L’Encyclopédie/1re édition/POULS

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POULS, (Med. Econom. anim. Physiol. Séméiot.) en latin pulsus, σφογμος en grec. Ce mot a été formé dans l’ancienne prononciation, où les u avoient le son de l’ou, de pulsus, qui vient lui-même de pulsare, nom qui signifie battre, frapper. On s’en servit d’abord pour exprimer le battement du cœur & des arteres, c’est-à-dire ce double mouvement de diastole & de systole, par lesquels les parois de l’artere ou du cœur écartés l’un de l’autre, viennent frapper la main ou les corps voisins, & ensuite se retirent & se rapprochent mutuellement. En ce sens & suivant l’étymologie, pouls est synonyme à pulsation : les anciens confondoient l’un & l’autre sous le nom de σφογμος ; les modernes ont attaché à ces noms des idées un peu différentes, appellant pulsation un seul battement des arteres, abstraction faite de toute suite, de tout ordre. & de toute comparaison ; & par pouls ils entendent une suite de pulsations. Voyez Pulsation.

Avant Hippocrate on connoissoit peu le pouls : on le confondoit avec toute sorte de mouvemens naturels ou contre nature, du cœur & des arteres, auxquels on avoit donné le nom de palpitation, παλμος. Galien parle d’un ouvrage d’Œgimius Veliensis, qui traite du pouls sous le nom de palpitation : le même auteur nous apprend qu’Hippocrate a le premier distingué le pouls d’avec les autres mouvemens, & qu’il a introduit pour le désigner le mot grec σφογμος, dérivé de σφυζειν, battre, s’élever ; il a cependant beaucoup négligé cette partie intéressante de la Médecine ; il n’a que très-rarement fait attention à la valeur de ce signe : on voit seulement par quelques endroits (épidem. lib. Il & IV. prænot. coacor. cap. iij. n°. 34, & cap. xv. n°. 6. &c.) qu’il ne l’ignoroit pas entierement.

Hérophile, qui suivant le sentiment le plus reçu vivoit près de deux siecles après ce législateur de la Médecine, fut le premier qui s’adonna sérieusement à l’étude du pouls ; il fit des progrès dans cette connoissance : il avoit laissé quelques ouvrages écrits avec beaucoup d’exactitude sur cette doctrine, mais il ne nous en est parvenu aucun. Ils sont d’autant plus regrettés, qu’ils contenoient vraissemblablement plus de faits que de raisonnemens ; car il étoit, au rapport de Galien, demi-empirique : & que nous y aurions vû en même tems les motifs qui déterminerent Hérophile à ces recherches, la maniere dont il s’y prit, la nature, les progrès & les succès de ses découvertes ; objets toujours curieux par eux-mêmes, & qui ne sont presque jamais sans utilité. Pline prétend qu’Hérophile exigeoit que ceux qui s’appliquoient à l’étude du pouls, fussent musiciens & géometres, pour pouvoir connoître parfaitement la cadence du pouls & sa mesure, selon les âges & les maladies ; & il ajoute que la grande subtilité qu’il avoit mêlée dans cette connoissance, éloigna beaucoup de medecins de cette étude, & diminua considérablement le nombre de ses sectateurs. Lib. XXIX. cap. j. M. Leclerc prétend justifier Hérophile sur ces deux points (hist. de la Médec. part. II. liv. I. chap. vij.), mais il paroît que Pline a raison sur le premier, & qu’Hérophile avoit beaucoup tiré de la musique pour bâtir sa doctrine. Voyez Rythme. Quant au second point, savoir que la secte d’Hérophile fut presque abandonnée, deserta deinde & hæc secta est (Plin. ibid.), cette assertion de Pline est évidemment fausse, car Hérophile eut de son vivant & après sa mort, un grand nombre de partisans, comme l’assurent Galien & Strabon : ce dernier dit qu’en Phrygie il y avoit une secte très-étendue de médecins qui portoient le nom d’Hérophiliens, à la tête desquels furent en différens tems Zeuxis & Alexandre Philalethe. Dès-lors la doctrine du pouls fit beaucoup de bruit, & se répandit très-promptement ; plusieurs médecins fameux écrivirent sur cette matiere, tels qu’Asclépiade, Athénée, Erasistrate, Magnus, Archigene, Agatinus, Héraclide Erythréen, Chrysermus, Zénon, Aristoxene, Bacchius, Héraclide de Tarente, Alexandre Philalethe, Démosthène Philalethe, Mantias, Apollonius, &c. mais tous ces ouvrages ont péri, soit par l’injure du tems, soit par les flammes qui consumerent le temple de la Paix à Rome, où ils étoient conservés dans de magnifiques bibliotheques : peut-être le même accident nous a enlevés les commentaires que Galien dit lui-même avoir composés avec beaucoup de soin sur Hérophile, Erasistrate & Asclépiade, & qu’il n’a pas été possible de retrouver. Parmi les ouvrages qui nous restent de Galien, il y a un livre entier qui ne contient que l’exposition, le commentaire & quelquefois la réfutation & la correction des différentes définitions que tous ces médecins nommés plus haut ou leurs disciples, ont données du pouls : les uns ont dit que le pouls étoit le mouvement des arteres ; les autres ont ajouté du cœur, ou du ventricule artériel du cœur : ceux-ci ont prétendu qu’il falloit déterminer les mouvemens & définir le pouls par la distension & la contraction du cœur & des arteres ; ceux-là ont fait entrer dans la définition les causes, les usages, &c. Athenœus a dit que le pouls n’étoit que la distension naturelle & involontaire de l’esprit chaud qui est dans les arteres & dans le cœur, &c. Moschion a soutenu que le pouls étoit un mouvement particulier du cœur, des arteres, des veines, du cerveau & des membranes environnantes, qui se faisoit plus d’une fois dans chaque inspiration, &c. Il est inutile de nous arrêter plus long-tems à cet objet : le lecteur curieux peut consulter le IV. liv. des différences des pouls de Galien, il y verra que toutes ces définitions, au nombre de plus de vingt, paroissent avoir été faites plûtôt par esprit de parti, par envie d’innover, & pour suivre les regles scholastiques d’Aristote, que pour développer & éclaircir la nature du pouls.

Galien s’est beaucoup distingué dans la connoissance du pouls ; il l’a réduite en méthode & en a fait un système qui a été adopté & suivi aveuglément, de même que ses autres opinions, jusqu’à l’invasion du chimisme dans la Médecine, qui a combattu & renversé indistinctement & sans choix tous les dogmes du galénisme. Cette doctrine a été reprise par les méchaniciens, mais altérée, prétendue corrigée, & habillée à leur façon. Les historiens qui ont voyagé à la Chine, nous ont appris que les médecins chinois s’appliquoient particulierement à l’étude du pouls, & qu’ils avoient sur cette matiere des connoissances propres bien éloignées de ce qu’en ont écrit les médecins des autres pays, anciens & modernes. Enfin depuis quelques années un médecin espagnol nommé dom Solano de Lucquès, a vu dans quelques modifications du pouls, des signes inconnus jusqu’alors, qui annonçoient des crises prochaines, & faisoient connoître d’avance le couloir par lequel devoit se faire l’excrétion critique ; il recueillit & publia des observations très-intéressantes là-dessus. M. Nihell, médecin irlandois, y en ajouta quelques-unes ; & en dernier lieu M. de Bordeu, médecin des facultés de Montpellier & de Paris, a confirmé & considérablement étendu & augmenté la découverte de Solano : Il a bâti, pour me servir des paroles de M. Haller, sur l’édifice de Solano, un édifice plus vaste, plus clair, & qui est manifestement le sien, dont la structure ne peut être affermie ou renversée que par un grand nombre d’expériences (observations) qui demandent du loisir, des occasions, & sur-tout un esprit affranchi de tout préjugé.) Physiol. tom. II. pag. 279). C’est à ces quatre époques remarquables qu’on peut & qu’on doit réduire tout ce qui a été dit sur la doctrine du pouls : nous le parcourerons le plus rapidement qu’il nous sera possible ; l’importance de cette matiere, le peu de connoissance qu’on a du système de Galien & de celui des Chinois, nous obligera d’entrer dans bien des détails, & de donner même sur ces points à cet article une certaine étendue. Malgré le grand nombre de commentaires des ouvrages de Galien, il nous manque encore une explication nette de ses écrits sur le pouls, qui sont les plus obscurs de ses ouvrages, non-seulement parce qu’ils sont tronqués, mais parce qu’ils sont embrouillés de façon, comme il dit lui-même, que sur mille lecteurs, à peine y en aura-t-il un qui pourra les comprendre. La méthode des Chinois est presque entierement inconnue ; il y a lieu de présumer qu’elle n’est pas sans avantages ; il est au-moins très-assuré qu’elle peut piquer & satisfaire la curiosité. La doctrine de M. de Bordeu examinée sans prévention & avec assiduité, paroît très-belle, très-vraie & très-lumineuse, non-seulement fertile en explications satisfaisantes de plusieurs phénomenes de l’économie animale, mais encore très propre à répandre sur la connoissance, le prognostic & le traitement des maladies, beaucoup de lumieres & de certitude : c’est ce qui nous a déterminé à entrer dans bien des détails sur cette matiere, d’autant mieux que cette doctrine, comme toutes les découvertes intéressantes, a essuyé bien des contradictions de la part même de ceux qui auroient été les plus intéressés à l’approfondir, la défendre & la publier ; pendant que M. le Camus assuroit avec cette noble fermeté que donne la conviction, que le médecin destitué de ces connoissances est le plus souvent « un pilote qui vogue sans boussole sur les mers les plus dangereuses ; un aveugle qui veut guider les autres dans un chemin qu’il ne connoît pas ; un téméraire qui assassine en voulant sauver la vie, &c ». mém. sur divers sujets de médecine. Des députés de la faculté de Médecine de Paris, dans le rapport qu’ils font de cet ouvrage, ont l’inconséquence, pour ne rien dire de plus, d’avancer & d’imprimer que la connoissance du pouls (qui ne peut être que l’objet de l’observation) étoit devenue depuis quelques années un nouveau sujet de récherches plus ou moins systématiques.... obscures, souvent peu utiles, & capables aussi d’arrêter le médecin dans ses opérations, &c. Nous examinerons plus bas sur quoi ces reproches sont fondés, tâchant autant qu’il sera possible de tirer le rideau sur les motifs qui ont fait tenir à ces médecins un langage si contraire au bon sens, à la vérité, & même à leur propre façon de penser.

Doctrine de Galien sur le pouls. Cette doctrine que Galien a puisée chez les anciens médecins, mais qu’il s’est comme appropriée par les changemens & les additions essentielles ou inutiles qu’il y a fait, se trouve très-prolixement exposée dans dix-huit livres qui nous restent de cet auteur sur le pouls : savoir, 1°. de pulsibus libellus ad tyrones ; 2°. de pulsibus libri XVI. Cet ouvrage est divisé en quatre parties, dont la premiere traite des différences des pouls ; la seconde de la maniere de les connoître ; la troisieme contient les causes des pouls, & la quatrieme les signes qu’ils fournissent : 3°. synops. libror. XVI. de pulsib. Ceci n’est qu’une récapitulation, un abregé de ce qu’il a dit dans l’ouvrage précédent, où il ajoute quelques regles & quelques observations nouvelles. Dans l’extrait que nous allons en donner nous suivrons à-peu-près cet ordre, exposant d’abord les caracteres ou différences du pouls ; 2°. leurs causes ; 3°. les présages qu’on peut en tirer.

1°. Différences du pouls. Galien appelle pouls le double mouvement de l’artere par lequel elle s’affaisse sur elle-même & se distend ensuite en tout sens. Entre chaque mouvement il distingue un tems intermédiaire, ou repos. Il tire les premieres différences de la variété qu’il peut y avoir dans les trois dimensions que présentent la distension & la contraction de l’artere ; 2°. de la force ou de la foiblesse du coup que donne l’artere distendue ; 3°. de la promptitude ou de la lenteur avec laquelle l’artere s’éleve ou s’épanouit ; 4°. de la nature de ce coup, c’est-à-dire, de sa dureté ou de sa mollesse ; 5°. de la plénitude ou de la vacuité (qu’on me passe ce mot) de l’artere ; 6°. de l’égalité ou de l’inégalité qui se trouve dans ces différences ; 7°. de la proportion qu’on peut observer entre le tems de la distention & celui de la contraction. On peut appercevoir ces différences dans un seul pouls, c’est-à-dire, dans une seule pulsation, ou pour m’exprimer plus correctement dans une seule distension précédée ou suivie de sa contraction ; car pulsation ne désigne que l’abattement d’un seul point de l’artere, & par distension, on peut exprimer l’élévation de plusieurs parties de l’artere dans le même temps, ce qu’on observe lorsqu’on tâte le pouls avec plusieurs doigts, l’on sent alors plusieurs pulsations, & rien qu’une distension ou contraction. 8°. On tire aussi des différences que Galien appelle collectives de plusieurs pouls (pulsations) qui se succedent, & l’on peut y examiner leur fréquence, l’égalité ou l’inégalité des intervalles avec lesquels ils se suivent ; & la proportion, l’ordre, la régularité ou le desordre & l’irrégularité qu’ils observent.

Dans un seul pouls (pulsation ou distension) les différences qui se tirent de la quantité de mouvement forment le pouls vîte, lent & modéré, suivant le plus ou moins de tems que l’artere emploie à s’élever ou à s’abaisser.

La quantité de distension fournit neuf différences, trois pour chaque dimensions, & il en résulte 1°. le pouls long, court & moderé ; 2°. le pouls large, étroit & moderé ; 3°. le pouls haut, bas & moderé ; ces différences sont relatives à la situation de l’artere dans le corps ; car absolument parlant, dans un cylindre comme les arteres, il n’y a point de hauteur & de largeur proprement dites qui soient différentes ; par la combinaison de ces différentes especes, & en les associant ensemble, on forme vingt-sept especes de pouls simples. Exemple. Un pouls peut être en même tems long, large & haut ; dans ce cas il est appellé grand ; si toutes les dimensions sont moderées, il en résultera le pouls moyen ; le court, l’étroit & le bas forment le pouls petit ; celui qui est en même tems modéré (en longueur) large & haut est nommé turgidus, gonflé, crassus, épais ; il peut résulter d’autres combinaisons ; on a donné le nom de gréle ou de tenu, tenuis, à celui qui est long & haut, mais modéré en largeur, ou étroit. Voyez la table de Galien, de differ. puls. lib. I. cap. v.

La nature du coup que le doigt appliqué sur l’artere sent, a établi trois divisions ou différences qui se subdivisent encore ; savoir, le pouls véhement, ou fort, foible & modéré, selon le degré de force du coup ; 2°. le pouls dur, mol, que les jeunes médecins, dit Galien, confondent souvent avec le plein, le vuide qui forment la troisieme différence. Le pouls plein est, suivant la définition d’Archigene, celui qui présente au doigt une artere distendue, remplie, avec un gonflement humide, occursum humidè tumidum ; le pouls vuide au contraire fait paroître l’artere semblable à une bulle, bullosam facit elevationem, qui se dissipant tout de suite, laisse le doigt isolé.

