L’Encyclopédie/1re édition/MARTYRE

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MARTYRE, s. m. martyrium, (Théol.) témoignage rendu à Jesus-Christ & à sa religion, & scellé par la mort de celui qui le rend : ou, si l’on veut, la mort endurée par un chrétien dans l’unité de l’église pour avoir confessé la foi de Jesus-Christ ; car on distinguoit les martyrs des confesseurs. On donnoit ce dernier nom aux chrétiens qui ayant été tourmentés pour la foi, avoient cependant survécu à la persécution, & on appelloit proprement martyrs ceux qui avoient donné leur vie pour l’Evangile.

Voici quelles étoient les principales & les plus ordinaires circonstances du martyre, selon M. Fleury.

La persécution commençoit d’ordinaire par quelqu’édit qui défendoit les assemblées des Chrétiens, & condamnoit à de certaines peines tous ceux qui ne voudroient pas sacrifier aux idoles. Il étoit permis de fuir la persécution, de s’en racheter même par argent, pourvu qu’on ne dissimulât point sa foi. Mais les regles de l’Eglise défendoient de s’exposer soi-même au martyre, ni de rien faire qui pût irriter les payens & attirer la persécution ; comme de briser leurs idoles, mettre le feu aux temples, dire des injures à leurs dieux, ou attaquer publiquement leurs superstitions. Ce n’est pas qu’il n’y ait des exemples de saints martyrs qui ont fait des choses semblables, & de plusieurs entr’autres qui se sont dénoncés eux-mêmes. Mais on doit attribuer ces exemples singuliers à des mouvemens extraordinaires de la grace. La maxime générale étoit de ne point tenter Dieu, & d’attendre en patience que l’on fût découvert & interrogé juridiquement pour rendre compte de sa foi.

Quand les chrétiens étoient pris, on les menoit devant le magistrat, qui les interrogeoit juridiquement, assis sur son tribunal. S’ils nioient qu’ils fussent chrétiens, on les renvoyoit d’ordinaire sur leur parole, parce que l’on savoit bien que ceux qui l’étoient véritablement ne le nioient jamais, ou dès-lors cessoient de l’être. Quelquefois, pour s’en assurer, on leur faisoit faire quelqu’acte d’idolâtrie. S’ils confessoient qu’ils fussent chrétiens, on s’efforçoit de vaincre leur constance, premierement par la persuasion & par les promesses, puis par les menaces & enfin par les tourmens.

Les supplices ordinaires étoient, étendre sur un chevalet par des cordes attachées aux piés & aux mains, & tirées des deux bouts avec des poulies ; ou pendre par les mains, avec des poids attachés aux piés ; battre de verges, ou de gros bâtons, ou de fouets garnis de pointes, nommés scorpions, ou de lanieres de cuir crud, ou garnies de balles de plomb. On en a vu grand nombre mourir sous les coups. D’autres, étant étendus, on leur brûloit les côtés, & on les déchiroit avec des ongles ou des peignes de fer ; en sorte que souvent on découvroit les côtes jusqu’aux entrailles, & le feu entrant dans le corps, étouffoit les patiens. Pour rendre ces plaies plus sensibles, on les frottoit quelquefois de sel & de vinaigre, & on les rouvroit lorsqu’elles commençoient à se fermer.

Pendant ces tourmens, on interrogeoit toujours. Tout ce qui se disoit ou par le juge ou par les patiens, étoit écrit mot pour mot par des greffiers, & il en demeuroit des procès-verbaux bien plus exacts que tous ceux que font aujourd’hui les officiers de justice ; car comme les anciens avoient l’art d’écrire par notes abrégées, ils écrivoient aussi vîte que l’on parloit, & rédigeoient précisément les mêmes paroles qui avoient été dites, faisant parler directement les personnages ; au lieu que dans nos procès-verbaux, tous les discours sont en tierce personne, & rédigés suivant le style du greffier. Ce sont ces procès-verbaux recueillis par les Chrétiens, qui forment les actes que nous avons des martyrs. Voyez Actes, Scribes, Notaires

