L’Encyclopédie/1re édition/PAIR

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PAIR, (Arithm.) adj. c’est une des branches de la division la plus simple & la plus générale des nombres. Un nombre pair est celui qui se peut exactement diviser par 2.

Tout nombre pair est essentiellement terminé vers la droite par un chiffre pair ou par 0 ; car ceux qui précedent étant tous des multiples de , sont conséquemment divisibles par 2, & jusque-là le nombre est pair. Pour qu’il reste tel, il faut donc que le dernier chiffre ait lui-même la propriété, ou du-moins qu’il ne l’altere point, c’est-à-dire qu’il soit pair ou 0.

Un nombre pair devient impair par l’addition ou par la soustraction de l’unité ; car dès-là la division exacte par 2 ne peut plus avoir lieu.

Deux nombres sont dits de même nom, quand ils sont tous deux pairs ou tous deux impairs ; & de différent nom, quand l’un étant pair l’autre est impair. Un nombre pair étant combiné avec un autre nombre quelconque a ; si c’est par addition ou par soustraction, la somme ou la différence sont de même nom que a.

Si c’est par multiplication, le produit est toujours pair.

De-là même il suit qu’un nombre pair ne peut diviser exactement un nombre pair, car il ne peut diviser que ce qu’il a produit.

S’il s’agit d’exaltation & d’extraction, une racine exprimée par un nombre pair donne une puissance de même nom, & réciproquement.

Telles sont les principales propriétés du nombre pair pris en général.

On pourroit demander ici à quel nom il convient de rapporter 0 . . . . Il est certain qu’il n’est ni nombre pair ni nombre impair, puisqu’il n’est point nombre ni grandeur ; mais à le considérer purement comme signe ou chiffre, on ne peut s’empêcher de reconnoître que tous les caracteres de pair lui conviennent parfaitement.

1°. Il détermine à être pair le nombre qu’il termine.

2°. Il devient impair, & même nombre impair par l’addition ou par la soustraction de l’unité.

3°. Il est, par lui-même, & sans être associé à d’autres chiffres, habile à figurer en certaines progressions arithmétiques, comme dans celle-ci (0m. 2m. 3m, &c.) & il y figure toujours comme terme pair. En effet, si m est pair, les termes de la progression le sont tous, & par conséquent celui que représente 0 : si m est impair, les termes de la progression ne sont pairs que de deux-en-deux, mais 0 appartient invariablement à la suite des termes pairs.

Mais Œ∞, ou l’infini, de quel nom sera-t-il ? Dans cette suite, par exemple, (0. 1. 2. . . . . . . ∞Œ) le nombre des termes est-il pair ou impair ? On ne peut prendre parti ni d’un ni d’autre côté, qu’on ne s’expose à des objections accablantes. On pourroit dire qu’il n’est ni l’un ni l’autre en particulier, & qu’il est tous les deux ensemble. Si cela n’est pas clair, qu’on fasse attention qu’il s’agit de l’infini.

Ce qu’on ne peut au reste déterminer pour le moins, se détermine avec la plus grande facilité pour le plus. Cette autre suite (-Œ∞ . . . .-2.-1. 0. 1. 2. . . . Œ), infinie des deux côtés, est plus grande que la premiere. Or il est évident que le nombre des termes y est impair, puisqu’elle a un terme du milieu, autour duquel deux termes quelconques, pris à égales distances chacun de son côté, donnent des sommes égales entr’elles.

Il suit que, si l’on supprime le terme 0, les termes restans seront en nombre pair ; mais on n’en peut rien conclure pour le nom particulier de chacune des deux suites opposées prises séparément, parce qu’une somme paire est tout aussi-bien celle des deux impairs que de deux pairs. Article de M. Rallier des Ourmes.

Pair ou non, (Jeux d’hasard.) s’il y a quelque chose qui paroissoie communément contestable, c’est qu’au jeu de pair ou non, lorsqu’on vous présente une main fermée pleine de jettons, & que l’on vous demande si le nombre en est pair ou non-pair, il vaut autant répondre l’un que l’autre ; car certainement il y a autant de nombres pairs que d’impairs ; cette raison si simple déterminera tout le monde. Cependant à y regarder de plus près, cela ne se trouve plus ainsi, tant ces sortes de questions sur les probabilités sont délicates. M. de Mairan a trouvé qu’il y avoit de l’avantage à dire non-pair plûtôt que pair.