Galien prétendant contre quelques médecins, que la contraction de l’artere est sensible, distingue deux repos ; l’un qui termine, suivant lui, la contraction, & commence la distension ; il est intérieur, & relativement à nous, inférieur. L’autre externe & supérieur suit la distension, & précéde la contraction ; ceux qui nient qu’on puisse sentir la contraction, prennent pour repos l’intervalle qui se trouve entre deux mouvemens apparens, c’est-à-dire, entre deux pulsations ; ceux du parti opposé multiplient beaucoup les différences qu’ils prétendent déduire de ces repos mitoyens. Quoi qu’il en soit, lorsque le doigt est frappé par l’artere, on peut distinguer deux tems, l’un relatif à la promptitude avec laquelle les parois de l’artere sont distendus & contractés ; & l’autre relatif à l’intervalle écoulé entre deux ou plusieurs pulsations : le premier pouls est appellé vîte, & le second fréquent : on leur oppose les pouls lent & rare. Delà naît le rythme ou cadence, qui n’est autre chose que la proportion qu’il y a entre le tems du mouvement & celui du repos. Ceux qui croient sentir la contraction, ont distingué dans ce tems les mêmes différences que dans la distention d’où ils ont pu tirer vingt-sept autres especes de pouls ; & en les combinant avec ceux de la distension. On peut en former plus de deux cens especes ; je laisse à décider combien ces divisions minutieuses sont difficiles à saisir, arbitraires & inutiles.

La proportion qui constitue le rythme, ne demande pas une parfaite égalité ; elle varie suivant les âges, les tempéramens, les tems de l’année, les climats & d’autres circonstances. Voyez Rythme, A Rythme, en Rythme, para Rythme, Hetero Rythme, &c. à leur article, ou au mot Rythme. Elle se trouve souvent jointe avec l’inégalité dans le nombre, la vîtesse, la force, la grandeur & la fréquence des pulsations, pourvu que cette inégalité suive un certain ordre ; par exemple, le tems de la contraction peut être double, triple, quadruple de celui de la distension, suivre les progressions arithmétiques ou géométriques ; un rythme constant fait les pouls bien ordonnés, reglés ou réguliers. Le pouls arythme dérange l’ordre, trouble la régularité ; le pouls est toujours régulier, quand il est parfaitement égal ; mais le défaut d’égalité n’emporte pas toujours le défaut d’ordre ; il subsiste lorsque les retours des inégalités sont semblables ; si après deux pulsations égales il en vient pendant plusieurs périodes une troisieme inégale, le pouls sera inégal régulier ; si telle pulsation inégale n’observe dans ses retours aucun ordre, le pouls sera inégal, irrégulier ; l’inégalité peut regarder la vîtesse, la fréquence, la dureté, la grandeur, &c. & le pouls peut être en même tems égal & inégal sous des rapports différens ; il y a aussi des inégalités que Galien appelle égales ; on ne peut les appercevoir que dans l’assemblage de plusieurs pulsations ; elles se rencontrent lorsque les différences, qui constituent l’inégalité, sont dans une égale proportion ; lors, par exemple, que la seconde pulsation étant moindre que la premiere de deux degrés ; la troisieme est moindre que la seconde, aussi de deux degrés, & que la même différence se trouve entre la quatrieme & la troisieme ; les pouls qui en résultent sont appellés par les Grecs miures, voyez ce mot, decurtes, decurtati, décroissans, &c. lorsqu’ils sont parvenus à une certaine petitesse, ou ils remontent, ou ils restent petits ; parmi ceux qui redeviennent grands, il y en a qui le font tout-d’un-coup, d’autres observent en remontant la même proportion que quand ils sont descendus.

Galien parle d’une autre espece de pouls décurté par les deux côtés où l’on ne sent que la pulsation du milieu, il les appelle innuens ou circumnuens. Lorsque l’inégalité est telle que les pouls manquent totalement pendant un certain tems, ils prendront les noms de décurtés manquans, ou inégaux manquans, ou intermittens, suivant qu’on doit attribuer les défauts du pouls à la petitesse, ou à la foiblesse, ou à la rareté poussées à l’excès. On appelle intermittent le pouls qui se trouve formé par l’inégalité de fréquence, il est l’opposé de l’intermittent, ayant deux distensions à la place d’un repos.

Galien prétend qu’on peut aussi distinguer des inégalités dans une seule pulsation ou distension & cette inégalité peut se trouver ou dans la même portion d’artere, examinée dans des tems différens, ou dans des portions différentes d’artere tatées dans le même tems ; dans le premier cas on compte trois différences qui sont assez ordinaires, suivant lui, & très-significatives, comme il promet de le montrer ailleurs ; le mouvement d’une portion d’artere peut être, dans le commencement, lent & enfin vîte, ou d’abord vîte & ensuite lent, &c. ainsi, ou le repos intercepte le mouvement, ou le mouvement subsiste avec inégale vîtesse, ou enfin, il prend sur le repos, & revient avant son tems ; chacun de ces cas donne naissance à différentes especes de pouls ; dans le premier se forment d’abord neuf différences ; car 1°. le premier mouvement étant vîte, le second peut être ou vîte, ou lent, ou modéré ; 2°. le premier mouvement peut être lent, & le second varier de trois façons ; 3°. il en est de même si le premier est moderé, &c. Voyez la table de Galien, livre cité, ch. xiv. 2°. Le mouvement subsistant avec inégalité de vîtesse fait aussi naître plusieurs différences, car les pulsations peuvent être d’abord lentes & ensuite vîtes, d’autres peuvent au contraire commencer à être vîtes, & finir par être lentes ; l’on peut ici multiplier à l’infini les différences en supposant différens degrés de vîtesse & de lenteur, en faisant passer le pouls du modéré au vîte, du vîte au modéré, d’une extrème lenteur à une extrème vîtesse, & vice versa. Enfin en imaginant de l’ordre ou de l’irrégularité, de l’égalité ou de l’inégalité, parce que ces substilités sont le fruit de l’imagination, & ne se trouvent point dans la nature ; Galien veut qu’on restreigne toutes ces différences à six, & assure qu’il n’arrive jamais que le pouls passe d’une extrémité à l’autre. Si l’on compare deux mouvemens ensemble, il se formera neuf especes de pouls, dont trois sont nécessairement égaux ; il en restera donc six d’inégaux. Voyez la table de Galien, ch. xvj. Nous la transcrirons ici, le lecteur pourra juger de ce que nous avançons, & se former une idée des autres plus composées, qu’on peut consulter dans l’ouvrage même.

Premier mouvement. Second mouvement.
  1 vîte (égal)   vîte.
2 vîte modéré.
3 vîte lent.
4 modéré vîte.
5 modéré (égal.) modéré.
  6 modéré   lent.
7 lent vîte.
8 lent modéré.
9 lent (égal.) lent.

Si l’on peut en comparer trois, il résultera vingt-sept especes de pouls, qui, par la soustraction des trois égaux se reduisent à vingt-quatre. Voyez encore la table ; & si on a l’adresse, ou pour mieux dire l’habitude de pouvoir dans une pulsation saisir quatre tems inégaux, comme Galien dit l’avoir fait assez difficilement, & qu’on les combine ensemble, on établira 81 différences, ou par la soustraction des trois égaux, 78 especes de pouls inégaux dans une seule pulsation ; il est peu nécessaire d’avertir combien ces subdivisions sont subtiles, idéales & peu observées.

3°. Enfin le mouvement qui coupe, pour ainsi dire, le repos qui revient, qui recurrit, constitue le pouls qu’Archigène a appellé dicrote, δικρτος, c’est-à-dire, bis-feriens, frappant deux fois ; c’est là le caractere de ce pouls, la pulsation semble divisée en deux, & donne deux coups dans le tems où elle n’en devroit donner aucun ; la seconde distension commence avant que la construction ait été entierement terminée ; Galien prétend que ces deux coups ne doivent pas plus faire recourir à deux distensions que le pouls intermittent qui n’est pas double, quoiqu’il y ait deux repos.

Si l’on tâte avec plusieurs doigts différentes portions d’artere en même tems, on sentira plusieurs pulsations ; il est évident qu’il peut se trouver entre elles de l’inégalité, qu’elle peut varier suivant les doigts, que le pouls peut être inégal en vîtesse, ou inégal manquant ; dans le pouls continuel, les pulsations peuvent être plus ou moins vîtes, modérées ou lentes ; vîtes sous le premier doigt, par exemple, lentes sous le second, modérées sous le troisieme, & vîtes sous le quatrieme ; on peut combiner ces différences de 81 manieres, & par conséquent établir 81 especes de pouls inégaux dans une seule distension, ou seulement 78, parce qu’il y en a trois nécessairement égaux, comme nous avons remarqué ci-dessus ; si on ne tâte le pouls qu’avec trois doigts, on n’aura que 27 especes de pouls, dont trois égaux ; avec deux doigts, neuf especes de pouls qui se reduisent à 6 d’inégaux ; le pouls inégal manquant peut varier de la même maniere, l’interruption de mouvement pouvant se rencontrer au premier doigt, ou au second, ou au troisieme, ou au quatrieme, ou ensemble, ou séparément ; comme toutes ces différences ne sont que des possibilités, tout le monde peut s’en former une idée.

L’inégalité peut se trouver dans la quantité de distension ; de-là les combinaisons de grand & de petit, qu’on peut varier & multiplier à l’infini ; il en est de même de la force ou de la foiblesse, de la dureté ou de la mollesse, de la plénitude ou de la vacuité sur lesquelles on peut établir un égal nombre de différences ; on peut en tirer encore de la situation de l’artere. Il arrive quelquefois qu’elle semble déplacée, & qu’elle se déjette en-dehors de côté & d’autre, s’élançant avec force comme un trait ; on a donné à ce pouls le nom de vibrosus, pouls vibré, bien différent de notre pouls vibratil. Le pouls convulsif est fort analogue au pouls vibré, il en differe cependant en ce que l’artere n’est pas fort agitée, qu’elle semble au contraire attachée à deux points fixes, qui la tiennent tendue, & dont elle s’écarte peu, faisant des pulsations petites.

Dans cette espece d’inégalité, qui est propre à une seule distension, mais qui suppose plusieurs pulsations, sont compris les pouls ondulans vermiculaires, formicans & caprisans : ces especes sont réellement observées ; elles ne naissent point de quelque division simplement possible & purement imaginaire ; l’inégalité du pouls ondulant consiste en ce que les différentes parties de l’artere ne sont pas distendues en même tems & également ; d’abord la premiere partie se distend, ensuite la seconde, après la troisieme, & enfin la quatrieme, de façon qu’il n’y a jamais interruption de mouvement ; ces pulsations imitent des ondes qui se succedent, d’où est venu à ce pouls le nom d’ondulant (ondosus). Galien remarque qu’il y a des ondes qui s’élevent plus haut, & avec plus de force que les autres, ce qu’il est important de remarquer. Si l’on suppose que les pulsations s’affoiblissent & deviennent petites en conservant leur caractere, on aura une idée du pouls vermiculaire, ainsi appellé, parce qu’il imite la marche d’un ver, qui, suivant Démocrite, est assez analogue à celle des ondes. Si on conçoit ce pouls vermiculaire encore rapetissé, de façon qu’à peine les pulsations soient sensibles, ce sera le pouls formicant, qui tire son nom des fourmis qu’il semble représenter ; on diroit dans ce pouls qu’on en sent courir sous le doigt ; ce pouls ne suppose aucune inégalité nécessaire. Il ne devroit par conséquent pas être de cette classe. Galien avance vaguement & sans preuves qu’il est inégal, mais qu’il ne le paroît pas. Inæqualis quidem est, at non videtur. Le pouls caprisant, ainsi appellé par Hérophile, par comparaison avec le saut des chevres, est un des inégaux dans un seul pouls, d’abord intermittent ; & ensuite plus vîte & plus fort qu’auparavant ; il semble que la pulsation qui suit l’intermittence soit comme coupée en deux, & que la seconde partie soit plus élevée, & revienne sur l’autres comme les chevres, qui voulant sauter s’arrêtent, font un effort, & semblent se replier sur elles-mêmes : Avicenne appelle ce pouls gazellant, de la gazelle, qui differe peu des chevres.

L’égalité de fréquence & de rareté ne peut se trouver que dans une suite de pulsations ; il peut varier suivant le plus ou moins de tems qui se trouve entre chaque pulsation : l’inégalité de rythme se rencontre dans le pouls pris collectivement, lorsqu’il n’y a pas la même proportion entre le tems du coup & celui de l’intervalle dans certaines pulsations que dans d’autres. Si par exemple, dans les deux premieres pulsations ces deux tems sont égaux, ou si étant inégaux, ils sont comme 2, 4, ou 4, 6, & qu’ils soient inégaux, on n’observe pas cette proportion dans les deux suivantes, il y aura inégalité de rythme ; on voit par-là combien il seroit facile d’établir & de multiplier mentalement ces différences. Galien veut distinguer une inégalité de rythme dans un seul pouls ou une seule distension ; pour cela il fait tâter le pouls dans plusieurs portions d’artere, & recommande d’attendre une pulsation & demie : ce qui empêchera, dit-il, de regarder cette inégalité comme collective, c’est que la seconde pulsation ne finit pas ; il suffit, selon lui, pour pouvoir savoir son inégalité de rythme, que la distension commence ; car, poursuit-il, si toutes les portions de l’artere commencent à se mouvoir en même tems dans la premiere distension, & que dans la seconde elles ne s’élevent pas toutes dans le même instant, il y aura inégalité de distension, de vitesse & en même tems de rythme, puisque la proportion sera dérangée ; il en sera de même si toutes les parties de l’artere, ayant commencé ensemble la pulsation, ne la finissent pas en même tems ; on pourroit aussi trouver ou imaginer d’autres façons de faire rencontrer l’inégalité de rythme dans une seule distension, ou plutôt dans une distension & demie : ces exemples suffisent pour faire entendre l’idée de Galien, & pour montrer combien la simple spéculation peut augmenter ces classes minutieuses que l’observation renverse en découvrant leur inutilité.