Dans ces interrogatoires, on pressoit souvent les chrétiens de dénoncer leurs complices, c’est-à-dire les autres chrétiens, sur-tout les évêques, les prêtres, les diacres, & de livrer les saintes-écritures. Ce fut particulierement dans la persécution de Dioclétien que les payens s’attacherent à faire périr les livres des Chrétiens, persuadés que c’étoit le moyen le plus sûr d’abolir leur religion. Ils les rechercherent avec soin, & en brûlerent autant qu’ils en purent saisir. Mais sur toutes ces sortes de questions, les chrétiens gardoient un secret aussi profond que sur les mysteres. Ils ne nommoient jamais personne, & ils disoient que Dieu les avoit instruits, & qu’ils portoient les saintes-écritures gravées dans leur cœur. On nommoit traditeurs ou traitres, ceux qui étoient assez lâches pour livrer les saintes-écritures, ou pour découvrir leurs freres ou leurs pasteurs. Voyez Traditeurs.

Après l’interrogatoire, ceux qui persistoient dans la confession du christianisme, étoient envoyés au supplice ; mais plus souvent on les remettoit en prison pour les éprouver plus long-tems, & les tourmenter à plusieurs fois : si toutefois les prisons n’étoient pas encore une espece de tourmens ; car on y renfermoit les martyrs dans les cachots les plus noirs & les plus infects ; on leur mettoit les fers aux piés & aux mains ; on leur mettoit au cou de grandes pieces de bois, & des entraves aux jambes pour les tenir élevées ou écartées, le patient étant posé sur le dos ; quelquefois on semoit le cachot de têts de pots de terre ou de verre cassé, & on les y étendoit tous nuds & tout déchirés de coups ; quelquefois on laissoit corrompre leurs plaies, & on les laissoit mourir de faim & de soif ; quelquefois on les nourrissoit & on les pansoit avec soin, mais c’étoit afin de les tourmenter de nouveau. On défendoit d’ordinaire de les laisser parler à personne, parce qu’on savoit qu’en cet état ils convertissoient beaucoup d’infideles, souvent jusqu’aux geoliers & aux soldats qui les gardoient. Quelquefois on donnoit ordre de faire entrer ceux que l’on croyoit capables d’ébranler leur constance ; un pere, une mere, une femme, des enfans, dont les larmes & les discours tendres étoient une espece de tentation, & souvent plus dangereux que les tourmens. Mais ordinairement les diacres & les fideles visitoient les martyrs pour les soulager & les consoler.

Les exécutions se faisoient ordinairement hors des villes ; & la plûpart des martyrs, après avoir surmonté les tourmens, ou par miracle, ou par leurs forces naturelles, ont fini par avoir la tête coupée. Quoiqu’on trouve dans l’histoire ecclésiastique divers genres de mort par lesquels les payens en ont fait périr plusieurs, comme de les exposer aux bêtes dans l’amphithéâtre, de les lapider, de les brûler vifs, de les précipiter du haut des montagnes, de les noyer avec une pierre au cou, de les faire traîner par des chevaux ou des taureaux indomptés, de les écorcher vifs, &c. Les fideles ne craignoient point de s’approcher d’eux dans les tourmens, de les accompagner jusqu’au supplice, de recueillir leur sang dans des linceuls ou avec des éponges, de conserver leurs corps ou leurs cendres, n’épargnant rien pour les racheter des mains des bourreaux, au risque de souffrir eux-mêmes le martyre. Quant aux martyrs, & dans les tourmens, & au moment même de la mort, s’ils ouvroient la bouche, ce n’étoit que pour louer Dieu, implorer son secours, édifier leurs freres. Voilà les hommes que les incrédules ne rougissent pas de nous donner pour des entêtés, des fanatiques & même des séditieux justement punis, des hommes qui ne savoient que souffrir, mourir, & bénir leurs persécuteurs. Fleury, mœurs des Chrétiens, part. II. n°. xix. xx. xxj. xxij.