L’Encyclopédie/1re édition/PIERRES

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PIERRES, s. f. pl. (Hist. nat. Min.) lapides. Ce sont des corps solides & durs, non ductiles, formés par des particules terreuses, qui, en se rapprochant les unes des autres, ont pris différens degrés de liaison. Ces corps varient à l’infini pour la consistence, la couleur, la forme & les autres propriétés.

Il y a des pierres si dures, que l’acier le mieux trempé n’a point de prise sur elles : d’autres au contraire ont si peu de liaison, que l’on peut aisément les écraser entre les doigts. Quelques pierres ont la transparence de l’eau la plus limpide, tandis que d’autres sont opaques, d’un tissu grossier, & sans nulle transparence. Rien de plus varié que la figure des pierres ; on en voit qui affectent constamment une figure réguliere & déterminée, tandis que d’autres se montrent dans l’état de masses informes & sans nulle régularité. Il y en a qui ne sont qu’un amas de feuillets ou de lames appliquées les unes sur les autres ; d’autres sont composées d’un assemblage de filets semblables à des aiguilles ; quelques-unes en se brisant se partagent toujours, soit en cubes, soit en trapézoïdes, soit en pyramides, soit en feuillets, soit en stries ou en aiguilles, &c. d’autres se cassent en éclats & en fragmens informes & irréguliers. Quelques pierres ont les couleurs les plus vives & les plus variées ; plusieurs de ces couleurs se trouvent souvent réunies dans une même pierre ; d’autres n’ont point de couleurs, ou elles en ont de très-grossieres. Quelques pierres se trouvent en masses détachées ; d’autres forment des bancs ou des couches immenses qui occupent des terreins très-considérables ; d’autres forment des blocs énormes & des montagnes entieres.

Telles sont les propriétés générales que nous présente le coup d’œil extérieur des pierres. Si l’on pousse plus loin l’examen ; on trouve que quelques-unes donnent des étincelles, lorsqu’on les frappe avec de l’acier, ce qui tient de la forte liaison de leurs parties, tandis que d’autres ne donnent point d’étincelles de cette maniere. Quelques pierres se calcinent, & perdent leur liaison par l’action du feu ; d’autres exposées au feu s’y durcissent ; d’autres y entrent en fusion ; d’autres n’y éprouvent aucune altération. Il y en a qui se dissolvent avec effervescence dans les acides, tels que l’eau forte, le vinaigre, &c. quelques-unes ne sont nullement attaquées par ces dissolvans.

Toutes ces différentes qualités que l’on vient de faire remarquer dans les pierres, ont déterminé les naturalistes à en faire différentes classes ; chacun les a divisées suivant les différens points de vues sous lesquels il les a envisagées ; voilà pourquoi les auteurs sont très-peu d’accord sur les divisions méthodiques qu’ils nous ont données de ces substances. Quelques-uns ne consultant que le coup d’œil extérieur, ont divisé les pierres en opaques & en transparentes ; d’autres ont eu égard aux effets que les pierres produisent dans le feu : c’est ainsi que M. Wallerius distingue les pierres en quatre ordres ou classes ; savoir, 1°. en pierres calcaires ; ce sont celles que l’action du feu réduit en chaux & prive de leur liaison ; telles sont la pierre à chaux, la craie, les marbres, le spath, le gypse, &c. Voyez l’article Calcaire. 2°. En pierres vitrescibles ; ce sont celles que l’action du feu convertit en verre. Dans ce rang il place les ardoises, les grais, le caillou, les agates, les jaspes, le quartz, le crystal de roche, les pierres précieuses. 3°. En pierres apyres ; ce sont celles sur qui l’action du feu ne produit aucune altération ; telles sont le talc, l’amiante, &c. Enfin, 4°. M. Wallerius fait une quatrieme classe de pierres qu’il nomme composées, & qui sont formées par l’assemblage des différentes pierres qui précedent, qui dans le sein de la terre se sont réunies pour ne faire qu’une masse.

M. Pott, qui dans sa Lithogéognosie, nous a donné un examen chimique de la plûpart des pierres, les divise, 1°. en calcaires, c’est-à-dire, en pierres qui se dissolvent dans les acides, & que l’action du feu change en chaux ; 2°. en gypseuses qui ne se dissolvent point dans les acides, mais que l’action du feu change en plâtre. Cependant aujourd’hui la plûpart des Physiciens regardent le gypse ou la pierre à plâtre, comme une pierre calcaire qui est saturée par l’acide vitriolique ; 3°. en argilleuses, qui ne sont point attaquées par les acides, mais qui ont la propriété de se durcir & de prendre de la liaison dans le feu ; 4°. en apyres sur lesquelles ni les acides, ni l’action du feu n’ont aucune prise.

M. Frédéric-Auguste Cartheuser dans sa Minéralogie, divise les pierres en cinq ordres ou classes ; 1°. en pierres par lames, lapides lamellosi ; elles sont composées de feuillets plus ou moins grands. Les différens genres de cette classe sont le spath, le mica, le talc. 2°. Les pierres composées de filets, lapides filamentosi ; de ce nombre sont l’amiante, l’asbeste, le gypse strié. 3°. Les pierres solides ou continues, dont les parties ne peuvent être distinguées ; de ce nombre sont le caillou, le quartz & les pierres précieuses, les pierres à chaux, les pierres à plâtre, le schiste ou l’ardoise, la pierre à pots. 4°. Les pierres par grains, lapides granulati ; telles sont le grais, & suivant lui le jaspe. 5°. Les pierres mélangées.

M. de Justi dans son plan du regne minéral, publié en allemand en 1757, divise les pierres ; 1°. en précieuses, & en communes ; 2°. en pierres qui résistent au feu ; 3°. en pierres calcaires ; 4°. en pierres vitrescibles & fusibles au feu. On voit que cette division est très-fautive, vu que cet auteur considere d’abord les pierres relativement au prix que la fantaisie des hommes y attache, & ensuite il les divise relativement aux effets que le feu produit sur elles.

M. de Cronstedt, de l’académie de Stockholm, dans sa Minéralogie publiée en suédois en 1758, comprend les pierres & les terres sous une même classe, en quoi il semble être très-fondé, vu que les pierres ne sont que des produits des terres, qui ont acquis plus ou moins de consistence & de dureté. Il divise ces terres ou pierres en deux genres, la premiere est des calcaires, la seconde est des pierres ou terres silicées, c’est-à-dire, de la nature du caillou.

Toutes ces différentes divisions que l’on a faites des pierres nous prouvent qu’il est difficile de les ranger dans un ordre méthodique qui convienne en même tems à leur aspect extérieur & à leurs propriétés intérieures ; au fond ces divisions sont assez arbitraires, & chacun peut en faire des classes relativement aux differens points de vûe sous lesquels il les envisage. Le chimiste qui ne décide rien que d’après l’expérience, considerera les pierres relativement à leur analyse, tandis que le physicien superficiel, qui, ne cherchera point à approfondir les choses, se contentera des qualités extérieures, sans s’embarrasser de la combinaison de ces corps ; cependant dans l’examen des pierres, ainsi que de toutes les substances du regne minéral, on risquera très-souvent de se tromper lorsqu’on ne s’arrêtera qu’aux apparences ; un grand nombre de pierres qui ont des propriétés fort opposées, se ressemblent beaucoup à l’extérieur, & les sciences ne devant avoir pour but que l’utilité de la société, il est certain que l’analyse nous fera beaucoup mieux connoître les usages des substances que ne fera un examen superficiel.

Comme la nature agit toujours d’une façon simple & uniforme, il y a tout lieu de conjecturer que toutes les pierres sont essentiellement les mêmes, & qu’elles sont toutes composées de terres, qui ne different entre elles que par les différentes manieres dont elles ont été modifiées, atténuées & élaborées, & combinées par les eaux ; nous allons faire voir que l’eau est le seul agent de la formation des pierres.

L’expérience prouve que les eaux les plus pures contiennent une portion de terre assez sensible ; on peut s’assurer de cette vérité en jettant les yeux sur les dépôts que font dans les vaisseaux les eaux qu’on y fait bouillir, & qu’on y laisse séjourner quelque tems. Si l’on met une goutte d’eau de pluie ou de la neige sur une glace bien nette, elle y formera une tache blanche aussi-tôt que l’eau sera évaporée ; cette tache n’est autre chose que de la terre, d’où l’on voit que l’eau tenoit cette terre en dissolution, & qu’elle étoit si intimement combinée avec elle qu’elle ne nuisoit point à sa limpidité. L’eau par elle-même doit avoir la propriété de s’unir & de se combiner avec la terre ; c’est de cette combinaison que résulte tout sel ; il y a long-tems que la Chimie a démontré que les sels ne sont qu’une combinaison de la terre & de l’eau ; c’est de la différente maniere dont l’eau se combine avec des terres, diversement atténuées & élaborées, qui produit la variété de ces sels. Ces vérités une fois posées, nous allons tâcher d’examiner les différentes manieres dont les pierres peuvent se former.

La premiere de ces manieres qui est la plus parfaite, est la crystallisation. On ne peut s’en former d’idée sans supposer que des eaux tenoient en dissolution des molécules terreuses avec lesquelles elles étoient dans une combinaison parfaite. L’eau qui tenoit ces molécules en dissolution venant à s’évaporer peu-à-peu, n’est plus en quantité suffisante pour les tenir en dissolution ; alors elles se déposent & se rapprochent les unes des autres ; comme elles sont similaires, elles s’attirent réciproquement par la disposition qu’elles ont à s’unir, & de leur réunion il résulte un corps sensible, régulier & transparent, que l’on nomme crystal ; la régularité & la transparence dépendent de la pureté & de l’homogénéité des molécules terreuses qui étoient en dissolution dans l’eau ; ces qualités viennent encore du repos où a été la dissolution, & de la lenteur plus ou moins grande avec laquelle l’évaporation s’est faite ; du moins est il certain que c’est de ces circonstances que dépend la perfection des crystaux des sels, qui par leur analogie peuvent nous faire juger de la crystallisation des pierres. Ces crystaux varient en raison de la terre qui étoit en dissolution dans l’eau, & qui leur sert de base ; si cette terre étoit calcaire, elle formera des crystaux calcaires, tels que ceux du spath, &c. si la terre étoit silicée, c’est-à-dire de la nature du caillou ou du quarts, on aura des pierres précieuses & du crystal de roche. Comme les eaux peuvent tenir en même tems en dissolution des terres métalliques diversement colorées, ces couleurs passeront dans les crystaux qui se formeront ; de-là les différentes couleurs des crystaux & des pierres précieuses ; leur dureté variera en raison de l’homogénéité des parties dissoutes, plus elles seront homogenes & pures, plus elles s’uniront fortement, & par conséquent plus elles auront de solidité & de transparence.

Quand même les eaux n’auroient point par elles-mêmes la faculté de dissoudre les molécules terreuses, elles acquerroient cette faculté par le concours des substances salines qui souvent y sont jointes. Personne n’ignore que la terre ne renferme une grande quantité de sels ; c’est l’acide vitriolique qui s’y trouve le plus abondamment répandu. L’eau aidée de ces sels peut encore plus fortement dissoudre une grande quantité de molécules terreuses, avec lesquelles elle se combine, & lorsqu’elle vient à s’évaporer, il se forme divers crystaux en raison de la nature de la terre qu’elle tenoit en dissolution, & des sels qui entrent dans la combinaison.

Souvent une même eau peut tenir en dissolution des terres de différente nature, dont les unes demandent plus d’eau pour leur dissolution, tandis que d’autres en exigent beaucoup moins ; alors lorsque l’évaporation viendra à se faire, il se formera d’abord des crystaux d’une espece, & ensuite il s’en formera d’autres, cela se fait de la même maniere que des sels de différente nature se crystallisent successivement les uns plutôt, les autres plus tard dans un vaisseau & dans un laboratoire. C’est ainsi que l’on peut expliquer assez naturellement la formation de ces masses que l’on rencontre souvent dans la terre, & qui sont un mélange confus de plusieurs crystaux de différente nature.

Les molécules terreuses qui servent à former les pierres ne sont point toujours dans un état de dissolution parfaite dans les eaux, souvent elles y sont en parties grossieres, qui ne sont que détrempées, & elles y demeurent suspendues tant que les eaux sont en mouvement ; après avoir été charriées & entraînées pendant quelque tems, ces terres se déposent par leur propre poids, & forment peu-à-peu un corps solide ou une pierre ; c’est ainsi que se forment les incrustations, les tufes, les stalactites ; en un mot c’est de cette maniere qu’on doit supposer qu’ont été formés les bancs de roches, d’ardoises, de pierres à chaux, &c. qui se trouvent par couches dans le sein de la terre, & qui paroissent des dépôts faits par les eaux de la mer. Voyez Limon & Terre, couches de la.

Les pierres ainsi formées n’affectent point de régularité dans leur figure, elles sont composées de tant de molécules grossieres & hétérogenes, que les parties similaires n’ont point pû se rapprocher, & leur continuité a été interrompue par les matieres étrangeres & peu analogues qui sont venu se placer entre elles. En effet, il y a lieu de conjecturer que toutes les pierres, lorsqu’elles sont pures & lorsqu’elles sont dans un état de dissolution parfaite, doivent former des crystaux transparens & réguliers, c’est-à-dire doivent prendre la figure qui est propre à chaque molécule de la terre qui a été dissoute.

De toutes les pierres il n’y en a point dont la formation soit plus difficile à expliquer que celle des pierres de la nature du caillou ; la plûpart des naturalistes les regardent comme produites par une matiere visqueuse & gélatineuse qui s’est durcie ; cependant on voit que la matiere qui forme le caillou lorsqu’elle est parfaitement pure, affecte une figure réguliere ; en effet, le crystal de roche ne differe du caillou, du quartz, des agates, qui sont des pierres du même genre, que par sa transparence & sa forme pyramidale & héxagone. Il y a donc lieu de supposer que c’est la partie la plus parfaitement dissoute & la plus pure du caillou ou du quartz, qui forme des crystaux, & que c’est la partie la moins parfaitement dissoute, & qui par sa viscosité & son mélange avec des matieres hétérogenes, n’a pû se crystalliser ; semblable en cela à la matiere grasse & visqueuse qui accompagne les sels qu’on appelle l’eau mere, & qui n’est plus propre à se crystalliser.

Peut-être que cette idée pourroit servir à nous faire connoître pourquoi certains cailloux arrondis ont à leur centre des cavités tapissées de crystaux réguliers, semblables en tout à du crystal de roche, tandis que d’autres cailloux, qui sont précisément de la même nature que les premiers, ont leurs cavités garnies de mamellons ; on a tout lieu de présumer qu’ils renfermeroient des crystaux comme les premiers, si la crystallisation n’avoit point été embarrassée par des matieres étrangeres qui l’ont empêché de se faire. Voyez l’article Silex.

Par tout ce qui précede on voit que toutes les pierres ont été originairement dans un état de fluidité : indépendamment des crystallisations dont nous venons de parler, nous avons une preuve convaincante de cette vérité dans les pierres que nous voyons chargées des empreintes de plantes & de coquilles, qui y sont marquées comme un cachet & sur de la cire d’Espagne ; telles sont certaines ardoises ou pierres schisteuses qui portent des empreintes de poissons, & celles qu’on voit chargées des empreintes de plantes, qui accompagnent souvent les charbons de terre. On trouve encore fréquemment des cailloux très-durs qui sont venus se mouler dans l’intérieur des coquilles & d’autres corps marins dont ils ont pris la figure. De plus, ces choses nous fournissent des preuves indubitables que les pierres se forment journellement : nous voyons cette vérité confirmée par les grottes qui se remplissent peu-à-peu, par les stalactites qui se forment assez promptement, par les crystalisations & les incrustations qui recouvrent des mines dans leurs filons, & sur-tout par les cailloux & les marbres que l’on trouve souvent par petits fragmens, qui ont été liés & comme colles ensemble par un suc pierreux analogue, qui n’en a fait qu’une seule masse. Voyez Terre, Gluten, Incrustation, Pétrification, &c.

Ces observations ont dû conduire naturellement à distinguer les pierres en pierres anciennes & en pierres récentes : Par les premieres, on entend celles dont la formation a précédé les divers changemens que notre globe a éprouvés, & qui doivent leur existence, pour ainsi dire, au débrouillement du chaos & à la création du monde. Ces sortes de pierres ne renferment jamais des substances étrangeres au regne minéral, telles que des bois, des coquilles & d’autres corps marins ; c’est de pierres de cette espece que sont formées les montagnes primitives. Voyez Montagnes. Les pierres récentes sont celles qui ont été produites postérieurement & qui se forment encore tous les jours. On doit ranger dans cette classe toutes les pierres qui sont par lits ou par couches horisontales ; elles ont été formées par le dépôt de la vase ou du limon des rivieres & des mers qui ont occupé des portions de notre continent qui depuis s’en sont retirées ; c’est pour cette raison que l’on trouve dans ces couches de pierres des corps entierement étrangers à la terre, qui y ont été enveloppes & renfermés lorsque la matiere molle dans son origine est venu à se durcir. De cette espece sont les schistes, les ardoises, les pierres à chaux, les grais, les marbres, &c. Parmi ces pierres récentes il y en a qui ont été produites ou mises dans l’état où la nature nous les présente, par les embrasemens de la terre ; de cette espece sont la lave, la pierre ponce, &c. On doit aussi placer au rang des pierres récentes les veines de quartz & de spath, qui sont venus quelquefois reboucher les fentes des montagnes & des rochers, qui avoient été faites antérieurement par les tremblemens & les affaissemens de la terre ; il est aisé de concevoir que les pierres qui remplissent ces intervalles, sont d’une formation postérieure à celle des pierres qu’elles ont, pour ainsi dire, resoudées. (—)

Pierres des Amazones, (Physiq.) C’est chez les Topayos, au rapport de M. de la Condamine, Mem. de l’Acad. des Sciences, année 1745, qu’on trouve aujourd’hui plus aisément que par-tout ailleurs, de ces pierres vertes, connues sous le nom de pierres des Amazones, dont on ignore l’origine, & qui ont été fort recherchées autrefois, à cause des vertus qu’on leur attribuoit, de guérir de la pierre, de la colique néphrétique & de l’épilepsie. Il y en a eû un traité imprimé sous le nom de Pierre divine. La vérité est qu’elles ne different ni en couleur ni en dureté du jade oriental ; elles résistent à la lime, & on n’imagine point par quel artifice les anciens Amériquains, qui ne connoissoient pas le fer, ont pu les tailler, les creuser, & leur donner diverses figures d’animaux : c’est sans doute ce qui a fait naître une fable peu digne d’être refutée : on a débité fort sérieusement que cette pierre n’étoit autre chose que le limon de la riviere, auquel on donnoit la forme qu’on desiroit, en le pétrissant quand il étoit récemment tiré, & qui acquéroit ensuite à l’air, cette extrême dureté. Quand on accorderoit gratuitement cette merveille, dont quelques gens incrédules ne se sont désabusés qu’après que l’épreuve leur a mal réussi, il resteroit un autre problème plus difficile encore à résoudre pour nos lapidaires : comment ces mêmes Indiens ont-ils pû arrondir, polir des émeraudes, & les percer de deux trous coniques diamétralement opposés sur un axe commun ? On trouve de telles pierres encore aujourd’hui au Pérou, sur la côte de la mer du sud, à l’embouchure de la riviere de San-Jago, au nord-ouest de Quito, dans le gouvernement d’Emeraldas, avec divers autres monumens de l’industrie des anciens habitans. Les pierres vertes deviennent tous les jours plus rares, tant parce que les Indiens qui en font grand cas, ne s’en défont pas volontiers, qu’à cause du grand nombre de ces pierres qui a passé en Europe. (D. J.)

Pierres apyres, (Hist. nat. Minéralogie.) Quelques Naturalistes donnent cette épithete aux pierres qui ne souffrent aucune altération par l’action du feu, c’est-à-dire, qui ne sont ni calcinées ou réduites en chaux, ni fondues ou changées en verre par un feu ordinaire, tel que celui que la Chimie emploie pour ses analyses. Les pierres de cette espece sont le talc, l’amiante, l’asbeste, le mica, &c. Il faut observer que ces sortes de pierres ne sont point absolument apyres, puisque le miroir ardent est en état de les faire entrer en fusion. Voyez l’article Miroir ardent. (—)

Pierre a chaux, (Hist. nat. Minéral.) lapis calcareus, nom générique que l’on donne à toute pierre que l’action du feu convertit en chaux. Plus les pierres que l’on emploie à cet usage sont dures & compactes, plus la chaux qui en résulte est d’une bonne qualité. Voyez Calcaire. & Chaux. (—)

Pierre d’Automne, (Chimie.) espece de composition que préparent les Chinois. On fait bouillir dans une chaudiere de fer, de l’urine d’un adulte ; lorsqu’elle commence à bouillir, on y verse, goutte à goutte, la valeur d’un gobelet d’huile de navette. On laisse évaporer ce mélange jusqu’à consistence de colle ; on étend ensuite ce résidu sur des plaques de tôle, & on le fait sécher au point de pouvoir être pulvérise. On humecte ensuite cette poudre avec de l’huile, & on met ce mélange dans un creuset pour le sécher. On le remet encore en poudre, & on met cette poudre dans un vaisseau de porcelaine, couvert d’une étoffe de soie & d’un papier en double ; on verse dessus de l’eau bouillante qui se filtre goutte à goutte au-travers de ces papiers, & l’on continue jusqu’à ce qu’il y en ait assez pour donner à la poudre une consistence de pâte, que l’on fait ensuite sécher au bain marie.

Les Chinois regardent cette composition comme un grand remede pour les maux de poitrine ; ils l’appellent en leur langue d’un mot qui signifie pierre d’automne, parce qu’ils sont dans l’idée que les saisons ont des influences particulieres sur les différentes parties du corps. Voyez les observations sur les coutumes de l’Asie.

Pierres de Croix, (Hist. nat. Mineral.) lapis crucifer. C’est ainsi qu’on nomme des pierres qui se trouvent en Espagne, dans le voisinage de S. Jacques de Compostelle ; on y remarque distinctement la figure d’une croix, d’une couleur noirâtre, tandis que le reste de la pierre est d’un blanc tirant sur le gris. Boece de Boot dit que cette pierreressemble par sa grandeur & sa figure à la corne d’un bœuf, & que lorsqu’on la coupe horisontalement, on voit une croix dans son intérieur. Cette pierre est tendre & facile à tailler ; les Espagnols en sont des chapelets ou rosaires : ce qui donne lieu de croire que ces pierres sont de la nature de la serpentine ou de la pierre ollaire, qui par une crystallisation particuliere affectent la figure que l’on y remarque. Le pere Feuillée a trouvé dans une riviere du Chily en Amérique, des pierres qui portoient aussi la figure d’une croix.

Pierres divines, (Hist. nat.) nom sous lequel on a désigné quelquefois le jade. Voyez Jade.

Pierres empreintes, (Hist. nat. Mineral.) ce sont les pierres qui portent les empreintes de substances étrangeres au regne minéral. Voyez les articles Phytolites & Typolites.

Pierres figurées, (Hist. nat. Mineral.) Ce sont les pierres qui ont pris dans le sein de la terre une figure étrangere au regne minéral. Voyez Figurées (Pierres).

Pierres de Florence, (Hist. nat. Mineral.) ce sont des pierres de la nature du marbre, & susceptibles, comme lui, de prendre le poli, sur lesquelles on voit des figures qui ressemblent assez à des ruines : ce qui leur a fait donner le nom de lapis ruderum ou de pierres de ruines. Ces pierres sont ordinairement grisâtres, & la partie qui représente des ruines est composée de veines plus ou moins jaunâtres ; cette partie semble, pour ainsi dire, collée à la pierre contigue qui est d’une même couleur, & qui fait, pour ainsi dire, le fond du tableau.

Pierres gypseuses, (Hist. nat.) ce sont celles que l’action du feu convertit en plâtre. Voyez l’article Gypse.

Pierres hematites ou sanguines. Voyez l’article Hematites.

Pierres d’Hirondelle, (Hist. nat.) Voyez Hirondelle (Pierre d’) on l’appelle aussi pierre de sassenage.

Pierres ollaires ou Pierres a pots. Voyez Ollaires (Pierres).

