une douzaine de ceux de trois aunes, deux douzaines de ceux d’une aune, quatre douzaines de ceux de trois quarts, & six douzaines de ceux d’une demi aune.

Du fer à lacet. Les lacets étant rassemblés en grosse, on les garnit aux deux bouts d’un morceau de fer-blanc, Pl. III, fig. 7. La grosse de lacets d’une aune de long & au-dessous, doit avoir à chaque bout une garniture de fer-blanc de huit lignes de longueur ; celle de trois quarts d’aune, de cinq lignes, & celle d’une demi-aune, de trois lignes. On peut, avec une feuille de fer-blanc ordinaire, garnir trois grosses de lacets ; mais on ne se sert que des retailles des Lanterniers, qui sont à très-bon marché.

On coupe le fer-blanc avec des cisailles, qui sont attachées sur une table, Pl. III, fig. 8, au moyen d’une broche de fer qui les soutient dans la position où il faut qu’elles soient pour ce travail.

Le fer à lacet étant taillé, on le plie ; voyez Planche III, figure 9. L’ouvrier étant assis, tient de la main droite un marteau, & de la main gauche une broche de fer ; voyez cette broche Pl. III, fig. 7. Sous cette broche qu’il tient de la main gauche, il met un des morceaux de fer-blanc taillé, qu’il soutient avec le second doigt de la même main. Il pose le tout ensemble sur l’une des cannelures dont la petite enclume A est garnie sur sa largeur ; voyez fig. 9. L’ouvrier, avec un marteau dont le manche n’a que la longueur qu’il faut pour l’empoigner, frappe légerement sur la broche deux ou trois coups, qui font prendre au fer la forme de la cannelure ; & pour donner à ce fer une demi-rondeur suffisante, il soutient toujours le bout du fer avec le bout du second doigt de la main gauche ; & en le faisant un peu tourner de côté & d’autre, il frappe quelques coups qui achevent de donner au fer-blanc la voussure suffisante. Il y a ordinairement deux cases sur l’établi, l’une pour mettre les morceaux de fer-blanc qui sont plats, & l’autre pour les déposer, à mesure qu’ils sont pliés.

Lorsqu’il est question de ferrer le lacet, l’ouvrier prend une grosse de lacets, qu’il attache sur une petite table garnie d’une enclume, Pl. III. fig. 10. le tout pareil à la table qui sert à plier les fers, & qui peut servir aussi à ce double travail. Il prend l’un des lacets, qu’il tient de la main gauche ; il prend de l’autre main un fer plié, dans lequel il fait entrer le bout du lacet. Il applique l’un avec l’autre sur l’une des cannelures de l’enclume. Il frappe un premier coup pour adapter le fer au lacet ; puis tournant le bout du lacet avec ce fer, il arrondit & assujettit le fer au lacet, en donnant quelques coups avec le marteau.

A onze ou douze ans les jeunes gens sont assez forts pour tourner le métier à lacet, & les enfans de huit ans peuvent plier le fer-blanc & l’appliquer aux lacets. Un ouvrier dans la force de l’âge, ou ce que l’on appelle un bon ouvrier, fait par jour ses dix grosses de lacets d’une aune de long, mais un petit apprentif, ou un foible ouvrier, n’en fait que huit. Un seul homme en un jour coupe assez de fer blanc pour la garniture de 80 grosses de lacets.

Mémoire sur la fabrique des lacets. Ire Question : Combien se vend le fil, & de quelle qualité on l’emploie pour les lacets. Réponse. On distingue trois sortes de fil ; le fil fin, le fil de plain & le fil d’étoupes. Le fil fin est celui qui provient du meilleur chanvre, improprement appellé femelle, que l’on recueille le premier ; mais on n’emploie point ce fil pour les lacets. Le fil de plain, qui provient du chanvre qui porte le chénevi, & que néanmoins on nomme le mâle, apparemment parce que c’est le plus fort, sert à la fabrique des meilleurs lacets : il coûte ordinairement quinze sols la livre. Le fil d’étoupes, qui est fait des matieres grossieres qui restent après que le frotteur a tiré la meilleure filasse, tant du chanvre femelle que du mâle, s’emploie pour la fabrique des lacets de couleur, & coûte communément neuf sols la livre.

