L’Encyclopédie/1re édition/PARALYSIE

La bibliothèque libre.
◄  PARALOURGE
PARAMARIBO  ►

PARALYSIE, s. f. ou PARALYTIQUE, s. m. (Médecine.) la paralysie est une maladie caractérisée par une privation plus ou moins complette, plus ou moins générale du mouvement & du sentiment, ou de l’un des deux. Son nom lui vient du grec παραλυω, resolvo, je résous ; les Latins traduisent quelquefois le mot grec de παραλύσις par resolutio, & même en françois celui de résolution n’est point absolument inusité dans cette signification.

L’idée générale de paralysie en comprend deux especes que l’observation a fait distinguer ; savoir, la paralysie du mouvement que les Grecs appellent ἀκινησια ; & la paralysie du sentiment, qu’ils nomment ἀναισθησια ; il est assez rare qu’elles se rencontrent ensemble, plus souvent le mouvement est aboli & le sentiment persiste ; il n’y a que quelques exemples de privation de sentiment dans des parties qui conservoient le libre exercice des mouvemens ; on en trouve deux rapportés dans l’Hist. de l’acad. royale des Sciences, l’une & l’autre espece peut-être universelle ou particuliere, occuper tout le corps, ou seulement une partie plus ou moins étendue ; on lui a donné le nom de paraplégie, lorsque toutes les parties au-dessous du col sont affectées ; & elle a été appellée hemiplegie, lorsque, comme le nom l’indique, la moitié du corps divisé en deux parties latérales étoit paralysée ; cette espece est celle qui se rencontre le plus communément dans la pratique. On n’a designé sous aucun nom particulier la paralysie qui occupe le visage, les paupieres, le col, le gosier, la langue, les bras, les jambes, les intestins, la vessie, la verge, &c. celle qui a son siége dans l’iris est plus connue & traitée spécialement sous le nom de goutte seraine. Voyez ce mot.

Les symptomes qui constituent la paralysie sont simples, en petit nombre & nullement équivoques ; le mouvement & le sentiment étant des fonctions qui tombent sous les sens ; on s’apperçoit d’abord de leur inexercice, & on juge surement qu’une partie est paralysée, par son insensibilité & son inaptitude au mouvement ; on en est plus assuré dans les parties internes par le dérangement total des fonctions auquel le mouvement & le sentiment sont nécessaires. Lorsque la paralysie est universelle, lorsqu’elle mérite les noms de paraplegie & d’hémiplegie ; lorsqu’elle attaque les organes extérieurs des mouvemens musculaires, elle s’annonce clairement au premier coup d’œil par l’impossibilité où est le malade d’exécuter aucun mouvement, par la flaccidité des parties paralysées, par la convulsion des muscles antagonistes, &c. Dans l’hémiplégie qui s’étend sur le visage, la paupiere du côté affecté est abaissée, les levres sont tiraillées par les muscles de l’autre côté, elles obéissent à leur effort qui n’est point contre-balancé par celui des antagonistes, privés de leur action, la bouche est tournée, en se portant davantage du côté sain, elle défigure le visage & fait un petit gonflement de ce côté ; il y a beaucoup de paralysies qui n’ont d’autre symptome que cette distorsion de la bouche, & qui n’en sont pas moins bien caractérisées ; j’ai vû cependant un médecin qui jouit de quelque réputation, un de ceux qui trouvent le scorbut partout, prendre cette distorsion pour une fluxion scorbutique, quoiqu’à ce signe se joignît encore l’abaissement involontaire de la paupiere du côté opposé qui décidoit bien la maladie, & donner en conséquence pendant très-long-tems, fort inutilement, comme on croira sans peine, du petit-lait avec du syrop anti-scorbutique ; tant le préjugé peut aveugler les hommes & leur faire prendre le change. La paralysie des nerfs optiques se connoît par la cécité ; des nerfs acoustiques, par la surdité : des nerfs olfactifs & gustatifs, par la perte de l’odorat & du goût ; des nerfs qui servent au tact, par la privation de ce sens. La paralysie des muscles de la langue produit l’aphonie ; celle des muscles du col, sa flaccidité & son abaissement continuel, de côté ou d’autre, ou sa rétraction d’un côté si la paralysie n’occupe que les muscles de l’autre côté ; le sphincter de l’anus & de la vessie paralisés laissent échapper continuellement les excrémens & l’urine, & le défaut d’érection annonce la paralysie de la verge, &c.