Pierre philosophale, (Alchimie.) Si la passion des richesses, dit M. de Fontenelle, n’étoit pas aussi puissante, & par conséquent aussi aveugle qu’elle est, il seroit inconcevable, qu’un homme qui prétend avoir le secret de faire de l’or, pût tirer de l’argent d’un autre, pour lui communiquer son secret. Quel besoin d’argent peut avoir cet heureux mortel ? Cependant c’est un piége où l’on donne tous les jours, & M. Geoffroi a développé dans les mém. de l’acad. des Sciences, année 1722, les principaux tours de passe-passe que pratiquent les prétendus adeptes, enfans de l’art, philosophes hermétiques, consmopolites, rosecroix, &c. gens qu’un langage mystérieux, une conduite fanatique, des promesses exorbitantes, devroient rendre fort suspects, & ne font que rendre plus importans. Nous ne répéterons point ce qu’a dit M. Geoffroi sur leurs différentes supercheries ; il est presque insensé d’écouter ces gens-là, du moins dans l’espérance de quelque profit. Ainsi nous transcrirons seulement un mot des observations de l’historien de l’académie de, Sciences sur le fond de la chose.

Il pourroit bien être impossible à l’art de faire de l’or, c’est-à-dire d’en faire avec des matieres qui ne soient pas or, comme il s’en fait dans le sein de la terre. L’art n’a jamais fait un grain d’aucun des métaux imparfaits, qui selon les Alchimistes, soit de l’or que la nature a manqué ; il n’a seulement jamais fait un caillou. Selon les apparences, la nature se réserve toutes les productions. Cependant on ne démontre pas qu’il soit impossible qu’un homme ne meure pas. Les impossibilités, hormis les géométriques, ne se démontrent guere ; mais une extrème difficulté, prouvée d’une certaine façon par l’expérience, doit être traitée comme une impossibilité, si non dans la théorie, au-moins dans la pratique.

Les Alchimistes prétendent dissoudre l’or radicalement, ou en ses principes, & en tirer quelque matiere, un soufre, qui, par exemple, mêlé avec quelqu’autre minéral, comme du mercure, ou de l’argent, le change en or : ce qui en multiplieroit la quantité.

Mais on n’a jamais dissous radicalement aucun métal. On les altére, on les déguise quelquefois à un tel point qu’ils ne sont plus reconnoissables ; mais on sait aussi les moyens de les faire reparoître sous leur premiere forme ; leurs premiers principes n’étoient pas désunis.

Il est vrai qu’il s’est fait par le miroir ardent des dissolutions radicales, que le feu ordinaire des fourneaux n’auroit pas faites ; mais un alchimiste n’en seroit pas plus avancé ; car au feu du soleil, ou le mercure, ou le souffre des métaux qui seroient les principes les plus actifs & les plus précieux, s’envolent, & le reste demeure vitrifié, & inhabile à toute opération.

Quand même on auroit un soufre d’or bien séparé, & qu’on l’appliquât à de l’argent, par exemple ; il ne feroit que changer en or une masse d’argent, égale à celle d’or, d’où il auroit été tiré. Je suppose qu’il lui auroit donné le poids, & toutes les autres qualités originaires ; mais malgré tout cela, il valoit autant laisser ce souffre où il étoit nécessairement ; on n’a rien gagné, si ce n’est une expérience très curieuse, & certainement on a fait des frais.

J’avoue que les Alchimistes entendent que ce soufre agiroit à la maniere, ou d’une semence qui végete, & devient une plante, ou d’un feu qui se multiplie, dès qu’il est dans une matiere combustible ; & c’est à cela que reviennent les contes de la poudre de projection, dont quelques atomes ont produit de grosses masses d’or ; mais quelle physique pourroit s’accommoder de ces sortes d’idées ?

J’avoue aussi que si de quelque matiere qui ne fût point or, comme de la rosée, de la manne, du miel, &c. on pouvoit, ainsi qu’ils le disent, tirer quelque portion de l’esprit universel, propre à changer de l’argent ou du cuivre en or, il pourroit y avoir du profit ; mais quelles propositions, quelle espérance !

Une chose qui donne encore beaucoup de crédit à la pierre philosophale, c’est qu’elle est un remede universel ; ceux qui la cherchent, comment le savent-ils ? Ceux qui la possedent, que ne guérissent-ils tout ? Et s’ils veulent, sans découvrir leur secret, ils auront plus d’or que tous leurs fourneaux n’en pourroient faire. Quand on recherchera ce qui a fait donner à l’or des vertus physiques si merveilleuses, on verra bientôt que leur origine vient de ses vertus arbitraires & conventionnelles, dont les hommes sont si touchés. (D. J.)

Pierres poreuses, (Hist. nat.) porus, undulago, incrustatum, tophus, stalactites, &c. nom générique donné par les naturalistes à toutes les pierres formées par le dépôt des eaux. De ce genre sont le tuf, les incrustations, les stalactites, &c. Voyez ces différens articles. Les pores varient par la nature & par la forme, en raison des différentes terres que les eaux ont déposées ; mais le plus communément ces pierres sont calcaires, parce que la terre calcaire a plus de facilité que toute autre à s’incorporer avec les eaux & à être mises en dissolution. Voyez Calcaire.

Pierre-ponce, (Hist. nat.) pumices ; ce sont des pierres très-poreuses, & semblables à des éponges ; elles paroissent composées de filamens ; elles sont rudes au toucher, d’une figure irréguliere & informe : leur légéreté est si grande, qu’elles nagent à la surface des eaux.

Les pierres-ponces varient pour la couleur, & l’on en compte de blanches ou grises, de jaunâtres, de brunes & de noirâtres. Ces pierres se trouvent dans le voisinage des volcans ou montagnes qui jettent du feu, comme l’Ætna & le Vésuve ; ou dans des endroits où il y a eu autrefois des embrasemens souterreins ; ou enfin dans des endroits ou les pierres-ponces ont été poussées par les vents, lorsqu’elles nageoient à la surface des eaux de la mer.

MM. Stahl & Pott ont regardé la pierre-ponce, comme de l’asbeste que l’action du feu a mis dans l’état où nous le voyons ; mais M. Wallerius croit que sa formation est due a une espece de charbon de terre consommé, & devenu spongieux par l’action du feu. Quoi qu’il en soit de ces différentes opinions, M. Henckel a observé que la pierre-ponce entroit en fusion à un feu violent, & formoit une scorie ou un verre assez dur pour faire feu, lorsqu’on le frappe avec l’acier ; ce fait a été confirmé par l’expérience de M. Pott. C’est pour cette raison que quelques auteurs ont mis la pierre ponce au rang des pierres que l’on nomme vitrifiables.

On trouve la pierre-ponce, comme nous l’avons fait observer, dans le voisinage des volcans, & l’on en rencontre dans toutes les parties du monde en Europe, près du mont Hecla en Islande, en Sicile, & au royaume de Naples ; en Asie, dans l’île d’Ormus où il y a eu anciennement un volcan, dans l’île de Ternate, &c. Les voyageurs nous apprenent avoir quelquefois vu la mer toute couverte de pierres-ponces dans des endroits souvent fort éloignés des volcans qui les ont produits ; ce sont les vents qui les poussent alors au loin ; en se heurtant les unes les autres, & étant roulées par les eaux contre le rivage, elles s’arrondissent & s’usent, comme on le remarque sensiblement à de certaines pierres-ponces.

Les anciens ont cru que la pierre-ponce étoit formée de l’écume de la mer ; & ils l’appelloient pumax du mot spuma.

Cette pierre est d’un grand usage dans les arts & métiers ; elle sert à polir les pierres & les métaux. On l’a vantée autrefois dans la Médecine ; mais aujourd’hui l’on sait que l’usage en est très-inutile. (—)

Pierres, (Mat. méd.) on a attribué des vertus médicinales à un grand nombre de pierres, qui ne different point à cet égard des terres, & auxquelles convient par conséquent ce que nous avons dit des remedes terreux. Voyez Terreux, (Mat. méd.)

Les pierres méritent cependant cette considération particuliere, que celles qui ont une vertu médicamenteuse réelle ; savoir, les calcaires & les argilleuses sont très-inférieures dans l’usage, aux terres proprement dites, en ce qu’elles sont d’un tissu plus compacte, plus serré que ces dernieres substances. D’où l’on peut prononcer définitivement que les pierres simples ou homogenes des autres especes primitives sont destituées de toute vertu medicamenteuse ; que celles qui ont quelques vertus ne la possedent que dans un degré plus foible que des substances analogues, tout aussi communes qu’elles ; & par conséquent, que les pierres doivent être bannies de la liste des remedes.

Ces pierres qui sont ainsi inutiles, & que les pharmacologistes ont mis au rang des medicamens, sont outre les pierres précieuses, & principalement celles qu’on trouve dans les pharmacies, sous le nom de fragmens précieux, sont, dis-je, le crystal, le caillou, le bol, le talc, la pierre néphrétique ou le jade, la pierre-ponce, l’ochre, l’ardoise, la pierre d’aigle, la pierre d’aimant, &c. toutes substances absolument dépourvues de vertus médicinales ; & la belemnite, la pierre judaïque, la pierre d’éponge, l’ostéocol, le glossopetre ou langue de serpent, &c. toutes matieres qui, quoique possédant en effet la vertu absorbante, étant composées en tout ou en partie de terre calcaire, doivent être pourtant rejettées, par les considérations que nous venons d’exposer ci-dessus.

Mais outre ces pierres inutiles, on trouve encore dans les listes des remedes, deux pierres dangereuses ; savoir, la pierre d’azur, & la pierre d’Arménie, l’une & l’autre recommandées par les anciens, comme purgatives. Voyez Pierre d’Arménie, & Pierre d’azur.

La pierre hématite qui n’est presque qu’une substance ferrugineuse, doit être renvoyée à la classe des remedes martiaux. Voyez Mars & Martiaux, (Mat. méd.)

Au reste, la principale célébrité de la plûpart de ces pierres leur est venue de l’opinion qu’on a eu de leur inefficacité, à titre d’amulette ; on a cru, par exemple, que la pierre néphrétique portée dans une ceinture, calmoit les douleurs des reins ; & j’ai vu un homme de beaucoup d’esprit qui employoit ce remede, véritablement avec un léger degré de confiance. La langue de serpent est regardée comme très propre à faire sortir les dents des enfans, lorsqu’on la leur suspend au col. La pierre d’aigle passe pour faciliter l’accouchement, si les femmes la portent attachée à la cuisse, & pour agir même avec tant d’énergie, que si on n’a soin de la détacher d’abord après l’accouchement, elle entraine la matrice ; fait attesté par des observations rapportées par de très-graves auteurs de Medecine ; mais qui paroît si chimérique, que la plus sévere méthode du doute ne sauroit ce semble autoriser à discuter par de nouvelles expériences. (b)

Pierre infernale, (Chimie. Mat. med.) on nomme ainsi le sel formé par l’union de l’acide nitreux, & de l’argent dépouillé par la fusion de toute son eau de crystallisation. Voici comme on le prépare d’après Lémery, Cours de chimie.

Faites dissoudre dans une phiole telle quantité d’argent de coupelle qu’il vous plaira, avec deux ou trois fois autant d’esprit de nitre ; mettez votre phiole sur le feu de sable, & faites évaporer environ les deux tiers de l’humidité : renversez le restant tout chaud dans un bon creuset d’Allemagne assez grand, à cause des ébullitions qui se feront. (Une capsule de verre est préférable à un creuset, parce qu’une grande quantité de la matiere pénetre le creuset, & s’imbibe dedans ; & souvent passe à travers, sur-tout si c’est la premiere fois qu’on le fait servir à cette opération ; note de M. Baron.) Placez-le sur un petit feu, & l’y laissez jusqu’à ce que la matiere qui se sera beaucoup rarefiée, s’abaisse au fond du creuset : augmentez alors un peu le feu, & elle deviendra comme de l’huile ; versez-la dans une lingotiere un peu graissée & chauffée, elle se coagulera ; après quoi vous pourrez la garder dans une phiole bien bouchée. C’est un caustique qui dure toujours, pourvu qu’on ne le laisse pas exposé à l’air : on peut faire cette pierre avec un mélange de cuivre & d’argent ; mais elle ne se garde pas tant, parce que le cuivre étant fort poreux, l’air s’y introduit facilement, & la fond. Si vous avez employé une once d’argent, vous retirerez une once & cinq dragmes de pierre infernale.

On moule la pierre infernale en petits crayons pour l’usage.

Ce caustique n’attaque point la peau, mais il ronge très-promptement & très-efficacement les chairs découvertes, en les touchant seulement plus ou moins légerement. Les chirurgiens n’en emploient presque point d’autre aujourd’hui pour consumer les bords calleux des ulceres, ou les chairs qui poussent trop pendant le traitement des plaies : elle peut servir encore aussi-bien que les caustiques préparés avec le mercure, à détruire les chancres & autres excroissances vénériennes qui viennent aux parties de la génération de l’un & l’autre sexe, &c.

Les chirurgiens portent leur pierre à cautere montée sur un porte-crayon qui se visse dans un étui d’argent, pour la préserver de l’humidité de l’air qui l’attaque cependant assez médiocrement. (b)

Pierre a cautere, (Chimie, Mat. med.) on appelle ainsi l’alkali fixe du tartre, ou commun, rendu plus caustique par la chaux. Voyez Tartre & Chaux commune. Voici comme on la prépare, d’après la description de Lémery.

Mettez dans une grande terrine une partie de chaux vive, & deux parties de cendre gravelée ; versez dessus beaucoup d’eau chaude, & les ayant laisse tremper cinq ou six heures, faites-le un peu bouillir : passez ensuite ce qui sera clair, par un papier gris, & le faites évaporer dans une bassine de cuivre, ou dans une terrine de grais : il vous restera un sel au fond, qu’il faut mettre dans un creuset sur le feu ; il se fondra & bouillira jusqu’à ce qu’il se soit fait évaporation de l’humidité qui étoit restée : quand vous verrez qu’il sera réduit au fond en forme d’huile, jettez-le dans une bassine, & le coupez en pointe, pendant qu’il sera encore chaud : mettez promptement ces caustiques dans une bouteille de verre sort que vous boucherez avec de la cire & de la vessie, car l’air les resoud facilement en liqueur : il faut encore observer de les mettre en un lieu bien sec pour les garder. Lémery, Cours de chimie.

Il est très-vraissemblable qu’on n’emploie par préférence les cendres gravelées, que parce qu’elles sont d’un moindre prix que le sel de tartre ; car il paroît (contre l’opinion, & malgré la théorie de M. Baron, Notes sur le cours de chimie de M. Lémery, que le tartre vitriolé qui se trouve dans les cendres gravelées, nuit à la perfection de la pierre à cautere, plutôt qu’elle n’y sert : car le tartre vitriolé n’est point caustique, & le tartre vitriolé ne dispose point la chaux à la causticité.

La pierre à cautere est le plus actif des caustiques employés dans la Chirurgie, puisqu’il attaque même la peau entiere, ce que ne font point les autres caustiques usités. Son usage chirurgical est d’être employée à établir ces ulceres ou égoûts artificiels connus sous le nom de cautere, voyez Cautere, Méd. & d’ouvrir des abscès. Voyez Absces.

Pierre d’azur, (Mat. méd.) lapis lazuli, elle a la vertu de purger par haut & par bas. Des auteurs la recommandent sort contre la mélancolie, la fievre quarte, l’apoplexie & l’épilepsie : Dioscoride & Galien lui reconnoissent une vertu corrosive avec un peu d’astriction. Il ne faut pas douter que la couleur bleue de cette pierre ne vienne de quelque partie de cuivre, d’où dépendent aussi ses vertus corrosive, purgative & émethique ; mais on demande pourquoi on fait entrer ce remede acre & violent purgatif dans la confection alkermès, qui est une composition cordiale & fortifiante.

Comme l’on a beaucoup de remedes plus sûrs pour produire les effets dont on vient de parler, on se sert rarement de cette pierre ; & à-présent, on n’a coutume de l’employer que dans la composition alkermes. Geoffroi, Mat. méd.

On est plus avancé aujourd’hui que du tems de M. Geoffroi, car on ne fait plus entrer la pierre d’azur dans la confection alkermes.

Pierre divine ou ophtalmique, (Pharmacie, Mat. méd.) prenez vitriol bleu, nitre & alun, de chacun trois onces ; mettez-les en poudre subtile, mêlez-les exactement & placez-les dans un matras, & les exposez à une chaleur simplement suffisante pour les faire fondre ; lorsque le mélange sera liquide, mêlez-y exactement un gros de camphre en poudre, & lorsque la masse sera figée par le refroidissement, cassez le matras, retirez-la, & gardez-la pour l’usage.

C’est ici un simple mélange de drogues. Le vitriol, l’alun & le nitre sont du genre des sels qui contiennent assez d’eau dans leur crystallisation pour être capables de la liquidité aqueuse par l’action d’une legere chaleur. Or dans cet état l’acide vitriolique n’agit point sur le nitre, & chacun de ces trois sels reste inalteré dans le mélange

Une liqueur appropriée, chargée d’une legere teinture de cette pierre, est un bon collyre. Voyez Collyre & Ophtalmique. (b)

Pierre médicamenteuse de Crollius, Pierre médicamenteuse de Lemery. Pierre admirable, (Pharmac. & Mat. méd.) on trouve dans presque toutes les pharmacopées, & les chimies médicinales sous le nom de pierre médicamenteuse, admirable, divine, des philosophes, &c. divers mélanges d’alun, de vitriols, de nitre, de sel marin, de sel ammoniac, d’alkalis fixes, de litarge, de bol, &c. le tout pulvérisé, exactement mélé, humecté avec du vinaigre, ou quelqu’autre liqueur saline ; ensuite calciné ou fortement desséché jusqu’à ce que le mélange ait pris la consistance d’une pierre.

Ces pierres sont recommandées comme vulnéraires, détersives, dessicatives, styptiques, ophtalmiques ; mais elles ont éminemment le défaut des remedes très-composés, qui sont d’autant plus graves, comme nous l’avons observé à l’article Composition (voyez cet article), qu’une réaction chimique non prévue ou mal estimée, a été plus excitée dans leur préparation. Aussi toutes ces pierres sont-elles fort peu employées, & ne devroient point l’être absolument, sur-tout puisqu’on ne manque point de remedes plus simples & mieux entendus qui possedent éminemment les vertus attribuées à ces pierres. (b)

Pierre calaminaire, (Mat. méd.) voyez Zinc.

Pierre, (Archit.) corps dur qui se forme dans la terre, & dont on se sert pour la construction des bâtimens. Il y a deux sortes de pierres, de la pierre dure, & de la pierre tendre. La premiere est sans contredit la meilleure. La pierre tendre a cependant quelques avantages : c’est qu’elle se taille aisement, & qu’elle résiste quelquefois mieux à la gelée que la pierre dure. Mais ceci n’est pas assez recommandable pour mériter de la confiance à la pierre tendre. Il faut un froid très-rigoureux pour endommager la pierre dure, parce que ce n’est qu’en congelant l’eau que la pierre contient qu’il peut lui nuire. Aussi la plûpart des carriers craignent bien davantage la lune, dont les rayons détruisent, à ce qu’ils disent, les matieres les plus compactes ; mais il y a dans ce propos plus de méchanceté que de bonne foi. Comme la pierre se détruit facilement quand l’ouvrier n’en a pas bien ôté le bousin, voyez ce mot, & que par cette mal-façon la pierre se gâte ; en attribuant ce déchet à la lune, on couvre sa négligence pour ne rien dire de plus. Mais laissons-là les défauts qui peuvent provenir aux pierres de la part des ouvriers & de la lune. Disons quelque chose de plus utile ; c’est la maniere de connoître la qualité d’une pierre.

Lorsqu’une pierre est bien pleine, d’une couleur égale, qu’elle est sans veine, qu’elle a un grain fin & uni, que les éclats se coupent net, & qu’ils rendent quelque son, elle est certainement bonne. On connoît encore cette qualité, en exposant la pierre, nouvellement tirée des carrieres, à l’humidité pendant l’hiver. Si elle résiste à la gelée, elle est bonne, & on peut l’employer avec confiance.

Voici les especes, les qualités, les usages & les défauts de ce corps.

De la pierre dure suivant ses especes. Pierre d’Arcueil, près de Paris. Cette pierre porte de hauteur de banc nette & taillée, depuis 14 jusqu’à 21 pouces ; & le bas appareil d’Arcueil, 9 à 10 pouces.

Pierre de Belle-hache. C’est la plus dure de toutes les pierres, quoique moins parfaite que le liais ferant, voyez ci-après pierre de liais, à cause des cailloux qui s’y rencontrent : aussi s’en sert-on rarement. On la tire vers Arcueil d’un endroit appellé la Carriere-royale. Elle porte de hauteur 18 à 19 pouces.

Pierre de Bonbanc. Cette pierre qui se tire vers Vaugirard, porte depuis 15 jusqu’à 24 pouces de hauteur.

Pierre de Caën, en Normandie. Espece de pierre noire, qui tient de l’ardoise, voyez Ardoise, mais qui est beaucoup plus dure. Elle reçoit le poli, & sert dans les compartimens de pavé.

Pierre de la Chaussée, près Bougival, à côté de S. Germain-en-Laye ; pierre qui porte 15 à 16 pouces.

Pierre de Cliquart, près d’Arcueil. Cette pierre, qu’on appelle aussi bas-appareil, porte 6 à 7 pouces.

Pierre de S. Cloud, pierre qu’on tire au lieu du même nom, près Paris, & qu’on trouve nette & taillée, depuis 18 jusqu’à 24 pouces de hauteur.

Pierre de Fecamp. On trouve cette pierre dans la vallée de ce nom, près Paris, elle a 15 à 18 pouces de hauteur.

Pierre de Lambourde. Cette pierre se trouve près d’Arcueil. Elle porte depuis 20 pouces jusqu’à 5 piés, mais on la délite. Il y a aussi de la lambourde, qu’on trouve hors du fauxbourg S. Jacques, à Paris, qui a depuis 18 jusqu’à 24 pouces.

Pierre dure de S. Leu. On tire cette pierre aux côtes de la montagne d’Arcueil.

Pierre de liais. Il y a plusieurs especes de cette pierre. Le franc-liais & le liais-ferant, qui est plus dur que le franc, se tirent tous deux de la même carriere, hors de la porte S. Jacques, près Paris. Le liais-rose, qui est le plus doux, & qui reçoit un beau poli au grès, se tire vers S. Cloud ; & on prend le franc-liais de S. Leu, le long des côtes de la montagne. Toutes ces especes de liais portent depuis 6 jusqu’à 8 pouces de hauteur.

Pierre de Meudon Près Paris. Cette pierre est depuis 14 pouces jusqu’à 18. Il y a une autre sorte de pierre de Meudon, qu’on appelle rustique de Meudon, qui est plus dure & plus trouée, mais qui a la même hauteur.

Pierre de Montosson, près Nanterre, à deux lieues de Paris. Pierre qui porte 9 à 10 pouces.

Pierre de Saint-Nom, au bout du parc de Versailles. Cette pierre a depuis 18 jusqu’à 22 pouces de hauteur.

Pierre de Senlis. On prend cette pierre à S. Nicolas-lès-Senlis, à 10 lieues de Paris. Elle porte depuis 12 jusqu’à 16 pouces.

Pierre de Souchet. On trouve cette pierre hors du fauxbourg S. Jacques de Paris. Elle porte depuis 12 jusqu’à 16 pouces.

Pierre de Tonnerre, en Bourgogne. Cette pierre a depuis 16 jusqu’à 18 pouces.

Pierre de Vaugirard. Pierre qui est dure & grise, & qui porte 18 à 19 pouces.

Pierre de Vergeté. On tire cette pierre de S. Leu, à 10 lieues de Paris. Elle porte 18 à 20 pouces.

Pierre de Vernon, à 12 lieues de Paris. Cette pierre porte depuis 2 jusqu’à 3 piés.

De la pierre tendre suivant ses especes. Pierre de S. Leu, à 10 lieues de Paris. Pierre qui porte depuis 2 piés jusqu’à 4.

Pierre de Maillet & de Trocy. On tire ces pierres de S. Leu, & elles n’ont rien de particulier, si ce n’est que le trocy est de toutes les pierres celle dont le lit est le plus difficile à connoître. On ne le découvre que par de petits trous.

De la pierre suivant ses qualités. De la pierre à chaux. Sorte de pierre grasse, qui se trouve ordinairement aux côtés des montagnes, & qu’on calcine pour faire de la chaux. Voyez Chaux.

Pierre à plâtre. Sorte de pierre qu’on cuit dans les fours, & qu’on pulverise ensuite pour faire du plâtre. Voyez Platre.

Pierre de couleur. Pierre qui étant rougeâtre, grisâtre ou noirâtre, cause une variété agréable dans les bâtimens.

Pierre de taille. On appelle ainsi toute pierre dure ou tendre, qui peut être équarrie & taillée avec paremens, ou même avec architecture, pour la solidité ou décoration des bâtimens.

Pierre fiere. Pierre difficile à travailler, à cause qu’elle est seche, comme la plûpart des pierres dures, mais particulierement la belle hache & le liais, voyez ces mots.