II. Si les fabriquans achetent le chanvre pour le faire frotter & filer, ou s’ils achetent le fil tout fait, & s’ils le font blanchir ou teindre Rép. Ils achetent le fil tout fait, & ils font toujours blanchit le fil de plain, qui ne s’emploie jamais qu’en blanc pour faire les meilleurs lacets. Le fil d’étoupes ne sert jamais qu’à faire des lacets de couleur : on n’en fait blanchir qu’environ la sixieme partie, pour faire un mélange de couleurs dont il sera parlé ci-après, & on teint tout le reste, mais la moindre partie en rouge avec le bois du Brésil & l’alun, & le surplus en bleu avec le bois d’Inde & le verd-de gris.

III. Si les fabriquans font eux-mêmes le blanchissage & la teinture du fil. Rép. Les fabriquans teignent le fil par eux-mêmes, mais ils font faire tous leurs blanchissages au village de Marmagne, à une petite demi-lieue de Montbard. où il y a une blanchisserie renommée.

IV. Ce qu’il en coûte pour le blanchissage & pour la teinture du fil. Rép. Il en coûte un sol de blanchissage par écheveau de fil, & chaque écheveau pese communément une demi-livre. La teinture en rouge coûte deux sols six deniers par livre de fil ; & en bleu, un sol six deniers, outre la peine, que l’on ne compte pour rien, attendu que les petits fabriquans qui n’ont pas de fonds pour leur commerce, peuvent teindre le fil à mesure qu’ils l’achetent, & en toute saison, au lieu qu’il n’y a qu’une saison propre pour le blanchissage, qui exige beaucoup plus de tems. Il ne faut que 24 heures pour teindre, mais pour blanchir il faut six semaines au printems, & jusqu’à trois mois dans l’automne ; ce qui fait que les petits fabriquans sont souvent obligés, par cette seule raison, de faire des lacets de couleur, quoique moins lucratifs & moins de défaite que les blancs. Il résulte que, tout considéré, la livre de fil, soit à blanchir, soit à teindre, coûte deux sols.

V. Ce qu’il en coûte pour devider une livre de fil. Rép. On paie aux dévideurs trois deniers par chaque écheveau de fil, ce qui fait six deniers par livre ; les deux écheveaux pesent une livre environ.

VI. De combien de longueurs différentes se font les lacets. Rép. On en fabrique de cinq longueurs ; d’une demi-aune, de trois quarts, d’une aune, d’une aune & demie & de trois aunes, qui est la plus grande longueur qu’on puisse leur donner ici. On en fait d’un seul tirage une douzaine de ceux de trois aunes, deux douzaines de ceux d’une aune & demie, trois douzaines de ceux d’une aune, quatre douzaines de ceux de trois quarts, & six douzaines de ceux d’une demi-aune.

VII. De combien de fils chaque lacet est composé, & combien il faut de lacets pour faire une grosse. Rép. La grosse de lacets est composée de douze douzaines, ou de 144 lacets : ceux de fil plain doivent être garnis de neuf fils, & ceux d’étoupes de six fils seulement.

VIII. Combien il entre de fil pesant dans une grosse de lacets de chaque qualité. Rép. Une grosse de lacets de fil de plain d’une aune de long, consomme dix onces de fil, & il en faut onze onces pour ceux de fil d’étoupes.

IX. Quelle matiere emploie-t-on pour garnir le bout des lacets, & combien cette matiere coûte-t-elle à couper pour la garniture d’une grosse de lacets. Rep. On se sert de fer-blanc pour garnir le bout des lacets, & un seul homme coupe en un jour de quoi faire la garniture de 80 grosses ; de sorte que, en payant sa journée quatorze sols, il en coûte deux deniers par grosse.