Telles sont les différences que Galien a établies, soit d’après ses propres observations, soit aussi souvent d’après ses idées ; comme il a senti la difficulté que pourroient avoir ceux qui voudroient vérifier ces faits, il a fait quatre livres, où il développe, ou plutôt où il prétend développer la maniere de reconnoître ces différentes especes de pouls ; il y donne la façon qu’il croit la plus avantageuse pour tâter le pouls, qui est pour l’ordinaire, de presser doucement l’artere du poignet qui est la radiale, avec trois ou quatre doigts, une trop forte pression empêchant le mouvement, & une application trop superficielle ne suffisant pas pour les distinguer, & pour sentir la contraction ; il est des cas cependant où ces deux façons de tâter le pouls peuvent avoir lieu, & sont même préférables. Il a bien compris la difficulté de fixer dans le pouls les termes le grand, de large, de petit, d’étroit, de vite, &c. & il remarque qu’on ne peut connoître que vaguement & à force d’habitude, ces différentes qualités, de la même maniere que lorsqu’on a vu un certain nombre de personnes, on décide assez justement celles qui sont grandes & celles qui sont petites ; mais il n’en est pas de même pour déterminer l’égalité ou l’inégalité ; ces mesures sont constantes & invariables, il n’y a qu’un seul point où se trouve l’égalité parfaite ; savoir, lorsque toutes les qualités des différentes pulsations sont semblables. Le moindre excès d’un côté ou d’autre fait l’inégalité. Pour ce qui regarde la plénitude & la vacuité du pouls, il se moque avec raison d’Archigene, qui prétendoit la rendre plus sensible par la comparaison qu’il en faisoit avec de la laine pleine ou du vin plein : ces mots peu faits pour être ensemble, n’expliquent rien du tout ; ils sont beaucoup plus obscurs que ce qu’ils devoient éclaircir ; l’habitude suffit au reste pour saisir ces différences.

2°. Causes des pouls. Galien fait ici une distinction importante entre les causes de la génération des pouls & les causes de leur altération, les différentes qualités des humeurs, les bains, les passions, &c. peuvent bien altérer les pouls ; mais ces causes ne sauroient les produire ; on avoit dejà beaucoup disputé, du tems de Galien, sur les causes qui concourent effectivement à leur génération ; les uns attribuoient ce mouvement du cœur & des arteres à la chaleur naturelle ; d’autres à la contention : ceux-ci, à une propriété du tempérament : ceux-là le faisoient dépendre de l’ensemble de la structure du corps ; quelques-uns croyoient que l’esprit en étoit la seule cause : quelques-autres joignirent ensemble plusieurs de ces causes ou même toutes. Il y en eut qui imaginerent une faculté incorporelle pour premiere cause, qui se servît de la plûpart, ou même de tous les instrumens dont nous venons de parler, pour produire les pouls. Galien adopte ce dernier sentiment, & ne laisse pas d’admettre cette faculté, quoiqu’il en ignore l’essence, il la croit toujours également forte & puissante, & attribue au vice des instrumens, à la mauvaise disposition du corps, les dérangemens qui arrivent dans la force du pouls : il joint à cette cause effectrice l’usage : par ce mot, il entend l’utilité des pouls pour rafraîchir le sang dans la distension, & pour dissiper dans la contraction les excrémens fuligineux ramassés dans les arteres par l’adustion du sang. C’est son langage vraisemblablement bon dans son tems & dans son pays, que nous ne devons pas trouver plus extraordinaire & plus mauvais que l’idiome anglois en Angleterre. La troisieme cause nécessaire, suivant Galien, est celle qu’on appelloit la cause instrumentale, ou les instrumens, c’est-à-dire, les arteres : la faculté pulsatrice ne prend pas, ainsi que les autres ouvriers méchaniques, les instrumens en-dehors quand elle veut agir ; mais elle s’y applique dans toute leur substance, & les pénetre intimement.

Les différences des pouls se tireront donc de ces trois causes : de la faculté, de l’usage, des instrumens ou des arteres : la faculté forte fait les pouls véhémens : foible, les pouls languissans ; l’usage plus ou moins pressant les fait varier de différentes façons : l’usage augmente par la chaleur, parce que plus il y a de chaleur, plus aussi le refroidissement est nécessaire ; ainsi dans ce cas la distension qui attire la matiere refroidissante, doit augmenter en grandeur, en vitesse & en fréquence, suivant que la chaleur sera plus ou moins forte ; la contraction qui est destinée à chasser la matiere excrémentitielle, augmentera de même si l’usage est pressant ; si le besoin est grand, c’est-à-dire, pour parler avec lui, s’il y a beaucoup d’excrémens fuligineux, la nature des instrumens changera aussi le pouls ; ainsi l’artere molle fait le pouls mol, & l’artere dure rend les pouls durs ; par où l’on peut voir que l’usage n’a point de pouls bien propres, parce que la faculté plus ou moins forte, l’artere plus ou moins dure, peut les faire varier ; & Galien remarque en conséquence qu’on a eu tort de regarder le pouls grand, vite & fréquent, comme particulier à la chaleur, comme accompagnant toujours la nature, lorsqu’elle est en feu, cùm aduritur ; & de même le pouls n’est pas toujours petit, lent & rare, lorsque la nature s’éteint. On se trompe aussi de croire avec Archigene, que la vitesse vient de la foiblesse, & avec Magnus, qu’elle est produite par la force de la faculté : elle n’est attachée nécessairement ni à l’un ni à l’autre, elle suit pourtant plus ordinairement la force de la faculté, l’abondance de chaleur, ou l’usage pressant & la mollesse de l’artere ; la grandeur du pouls suit assez ordinairement les mêmes causes ; les pouls petits & lents sont par conséquent les effets du concours des causes opposées. La fréquence est plus souvent jointe à la foiblesse de la faculté, à l’abondance de chaleur & à la dureté des instrumens ; la rareté au contraire, &c. Si le besoin étant pressant, l’artere est dure, le pouls ne pourra pas être grand ; alors la vitesse compensera le défaut de grandeur, & la fréquence même surviendra pour compenser ce qui manque à la vitesse pour completer l’usage, en attirant une quantité suffisante de rafraichissement ; on peut par les différentes combinaisons de ces trois causes, trouver tous les pouls possibles. Encore un exemple : foiblesse de la faculté & chaleur excessive doivent faire nécessairement le pouls petit & lent à cause de la foiblesse, mais en même tems très fréquent pour satisfaire à l’activité de la chaleur : faculté forte & peu de chaleur seront suivis d’un pouls modérément grand, rare & lent, l’usage ou le besoin de rafraichissement étant alors très petit à cause du peu de chaleur. L’état des arteres apporte beaucoup de dérangement dans le pouls, & ne contribue pas seulement à sa dureté ou à sa mollesse : ces qualités en entrainent nécessairement d’autres ; ainsi la mollesse de l’artere, pourvu qu’elle ne soit pas portée à l’excès qui supposeroit un relâchement & foiblesse de la faculté, la mollesse, dis-je, fait les pouls mols, grands & vites : grands, parce que les parois plus souples prêtent plus facilement à la distension : vites, parce que cette distension facile exige par-là moins de tems ; la dureté des instrumens, par la raison contraire, produit la dureté, la petitesse & la fréquence : j’ajoute la fréquence, non pas qu’elle soit attachée à la dureté, mais pour satisfaire à l’usage qu’on suppose rester le même, & qui n’est pas rempli par le pouls devenu petit & lent ; on peut voir à présent de soi-même les pouls qui résulteront, en combinant la mollesse, ou la dureté des instrumens, avec la force ou la foiblesse de la faculté, & l’usage plus ou moins pressant ; ces termes peuvent paroître abstraits, étrangers ; mais on s’y familiarise aisément. D’ailleurs il n’est pas possible de faire parler Galien comme un françois & comme un contemporain. Voyez de causis puls. lib. I. Mais comme la même différence du pouls peut être produite par différentes causes ; la vitesse, par exemple, est, comme on vient de voir, propre à la faculté forte, à la mollesse de l’artere & à l’usage pressant ; on peut demander comment on peut reconnoître la véritable : voici le moyen ; il sera évident, dans l’exemple proposé, que la vitesse sera un effet de la faculté forte, si on voit en même tems le pouls vite & véhément ; s’il est mol, on jugera que la vitesse est dûe à la mollesse de l’artere ; & s’il n’est que vite, on l’attribuera à l’usage pressant. Si ces différentes causes y concourent, on s’appercevra par le changement de grandeur, de fréquence & de vitesse, combien l’usage & le besoin ont de part dans sa formation ; un pouls très-vite, très-fréquent & très-grand dénote un grand besoin, &c. La chaleur se connoit d’ailleurs au tact, à la respiration, à l’haleine, &c.

Les causes de l’inégalité du pouls ne peuvent se tirer que de la faculté & des instrumens ; l’usage ne sauroit produire aucun pouls inégal, parce qu’il ne peut pas varier d’une pulsation à l’autre, & encore moins dans la même pulsation ; l’inégalité suit ordinairement la foiblesse de la faculté, soit qu’elle soit absolue, ou relative à l’abondance des humeurs, à la compression, à l’obstruction ou oppilation des vaisseaux ; alors elle est semblable à un homme robuste, qui chargé d’un pesant fardeau, fait de faux pas, chancelle & marche inégalement ; l’espece de pouls inégal la plus ordinaire alors, sont quelques intermittens surtout, & les intercurrens ; ils sont produits par les efforts de la faculté robuste qui tâche d’emporter les obstacles ; ils sont de tems en tems grands, élevés, & dans cet état ils annoncent une excrétion critique, lorsque la faculté est absolument foible, qu’elle ne peut pas commander à tous les instrumens & agir sur eux : il y en a quelques-uns qui sont sans action, qui boitent, claudicat : ce qui donne lieu à l’inégalité ; mais alors le pouls est foible, petit, lent, & inégal. Les pouls mûrs ou décurtés, & surtout les décurtés manquans, mutila décurtata, sont très-souvent l’effet & le signe de la faculté foible ; si le vice des instrumens, c’est-à-dire leur obstruction ou compression, est jointe à la foiblesse de la faculté, l’inégalité sera beaucoup plus considérable.

Lorsque l’inégalité se trouve dans un seul pouls, que l’artere, par exemple, s’arrête au milieu de sa distension, semble reprendre haleine, respirat, & finit ensuite lentement sa distension ; on doit attribuer cet état à l’usage pressant, & aux efforts que fait la faculté pour le satisfaire, mais qui sont interrompus par l’abondance des humeurs ou la gêne des instrumens : ces pouls peuvent varier de bien des façons, la premiere distension pouvant être plus vite ou plus lente que la seconde, ou modérée, ou égale, & le repos plus ou moins long ; lorsque la faculté est forte, supérieure aux obstacles, & que les vices des instrumens sont fort éloignés des principaux troncs, ils font alors le pouls grand, fort, les deux distensions vites, & le repos intermédiaire très-court ; il en est de même de pouls continus, mais inégaux en vitesse ; pour produire le pouls vibratil, il faut que la faculté soit forte, l’usage pressant & peu satisfait, & l’instrument très-dur ; la dureté de l’instrument peut être occasionnée par quelque irritation, par une tension trop forte, un état spasmodique ou inflammatoire, & aussi par le desséchement des tuniques de l’artere. Le pouls dicrote qui est une espece de vibratil, suppose aussi inégalité d’intempérie dans les arteres, c’est-à-dire, inégale distribution de chaud, de froid, d’humide & de sec dans son tissu, de façon qu’elle ne résiste pas également dans tous les points ; alors une portion d’artere s’élevera avant l’autre, & formera ces deux coups : ce qui peut arriver aussi lorsque les parties environnantes compriment trop & inégalement l’artere, & en font ressortir certaines parties plutôt que d’autres. Le pouls caprisant semblable au dicrote par les deux coups, en differe par la cause ; il est produit par une faculté robuste, interrompue dans ses efforts, & empêchée d’avoir son effet total par le trop d’humeurs, la compression ou l’oppilation des arteres, la distension recommence avant que la précédente soit terminée, & elle est plus forte. Les pouls ondulans ont aussi la même cause, abondance d’humeurs, & force de la faculté, auxquelles se joint la mollesse des instrumens ; il semble alors que le pouls soit excité par un fluide, ou un esprit qui coule dans leur cavité (cette remarque auroit bien dû rapprocher Galien de la circulation) la faculté ne pouvant pas élever toutes les parties ensemble, les éleve les unes après les autres ; les vermiculaires sont l’effet de la foiblesse. La même cause jointe à l’intempérie des arteres, donne naissance aux pouls miures, décurtés, innuens ou circumnuens, &c. Les pouls vibrés où l’artere est un peu déjettée, & comme distordue en-dehors, dépendent des causes ordinaires des distorsions, savoir, un froid extremement vif, une grande sécheresse, des inflammations, des skirrhes, des abscès, la génération des tubercules, des tumeurs contre nature, &c. Quant à la maniere dont les inflammations, les spasmes, les irritations des différentes parties agissent pour rendre le pouls dur, convulsif : Galien l’explique très-bien par la sympathie, l’union & la correspondance des nerfs & des arteres établie par le moyen des arteres que le cerveau reçoit du cœur, & par les nerfs qu’il y envoie ; il n’y a, dit-il, après le grand Hippocrate, qu’un concours, qu’une conspiration ; toutes les parties compatissent avec toutes les autres, sans cela notre corps seroit un composé de deux animaux & non pas un seul ; confluxio una, conspiratio una est, omnia omnibus consentiunt, natura communis ; nisi hoc esset, duo animalia esset, non unum, quisque nostrum. Hippocr. lib. de aliment. Galen. de caus. puls. lib. II, cap. xij.

Les inégalités qui naissent dans la longueur, largeur & hauteur des pouls, ont des causes différentes, quoiqu’absolument la largeur & la hauteur ne doivent pas être distinguées, & qu’elles soient les mêmes dans une artere nue & isolée. La faculté forte & la mollesse des instrumens concourent à faire les pouls hauts & larges ; ils sont tels dans la colere & dans ceux qui vont être jugés. La faculté irritée & animée éleve les parois supérieures de l’artere, lorsqu’il n’y a point d’obstacles, & que les autres sont comprimés ; le pouls est large au contraire, lorsque les efforts se font par les côtés, qu’ils ne résistent pas, & que la peau seche est un obstacle à la hauteur du pouls : cela se rencontre souvent dans le tems de crise. La foiblesse peu considérable de la faculté, la maigreur des parties, & la dureté de la peau & des instrumens produisent les pouls longs : je les ai observés très-fréquemment chez des convalescens exténués.

Les changemens qui arrivent dans les rythmes, sont pour l’ordinaire relatifs aux âges, aux tempéramens, ou à quelqu’autre circonstance semblable ; ils dépendent principalement de l’usage auquel se rapportent nécessairement la vitesse, la fréquence & la grandeur des distensions & des contractions ; la proportion qui est entre ces deux mouvemens, doit varier dans les cas où leurs causes s’éloigneront de l’équilibre & de l’égalité ; par exemple, la contraction augmentera dans les enfans qui prennent plus de nourriture, qui font plus d’humeur : les excrémens fuligineux sont plus abondans, & leur excrétion est plus nécessaire ; or, comme nous avons dit plus haut, l’usage de la contraction est de chasser & dissiper ces matieres excrémentitielles, de même que la contraction de la vessie & des intestins exprime & renvoie hors du corps les urines & les matieres fécales ; ce que l’œil nous fait appercevoir dans ces parties, la raison & l’analogie le dictent dans les arteres ; la distension, dont le propre est d’attirer la matiere aërée, rafraîchissante, deviendra plus grande, plus vite, dans les tempéramens vifs, bouillans, dans qui la chaleur est excessive, & par conséquent le besoin de rafraîchissement pressant, & ainsi des autres.

