L’Encyclopédie/1re édition/LOTERIE

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LOTERIE, s. f. (Arithmétique.) espece de jeu de hasard dans lequel différens lots de marchandises ou différentes sommes d’argent sont déposées pour en former des prix & des bénéfices à ceux à qui les billets favorables échoient. L’objet des loteries & la maniere de les tirer, sont des choses trop communes pour que nous nous y arrêtions ici. Nos loteries de France ont communément pour objet de parvenir à faire des fonds destinés à quelques œuvres pieuses ou à quelque besoin de l’état ; mais les loteries sont très-fréquentes en Angleterre & en Hollande, où on n’en peut faire que par permission du magistrat.

M. Leclerc a composé un traité sur les loteries, où il montre ce qu’elles renferment de louable & de blâmable. Grégorio Leti a donné aussi un ouvrage sur les loteries, & le P. Menetrier a publié en 1700 un traité sur le même sujet, où il montre l’origine des loteries, & leur usage parmi les Romains ; il distingue divers genres de loteries, & prend de-là occasion de parler des hasards & de resoudre plusieurs cas de conscience qui y ont rapport. Chambers.

Soit une loterie de n billets dans laquelle m soit le prix du billet, mn sera l’argent de toute la loterie ; & comme cet argent ne rentre jamais en total dans la bourse des intéressés pris ensemble, il est évident que la loterie est toujours un jeu desavantageux. Par exemple, soit une loterie de 10 billets à 20 livres le billet, & qu’il n’y ait qu’un lot de 150 livres, l’espérance de chaque intéressé n’est que de liv. = 15 l. & sa mise est de 20 liv. ainsi il perd un quart de sa mise, & ne pourroit vendre son espérance que 15 l. Voyez Jeu, Avantage, Probabilité, &c.

Pour calculer en général l’avantage ou le desavantage d’une loterie quelconque, il n’y a qu’à supposer qu’un particulier prenne à lui seul toute la loterie, & voir le rapport de ce qu’il a déboursé à ce qu’il recevra : soit m l’argent déboursé, ou la somme de la valeur des billets, & n la somme des lots qui est toujours moindre, il est évident que le desavantage de la loterie est . Voyez Avantage, Jeu, Pari, Probabilité, &c.

Si une loterie contient n billets & m lots, on demande quelle probabilité il y a qu’on ait un lot, si on prend r billets. Prenons un exemple : on suppose en tout 20 billets, 15 lots, & par conséquent 15 billets qui doivent sortir, & qu’on ait pris 4 billets : on représentera ces 4 billets par les quatre premieres lettres de l’alphabet, a, b, c, d, & les 20 billets par les vingt premieres lettres du même alphabet. Il est visible, 1°. que la question se réduit à savoir combien de fois 20 lettres peuvent être prises quinze à quinze ; 2°. quelle probabilité il y a que l’un des 4 billets se trouve dans les 15. Or l’article Combinaison apprend que vingt choses peuvent être combinées quinze à quinze au nombre de fois représenté par une fraction dont le dénominateur est 1. 2. 3. 4. &c. jusqu’à 15. & le numérateur 6. 7. 8… &c. jusqu’à 6 + 14 ou 20. A l’égard de la seconde question, elle se réduit à savoir combien de fois les 20 billets (excepté les quatre a, b, c, d,) peuvent être pris quinze à quinze, c’est-à-dire combien de fois 16 billets peuvent être pris quinze à quinze, ce qui s’exprime (Voyez l’article Combinaison) par une fraction dont le dénominateur est 1. 2. 3. 4. &c. jusqu’à 15. & le numérateur 2. 3. 4. &c. jusqu’à 2 + 14 ou 16. Donc la probabilité cherchée est en raison de la premiere de ces deux fractions, moins la seconde à la premiere ; car la différence des deux fractions exprime évidemment le nombre de cas où l’un des billets a, b, c, d, sortira de la roue. Donc cette probabilité est en raison de 6. 7. 8..... 20-2. 3. 4...... 16 à 6. 7. 8.....20, c’est-à-dire de 17. 18. 19. 20-2. 3. 4. 5. à 17. 18. 19. 20.