La paralysie ne se décide pas pour l’ordinaire tout de suite dans une personne qui se porte bien, les attaques de paralysie primaires ou protopathiques sont très-rares, plus souvent elles sont une suite de l’apopléxie incomplettement guérie, lorsqu’elles n’en ont point été précédées & qu’elles dépendent d’une autre cause ; elles s’annoncent lentement par des engourdissemens, des stupeurs, des tremblemens dans les parties qui doivent être le siége de la paralysie, par des convulsions plus ou moins générales, par des vertiges, des maux de tête opiniâtres, &c. on voit quelquefois des personnes se coucher en bonne santé, & se réveiller paralytiques ; il est alors très probable qu’il y a eu une espece d’apopléxie pendant le sommeil, dont la paralysie a été la suite, l’effet, le dépôt, & peut-être la crise.

La paralysie succédant fréquemment à l’apopléxie, il s’ensuit qu’elle reconnoît pour causes toutes celles qui concourent à la production de cette maladie, dont la classe est extrèmement vaste ; voyez Apopléxie. Outre ces causes, celles qui l’excitent immédiatement sont très-multipliées ; il n’y a peut-être point d’erreur dans l’usage des six choses non naturelles, point de causes ordinaires de maladie, qui dans des sujets disposés ou dans certaines circonstances n’ayent déterminé la paralysie. Les passions d’ame, sur-tout les chagrins vifs & durables, y disposent très-souvent, comme je l’ai observé ; les chûtes sur la tête & le dos, les luxations ou fractures de l’épine en sont des causes très-ordinaires, & dans ce cas la paralysie a son siége principal dans les extrémités surtout inférieures, dans les intestins & la vessie ; on trouve plusieurs exemples de ces paralysies dans les mémoires des curieux de la nature rapportés par Schubartus, Helwigius, &c. Forestus fait mention d’une paralysie, causée par un coup de pierre sur le cou, lib. X. observ. 95. Wolfangus, Wedelius, dit avoir vû survenir une paralysie des jambes à une bosse ou dislocation lente des vertebres du dos, occasionnée par une chûte, ce qui est extrèmement rare. Le froid violent & continuel, sur-tout joint à l’humidité, produit fréquemment le même effet, telle fut la cause de la paralysie des parties inférieures, observée par Hermann Lummius, dans deux ouvriers qui avoient resté long-tems au fond d’un puits, occupés à le nettoyer ; de celle qui survint au gosier d’un apothicaire, pour avoir bû de la biere trop fraîche ; de celle qu’éprouva un jeune homme qui eut l’imprudence de coucher pendant une nuit d’hiver la fenêtre de sa chambre ouverte ; de celle enfin qu’eut aux parties inférieures & au bas-ventre un capucin, qui après s’être purgé se promena les piés nuds dans un jardin humide, & pendant un tems froid & nébuleux, suivant les observations d’Helwigius ; l’impression subite d’un air trop froid occasionne les mêmes accidens, lorsqu’on s’y expose après s’être échauffé par des débauches, par des excès de liqueurs fermentées, &c. L’hiver est le tems le plus favorable aux paralysies, & les vieillards y sont les plus sujets. L’usage immodéré des liqueurs vineuses, ardentes, spiritueuses, fait aussi un grand nombre de vieillards paralytiques.

La suppression des évacuations sanguines ou séreuses, naturelles, ou excitées par l’art, continuelles ou périodiques ou même fortuites, a produit beaucoup de paralysies ; de ce nombre sont les paralysies qui ont succédé à des regles, des hémorrhoïdes, des vuidanges, des dyssenteries, diarrhées, salivation, sueurs, &c. arrêtées subitement par le froid, la crainte, la frayeur, l’usage déplacé des narcotiques, des astringens, des repercussifs, & à des vieux ulcères, à des fistules qu’on a imprudemment fait cicatriser, à des teignes, des croutes laiteuses, des gales, des dartres, des bouffissures répercutibles ; des maladies locales, même sans évacuation, peut-être aussi sans matiere, ont dégénéré en paralysie, lorsqu’on les a combattues par des topiques répercussifs, ou par d’autres remedes donnés mal-à-propos ou trop précipitamment ; telles sont toutes les maladies arthritiques, rhumatiques, qu’on a vû si souvent donner naissance aux accidens les plus graves entre les mains des charlatans effrontés qui vouloient les guérir. Les évacuations trop abondantes ont quelquefois aussi produit la paralysie : Helwigius raconte, qu’un moine Franciscain fut atteint d’une paralysie universelle à la suite d’une superpurgation qui dura deux jours. On en a vû survenir à différentes maladies, soit par l’effet même de la maladie, soit causée par un traitement peu convenable.