X. Ce qu’il en coûte pour le fer blanc de la garniture d’une grosse de lacets. Rép. La grosse de lacets d’une aune de long & au-dessus, qui doivent avoir à chaque bout une garniture de fer-blanc de huit lignes de longueur, coûte deux sols pour le prix du fer-blanc qui y entre. La grosse de lacets de trois quarts d’aune, qui doivent être garnis de cinq lignes de fer blanc, coûte un sol six deniers ; & la grosse de lacets d’une demi-aune, dont la garniture ne doit être que de trois lignes, un sol.

XI. D’où se tire le fer-blanc qui s’emploie à Montbard pour la fabrique des lacets. Rép. Le fer blanc se tire de Lorraine, & il coûte, rendu à Montbard, six sols une feuille de grandeur suffisante pour la garniture de trois grosses de lacets d’une aune de long. Mais il est un moyen de faire une épargne sur cette matiere, en se servant des retailles des Lanterniers. Quelques colporteurs qui viennent prendre ici des lacets, apportent de Lyon des rognures de fer-blanc, qui coûtent, rendues ici, neuf sols la livre, & qui fournissent de quoi garnir six grosses de lacets d’une aune de long ; par ce moyen il y a six deniers à gagner par grosses. Mais quoique ces retailles soient d’une forme avantageuse à la fabrique, puisque ce sont des lisieres coupées quarrément, cependant ce fer blanc étant plus épais & plus dur que celui de Lorraine, il faut plus de tems & de peine pour le couper, le plier & l’appliquer. Il y a encore un meilleur expédient pour tirer à l’épargne, c’est de prendre les retailles des Lanterniers de Paris, qui ne coûtent que trois sols la livre, & huit deniers de transport. Il est vrai que ces retailles étant de formes irrégulieres, il faut beaucoup plus de tems pour les couper ; mais ce fer-blanc étant de bonne qualité, & y ayant beaucoup de petits fabriquans qui ne craignent pas de perdre en tems ce qu’ils gagnent en argent, la plûpart commencent à prendre le parti de faire venir de Paris des retailles, qui leur sont un profit de moitié ; ensorte que ce qui coûtoit deux sols en fer-blanc neuf, ne leur coûte qu’un sol en retailles.

XII. A combien revient la façon d’une grosse de lacets. Rep. Une grosse de lacets d’une aune de long & de toute qualité, coûte un sol à tourner sur le métier, & un autre sol pour plier le fer-blanc & l’appliquer à chaque bout du lacet.

XIII. Combien les fabriquans vendent-ils la grosse de lacets de chaque qualité & grandeur. Rep. La grosse de fil plain, que l’on façonne toujours en blanc, se vend 20 s. lorsque le lacet n’a qu’une aune de long ; 30 s. ceux d’une aune & demie, & 3 l. ceux de trois aunes. La grosse de lacets de fil d’étoupes en couleur, se vend 6 s. lorsque le lacet n’a qu’une demi aune de long ; 10 s. ceux de trois quarts d’aune ; 15 s. ceux d’une aune ; 18 s. ceux d’une aune & demie, & 36 s. ceux de trois aunes.

XIV. Pourquoi met-on toujours en couleur les lacets de fil d’étoupes, & qu’au contraire on ne teint jamais ceux de fil plain. Rep. Les lacets de fil de plain ne se façonnent qu’en blanc, parce qu’étant plus fins & plus chers, le débit ne s’en fait qu’aux gens aisés. Les lacets de fil d’étoupes au contraire, se varient de différentes couleurs, parce que les fabriquans font cette teinture eux mêmes quand ils leur plait, & que les gens de la campagne donnent volontiers dans tout ce qui est apparent. La meilleure raison, c’est que la teinture altere beaucoup moins le fil d’étoupes que le blanchissage, qui en abrége trop la durée.

XV. Comment se fait le mélange dans une grosse de lacets de fil d’étoupes. Rep. La grosse de lacets de couleur est composée ordinairement de 18 lacets blancs, de 18 mêlés de rouge & de blanc, de 36 mêlés de bleu & de blanc, & de 72 entierement bleus.