Pierre franche. On appelle ainsi toute pierre parfaite en son espece, qui ne tient point de la dureté du ciel, ni du tendre du moilon de la carriere.

Pierre fusiliere. Espece de pierre dure & seche, qui tient de la nature du caillou. Il y a de ces pierres qui sont grises ; une partie du pont Notre-Dame est bâtie de cette pierre, & de petites qui sont noires, ce sont les pierres à fusil. On pave de celles-ci les terrasses & les bassins des fontaines.

Pierre gelise verre. Pierre qui est nouvellement tirée de la carriere, & qui n’a pas encore jetté son eau.

Pierre pleine. C’est toute pierre dure qui n’a point de cailloux, de coquillages, de trous ni de moie. Tels sont les plus beaux liais & la pierre de Tonnerre.

Pierre trouée ou poreuse. Pierre qui a des trous comme le rustique de Meudon, le tuf, & toutes les pierres de meuliere. On l’appelle aussi choqueuse.

De la pierre selon ses façons. Pierre au binard. C’est tout gros bloc de pierre qui est apporté de la carriere sur un binard, attelé de plusieurs couples de chevaux (voyez Binard), parce qu’il ne le peut être par les charrois ordinaires.

Pierre bien faite. C’est un quartier de voie, ou un carreau de pierre, qui approche beaucoup de la figure quarrée, & qu’on équarrit presque sans déchet.

Pierre de bas appareil. Pierre qui porte peu de hauteur de banc, comme le bas appareil d’Arcueil, par exemple, le liais, &c.

Pierre débitée. C’est une pierre qui est sciée. La pierre dure se débite à la scie sans dents, avec l’eau & le grès ; & la pierre tendre, comme le S. Leu, le tuf, la craie, &c. avec la scie à dents.

Pierre d’échantillon. C’est un bloc de pierre de certaine mesure déterminée, commandée exprès aux Carriers.

Pierre d’encoignure. Pierre qui ayant deux paremens, cantonne l’angle d’un bâtiment de quelqu’avant-corps.

Pierre ébousinée. Pierre dont on a ôté le bousin ou le tendre.

Pierre en chantier. C’est une pierre qui est calée par le tailleur de pierre, & qui est disposée pour être taillée.

Pierre en débord. On nomme ainsi une pierre que les Carriers font voiturer près des atteliers, quoiqu’elle ne soit pas commandée, & que l’attelier ait même cessé.

Pierre esmillée. Pierre qui est équarrie & taillée grossierement avec la pointe du marteau, pour être seulement employée dans le garni des gros murs, & le remplissage des piles, culées de pont, &c.

Pierre faite. Pierre qui est entierement taillée, & prête à être enlevée pour être mise en place.

Pierre fusible. C’est une pierre qui, par l’opération du feu, change de nature, & devient transparente.

Pierre hachée. Pierre dont les paremens sont dressés avec la hache du marteau bretelé, pour être ensuite layée ou rustiquée.

Pierre layée. Pierre qui est travaillée à la laie ou marteau avec brételures.

Pierre louvée. Pierre où l’on fait un trou pour recevoir la louve. Voyez Louve & Louveur.

Pierre nette. Pierre qui est équarrie, & atteinte jusqu’au vif.

Pierre parpaigne. C’est une pierre qui traverse l’épaisseur d’un mur, & qui en fait les deux paremens.

Pierre piquée. Pierre dont les paremens sont piqués à la pointe, & dont les ciselures sont relevées.

Pierre polie. Pierre dure qui prend le poli avec le grès, ensorte qu’il n’y paroît aucun coup d’outil.

Pierre ragréée au fer. Pierre qui est passée au riflard, espece de ciseau large, avec des dents.

Pierre retaillée. On appelle ainsi non-seulement une pierre qui, ayant été coupée, est retaillée avec déchet, mais encore toute pierre tirée d’une démolition, & refaite pour être de rechef mise en œuvre.

Pierre retournée. Pierre dont les paremens opposés les uns aux autres, sont d’équerre & paralleles.

Pierre rustiquée. Pierre qui, après avoir été redressée & hachée, est piquée grossierement avec la pointe.

Pierre statuaire. Pierre qui, étant d’échantillon, est propre & destinée pour faire une statue. On dit aussi marbre statuaire.

Pierre tranchée. Pierre où l’on fait une tranchée dans sa hauteur avec le marteau pour en couper.

Pierre traversée. Pierre où les traits des brételures sont croisés.

Pierre velue. Nom qu’on donne à toute pierrebrute, telle qu’on l’amene de la carriere.

Pierres à bossages ou de refend. Pierres qui étant en œuvre, sont séparées par des canaux, & sont d’une même hauteur, parce qu’elles représentent les assises de pierre, & dont les joints de lit doivent être cachés dans le haut des refends. Lorsque ces pierres sont en liaison, les joints montans sont dans l’un des angles du refend.

Pierres artificielles. Ce sont, selon Palladio, Arch. liv. I. ch. iij. les differentes especes de briques, carreaux & tuiles paitries & moulées, cuites ou crues.

Pierres feintes. Ornemens de mur de face, dont les crépis & enduits sont séparés & compartis en mamiere de bossages en liaison.

Pierres fichées. Pierre dont le dedans des joints est rempli de mortier clair & de coulis.

Pierres jointoyées. Ce sont des pierres dont le dehors des joints est bouché & ragréé de mortier serré, de plâtre ou de ciment.

De la pierre par rapport à ses usages. Premiere pierre. On nomme ainsi un gros quartier de pierre dure ou de marbre, qu’on met dans les fondemens d’un édifice, & où l’on enferme dans une entaille de certaine profondeur, quelques médailles, & une table de bronze sur laquelle est gravée une inscription. Cette coutume, qui est très-ancienne, à en juger par les médailles qu’on a trouvées, & qu’on trouve encore dans les recherches & démolitions des bâtimens antiques : cette coutume, disons-nous, ne s’observe que pour les édifices royaux & publics, & non pour les bâtimens particuliers.

On appelle derniere pierre, une table où est une inscription qui marque le tems auquel un bâtiment a été achevé.

Pierre à laver. Espece d’auge plate, qui sert à laver de la vaisselle dans une cuisine.

Pierre d’attente. C’est toute pierre en bossage pour recevoir quelques ornemens ou inscription. On appelle aussi pierre d’attente les harpes & arrachemens. Voyez Harpes & Arrachemens.

Pierre de touche. Espece de marbre noir que les Italiens appellent pierre di paragone, pierre de comparaison, parce qu’elle sert à éprouver les métaux ; c’est pourquoi Vitruve l’appelle index. C’est de cette pierre qu’ont été faites la plûpart de divinités, les Sphinx, les Fleuves, & autres figures des Egyptiens.

Pierre incertaine. Pierre dont les pans & les angles sont inégaux. Les anciens employoient cette pierre pour paver. Les ouvriers la nomment pierre de pratique, parce qu’ils la font servir, de quelque grandeur qu’elle soit.

Pierre percée. Dalle de pierre avec des trous, qui s’encastre en feuillure dans un chassis aussi de pierre sur une voute pour donner de l’air & un peu de jour à une cave, ou pour donner passage dans un puisard aux eaux pluviales d’une cour.

On nomme aussi pierre à chassis une dalle de pierre ronde ou quarrée, sans trous, qui s’encastre comme la pierre percée, & qui sert de fermeture à un regard, ou à une fosse d’aisance.

Pierre précieuse. Nom général qu’on donne à toute pierre rare, dont on enrichit les ouvrages de marbre & de marqueterie, comme l’agate, le lapis, l’avanturine, &c. Parmi ces ouvrages, on estime sur-tout le tabernacle de l’église des Carmélites de Lyon, qui est de marbre & de pierres précieuses, & dont les ornemens sont de bronze.

Pierre spéculaire. C’étoit, chez les anciens, une pierre transparente, qui se débitoit par feuilles, comme le talc, & qui leur servoit de vitres. La meilleure venoit d’Espagne, selon Pline. Le poëte Martial fait mention de cette sorte de pierre dans ses épigrammes, liv. II. épig. 14. voyez Pierre spéculaire.

Pierre de rapport. Petite pierre de diverses couleurs, qui servent aux compartimens de pavé, aux ouvrages de mosaïque, & aux meubles précieux.

Pierres jectices. Ce sont toutes pierres qui peuvent être jettées avec la main, comme les gros & menus cailloux qui servent à affermir les aires des grands chemins, & à paver les grottes, fontaines & bassins, & qui étant sciées, entrent dans les ouvrages de rapport & de mosaïque.

Pierre milliaire. On appelloit ainsi chez les Romains certain dez ou bornes de pierre espacées à un mille l’une de l’autre, sur les grands chemins, pour marquer la distance des villes de leur empire. Ces pierres se comptoient depuis le milliaire doré de Rome. C’est ce que nous apprenons des mots des historiens : primus, secundus, tertius, &c. ab urbe lapis. L’usage des pierres milliaires est aujourd’hui pratiqué dans toute la Chine.

Pierres perdues. Pierres qui sont jettées à plomb dans la mer ou dans un lac pour sonder, & que l’on met ordinairement dans des caissons. On nomme aussi pierres perdues, celles qui sont jettées à bain de mortier pour bloquer.

De la pierre selon ses défauts. Pierre coquillaire. Pierre dans laquelle il y a de petites coquilles qui rendent son parement troué. Telle est la pierre de Saint-nom.

Pierre coupée. C’est une pierre qui est gâtée, parce qu’étant mal taillée, elle ne peut servir où elle étoit destinée.

Pierre délitée. Pierre qui est fendue à l’endroit d’un fil de lit, & qui taillée avec déchet, ne sert qu’à faire des arrases.

Pierre de soupré. C’est dans les carrieres de S. Leu, la pierre du banc le plus bas, dont on ne sert point, parce qu’elle est trouée & défectueuse.

Pierre de souchet. On nomme ainsi en quelques endroits la pierre du banc le plus bas, qui n’étant pas plus formée que le bousin, est de nulle valeur.

Pierre en délit. Pierre qui n’est pas posée sur son lit de carriere dans un cours d’assises ; mais sur son parement, ou délit enjoint.

Pierre félée. Pierre qui est cassée par un fil ou veine courante ou traversante ; & pierre entiere, c’est le contraire. Le son que la pierre rend en la frappant avec le marteau, fait connoître ces deux qualités.

Pierre feuilletée. Pierre qui se délite par feuillets ou écailles à cause de la gelée. La lambourde, entr’autres pierres, a ce défaut.

Pierre gauche. Pierre dont les paremens & les côtés opposés ne se bornoyent pas, parce qu’ils ne sont pas paralleles.

Pierres grasses. Pierre qui est humide, & par conséquent sujette à se geler. Telle est, par exemple, la pierre appellée cliquart.

Pierre moyée. Pierre dont la moie ou le tendre, est abattu avec perte, parce que son lit n’est pas également dur. Cela arrive très-souvent à la pierre de la chaussée.

Pierre moulinée. Pierre qui est graveleuse, & qui s’égrene à l’humidité. C’est un défaut particulier à la lambourde. Daviler. (D. J.)

Pierre d’aigle, espece de pierre connue dans l’histoire naturelle : les Grecs l’appellent aetites, & les Italiens pierra d’aquila ; parce qu’on la trouve quelquefois dans des nids d’aigles. La tradition veut qu’elle ait une vertu merveilleuse, qui est d’avancer ou d’empêcher les accouchemens, selon qu’on l’applique au-dessus ou au-dessous de la matrice.

Matthiole dit que les oiseaux de proie n’écloroient jamais leurs petits sans cette pierre, & qu’ils la vont chercher jusqu’aux Indes orientales. Bausez a fait un traité latin qui parle expressément de l’aetites ou pierre d’aigle. Voyez l’article Aetites, & l’article Pierre en général.

Pierre d’arménie, lapis armenius, λίθος Ἀρμένιος, sorte de pierre ou terre minérale, de couleur bleue, mêlée de verd, de blanc, & de rouge ; on l’apportoit anciennement d’Arménie : aujourd’hui elle vient d’Allemagne & du Tyrol.

La pierre d’Arménie a beaucoup de ressemblance avec le lapis lazuli, dont elle ne paroît distinguée que par le degré de maturité : la principale différence qu’il y a entre l’une & l’autre, consiste en ce que la pierre d’Arménie est plus molle, & qu’au lieu de paillettes d’or, elle a des taches vertes.

Boerhaave met cette pierre au rang des demi-métaux, & la croit composée de terre & de métal. Woodward dit que la couleur qu’elle a vient du cuivre qui y est mêlé. Voyez Metal.

On l’employe principalement dans les ouvrages en mosaïque, & on en fait aussi quelque usage en Medecine. Voyez Azur & Mosaïque.

Pierre de Boulogne, espece de pierres qu’on trouve près de Boulogne en Italie, & qui moyennant une certaine préparation, deviennent lumineuses. Ces pierres sont de petites pierres blanchâtres en-dehors, beaucoup plus pesantes que nos pierres communes, de la grosseur d’un œuf médiocre, & ordinairement plus petites. Ces pierres étant cassées, le dedans est un brillant, semé de rayons qui tendent à une espece de centre, & fort semblable au talc qui est parmi les pierres de plâtre. On trouve aussi beaucoup de marcassites aux endroits où il y a de ces pierres, savoir vers le bas du mont Paterno, & encore en d’autres contrées d’Italie.

La préparation qui les rend lumineuses, consiste à les limer à l’entour, à les mouiller dans de l’eau-de-vie, ou de l’eau commune, ou du blanc d’œuf, & à les plonger ou rouler dans leur poudre ou limaille, pour les en couvrir de l’épaisseur d’environ un quart de ligne. Ayant allumé des charbons ou braise, il en faut mettre à la hauteur de quelques doigts sur une grille de terre d’un petit fourneau ordinaire, placer les pierres sur ces charbons, & mettre encore d’autres charbons dessus environ de la hauteur de deux doigts, & laisser le tout jusqu’à ce que le charbon soit brûlé, éteint, & refroidi. Enfin, il faut conserver chacune de ces pierres dans une petite boîte de bois avec du coton ou de la laine tout-autour.

Si on les expose pendant un moment à la lumiere du jour, ainsi préparées, & si on les porte promptement dans un lieu obscur, on les voit comme en feu, & semblables à un charbon ardent, cependant sans chaleur sensible : elles ne paroissent pas ainsi, avant que de les avoir exposées à la clarté du jour.

Le soufre contenu dans cette pierre, est la principale cause du phénomene.

En effet, la pierre de Boulogne contient beaucoup de soufre, de même que les marcassites. Pendant sa préparation une partie de ce soufre est dissipée par le feu ; ce qui en reste dans la pierre, est beaucoup dilaté & principalement celui qui est resté dans les pores vers la surface, est devenu fort subtil & semblable à une légere teinture de couleur jaunâtre. Ce soufre est si inflammable, qu’étant exposé à la lumiere du jour il s’allume, parce que la lumiere du jour est un véritable feu dispersé dans l’air ; une multitude de ces fort petites flammes étant disposées aux ouvertures des pores de la surface de cette pierre, la rendent lumineuse, quand même le ciel seroit couvert de nuages ; il suffit seulement que le soleil soit levé. Il sort continuellement de cette pierre ainsi préparée, une odeur semblable à celle du soufre ordinaire, & encore plus semblable à l’odeur de l’orpiment dissous en eau de chaux. Cette vapeur soufreuse est jointe à un peu d’acide rongeant, semblable à de l’esprit de soufre commun, mais beaucoup plus actif ; puisque cette vapeur, de même que celle d’un peu de soufre ordinaire enflammé, tache les métaux ; elle noircit la surface de l’argent, & de plus elle blanchit celle du cuivre, &c. Cette derniere remarque fait croire qu’il y a de petites parties d’arsenic ou d’orpiment mélées dans cette vapeur. Au reste, la pierre de Boulogne préparée, n’est lumineuse que pendant quelques années ; parce qu’enfin ces particules actives & sulphureuses se dissipent. On prétend que pour lui rétablir cette propriété, il faut encore la mettre au feu, comme auparavant, après l’avoir couverte de la poudre de semblables pierres, de même que la premiere fois.

Il y a bien d’autres pierres qui ont la propriété de s’imbiber de la lumiere, & de la conserver pendant long-tems.

Il suffit d’en mettre dans un creuset qu’il faut couvrir, & de faire chauffer le tout par un feu augmenté peu-à-peu, jusqu’à ce qu’il égale celui qui fond l’argent, & de les laisser en cet état, environ une demi-heure. Si ces pierres ne deviennent point lumineuses, ou le sont peu, il faut les chauffer une seconde, ou une troisieme fois, & elles le paroîtront. Si pourtant on ne réussissoit pas en les faisant chauffer ainsi, comme il arrive avec la craie, la marne, le moilon, la pierre de taille de Paris, &c. Il faut broyer de ces pierres tendres, & les mettre à dissoudre dans des liqueurs acides, par exemple, dans de l’eau forte, ou dans de l’esprit de salpêtre, en les y jettant peu-à-peu jusqu’à ce que la fermentation ait cessé. Alors cette liqueur étant versée par inclination dans une terrine de grès, il faut l’y faire évaporer jusqu’à ce qu’il reste une matiere seche. Un peu de cette matiere est mise dans un creuset, qui n’en soit qu’à demi-plein & découvert ; après l’avoir placé parmi des charbons ardens à un feu qui ne soit que comme pour fondre du plomb, cette matiere se fond, bouillonne, & devient seche. Le creuset étant refroidi, il est exposé à la lumiere ; ensuite porté dans un lieu obscur, la matiere qu’il contient paroît lumineuse & rougeâtre comme un charbon ardent, & s’éteint après quelques minutes. Cette propriété y est remarquée pendant quelques semaines : on prétend que les cendres dissoutes dans l’eau forte, & préparées comme les pierres tendres, deviennent lumineuses. Il y a lieu de croire que toutes les pierres qui peuvent être dissoutes par l’eau forte peuvent devenir lumineuses ; & que celles qui ne peuvent être dissoutes par l’eau forte, peuvent devenir lumineuses, après avoir été chauffées fortement, même par un feu de forge. Enfin, toutes les chaux différentes s’impregnent facilement d’une lumiere de diverses couleurs. Concluons par une remarque qui regarde généralement tous les phosphores ; c’est que pour les voir dans leur beauté, il faut avoir fermé les yeux pendant un peu de tems, afin que la prunelle se dilate ; ensuite les ouvrant, elle reçoit plus de cette lumiere, dont l’impression devient plus forte. Article de M. Formey.

Pierre dentale, dentalis lapis, ou dentalium, sorte de coquille, que les Apothicaires pulvérisent, & qu’ils emploient dans différens médicamens, comme un excellent alkali.

Le vrai dental, décrit par M. Tournefort, est fait en forme de tuyau ou de cône, & d’environ trois pouces de long : sa couleur est éclatante, & d’un blanc verdâtre. Cette pierre est creuse, légere, & divisée dans toute sa longueur par des lignes paralleles qui vont depuis les bas jusqu’en haut. Elle est environ de la grosseur d’une plume, & a quelque ressemblance avec la dent d’un chien.

Elle est fort rare ; c’est pour cela qu’on emploie souvent à sa place une sorte de coquille de diverses couleurs qu’on trouve dans le sable quand la mer est retirée, mais qui n’est point cannelée comme le dental.

M. Lister, dans les Transact. philosoph. parle de deux especes de dental : la premiere se trouve assez facilement aux environs de l’île de Guernesey ; elle est longue, mince, ronde, & creuse à chaque extrémité : d’où lui est venu le nom de dentalium, ou pierre semblable à la dent d’un chien. L’autre est proprement appellée entalium ; elle est plus longue & plus épaisse que la premiere, & outre cela rayée & sillonnée ; d’où est venu le mot italien intaglia.

Pierre a feu, est une sorte de pierre qui est utile, & dont on se sert pour les cheminées, les âtres, les fours, les étuves, &c. Voyez Pierre.

Pierres figurées, chez les Naturalistes ; ce sont de certains corps, que l’on trouve en terre, lesquels n’étant purement que de pierre, de caillou, ou de spath, ont néanmoins beaucoup de ressemblance avec la figure extérieure des muscles, des pétoncles, des huîtres, ou d’autres coquilles, plantes, ou animaux.

Les auteurs ne s’accordent guere sur l’origine de ces pierres figurées. Voyez leurs différentes opinions aux articles Fossile, Coquille, Pierre, Barre de bois.

Pierre a fusil, (Lythologie.) les paroisses de Meunes & de Coussy dans le Berry, à deux lieues de Saint-Aignan, & à demi-lieue du Cher, vers le midi, sont les endroits de la France qui produisent les meilleures pierres à fusil, & presque les seules bonnes. Aussi en fournissent-ils non-seulement la France, mais assez souvent les pays étrangers. On en tire de-là sans relâche depuis long-tems, peut-être depuis l’invention de la poudre ; & ce canton est fort borné ; cependant les pierres à fusil n’y manquent jamais ; dès qu’une carriere est vuide on la ferme, & plusieurs années après on y trouve des pierres à fusil, comme auparavant.

On sait comment ces pierres font du feu ; en les battant avec un morceau d’acier, on détache de petites particules d’acier, qui se fondent en globules par la collision ; c’est ce que l’on voit évidemment en faisant l’expérience sur une feuille de papier blanc, & en regardant par le microscope ce qui y tombe. M. Hook fut le premier qui fit cette expérience, & il trouva qu’une particule noire, qui n’étoit pas plus grosse que la tête d’une épingle, paroissoit comme une bale d’acier poli, & refléchissoit fortement l’image de la fenêtre voisine. Il est aisé de séparer les particules de fer fondu, d’avec les particules de la pierre, par un couteau aimanté. (D. J.)

Pierre de Florence, (Lythologie.) les pierres de Florence, qu’on trouve dans le voisinage de cette ville, & qui représentent des ruines, des paysages, des arbres, sont entre les mains de tout le monde ; les agates appellées dendrites, & sur lesquelles on voit des especes de buissons & de végétations, sont très-connues. Toutes ces pierres sont naturelles ; l’art n’a pu jusqu’à présent parvenir à les imiter ; mais il n’en est pas de même de toutes les autres agates & pierres figurées qui représentent des animaux, des fleurs, des desseins réguliers, des veines bisarres ; on les imite si aisément, que la plûpart de celles dont la singularité nous étonne, ne sont que le fruit d’un travail très-court & très-facile. (D. J.)

Pierre judaïque, judaïcus lapis, est une pierre blanche, tendre & friable, en forme de gland, sur laquelle il y a des lignes si industrieusement travaillées, qu’elles paroissent avoir été faites au tour.

Elle passe en Médecine pour posséder une vertu lithontriptique ; ce qui fait qu’on s’en sert pour rompre la pierre dans la vessie. Voyez Lithontriptique.

Pierre de lait, (Litholog.) pierre tendre, tantôt verte, tantôt noire, tantôt jaune, qui rend une liqueur laiteuse ; on la trouve en Saxe dans les carrieres ; les Allemands l’appellent milchstein, & la recommandent pour arrêter les crachemens de sang, pour resserrer les pores, & pour adoucir les douleurs de la vessie. Ils l’emploient en collyre pour dessécher les petits ulceres des paupieres, & pour arrêter le flux des larmes involontaires. En un mot, ils donnent à leur milchstein toutes les propriétés que Dioscoride attribue à son morochtus d’Egypte, comme s’il étoit certain que ce fussent les mêmes pierres, & que Dioscoride eut accusé juste sur les vertus de la sienne. On ne voit que des erreurs de cette nature en Médecine. (D. J.)

Pierre noire, (Hist. mod. superst.) c’est une pierre noire enchâssée dans de l’argent qui est assujettie dans la muraille, au S. E. de la Caaba, ou du temple de la Meque. Les anciens Arabes ont eu des l’antiquité la plus reculée, une très-grande vénération pour cette pierre ; Mahomet qui étoit venu mettre à profit les erreurs de ses compatriotes, ne crut point devoir rien changer à l’égard de la pierre noire, elle est encore jusqu’à ce jour l’objet des respects de tous les Musulmans qui vont en pélerinage à la Meque ; ils croient qu’elle est tombée du ciel du tems d’Adam, & qu’elle est devenue noire pour avoir été touchée par une femme dans le tems menstruel.

