L’Encyclopédie/1re édition/LIBRAIRIE

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LIBRAIRIE, s. f. l’art, la profession de Libraires. Typographorum, vel Bibiopolarum ars, conditio. C’est un homme qui est de pere en fils dans la Librairie. Il se plaint que la Librairie ne vaut plus rien, que le trafic des livres ne va plus. Toute la Librairie s’est assemblée pour élire un syndic & des adjoints.

Librairie, signifioit autrefois une bibliotheque, un grand amas de livres, bibliotheca. Henri IV. dit à Casaubon qu’il vouloit qu’il eût soin de sa librairie. Colom. On appelloit au siecle passé, dans la maison du roi, maître de la librairie, l’officier que nous nommons communément aujourd’hui bibliothécaire du roi. M. de Thou a été maître de la librairie. M. Bignon l’est aujourd’hui. On dit aussi garde de la librairie, tant du cabinet du louvre que de la suite de S. M. Les librairies des monasteres étoient autant de magasins de manuscrits. Pasq. En ce sens, il est hors d’usage. Les capucins & quelques autres religieux disent encore notre librairie, pour dire notre bibliotheque.

Librairie, (Comm.) la librairie dans son genre de commerce, donne de la considération, si celui qui l’exerce, a l’intelligence & les lumieres qu’elle exige. Cette profession doit être regardée comme une des plus nobles & des plus distinguées. Le commerce des livres est un des plus anciens que l’on connoisse ; dès l’an du monde 1816, on voyoit déja une bibliotheque fameuse construite par les soins du troisieme roi d’Egypte.

La Librairie se divise naturellement en deux branches, en ancienne & en nouvelle : par l’une, on entend le commerce des livres vieux ; par l’autre, celui des livres nouveaux. La premiere demande une connoissance très-étendue des éditions, de leur différence & de leur valeur, enfin une étude journaliere des livres rares & singuliers. Feu MM. Martin, Boudot, & Piget ont excellé dans cette partie ; d’autres suivent aujourd’hui avec distinction la même carriere. Dans la nouvelle Librairie, cette connoissance des éditions, sans être essentielle, ni même nécessaire, n’est point du tout inutile, & peut faire beaucoup d’honneur à celui qui la possede ; son étude particuliere doit être celle du goût du public, c’est de le sonder continuellement, & de le prévenir : quelquefois il est visible, il ne s’agit plus que de le suivre.

Charlemagne associant la Librairie à l’université, lui adjugea les mêmes prérogatives ; dès-lors elle partagea avec ce corps les mêmes droits & privileges qui la rendirent franche, quitte & exemte de toutes contributions, prêts, taxes, levées, subsides & impositions mises & à mettre, imposées & à imposer sur les arts & métiers. Philippe VI. dit de Valois, honora aussi la Librairie de sa protection par plusieurs prérogatives ; Charles V. les confirma, & en ajouta encore de nouvelles ; enfin Charles VI. se fit un plaisir de suivre l’exemple de ses prédécesseurs ; l’Imprimerie n’existoit pas encore. La naissance de cet art heureux, qui multiplie à l’infini avec une netteté admirable & une facilité incompréhensible, ce qui coutoit tant d’années à copier à la plume, renouvella la Librairie ; alors que d’entreprises considérables étendirent son commerce ou plûtôt le recréerent ! Cette précieuse découverte fixa les regards de nos souverains, & huit rois consécutifs la jugerent digne de leur attention ; la Librairie partagea encore avec elle ses privileges. Ce n’est pas qu’actuellement ces exemptions, dont nous avons parlé plus haut, subsistent en entier ; le tems qui détruit tout, la nécessité de partager la charge de l’état, & d’être avant tout citoyen, les ont presque abolies.

Le chancelier de France est le protecteur né de la Librairie. Lorsque M. de Lamoignon succéda dans cette place à M. d’Aguesseau, d’heureuse mémoire, sachant combien les Lettres importent à l’état, & combien tient aux Lettres la Librairie, ses premiers soins furent de lui choisir pour chef un magistrat amateur des Savans & des Sciences, savant lui-même. Sous les nouveaux auspices de M. de Malesherbes, la Librairie changea de face, prit une nouvelle forme & une nouvelle vigueur ; son commerce s’aggrandit, se multiplia ; de sorte que depuis peu d’années, & presque à la fois, l’on vit éclore & se consommer les entreprises les plus considérables. L’on peut en citer ici quelques-unes : l’histoire des voyages, l’histoire naturelle, les transactions philosophiques, le catalogue de la bibliotheque du roi, la diplomatique, les historiens de France, le recueil des ordonnances, la collection des auteurs latins, le Sophocle en grec, le Strabon en grec, le recueil des planches de l’Encyclopédie ; ouvrages auxquels on auroit certainement pu joindre l’Encyclopédie même, si des circonstances malheureuses ne l’avoient suspendue. Nous avouerons ici avec reconnoissance ce que nous devons à sa bienveillance. C’est à ce magistrat, qui aime les Sciences, & qui se récrée par l’étude de ses pénibles fonctions, que la France doit cette émulation qu’il a allumée, & qu’il entretient tous les jours parmi les Savans ; émulation qui a enfanté tant de livres excellens & profonds, de sorte que sur la Chimie seulement, sur cette partie autrefois si négligée, on a vû depuis quelque tems plus de traités qu’il n’y avoit de partisans de cette science occulte il y a quelques années.