Telles sont les causes qui agissent intérieurement sur le pouls, & dont l’action dérobée au témoignage des sens ne peut s’atteindre que par un raisonnement plus ou moins hypothétique. Galien joint à l’exposition de ces causes intérieures plus prochaines, plus cachées, plus obscures & plus incertaines, le détail des différentes modifications des pouls qu’entraine l’action des différentes causes extérieures dont les effets sont certains, & peuvent être connus par une observation assidue ; mais il n’est pas décidé si Galien s’est servi d’un moyen de connoissance aussi fécond & infaillible pour déterminer ces différentes especes de pouls, ou s’il ne les a pas déduits de ses systèmes antérieurs ; quoiqu’il en soit, ces observations & ses classes se plient très-facilement à sa théorie, & semblent faites exprès pour elles. On peut consulter le troisieme & le quatrieme livre des causes des pouls, l’on y verra les changemens du pouls par rapport aux sexes, aux âges, aux saisons, aux climats, aux tempéramens, aux habitudes, à la grossesse, au sommeil, au réveil, à l’exercice, aux bains chauds & froids, au boire, au manger, aux passions, à la douleur, & à un grand nombre de maladies. Il ne nous est pas possible d’entrer dans un détail aussi circonstancié, & qu’il ne seroit pas possible d’abréger & d’ailleurs inutile au but que nous nous sommes proposé ; nous nous contenterons de faire une remarque qui nous paroît importante, c’est que Galien ne compte point parmi les causes du pouls le mouvement des humeurs ou des esprits dans les arteres, opinion cependant soutenue avant lui par Erasistrate, qui pensoit que ces esprits étoient envoyés par le cœur dans les arteres. Il ne paroît cependant pas ignorer ce mouvement, puisqu’il a fait une expérience très-ingénieuse pour prouver qu’il n’étoit point cause du pouls, & que les arteres ne se distendoient pas, parce qu’elles recevoient les humeurs, mais qu’elles les recevoient, parce qu’elles étoient distendues, comme les soufflets reçoivent l’air, lorsqu’on en écarte les parois, contraires en cela aux outres & aux vessies qui ne se distendent que par l’humeur dont on les remplit ; Galien introduisit un chalumeau dans une artere, & lia fortement les parois au milieu du chalumeau, dans l’instant l’artere au-dessous de la ligature ne battit plus ; cependant le cours des humeurs étoit libre à-travers le chalumeau, l’artere se remplissoit comme à l’ordinaire, & rien ne les empêchoit d’exciter les pouls au-dessous de la ligature : d’où Galien conclud que la force pulsatrice est dans la membrane même des arteres, & absolument indépendante du mouvement du sang & de l’esprit dans leur cavité : conclusion très-juste, très-remarquable, & dont la vérité n’est pas encore assez reconnue.

3°. Présages qu’on peut tirer du pouls. Le pouls peut servir à faire connoître le tems passé, ou les causes, la privation, le derangement actuel qui constitue les maladies ; & le tems à venir, c’est-à-dire l’issue favorable ou mauvaise qu’on doit espérer ou craindre.

Pour déterminer les causes qui ont précédé, il n’y a qu’à se rappeller les changemens que font sur le pouls les différentes causes, tels que nous les avons exposées ci-dessus. Il y a cependant une observation à faire, c’est qu’il y a certains caracteres du pouls qui ne dépendant que d’une seule cause, l’annoncent nécessairement : tels sont les pouls forts ou foibles, durs ou mols, qui dénotent la force ou la foiblesse de la faculté, la dureté ou la mollesse des arteres ; les autres différences pouvant être produites par différences causes, ne sauroient déterminer au juste quelle est la véritable, alors on combine plusieurs caracteres ensemble ; & pour éviter encore plus sûrement l’erreur, on y joint l’examen des autres signes anamnestiques. Par exemple, la grandeur du pouls peut être augmentée par la faculté forte, l’artere molle, & l’usage pressant ; on peut encore ajouter à ces causes celles qui sont accidentelles extérieures, telles que le boire, le manger, les bains & les médicamens chauds, les passions d’ame vive, &c. ainsi la grandeur du pouls est un signe générique, & par conséquent équivoque de ces différentes causes ; mais elle désigne la faculté forte, si elle est jointe à la véhémence ; l’artere molle, si elle est accompagnée de mollesse dans le pouls ; & l’usage, si aucun de ces caracteres ne s’y rencontrent avec elle, & si la vîtesse & la fréquence augmentent ; ce sera aussi un signe que la distension ne répond point à l’usage ; on connoîtra l’action des causes extérieures en général en tâtant le pouls à diverses reprises, parce que les impressions qu’elles font sur le pouls ne sont pas durables ; la grandeur du pouls, occasionnée par le boire & le manger, est parmi celles-ci la plus constante, elle est jointe à la véhémence, celle qui est un effet de la colere n’en differe que par la durée, elle est très-passagere, cette cause d’ailleurs se manifeste dans les yeux menaçans, rouges & en feu, de même que sur le visage ; mais si le malade retient sa colere & veut l’empêcher de paroître, le pouls alors devient inégal & embarrassé, tel qu’il est dans la contrainte & la perpléxité ; après les bains chauds, le pouls est grand & mol, les vaisseaux & l’habitude du corps souples & humides ; après un remede échauffant, la grandeur du pouls augmente, & les environs de l’artere sont d’une chaleur brûlante ; ce signe est, suivant Galien, très-important à saisir, & d’une grande ressource vis-à-vis des malades qui trompent les médecins, & qui prennent des remedes à leur insu & contre leur avis. Mais pour mieux s’assûrer de la vérité du fait, Galien dit qu’il faut, en tâtant le pouls, faire jurer au malade qu’il n’a rien pris, il hésitera d’abord, & son pouls deviendra sur le champ inégal, marquant la crainte & l’indécision, & décélant par-là le secret qu’il vouloit cacher. Si cette regle est bien juste, on pourroit souvent arracher à des malades des secrets qu’ils n’osent avouer. Galien raconte s’en être servi avec succès vis-à-vis d’un malade qui prétendoit prouver l’ignorance des Médecins ; & pour mieux tromper Galien qui s’étoit déja apperçu d’une semblable tricherie, il prit des remedes en bols ; Galien s’en apperçut au pouls, il interrogea le malade qui soutint opiniâtrément le contraire, & fit venir, pour le certifier, tous ses domestiques, gagés pour ne le pas contredire. Galien alors lui prit le bras en lui tâtant le pouls, & lui proposa en même tems de jurer pour le convaincre ; le malade balança, fit des difficultés, le pouls devint très-inégal, & Galien l’assûra avec plus d’opiniâtreté qu’il avoit pris quelques remedes, le malade fut obligé d’en convenir. J’ai fait, il n’y a pas long-tems, une observation assez analogue : une fille me demandoit quelques secours pour une suppression de regles qui duroit depuis quatre mois ; après différentes questions, je lui demandai s’il ne pouvoit pas y avoir quelque sujet de craindre qu’elle fût enceinte, elle me protesta vivement le contraire ; cependant il y avoit quelques signes douteux ; je voulus essayer, pour m’éclaircir mieux sur un fait aussi important & aussi obscur, le conseil de Galien ; je lui tâtai le pouls que je trouvai assez régulier, & je lui dis que je ne la pourrois croire que sur son serment, que si elle juroit n’être pas enceinte, je lui ferois les remedes les plus convenables ; dans l’instant elle changea de couleur, & son pouls manqua presque entierement ; je n’hésitai point alors de lui dire que j’étois convaincu qu’elle étoit enceinte, & que je me garderois bien de lui ordonner le moindre remede : elle fut obligée ainsi de m’avouer ce qui en étoit.

Tout le monde sait l’histoire d’Erasistrate à l’occasion de Seleucus, dont il connut, par le moyen du pouls, la passion pour sa belle-mere, que ce prince déguisoit cependant avec une extrème attention ; Erasistrate observa que son pouls étoit plus agité, plus ému, irrégulier toutes les fois que sa belle-mere s’offroit à ses yeux, ou même qu’on lui en parloit. Ce trait d’histoire a fourni le sujet d’une petite comédie, sous le titre du médecin d’amour.

On peut faire sur la dureté, la vîtesse, la fréquence & la quantité de distension du pouls le même raisonnement, ces caracteres désignent des causes différentes ; mais en combinant plusieurs caracteres, & ayant aussi recours à la valeur des autres signes, on peut, dans le système de Galien, deviner assez juste la cause qui doit être accusée. On doit sur-tout se rappeller ce qui a été dit sur les causes du pouls. Voyez aussi Galen. de caus. puls. l. IV. & de proeragit. expuls. l. I.

La distension de l’artere & sa contraction ayant des usages différens, doivent aussi avoir différentes significations ; l’usage de la contraction étant d’expulser l’excrément fuligineux provenu de l’adustion du sang, il s’ensuit que lorsqu’on la trouvera vîte, grande, &c. on pourra présumer qu’il y a beaucoup d’excrément ; c’est pour cela qu’on l’observe telle, dans les fievres putrides, dans les dartres rongeantes dans les enfans, dans ceux qui mangent de mauvais alimens, &c. mais il faut être bien exercé à tâter le pouls pour sentir cette contraction ; ceux, dit Galien, qui, par défaut d’habitude, ne peuvent pas l’appercevoir, traitent, ce qu’on en dit, de verbiage inutile, inanem loquacitalem ; la distension servant à rafraîchir le sang dénotera lorsqu’elle augmentera en grandeur, en vitesse, en fréquence, l’excès de la chaleur ; les variétés & les inégalités qui se trouveront dans l’une & l’autre, signifieront ou la surabondance de chaleur, ou l’accumulation d’excrémens fuligineux, suivant que la distension ou la contraction prédominera. Hérophile s’étoit beaucoup étendu sur cette proportion ou sur le rythme, mais Galien se plaint de ce qu’il a plutôt donné des observations qu’une méthode rationelle, comme si les faits, quels qu’ils soient, n’étoient pas infiniment préférables à tous les plus beaux raisonnemens, ils sont la véritable richesse du philosophe-médecin, & le plus sur guide pour le praticien : mais Galien, raisonneur impitoyable & intéressé par-là même à penser autrement, lui reproche de n’avoir débité là-dessus que des absurdités, des erreurs & des confusions.

Les pouls inégaux indiquent toujours une foiblesse de la faculté absolue ou relative ; absolue, si le pouls est en même tems foible & petit ; relative, s’il est grand & fort, alors la quantité des humeurs, la compression des arteres, leurs obstructions sont annoncées ; celui qui marque, suivant lui, le plus de foiblesse, c’est le pouls qui manque tout-à-fait, savoir l’intermittent ; c’est aussi un des signes les plus fâcheux, il est plus à craindre que les pouls les plus irréguliers, mais continus. Pour le prouver, Galien n’a pas recours à des observations, mais à une comparaison qu’il fait du pouls régulier à la santé, du pouls irrégulier à la maladie, & enfin du pouls intermittent à la mort : il remarque cependant que les vieillards, les enfans & les femmes sont moins en danger avec ce pouls que les jeunes gens. Le pouls rare ne differe de l’intermittent que par le degré, aussi n’est-il guere moins funeste que lui. Le pouls intermittent, dans une seule pulsation, est encore plus mauvais que l’autre, parce qu’il dénote une extrème foiblesse, ou des obstacles assez grands pour empêcher le mouvement des arteres dans chaque pulsation ; au lieu que dans l’intermittent pris collectivement, les obstacles n’interceptent qu’une quatrieme pulsation, par exemple, ou une vingtieme, &c. Les pouls intercurrens & fréquens, opposés aux intermittens & aux rares, sont regardés comme plus dangereux par Archigene, parce que le fréquent accompagne ou précede ordinairement les syncopes, & l’intercurrent se rencontre dans certaines péripneumonies & autres fievres de mauvais caractere. Galien croit au contraire qu’ils sont plus favorables ; l’intermittent & l’intercurrent ont cela de commun, dit-il, qu’ils sont produits par une faculté chargée & fatiguée par des obstacles ; mais celui-ci montre que la faculté est forte, résiste & combat ; souvent il précede la crise ; celui-là au contraire indique que la faculté est opprimée & vaincue par les obstacles ; il avoue que toutes les extrémités, excepté la véhémence, sont vicieuses & d’un mauvais augure, mais il prétend que le très-rare est plus fâcheux que le très fréquent. Voici comment il établit le degré de danger que chaque pouls égal fait craindre ; d’abord il met comme le plus dangereux le pouls très-languissant, 2° le très-lent, 3° le très-rare, 4° le très-petit, 5° le très-mol, 6° le très-dur, 7° le très-fréquent, 8° le très-vîte, 9° le très-grand.

Les pouls dicrotes, caprisans, vibrés, indiquent l’intempérie des arteres ou du cœur, qui est, comme nous l’avons dit, la principale cause du dicrotisme, quelquefois aussi la différente température des humeurs dans différentes portions d’artere, il arrive alors qu’il y a collection d’excrémens fuligineux & beaucoup de chaleur ; la premiere cause exige l’augmentation des contractions, l’autre la vîtesse & la grandeur des distensions, de façon que ces deux mouvemens se combattent & tâchent, s’il est permis de s’exprimer ainsi, d’empiéter l’un sur l’autre ; à peine la distension est-elle commencée, que la contraction veut se faire, elle interrompt la distension ; mais si la chaleur est très-forte, elle obligera la distension de recommencer, & de-là les deux coups dans l’espace de tems où il devroit n’y en avoir qu’un. Le pouls vibré est pour l’ordinaire très-critique.

Le pouls ondulant indique la mollesse des arteres & la faculté médiocrement forte, il est alors rare, lent & grand, si en même tems il devient haut & fort, & sur-tout si, suivant la remarque de Struthius, un des commentateurs de Galien, il y a plusieurs pulsations élevées & grandes, il annonce une sueur critique. Ce pouls s’observe dans les maladies humides, pituiteuses, dans les léthargies, les fievres quotidienes halitueuses, dans l’anasarque qui n’est pas produit par le skirrhe ; il dénote d’autant plus sûrement la sueur critique, qu’il est plus mol, plus fort & plus égal, & que les autres signes de coction concourent. Le pouls vermiculaire désigne la foiblesse de la faculté & la mollesse de l’artere, il procede & accompagne les mauvaises sueurs, les fleurs blanches, & les grandes évacuations sanguines & séreuses ; ce que Galien dit sur ce pouls mérite une extrème attention.

Les pouls décurtés, miures, inégaux manquans, réciproques manquans, innuens & circumnuens, indiquent la cause qui les produit, savoir la foiblesse de la faculté : quelque médecins ont prétendu trouver dans une espece de pouls miure renversé, dans lequel la premiere pulsation est la plus petite, & les suivantes vont toujours en augmentant, beaucoup de signification. Galien croit qu’il ne dépend que de la formation naturelle de l’artere ; il y a aussi un pouls auquel on avoit fait attention, & que Galien croit ne dépendre que de la durété de l’artere, c’est le pouls qu’on pourroit appeller triangulaire, parce que la pulsation a en s’élevant la forme d’un triangle dont la pointe va frapper le doigt.