Les jettons, cachés dans la main du joueur qui propose le pari, ont été pris au hasard dans un certain tas, que le joueur a pû même prendre tout entier. Supposons que ce tas ne puisse être qu’impair. S’il est 3, le joueur n’y peut prendre que 1 ou 2, ou 3 jettons ; voilà donc deux cas où il prend des nombres impairs, & un seul où il prend un nombre pair. Il y a donc 2 à parier contre 1 pour l’impair, ce qui fait un avantage de  ;. Si le tas est 5, le joueur y peut prendre trois impairs & seulement deux pairs ; il y a 3 à parier contre 2 pour l’impair, & l’avantage est d’un tiers. De même si le tas est 7, on trouvera que l’avantage de l’impair est , de sorte que tous les tas impairs, les avantages de l’impair correspondans à chaque tas, seront la suite d’, , , , , où l’on voit que le tas 1 donneroit un avantage infini ; y ayant 1 à parier contre 0, parce que les dénominateurs de toutes ces fractions diminuées de l’unité, expriment le sort du pair contre l’impair.

Si on suppose au contraire que les tas ne puissent être que pairs, il n’y aura aucun avantage ni pour le pair ni pour l’impair, il est visible que dans tous les tas pairs il n’y a pas plus de nombres pairs à prendre que d’impairs, ni d’impairs que de pairs.

Quand on joue, on ne sait si les jettons ont été pris dans un tas pair ou impair, si ce tas a été 2 ou 3, 4 ou 5, &c. & comme il a pu être également l’un ou l’autre, l’avantage de l’impair est diminué de moitié à cause de la possibilité que le tas ait été pair. Ainsi la suite , , , , &c. devient , , , , &c.

On peut se faire une idée plus sensible de cette petite théorie. Si on imagine un toton à 4 faces, marquées 1, 2, 3, 4, il est évident que quand il tournera, il y a autant à parier qu’il tombera sur une face paire que sur une impaire ; s’il avoit 5 faces il en auroit donc une impaire de plus, & par conséquent il y auroit de l’avantage à parier qu’il tomberoit sur une face impaire ; mais s’il est permis à un joueur de faire tourner celui de ces deux totons qu’il voudra, certainement l’avantage de l’impair, est la moitié moindre qu’il n’étoit dans le cas où le seul toton impair auroit tourné ; ce qui fait précisément le cas du jeu de pair ou non.

On voit par la suite , , , , &c. ou par l’autre , , , , que l’avantage de l’impair va toujours en diminuant, selon que les tas ou le nombre de jettons qu’on peut prendre est plus grand. La raison essentielle en est, que 1 étant toujours la différence dont le nombre des impairs excede celui des pairs dans un impair quelconque, cet 1 est toujours moindre par rapport à un plus grand nombre. Ces joueurs si rafinés, qui ont soupçonné quelque avantage pour l’impair, n’y eussent certainement pas soupçonné cette diminution.

Si l’on vouloit jouer à jeu égal, il faudroit que le joueur qui présente le pari dît si le tas où il a pris les jettons est pair ou impair ; & dans ce second cas quel impair il est. S’il est dit qu’il est pair, il n’en faut pas davantage pour savoir que le pari est égal, quelque pair que ce soit. S’il dit que le tas est impair, il faut qu’il le détermine ; par exemple 7, afin qu’on sache qu’il y a de plus à parier pour l’impair, & que celui qui prend ce parti, mette ce de plus que l’autre, qu’il mette 4 contre 1, alors le jeu est parfaitement égal. Nous prenons ici , avantage de l’impair, dans la premiere suite, & non dans la seconde, où il seroit , parce que cette seconde suppose que le tas puisse être également pair ou impair, ce qui n’est pas ici.

On voit donc que si au-lieu de l’alternative d’un tas pair ou impair, on supposoit plus de possibilité à l’un qu’à l’autre, ou, ce qui revient au même, 3 tas au-lieu de 2, l’avantage du joueur qui dit non-pair, pourroit diminuer dans un cas, & augmenter dans l’autre. Il diminueroit dans le cas où il pourroit y avoir un seul des 3 tas impair contre 2 pairs ; & il augmenteroit au contraire, s’il y avoit possibilité de deux tas impairs contre un pair ; par exemple, si le joueur qui présente le pari vous disoit, que le tas sur lequel il va prendre des jettons, & où vous avez à dire pair ou non, est 6, 7, ou 8, il est évident que la seule possibilité d’un tas qui seroit 7, où l’avantage qui s’ensuivroit à dire impair, doit être divisé par 3 à cause des trois cas possibles, ce qui donneroit plus petit que  ; comme au contraire si les 3 tas possibles étoient 5, 6, & 7, l’avantage étant alors dans le premier cas, 0 dans le second, dans le troisieme, on auroit plus 0, plus , qui font à diviser par 3, ce qui donneroit , avantage plus grand que , & par conséquent que .