Pierre de S. Paul, (Hist. nat.) en italien pietra di S. Paulo, nom que l’on donne à une espece de craie, qui se trouve abondamment dans l’ile de Malte, elle est d’un blanc sale, seche & rude au toucher. C’est un absorbant, & on lui attribue un grand nombre de vertus, sur-tout contre la morsure des bêtes venimeuses ; effet que l’on croit être dû à l’apôtre saint Paul, lorsqu’il fit naufrage dans l’île de Malte ; on en fait de petits gâteaux avec des empreintes de saint Paul, & d’autres Saints. Voyez Malte. (terre de)

Pierre de Périgord, (Hist. nat. des Fossiles.) c’est une substance fossile, ferrugineuse, noire, dure & pesante, qui paroît contenir quelques particules de fer. On en tire des montagnes du Dauphiné, & elle ne sert qu’aux Potiers de terre & aux Emailleurs. Geoffroy. (D. J.)

Pierre-ponce, s. f. on trouve une prodigieuse quantité de ces pierres répandues dans toutes les Antilles, principalement dans les terreins voisins des Soufrieres : le canton de la Ravine seche, situé dans l’ile de la Martinique, au pié de la montage Pellée, en est tellement rempli, qu’on pourroit pour ainsi dire en bâtir une ville ; ou rencontre beaucoup de ces pierres plus grosses qu’un demi-boisseau ; elles ne different de celles dont se servent les Orfevres & les Doreurs, que par un peu moins de légereté & un peu plus de dureté, elles peuvent être facilement taillées avec une serpe, c’est de cette façon qu’on en forme des voussoirs de dix à douze pouces de clavée, dont on construit des voûtes extrèmement legeres, très-solides, & qui n’ayant point ou très-peu de poussée, n’exigent pas des murs fort épais ; on sait avec les pierres-ponce, des tuyaux de cheminées incomparablement meilleurs, & plus légers que ceux de brique, ces pierres aspirent très-bien le mortier, & se lient si parfaitement que ces joints ne se séparent jamais ; les murailles qui en sont construites ne sont point sujettes à s’écrouler comme celle, de moilons ; & si l’on réfléchit sur les qualités de la pierre ponce, on s’étonnera que messieurs les Ingénieurs en Amérique, n’en fassent pas plus d’usage pour la construction des parapets, des guérites, & autres ouvrages exposés au canon ; ils auroient moins à craindre les éclats, ainsi que cela arrive dans les murs de pierre ordinaire, & même dans ceux de brique.

Quoique la pierre-ponce paroisse devoir son existence & sa porosité aux feux souterreins, elle ne résiste pas long-tems à la chaleur d’un feu excité par le vent des soufflets ; je l’ai expérimenté dans des fourneaux de fusion, qui se fendirent de toute leur hauteur dans différens endroits.

Pierres schisteuses, (Hist. nat. Minéralogie.) Voyez Schiste.

Pierre spéculaire, (Hist. nat. des anc.) lapis specularis. C’étoit une pierre transparente dont les Romains faisoient leurs fenêtres & les glaces de leurs litieres. Les savans sont fort partages sur ce que c’étoit que cette pierre ; les uns soutiennent que la pierre speculaire des Romains, est celle que les Grecs nommoient σχιστὸς, d’autres veulent que ce soit l’ἀργυροδάμας, à cause qu’elle résiste à la violence du feu ; quelques-uns prétendent que c’est la pierre σεληνίτης, à laquelle les Romains ont donné le nom de pierre spéculaire, eu égard à sa transparence. M. Saumaise soutient que le lapis specularis, & le φεγγίτης sont la même chose. Comme cette diversité de sentimens marque que le lapis specularis n’est pas aujourd’hui trop connu, M. de Valois panche à croire que ce n’est autre chose que ce que l’on appelle talc en Allemagne & en France, non pas ce talc commun qui se trouve dans la plupart de nos carrieres, mais ce talc parfaitement blanc & transparent, dont il y a encore aujourd’hui une si grande quantité en Moscovie.

Le principal usage auquel le lapis specularis étoit employé par les Romains, c’étoit à fermer leurs fenêtres. Seneque fait mention de ces sortes de fenêtres, comme d’une chose établie de longue main, ce qui donne lieu de présumer qu’elle étoit déja en vogue dès le tems de la République ; c’étoit de la même pierre spéculaire que se faisoient les glaces des litieres couvertes des dames romaines.

A l’égard des fenêtres de verre, telles que sont maintenant les nôtres ; elles étoient deja en usage dans le v. siecle, puisque saint Jérôme en fait mention. (D. J.)

Pierres vitrescibles, ou vitrifiables, (Hist. nat. Minéralogie & Chimie.) c’est ainsi que l’on nomme les pierres que l’action du feu convertit en verre. Cette dénomination à parler strictement, ne convient à aucune pierre, vu qu’il n’y en a point qui sans addition soit propre à se vitrifier ; celles qui se changent en verre, contiennent quelque substance étrangere qui facilite la fusion, telle que du métal ou quelqu’autre terre qui jointe à celle qui fait la base de la pierre, la fait entrer en fusion, & y entre elle-même. D’un autre côté, au feu du soleil rassemblé par le miroir ardent, il n’y a aucune pierre qui en plus ou moins de tems ne se convertisse en verre. Voyez Fondant, Miroirs ardents, Pierres précieuses, & Vitrescibilité.

Pierre, (Médec.) on n’a rien de plus grave en Médecine que la formation de la pierre dans le corps humain, & les observations particulieres en ce genre, méritent d’être recueillies. Je n’en citerai pour exemple que quelques-unes.

1°. En ouvrant le corps d’un gentil-homme mort en Angleterre en 1750, on lui a trouvé 42 pierres dans les reins, 14 dans la vésicule du fiel, & 10 dans la vessie, qui pesoient 8 onces .

2°. On ne connoît que trop les pierres contenues dans la capacité de la vessie, mais qu’il s’en puisse trouver dans sa substance, dans ses parois, entre les membranes dont elle est formée, & des pierres qui soient dangereuses, c’est un accident assez extraordinaire en Medecine ; cependant M. Litre en dissequant le corps d’un jeune homme, a vû deux pierres, qui ayant percé l’uretere dans sa partie comprise entre les parois de la vessie, avoient passé par ce trou, s’étoient faites chacune un petit conduit dans la substance de la vessie & entre ses membranes, depuis le trou jusqu’à l’endroit ou elles s’étoient arrêtées, & même avoient du grossir en cet endroit, parce qu’elles étoient plus grandes que le trou par où elles avoient passé. Hist. de l’acad. année 1702.

3°. M. Dodart a fait voir à l’acad. des Sciences 12 pierres le diverses formes & grosseurs, toutes tirées d’un cadavre ; la plus grosse étoit du diametre d’un petit œuf, & la plus petite de celui d’une noix.

4°. Un chirurgien de Brest, trouva dans le cadavre d’un homme de 28 ans, un rein qui renfermoit une grosse pierre du poids de six onces & demie ; le corps de la pierre formé à l’ordinaire par couches, remplissoit la capacité du bassin, & par son bout inférieur enfiloit la route de l’uretere. Hist. de l’acad. année 1730.

5°. Un enfant de trois ans ne pouvant uriner par un étrange phimosis, le même M. Litre fit faire une incision au prépuce par le côté, & ensuite en fit retrancher la partie qui excédoit l’extrémité du gland. D’une grande cavité que ce prépuce formoit, il en sortit un peu d’urine & un nombre incroyable de pierres, les plus petites, grosses comme des têtes d’épingles, & les plus grosses étoient comme des pois, unies, grisâtres & friables. Il n’y a presque pas de doute, qu’elles ne se fussent formées des parties les plus grossieres de l’urine qui étoit retenue, tandis que la petite ouverture du prépuce, ne permettoit qu’aux plus subtiles de sortir, & ce qui le confirme encore, c’est qu’après l’opération, l’enfant ne rendit plus de pierres. Hist. de l’acad. année 1706.

6°. Passons en Italie, Dominica B. fille de basse condition, âgée d’environ 20 ans, couchoit avec une autre fille, qui auroit voulu faire avec elle les fonctions dont elle étoit incapable. Elle se servoit donc d’une grosse aiguille d’os à tête, de la longueur d’un doigt, qui dans une action particuliere entre les deux compagnes, entra par l’uretere de Dominica, & tomba dans la vessie. Dominica commença à n’uriner que goutte à goutte, & avec douleur. La honte de déclarer son avanture, lui fit cacher son mal pendant cinq mois ; mais enfin maigrissant & ayant de la fievre, elle eut recours à un chirurgien, qui ayant introduit le doigt dans le vagin, & ayant senti une dureté, découvrit avec un instrument un bout de l’aiguille, emporta les matieres pierreuses qui étoient à l’endroit, & crut avoir fait une belle opération ; mais la malade continuant d’être dans le même état, & n’ayant eu par cette manœuvre aucun soulagement, un autre chirurgien fut appellé.

Celui-ci introduisit la sonde dans la vessie qui étoit déchirée & ulcérée du côté du vagin, & il sentit un corps dur ; pour soulager les vives douleurs, il fit prendre à la malade beaucoup d’huile d’olive, & s’en tint là ; quelques jours après, la pierre qui s’étoit formée autour de l’aiguille, parut à l’orifice du vagin, par le trou fait à la vessie, & on la tira avec la main sans l’aide d’aucun instrument. La jeune fille se rétablit, mais il lui en est resté une incontinence d’urine, & de tems en tems de légeres inflammations dans ces parties. Hist. de l’acad. année 1735. Je laisse aux gens de l’art à recueillir un grand nombre d’autres observations semblables qui ne sont pas quelquefois sans utilité. (D. J.)

Pierre, (Critiq. sacrée.) πέτρος, πέτρα, un rocher. La pierre de division ; c’est le rocher du désert de Maton ; la pierre d’Ethan, est le rocher où Samson se retiroit, lorsqu’il faisoit la guerre aux Philistins. La pierre d’Ezel est an rocher auprès duquel David devoit attendre la réponse de son ami Jonathas. La pierre du secours indique le lieu où les Philistins prirent l’arche du Seigneur.

La pierre sur laquelle Notre-Seigneur dit qu’il édifiera son Eglise, Matth. xvj. 28. est expliquée par S. Augustin, de la doctrine du Sauveur lui-même, πέτρα, dans S. Luc, viij. 6. se prend pour un lieu pierreux ; ce mot désigne un fort, une forteresse dans le IV. liv. des Rois, xiv. 17. La pierre du désert, c’est la ville de Pétra.

Pierre au figuré, se prend pour asyle, II. Reg. xxij. 2. Il se trouve au propre pour les poids d’une balance. Il veut dire encore un monument, au Deut. xxvij. 4. parce que dans les premiers tems, ceux qui avoient fait ensemble quelque traité, élevoient des monceaux de pierres pour en conserver la mémoire, au défaut de l’Ecriture.

La pierre de Zohaleth, III. Reg. j. 9. étoit une de ces pierres rondes, fort pesantes, que les jeunes gens pour éprouver leurs forces tâchoient de lever. Pierre signifie l’idolatrie. Juda, saur d’Israël, s’est corrompue avec la pierre & le bois, Jérém. iij. 5. il se met pour la grêle dans Josué : le Seigneur fit tomber du ciel de grosses pierres, c’est-à-dire de la grêle d’une grosseur & d’une dureté prodigieuse. Le psalmiste, ps. lxxx. 17. dit, que Moise a rassasié les Hébreux du miel qui sortoit de la pierre, c’est-à-dire du miel que les abeilles avoient fait dans les trous des rochers. (D. J.)

Pierres fines, graveur en, (Gravure.) artiste qui grave en creux ou en relief sur les pierres fines, & même jusque sur les diamans. MM. Vasari, Vettori & Mariette, ont donné l’éloge ou la vie des maîtres qui s’y sont le plus distingués. Voyez aussi le mot Pierre gravée.

Pierre gravée, s’il est vrai que les inventions qui ont le besoin pour principes, ont dû précéder celles qui n’ont pour objet que le plaisir, & qu’elles sont de toute antiquité ; l’on peut faire remonter assez haut l’origine de la gravure. Bientôt l’industrie jointe au besoin, imagina l’art de s’exprimer, prit le ciseau, traça des figures, des traits qui devinrent autant d’expressions & d’images de la parole ; telle fut l’origine de cet art.

On doit présumer que les Egyptiens qui gravoient avec tant de facilité sur des matieres aussi dures que sont le granite, le basalte, & tous les autres marbres des carrieres de l’Egypte, n’ignorerent pas long-tems l’art de graver en creux sur les métaux, & singulierement en petit sur les pierres fines & sur les pierres précieuses. Moïse, Exord. xxv. 30. & ch. xxxix. v. 6. 14. parle avec éloge de Beséléel, de la tribu de Juda, qui grava les noms des douze tribus sur les différentes pierres précieuses dont étoient enrichies l’éphod, & le rational du grand prêtre.

On ne peut contester que l’art de la gravure sur les pierres fines qui avoit pris naissance dans l’Orient, n’y ait été toujours cultivé depuis sans interruption, moins pour satisfaire à un vain appareil de luxe, que par la nécessité où se trouvoient les peuples de ces pays-là, d’avoir des cachets : car aucun écrit, aucun acte n’y étoient tenus pour légitimes & pour authentiques, qu’autant qu’ils étoient revêtus du sceau de la personne qui les avoit dictés. L’Ecriture sainte le dit positivement ; Esther, ch. iij. v. 10. c. viij. v. 8. & les auteurs ont décrit l’anneau de Gigès, Plato in Politic. & celui de Darius. Enfin, qu’on ouvre encore les livres saints, Daniel VI. ch. xvij. qu’on consulte Hérodote, liv. I. l’on y verra qu’à Babylone, les grands avoient chacun leurs cachets particuliers.

Les Egyptiens & les principales nations de l’Asie, conserverent toujours leur attachement pour les pierres gravées. On sait que Mithridate en avoit fait un amas singulier, comme le dit Pline, liv. XXXVII. ch. j. & lorsque Lucuile, ce romain si célebre par sa magnificence & par ses richesses, aborde à Aléxandrie ; Ptolomée uniquement occupé du soin de lui plaire, ne trouve rien dans son empire de plus précieux à lui offrir qu’une émeraude montée en or, sur laquelle le portrait de ce prince égyptien étoit gravé. Celui de Bacchus l’étoit sur la bague de Cléopatre, & le graveur s’y montra aussi fin courtisan, que supérieur dans son art. On connoît la jolie épigramme qui courut alors, & la charmante traduction en vers qu’en a donné M. Hardion ; c’est la neuvieme du liv. IV. ch. xviij. de l’Anthologie.

Le commerce maritime des Etrusques les ayant liés avec les Egyptiens, les Phéniciens, & quelques autres peuples de l’Orient ; ils apprirent les mêmes arts & les mêmes sciences que ces nations professoient, & ils les apporterent en Italie. Ce n’est guere que le commerce qui forme en quelque façon de différens peuples, une seule nation. Les Etrusques commencerent donc à se familiariser avec les arts, heureux fruits de la paix & de l’abondance ! Ils cultiverent la sculpture, la peinture, l’architecture, & ils ne montrerent pas moins de talens pour la gravure sur les pierres fines.

Le commencement des arts ne fut point différent en Grece de ce qu’il avoit été en Etrurie. Ce furent encore les Egyptiens qui mirent les instrumens des arts entre les mains des Grecs, en même tems qu’ils dictoient à Platon les principes de la sagesse qu’il étoit venu puiser chez eux, & qu’ils permettoient aux législateurs grecs de transcrire leurs lois pour les établir ensuite dans leur pays.

Cette nation toute ingénieuse qu’elle étoit, demeura dans l’ignorance de la gravure jusqu’à Dédale, qui le premier sut animer la sculpture, en donnant du mouvement à ses figures. Il vivoit vers les tems de la guerre de Troye, environ douze cens ans avant J. C. Ce ne fut cependant que dans le siecle d’Alexandre, que les progrès des arts parurent en Grece dans tout leur éclat. Alors se montrerent les Apelles, les Lysippes & les Pyrgotèles, qui partageant les faveurs & les bienfaits de cet illustre conquérant, disputerent à qui le représenteroit avec plus de grace & de dignité. Le premier y employa son pinceau avec le succès que personne n’ignore, & Lysippe ayant été choisi pour former en bronze le buste de ce prince, Pyrgotele fut seul jugé digne de le graver.

La Nature ne produit point des hommes si rares, sans leur donner pour émules d’autres hommes de génie ; ainsi l’on vit se répandre par toute la Grece une multitude d’excellens artistes ; & pour me renfermer dans mon sujet, il y eut dans toutes les villes des graveurs d’un mérite distingué. L’art de la gravure en pierres fines eut entre les mains des Grecs les succès que promettent des travaux assidus & multipliés ; il ne fallut plus chercher de bons graveurs hors de chez eux, & ces peuples se maintinrent dans cette supériorité. Cronius, Apollonide, Dioscoride, Solon, Hyllus, & beaucoup d’autres dont les noms se sont conservés sur leurs gravures, se rendirent très-célebres dans cette profession. En un mot, on ne trouve gueres sur les belles pierres gravées d’autres noms que des noms grecs.

Les Romains ne prirent du gout pour les beaux Arts, que lorsqu’ayant pénétré dans la Grece & dans l’Asie, ils eurent été témoins de la haute estime qu’on y faisoit des grands artistes dans les arts libéraux., ainsi que de leurs productions. Alors ils se livrerent à la recherche des belles choses, & ne mettant point de bornes à la curiosité des pierres gravées, non-seulement ils en dépouillerent la Grece, mais ils attirerent encore à Rome pour en graver de nouvelles ; les Dioscorides, les Solon, & d’autres artistes aussi distingués. On para les statues des dieux de ces sortes d’ornemens, on en monta des bagues à l’usage de toutes les conditions. Et qui le pourroit croire ! il se rencontra des voluptueux assez délicats pour ne pouvoir soutenir pendant l’été le poids trop pesant de ces sortes de bagues, Juven. Sat. I. v. 38. il fallut en faire de plus légeres & de plus épaisses pour les différentes saisons.

Quand les personnes moins riches n’avoient pas le moyen de se procurer une pierre fine, ils faisoient seulement monter sur leurs anneaux un morceau de verre colorié, gravé ou moulé, sur quelque belle gravure ; & l’on voit aujourd’hui dans plusieurs cabinets de ces verres antiques, dont quelques-uns tiennent lieu d’excellentes gravures antiques qu’on n’a plus.

Leurs anneaux, leurs bagues, leurs pierres gravées, servoient à cacheter ce qu’ils avoient de plus cher & de plus précieux, en particulier leurs lettres ou leurs tablettes. Cette coutume a passé de siecle en siecle, & est venue jusqu’à nos jours, sans avoir souffert presque aucune variation. Elle subsiste encore dans toute l’Europe, & jusques chez les Orientaux ; & c’est ce qui a mis ces derniers peuples, si peu curieux d’ailleurs de cultiver les Arts, dans la nécessité d’exercer celui de la gravure en creux sur les pierres fines, afin d’avoir des cachets à leur usage.

Comme tous les citoyens, au-moins les chefs de chaque famille, devoient posséder un anneau en propre ; il n’étoit pas permis à un graveur de faire en même tems le même cachet pour deux personnes différentes ; l’histoire nous a décrit les sujets de plusieurs de ces cachets. Jules-César avoit fait graver sur le sien l’image de Vénus armée d’un dard ; gravure dont les copies se sont multipliées à l’infini. Le célebre Dioscoride avoit gravé celui d’Auguste. Le cachet de Pompée représentoit un lion, tenant une épée. Apollon & Marsias étoient exprimés sur le cachet de Néron. Scipion l’Afriquain fit représenter sur le sien le portrait de Syphax qu’il avoit vaincu.

Les premiers chrétiens qui vivoient confondus avec les Grecs & les Romains, avoient pour signes de reconnoissance des cachets sur lesquels étoient gravés le monogramme de Jesus-Christ, une colombe, un poisson, une anchre, une lyre, la nacelle de S. Pierre, & autres pareils symboles.

Le luxe & la mollesse Asiatique qui s’accrurent chez les Romains avec leurs conquêtes, ne mirent plus de bornes au nombre & aux usages des pierres gravées. Ces maîtres du monde crurent en devoir enrichir leurs vétemens, & en relever ainsi la magnificence. Les dames Romaines les firent passer dans leurs coëffures ; les bracelets, les agraffes, les agraffes, les ceintures, le bord des robes en furent parsemés, & souvent avec profusion. L’empereur Eliogabale porta cet excès si loin, qu’il faisoit mettre sur sa chaussure des pierres gravées d’un prix inestimable, & qu’il ne vouloit plus revoir celles qui lui avoient une fois servi ; Lampride, in vitâ Eliogabal. ch. xxiij.

Il y avoit sans doute des pierres gravées, faites uniquement pour la parure, & l’on peut regarder comme telles ces émeraudes, ces saphirs, ces topases, ces améthystes, ces grenats, & généralement toutes ces autres pierres précieuses de couleur, sur la surface desquelles sont des gravures en creux, mais dont la superficie, au lieu d’être plate, est convexe, & fait appeller la pierre, un cabochon. Il faut encore ranger dans cette classe toutes ces pierres gravées qui passent une certaine grandeur, & qui n’ayant jamais pu être portées en bagues, ne paroissent avoir été travaillées que pour l’ornement, ou pour satisfaire la curiosité de quelques personnes de goût. Il n’est pas douteux que les pierres gravées en relief, ou ce que nous nommons des camées, n’entrassent aussi dans les ajustemens dont elles étoient propres à relever la richesse & l’éclat.

Le Christianisme s’étant établi sur les ruines du paganisme, l’univers changea de face, & présenta un spectacle nouveau ; les anciennes pratiques furent la plûpart abandonnées, & l’on cessa par conséquent d’employer les pierres gravées à une partie des usages auxquels on les avoit fait servir jusqu’alors, elles ne servirent plus qu’à cacheter ; mais quand la barbarie vint à inonder toute l’Europe, l’on ne cacheta plus avec les pierres gravées ; l’on se soucia encore moins d’en porter en bagues, l’on n’étoit plus en état d’en connoître le prix. Elles se dissiperent ; plusieurs rentrerent dans le sein de la terre pour reparoître dans un siecle plus éclairé & plus digne de les posséder. D’autres furent employées à orner des châsses, & à divers ouvrages d’orfévrerie à l’usage des églises, car c’étoit le goût dominant ; c’étoit à qui feroit plus de dépenses en reliquaires, & à qui en enrichiroit les autels d’un plus grand nombre. Plusieurs de ces anciennes gravures inestimables ; plusieurs de ces précieux camées que les empereurs d’Orient avoient emportés de Rome, ne sortirent du lieu où ils avoient été transférés, & ne repasserent dans l’Occident, que pour venir y occuper des places dans les chapelles, & y tenir rang avec les reliques. Les Vénitiens en remplirent le fameux trésor de l’église de S. Marc, & les François en apporterent plusieurs en France durant les croisades. Depuis très-long-tems, la belle tête de Julia, fille de Titus, & plusieurs gravures représentant des sujets profanes, sont confondues avec les reliques dans le trésor de l’abbaye de S. Denis.

On ne peut sans doute excuser un si grand fonds d’ignorance de ces siecles barbares, & c’est cependant à ce défaut de lumieres, que nous sommes redevables de la conservation d’une infinité de précieux morceaux de gravures antiques, qui autrement auroient couru le risque de ne point arriver jusqu’à nous ; car enfin si ceux qui vivoient dans ces siecles barbares eussent été plus éclairés, le même zele de religion qui leur faisoit rechercher toutes sortes de pierres gravées pour en parer nos autels & les reliques des saints, leur eût fait rejetter toutes celles qui avoient rapport au paganisme, & les eût peut-être portés à les détruire.

On sent bien que cette perte eût été grande, quand on réfléchit sur l’utilité qu’on peut retirer des pierres gravées ; je ne parle pas de leurs vertus occultes, ce ne sont que des idées folles ; je ne prétends pas non plus relever le prix & la beauté de la matiere, mais je parle d’abord du plaisir que fournit à l’esprit le travail que l’art y sait mettre. Ces précieux restes d’antiquité sont la source d’une infinité de connoissances, ils perfectionnent le goût, & meublent l’imagination des idées les plus nobles & les plus magnifiques. C’est de deux pierres gravées antiques qu’Annibal Carrache a emprunté les pensées de deux de ses plus beaux tableaux du cabinet du palais Farnese à Rome. L’Hercule qui porte le ciel est une imitation d’une gravure antique qui est chez le roi.

Quoique les pierres gravées ne soient pas des ouvrages aussi sublimes que les admirables productions des anciens sculpteurs, elles ont cependant quelques avantages sur les bas-reliefs & les statues. Ces avantages naissent de la matiere même des pierres gravées & de la nature du travail ; comme cette matiere est très dure, & que le travail est enfoncé (il n’est ici question que des gravures en creux), l’ouvrage est à l’abri de l’usure (qu’on me permette d’employer ce mot), & se trouve en même tems garanti d’un nombre infini d’autres accidens, que les grands morceaux de sculpture en marbre n’ont que trop souvent éprouvés.