Les pouls bien réglés sont en général préférables aux irréguliers, cependant ceux-ci ne laissent pas d’avoir de grands avantages, ils annoncent dans les maladies une terminaison en bien ou en mal. Si le pouls est irrégulier, & en même tems fort & qu’il y ait eu des signes de coction précédens, c’est un signe de crise prochaine ; dans ce cas l’ordre constant qui dénote une tranquillité infructueuse & nuisible, est moins avantageux que l’irrégularité.

Pour déterminer par le pouls quelles sont les parties affectées, & quelle est l’espece d’affection, Galien entre dans le détail des différentes maladies ou intempéries qui en sont la base, & parcourt successivement toutes les parties du corps : les seules intempéries du cœur & des arteres, dit-il, peuvent changer l’état du pouls, & les autres parties ne l’alterent que par leur action sur le cœur & les arteres, qui est en raison de leur voisinage du cœur de la grosseur des vaisseaux qu’ils reçoivent de la dureté & de la sensibilité des nerfs qui entrent dans leur composition

Les intempéries sont simples ou composées, voyez ce mot, les simples au nombre de quatre sont la chaleur, le froid, la sécheresse & l’humidité ; de la combinaison de ces quatre, il en résulte quatre autres composées qu’on appelle plus communément tempérament, voyez ce mot ; savoir le chaud & le sec, le chaud & l’humide, le froid & le sec, le froid & l’humide, &c. On peut voir par ce que nous avons dit plus haut, quels sont les pouls propres à chaque intempérie & tempérament ; mais il peut arriver que le cœur soit chaud, par exemple, & les arteres froides ; si l’excès de part & d’autre est égal, le pouls est modéré ; mais si on applique la main sur le cœur & sur une artere, on sentira de la différence dans la grandeur, la vîtesse & la fréquence des pulsations. Cette différence sera quelquefois sensible d’une portion d’artere à l’autre, c’est ce qui s’observe dans les fievres lypiries, malignes, pestilentielles, &c. Ce pouls est dans ce cas un très mauvais signe, mais qui trompe les inexpérimentés. Les fievres qui sont des affections du cœur font varier le pouls, suivant leur nature, & sont indiquées par ses différens caracteres. Galien en distingue trois especes, la diaire, l’hectique & la putride. Il assure que dans la diaire, le pouls est toujours plus grand, plus vîte & plus fréquent ; les hectiques ont le pouls encore plus vîte ; il en est de même des putrides. Galien dit qu’une fréquente expérience lui a appris que le signe le plus infaillible de ces fievres étoit la vîtesse des contractions au commencement de l’accès, ce signe est sensible à ceux qui ont le tact fin & exercé. Le pouls des inflammations est toujours dur.

Lorsque les poumons sont affectés, ils communiquent promptement leur altération au cœur, & ne tardent pas à faire impression sur le pouls ; leur intempérie chaude le fait grand, vîte & fréquent ; l’humide les fait mous, &c. Il en est de même des autres visceres, lorsque les parties membraneuses tendues, comme la plevre, le diaphragme, la vessie seront affectées, le pouls sera toujours plus dur. On peut, dans le système de Galien, se faire une idée en suivant la regle établie plus haut, de tous les pouls qui accompagneront l’affection des différentes parties du corps ; il ne faut pas oublier que l’idée qu’on s’en formera ne sera jamais qu’une idée plus ou moins éloignée de la réalité ; mais si l’affection se trouve dans des parties dénuées de vaisseaux, elles exciteront des symptomes nerveux, des convulsions ; il faut que les vaisseaux soient attaqués pour produire la fievre.

Galien regarde le pouls comme un signe très-important pour le pronostic des maladies ; cependant il passe rapidement sur cette partie intéressante, qui fournit peu au raisonnement, & que l’observation seule peut établir & confirmer. Le pronostic roule sur ces trois points principaux ; quelle sera l’issue de la maladie, dans quel tems elle aura lieu, & comment, par quelle voie elle se fera. La décision de ces trois questions est fondée sur la connoissance qu’on a de la nature de la maladie & de la force de la faculté, connoissance qu’on peut obtenir par le pouls. Le pouls foible, languissant, petit, inégal indique la foiblesse absolue de la faculté ; lorsqu’il est alternativement fort & foible, c’est un signe que la foiblesse n’est que respective ; c’est-à-dire que la faculté est forte, mais chargée, alors le pronostic est moins fâcheux : à cette inégalité de force se joignent pour l’ordinaire les inégalités en grandeur, en vîtesse, en fréquence ; l’excès des pulsations fortes, grandes, sur les pulsations foibles, petites, &c. marque l’empire de la faculté sur l’abondance des humeurs, & annonce le combat & la victoire, c’est-à-dire une crise favorable ; elle est prochaine lorsque les pouls inégaux & petits augmentent en force & en grandeur ; lorsque les miures décurtés remontent vîte & considérablement, la crise est toujours plus décisive & plus complette ; lorsque les pouls ont été inégaux & irréguliers avant d’être égaux, réglés, grands & forts dans le tems que se fait la crise, le pouls doit être fort & bien élevé ; les évacuations qui ne sont pas accompagnées & précédées de ces pouls sont toujours mauvaises. La vîtesse de la contraction est nécessaire, dit Galien, parce que contractio excernit, l’excrétion est un effet de la contraction ; mais cette vîtesse doit être modérée, sans quoi le pouls seroit mauvais & acritique. On peut distinguer, relativement aux modifications du pouls, deux couloirs généraux pour les évacuations critiques, l’un externe & l’autre intérieur : au premier se rapportent les sueurs & les hémorrhagies ; ces excrétions font le pouls plus grand & plus élevé ; celles qui se font par les organes internes sont le vomissement & la diarrhée, le pouls qui les annonce & qui les détermine est moins grand & comme rentrant. Outre ces caracteres généraux, chaque excrétion a, suivant lui, un pouls particulier, le pouls ondulant & celui de la sueur ; le pouls haut & vibrosus, fort analogue au dicrote, annonce les hémorragies par la matrice, les veines hémorroïdales & par le nez ; le pouls ondulant dur est le signe du vomissement. Le pouls devient souvent inégal dans plusieurs crises, & lorsqu’elles se font difficilement, & sur-tout lorsqu’il se prépare quelque évacuation bilieuse : multo vero magis ubi humores biliosi ad ventrem confluant. Synop. cap. lxxx. Avicenne a prétendu que le pouls petit dénotoit les crises par les selles. Lorsque le pouls, après avoir resté inégal dans les maladies pituiteuses, devient tout-à-coup véhément, il pronostique la terminaison de la maladie par un abcès, sur-tout dans un âge, un tempérament, une saison & un climat froid. Au reste, Gallen avertit soigneusement qu’il faut dans la prédiction des crises joindre aux connoissances qu’on tire de l’état du pouls les lumieres que peuvent fournir les autres signes examinés avec attention.

Tel est le systême des anciens sur le pouls ; telle est sur-tout la doctrine de Galien adoptée sur sa parole par un grand nombre de médecins illustres jusqu’au quinzieme & même au seizieme siecle, souvent commentée & prétendue prouvée par de longs & obscurs raisonnemens, jamais illustrée par aucune bonne observation. Comme Galien avoit poussé jusqu’au bout les divisions & subdivisions du pouls, aucun de ses sectateurs n’a pu enchérir sur lui. Struthius, un de ses commentateurs, dont l’ouvrage a resté douze cens ans perdu, ajoute seulement une description du pouls de l’amour, que Galien avoit omise de propos délibéré, assurant que l’amour n’avoit point de pouls particulier, & différent de celui d’un esprit agité. Struthius assure qu’il est toujours inégal, anonyme ; (c’est ainsi qu’il appelle le pouls dont les inégalités ne sont point déterminées, & n’ont point de nom propre) & irrégulier, & qu’il l’a trouvé ainsi dans une femme mariée qui avoit un amant ; toutes les fois qu’on lui en parloit, le pouls prenoit ce caractere ; ce qui revient aux pouls des passions, conformément aux observations rapportées plus haut d’Erasistrate & de Galien. Quoique cet auteur soit galéniste décidé, il ne laisse pas de critiquer quelquefois son maître. Son ouvrage mérite d’être lu ; il porte ce titre : sphigmicæ artis, à 1200 perditæ & desiderat. libr. V. en 1555. On peut aussi consulter le traité particulier de Francis. Vallerius, Médecin de Philippe le Grand, roi d’Espagne : pulsib. libell. padon. 1591. de Camillus Thesaurus de Corneto : de puls. opus absolutiss. lib. VI. Neapol. 1594. L’excellent ouvrage de Prosper Alpin, de præsagiend. vit. & mort. lib. VII. Patav. 1601, un des derniers qui ait suivi le systême de Galien, & peut-être celui de tous qui l’a le mieux développé. L’extrait qu’en a donné M. le Clerc dans son histoire de la Médecine, est trop abregé & très incomplet. (Hist. de la Médec. liv. III. chap. III. & part. 3.)

Réflexions sur la doctrine de Galien. 1°. Sur les différences. Il est impossible de ne pas s’appercevoir que la plus grande partie des différences que Galien établit, ne soit plutôt le fruit de son imagination & de son calcul que de ses observations ; l’esprit de division auquel il s’est laissé aller, l’a sans doute emporté trop loin, il a souvent donné ses idées pour des réalités, dé taillant plutôt ce que le pouls pouvoit être, que ce qu’il étoit en effet. Il ne dit pas j’ai observe un tel pouls, je l’ai vu varier de telle ou telle façon, il blâme au contraire ceux qui, comme Hérophile, n’ont donné que des observations sans ordre, sans méthode & sans raisonnement ; mais voici comme il s’énonce : le pouls étant un mouvement, il doit donc varier de la même maniere que les autres especes de mouvement ; mais ce mouvement peut se considérer dans un seul pouls, c’est-à-dire, une seule pulsation, ou bien dans plusieurs ; de la double variation, de la distinction entre la vitesse & la fréquence, entre l’inégalité d’une seule pulsation, & l’inégalité collective, &c. Le pouls étant composé de deux mouvemens, l’un de systole ou de contraction, & l’autre de diastole ou de distension, doit fournir de nouvelles différences, par rapport à la promptitude avec laquelle ces mouvemens se succéderont, à la maniere dont ils se succéderont, à l’ordre, la proportion qu’ils observeront, à la quantité de distension ou de contraction, &c. Il peut arriver que ces caracteres se combinent ensemble ; alors quel nombre prodigieux de différences n’en peut-il pas résulter ? Galien a suivi ce détail avec la derniere exactitude, & une extrème subtilité, & a par ce moyen multiplié les caracteres du pouls ; de façon, comme il dit lui-même, que la vie de l’homme suffit à peine pour en prendre une entiere connoissance. On conçoit bien la possibilité de toutes ces différences, mais on ne les observe pas ; elles éludent le tact le plus fin & le plus habitué ; Galien ne dit pas lui-même les avoir apperçues. Cependant il faut bien se garder d’englober dans la même condamnation toutes les différences qu’il a établies ; mais comme on est assuré que la plûpart sont arbitraires, on ne doit les admettre que d’après sa propre expérience. Il y a lieu de penser, & il est même certain, que plusieurs pouls décrits par Galien, sont conformes à l’observation. On sait que la haute réputation qu’il avoit à Rome, lui venoit principalement de son habileté dans le prognostic, & de ses connoissances sur le pouls. D’ailleurs les observations postérieures ont confirmé, comme nous le verrons plus bas, une partie de sa doctrine. On peut jusqu’à un certain point, déterminer ce qu’il y a de réel ou d’idéal dans ses descriptions, par ce principe ; que les pouls qui ne naissent point de ses divisions, & qui n’entrent qu’avec peine dans ses classes, doivent leur origine à l’observation ; tels sont les dicrotes, les caprisans, les miures, les ondulans, les vermiculaires, les formicans, & même les intermittens. 2°. Les pouls simples, soit égaux, soit inégaux, sont aussi observés : quant aux combinaisons & aux subdivisions minutieuses, elles décelent ouvertement l’opération de l’esprit, & le travail du cabinet ; on peut sans risque refuser de les croire & les négliger. Les Méchaniciens dont nous parlerons dans un moment, aussi méthodistes que Galien, plus théoriciens & moins observateurs que lui, ont dans la détermination du pouls, suivi une route contraire, admettant ceux qu’ils voyoient découler de leurs principes, & qu’ils pouvoient expliquer, & traitant de chimériques ceux dont ils ne concevoient pas l’origine & la formation ; aussi se sont-ils particulierement déchaînés contre cette nomenclature de Galien.

3°. Sur les causes du pouls. La doctrine de Galien sur cette partie, est très-obscure, & paroît absurde & extraordinaire par l’ignorance où nous sommes de sa langue. Chaque âge, chaque pays, & chaque climat même non-seulement a un idiome différent, mais aussi une façon particuliere d’exprimer souvent les mêmes idées, un tour de phrase singulier ; & c’est souvent faute d’entendre ce langage que nous condamnons légerement des choses que nous approuvons sous d’autres termes.

La faculté que Galien fait inhérente aux parois des arteres, paroît très-naturelle ; elle eût été appellée par les Sthaliens, nature ou ame ; élasticité simplement par les Méchaniciens, & irritabilité ou contractilité par d’autres. L’usage que Galien regarde comme une seconde cause de la génération du pouls, est un mot qui exprimeroit à merveille dans le langage des animistes, le motif qui détermine leur ame ouvriere à faire & à varier le pouls suivant le besoin. Quant à son excrément fuligineux né de l’adustion du sang qui choque d’abord les oreilles ; lorsqu’on l’examine, on voit que ce n’est autre chose que ce que les modernes appellent matiere de secrétions, superflus de la nourriture, humeurs excrémentitielles, &c. noms aussi vagues & indéterminés. Et il ne s’éloigne pas de la vérité, lorsqu’il dit que l’usage de la contraction étant d’expulser, elle doit augmenter en fréquence, en vîtesse, en grandeur, lorsqu’il s’est accumulé. Les modernes ne disent-ils pas que la même chose arrive, ou qu’il y a fievre, lorsque les excrétions sont supprimées, lorsqu’elles ne se font pas bien, que le sang est altéré, que les extrémités artérielles sont obstruées ? &c. Les explications qu’il donne des différens pouls, sont quelquefois assez naturelles ; nous ne dissimulerons pas, que pour suivre les divisions qu’il a établies dans le premier livre, il est obligé d’entrer dans des détails aussi minutieux, & d’imaginer des causes qui ne sont pas moins chimériques. Pour ce qui regarde les changemens qui arrivent au pouls par l’action des causes extérieures ou accidentelles, ce sont des choses que l’observation seule peut décider. Nous ne nierons pas que quelques-uns paroissent évidemment une suite de son système, & plutôt imaginés qu’observés. Nous avertirons en même tems que nous avons fait quelques observations qui sont favorables, à ce qu’il avance, nous en avons rapporté une plus haut ; c’est en suivant la même route qu’on pourroit vérifier entierement des points aussi importans.