XVI. Si les ouvriers travaillent à la journée, ou s’ils sont à la tache. Rep. Tous les ouvriers sont à la tâche.

XVII. Si les fabriquans travaillent tous pour leur compte. Rep. Tous les fabriquans travaillent pour leur compte.

XVIII. A quel âge les enfans sont-ils propres à être employés aux différentes opérations de la fabrique des lacets. Rep. A 11 ou 12 ans les jeunes gens sont assez forts pour tourner le métier à lacets, & les enfans de 8 ans peuvent plier le fer-blanc & l’appliquer aux lacets.

XIX. Combien un ouvrier peut-il tourner de grosses de lacets en un jour. Rep. Un ouvrier, dans la force de l’âge, & ce qu’on appelle un bon ouvrier, fait par jour ses dix grosses de lacets d’une aune de long, & un petit apprentif, ou un foible ouvrier, n’en fait que huit.

XX. Où se fait le principal débit des lacets. Rep. Il s’en fait un grand débit à de petits colporteurs, qui les vont détailler dans l’Orléanois, l’Auvergne, la Franche Comté, la Savoie, la Suisse, l’Alsace, la Lorraine, &c. mais le principal. débit se fait à quelques marchands flamands, qui viennent en enlever jusqu’à deux mille grosses dans des petites voitures ; & ils viennent ordinairement deux fois par an. Il s’en débite aussi aux villes de la basse Bourgogne, de Nuis, Dijon, Auxerre, & aux foires des voisinages.

XXI. Pourquoi cet espece de commerce a-t-il pris faveur plûtôt à Montbard que nulle autre part. Rep. C’est la seule bonne chose qu’ait procuré le voisinage de Sainte-Reine. Il y a bien eu de tout tems à Montbard des fabriquans de lacets qui fournissoient à la consommation du pays ; mais depuis environ 30 ans, les colporteurs qui vont aux apports de Sainte-Reine, s’étant avisés de se fournir à Montbard des lacets dont ils eurent bien leur débit, ils en porterent plus loin, où ils trouverent encore leur profit ; & ainsi de suite ce commerce a toujours augmenté, & a été porté jusqu’en Flandres, où deux raisons lui donnent faveur, le médiocre prix de la matiere, & la façon plus simple de cette marchandise. On cultive beaucoup de chanvre à Montbard & aux environs : c’est la nature de récolte qui donne le plus de revenu. Un journal de cheneviere s’afferme au moins 24 liv. par an, & rapporte tous les ans, sans qu’il soit besoin de le laisser reposer, au lieu qu’une pareille continence de pré, qui passe pour la meilleure nature d’héritage, ne s’afferme au plus par an que 12 liv. Il ne faut qu’un seul coup de labourage à la cheneviere : il est vrai qu’elle exige plus d’engrais que les autres sortes de grains. A l’égard de la façon plus simple des lacets, elle résulte de ce que dans les autres provinces, & surtout en Flandres, tous les lacets s’y font de fil fin, & se façonnent au boisseau ; c’est-à-dire, qu’en fabriquant le lacet, on entremêle les fils les uns dans les autres ; au lieu qu’à Montbard on les façonne à peu-près comme la ficelle ; & c’est en quelque chose de mieux & de plus exact qu’on s’en écarte. C’est particulierement dans la Flandre allemande qu’il y a des manufactures de lacets façonnés au boisseau : on se sert pour cela de machines à l’eau qui coûtent jusqu’à deux mille écus. Des marchands flamands de qui je tiens ces circonstances, m’ont assuré qu’il n’y avoit point de ces machines en France, & que la plus proche étoit à Commines, à trois lieues au-delà de Lille.

XXII. Ce que gagne le fabriquant sur une grosse de lacets, de profit clair, déduction faite du prix des matieres & de toutes les façons nécessaires. Rep. Une grosse de lacets de fil de plain d’une aune de long, coûte

Pour dix onces de fil à 15 s. 10 s. 0 den.
Pour le blanchissage, 1 6
Pour le devidage, 0 4
Pour le fer-blanc, 2
Pour couper les lacets, 1
Pour tourner le fer blanc, 0 2
Et pour le plier & l’appliquer, 1

Total, 16 s.