Donc en général la probabilité cherchée est exprimée par le rapport de (n-m + 1. n-m + 2......n)-(n-r-m + 1. n-r-m + 2......n-r) à (n-m + 1. n-m + 2.....n) D’où l’on voit que si n-r-m + 1 = 0 ou est négatif, on jouera à jeu sûr. Si, par exemple, dans le cas précédent au lieu de 4 billets on en prenoit 6, alors on auroit n-r-m + 1 = 20-6-15 + 1 = 0 ; & il y auroit certitude d’avoir un lot, ce qui est évident, puisque si de 20 billets on en prend 6 & qu’il en doive sortir 15 de la roue, il est infaillible qu’il en sortira un des 6, les autres ne faisant ensemble que 14. Voyez Jeu, &c. (O)

Loterie, (Jeu) Ce jeu est ainsi nommé de la ressemblance qu’il y a entre la maniere de le jouer & de tirer une loterie ; il est d’ailleurs fort récréatif & d’un grand commerce. Il n’est beau qu’autant qu’on est beaucoup de monde à le jouer ; mais il ne faut pas être moins de quatre. On prend deux jeux de cartes où sont toutes les petites ; l’un sert pour faire les lots, & l’autre les billets. Voyez Lots & Billets. Quand on est convenu du nombre des jettons que chacun doit avoir devant soi, de leur valeur & des autres choses qui regardent le jeu ou les joueurs, deux des joueurs prennent chacun un jeu de cartes (ce sont les premiers venus, car il n’y a nul avantage d’être premier ou dernier à ce jeu) ; & après les avoir battues & fait couper à ceux qui sont à leur gauche, l’un d’eux en met une devant chaque joueur de façon qu’elle ne peut être vûe. Quand toutes ces cartes sont ainsi rangées sur la table, chaque joueur met le nombre des jettons qu’il juge à-propos sur celle qui est vis-à-vis de lui, faisant attention à ce que ces jettons ne soient point de nombre égal. Les lots ainsi chargés, celui qui a l’autre jeu de carte en donne à chacun une : ensuite on tourne les lots, & alors chaque joueur voit si sa carte est semblable à quelqu’une des lots, c’est-à-dire que s’il a pour billet un valet de cœur, une dame de carreau, & que quelqu’un des lots soit une dame de carreau ou un valet de cœur, il gagne ce lot, & ainsi des autres. Les lots qui n’ont pas été enlevés sont ajoutés au fonds de la loterie, pour être tirés au coup suivant, & on continue à jouer ainsi jusqu’à ce que le fonds de la loterie soit tout tiré. Voyez Lots, Billets.

Lorsque la partie est trop long-tems à finir, on double ou on triple les billets qu’on donne à chaque, mais toujours cependant l’un après l’autre : la grosseur des lots abrege encore beaucoup la partie.

Loteries des Romains, (Hist. rom.) en latin pittacia, n. pl. dans Pétrone.

Les Romains imaginerent pendant les saturnales des especes de loteries, dont tous les billets qu’on distribuoit gratis aux conviés, gagnoient quelque prix ; & ce qui étoit écrit sur les billets se nommoit apophoreta. Cette invention étoit une adresse galante de marquer sa libéralité & de rendre la fête plus vive & plus intéressante, en mettant d’abord tout le monde de bonne humeur.

Auguste goûta beaucoup cette idée ; & quoique les billets des loteries qu’il faisoit consistassent quelquefois en de pures bagatelles, ils étoient imaginés pour donner matiere à s’amuser encore davantage ; mais Néron, dans les jeux que l’on célébroit pour l’éternité de l’empire, étala la plus grande magnificence en ce genre. Il créa des loteries publiques en faveur du peuple de mille billets par jour, dont quelques-uns suffisoient pour faire la fortune des personnes entre les mains desquels le hasard les distribuoit.

L’empereur Héliogabale trouva plaisant de composer des loteries moitié de billets utiles & moitié de billets qui gagnoient des choses risibles & de nulle valeur. Il y avoit, par exemple, un billet de six esclaves, un autre de six mouches, un billet d’un vase de grand prix, & un autre d’un vase de terre commune, ainsi du reste.

Enfin en 1685 Louis XIV. renouvella dans ce royaume la mémoire des anciennes loteries romaines : il en fit une fort brillante au sujet du mariage de sa fille avec M. le Duc. Il établit dans le salon de Marly quatre boutiques remplies de ce que l’industrie des ouvriers de Paris avoit produit de plus riche & de plus recherché. Les dames & les hommes nommés du voyage, tirerent au sort les bijoux dont ces boutiques étoient garnies. La fête de ce prince étoit sans doute très-galante, & même à ce que prétend M. de Voltaire, supérieure en ce genre à celle des empereurs romains. Mais si cette ingénieuse galanterie du monarque, si cette somptuosité, si les plaisirs magnifiques de sa cour eussent insulté à la misere du peuple, de quel œil les regarderions-nous ? (D. J.)