4°. Sur les présages. Ce que nous avons dit sur les différences, & sur les causes du pouls, est aussi appliquable aux présages qu’on doit ou qu’on peut en tirer dans le système de Galien : le même minutieux, le même arbitraire regne ici. On prétend des modifications du pouls données, remonter à la connoissance des causes, ou parvenir à déterminer l’état actuel ou futur de la maladie ; & c’est toujours en conséquence des principes établis & censés vrais, & des différences supposées ; mais un édifice construit sur des fondemens aussi peu certains, peut-il être solide ? Il n’est souvent pas même brillant. Cependant par la raison qu’il y a des différences réelles & des causes assez naturelles, il doit y avoir des présages justes & assurés. Il est certain, par exemple, que le pouls languissant est un effet & un signe nullement équivoque de la foiblesse de la faculté. La dureté du pouls indique bien évidemment la dureté de l’artere, d’où l’on peut remonter assez surement à la connoissance d’une inflammation dans des parties membraneuses tendues, ou de quelque affection spasmodique, &c. La partie du pronostic semble n’être qu’un extrait de l’observation. Galien détaille avec beaucoup de justesse quelques pouls critiques, & dans ces chapitres il ne se permet aucun raisonnement ; il ne pense pas à donner l’explication des différences de ces pouls, il ne donne que des faits, que des observations ultérieures ont étendu & confirmé ; quelles lumieres n’aurions-nous pas tiré de ces ouvrages, s’il ne se fût jamais écarté de cette route ; & même dans ce qu’il a fait, quel champ vaste & fécond n’a-t-il pas ouvert aux observateurs ? Mais leur paresse, leur ignorance, ou leur mauvaise foi, l’a laissé inculte & sterile pendant plus de six cens ans. Encore est-ce le hasard, qui après un si long espace de tems, a réveillé l’attention des Médecins ?

Doctrine des Méchaniciens sur le pouls. Bellini est un des premiers & des plus célebres auteurs qui ait consideré le pouls méchaniquement. (Laurent. Bellin. de urinâ pulsib. & opuscul. præctic). Hoffman a suivi son système, & a prétendu prouver dans une dissertation particuliere, que le pouls devoit être assujetti aux regles de la méchanique. (De puls. natur. & gemin. different. & usu in præst. tom. VI. vol. iv.) Boerhaave, & tous ses sectateurs, tous les médecins qui ont embrassé la théorie vulgaire, fondée sur la fameuse circulation du sang mal conçue & trop généralisée, & sur les lois insuffisantes de la méchanique inorganique ; tous ces médecins, dis-je, qui font encore le parti le plus nombreux, & presque dominant dans les écoles, ont adopté leurs opinions sur le pouls. Ils font peu d’usage de ce signe, l’examinent sans attention, & n’en tirent que peu de connoissances & très-incertaines ; mais en revanche ils en font un objet important de leurs dissertations, de leurs disputes & de leurs calculs. Ils le soumettent aux analyses mathématiques, & s’occupent beaucoup plus à en déterminer géométriquement & la force & les causes, qu’à saisir comme il faut ses différences, & en évaluer au juste les significations. Voici à quoi se réduit leur doctrine.

1°. Sur les différences. Ils appellent avec Galien, pouls, le double mouvement de systole & de diastole que l’on apperçoit au cœur, & principalement aux arteres. Ils regardent comme le fruit d’une oisive subtilité, toutes les divisions minutieuses que Galien a détaillées avec tant d’exactitude ; ils rejettent aussi hardiment, mais avec moins de raison, les différentes especes de pouls, désignées par les noms des choses avec lesquelles on a cru leur trouver quelque ressemblance, comme les myures, ondulans, discrotes, caprisans, &c. ils se moquent de ces comparaisons inexactes, de ces images grossieres & de ces noms bisarres ; mais pourquoi tâchent-ils de jetter un ridicule sur ces pouls ? C’est qu’ils ne peuvent pas en démontrer la fausseté, & qu’ils ne peuvent cependant pas les admettre, parce qu’ils ne s’accordent pas avec leur regle, qu’ils sont inexplicables dans leur théorie, & qu’ils choquent, embarrassent & arrêtent la marche de leurs calculs, qui exigent nécessairement une certaine uniformité : des pouls décrits par Galien, ils n’ont conservé que ceux qu’ils ont cru se plier commodément à leur système, dont les explications leur ont paru assez naturelles, & qui d’ailleurs pouvoient se calculer aisément. Tels sont les pouls forts & foibles, fréquens & rares, grands & petits, durs & mols, égaux & inégaux, & l’intermittent. Ces différences sont fort simples, faciles à observer, & paroissent au premier coup d’œil assez significatives. Dans les idées qu’ils attachent à ces pouls, ils ne different de Galien que dans ce qui regarde le pouls rare & fréquent, par lesquels ils pensent exprimer, non-seulement les pouls où les pulsations se succedent avec beaucoup ou peu de promptitude, mais encore ceux où les pulsations s’élevent & s’abaissent vîte ou lentement, de façon qu’ils confondent assez ordinairement la vîtesse & la fréquence, la rareté & la lenteur, croyant que l’une ne sauroit exister sans l’autre. « La vîtesse des pulsations, dit Sylvius de le Boe, peut aisément se concevoir, mais elle ne sauroit s’observer. L’espace de tems, ajoute Bellini, que l’artere emploie pour s’élever dans l’état naturel, est si court, qu’il n’est pas possible qu’on puisse le distinguer au tact ; il sera encore moins sensible dans l’état contre-nature. » (de pulsib. pag. 65.) Frédéric Hofman, & quelques autres, ont cru que le pouls fort n’étoit pas bien différent du vîte ; mais cette idée n’est pas juste & n’est pas suivie.

2°. Causes du pouls. Tous les Méchaniciens s’accordent à regarder le mouvement ou la circulation du sang, comme la vraie & premiere cause du pouls ; mais ils ne parlent que du pouls ou battement des arteres. Celui du cœur, qu’on appelle plus communément le mouvement du cœur, est produit par d’autres causes. Voyez Cœur, Circulation, Diastole, Systole. Ils supposent donc le cœur deja mis en jeu par un autre mobile, se contractant & se dilatant alternativement, tantôt envoyant le sang dans les arteres, & tantôt le recevant des veines ; cela posé, voici comme ils raisonnent : le sang poussé avec plus ou moins d’impétuosité par la contraction des ventricules dans les arteres, y trouve nécessairement de la résistance ; son mouvement devenant moindre, & étant empêché, suivant l’axe de l’artere, doit augmenter par les côtés, semblable à une riviere qui déborde, s’étend sur le rivage, & frappe les corps qu’elle rencontre sur les côtés, lorsqu’elle trouve quelque obstacle qui empêche la liberté de son cours. Le sang poussé dans les arteres, éprouve de la résistance de la part de celui qui précede, dont la vîtesse diminue toujours à mesure qu’il s’éloigne du cœur, à cause de la division des arteres, de la multiplication des branches qui fait augmenter les surfaces dans une plus grande proportion que les capacités, & rend par-là les frottemens beaucoup plus considérables. Qu’on se représente deux ou plusieurs cylindres d’argile molle, mus suivant la même direction, avec une vîtesse inégale, de façon que le second en ait plus que l’autre, lorsque ces deux cylindres s’atteindront, il y aura un choc qui sera à leurs extrémités voisines, un applatissement plus ou moins considérable suivant la force du choc ; le diametre augmentera, leur circonférence sera plus grande, & il se formera une espece de bourlet. Si ces deux cylindres étoient contenus dans un étui souple & flexible, ils se dilateroient dans cette partie, & formeroient un renflement. Appliquons maintenant cela au sang, poussé à différentes reprises dans les arteres ; concevons-en deux jets envoyés par deux contractions différentes, le premier aura parcouru une certaine portion d’artere dans le tems que le second commence à y entrer ; mais sa vîtesse diminuant, il sera bien-tôt atteint par le second, auquel il opposera de la résistance. Il y aura un choc dont la force sera mesurée par le quarré de l’excès de vîtesse du second jet sur le premier ; par conséquent reflux vers les parois de l’artere, qui étant molles & dilatables, seront poussées en dehors, & feront le mouvement de diastole. On peut imaginer la même chose, le même méchanisme dans toutes les portions de l’artere, & on aura l’idée de la dilatation de l’artere, premiere partie & la plus sensible du pouls. Mais en même tems que les jets postérieurs choquent ceux qui les précedent, ils leur communiquent une partie de leur vîtesse, par conséquent les degrés sont moins inégaux, & ils doivent nécessairement diminuer, & se rapprocher davantage, à mesure que le sang fait du chemin, & qu’il parvient aux petites artérioles ; enfin les vîtesses doivent être égales. Alors plus de résistance, plus de choc, plus de reflux vers les côtés, & plus de dilatation. Il me paroît qu’on pourroit tirer de-là une explication assez satisfaisante dans ce système de la diminution dans la force & la grandeur du pouls, dans les petits rameaux artériels, & enfin du défaut total dans les arteres capillaires & dans les veines ; phénomene qui avoit jusqu’à présent paru inexplicable par les mauvaises raisons qu’on en a données. Voyez Arteres.

Lorsque les parois de l’artere ont été distendues à un certain point par l’effort du sang, cette cause venant à cesser avec la contraction du cœur qui fait place à sa dilatation, leur élasticité qui avoit augmenté par la tension, a son effet ; le sang s’écoule pour remplacer les vuides que fait celui qui se décharge des veines & des oreilletes dans les ventricules dilatés. Les parois ni repoussés, ni même soutenus, obéissent à son effort ; ils se rapprochent mutuellement, & paroissent s’enfoncer sous le doigt qui tâte : c’est ce qu’on appelle contraction ou systole. Voyez ce mot. Une nouvelle contraction du cœur donne naissance à une seconde dilatation des arteres, que suit bien-tôt après une autre contraction, pendant que le cœur se dilate de nouveau. Cette suite de dilatations & de contractions n’est autre chose que le pouls.

La même cause qui produit le pouls, le fait varier ; les changemens qui arrivent dans les contractions des ventricules, & en particulier du ventricule gauche, se manifestent par les dilatations des arteres. Le sang peut entrer plus ou moins abondamment dans les arteres, y être poussé fréquemment ou rarement, avec plus ou moins de force. Les contractions du cœur peuvent être uniformes ou variables, tantôt plus vives, tantôt plus foibles, plus lentes ou plus rapides, séparées par des intervalles égaux ou inégaux. D’ailleurs le tissu des arteres peut être plus ou moins dense, plus lâche, ou plus ferme ; les obstacles qui se présentent aux extrémités capillaires, ou dans le cœur, peuvent varier : enfin le sang peut être en plus ou moins grande quantité, plus ou moins aqueux, &c. Toutes ces causes peuvent apporter de grands changemens dans la grandeur la force, la vîtesse, l’uniformité, l’égalité, la dureté & la plénitude du pouls.

Les causes des contractions du cœur sont l’abord du sang & l’influx des esprits animaux dans les ventricules ; à quoi Bellini ajoute fort inutilement & mal-à-propos l’entrée du sang dans les arteres coronaires. Si la quantité & la qualité du sang & des esprits animaux sont légitimes, les contractions du cœur seront grandes & fortes ; la dilatation des arteres y répondra ; pour que le pouls soit grand il faut que la souplesse des parois artérielles & la liberté de la circulation y concourent. Le pouls peut être fort avec la dureté ; il suppose aussi toujours une résistance plus considérable, une certaine gêne dans les extrémités des arteres ; alors l’excès de vîtesse du second jet sur le premier est plus grand, le choc plus fort, le reflux & l’effort sur les parois plus sensible, & le pouls plus véhément. La quantité & la qualité du sang étant altérées, les esprits animaux vitiés rendront les contractions du cœur plus petites & plus foibles, & feront sur le pouls les mêmes altérations. La dureté de l’artere suffit pour en empêcher la grandeur ; & le mouvement suivant l’axe trop libre, le rend foible, comme il arrive dans les hémorrhagies & dans ceux qui ont le sang dissous & privé, comme dit Hoffman, de la substance spiritueuse, expansive, élastique, qui lui donne du ton, & qui sert à élever les parois de l’artere avec vigueur. La fréquence du pouls est produite par la vîtesse de la circulation qui suppose un influx plus rapide du fluide nerveux dans le tissu des ventricules, & le retour plus prompt du sang dans leurs cavités. 1°. Le fluide nerveux sera sollicité & comme appellé plus abondamment & plus vîte par un sang bouillant, enflammé, âcre, qui irritera les parois sensibles des ventricules. 2°. Le sang abordera plus promptement au cœur, si les extrémités artérielles sont obstruées ; parce qu’alors il prendra pour y retourner un chemin plus court, se détournant de ces arteres pour passer par les collatérales, dont le diametre est plus grand ; il arrivera pour lors que ces arteres libres seront obligées de transmettre une plus grande quantité de sang qu’auparavant, & dans le même tems ; il faudra donc pour subvenir à cette augmentation de masse, que sa vîtesse augmente, comme il arrive aux fleuves qui coulent avec plus de rapidité lorsque leur lit est resserré. Cette explication de la fréquence du pouls, toute absurde qu’elle est, & contraire aux lois les plus simples de la méchanique, forme la base de la fameuse théorie des fiévres & de l’inflammation. Voyez Fiévre & Inflammation. C’est un des dogmes les plus importans de l’aveugle machinisme. Les causes opposées, savoir un sang tranquille, froid, épais, rapide, peu de sensibilité dans le cœur & les vaisseaux, produisent le pouls lent ou rare ; car les Méchaniciens regardent ces deux noms comme synonymes ; c’est ce qu’on observe chez les vieillards, chez les jeunes chlorotiques, &c. La dureté du pouls est l’effet de la sécheresse de l’artere, ou de sa construction : la premiere cause a lieu dans certaines convalescences, dans la vieillesse & dans ceux qui ont fait un long & immodéré usage du vin & des liqueurs ardentes aromatiques ; le resserrement est produit par une inflammation considérable, une douleur vive, ou une affection spasmodique ; la mollesse suppose la privation de ces causes, l’excès de sérosité, l’inaction des nerfs, & une espece d’apathie. Lorsqu’elle est poussée à un certain point, le pouls est appellé lâche ; il a pour cause la foiblesse & le relâchement des organes qui poussent le sang ou la petite quantité de ce fluide.