Comme il n’est rien de si satisfaisant que d’avoir des portraits fideles des hommes illustres de la Grece & de Rome, c’est encore dans les pierres gravées qu’on peut les trouver ; c’est où l’on peut s’assûrer avec le plus de certitude de la vérité de la ressemblance. Aucun trait n’y a été altéré par la vétusté ; rien n’y a été émoussé par le frottement comme dans les médailles & dans les marbres. Il est encore consolant de pouvoir imaginer que ces statues & ces groupes qui firent autrefois le sujet de l’admiration d’Athènes & de Rome, & qui sont l’objet de nos justes regrets, se retrouvent sur les pierres gravées. Ce n’est point ici une vaine conjecture ; l’on a sur des pierres gravées indubitablement antiques la représentation de plusieurs belles statues greques qui subsistent encore : sans sortir du cabinet du roi de France, l’on y peut voir sur des cornalines la statue d’Hercule de Farnese, un des chevaux de Monte-Cavallo, & le groupe de Laocoon.

Indépendamment de tous les avantages qu’on vient d’attribuer aux pierres gravées, elles en ont encore un de commun avec les autres monumens de l’antiquité ; c’est de servir à éclaircir plusieurs points importans de la Mythologie, de l’Histoire & des Coûtumes anciennes. S’il étoit possible de rassembler en un seul corps toutes les pierres gravées qui sont éparses de côté & d’autre, on pourroit se flatter d’y avoir une suite assez complette de portraits des grands hommes & des divinités du Paganisme, presque toutes caractérisés par des attributs singuliers qui ont rapport à leurs cultes ; combien n’y verroit-on point de différens sacrifices ? Combien de sortes de fêtes, de jeux & de spectacles qui sont encore plus intéressans, lorsque les anciens auteurs nous mettent en état de les entendre par les descriptions qu’ils en ont laissées ?

Cette belle pierre gravée du cabinet de feu S. A. R. madame, où est représenté Thésée levant la pierre sous laquelle étoient cachées les preuves de sa naissance ; cette autre du cabinet du roi, où Jugurtha prisonnier est livré à Sylla, ne deviennent-elles pas des monumens curieux, par cela même qu’elles donnent une nouvelle force au témoignage de Plutarque, qui a rapporté ces circonstances de la vie de ces deux grands capitaines (vie de Thésée & de Marius) ?

Il faut pourtant avouer que de cette abondance de matiere il en résulteroit la difficulté insurmontable de donner des explications de la plus grande partie de ces pierres gravées. Mais quoique ces sortes d’explications ne soient point susceptibles de certitude, quoique nous n’ayons souvent que des conjectures sur ces sortes de monumens que nous possédons, cependant ces conjectures mêmes conduisent quelquefois à des éclaircissemens également utiles & curieux.

La chûte de l’empire romain entraîna celle des beaux-arts ; ils furent négligés pendant très-long-tems, ou du-moins ils furent exercés par des ouvriers qui ne connoissoient que le pur méchanisme de leur profession, & ils ne se releverent que vers le milieu du xv. siecle. La Peinture & la Sculpture qui ne vont jamais l’une sans l’autre, reparurent alors en Italie dans leur premier lustre, & l’on recommença à y graver avec goût tant en creux qu’en relief. Le celebre Laurent de Médicis, surnommé le magnifique & le pere des lettres, fut le principal & le plus ardent promoteur de ce renouvellement de la gravure sur les pierres fines. Comme il avoit un amour singulier pour tout ce qui portoit le nom d’antique, outre les anciens manuscrits, les bronzes & les marbres, il avoit encore fait un précieux assemblage de pierres gravées qu’il avoit tirées de la Grece & de l’Asie, ou qu’il avoit recueillies dans son propre pays, la vûe de ces belles choses qu’il possédoit, autant pour en jouir que pour avoir le plaisir de les communiquer, anima quelques artistes qui se consacrerent à la Gravure ; lui-même, pour augmenter l’émulation, leur distribua des ouvrages. Le nom de ce grand protecteur des arts, j’ai presque dit ce grand homme, se lit sur plusieurs pierres qu’il fit graver ou qui lui ont appartenu.

Alors parut à Florence Jean, qu’on surnomma Delle-Corniuole, parce qu’il réussissoit à graver en creux sur des cornalines, & l’on vit à Milan Domique, appellé De’Camei, à cause qu’il fit de fort beaux camées. Ces habiles gens formerent des éleves, & eurent bien-tôt quantité d’imitateurs. Le Vasari en nomme plusieurs, entre lesquels je me contenterai de rappeller ceux qui ont mérité une plus grande réputation ; Jean Bernardi de Castal-Bolognese, Matthieu del Nasaro (ce dernier passa une grande partie de sa vie en France au service de François I.) ; Jean-Jacques Caraglio de Vérone, qui n’a pas moins réussi dans la gravure des estampes ; Valério Belli de Vicence, plus connu sous le nom de Valerio Vicentini ; Louis Anichini, & Alexandre Césari, surnommé le Grec. Les curieux conservent dans leurs cabinets des ouvrages de ces graveurs modernes, & ce n’est pas sans raison qu’ils en admirent la beauté du travail. Qu’on n’y cherche pas cependant ni cette premiere finesse de pensée, ni cette extrême précision de dessein qui constituent le caractere du bel antique ; tout ce qu’ils ont fait de plus beau, n’est que bien médiocre mis en parallele avec les excellentes productions de la Grece.

Ce n’est peut-être pas tant à l’incapacité qui jusqu’à présent a empêché les graveurs modernes d’approcher de ceux de l’antiquité, qu’à l’ingratitude de la profession, à laquelle il en faut attribuer la cause ; du-moins jamais nos artistes ne montrerent plus de talens ni plus d’ardeur. Lorsqu’ils ont eu à graver des pierres en relief, travail aussi long & presque aussi difficile que celui de la gravure en creux, ils ont fait de très-belles choses. Tels sont les portraits qu’ils ont exécutés dans ce genre ; il y en a tel qu’on pourroit ranger à la suite du bel antique. Telles sont quelques autres ouvrages soignés & exécutés dans ces derniers tems par l’habile Sirlet.

2°. De la matiere sur laquelle on grave. Les anciens graveurs qui en cela ont été suivis par tous les modernes, paroissent n’avoir excepté aucune des pierres fines, ni même des pierres précieuses pour graver dessus, hormis que ces pierres ne se soient trouvées si recommandables par elles-mêmes, que c’eût été un meurtre de les faire servir à la gravure. Encore aujourd’hui l’on a pour de telles pierres précieuses les mêmes égards. Du reste, on rencontre tous les jours des gravures sur des améthystes, des saphirs, des topases, des chrysolites, des péridots, des hyacintes & des grenats. On en voit sur des bérylles ou aigues-marines, des primes d’émeraudes & d’améthystes, des opales, des turquoises, des malachites, des cornalines, des chalcédoines & des agates. Les jaspes rouges, jaunes, verds & de diverses autres couleurs, & en particulier les jaspes sanguins, le jade, des cailloux singuliers, des morceaux de lapis ou lyanée, & des tables de crystal de roche ont aussi servi de matiere pour la gravure, même d’assez belles émeraudes & des rubis y ont servi. Mais de toutes les pierres fines, celles qu’on a toujours employées plus volontiers par la gravure en creux, sont les agates & les cornalines ou sardoines, tandis que les différentes especes agates-onix semblent avoir été réservées pour les reliefs.

C’est à la variété des couleurs dont la nature a embelli les agates, que nous devons ces beaux camées, qu’un savant pinceau n’auroit pû peindre avec plus de justesse, & qui presque tous sont des productions de nos graveurs modernes.

Ne passons pas ici sous silence des gravures singulieres & qui peuvent marcher à la suite des pierres gravées. Ce sont des agates ou d’autres pierres fines sur lesquelles des têtes ou des figures en basse-taille & ciselées en or ont été rapportées & incrustées, de façon qu’à la différence près de la matiere elles font presque le même effet que les véritables camées. On en voit une à Florence, qui appartenoit à l’électrice palatine Anne-Marie-Louise de Médicis, en qui tout est fini. Cette belle gravure doit se trouver dans le cabinet du grand-duc : c’est peut-être un Apollon vainqueur du serpent Pithon ; il y en a une représentation dans le Musæum Florent. t. I. tab. 66. n°. 1. En 1749, un Italien a distribué à Paris plusieurs pierres semblablement incrustées ; & comme il en avoit nombre & qu’elles étoient trop bien conservées pour n’être pas suspectes, les connoisseurs sont persuadés que c’étoient des pieces modernes.

Le diamant, la seule pierre précieuse sur laquelle on n’avoit pas encore essayé de graver, l’a été dans ces derniers siecles. Il est vrai que M. André Cornaro, venitien, annonça en 1723 une tête de Néron gravée en creux sur un diamant, & pour relever le prix de cette gravure qu’il estimoit douze mille sequins, il assûroit qu’elle étoit antique. Mais on ne peut guere douter du contraire, & peut-être son diamant étoit un ouvrage de Constanzi qui a long-tems travaillé à Rome avec distinction. Lorsque Clément Birague, milanois, que Philippe II. avoit attiré en Espagne, & qui se trouvoit à Madrid en 1564, fit l’essai de graver sur le diamant, personne n’avoit encore tenté la même opération. Cet ingénieux artiste y grava pour l’infortuné dom Carlos le portrait de ce jeune prince, & sur son cachet qui étoit un autre diamant, il mit les armes de la monarchie espagnole. L’on a fait voir à Paris un diamant où étoient gravées ou plutôt égratignées les armes de France ; l’on dit qu’il y en a un semblable dans le trésor de la reine d’Hongrie à Vienne, & que le cachet du feu roi de Prusse étoit pareillement gravé sur un diamant. Au reste, ces gravures ne peuvent être ni bien profondes, ni fort arrêtées, ni faites sur des diamans parfaits. Ajoutez que souvent l’on montre des gravures qu’on dit être faites sur des diamans, & qui ne le sont réellement que sur des saphirs blancs.

3°. De la distinction des pierres antiques d’avec les modernes. Comme il regne beaucoup de ruse, de fraude & de stratagème pour tromper au sujet des pierres gravées, on demande s’il y a des moyens de distinguer l’antique du moderne, les originaux des copies ; quelques curieux se sont fait là-dessus des regles qui, toutes incertaines qu’elles sont, méritent cependant d’être rapportées.

Ils commencent par examiner l’espece de la pierre : si cette pierre est orientale, parfaite dans sa qualité, si c’est quelque pierre fine dont la carriere soit perdue, telles que sont, par exemple, les cornalines de la vieille roche ; si le poli en est très-beau, bien égal & bien luisant, c’est, selon eux, des preuves de l’antiquité d’une gravure. Il est certain que l’examen de la qualité d’une pierre gravée & de son beau poli ne sont point des choses indifférentes ; mais l’on a vu plus d’une fois nos graveurs effacer d’anciennes mauvaises gravures, retoucher des antiques, apporter dans le poliment une grande dextérité pour mieux tromper les connoisseurs. D’ailleurs ce seroit peut-être une preuve encore plus certaine de l’antique d’une pierre gravée, si la surface extérieure d’une telle pierre étoit dépolie par le frottement ; car les anciens gravoient pour l’usage, & toute pierre qui a servi doit s’en ressentir.

Les curieux croient encore reconnoître certainement si les inscriptions gravées en creux sur les pierres sont vraies ou supposées, & cela par la régularité & la proportion des lettres, & par la finesse des jambes ; mais il n’y a guere de certitude dans ces sortes d’observations ; tout graveur qui voudra s’en donner la peine & qui aura une main légere, tracera des lettres qui imiteront si bien celles des anciens, même celles qui sont formées par des points, que les plus fins connoisseurs prendront le change ; & ce stratageme conçu en Italie pour se jouer de certains curieux nourris dans la prévention, n’a que trop bien réussi. Ils ont corrompu jusque aux pierres gravées antiques, en y mettant de fausses inscriptions ; & c’est ce qu’ils exécutent avec d’autant plus de sécurité qu’il leur est plus facile alors d’en imposer. Qui pourra donc assûrer que plusieurs de ces noms d’artistes qui se lisent sur les pierres gravées, & même auprès de fort belles gravures, n’y auront pas été ajoutées dans des siecles postérieurs ? sur-tout que depuis M. Gori a fait observer que le nom de Cléomenes écrit en grec, qu’on voit sur le socle de la fameuse & belle statue de la Vénus de Médicis, est une inscription postiche.

Il n’est pas plus difficile d’ajouter sur les pierres gravées, de ces cercles & de ces bordures en forme de cordon, qui suivant le sentiment de M. Gori, caractérisent les pierres étrusques, & sont un signe certain pour les reconnoître.

D’autres curieux prétendent que les anciens n’ont jamais grave que sur des pierres de figures rondes ou ovales ; & lorsqu’on leur en montre quelques-unes d’une autre forme, telles que sont des pierres quarrées ou à pans, ils ne balancent pas à dire que la gravure en est moderne, ce qui n’est pas toujours exactement vrai.

Quelques négligences qui se seroient glissées dans des parties accessoires au milieu des plus grandes beautés, ne doivent pas non plus faire juger qu’une gravure n’est pas antique : on en devroit peut-être conclure tout le contraire, d’autant que les gravures modernes sont en général assez suivies, & que celles des anciens ont assez souvent le défaut qu’on vient de remarquer. On peut citer pour exemple l’enlevement du palladium grave par Dioscoride : le Diomede qui est la maitresse figure, réunit toutes les perfections, presque tout le reste est d’un travail si peu soigné, qu’à peine seroit-il avoué par des ouvriers médiocres. Cet habile artiste auroit-il prétendu relever l’excellence de sa production par ce contraste, ou auroit-il craint que l’œil s’arrêtant sur des objets étrangers, il ne se portât pas assez entiererement sur la principale figure ?

Mais une pierre gravée qui seroit enchâssée dans son ancienne monture ; une autre qu’on sauroit, à n’en pouvoir douter, avoir été trouvée depuis peu à l’ouverture d’un tombeau, ou sous d’anciens décombres qui n’auroient jamais été fouillés, mériteroit d’être reçue pour antique. Il paroit aussi qu’on ne devroit pas moins estimer une pierre gravée qui nous viendroit de ces pays où les arts ne se sont point relevés depuis leur chûte : par exemple, des pierres gravées qui sont tirées & apportées du Levant, ne sont pas susceptibles d’altérations par le défaut d’ouvriers, comme le sont celles qu’on découvre en Europe ; enfin outre la certitude de l’antiquité pour la pierre gravée, il faut encore qu’elle soit réellement belle pour mériter l’estime des curieux. Concluons donc que la connoissance du dessein, jointe à celle des manieres & du travail, est le seul moyen pour se former le goût, & devenir un bon juge dans les arts, & en particulier dans la connoissance du mérite des pierres gravées, tant antiques que modernes.

4°. Des illustres graveurs en pierres fines. Il semble qu’il manque quelque chose à l’histoire des arts, si elle ne marche accompagnée de celle des artistes qui s’y sont distingués. C’est ce qui a engagé Mrs Vasari, Vettori, & Mariette, à faire la vie de ces illustres artistes ; il nous suffira néanmoins d’indiquer les noms des principaux parmi les modernes qui ont paru depuis la renaissance des arts.

Tout le monde sait que la chûte du bon goût suivit de fort près celle de l’empire Romain ; des ouvriers grossiers & ignorans prirent la place des grands maîtres, & semblerent ne plus travailler que pour accélerer la ruine des beaux-arts. Cependant dans le tems même qu’ils s’éloignoient à si grands pas de la perfection, ils se rendoient, sans qu’on y prît garde, utiles, & même nécessaires à la postérité ? En continuant d’opérer, bien ou mal, ils perpétuerent les pratiques manuelles des anciens ; pratiques dont la perte étoit sans cela inévitable, & n’auroit peut-être pû se retrouver. Il est donc heureux que l’art de la gravure en pierres fines n’ait souffert aucune interruption, & qu’il y ait eû une succession suivie de graveurs qui se soient instruits les uns les autres, & qui se soient mis, pour ainsi dire, à la main, les outils, sans lesquels cet art ne sauroit se pratiquer.

Ceux d’entre eux qui abandonnerent la Grece dans le quinzieme siecle, & qui vinrent se chercher un asyle en Italie, pour se soustraire à la tyrannie des Turcs leurs nouveaux maîtres, y firent paroître pour la premiere fois quelques ouvrages, qui un peu moins informes que les gravures qui s’y faisoient journellement, servirent de prélude au renouvellement des arts, qui se préparoit. Les pontificats de Martin V. & de Paul II. furent témoins de ces premiers essais ; mais Laurent de Médicis, le plus illustre protecteur que les arts aient rencontré, fut le principal moteur du grand changement qu’éprouva celui de la gravure. Sa passion pour les pierres gravées & pour les camées, lui fit rechercher, ainsi que je l’ai déjà remarqué, les meilleurs graveurs ; il les rassembla auprès de sa personne ; il leur distribua des ouvrages ; il les anima par ses bienfaits, & l’art de la gravure en pierres fines reprit une nouvelle vie.

Jean delle’ Cornivole fut regardé comme le restaurateur de la gravure en creux des pierres fines, & Dominique de Camei de la gravure en relief. Ces deux artistes furent bien-tôt surpassés par Pierre-Marie de Pescia, & par Michélino. L’art de la gravure en pierres fines, s’étendit rapidement dans toutes les parties de l’Italie. Cependant il étoit reservé à Jean Bernardi, né à Castel-Bolognèse, ville de la Romagne, d’enseigner aux graveurs modernes à se rendre de dignes imitateurs de ceux des anciens. Entre autres ouvrages de gravure de ce célebre artiste, on vante beaucoup son Titius, auquel un vautour déchire le cœur, gravé d’après le dessein de Michel-Ange : comblé d’honneurs & de biens, il expira en 1555. Dans ce tems-là François I. avoit attiré en France le fameux Mathieu del Nassaro, qui s’occupa à former parmi nous des éleves qui fussent en état de perpétuer dans le royaume l’art qu’il y avoit fait connoître.

Pendant le même tems, Luigi Anichini, & surtout Alexandre Cesari, sur-nommé le Grec, gravoit à Rome avec éclat toutes sortes de sujets sur des pierres fines : le chef-d’œuvre de ce dernier est un camée représentant la tête de Phocion l’athénien. Jacques de Trezzo embellissoit alors l’Escurial par ses ouvrages en ce genre.

Quand l’empereur Rodolphe II. monta sur le trône il protégea les arts, fit fleurir celui de la Gravure en Allemagne dans le dix-septieme siecle, & employa particulierement Gaspard l’Héman, & Miseroni ; mais aucun de ces graveurs n’a pu soutenir le parallele du Coldoré, qui fleurissoit en France vers la fin du seizieme siecle, & qui a vécu jusque sous le regne de Louis XIII. Cependant parmi les graveurs françois, personne n’a mérité cette brillante réputation dont Flavius Sirlet a joui dans Rome jusqu’à sa mort, arrivée le 15 Août 1737 ; on ne connoît aucun graveur moderne qui l’égale pour la finesse de la touche : il nous adonné sur des pierres fines des représentations en petit des plus belles statues antiques qui sont à Rome : le groupe du Laocoon est son chef d’œuvre.

Celui qui se distinguoit dernierement le plus dans cette ville, est le chevalier Charles Costanzi ; il a gravé sur des diamans, pour le roi de Portugal, une Léda, & une tête d’Antinoüs.

Je n’ai point parlé des graveurs qu’a produit l’Angleterre, parce que la plus grande partie sont demeurés fort au-dessous du médiocre ; il faut pourtant excepter Charles Chrétien Reisen qui a mérité une des premieres places parmi les graveurs en creux sur les pierres fines, & qui a eu pour éleve un nommé Claus, mort en 1739, ensuite Smart, & enfin Seaton, qui étoit de nos jours le premier graveur de Londres.

Mais nous avons lieu de regretter un de nos graveurs françois, mort en 1746, & qui faisoit honneur à la nation ; je parle de M. François-Julien Barier, graveur ordinaire du roi en pierres fines, homme de goût, né industrieux, & qui a fait dans l’un & dans l’autre genre de gravure, des ouvrages qui ont assuré sa réputation ; il ne lui manquoit qu’une plus parfaite connoissance du dessein.

M. Jacques Guay qui lui a succédé, ne doit point craindre d’essuyer un pareil reproche ; il dessine très-bien, & modele de même ; il a visité toute l’Italie pour se perfectionner, & a retiré de grands fruits de ses voyages. Il a jetté beaucoup d’esprit sur une cornaline, où il a exprimé en petit, d’après le dessein de M. Bouchardon, le triomphe de Fontenoy.

5°. De la pratique de la gravure en pierres fines. Quand on examine avec attention ce que Pline a dit de la maniere de graver sur les pierres précieuses, on demeure pleinement convaincu que les anciens n’ont point connu d’autres méthodes, que celles qui se pratiquent aujourd’hui. Ils ont dû se servir comme nous du touret, & de ces outils d’acier ou de cuivre, qu’on nomme scies & bouterolles ; & dans l’occasion ils ont pareillement employé la pointe du diamant. Le témoignage de Pline est formel, liv. XXXVII. ch. iv & ch. xiij. ce qui mettra cette vérité dans tout son jour, sera de donner ici la description détaillée de notre maniere de graver ; mais il faut la laisser faire à cet habile auteur notre collegue, qui après avoir puisé chez les artistes tout ce qui concerne les arts, sait les décrire dans cet ouvrage avec des talens au-dessus de mes éloges.

6°. Des pierres gravées factices. L’extrème rareté des pierres précieuses, & le vif empressement avec lequel on les recherchoit dans l’antiquité, ne permettant qu’aux personnes riches d’en avoir, firent imaginer des moyens pour satisfaire ceux qui manquant de facultés, n’en étoient pas moins possédés du desir de paroître. On employa le verre, on le travailla, on lui allia divers métaux, & en le faisant passer par différens degrés de feu, il n’y eut presque aucune pierre précieuse dont on ne lui fit prendre la couleur & la forme. On a retrouvé ce secret dans le quinzieme siecle, & on est rentré en possession de faire de ces pâtes ou pierres factices, que quelques uns appellent des compositions. Voyez Pate de verre ou Pierre gravée factice.

7°. De la maniere de tirer les empreintes. Pour ce qui regarde les diverses manieres de tirer des empreintes sur les plus belles pierres gravées, voyez le mot Empreinte.

8°. De la conservation des pierres gravées. Un amateur tâche de conserver ses pierres gravées, & a pour cet effet des écrains ou baguiers. Voyez Ecrain.

9°. Des auteurs sur les pierres gravées. Entre un si grand nombre d’auteurs, qui depuis Pline jusqu’à nous ont traité des pierres gravées, nous ne nous proposons ici que de nommer les principaux ; les curieux peuvent recourir à la partie si intéressante du livre de M. Mariette, qui concerne la bibliotheque Dactyliographique : une matiere si seche a pris entre ses mains les graces & les ornemens qu’on ne trouve point ailleurs.

On connoît assez, sur les anneaux des anciens, les ouvrages de Kitschius, de Longus, de Kirchman, de Kornman, & de Liceti ; ils ont tous été réimprimés ensemble à Leyde en 1672 ; le livre de Liceti imprimé à Udine en 1645, in-4°. n’est à la vérité qu’une misérable compilation, & ne peut être lue sans dégoût ; mais en échange on sera fort content de la brochure de Cazalius sur les anneaux & leurs usages.

Antoine le Pois a donné un discours sur les médailles & gravures antiques, Paris 1579, in-4°. avec figures, livre très-curieux, très-bien imprimé, & d’un auteur qui a le premier rompu la glace sur cette matiere. Ce livre estimé n’est pas fort commun ; mais il faut prendre garde s’il se trouve à la page 126 une figure du dieu des jardins, qui en a été arrachée dans plusieurs exemplaires.

Bandelot de Dorival a mis au jour un livre de l’utilité des voyages, &c. Paris 1686, 2 vol. in-12. avec figures, & Rouen 1727, livre utile, intéressant, & dont on ne peut se passer.

Nous avons indiqué au mot Gravure, les ouvrages où l’on enseigne la pratique de cet art : passons aux plus beaux recueils & cabinets de pierres gravées ; voici ceux de la plus grande réputation, publiés en Italie.

Agostini (Leonardo) ; le Gemme, antiche figurate ; Colle, annotazioni di Pietro Bellori, in Roma 1657, in-4o. fig. secunda parte in Roma 1669, in-4o. seconde édition, in Roma 1686, 2 v. in-4°. fig. troisieme édit. mise en latin par Jacques Gronovius, Amstœlod. 1686, 2 vol. in-4°. & à Francher 1694, 2 vol. in-4°. fig.