Ragger dit avoir observé une paralysie universelle à la suite de la petite-vérole ; le même auteur rapporte l’exemple d’une hémiplégie qu’avoit excité une ischurie. Schultzius fait mention d’une paralysie semblable produite par une hydropisie ; Resinus Hémilius a observé une paralysie universelle succéder aux fievres intermittentes ; de toutes les maladies non soporeuses, celle qui se termine le plus souvent par la paralysie, c’est la colique, & sur-tout la colique minérale qu’on appelle aussi colique des Peintres ou du Poitou, & plus proprement rachialgie, & qui est principalement produite par l’usage intérieur des préparations du plomb. Voyez Colique. La paralysie dans ce cas affecte les extrémités, & plus ordinairement les extrémités supérieures. Les observations de ces sortes de paralysies sont très-nombreuses ; quelques auteurs ont parlé des coliques bilieuses qui dégénéroient en paralysie, il y a apparence qu’ils ont confondu ces coliques avec la colique minérale, qu’ils ne connoissoient pas, d’autres sans savoir que cette colique fût une maladie particuliere, l’ont cependant très-bien décrite ; observant que des coliques produites par des vins, altérés avec la litharge, s’étoient terminés par la paralysie ; le mercure donne aussi très-souvent naissance à la paralysie, soit qu’on le prenne intérieurement à trop haute dose, soit qu’on en respire les vapeurs, soit enfin qu’on le manie pendant très-long-tems. On prétend que le simple toucher d’un poisson appellé pour cet effet torpedo, engourdit & paralyse la main. A ces causes, on peut ajouter celles qui sont locales, telles que les fractures, les luxations, les blessures des membres qui sont suivies de leur paralysie. Schultzius rapporte, qu’une saignée mal-faite donna lieu à une paralysie du bras ; suivant l’observation de Cortnummius, une tumeur dans le pli du bras produisoit le même effet ; enfin, on a vû des paralysies héréditaires se manifester sans cause apparente dans les peres & les enfans au même âge, telle est celle qu’a observé Olaüs Borrichius, dans un organiste qui refusa d’essayer de la dissiper par aucun remede, parce que son pere qui en avoit été atteint au même âge avoit inutilement employé toutes sortes de remedes.

Quelque différentes & multipliées que soient ces causes, il y a lieu de penser que leur action porte toujours sur le même organe, c’est-à-dire sur les nerfs immédiatement destinés à répandre dans toutes les parties la vie, ou le mouvement & le sentiment ; ils peuvent seuls, par leur altération, occasionner des dérangemens dans l’une ou l’autre de ces fonctions ; mais, ne seroit-il pas nécessaire de distinguer deux especes de nerfs, dont les uns donneroient la sensibilité, & les autres la mobilité ; cette distinction paroit indispensable pour expliquer les paralysies dans lesquelles le mouvement subsiste, le sentiment étant aboli ; ou au contraire les parties ayant perdu la faculté de se mouvoir, conservent leur sensibilité. Cette explication assez heureuse, mais gratuite, peut subsister jusqu’à ce qu’on en trouve une autre plus conforme aux lois de l’économie animale, & plus satisfaisante. Pour que les parties puissent sentir & se mouvoir, il faut que les nerfs qui servent à ces fonctions soient libres & entiers depuis la partie jusqu’à leur origine, c’est-à-dire jusqu’au cerveau ou la moëlle alongée qui n’en est qu’une prolongation ; si on les lie, si on les coupe, si on les blesse, si on les comprime, &c. dans leur cours, la partie où ils aboutissent devient sur-le-champ paralytique ; ainsi les causes de la paralysie peuvent agir ou sur la partie même, ou sur les portions intermédiaires des nerfs, ou ce qui est le plus ordinaire, sur leur origine, qui est le siege des sensations ; le dérangement qu’elles produisent dans cette partie, nécessaire pour exciter la paralysie, n’est point connu du-tout ; les différens auteurs se sont d’autant plus attachés à pénétrer ce mystere qu’il est plus difficile à débrouiller ; mais leurs travaux & leurs recherches n’ont servi qu’à prouver encore mieux son impénétrabilité. Les idées qu’ils ont essayé d’en donner sont toutes plus ou moins ridicules, plus ou moins in-vraissemblables ; quelques-uns avoient assez ingénieusement manié dans ce cas le fluide nerveux, & en le supposant d’une nature électrique avoient donné des explications assez spécieuses, mais qui dans le fond n’ont servi qu’à amuser & à faire disputer dans les écoles, & qui ont fait rire le praticien observateur pour qui elles n’étoient point faites. Je me garderai bien de surcharger cet article du détail des différentes opinions qu’il y a eu sur cette cause prochaine de la paralysie, leur fausseté manifeste m’évite la peine que j’aurois été forcé de prendre si ces théories faites avec plus d’art & voilées sous les apparences de la vérité avoient exigé une réfutation suivie ; & s’il eût été nécessaire de suivre pas-à-pas les auteurs pour montrer leurs paralogismes moins évidens.