Le pouls égal dont les pulsations se succedent avec une force, une grandeur, & une vîtesse semblables, se soutient dans cet état tant que la marche des esprits est uniforme dans les nerfs, & le cours du sang libre dans le cœur & les vaisseaux. Dès que l’action des nerfs & des organes de la circulation est troublée, le pouls devient inégal, & quelquefois manque tout-à-fait, ce qui dépend de la force des obstacles qui s’opposent au mouvement du sang ; ils peuvent se trouver dans le cœur & au commencement des arteres ou des veines, comme les polypes, des concrétions, des ossifications, des tumeurs, des anévrismes, qui bouchent ou dilatent trop les passages du sang, troublent l’uniformité de son cours, dérangent, empêchent, & interrompent même les contractions du cœur, les affections du cerveau, le vertige, l’incube, l’apoplexie ; celles de la poitrine, les pleurésies, les asthmes, les vomiques, &c. suspendent quelquefois l’action du cœur & le cours du sang, & rendent le pouls intermittent. Les nerfs seuls agités dans diverses parties, produisent les mêmes effets : l’intermission du pouls est fréquente dans les hypochondriaques & dans les affections hystériques. Les autres especes de pouls ne sont formées que par ces différences augmentées, diminuées, & diversement combinées ; Hoffman prétend que tous ces caracteres de pouls vermiculaires, caprisans, vibratils, myures, &c. dépendent d’un état convulsif des parois de l’artere, & que le pouls intermittent est produit par l’inégalité d’un flux des esprits animaux & du mouvement du sang, & par le désordre qui se trouve alors dans la combinaison de ses principes. Il n’y a presque pas un auteur qui n’ait un sentiment différent sur la formation de ce pouls, qui n’ajoute ou qui ne retranche quelqu’absurdité des explications des autres. Bellini tranche la difficulté, & n’en parle pas ; il nie la plûpart des irrégularités admises par les anciens. Dans le dicrote il peut y avoir, dit-il, beaucoup de supercherie ; on n’a qu’à faire appliquer inégalement les doigts sur l’artere, & on sentira deux coups au lieu d’un ; cependant il peut arriver que ce double coup se fasse sentir, qu’il soit réel. Lorsque les extrémités artérielles sont fortement obstruées, alors le sang obligé de refluer éleve l’artere deux fois de suite, & fait par là le dicrotisme.

A ces causes, les Méchaniciens ajoutent avec les galénistes, celles qui sont extérieures ou accidentelles, comme les passions, l’âge, le tempérament, le climat, le chaud & le froid, le boire & le manger, le sommeil, l’exercice, les médicamens, &c. Ils se sont contentés de remarquer que ces causes altéroient & faisoient varier le pouls ; peu soucieux d’observer la nature de ces changemens & de nous en instruire. Hoffman nous avertit seulement, après Sydenham, que l’usage des martiaux, des remedes actifs, des sudorifiques, des huiles essentielles, animoit le pouls, & en augmentoit la force & la vîtesse, que les anodins, les nitreux, l’opium, les mélanges de nitre & de camphre produisoient des effets contraires. Il avertit aussi fort judicieusement de bien consulter le pouls avant d’ordonner aucun remede, parce qu’on doit s’abstenir des purgatifs forts, émétiques, de même que des préparations de pavot, qui risqueroient de procurer un sommeil éternel, si le pouls est petit, foible, & languissant ; des cordiaux, des analeptiques, des spiritueux volatils, si le pouls est fort vîte & fréquent, &c. Il n’est personne qui ne sente combien pourroit être funeste l’inopportunité de ces remedes.

3°. Présages tirés du pouls. Le pouls étant l’effet immédiat de la circulation du sang, il doit aussi en être le signe le plus assuré, & en marquer exactement toutes les variations ; d’où il doit nécessairement devenir le signe le plus universel & le plus lumineux de tous les dérangemens de l’économie animale : car il est si incontestable que c’est de la circulation du sang, assure Frédéric Hoffman, & avec lui tous les circulateurs ou méchaniciens, « que dépendent la vie & la santé ; que c’est par elle que toute la machine humaine est gouvernée ; qu’on peut la regarder comme cette nature bonne & prévoyante mere, qui conserve la santé, & qui guérit les maladies. Ainsi plus le pouls est modéré & régulier, plus la nature tend directement & victorieusement à son but : plus au contraire il s’éloigne de cet état de perfection, plus la nature est foible, & plus il est à craindre qu’elle ne succombe aux obstacles qui l’oppriment. Le pouls non-seulement nous manifeste le dérangement ou la force de tout le corps, mais encore la constitution & la nature du sang, & en outre l’état des secrétions, semblable à un pendule, dont le mouvement égal & uniforme marque sûrement le bon état de l’horloge dont il fait partie : le pouls décide de la nature de l’homme, la vigueur ou la foiblesse de ses fonctions, &c. ». (Freder. Hoff. dissert. de puls. natur. &c. tom. VI. pag. 241.) D’autre côté, on soutient hardiment avec le fougueux Chirac, que la circulation du sang est le seul flambeau capable de dissiper les ténebres dont la Médecine étoit enveloppée ; qu’avant cette découverte, tous les Médecins étoient des aveugles & des ignorans qui marchoient à tâtons au milieu d’une nuit obscure, & sacrifioient sans le savoir les malades à leur aveugle empirisme ; il tranche le mot, & dans l’ardeur & le délire de son enthousiasme, il dit qu’Hippocrate & Galien, privés de la clarté de ce flambeau, ne pouvoient être que des maréchaux ferrans. (Dieux, quel blasphème !) Le pouls doit faire connoître les moindres altérations dans le mouvement du sang : quel jour éclatant ce signe ne doit-il pas répandre dans la théorie & la pratique de la Médecine ? Après des éloges si pompeux, on doit s’attendre que toute la Médecine des méchaniciens soit fondée sur le pouls ; qu’elle soit désormais aussi certaine qu’elle étoit auparavant conjecturale ; qu’ils tirent de-là les connoissances les moins équivoques, les pronostics les plus justes, les indications les plus sûres ; enfin, que le pouls soit leur boussole universelle & infaillible : point du tout, leur pratique n’est pas plus conforme à leur théorie en ce point, que dans les autres. Toutes ces vaines déclamations, bonnes dans le cabinet où elles sont enfantées, ne sont point soutenues au lit du malade ; ces médecins, presque tous routiniers, ne font qu’une légere attention au pouls, tâtent superficiellement deux ou trois pulsations, & les signes qu’ils en tirent sont très-incertains & le plus souvent fautifs. Dès que le pouls est petit, ils le croyent foible, pensent que les forces sont épuisées, & donnent des cordiaux ; dès qu’il est élevé il passe pour être trop fort ; à l’instant on ordonne la saignée qu’on fait réitérer tant que le pouls persiste dans cet état. Par la fréquence on juge de la fiévre ; le pouls fréquent en est le signe pathognomonique, selon Sylvius de le Boë, (Prax. medic. lib. II. pag. 460.) suivi en cela par Etmuller, Decker, Schelhamer, Bohn, Willis, Brown, & un grand nombre d’autres médecins. Voyez Fievre. La dureté du pouls est un signe d’inflammation dans les maladies aiguës ; l’inégalité, & sur-tout l’intermittence, un signe presque toujours mortel : c’est à quoi se réduisent les connoissances que la plûpart des médecins tirent du pouls. Bellini paroît avoir examiné ce signe plus attentivement, partant toujours des mêmes principes, & tirant plus du raisonnement que de l’observation ; il pense cependant que l’âge, le tempérament, les passions, l’exercice, le sommeil, la veille, les saisons, les pays, les climats, le boire & le manger, faisant varier le pouls à l’infini, & chacune de ces causes le modifiant différemment ; on ne pourra reconnoître le pouls naturel, & savoir si celui qu’on tâte s’en éloigne, & de combien ; & par conséquent ce signe deviendra équivoque & trompeur. Ajoutez encore à cela, dit-il, la différente quantité de sang, & les variétés qui peuvent se trouver dans le tissu, l’épaisseur, la tension, & la capacité des arteres ; (de putrib. pag. 64.) il indique néanmoins, ou il imagine un pouls naturel qui doit servir de point de comparaison où l’on rapporte tous les autres, & qui est une espece de toise qui en mesure les différens écarts ; ce pouls est modéré dans sa vitesse, sa force & sa durée, & toujours égal. Dans les maladies les pouls grands, forts, & pleins, sont de bon augure ; ils dénotent que la circulation est libre, & les forces encore entieres ; les petits, les foibles & les vuides, sont par la raison des contraires un mauvais signe ; le vîte & le lent sont aussi fâcheux : l’un dénote une obstruction totale des extrémités artérielles, & l’autre stagnation, dissolution du sang, dissipation des forces, &c. Le pouls dur est à craindre, parce qu’il signifie un état convulsif, une inflammation, ou de grands embarras ; le pouls mol est encore plus funeste, marquant l’exténuation, un relâchement mortel, & enfin un épuisement absolu des forces. Le pouls rare indique l’obstruction du cerveau, défaut d’esprits animaux, & engorgement des arteres coronaires par des calculs, des polypes, de la sérosité coagulée, &c. Si ces obstacles sont permanens, ils donneront lieu aux miures récurrens, intermitens, intercurrens, &c. Le pouls fréquent est un signe de la vîtesse de la circulation ; on remonte par-là à la connoissance des causes qui l’ont produit. Voyez 2°. Causes. Hoffman prétend que toutes les inégalités qui constituent les vermiculaires, tremblottans, formicans, ferrés, caprisans, dénotent un état convulsif dans les parois de l’artere ; il assûre, après Galien, que le pouls ondulant annonce la sueur ; mais il ne dit pas l’avoir observé. Il remarque avec raison que le pouls intermittent n’est pas toujours un signe mortel ; enfin, il veut que pour bien saisir la signification du pouls, on le tâte long-tems & à diverses reprises, & dans différentes parties, à l’exemple des Chinois ; il rappelle à ce sujet l’observation de Vanderlinde, sur un homme qui avoit mal à la rate, & chez qui on sentoit un battement à l’hypocondre gauche : seditionem facit lien, dit-il, pungendo pulsandoque. L’observation que rapporte Tulpius, (Centur. II. observ. XXVIII.) est tout-à-fait semblable ; dans le délire, ou lorsqu’il est prêt à se déclarer, les arteres temporales battent très-fort. On sent aussi le même battement, suivant la remarque d’Hippocrate, dans certaines maladies qui se terminent par une hémorrhagie abondante du nez. (Coacar. prænot. cap. III. n°. 23.)

Réflexions sur la doctrine des Méchaniciens. 1°. Sur les différences ; on ne sauroit refuser aux différences des pouls assignées par les Méchaniciens un caractere de simplicité qui semble les rendre plus faciles à observer, & même plus significatives ; l’ardeur avec laquelle ils ont banni toutes les especes de pouls admises par Galien, qui avoient un air hypothétique & trop recherché, doit faire penser qu’ils ont été eux-mêmes en garde contre cet écueil ; il n’en est cependant rien ; leur prétendu zele n’est qu’un voile dont ils vouloient couvrir leur mépris des anciens & leur déchaînement contre leurs dogmes. Ils n’ont pas montré plus de discernement dans les pouls qu’ils ont rejetté, que dans ceux qu’ils ont retenus ; guidés dans ce choix par le raisonnement & le caprice bien plus que par les lumieres & l’observation, ils ont traité les pouls ondulans, dicrotes, caprisans, &c. de chimériques, par la difficulté qu’ils voyoient d’en donner des explications satisfaisantes, & de les classer méthodiquement ; cependant la plûpart de ces pouls sont réellement observés ; les caracteres qu’ils ont admis sont réels ; ils sont simples, mais en sont-ils pour cela plus faciles à saisir, à connoître, à déterminer, à bien évaluer ? Il est certain que le pouls est tantôt plus grand, tantôt plus petit, tantôt dur, & tantôt mol, &c. Mais comment saura-t-on que le pouls qu’on tâte participe de l’un ou l’autre de ces caracteres ? Y a-t-il un point fixe au-dessous duquel le pouls soit dur, & au-dessous duquel il soit mol ? La vîtesse, la grandeur, la dureté & la force, sont des qualités respectives, dont on ne peut déterminer l’excès ou le défaut, que d’après une mesure constante & invariable. Cette mesure se trouve-t-elle dans le pouls ; y a-t-il un pouls naturel, fixe, & déterminé ? Quand il existeroit, l’observateur peut-il l’avoir toujours présent dans l’esprit ; ne peut-il pas s’en former des idées différentes, suivant que la finesse du tact variera, ou par d’autres circonstances ? Ne voyons-nous pas tous les jours qu’un pouls qui paroît dur à un médecin, est censé mol par un autre, de même qu’un corps n’est jamais trouvé par plusieurs personnes avoir le même degré de chaleur ; d’ailleurs, toutes ces qualités, comme l’a judicieusement observé Bellini, ne varient-elles pas suivant l’âge, le tempérament, le climat, la disposition du corps, &c. Dans l’état de santé, la mollesse & la dureté, la fréquence & la vîtesse, n’ont-elles pas des degrés différens ? La fréquence du pouls, comme l’a observé un auteur célebre, aussi illustré par ses lumieres & ses écrits que par son rang & sa dignité, varie encore beaucoup, suivant la taille ; les personnes grandes ont le pouls plus rare que les petites ; dans les corps de six piés il n’a compté que 60 pulsations dans une minute ; 70 dans ceux de cinq piés ; 90 dans ceux de quatre ; & 100 dans ceux qui n’avoient que deux piés. (Structure du cœur, par M. de Sénac, livre III. chap. vij. part. II. page 214.) On remarque quelque chose d’assez semblable dans les grands horloges, les pendules, & les montres ; le nombre de battemens augmente dans la même proportion que leur petitesse ; d’où l’on peut conclure que les différences des pouls adoptées par les Méchaniciens, ne sont pas à beaucoup près préférables à celles de Galien ; qu’on ne peut en tirer rien d’assuré, parce que leur valeur est le plus souvent arbitraire, & qu’en général elles n’expriment rien de précis & de positif.

2°. Sur les causes. L’étiologie du pouls développée dans le système des Méchaniciens paroit au premier coup-d’œil assez satisfaisante ; elle a reçu encore un nouveau relief plus imposant que son prétendu accord avec les lois de la méchanique par les calculs dont on l’a hérissée, & sous lesquels on n’a fait que l’envelopper ; il sembloit qu’elle dût participer de la vérité & de la démonstration qu’on croit inséparables des sciences mathématiques, & qui l’est effectivement lorsqu’elles sont bien appliquées. Mais il est facile d’appercevoir par le peu de succès des savans illustres, par les erreurs grossieres dans lesquelles ils sont tombés ; par leur prodigieuse variété sur le même point, voyez les ouvrages de Keill & de Borelli, voyez aussi l’article Cœur, que la géométrie n’est nullement applicable à la physique du corps humain ; nous pourrions joindre ici l’autorité respectable d’un célebre mathématicien, & bien d’autres preuves qui quoique démonstratives seroient ici déplacées, parce qu’elles ne feroient rien au fond de la question ; il s’agit de savoir si en effet la circulation du sang est la cause du battement des arteres ou du pouls. La décision de cette question exigeroit une discussion sévere des preuves de la circulation du sang ; mais il ne nous est pas possible d’entrer dans un détail aussi long, quelque important qu’il pût être, & quoiqu’il dût servir à éclaircir des faits intéressans mal examinés ou connus & nullement constatés. Nous sommes malgré nous obligés de nous restraindre & d’élaguer souvent notre matiere, nous nous contenterons d’observer, peut-être aurons nous quelqu’occasion de le démontrer ailleurs, que l’on se fait une idée très-incomplette & très-fausse de la circulation du sang, si on se la représente comme un simple mouvement progressif, toujours direct, toujours uniforme, par lequel le sang est porté du cœur dans les arteres, de-là dans les veines, d’où il revient de nouveau dans le cœur ; pour en trouver soi-même la preuve il faut avoir recours à un moyen sûr & lumineux, c’est l’observation exacte, assidue & réfléchie des phénomenes de l’économie animale dans l’homme sain & malade, & cesser de s’en tenir simplement à des expériences fautives, peu décisives & mal évaluées. Voyez Inflammation, Économie animale, & la suite de cet article.