Léonard Agostini, né à Boccheggiano, dans l’état de Sienne, étoit un connoisseur d’un goût exquis, & il avoit vieilli parmi les antiques ; son recueil est excellent, de même que son discours historique qui sert de préliminaire : il sait joindre l’utile à l’agréable, le goût avec l’érudition. Il eut encore l’avantage de trouver un dessinateur & un graveur habile dans la personne de Jean-Baptiste Gallestruzzi, florentin ; la 2me édition, préférable à la premiere pour l’ordre qui y a été observé & l’amélioration des discours, lui sera toujours inférieure par rapport aux planches. Il n’est pas inutile d’avertir qu’on a employé dans cette édition deux sortes de papiers, & qu’on doit donner la préférence au plus grand papier, car outre que le petit est fort mauvais, l’impression des planches y est trop négligée : l’édition de Hollande a les planches gravées assez proprement, mais sans goût.

De la Chausse, romanum Musæum, &c. Romæ, 1690, in-fol. editio secunda, Romæ 1707, in fol. editio tertia, Romæ 1746, 2 vol. in-fol. item en françois, Amsterdam 1706, fol. fig.

Michel Ange de la Chausse, parisien, savant antiquaire, étoit allé assez jeune à Rome, & son caractere, autant que son goût, l’y avoit fixé. Le corps d’antiquités qu’il intitula Musæum romanum, est une collection qui réunit les plus singulieres antiquités qui se trouvoient dans les cabinets de Rome au tems où l’auteur éerivoit. Les figures sont accompagnées d’éxplications aussi curieuses qu’instructives. Jamais ouvrage ne fut mieux reçu ; Grœvius l’insera tout entier dans son grand recueil des Antiquités romaines. Il fut traduit en françois, & imprimé à Amsterdam en 1706 ; mais l’édition originale fut suivie d’une seconde, à tous égards préférable à la premiere, pareillement faite à Rome en 1707, & considérablement augmentée par l’auteur même ; on en donna tout-de-suite une troisieme édition à Rome en 1746, en 2 vol. in-fol. fort inférieure à la seconde, & dans laquelle le libraire n’a cherché qu’à induire le public en erreur, & à abuser de sa confiance.

La premiere partie du recueil de M. de la Chausse, comprend une suite assez nombreuse de gravures antiques, qui presque toutes sont des morceaux d’élite, dont le public n’avoit point encore joui dans aucun ouvrage imprimé.

M. de la Chausse a encore publié à Rome, en 1700, in-4°. fig. un recueil de pierres gravées antiques, avec ses observations : le choix des pierres est fait avec discernement ; les explications écrites en italien sont judicieuses & pleines d’érudition ; les planches, au nombre de deux cens, gravées par bartholi, ne sont qu’au trait.

Musæum florentinum, cum observ. Ant. Franc Gori, Florentiæ, 1731, 1732, 2 vol. fol. maj. cum fig. &c.

Qui ne connoit pas le prix de cette rare & immense collection ? jusqu’à présent on n’en a vû, je crois, que six volumes, mais c’en est assez pour admirer le plus beau cabinet de pierres gravées qu’il y ait au monde. Les deux premiers volumes donnés en 1731 & 1732, contiennent toutes les pierres gravées du grand duc, qui méritent quelque considération. Le premier volume contient plus de huit cens pierres gravées, qui occupent cent grandes planches ; & le second quatre cens dix-huit pierres gravées, rangées comme dans le premier sur cent planches ; les éditeurs n’ont point craint d’excéder, ni par rapport à la largeur des marges, ni pour la grosseur des caracteres, ni dans la disposition des titres : l’épaisseur du papier répond à sa grandeur ; aucun des ornemens dont on a coutume d’enrichir les livres d’importance. n’ont été épargnes dans celui-ci ; en un mot c’est un ouvrage d’apparat, & qui remplit parfaitement les vûes de ceux qui l’ont fait naître ; ce livre coûte fort cher, même aux souscrivans, & pour comble de malheur, la grande inondation de l’Arno, qui a fait périr sur la fin de 1740, une partie de l’édition mise dans le palais Corsini, n’en a pas fait baisser le prix.

10°. Des collections de pierres gravées. Non-seulement l’antiquité nous fournit des exemples de passions pour les pierres gravées, mais elle nous fournit des génies supérieurs, & les plus distingués dans l’état, qui formoient de ces collections. Quels hommes que César & Pompée ! Ils aimerent passionnément l’un & l’autre les pierres gravées, & pour montrer l’estime qu’ils en faisoient, ils voulurent que le public fût le dépositaire de leurs cabinets. Pompée mit dans le Capitole les pierres gravées, & tous les autres bijoux précieux qu’il avoit enlevés à Mithridate, & César consacra dans le temple de Vénus, surnommée genitrix, celles qu’il avoit recueillies lui-même avec des dépenses infinies ; car personne n’égaloit sa magnificence, quand il s’agissoit de choses curieuses. Marcellus, fils d’Octavie, & neveu d’Auguste, dépota son cabinet de pierres gravées dans le sanctuaire du temple d’Apollon, sur le mont Palatin. Marcus Scaurus, beau-fils de Sylla, homme vraiment splendide, avoit formé le premier un semblable cabinet dans Rome. Il falloit être bien puissant pour entreprendre alors de ces collections. Le prix des belles pierres étoit monté si prodigieusement haut, que de simples particuliers ne pouvoient guere se flatter d’y atteindre. Un revenu considérable suffisoit à peine pour l’achat d’une pierre précieuse. Jamais nos curieux, quelques passionnés qu’ils soient, ne pousseront les choses aussi loin que l’ont fait les anciens. Je ne crois pas qu’on rencontre aujourd’hui des gens, qui semblables au sénateur Nonius, préferent l’exil, & même la proscription, à la privation d’une belle bague.

Il est pourtant vrai que depuis le renouvellement des beaux arts, les pierres gravées ont été recherchées par les nations polies de l’Europe avec un grand empressement ; & ce goût semble même avoir pris de nos jours une nouvelle vigueur. Il n’y a presque point de prince qui ne se fasse honneur d’avoir une suite de pierres gravées. Celles du roi & celles de l’impératrice reine de Hongrie, sont considérables. Le recueil de M. le duc d’Orléans est très-beau. On vante en Angleterre les pierres gravées recueillies autrefois par le comte d’Arundel, présentement entre les mains de mylady Germain, celles qu’avoit rassemblé mylord Pembrock, & la collection qu’en avoit fait le duc de Dévonshire, l’un des plus illustres curieux de ce siecle.

C’est néanmoins l’Italie qui est encore remplie des plus magnifiques cabinets de pierres gravées. Celui qui avoit été formé par les princes de la maison Farnese, a fait un des principaux ornemens du cabinet du roi des deux Siciles ; la collection du palais Barberin, tient en ce genre un des premiers rangs dans Rome, qui de même que Florence & Venise, abondent en cabinets particuliers de pierres gravées. Mais aucune de ces collections n’égale celle que possédoit le grand duc, qui paroît être la plus singuliere & la plus complette qu’on ait encore vû, puisque le marquis Maffei assure qu’elle renferme près de trois mille pierres gravées. On sait que les plus remarquables se trouvent dans le musæum florentinum ; aussi faut-il convenir que les peuples d’Italie sont à la source des belles choses. Fait-on la découverte de quelque rare monument, de ceux d’une ville même, d’un Herculanum, par exemple, elle se fait pour eux : ils sont les premiers à en jouir ; ils peuvent continuellement étudier l’antique qui est sous leurs yeux ; & comme leur goût en devient plus sûr & plus délicat que le nôtre, ils sont aussi généralement plus sensibles que nous aux vraies beautés des ouvrages de l’art.

11°. Des belles pierres gravées. Pour avoir des pierres gravées, exquises en travail, il faut remonter jusqu’au tems des Grecs ; ce sont eux qui ont excellé en ce genre, dans la composition, dans la correction du dessein, dans l’expression, dans l’imitation, dans la draperie, en un mot en tout genre. Leur habileté dans la représentation des animaux, est encore supérieure à celle de tous les autres peuples. Ils étoient mieux servis que nous dans leurs modeles, & ils ne faisoient absolument rien sans consulter la nature. Ce que nous disons de leurs ouvrages au sujet de la gravûre en creux, doit également s’appliquer aux pierres gravées en relief, appellées camées ou camayeux. Ces deux genres de gravûre ont toujours chez les Grecs marché d’un pas égal. Les Etrusques ne les ont point égalés ; & les Romains qui n’avoient point l’idée du beau, leur ont été inférieurs à tous égards. Quoique curieux à l’excès des pierres gravées, quoique soutenus par l’exemple des graveurs grecs qui vivoient parmi eux, ils n’ont eu en ce genre que des ouvriers médiocres de leur nation, & la nature leur a été ingrate. Les arts illustroient en Grèce ceux qui les pratiquoient avec succès ; les Romains au contraire n’employoient à leurs sculptures que des esclaves ou des gens du commun.

12°. De la plus belle pierre gravée connue. La plus belle pierre gravée sortie des mains des Grecs, & qui nous est restée, est je pense la cornaline, connue sous le nom de cachet de Michel-Ange. C’est le plus beau morceau du cabinet du roi de France, & peut-être du monde. On dit qu’un orfevre de Bologne en Italie, nommé Augustin Tassi, l’eut après la mort de Michel-Ange, & la vendit à la femme d’un intendant de la maison des Médicis. Le sieur de Bagarris qui a été garde du cabinet des antiques d’Henri III. l’acheta huit cens écus, au commencement du dernier siecle, des héritiers de cette dame qui étoient de Nemours : le sieur Lauthier le pere l’eut après la mort de ces antiquaires ; & ce sont les enfans dudit sieur Lauthier, qui l’ont vendue à Louis XIV. Voyez Cachet de Michel-Ange.

13°. Des pierres gravées de l’ancienne Rome. Il semble par ce que nous avons remarqué tout-à-l’heure, qu’il y avoit parmi les Romains une sorte d’insuffisance pour la culture des arts. J’ajoute, que ce n’est pas la seule nation qui pour avoir possédé les plus belles choses, & les avoir en apparence aimées avec passion, n’a pu fournir ni grands peintres, ni grands sculpteurs. Je n’ai plus qu’un mot à dire au sujet de certaines gravûres sur le crystal par les modernes.

14°. Des gravures des modernes sur le crystal en particulier. Les graveurs modernes ont gravé en creux sur des tables de crystal, d’assez grandes ordonnances d’après les desseins des Peintres, & l’on enchâssoit ensuite ces gravures dans des ouvrages d’orfévrerie, pour y tenir lieu de bas-reliefs.

Il faut lire, dans le Vasari, les descriptions qu’il fait d’un grand nombre de ces gravûres, qui enrichissoient des croix & des chandeliers destinés pour des chapelles, & de petits coffres propres à serrer des bijoux. Valerio Vicentini en avoit exécuté un qui étoit entierement de crystal, & où il avoit représenté des sujets tirés de l’histoire de la passion de Notre-Seigneur. Clément VII. en fit présent à François I. lors de l’entrevûe qu’il eut avec ce prince à Marseille, à l’occasion du mariage de Catherine de Médicis, sa niece ; & c’étoit, au rapport du Vasari, un morceau unique & sans prix. (Le Chevalier de Jaucourt.)

Pierre gravée factice, (Gravure.) Voici la manipulation usitée pour faire des pierres gravées factices. On prend du blanc qui se trouve chez les Epiciers-Droguistes en gros pains, qu’ils appellent blanc d’Espagne ou de Rouen (Voyez Blanc, couleur en Peinture) ; on l’humecte avec de l’eau, & on le paîtrit pour le former en gâteau, à-peu-près de la consistance que se trouve la mie de pain frais lorsqu’on la paîtrit entre les doigts ; on emplit de ce blanc humecté un anneau de fer de deux ou trois lignes d’épaisseur, & du diametre qui convient à la pierre que l’on veut mouler ; si l’on ne veut pas faire forger des anneaux de fer exprès, ceux qui se trouvent tout faits dans les ciseaux y sont très-propres, on n’a besoin que de les en détacher avec la lime. On emplit l’anneau de cette pâte dans lequel on la presse avec le doigt ; on met ensuite dessus une couche de tripoli en poudre seche, au-moins assez épaisse pour suffire au relief que l’on veut tirer. On se sert pour cela d’un couteau à couleur, pareil à ceux des Peintres ; on presse légérement le tripoli avec le couteau, & on met dessus, du côté de la gravûre, la pierre que l’on veut mouler, sur laquelle on appuie fortement avec le pouce, ou pour mieux faire encore, avec un morceau de bois tel que le manche d’un outil.

Il est essentiel alors de soulever un peu tout de suite la pierre par un coin, avec la pointe d’une aiguille enchâssée dans un petit manche de bois ; & après l’avoir laissée encore un instant, on la fera sauter totalement de dessus son empreinte avec la pointe de l’aiguille, ou on l’en détachera en prenant le moule avec les deux doigt, & en le renversant brusquement. Il faut beaucoup d’adresse & d’usage pour bien faire cette derniere opération. Si la pierre ne reste pas assez long-tems sur le moule après avoir appuyé dessus, & qu’on vienne à l’en faire sauter avant que l’humidité de la pâte du blanc d’Espagne ait atteint la surface du tripoli, le renversement de la pierre causera du dérangement dans l’empreinte. Si la pierre reste trop long-tems sur le moule après avoir appuyé dessus, l’humidité de la pâte du blanc d’Espagne gagne tout-à-fait les creux de la gravûre, dans lesquels il reste infailliblement des parties du tripoli. Il faut donc pour réussir que le renversement de la pierre se fasse dans le moment où l’humidité de la pâte du blanc d’Espagne vient d’atteindre la surface du tripoli, qui touche à toute la surface de la gravûre de la pierre que l’on veut mouler.

Si l’on ne saisit pas ce moment, on manque une infinité d’empreintes ; il y a même des pierres que la profondeur de la gravûre rend si difficiles à cet égard, qu’on est obligé, après les avoir imprimées sur le tripoli, de les laisser en cet état jusqu’à ce que le tout soit parfaitement sec, avant de tenter de séparer la pierre de l’empreinte : quoique cette pratique soit plus sûre, il faut cependant convenir qu’elle ne laisse pas l’empreinte aussi parfaite que l’autre quand elle est bien exécutée.

Le choix du tripoli est encore une chose de la derniere importance. M. Homberg, dans le mémoire qu’il a donné parmi ceux de l’académie des Sciences en 1712, veut que l’on se serve de tripoli de Venise qui est ordinairement jaune ; mais il s’en trouve en France de rougeâtre qui fait le même effet : il faut seulement le choisir tendre & doux au toucher comme du velours, en rejettant tout celui qui seroit dur & qui contiendroit du sable. Il ne faut pas tenter d’en ôter le sable par les lavages, on ôteroit en même tems une onctuosité qui fait que lorsqu’on le presse ses parties se joignent & se collent ensemble, & par ce moyen en font une surface aussi polie que celle du corps avec lequel on le presse. Il faut donc se contenter, après avoir passé le tripoli par un tamis de soie très-fin, de le broyer encore dans un mortier de verre ou de porcelaine avec un pilon de verre, sans le mouiller.

Le renversement de la pierre que l’on vient d’imprimer étant fait, il faut en considérer attentivement la gravure, pour voir s’il n’y seroit pas resté quelques petites parties du tripoli ; dans lequel cas, comme ces parties manqueroient à l’empreinte, il faut recommencer l’opération en remettant de nouveau blanc d’Espagne dans l’anneau & de nouveau tripoli dessus.

Lorsque l’on est content de l’empreinte, on la met à secher ; & quand elle est parfaitement seche, on peut avec un canif égaliser un peu le tripoli qui déborde l’empreinte, en prenant bien garde qu’il n’en tombe pas sur l’empreinte.

Lorsqu’on sera assuré que l’empreinte est bien faite & le moule bien sec, on choisira le morceau de verre ou de composition sur lequel on veut tirer l’empreinte ; plus les verres seront durs à fondre, plus le poli de l’empreinte sera beau. On taillera le morceau de verre de la grandeur convenable en l’égrugeant avec de petites pinces, & on le posera sur le moule, ensorte que le verre ne touche en aucun endroit la figure imprimée, qu’il pourroit gâter par son poids.

On aura un petit fourneau pareil à ceux dont se servent les peintres en émail (Voyez Email), dans lequel il y aura une moufle ; on aura en soin de remplir ce fourneau de charbon de bois, de façon que la moufle en soit environnée dessus, dessous, & par ses côtés. Lorsque le charbon sera bien allumé & la moufle très-rouge, on mettra le moule, garni du morceau de verre sur lequel on veut tirer l’empreinte, sur une plaque de tôle, & on l’approchera ainsi par degrés de l’entrée de la moufle, au fond de laquelle on le portera tout-à-fait lorsqu’on le jugera assez chaud pour que la grande chaleur ne fasse pas casser le morceau de verre ; on bouchera alors l’entrée de la moufle avec un gros charbon rouge, de façon cependant qu’il se trouve un petit intervalle par lequel on puisse observer le verre. Lorsque le verre paroîtra luisant, & que ses angles commenceront à s’émousser, on retirera d’une main avec des pincettes la plaque de tôle ; & avec l’autre main, sur le bord même du fourneau, sans perdre de tems on pressera fortement le verre avec un morceau de fer plat que l’on aura tenu chaud.

L’impression étant finie, on laissera le tout à l’entrée du fourneau, afin que le verre refroidisse par degrés, sans quoi il seroit sujet à casser.

Si l’on veut copier en creux une pierre qui est en relief, ou en relief une pierre qui est en creux ; il faut en prendre une empreinte exacte avec de la cire d’Espagne, ou avec du soufre fondu avec un peu de minium Il faut abattre avec un canif & une lime ce qui aura débordé l’empreinte, & on se servira de cette empreinte de cire d’Espagne ou de soufre pour imprimer sur le tripoli.

Comme par le procedé que l’on vient de donner, on voit que l’on ne peut avoir que des pierres d’une couleur, on va donner celui qu’il faut suivre pour imiter les variétés & les différens accidens que l’on voit dans les camées.

Les agates onix dont on forme les camées, étant composées de couches de différentes couleurs, & n’étant point transparentes, on a pris pour les imiter des morceaux du verre colorié dont on se servoit pour composer les vitres des églises ; on a rendu ces verres opaques en les stratifiant dans un creuset avec de la chaux éteinte à l’air, du plâtre, ou du blanc d’Espagne, c’est à-dire, en mettant alternativement un lit de chaux ou de plâtre, & un lit de verre. En exposant ce creuset au feu augmenté par degrés pendant trois heures, & finissant par un feu assez fort, ces verres deviennent opaques en conservant leurs couleurs ; & ceux qui n’en avoient point deviennent d’un blanc de lait comme l’émail ou la porcelaine.

Si le feu a été bien ménagé dans le commencement, & qu’on ne l’ait point poussé trop sort sur la fin, ces verres opaques sont encore susceptibles d’entrer en fonte à un plus grand feu ; on peut donc souder les uns sur les autres ceux de différentes couleurs, & par ce moyen imiter les lits de différentes couleurs que l’on rencontre dans les agates onix. On rencontre même dans les vitrages peints des anciennes églises, des morceaux de verres dans lesquels la couleur n’a pénétré que la moitié de leur épaisseur ; les pourpres ou couleur de vinaigre sont tous dans ce cas ainsi que plusieurs bleus. Lorsque ces verres sont devenus opaques, ainsi qu’on l’a dit, la partie qui n’a point été pénétrée de la couleur, se trouve blanche & forme avec celle qui étoit coloriée deux lits différens, comme on en voit dans les agates onix : lorsqu’on ne veut point souder ensemble les verres de différentes couleurs, il faut travailler sur ceux-là. Avant que de se servir de ces verres qui ont des couches de différentes couleurs, il faut les faire passer sur la roue du lapidaire, & manger de la surface blanche qui est destinée à représenter les figures du relief du camée, jusqu’à ce qu’elle soit réduite à une épaisseur plus mince, s’il est possible, qu’une feuille de papier.

On pose ce verre du côté de la surface blanche que l’on a rendue si mince, sur le modele dans lequel est l’empreinte de la gravure qu’on veut imiter ; on le fait chauffer dans la moufle, & on l’imprime de la maniere que l’on a dit ci-devant.

Les verres que l’on a rendus opaques, en suivant le procedé ci-dessus, étant alors susceptibles d’être travaillés au touret, on y applique la pierre dont on vient de parler, & avec les mêmes outils dont on se sert pour la gravure en pierres fines, on enleve aisément tout le blanc du champ qui déborde le relief, & les figures paroissent alors isolées sur un champ d’une couleur différente comme dans les camées.

Si l’on ne vouloit imiter qu’une simple tête, qui ne fût pas trop difficile à chantourner, on pourroit se contenter, après avoir moulé cette tête, de l’imprimer ensuite sur un morceau de verre opaque blanc. On feroit ensuite passer ce verre imprimé sur la roue du lapidaire, & on l’useroit par-derriere avec de l’émeril & de l’eau, jusqu’à ce que toute la partie qui fait un champ à la tête, se trouvât détruite, & qu’il ne restât absolument que le relief. S’il se trouve après cette opération qu’il soit encore demeuré quelque petite partie du champ, on l’enleve avec la lime ou avec la pointe des ciseaux ; on applique cette tête ainsi découpée avec soin sur un morceau de verre opaque d’une couleur différente ; on l’y colle avec de la gomme ; & quand elle y est bien adhérente, on pose le verre du côté de la tête sur un moule garni de tripoli, & on l’y presse comme si on l’y vouloit mouler : mais au lieu de l’en retirer, comme on fait quand on prend une empreinte, on laisse secher le moule toujours couvert de son morceau de verre ; & lorsqu’il est sec, on l’enfourne sous la moufle, & on le presse avec la spatule de fer lorsqu’il est en fusion, ainsi qu’il a été expliqué ci-devant. La gomme qui attachoit la tête sur le fond se brûle ; ainsi les deux morceaux de verre, celui qui forme le relief & celui qui lui doit servir de champ, n’étant plus séparés, s’unissent étroitement en se fondant, sans qu’on puisse craindre que dans cette fonte le relief puisse souffrir la moindre altération, puisque le tripoli, en l’enveloppant de toutes parts, lui sert comme d’une chape, & ne lui permet pas de s’écarter. Si on vouloit que quelques parties du relief, comme les cheveux, fussent d’une couleur différente, il suffit d’y mettre au bout d’un tube de verre un atome d’une dissolution d’argent par l’esprit de nitre, & faire ensuite chauffer la pierre sous la moufle, jusqu’à ce qu’elle soit très-chaude sans rougir. Il faut seulement prendre garde que la vapeur de l’esprit de nitre ne colore le reste de la figure.

Les verres tirés des anciens vitrages peints des églises, sont ce qu’il y a de meilleur pour faire ces especes de camées : il est vrai qu’ils ont besoin d’un très grand feu pour les mettre en fonte quand ils ont été rendus opaques, comme on l’a dit ; mais ils prennent un très-beau poli, & ne sont pas plus susceptibles d’être rayés que les véritables agates.

Pierres précieuses, (Hist. nat. Mineral.) C’est ainsi que l’on nomme des pierres à qui leur dureté, leur transparence, leur éclat, leurs couleurs & leur rareté ont fait attacher un prix considérable dans le commerce ; c’est suivant toutes ces circonstances que l’on a assigné divers rangs aux pierres précieuses.

Les vraies pierres précieuses doivent avoir de la transparence & de la dureté ; c’est sur-tout par cette derniere qualité qu’elles different du crystal. Cette dureté suppose des parties plus denses & plus rapprochées, ce qui doit produire nécessairement un plus grand poids sous un même volume. L’homogénéité des parties doit encore produire dans les pierres précieuses la transparence & l’éclat : c’est ce qu’on appelle eau en langage de lapidaire ; & c’est le plus ou le moins de transparence ou de netteté de ces pierres qui avec leur dureté augmente ou diminue considérablement le prix qu’on y attache.

Les vraies pierres précieuses sont le diamant, le rubis, le saphire, la topase, l’émeraude, la chrysolite, l’amethyste, l’hyacinthe, le péridot, le grenat, le berille ou aigue-marine. Voyez ces différens articles.