Les observations faites sur les cadavres de personnes mortes de paralysies n’ont, comme à l’ordinaire, répandu aucun jour sur le méchanisme de ses causes, & sur les remedes par lesquels il falloit la combattre, elles ont presque toutes fait voir beaucoup de délabrement dans le cerveau & la moëlle alongée ; quelquefois cependant on n’y a trouvé aucun dérangement, le vice étoit dans d’autres parties. Schenckius rapporte une observation qui lui a été communiquée par Jean Bauhin, d’un jeune homme né mélancholique, qui étoit sujet à de fréquentes attaques de paralysie & d’épilepsie, & qui pendant ce tems avoit tout le côté droit en convulsion & le gauche paralysé ; à sa mort & à l’ouverture du cadavre on vit les veines de la pie-mere du côté droit prodigieusement distendues & noirâtres, & un abscès dans la partie correspondante du cerveau. Tulpius, Valeriola, Scultetus rapportent d’autres exemples d’abscès dans le cerveau trouvés dans des personnes paralytiques. R ***** dans ses lettres à Bartholin, qu’on lit parmi celles de cet auteur, fait mention d’un enfant paralytique à la suite d’une fracture du crâne, dans lequel le cerveau s’épuisa en champignon, jusqu’au corps calleux qu’on voyoit d’abord après avoir enlevé le crâne ; dans plusieurs paralytiques on n’a trouvé d’autre cause apparente qu’un amas de sérosités dans le cerveau & la moëlle alongée. Plater, Willis, Bonnet rapportent plusieurs exemples de paralysies dépendantes, ou du-moins accompagnées de l’extravasation de sérosités. Brunner dit que dans un hémiplégique il ne trouva qu’un côté de l’origine de la moëlle alongée inondé de sérosités extravasées, & comprimé par des tumeurs. Cet auteur ajoute que dans le cerveau de plusieurs personnes mortes paralytiques il a observé des tumeurs enkistées. Wepfer a fait la même observation dans un jeune homme devenu subitement hémiplégique, & mort peu de tems après ; toute la fosse antérieure du crâne parut à Willis remplie de sang, en partie ichoreux & en partie grumelé ; dans un autre paralytique, qui avoit été auparavant apoplectique, Bartholin trouva tous les ventricules distendus de sang, qui venoit des vaisseaux crevés du plexus choroïde. On lit un grand nombre d’observations semblables dans les recueils & les compilations qu’en on fait différens auteurs, Bonnet, Tulpius, Schenckius, &c. dans les Mémoires des curieux de la nature, dans la Bibliotheque pratique de Manget, où nous renvoyons les lecteurs curieux. Dans quelque espece de paralysie on ne voit ni dans le cerveau ni dans la moëlle alongée aucune espece d’altération ; c’est sur-tout dans les paralysies hystériques & dans celles qui succedent à la colique ; dans le premier cas il n’y a souvent aucun dérangement sensible dans toute la machine ; dans les autres le vice principal est dans les organes du bas-ventre, & sur-tout dans le foie & les visceres qui en dépendent. Volcher-Coiter, dans un de ces paralytiques, ne trouva dans le crâne qu’un peu de sérosité ichoreuse, qu’il présume même avoir été fournie par les vaisseaux qu’il avoit été obligé de couper ; le foie lui parut obstrué, la vésicule du fiel distendue par une bile épaisse & noirâtre, l’estomac rempli de matieres vertes porracées, & le colon mal conformé. Dans un homme sujet à des vomissemens bilieux, & qui après leur cessation essuya une fievre intermittente, & mourut enfin paralytique, Fernel n’observa rien de contre nature qu’une collection de plus d’une livre de bile aux environs du foie. Manget rapporte qu’un vieux buveur étant mort paralytique à la suite d’une jaunisse, il n’apperçut dans le cadavre d’autre altération dans les visceres qu’un skirrhe considérable du pancréas, & la bile extravasée par-tout ; elle étoit épaisse & noire dans la vésicule du fiel, elle enduisoit comme une colle les parois de l’estomac & en occupoit tous les replis, elle avoit teint la liqueur du péricarde, &c.