D’où il résulte que la grosse se vendant vingt sols, il y a quatre sols de profit clair pour le fabriquant.

Une grosse de lacets de fil d’étoupe en couleur d’une aune de long, coûte

Pour onze onces de fil, à 9 s. 6 s. 2 den.
Pour blanchissage & teinture, 1 6
Pour le devidage, 0 4
Pour tourner les lacets, 1
Pour le fer blanc, 2
Pour le couper, 0 2
Pour le plier & l’appliquer, 1

Total, 12 s. 2 den.

La grosse de ces lacets se vend quinze sols ; par conséquent il y a deux sols dix deniers de bénéfice pour le fabriquant.

XXIII. Combien il y a de fabriquans. à Montbard, & s’il se fait des lacets aux environs. Rép. Il y a dix-huit fabriquans à Montbard, qui sont ouvrer environ trente métiers ; mais il ne se fait point de lacets dans tous les environs, si ce n’est à Flavigny, où il y a un seul fabriquant, encore est-il natif de Montbard : mais il ne fait aller qu’un métier, & son commerce ne va pas à deux cens livres par an.

XXIV. Combien il se fabrique de grosses de lacets à Montbard en un an ; & à combien peut-on estimer le produit de ce commerce par année commune. Rép. Il sera fort aisé de donner une juste idée de ce commerce, par la combinaison que voici. On compte à Montbard trente métiers à lacets, que je réduis à vingt-quatre, parce qu’il y en a une cinquieme partie que l’on ne fait pas ouvrer continuellement, chaque métier, s’il étoit en bonne main, pourroit fournir jusqu’à dix grosses de lacets par jour, il en fournit ordinairement huit ; mais je restrains le produit de chaque métier à six grosses par jour seulement, à cause du desœuvrement qui peut être occasionné ; des trois cens soixante-cinq jours dont l’année est composée, j’en retranche quatre-vingt pour les fêtes, & trente pour différens cas de cessation des ouvrages : il reste donc 255 jours de travail, lesquels à raison de six grosses pour chacun, doivent rendre pour un métier quinze cens trente grosses en un an, il s’ensuit que vingt-quatre métiers doivent fournir par an trente-six mille sept cens vingt grosses de lacets d’une aune de long, que l’on peut estimer vingt sols l’une parmi l’autre : d’où il résulte que ce commerce peut s’estimer à trente-six mille sept cens vingt livres par an, que nous réduisons à trente-six mille livres pour éviter les fractions dans le détail que nous allons présenter des différentes parties de consommation de matieres & de produit industriel ; mais pour mieux distinguer tout ce qui profite à l’industrie, je dois observer que pour une livre de fil il faut une livre & demie de chanvre, qui vaut communément quatre sols la livre, le frotteur en fait une livre de filasse, dont la façon coûte trois sols, & cette filasse produit une livre de fil, dont le filage coûte cinq sols ; ensorte que dans les quinze sols que coûte une livre de fil, il y a pour six sols de matiere & pour neuf sols de façon.

Détail du commerce des lacets. Matieres. Industrie.
Chanvre, 7200 liv.
Façon de le frotter, 4050 liv.
Plus de le filer, 6750
Blanchissage du fil, 1500
Drogues pour la teinture, 1200
Devidage du fil, 600
Façon de tourner les lacets, 1800
Fer blanc, 3600
Façon de le couper, 300
Façon de le plier & de l’appliquer, 1800
Profit clair des fabriquans, 7200


12000 l. 24000 l.

On peut conclure de ce détail que les deux tiers du commerce de lacets tourne au profit de l’industrie des habitans de Montbard pour une moitié, & pour l’autre au profit des villages circonvoisins, où se fait le frottage du chanvre, le filage & le blanchissage du fil. (c)

Lacet, en terme de Boyaudier, c’est une petite corde qui tient à une cheville, à laquelle on attache un bout du boyau qu’on veut retordre.

Lacets, (Chasse.) ce sont plusieurs brins de crin de cheval cordelés ensemble ; il s’en fait de fil de soie ou de fil de fer.