Toutes ces pierres se trouvent ou dans le sein de la terre, ou dans le lit de quelques rivieres, au sable desquelles elles sont mêlées ; elles ne peuvent pour l’ordinaire être reconnues que par ceux qui sont habitués à les chercher. C’est sur-tout dans les Indes orientales que l’on trouve les pierres précieuses les plus dures & les plus estimées ; les îles de Borneo, les royaumes de Bengale, de Golconde, de Visapour & de Pégu, ainsi que l’île de Ceylan, en fournissent assez abondamment. Quant à celles que l’on trouve dans les autres parties du monde, elles n’ont communément ni la dureté, ni l’éclat, ni la transparence des pierres précieuses qui viennent de l’orient. C’est-là ce qui a donné lieu à la distinction que font les Jouailliers & les Lapidaires de ces pierres en orientales & en occidentales ; distinction qui n’est fondée que sur leur plus ou moins de dureté. Ainsi quand un lapidaire dit qu’une pierre précieuse est orientale, il ne faut point imaginer pour cela qu’elles viennent réellement d’orient, mais il faut entendre par-là que sa dureté est la même que celle des pierres de la même nature qui viennent de ces climats. Cette observation est d’autant plus vraie, qu’il s’est trouvé en Europe même & dans l’Amérique, des pierres précieuses qui avoient la dureté & l’éclat de celles des Indes orientales.

Il est très-difficile de rendre raison pourquoi les Indes sont plus disposées que d’autres pays à produire des pierres précieuses ; il paroît en général que les climats les plus chauds sont plus propres à leur formation que les autres, soit que la chaleur du soleil y contribue, soit que la nature du terrein y soit plus appropriée, & les sucs lapidifiques plus atténués & plus élaborés. Quoi qu’il en soit, il paroît certain que toutes les pierres précieuses ont la même origine que les crystaux ; lorsqu’on les trouve dans leurs matrices ou minieres, elles affectent toujours une figure réguliere & déterminée qui varie, étant tantôt prismatiques, tantôt cubiques, tantôt en rhomboïde, &c.

A l’égard des pierres précieuses qui se trouvent dans le lit des rivieres, & mêlées dans le sein de la terre avec le sable, on sent aisément que ce n’est point-là le lieu de leur formation ; ces pierres qui sont roulées & arrondies comme les cailloux ordinaires, doivent avoir été apportées d’ailleurs par les torrens & les eaux, qui les ont arrachées des roches & des montagnes où elles avoient pris naissance. On a remarqué que c’est à la suite des fortes pluies que l’on trouvoit plus communément les pierres précieuses, les topases & les grenats dans le lit des rivieres de l’île de Ceylan. On assure qu’il se trouve en Bohème des cailloux au centre desquels on voit des rubis lorsqu’on vient à les casser. Ce fait prouve que ces rubis ne sont autre chose que la matiere la plus épurée de ces cailloux qui s’est rassemblée à leur centre.

Les pierres précieuses varient pour la couleur ; les rubis sont rouges, les topases sont jaunes, les émeraudes sont vertes, les saphirs sont bleus, &c. L’on ne peut douter que ces différentes couleurs ne soient dûes aux métaux, qui seuls dans le regne minéral ont la propriété de colorer. Comme ces substances sont différentes de celles qui constituent les pierres précieuses, il n’est point surprenant que les pierres colorées n’aient point communément la même dureté que le diamant, qui est pur, transparent, & composé de parties purement homogenes.

Une des choses qui contribuent le plus au prix des pierres précieuses, c’est leur grandeur. En effet, si ces pierres sont rares par elles-mêmes, celles qui sont d’une certaine grandeur sont moins communes encore. On pourroit en rendre une raison assez naturelle, en disant que les pierres précieuses sont pour ainsi dire l’extrait ou l’essence d’une grande masse de matiere lapidifique, dont la partie la plus pure & la plus parfaite ne peut former qu’un très-petit volume lorsqu’elle a été concentrée & rapprochée par l’évaporation insensible qui lui a donné la consistence d’une pierre.

Le grand prix des pierres précieuses n’avoit point permis jusqu’à-présent aux Chimistes d’en tenter les analyses par le moyen du feu : une entreprise si coûteuse étoit réservée à des souverains ; elle a été tentée à Vienne depuis quelques années, par l’empereur François I. actuellement régnant, dont le goût pour le progrès des Sciences est connu de tout le monde. Par les ordres de ce prince on mit plusieurs diamans & rubis dans des creusets terminés en pointe, que l’on eut soin de lutter avec beaucoup d’exactitude ; on les tint au degré de feu le plus violent pendant vingt-quatre heures ; au bout de ce tems, lorsqu’on vint à ouvrir les creusets, on vit avec surprise que les diamans étoient totalement disparus, au point de n’en retrouver aucuns vestiges. Quant aux rubis, on les retrouva tels qu’on les avoit mis ; ils n’avoient éprouvé aucune altération : sur quoi on exposa encore un rubis pendant trois fois vingt-quatre heures au feu le plus violent, qui n’y produisit pas plus d’effet que la premiere fois ; il sortit de cette épreuve sans avoir rien perdu ni de sa couleur, ni de son poids, ni de son poli.

L’empereur a fait faire la même expérience de la même façon, sur plus de vingt pierres précieuses de différentes especes ; de deux heures en deux heures on en retiroit une du feu, afin de voir les différens changemens qu’elles pouvoient successivement éprouver. Peu-à-peu le diamant perdoit son poli, devenoit feuilleté, & enfin disparoissoit totalement ; l’émeraude étoit entrée en fusion, & s’étoit attachée au fond du creuset ; quelques autres pierres s’étoient calcinées, & d’autres étoient demeurées intactes. Avant de faire ces expériences, on avoit eu la précaution de prendre des empreintes exactes de toutes ces pierres, afin de voir les altérations qu’elles éprouveroient.

Le grand duc de Toscane avoir déja antérieurement fait faire des expériences sur la plûpart des pierres précieuses, en les exposant au foyer d’un miroir ardent de Tschirnhausen. Ces opérations peuvent servir de confirmation à celles qui ont été rapportées ci-dessus faites au feu ordinaire. On trouva donc que le diamant résistoit moins à l’action du feu solaire que toutes les autres pierres précieuses ; il commençoit toujours par perdre son poli, son éclat & sa transparence ; il devenoit ensuite blanc & d’une couleur d’opale ; il se gersoit & se mettoit en éclats, & en petites molécules triangulaires, qui s’écrasoient sous la lame d’un couteau, & se réduisoient en une poudre dont les parties étoient imperceptibles, & qui considérées au microscope avoient la couleur de la poudre de la nacre de perle. Tous les diamans subissoient ces mêmes changemens, les uns plutôt, les autres un peu plus tard.

Enfin on essaya de joindre au diamant différens fondans ; on commença par du verre, qui ne tarda point à entrer en fusion au miroir ardent, mais le diamant nageoit à sa surface, sans faire aucune union avec lui ; on chercha à l’enfoncer dans la matiere fondue, mais ce fut inutilement : le diamant diminua peu-à-peu, & se dissipa à la fin comme dans les expériences dans lesquelles on n’avoit point employé de verre.

On ne réussit pas mieux à faire entrer le diamant en fusion, en le mêlant soit avec de la fritte de verre, soit avec du sel de tartre, soit avec du soufre, soit avec du plomb ; il repoussa constamment tous ces fondans ; il ne fit non plus aucune union ni avec les métaux, ni avec les pierres, de quelque nature qu’elles fussent, ni avec le vitriol, l’alun, le nitre, le sel ammoniac ; en un mot, jamais le diamant ne marqua la moindre disposition à entrer en fusion.

Le rubis résista beaucoup mieux que le diamant à l’action du feu solaire, qui ne fit que changer sa couleur & le ramollir, sans lui rien faire perdre de son poids. On trouvera ces expériences à l’article Rubis.

Des émeraudes exposées à cette même chaleur, ne tarderent pas à entrer en fusion ; elles commencerent par devenir blanches, & par former des bulles ; la couleur & la transparence disparurent, & ces pierres passerent par différentes nuances, suivant le tems qu’elles furent exposées à l’action du feu. Ces pierres deviennent par là très-cassantes & très-tendres, au point de pouvoir en détacher des parties avec l’ongle. Voyez giornale de litterati d’Italia, tom. IX. (—)

Pierres puantes, lapides fœtidi, lapis suillus, lapis felinus, (Hist. nat. Minéralog.) On a donné ces différens noms à des pierres qui répandent une odeur désagréable qu’elles ont contractée dans le sein de la terre ; cette odeur varie en raison des différentes substances qui l’ont occasionnée. En Suede, dans la province d’Œland, on trouve une pierre à chaux qui a une odeur très-forte d’urine de chat ; on a quelquefois trouvé des empreintes d’insectes sur ces pierres. En Westphalie, aux environs d’Hildesheim, on a trouvé de la pierre qui sentoit la corne brûlée. Près de Wigersdorf, dans le comté de Hohnstein en Thuringe, on trouve une espece de schiste ou de pierre feuilletée grise, très-poreuse, qui frottée avec une autre pierre, répand une odeur semblable à celle de la fiente de porc. Près du couvent d’Ilefeld, qui est aux environs de Nordhausen, près du Hartz, on rencontre une montagne qui n’est composée que d’une pierre très puante, dont on se sert comme de castine ou de fondant dans les forges du voisinage, où elle facilite la fusion de la mine de fer. Voyez Bruckmann, epistol. itinerariæ, centur. ij. epist. 13.

On a trouvé près de Villers-Cotterets une pierre calcaire d’un blanc sale, qui lorsqu’on la frotte répand une odeur d’urine de chat. Il y a tout lieu de croire que les odeurs qui se sont communiquées à ces sortes de pierres, viennent de substances animales ou végétales qui sont entrées en putréfaction ; quelques-unes mêmes peuvent venir des bitumes & matieres inflammables qui se trouvent dans le sein de la terre. Voyez Odorantes, pierres. (—)

Gravure, auteurs sur l’art de la Gravure. Pomponii Gaurici neapolitani de sculptura, seu statuaria, libellus, Florentiæ 1504, in-8o. Item (secunda editio emendatior, curante Cornelio Grapheo), Antuerpiæ 1528, in-8o. Le même ouvrage dans le tom. IX. du recueil des antiquités grecques.

Aldus Manutius de celaturâ & picturâ veterum, dans le tome IX. du recueil des antiquités grecques.

Ludovici Demontiosii Gallus Romæ hospes, ubi multa antiquorum monumenta explicantur. Romæ 1585, in-4o. cum fig. Item. La partie de cet ouvrage qui traite des Arts ayant le Dessein pour objet, à la suite de la dactyliotheca de Gorlée ; & dans le tom. IX. de la collection des antiquités grecques, sous ce titre : I ud. Demontiossi de veterum sculpturâ, cælaturâ gemmarum, sculpturâ & picturâ, libri duo.

Julii Caesaris Bullengeri de picturâ, plastice, & staturariâ, libri duo. Lugduni 1627, in-8o. & dans le tome IX. du recueil des antiquités grecques.

De la gravure sur les pierres précieuses & sur les crystaux, chap. viij. du liv. II. des principes de l’Architecture, de la Sculpture & de la Peinture, par André Félibien ; seconde édition augmentée. Paris 1690, in-4o.

De modo cælandi gemmas, chap. xxviij. du livre intitulé : Dissertatio Glyptographica. Romæ 1739, in-4o.

Maniere de copier sur le verre les pierres gravées, par Guillaume Homberg, dans les mémoires de l’académie royale des Sciences, année 1712. Paris, in-4o.

Vie des Graveurs. Vasari Giorgio nous a donné les vies des illustres peintres, graveurs & architectes, à Boulogne 1647, trois volumes in-4°. On en trouvera la suite dans un ouvrage du chevalier Vettori, dans une dissertation latine sur les pierres gravées. A Rome 1739, in-4o.

Nous avons quantité de cabinets de pierres gravées, publiées en Italie, dans les Pays-Bas, en Allemagne, en Angleterre, & en France.

Gaurici (Pomponii, &c.), Pomponio Gaurico, né à Gifoni, bourg dans le royaume de Naples, avoit écrit ce traité sur la Sculpture, dont la premiere édition est de Florence 1504. Quoiqu’il dise qu’il manioit lui-même le ciseau, il paroît qu’il le manioit fort mal. Son livre mis en dialogue est aussi inutile que mal écrit

Minutius Albus, &c. Son livre ne peut intéresser tout au plus que des grammairiens.

Bullengerii (Julii Cæsaris, &c.) Ce qui a été dit par le jésuite Jules-César Boulenger, dans son traité sur la peinture & la sculpture des anciens, est encore beaucoup plus superficiel.

Demontiosi (Ludovici) ; Louis de Monjosieu, loué dans M. de Thou, étoit un habile antiquaire ; & à l’ocasion de la Sculpture, il parla des pierres gravées ; mais il n’a presque fait que transcrire à la fin de sa dissertation latine sur la sculpture des anciens, le peu de chose qu’il avoit lu dans Pline concernant l’art de la gravure en pierres fines.

Si tous ces auteurs avoient eu bien sérieusement le dessein d’instruire, ils devoient s’en rapporter moins à leurs propres lumieres, & consulter davantage les gens de l’art ; ils se seroient exprimés plus pertinemment. C’est le parti sage qu’ont pris M. Félibien & M. le chevalier Vettori, & qui leur a réussi lorsqu’ils nous ont exposé sous les yeux toutes les différentes opérations manuelles de la gravure en pierres fines ; le premier dans ses principes des Arts, & le second dans une dissertation sur les pierres gravées, dont j’aurai occasion de parler plus d’une fois. On peut aussi se fier à M. Homberg, quand on voudra faire des copies sur verre des pierres gravées. La méthode qu’il enseigne dans un mémoire qui fait partie de ceux de l’académie royale des Sciences, est fondée sur l’expérience ; le savant académicien ne rapporte rien qu’il n’ait pratiqué lui-même.

Taille du Diamant, (Art du Lapidaire.) la taille du diamant est le poli, le brillant & la forme qu’on donne aux diamans bruts par le secours de l’art.

C’est une découverte moderne, qui n’est point le produit de la recherche des gens qu’on nomme dans le monde gens d’esprit, ni même des philosophes spéculatifs. Ce n’est pas à eux que nous en sommes redevables, non plus que des inventions les plus étonnantes ; mais au pur hasard, à un instinct méchanique, à la patience, au travail & à ses ressources. Nous indiquerons bientôt d’après M. Mariette, la maniere dont cette découverte a été faite il n’y a pas encore 300 ans, suivie & conduite au point de perfection où elle est aujourd’hui. L’Encyclopédie, s’il m’est permis de répéter ici les paroles des éditeurs de cet ouvrage : « L’Encyclopédie fera l’histoire des richesses de notre siecle en ce genre ; elle la fera & à ce siecle qui l’ignore, & aux siecles à venir qu’elle mettra sur la voie pour aller plus loin. Les découvertes dans les arts n’auront plus à craindre de se perdre dans l’oubli ».

Personne n’ignore que le diamant est la plus compacte, & par conséquent la plus dure de toutes les productions de la nature. Il entame tous les autres corps, & ne peut l’être que par lui-même ; & s’il a sur eux de l’avantage, il en est redevable à cette extrême dureté, puisque c’est elle qui lui procure ce feu étincelant dont il paroît pénétré. Le diamant se tire de la mine ordinairement brut, & ressemble alors à un simple caillou ; on n’en rencontre point communément auxquels la nature ait elle-même donné la taille, c’est-à-dire qui soient polis, que la nature y ait concouru, & dont les faces soient régulierement formées ; mais il s’en présente cependant quelquefois où la taille paroit indiquée, & qui ayant roulé parmi les sables dans le lit des rivieres rapides, se trouvent polis naturellement, & tout-à-fait transparens : quelques-uns mêmes sont facetés. Ces sortes de diamans bruts se nomment bruts ingénus ; & lorsque leur figure est pyramidale & se termine en pointe, on les appelle pointes naïves.

Il n’y a pas d’apparence que les anciens aient reconnu & recherché d’autres diamans que ces derniers ; les quatre qui enrichissent l’agraphe du manteau royal de Charlemagne, qu’on conserve au trésor de S. Denis, ne sont que ces pointes naïves. Tout imparfaits qu’étoient les diamans que la nature avoit ainsi formés, on ne laissa pas de les regarder comme ce qu’elle offroit de plus rare ; & Pline, l. XXXVII. ch. iv. remarque que pendant long-tems il n’appartint qu’aux rois, & même aux plus puissans, d’en posséder quelqu’un. On soupçonnoit Agrippa dernier roi des Juifs, d’entretenir un commerce incestueux avec Bérénice sa sœur ; & le précieux diamant qu’il mit au doigt de cette princesse, réalisa presque ces soupçons (Voyez Juvenal, Satyre vj. vers 155.), tant on avoit conçu une haute idée de cette pierre inestimable ! Je laisse à penser de quel œil les Romains auroient regardé nos diamans brillans, eux dont la magnificence alloit jusqu’à la prodigalité la plus outrée, quand il s’agissoit de satisfaire leur luxe.

Pline nous débite que pour avoir de la poudre de diamant, dont les Graveurs se servent lorsqu’ils gravent les autres pierres fines, on fait tremper le diamant dans du sang de bouc tout chaud, & que devenant par ce moyen plus tendre, la pierre se réduit aisément en petits éclats, & se divise même en portions si menues, que l’œil peut à peine les discerner. Quoique rien ne soit plus ridicule que ce conte du naturaliste romain, on apperçoit néanmoins au-travers de son récit fabuleux, que les anciens broyoient comme nous le diamant ; & sans doute que ceux qui en avoient le secret, & qui faisoient négoce de poudre de diamant, n’avoient inventé un pareil mensonge qu’afin de donner le change, & demeurer plus surement en possession d’un commerce qui auroit cessé de leur être lucratif s’il eût été partagé.

Ce qui doit paroître assez surprenant, c’est que les anciens ayant reconnu dans le diamant la force d’entamer toutes les autres pierres fines sans exception, ils n’aient pas apperçu qu’il faisoit le même effet sur lui-même : cela les conduisoit tout naturellement à la taille de cette pierre précieuse, pour peu qu’ils y eussent fait attention. Mais c’est le sort de toutes les découvertes, que plus on semble prêt de les faire, plus on en est éloigné ; ce n’est presque toujours que le hasard qui en décide.

La taille du diamant, comme je l’ai dit ci-dessus, ne doit elle-même son origine qu’à un coup de hasard. Louis de Berquen, natif de Bruges, qui le premier la mit en pratique, il n’y a pas trois siecles (en 1476), étoit un jeune homme qui sortoit à peine des classes ; & qui né dans une famille noble, n’étoit nullement initié dans l’art du lapidaire. Il avoit éprouvé que deux diamans s’entamoient si on les frottoit un peu fortement l’un contre l’autre ; il n’en fallut pas davantage pour faire naître dans un sujet industrieux & capable de méditation, des idées plus étendues. Il prit deux diamans bruts, les monta sur le ciment, & les égrisant l’un contre l’autre, il parvint à y former des facettes assez régulieres ; après quoi à l’aide de certaine roue de fer qu’il avoit imaginée, & de la poudre qui étoit tombée de ces mêmes diamans en les égrisant, & qu’il avoit eu soin de recueillir, il acheva en promenant ces diamans sur cette poudre, de leur donner un entier poliment. On vit paroître pour lors le premier diamant devenu régulier, poli & brillant par le secours de l’art ; mais qui n’eut pour cette fois d’autre forme qu’une pointe naïve. Voyez les merveilles des Indes, par Robert de Berquen son petit-fils.

C’en étoit assez pour une premiere tentative ; il suffisoit d’avoir pu réduire le diamant à recevoir une forme & un poliment, sans lequel il continuoit de ne faire aucun effet, de n’avoir ni jeu ni brillant, & demeuroit une pierre morte & absolument inutile. Le premier essai eut les suites les plus heureuses ; à l’exception d’un très-petit nombre de diamans revèches, auxquels on a donné le nom de diamans de nature, & qui quelqu’effort qu’on fasse, ne peuvent point acquérir le poliment dans certaines parties, ce qui vient de ce que le fil en est tortueux, tous les autres diamans se sont prêtés à l’art du lapidaire, qui s’y est pris de différentes façons pour donner la taille, suivant que la forme du diamant brut le permettoit & le demandoit.

On est aux Indes dans cette persuasion, qu’il est important de ne rien perdre d’un diamant, & l’on y est moins curieux en le taillant de lui faire prendre une forme réguliere, que de le conserver dans toute son étendue. Les pierres qu’on reçoit toutes taillées de ce pays-là, ont presque toujours des formes bisarres, parce que le lapidaire indien s’est reglé pour le nombre & l’arrangement de ses facettes, sur la forme naturelle du diamant brut, & qu’il en a suivi scrupuleusement le contour. Le plus grand diamant du grand-mogol, qui est une rose, présente une infinité de facettes toutes extrèmement inégales. Notre goût est sur cela fort différent ; il ne souffre point de ces figures baroques, & comme il veut du régulier, celui qui taille un diamant brut tâche, autant qu’il est possible, de donner une forme aimable à la pierre qu’on lui a mise entre les mains. Je vais décrire les différentes especes de taille qui se pratiquent le plus fréquemment en Europe.

Lorsque la pierre s’étend en superficie, sans être épaisse, on se contente d’en dresser les deux principales faces, & l’on en abat les côtés ou tranches en talus, ou pour me servir des termes de l’art, on y forme sur chaque côté un biseau. Ces diamans ont assez souvent la figure d’un quarré parfait, ou d’un quarré long ; on en voit aussi de taillés à pans : & quelle que soit leur forme, on les appelle pierres taillées en table, ou pierres foibles. Ceux qui ont commencé à tailler les diamans, leur ont souvent donné cette taille.

Les diamans nommés pierres épaisses, sont taillés en-dessus comme les pierres foibles, c’est-à-dire que la partie qui doit se présenter, lorsque le diamant sera mis en œuvre, est en table ; mais il n’en est pas ainsi de la face opposée, au-lieu d’être plate elle est en culasse, ayant à-peu-près le double d’épaisseur de la partie supérieure, & formant un prisme régulier. C’est encore ainsi qu’étoient taillés dans les commencemens presque tous les diamans, pour peu qu’ils eussent d’épaisseur.

Mais depuis qu’on a perfectionné l’art de la taille, on ne forme plus guere les diamans autrement qu’en rose, ou en brillant. La premiere de ces deux especes de taille est assez ancienne parmi nous, & elle est presque la seule qui soit admise chez les Orientaux ; ils prétendent que tout diamant taillé autrement, n’a point le jeu qu’il doit avoir, ou qu’il papillote trop. Autrefois quand un diamant brut étoit trop épais, on le clevoit, c’est-à-dire qu’on le séparoit en deux, pour trouver deux diamans dans la même pierre ; & encore aujourd’hui il y a des occasions où l’on est obligé d’user de cette pratique. Elle consiste à tracer dans tout le pourtour ou circonférence du diamant, un sillon ou ligne de partage, en observant de suivre le vrai fil de la pierre ; & lorsque cette ligne a acquis assez de profondeur, on prend une lame de couteau d’acier bien aiguisée & bien trempée, on la présente sur cette raye, & d’un seul coup sec & frappé juste sur la pierre, posée droite & bien à-plomb, on la divise net en deux parties à-peu-près égales.

Les diamans ainsi élevés, sont très-propres pour faire des roses ; car le diamant-rose doit être plat par-dessous comme les pierres foibles, tandis que le dessus qui s’éleve en dôme, est taillé à facettes. Le plus ordinairement on y exprime au centre six facettes qui décrivent autant de triangles, dont les sommets se réunissent en un point, & les bases vont s’appuyer sur un autre rang de triangles, qui posés dans un sens contraire aux précédens, viennent se terminer à leur sommet sur le contour tranchant de la pierre, qu’on nomme en terme de l’art le feuilletis, laissant entr’eux des espaces qui sont encore coupés chacun en deux facettes. Cette distribution donne en tout le nombre de 24 facettes. La superficie du diamant-rose étant ainsi partagée en deux parties, la plus éminente s’appelle la couronne, & celle qui fait le tour du diamant, prend le nom de dentelle.

Le diamant rose darde de fort grands éclats de lumiere, & qui sont même à proportion, plus étendus que ceux qui sortent du diamant brillant, ou brillanté ; mais il est vrai que celui-ci joue infiniment davantage, ce qui est l’effet de la différence de la taille. Les pierres épaisses ont nécessairement dû faire naître l’idée du diamant brillant ; car ce dernier est divisé dans son épaisseur en deux parties inégales, de la même maniere, & dans la même proportion que les pierres épaisses ; c’est-à-dire qu’environ un tiers est pour le dessus du diamant, & les deux autres tiers pour le dessous, nommé la culasse. Mais au-lieu que la table de la pierre épaisse n’est environnée que de simples biseaux ; dans le brillant, le pourtour de la table qui est à huit pans, est taillé en facettes, les unes triangulaires & les autres losangées, & le dessous de la pierre qui n’étoit qu’un prisme renversé, est encore taillé à facettes, appellées pavillons, précisement dans le même ordre que les facettes de la partie supérieure ; car il est essentiel que tant les facettes de dessus, que celles de dessous, se répondent les unes aux autres, & soient placées dans une symmétrie parfaite, autrement le jeu seroit faux.