De sorte que l’avantage qu’il y a à dire non-pair dans un nombre de tas possibles quelconques, ou pairs avec non-pairs, ou seulement impairs, sera toujours exprimé par la somme des avantages de chacun des cas possibles, divisée par le nombre des tas, en y comprenant les pairs, s’il y en a, lesquels donnent toujours 0 d’avantage : c’est-là la formule ou la regle générale.

On fait encore cette question, si le joueur qui présente le pari disoit, le tas dans lequel j’ai à prendre ne passera pas un certain nombre de jettons, par exemple 7 ou 12, &c. mais il pourra être plus petit à mon choix ; quel est l’avantage qu’il y a alors à dire non-pair ? Il est évident qu’il sera composé du sort ou de l’avantage de tous les tas possibles, depuis 7 ou 12 jusqu’à un inclusivement : ainsi dans la condition qu’il ne peut passer 7, la regle donnera , plus 0, plus , divisés par 7, ce qui fait en tout , près d’un tiers de la mise de celui qui dit impair. Si le plus grand tas possible avoit été 12, l’avantage eût été moindre, non-seulement parce que le nombre des tas possibles, où le diviseur eût été plus grand, mais encore parce qu’il auroit pû y avoir autant de tas pairs que d’impairs ; il y auroit donc , ou environ d’avantage à dire impair dans cette supposition.

Entre toutes les objections qu’on peut faire contre l’inégalité du jeu de pair ou non, & la maniere ci donnée de l’évaluer, une des plus spécieuses est celle-ci : soit le tas de 3 jettons, selon ce qui a été dit ci-dessus, il y a deux impairs contre un pair, ou 2 contre 1 à parier pour l’impair, & partant d’avantage. Cela est vrai, dit-on, à l’égard d’un toton à 3 faces, marquées 1, 2, 3 ; mais il n’en est pas de même du tas des 3 jettons, car je puis prendre chacun de ces jettons seul, ce qui fait trois cas, ou tous les trois ensemble, ce qui fait un quatrieme cas, & toujours pour l’impair ; & parce que trois choses peuvent être prises deux-à-deux de trois manieres différentes, il y aura en même tems trois cas favorables pour le pair, ce qui donne à parier 4 contre 3, ou d’avantage, & non , comme il avoit été trouvé.

Mais on doit prendre garde, que de ce que le joueur porte sa main sur le premier, le second, ou le troisieme des jettons du tas, il n’en résulte pas trois évenemens différens, en faveur de l’impair, comme de ce qu’il aura pris le second & le troisieme, ou le premier & le second, n’en fait pas deux en faveur du pair, mais un seul & même évenement, & une même attente pour les joueurs ; car dès que le hasard ou le caprice, ou quelque raison de prudence, a déterminé celui qui porte sa main sur le tas de 3 jettons, pour y en prendra un ou deux, il n’importe lequel des trois il prenne, cela ne change rien au jeu : & pour rendre ceci plus sensible, il n’y a qu’à remarquer que dans le cas où le joueur prendroit sur un tas de 2 jettons, & où l’on convient que le jeu est parfaitement égal, il y auroit inégalité, & 2 contre 1 pour l’impair, si l’objection avoit lieu, puisque par le même raisonnement il pourroit prendre seul l’un ou l’autre des deux jettons pour l’impair, & seulement tous les deux ensemble pour le pair. Le tas de 3 jettons ne donne donc pas quatre possibilités pour l’impair, par rapport au sort & à l’attente des joueurs, mais deux seulement. Les combinaisons, les changemens d’ordre, & les configurations des nombres, sont des spéculations applicables en tout ou en partie, aux questions du hasard & du jeu, selon l’hypothèse, & la loi qui en fait le fondement, & il est clair qu’ici la droite ou la gauche, & le premier & le second jetton, ne m’engagent pas plus l’un que l’autre à les prendre seuls ou accompagnés : ce sont donc des circonstances étrangeres au sort des joueurs dans la question présente.

Il y auroit plusieurs manieres d’introduire l’égalité dans le jeu de pair ou non ; celles qu’on pratique quelquefois se réduisent toutes au cas de 2 jettons, l’un blanc & l’autre noir, comme si le joueur qui présente le pari demandoit blanc ou noir. Hist. de l’acad. des Sciences, année 1728. (D. J.)