De toutes ces observations que conclure, sinon qu’on n’est pas plus avancé qu’avant de les avoir faites ; qu’on n’a rien d’assuré à donner sur l’æthiologie de la paralysie, & que par conséquent le parti le plus sage & le plus sûr est de garder le silence plûtôt que de débiter des absurdités à pure perte ? tenons-nous en aux seuls faits que nous connoissons, savoir que les nerfs sont affectés ; ne cherchons pas à penétrer le comment : appliquons-nous à bien connoître les causes qui ont agi, pour opérer en conséquence ; regardons le fluide nerveux comme gratuitement supposé & absolument inutile, & les obstructions des nerfs comme insuffisantes & trop peu générales ; si quelquefois cette cause a lieu, & cela peut arriver puisque les nerfs ont des vaisseaux, qu’ils se nourrissent, & vraissemblablement servent à la nutrition de toutes les parties, on peut croire que ce n’est que dans le cas de paralysie avec atrophie.

Nous pouvons cependant tirer quelque parti des observations précédentes pour le pronostic de la paralysie ; elles nous font voir que les causes qui l’excitent souvent agissent en produisant dans des parties essentielles une altération considérable & qu’il est impossible de corriger, de-là tant de paralysies mortelles, & qui éludent l’efficacité des remedes les plus appropriés ; ce n’est guère que dans les jeunes gens que la paralysie est susceptible de guérison lorsqu’elle est incomplette, & l’effet de quelques causes accidentelles ; celle qui est produite par des coups, des blessures, des chûtes, &c. est incurable lorsqu’elle ne reçoit aucun soulagement des premiers secours qu’on emploie, ou qu’on y remédie trop tard, ou que ces causes ont occasionné la luxation des vertebres du dos, & dans ce dernier cas elle est pour l’ordinaire assez promptement mortelle ; les exemples du contraire sont très-rares ; j’ai été le témoin d’une ; lorsque la paralysie occupe le gosier, l’estomac, les intestins, la vessie, les muscles de la respiration, le diaphragme, &c. le défaut des fonctions auxquelles ces parties servent, augmente encore le danger & hâte la mort des malades. Hérophile prétend avoir observé la paralysie du cœur, lorsqu’elle a lieu la mort succede subitement. Les paralysies avec froid & atrophie sont plus dangereuses ; si le tremblement survient, c’est un très-bon signe qui doit faire espérer la guérison ; on a vû quelquefois la fievre & les passions d’ame vives, sur-tout la colere, l’opérer ; Tite, fils de Vespasien, fut, au rapport des historiens, guéri par la colere d’une paralysie. Fabrice de Hilden raconte qu’un enfant qui avoit le bras paralytique, guérit en se le cassant. Observ. chirurg. cent. III.