Il n’y a guere plus d’un siecle qu’on a commencé à brillanter ainsi les diamans, ce qui les a mis en bien plus grande faveur qu’ils n’étoient : on ne les a que pour la parure, ainsi quiconque veut paroître préférera toujours ce qui attirera davantage les regards. On comprend facilement que comme il est aisé de faire un brillant d’une pierre épaisse, il ne doit presque plus rester de celles qui avoient reçu anciennement cette derniere taille ; & il ne me paroît pas moins superflu de faire observer que c’est de la multiplicité des facettes, & de l’arrangement régulier de ces mêmes facettes, qui étant en opposition se refléchissent & se mirent les unes dans les autres, que naît tout le jeu du diamant brillant, & l’extrème vivacité qui en sort.

Il est encore plus à la connoissance de tout le monde que les diamans les plus parfaits, les plus chers & les plus rares, sont les plus gros, qui joignent à une belle forme, de la hauteur & du fond ; ceux de la plus belle eau, c’est-à-dire les diamans les plus blancs, & dont la couleur extrèmement vive, ne souffre aucune altération, & ne participe d’aucune couleur étrangere & sourde, comme celle du feu, de l’ardoise, &c. ceux enfin qui sont les plus nets, & exempts de taches, de points & de glaces : on a donné ce dernier nom à de petits interstices ou vuides, remplis de globules d’air, qui s’étant logés dans la pierre lors de sa formation, ont empêché la matiere de se lier également par tout, & y font paroître des déchirures, si je puis me servir de ce terme, dont les facettes multiplient encore le nombre par la réflexion. Il ne faut qu’un choc, qu’un coup donné inconsidérément & à faux sur un diamant, non seulement pour l’étonner & y découvrir une glace cachée, ou en étendre une autre qui n’occupoit qu’un petit espace, mais pour fendre même la pierre. Le seul mouvement du poinçon, appuye trop fortement en sertissant, a causé plus d’une fois de pareils dommages. Quant aux points ou dragons, ce sont des parties métalliques qui pareillement engagées dans de corps du diamant, se montrent comme autant de petites taches, ou du moins une partie, & se dissipent en mettant le diamant dans un creuset, & le poussant à un feu violent ; mais on n’est pas toujours sûr de réussir, & il arrive même que les parties métalliques venant à se dissoudre, la couleur du diamant en souffre, & en est singulierement alterée.

Personne n’ignore qu’à l’égard des diamans sales, noirs, glaceux, pleins de filandres & de veines, en un mot de nature à ne pouvoir être taillés, les Diamantaires les mettent au rebut pour être pulvérisés dans un mortier d’acier fait exprès, & les emploient ainsi broyés à scier, tailler & polir les autres diamans.

Enfin ils ont donné le nom de diamant parangon, aux diamans qui sont d’une beauté, d’une grosseur & d’un prix extraordinaire. Tel est, par exemple, celui du grand-mogol, celui que possédoit le grand-duc de Toscane, & celui qu’on appelle en France le diamant de sancy, corrompu de cent-six, qui est le nombre de karats qu’il pese.

Voilè le lecteur instruit de la taille du diamant, & même de la langue du lapidaire ; il sait présentement ce que c’est que pointes naïves, diamans bruts ingénus, diamans de nature, diamans brillans, diamans rose, diamans parangon, diamans d’une belle eau, diamans glaceux ou gendarmeux, pierres épaisses, pierres foibles ou pierres taillées en table : il entend les mots de biseau, couronne, culasse, dentelle, dragons, feuilletis, pavillon. En un mot, en s’éclairant de la taille du diamant, il a ici passé en revue la plus grande partie des termes de l’art ; mais les Planches de cet ouvrage rempliront complettement sa curiosité, & dévoileront à ses yeux toute la manœuvre du lapidaire sur cette pierre, qui, graces à notre luxe, ne perd rien de sa valeur en devenant tous les jours plus commune.

Si l’on desire de plus grands détails, on les trouvera dans quelques ouvrages particuliers, entre autres dans celui de Robert de Berquen, maître orfevre, intitulé les merveilles des Indes orientales & occidentales, ou, traité des pierres précieuses, Paris 1661, in-4°. & dans Jefferies (David), a treatise of diamonds and pearls, London 1750, in-8°. avec figures : ce dernier est traduit en françois.

Je ne dois pas oublier de remarquer en finissant, que la mine abondante découverte au Brésil, en 1728, & qui fait un des beaux revenus du roi de Portugal, fournit l’Europe de magnifiques diamans, qui ne different en rien de ceux des Indes orientales, & méritent, à tous égards, la même estime : c’est un fait qu’on ne révoque plus en doute ; & c’est une découverte de notre siecle. (Le Chevalier de Jaucourt.)

Machine pour forer dans toutes sortes de pierres dures & prétieuses, consiste en une cage de bois, composée de deux montans NP, OP, de six piés de haut, qui sont de fortes planches de bois posées verticalement & parallelement ; elles sont affermies en cette situation par d’autres planches 1, 2, 3, posées horisontalement ; ces planches sont arrêtées par des clavettes qui traversent leurs tenons, après que ceux-ci ont traversé les montans. Voyez. nos Planches & leur explic. Les Pl. II. & III. peuvent, au moyen de cette construction, se lever ou s’abaisser à volonté, & se fixer où l’on veut, dans les coulisses xxxx des faces latérales. Les trois planches 11, 22, 33, sont chacune percées d’un trou quarré d’environ six ou sept pouces de large ; au-travers desquels passe le foret EB. Ce foret est composé de plusieurs piéces. E est un crochet mouflé qui laisse tourner le foret sans tourner lui-même, au moyen de la boucle que son tenon traverse ; vers le milieu de la tige du foret est une bobine ou cuivrot, qui peut se mouvoir le long de la tige sur laquelle on se fixe par le moyen de clavette qui fixe tout à la fois la bobine & la tige, qui pour cet effet est percée de trous de distance en distance, cette bobine est appuyée contre une autre D, dont l’essieu est horisontal & fixé dans les parois latérales de la cage ; la corde qui donne le mouvement au foret, passe sur ces deux bobines. Voyez la fig. 2 qui est le profil de toute la machine. A la partie inférieure du foret est une boëte B, qui reçoit la queue de la fraise qui y est retenue par une clavette qui la traverse, & la boëte dans laquelle elle est entrée ; cette fraise appuie par sa partie inférieure sur l’ouvrage que l’on veut creuser qui dans la figure est un étui de poche.

Mais comme le poids de la monture du foret est trop considérable, & que le laissant appuyer sur l’ouvrage on coureroit risque de la briser, on allege ce poids par le moyen d’un contrepoids G suspendu à une corde qui passe par dessus une poulie F ; comme ce poids se peut augmenter ou diminuer à discrétion, on fait appuyer la fraise sur l’ouvrage, autant que l’on veut.

Pour faire mordre la fraise sur la piece que l’on veut creuser, on se sert d’une poudre convenable à la matiere que l’on veut creuser, soit de l’éméril ou de la poudre de diamant. Voyez Diamantaire & nos Pl.

Pierres foibles ou Épaisses, (terme de Lapidaires) lorsque la pierre de diamant s’étend en superficie, sans être épaisse, on se contente d’en dresser les deux principales faces, & l’on abat les côtés ou tranches en talus, ou comme disent les artistes, en biseau. Ces diamans ont assez souvent la figure d’un quarré parfait ou d’un quarré long. On en voit aussi de taillés en pans ; mais quelle que soit leur forme, on les apelle pierres taillées en table ou pierres foibles. Les diamans nommés pierres épaisses, sont taillés en dessus comme les pierres foibles ; mais la face opposée, au lieu d’être plate, est en culasse, ayant à peu près le double d’épaisseur de la partie supérieure, & formant un prisme régulier. (D. J.)

Pierre-ponce, sorte de pierre spongieuse, poreuse, & friale. Voyez Pierre. Les naturalistes ne s’accordent pas sur la nature & l’origine de la pierre-ponce : quelques-uns croyent que ces pierres ne sont autre chose que des pieces de rocher à moitié brulées & calcinées, que les éruptions des volcans, particuliérement l’Ætna, & le Vesuve, jettent dans la mer, lesquelles étant impregnées du sel & lavées par l’eau de la mer, perdent un peu de cette couleur blanche que les feux souterrains leur avoient donnée, & deviennent d’une couleur plus foncée, & quelquefois grise, selon le tems qu’elles ont sejourné dans la mer. Le Docteur Wodward ne regarde la pierre-ponce que comme une espece de slag ou de frasil, & soutient que cette pierre ne se trouve qu’aux endroits où il y avoit anciennement des forges de métaux, ou proche des volcans & des montagnes qui vomissent du feu ; d’autres auteurs croyent que la pierre ponce vient dans le fond de la mer, d’où ils supposent que les feux souterrains la détachent, & que c’est de-là que vient sa légéreté, sa porosité & son gout de sel ; ils alleguent, pour confirmer cette opinion, que l’on trouve la pierre-ponce en mer dans des lieux très-éloignés des volcans ; & ils ajoutent que les rivages de l’Archipel en sont couverts toutes les fois que les flots ont été un peu agités, d’où ils conjecturent qu’elle s’éleve du fond de la mer. Le commerce de la pierre-ponce est très-considérable, & on s’en sert beaucoup dans les manufactures & dans les arts, pour polir & adoucir différens ouvrages. Voyez Polir.

Les morceaux de la pierre-ponce sont de différente forme ; les Parcheminiers & les Marbriers se servent de la plus grande & de la plus legere espece, les Corroyeurs, de la plus pesante & de la plus unie, & les Potiers d’étain de la plus petite.

Pline remarque que les anciens employoient beaucoup la pierre-ponce en Médecine ; mais on ne s’en sert plus à présent.

Pierre sanguine, outil d’Arquebusier, cette pierre sanguine est un peu grosse, ressemble & est montée comme celle des Orfévres avec laquelle ils brunissent ; les Arquebusiers s’en servent pour bronzer les canons de fusils, pistolets, &c.

Pierre, en terme de Batteurs d’or, c’est une pierre de marbre fort polie & emboëtée dans une espece de table à rebords assez hauts sur le derriere, mais qui diminuent jusqu’à un certain point sur les côtés ; il n’y en a point sur le devant, ils empêcheroient le Batteur de travailler. Voyez les fig. Pl. du Batteur d’or.

Pierre a l’huile, en terme de Bijoutier, est une pierre dure & douce qui sert à éguiser & à émoudre les échopes ou les burins, en la frottant d’huile ; on en tire de Lorraine dont la couleur est grise rougeâtre, & qui sont opaques, & du levant, qu’on estime les meilleures, qui sont d’un blanc tirant sur le blond, & un peu transparentes : on les monte sur un bois plus large & plus long qu’elles, pour les conserver plus longtems. Voyez Pl. du Graveur.

Pierre a polir, en terme de Bijoutier, est une pierre avec laquelle on adoucit les traits que la lime ou l’outil ont faits sur une piece. Il y en a de vertes, de rouges, de bleues, de douces, demi-douces & de rudes. Voyez Polir.

Toutes ces pierres approchent beaucoup de la nature de l’ardoise.

Pierre, en terme de Cardier, c’est un caillou de grès que l’on passe à force sur les pointes fichées sur le feuillet, soit pour émousser ces pointes, soit pour les conserver toutes également. Voyez Ficher.

Pierre ou Cuve, c’est une espece de demi-tonneau à un fond, fait de douves de bois, & cerclé de fer, dans lequel entre l’arbre tournant & ses couteaux, pour broyer & delayer la pâte avec laquelle les cartonniers fabriquent le carton. Voyez les fig. Pl. du cartonnier.

Pierre blanche, sert aux Charpentiers pour blanchir leur cordeau, lorsqu’ils veulent jetter quelques lignes sur une piece de bois. Voyez Craie.

Pierre noire, sert à tracer les pieces.

Pierres a brunir, en terme de Doreur sur bois, sont des cailloux, ou des pierres à fusil taillées en coude, & montées sur des bois un peu longs, dont on se sert pour donner le poli à l’or dans les parties unies & sans ornemens d’une piece dorée. Les sanguines ne peuvent être d’aucun usage ici ; elles sont trop douces.

Pierre servant aux Fondeurs de caracteres d’imprimerie, pour donner aux lettres une façon qu’on appelle frotter ; cette pierre est une meule de grès de quinze à vingt pouces de diametre, de même nature que celles dont se servent les Couteliers pour remoudre les outils. Pour rendre ces grès à l’usage des fondeurs de caracteres, on en prend deux que l’on met l’une sur l’autre sur le plat ; on met entre-deux du sable de riviere, puis on les tourne circulairement, en mettant de tems en tems de nouveau sable, jusqu’à ce que ce sable ait grugé les petites éminences qui sont sur ces pierres, & en ait rendu la surface droite & unie. Ce sable en dressant ces grès, ne les polit pas, mais les pointille & y laisse de petits grains propres à enlever aux corps des lettres, certaines superfluités ou bavures avec lesquelles elles sortent du moule ; ce qui se fait en frottant les lettres les unes après les autres sur cette pierre ; cela sert à les polir & dresser des deux côtés seulement, où elles se joignent à côté les unes des autres en les composant. Voyez Frotter, & les fig. Pl. du Fondeur de caracteres d’imprimerie.

Pierre a l’huile, outil de Fourbisseur : cette pierre est la même que celle des Orfévres, Horlogers, &c. & sert aux Fourbisseurs pour aiguiser leurs poinçons & outils.

Pierre a l’huile, (Graveur.) pierre qui sert à affuter les outils. (Voyez Affuter), & qu’on appelle ainsi, parce qu’elle est mouillée d’huile : elle est ordinairement ajustée sur une planche de bois qu’on appelle sa boëte. Voyez les figures, Planche de la Gravure, qui représentent la maniere d’aiguiser les burins sur la pierre.

Pierre a parer, outil de Gaînier, c’est une pierre de lierre de la largeur de deux piés en quarré, sur laquelle les gaîniers diminuent l’épaisseur des cuirs qu’ils emploient. Voyez l’article Reliure.

Pierres dures, parmi les Lapidaires, sont proprement les pierres fines qui en effet sont infiniment plus dures que les fausses.

Pierre a papier, terme de Marbrier, morceau de marbre rond, ovale ou quarré, au-dessus duquel il y a un bouton de marbre pour le prendre, & dont on se sert pour mettre sur le papier, afin de le tenir fixe. (D. J.)

Pierres de rapport, (Marqueterie.) nous avons expliqué à l’article Ouvrages de mosaïque, comment les anciens se servoient de petites pieces de pierres de verre & d’émail pour faire des ouvrages de mosaïque ; mais nos ouvriers modernes en pratiquent encore une autre avec des pierres naturelles, pour représenter des animaux, & généralement des fruits, des fleurs, & toutes autres fortes de figures, comme si elles étoient peintes. Il se voit de ces sortes d’ouvrages de toutes les grandeurs : un des plus considérables & des plus grands, est ce beau pavé de l’église cathédrale de Sienne, où l’on voit représenté le sacrifice d’Abraham. Il fut commencé par un peintre nommé Duccio, & ensuite achevé par Dominique Beccasumi. Il est composé de trois sortes de marbres, l’un très-blanc, l’autre d’un gris un peu obscur, & le troisieme noir ; ces trois différens marbres sont si bien taillés & joints ensemble, qu’ils représentent comme un grand tableau peint de noir & de blanc. Le premier marbre sert pour les ressauts & les fortes lumieres, le second pour les demi-teintes, & le troisieme pour les ombres : il y a des traits en hachures remplis de marbre noir ou de mastic qui joignent les ombres avec les demi-teintes ; car pour faire ces sortes d’ouvrages, on assemble les différens marbres, les uns auprès des autres, suivant le dessein que l’on a ; & quand ils sont joints & bien cimentés, le même peintre qui a disposé le sujet, prend du noir, & avec le pinceau, marque les contours des figures, & observe par des traits & des hachures, les jours & les ombres, de la même maniere que s’il dessinoit sur du papier : ensuite le sculpteur grave avec un ciseau tous les traits que le peintre a tracés : après quoi l’on remplit tout ce que le ciseau a gravé, d’un autre marbre, ou d’un mastic composé de poix noire ou d’autre poix qu’on fait bouillir avec du noir de terre. Quand ce mastic est refroidi & qu’il a pris corps, on passe un morceau de grès ou une brique par-dessus, & le frottant avec de l’eau & du grès, ou du ciment pilé, on ôte ce qu’il y a de superflu, & on le rend égal & au niveau du marbre. C’est de cette maniere qu’on pave dans plusieurs endroits de l’Italie, & qu’avec deux ou trois sortes de marbres, on a trouvé l’art d’embellir de différentes figures, les pavés des églises & des palais.

Mais les ouvriers dans cet art ont encore passé plus avant ; car comme vers l’année 1563, le duc Come de Medicis eut découvert dans les montagnes de Pietra sancta, un endroit dont le dessus étoit de marbre très-blanc, & propre pour faire des statues, l’on rencontra dessous un autre marbre mêlé de rouge & de jaune ; & à mesure qu’on alloit plus avant, on trouvoit une variété de marbres de toutes sortes de couleurs, qui étoient d’autant plus durs & plus beaux, qu’ils étoient cachés dans l’épaisseur de la montagne. C’est de ces sortes de marbres que les ducs de Florence, depuis ce tems-là, ont fait enrichir leurs chapelles, & qu’ensuite on a fait des tables & des cabinets de pieces de rapport, où l’on voit des fleurs, des fruits, des oiseaux, & mille autres choses admirablement représentées. On a même fait avec ces mêmes pierres, des tableaux qui semblent être de peinture, & pour en augmenter encore la beauté & la richesse, on se sert de lapis, d’agate, & de toutes les pierres les plus précieuses. On peut voir de ces sortes d’ouvrages dans les appartemens du Roi, où il s’en trouve des plus beaux.

Les anciens travailloient aussi de cette maniere, car il y avoit autrefois à Rome au portique de S. Pierre, à ce que dit Vassari, une table de porphyre fort ancienne, où étoient entaillées d’autres pierres fines qui représentoient une cage ; & Pline parle d’un oiseau fait de différens marbres, & si bien travaillé dans le pavé du lieu qu’il décrit, qu’il sembloit que ce fût un véritable oiseau qui bût dans le vase qu’on avoit représenté auprès de lui.

Pour faire ces sortes d’ouvrages, on scie par feuilles le bloc ou le morceau d’agate, de lapis, ou d’autres pierres précieuses qu’on veut employer. On l’attache fortement sur l’établi, puis avec une scie de fer sans dents, on coupe la pierre en versant dessus de l’émeril mêlé avec de l’eau, à mesure que l’on travaille : il y a deux chevilles de fer aux côtés de la pierre, contre lesquelles on appuie la scie, & qui servent à la conduire. Quand ces feuilles sont coupées, si l’on veut leur donner quelque figure pour les rapporter dans un ouvrage, on les serre dans un étau de bois ; & avec un archet qui est une petite scie faite seulement de fil de laiton, de l’eau & de l’émeril qu’on y jette, on la coupe peu-à-peu, suivant les contours du dessein que l’on applique dessus, comme l’on fait pour le bois de marqueterie. Voyez Marqueterie.

On se sert dans ce travail, des mêmes roues, tourets, platines d’étain & autres outils dont il est parlé dans la gravure des pierres précieuses, selon l’occasion & le besoin qu’on en a, tant pour donner quelque figure aux pierres, que pour les percer & pour les polir : on a des compas pour prendre les mesures, des pincettes de fer pour dégarnir les bords des pierres, des limes de cuivre à main & sans dents, & d’autres limes de toutes sortes.

Pierre a broyer les couleurs des Peintres, sont des pierres qui sont ordinairement de porphire, d’écaille de mer, ou autres pierres très-dures. Voyez nos planches.

Pierre de craie, dont les Peintres se servent pour dessiner. Voyez Crayon.

Pierre de mine de plomb, servant à dessiner. Voyez Crayon.

Pierre noire, servant à dessiner. Voyez Crayon.

Pierre sanguine, servant à dessiner. Voyez Crayon.

Pierre a rasoir, (Perruquier.) est une sorte de pierre polie & dont le grain est très-fin : on s’en sert pour aiguiser les rasoirs en y répandant de l’huile, & passant obliquement le rasoir par-dessus de côté & d’autre. Ces pierres sont ordinairement ajustés sur un morceau de bois qui leur sert de manche, au moyen duquel on se sert plus commodément de ces pierres.

Pierre, outil de Vernisseur, c’est une pierre de lierre, quarrée, épaisse de quatre à cinq pouces, longue & large d’un bon pied, sur laquelle les Vernisseurs broyent leurs différentes couleurs avec la molette, & les délayent avec du vernis au lieu d’huile.

Pierre ou Steem, s. f. (Comm.) sorte de poids plus ou moins fort, suivant les lieux où il est en usage.

A Anvers la pierre est de huit livres, qui en font sept de Paris, d’Amsterdam, de Besançon & de Strasbourg, y ayant égalité de poids entre ces quatre villes. A Hambourg la pierre est de dix livres, qui font à Paris, à Amsterdam, &c. neuf livres douze onces & six gros, un peu plus. A Lubeck la pierre est aussi de dix livres, mais ces dix livres ne sont que neuf livres huit onces trois gros de Paris. A Dantzick & à Revel, il y a la petite & la grosse pierre, la premiere qui sert à peser les marchandises fines, est de vingt-quatre livres, qui font à Paris, Amsterdam, &c, vingt-une livres cinq onces cinq gros, & la seconde qui est en usage pour les grosses marchandises, comme cire, amandes, ris, &c, est de trente-quatre livres, qui rendent à Paris trente livres quatre onces un gros. A Stetin il y a aussi une petite & une grosse pierre, la petite est de dix livres, qui font neuf livres quatorze onces de Paris, & la grosse est de vingt-une livres, qui reviennent à vingt livres onze onces, peu plus, poids de Paris. A Conigsberg la pierre est de quarante livres, qui en font trente-deux de Paris. Dictionn. du commerce.

Pierre-buffiere, (Géog. mod.) bourg que Piganiol qualifie de petite ville de France, dans le Limousin, à 4 lieues de Limoges, sur le chemin de Brive. (D. J.)

Pierre, fort saint, (Géog. mod.) fort de l’Amérique septentrionale, dans l’île de la Martinique, à 7 lieues au N. O. du fort Royal. C’est à présent une ville où il y a un intendant, un palais de justice, & deux paroisses, une desservie par les Jésuites, & l’autre par les Dominicains. (D. J.)

Pierre, isle de saint, (Géog. mod.) île de France en Provence, à une lieue au levant d’été de la ville d’Arles ; cette île n’est formée que par les canaux qui ont été creusés à l’orient du Rhône, depuis la Durance jusqu’à la mer ; mais elle est remarquable par l’abbaye de Monte-Majour, ordre de S. Benoît, dont on attribue la fondation à saint Trophime. (D. J.)

Pierre le moustier, saint, (Géog. mod.) petite ville de France, la seconde du Nivernois, avec un bailliage & une sénéchaussée. Elle est dans un fonds entourée de montagnes, près d’un étang bourbeux, à 7 lieues au midi de Nevers, 8 au N. O. de Moulins, 60 S. de Paris. Long. 21. 45. latit. 46. 46. (D. J.)

Pierre-pertuis, (Géog. mod.) en latin du moyen âge, petra-pertusa, chemin de Suisse, percé au-travers d’un rocher. Le val de saint Imier, avec les terres en de-cà, sont dans l’enceinte de l’ancienne Helvétie : les autres au-delà, sont le véritable pays des Rauraques. Ces deux parties sont séparées par une chaîne de montagnes & de rochers, qui sont une branche du mont Jura. Dans ce quartier-là pour avoir un passage libre d’un pays à l’autre, on a percé un rocher épais, & on a taillé un chemin à travers. Il a quarante-six piés de longueur dans l’épaisseur du rocher, & quatre toises de hauteur. Ce passage appellé Pierre-pertuis, est à une grande journée de Bâle, & à une demi-journée de Bienne, près de la source de la Bris. Ce chemin n’est pas nouveau ; une inscription romaine qu’on voit au-dessus de l’ouverture, mais que les passans ont mutilée, nous apprend qu’il a été fait par les soins d’un Paterius ou Paternus duumvir, de la colonie Helvétique établie à Avenche, sous l’empire des deux Antonins. (D. J.)