Il n’est pas prudent de se fier aux forces de la nature pour la guérison de la paralysie, ni de compter sur des accidens heureux ; cette maladie n’est pas du nombre de celles qui se combattent par leurs propres efforts, au contraire elle s’enracine & s’opiniâtre par le tems, & demande en conséquence des secours aussi prompts que décisifs ; leur effet doit être de rappeller le mouvement & le sentiment dans les parties qui en sont privées, & pour cela de ranimer les nerfs engourdis & de leur redonner le ton, de la force & de l’activité. Les remedes stimulans, nervins, spiritueux, toniques sont les plus propres pour l’ordinaire à remplir ces indications générales ; l’observation dans bien des cas, d’accord avec le raisonnement, justifie leur usage & constate leur succès ; mais comment agissent-ils pour produire ces effets ? Est-ce en secouant la machine, en irritant les nerfs, en augmentant leur vibration, en réveillant le jeu de certains organes, ou en évacuant, en desobstruant, en dissipant les causes de la maladie, &c ! c’est ce qu’il n’est ni possible ni utile de déterminer ; dans quelques cas particuliers où il y a pléthore, où la paralysie est dûe à la suppression des excrétions sanguines, la saignée peut avoir lieu ; hors de ces cas où la nécessité est bien marquée, il faut s’abstenir de ce secours indifférent, déplacé, & même très-pernicieux s’il étoit réitéré. On doit attendre un effet plus certain & plus constant des émétiques, des purgatifs forts, des lavemens âcres, souvent répétés, les boissons sudorifiques & purgatives sont très-efficaces ; la double action qui résulte de ces deux différens remedes fait dans la machine une heureuse révolution, y jette une sorte de trouble avantageux ; je me suis servi plus d’une fois avec succès de cette combinaison qui paroit bisarre ; on peut encore employer à l’usage intérieur, les remedes spiritueux dont on varie l’activité suivant les tempéramens & suivant les cas ; dans cette classe sont les différens esprits & sels volatils, les esprits aromatiques huileux de Sylvius, les huiles essentielles & animales, les eaux spiritueuses aromatiques, & enfin les plantes même qu’on donne en conserve, en poudre ; en opiate, en infusion, &c. il faut soutenir & animer l’action de ces médicamens internes par les irritans & fortifians extérieurs, universels & topiques ; tels sont les vésicatoires, les ventouses, l’urtication, les frictions séches faites avec des étoffes de laine, pénétrées de la vapeur des plantes & des résines aromatiques, les linimens avec les baumes nervins & spiritueux, les bains & les fomentations aromatiques, les stimulans moyens, les érosions sternutatoires, sialagogues, apophlegmatisans, peuvent être employés en même tems & opérer quelques bons effets, soit par l’irritation faite au système nerveux, soit par l’évacuation qui en est une suite faite par les glandes du nez & de la bouche qui dégagent assez promptement la tête. On trouve dans les écrits des médecins allemands un grand nombre de formules de remedes qu’ils donnent pour éminemment anti-paralytiques ; mais ce sont souvent des remedes indifférens, fatua, tels que leur fameuse teinture de marcassite sulphureuse, par l’esprit de vin si vantée par Cnvëffell, leur poudre préparée avec le cinabre, les os humains, les magisteres de perle, leur baume fait avec la graisse d’ours & la moëlle de jambe de bœuf, &c. ou ce sont des compositions informes de tous les remedes qui ont quelque énergie. De tous les secours les plus appropriés contre la paralysie, les eaux minérales chaudes ou termales sont ceux qui sont le plus universellement célébrés, & qui méritent le mieux les éloges qu’on en fait. Voyez les articles minérales, eaux, & Thermales. On y voit tous les jours se renouveller les miracles de la piscine probatoire, & s’y opérer des guérisons surprenantes ; on peut les prendre intérieurement, & s’en servir en bains, en douches, & en étuves ; leur principal effet dépend de la chaleur ; dans les cas où l’on ne pourroit pas porter les malades à la source ou se procurer ces eaux, il seroit très-facile de les imiter ou de les suppléer. Les plus renommées en France sont celles de Balaruc, de Bourbonne, de Vichy, de Barége, de Cauterets, &c. Quelques auteurs, avec Willis, regardent le mercure comme un des plus excellens remedes contre la paralysie ; ils rapportent plusieurs observations qui constatent les succès complets de la salivation ; c’est une ressource qu’il seroit imprudent de négliger, sur-tout lorsqu’on a inutilement employé les autres remedes : il en est de même de l’électricité, qui a eu pendant un certain tems beaucoup de réputation ; les expériences que M. Jallabert avoit faites à Geneve l’avoient extrèmement accréditée ; des personnes dignes de foi m’ont cependant assuré qu’ayant fait des informations sur les lieux, elles ne leur avoient pas paru aussi heureuses & aussi favorables à l’électricité que M. Jallabert l’avoit écrit, & celles qu’on fit à Paris n’ayant eu aucun succès, on a tout-à-fait abandonné ce remede ; cependant M. de Sauvage, professeur à Montpellier, assure en avoir obtenu de bons effets, & M. Rast le fils, médecin à Lyon, m’écrivoit il n’y a pas long-tems, qu’une paralytique à qui il l’avoit fait éprouver s’en étoit très-bien trouvée : ainsi il paroit qu’on devroit pour constater les vertus de ce remede & pour en déterminer l’usage, faire de nouvelles expériences, la matiere est assez importante pour réveiller l’attention des Médecins ; on peut toujours employer sans crainte ce secours, parce que s’il ne produit aucun bon effet, il ne sauroit avoir des suites facheuses.

A ce détail sur la paralysie, j’ajouterai deux exemples rares d’une pararalysie sans sentiment, & sans destruction des mouvemens de la partie insensible.

L’un est d’un soldat qui fut privé de sentiment depuis l’épaule jusqu’à l’extrémité des doigts de la main : cependant ce même soldat jouoit à la boule, fendoit du bois en y employant les deux bras, sans que celui qui étoit insensible, y fît remarquer ou de la peine ou de la contrainte. Un jour il leva par mégarde avec la main insensible le couvercle d’un poële de fer très-ardent & presque rouge ; il le posa ensuite tranquillement, & il ne s’apperçut point du tout, du-moins par le sentiment, qu’il s’étoit brûlé tout le dedans de la main ; cependant les tégumens internes, les tendons, & le périoste de l’index, en furent détruits : la gangrene se mit à la plaie, & l’on y fit plusieurs incisions, auxquelles il ne sourcilla pas, non plus que lorsqu’on y appliquoit la pierre infernale ; il est demeuré estropié de deux doigts.

M. Garein, correspondant de l’académie des Sciences, est le sujet d’un second exemple de l’espece de paralysie, qui ne tombe que sur les organes du sentiment. Tous ses doigts étoient insensibles, sans être privés de mouvement. Il étoit obligé d’en prendre un soin infini pour les garantir de mille atteintes, auxquelles ils sont continuellement exposés. Cependant, malgré ses soins, il lui arrivoit fréquemment de s’oublier. Un des principaux symptomes de son mal consistoit, en ce que ses doigts étoient toujours plus froids que ne comportoit la température actuelle de l’air, & du reste de son corps ; ils ne pouvoient jamais se réchauffer d’eux-mêmes ; il falloit nécessairement avoir recours à une chaleur extérieure, comme de les appliquer sur sa poitrine par-dessous ses habits. Quand il vouloit reconnoître leur état, il les portoit sur son visage, ne les sentant jamais par eux-mêmes ni froids ni chauds. Un jour donc, il avoit trop approché sa main du poîle où il vouloit la réchauffer, & où le feu étoit plus ardent qu’il ne pensoit ; il se brûla les doigts, & ne s’apperçut de sa brûlure que deux heures après, par une grosse vessie qui s’y forma.

Y a-t-il des nerfs qui répondent directement au tact & au sentiment, & qui n’entrent pour rien dans les mouvemens ; & au contraire, &c ? Les exemples qu’on vient de lire, ne décident point nettement la question ; mais enfin, dit l’historien de l’académie, rien peut-être ne prouve mieux la nécessité indispensable de nos sens, & de la douleur même, pour la conservation de notre corps, que les suites funestes de la privation du sentiment dans le tact. Le plus subtil physicien, le plus savant anatomiste, l’homme le plus attentif à ce qui peut lui nuire, ne sauroit ordinairement le prévoir avec cette promptitude que l’occasion requiert presque toujours, & avec laquelle le toucher l’en garantit. Encore moins pourroit-il se promettre que rien ne détournera jamais son attention d’un danger qui échappe à tous les autres sens. Histoire de l’académie, année 1743. (m)