En second lieu, il est certain qu’il y a un mouvement progressif dans le sang, quel qu’il soit, de quelle maniere qu’il s’exécute, quelles qu’en soient les causes, le méchanisme & les variétés ; mais admettons-le pour un mouvement aussi uniforme que les Méchaniciens, il en résultera, 1°. qu’en le regardant comme la cause du battement des arteres, on prend évidemment la cause pour l’effet ; qu’il est beaucoup plus naturel de croire que le mouvement du sang est dû à l’action des arteres, que d’attribuer cette action au mouvement du sang ; 2°. que dans cette idée on fait des arteres un instrument passif, sans ton, sans force, & sans vie, bien différent en un mot de ce qu’elles sont effectivement, on multiplie prodigieusement les résistances opposées à la circulation, puisqu’alors non-seulement le sang a à surmonter les obstacles qui viennent des frottemens immenses, mais encore une partie de sa force est employée à soulever, à distendre, & à dilater les parois resserrés & contractés des arteres ; 5°. l’expérience de Galien que nous avons rapportée plus haut est absolument contraire à cette opinion, elle prouve incontestablement que les arteres ne se dilatent pas, parce qu’elles reçoivent du sang comme de simples outres, mais qu’elles reçoivent du sang, parce qu’elles se dilatent comme des soufflets qui ont une action propre ou dépendante d’une cause extérieure ; si l’on applique ce système à différens phénomenes, par exemple, à la variété du pouls des deux côtés, aux pulsations vives des parties enflammées où le sang est censé en repos, si surtout on essayoit de le plier aux nouvelles observations sur le pouls dont il sera fait mention plus bas, on en sentiroit de plus en plus les contradictions, l’insuffisance & la nullité ; on ne peut rien trouver de plus ridicule que l’explication qu’on donne de la fréquence du pouls, on peut voir ce que nous en avons dit à l’article Inflammation ; l’étiologie du pouls intermittent & des pouls inégaux ne présente aucune idée, ce ne sont que des mots vuides de sens, & ce langage quoique fort rapproché de notre tems, paroit dejà plus barbare que celui des anciens ; nous finirons par cette derniere remarque qui nous paroit décisive, c’est que dans les arteres vuides de sang on peut rappeller le double mouvement de dilatation & de contraction en irritant les parois, sur-tout intérieurs de l’artere, qui donnent par-là une grande preuve d’irritabilité.

3°. Sur les présages. Il n’est pas étonnant qu’avec des différences aussi vagues & une théorie aussi fausse les Méchaniciens tirent aussi peu de lumieres du pouls dans le diagnostic & le prognostic des maladies, & c’est la raison pourquoi les effets répondent si peu aux éloges magnifiques mais aveugles qu’ils font de l’importance de ce signe. Ils ont raison de regarder le pouls grand & fort comme un très-bon signe dans les maladies aiguës, mais ils ont tort de tirer un mauvais présage du pouls fréquent, vîte ; ce pouls est souvent très-nécessaire & aussi utile que la fievre dont ils le regardent comme le siége ; ils ont tort aussi de se fonder sur la fréquence du pouls pour assurer qu’il y a fievre, parce qu’ils ont donné le nom de fievre à bien des maladies où le pouls n’est pas fréquent, telles sont la plûpart des fievres malignes ; mais ils n’ont pas une idée plus nette & plus conforme à la vérité de la flevre, mot si souvent répété & jamais expliqué, que du pouls. Il se trompent davantage ne prenant le pouls mol pour un signe mortel. Il n’est tel que lorsqu’il est parvenu au dernier degré de relâchement, & qu’on l’appelle lâche & vuide ; quantité d’observations prouvent que le pouls modérément mou à la fin des maladies, est dans certains cas un signe très-favorable ; le pouls petit est un signe très-équivoque de foiblesse ; cette idée peut induire dans bien des erreurs. J’ai vû souvent périr des malades réputés foibles & traités en conséquence par les cordiaux, les spiritueux, parce que le médecin ignoroit qu’au commencement des maladies & dans d’autres cas le pouls est souvent enfoncé, profond, petit, &c. sans être foible, & qu’une saignée auroit relevé ce pouls, & fait avec succès l’office de cordial. De même le pouls grand fait tomber dans les mêmes fautes ceux qui le confondent avec le fort ; on saigne, on affoiblit tandis qu’il ne faudroit rien faire ou fortifier, & cependant le malade meurt victime de l’ignorance de l’empirique qui le traite. Erreur encore de la part de ces médecins, qui pensent que le pouls intermittent est un signe mortel. Nous prouverons par des faits qu’il annonce souvent la guérison prochaine ; erreur encore de la part de ceux qui regardent toutes les inégalités du pouls comme des variations bisarres dépendantes d’un défaut dans la situation, ou le tissu des arteres, ou d’un état d’irritation & de spasme. Il est évident qu’ils substituent à des faits qu’ils devroient indiquer des raisonnemens vagues & purement arbitraires ; erreur encore, mais en voilà assez pour faire connoître la façon de penser de ces médecins. Nous lasserions nos lecteurs & nous les ennuyerions en les promenant ainsi d’erreurs en erreurs ; ce que nous avons dit suffit pour faire juger du reste, & pour faire conclure que les Méchaniciens n’ont aucune idée raisonnable sur le pouls, que leur système vague dans les différences, faux dans l’étiologie, est encore plus vague, plus faux, plus inutile, & même dangereux dans les présages.

Doctrine du pouls suivant la musique. Hérophile est le premier qui ait fait attention au rapport qu’on pouvoit établir entre les battemens des arteres & les notes de musique ; on assure que sa doctrine du pouls étoit fondée là-dessus ; il est aussi certain qu’il en a emprunté les mots de rythme, ρυθμος, ou cadence, qu’il emploie très-souvent pour indiquer les différences & l’état du pouls. Voyez Rythme ; mais la perte de ses ouvrages & des commentaires que Galien en avoit faits nous ôte les moyens de nous éclaircir sur ce point, & de satisfaire la curiosité du lecteur ; depuis lui Avicenne, Savonarola, saxon, Fernel, & plusieurs autres médecins, s’étoient proposés de faire le parallele des cadences de la musique avec le pouls, mais ils n’ont point exécuté leurs projets ; Samuel Hafen Refferus, médecin allemand, fit imprimer en 1601, un traité sur cette matiere intitulé mono-chordon symbolico-bio-manticum ; il nous a été impossible de nous procurer cet ouvrage. Enfin M. Marquet, médecin de Nancy, donna en 1747 un essai fort abrégé, où il expose la nouvelle méthode, facile & curieuse pour apprendre par les notes de musique à connoître le pouls de l’homme & ses différens changemens, &c. Nancy 1747. La doctrine qu’il établit sur les différences, les causes & les présages du pouls n’est qu’un mélange absurde & singulier de quelques dogmes des Galénistes, des Méchaniciens, & des Chimistes : il rejette avec les Méchaniciens une grande partie des pouls adoptés par les Galénistes. « Les pouls, dit-il, qu’on appelle raboteux, ondés, résonnans, arrondis, longs, courts, pétulens, enflés, évaporés, suffoqués, solides ou massifs, dirigés à queue de souris, sont tous imaginaires (ch. xxx. ») Il admet avec Galien les pouls doubles ou directs, tremblans, défaillans, vermiculaires, fourmillans & profonds, superficiels, caprisans, convulsifs, &c. Il place les causes du pouls dans le mouvement du sang, ou dans les contractions du cœur qui sont entretenues depuis la naissance jusqu’à la mort, par le mouvement d’expiration & d’inspiration (chap. j.) « De façon, dit-il plus bas, que nous établissons le mouvement du poumon respectivement à celui du cœur pour la cause prochaine de la circulation du sang, du battement du cœur & des arteres (ibid. pag. xiv. »). Les causes qui font varier le pouls, qui le rendent non naturel, dépendent de la quantité ou de la qualité du sang vivisiées, ou du défaut de proportion des vaisseaux avec le sang ; il a sur ce sujet les mêmes idées à-peu-près que les Méchaniciens, il ajoute quelquefois avec les Chimistes, pour cause des pouls inégaux, les excès réciproques des parties sulfureuses, salines, globuleuses, &c. La partie sulfureuse dégagée & abondante produit un pouls grand & véhément, la saline un pouls intermittent, la sereuse un pouls petit, foible, tardif, la globuleuse un pouls frequent ; & lorsque ces causes se trouvent réunies & agir ensemble sur le pouls, il en resulte cette espece de pouls que l’on appelle convulsif. Le pouls intercadent, échappé ou intermittent doit son origine à des bulles d’air qui entrent dans le sang, & qui rendent dans les endroits où elles se trouvent la dilatation de l’artere imperceptible ; qu’on juge par-là des idées, du génie & des lumieres de l’auteur : les présages qu’il tire des différens pouls répondent à la certitude de sa théorie ; ils sont conformes à ceux des Méchaniciens : nous ne nous étendrons pas davantage là-dessus, & nous négligerons de faire sur cette doctrine des réflexions que tout le monde peut faire, nous nous hâtons de passer à la partie neuve & plus intéressante de son ouvrage, qui regarde la maniere de tâter le pouls.

Notre auteur exige, « Que celui qui veut s’instruire de ses principes, ait au-moins quelque legere teinture de musique, afin qu’en battant la mesure reglée, il s’accoûtume à connoître au juste la cadence du pouls, en la comparant à celle de la musique » : il faut aussi supposer dans les lecteurs la connoissance des principes de cet art, pour pouvoir lire son traité & connoître la valeur des figures sous lesquelles il peint les différentes especes de pouls. Voyez dans ce Dictionnaire les articles de musique, Noire, Blanche, Croche, Double-croche &c. Le pouls naturel qui sert de mesure & de point de comparaison pour les autres, est censé battre soixante fois dans une minute, toutes les pulsations ont la même force, la même cadence, & le même intervalle qui est de cinq tems entre chaque pulsation ; il égale ordinairement la cadence d’un menuet en mouvement, de façon que les pulsations battent la mesure d’un menuet qu’on chantera ou jouera pendant qu’on tate le pouls : ce pouls dont toutes les qualités sont égales & tempérées est marqué par des noires placées entre deux paralleles, & qui sont séparées par cinq petites lignes qui représentent les cinq tems ; chaque pulsation ou chaque noire qui en est la figure est à côté d’une grande ligne qui indique chaque cadence ou mesure du menuet qui est noté par-dessous : voici la figure qu’il en donne.

Le pouls naturel dont il est ici question est le pouls des adultes, car les enfans ont le pouls beaucoup plus vîte ; leur pouls, dit notre auteur, tierce la marche de celui des adultes, ou va plus vîte d’un tiers.

Le pouls qui s’éloigne de ces caracteres est non-naturel, il peut varier de bien des façons ; les différences peuvent être simples ou composées ; parmi les simples se trouve, 1°. le pouls grand ou plein (notre auteur regarde ces deux mots comme synonymes), qui se découvre facilement & remplit les doigts de celui qui le touche. Il ne differe du naturel que par la plénitude & la tension de l’artere ; il est marqué par des notes blanches posées entre deux lignes paralleles.

2°. Le pouls petit ou vuide encore confondu mal-à-propos, bat foiblement & également ; il est designé par des croches entre deux lignes paralleles.

3°. Le pouls profond, est celui qui ne se découvre qu’en chargeant ou pesant un peu fort sur l’artere, il est marqué par une note noire posée sur la premiere ligne parallele, il est naturel en mouvement, & non pas en force.

4°. Le superficiel est l’opposé du précédent, on n’a besoin pour le sentir que de toucher légerement l’artère, la note noire qui le désigne est posée au-dessus de la seconde ligne.

Pouls profond. Pouls superficiel.

5°. Le pouls dur, ou tendu, ou élevé, (ce dernier caractere ne sympathise guere avec les précédens ; loin d’être le même) l’artère est dure, les pulsations sont fortes & vites ; les notes blanches qui les représentent sont plus rapprochées, & placées sur la seconde ligne ; ce pouls va ordinairement à trois tems surpassant le naturel de deux cinquiemes.

6°. Le pouls mol est le contraire, il résiste peu au toucher, il est naturel d’ailleurs en vitesse, ou tardif, il se marque par une croche pointée, posée entre les deux lignes.

Dur. Mou.

7°. Le pouls vite ou fiévreux peut augmenter d’un, deux, ou plusieurs tems ; le pouls plus vite d’un tems a encore un intervalle de quatre tems, on l’appelle pouls vite à quatre tems ; il est désigné par des noires pointées placées entre les paralleles, & séparées par quatre lignes ; le vite à trois tems est marqué par des notes blanches, séparées par trois lignes ; le vite à deux tems est représenté par une noire posée sur la seconde ligne, il n’y a que deux lignes de séparation entre chaque note : dans le pouls à un tems les battemens se succedent presque sans intervalle ; les notes sont des doubles croches placées sur la premiere parallele, qui ne sont séparées que par une ligne.

Pouls à 4 tems. Pouls à 3 tems.
à 2 tems. à 1 tems.

8°. Le lent a au-moins six tems, il peut en avoir sept, huit, neuf, &c. l’auteur dit en avoir trouvé jusqu’à douze dans des vieillards qui moururent bientôt après, il est représenté par des notes blanches plus ou moins éloignées, selon le nombre de tems, & comme il est toujours profond, ces blanches sont placées sur la premiere ligne.

Pouls à 6 tems. à 12 tems.

9°. Le pouls intermittent, éclipsé, intercadent, après quelques pulsations plus ou moins régulieres, il en manque une totalement ; il est marqué par des noires posées entre deux paralleles à distances égales, ou inégales ; de tems en tems il en manque une, & la note qui suit est blanche & posée sur la seconde ligne ; pour représenter la pulsation qui suit l’intermittence, & qui est toujours, selon notre auteur, plus élevée.

10°. Le pouls inégal en vitesse est formé par des pulsations qui se succedent dans des tems inégaux.

11°. Le pouls inégal & intercurrent n’a point de regles, tantôt il paroît, tantôt il disparoît ; tantôt il est fort, tantôt il est foible ; quelquefois il va vite & d’autres fois lentement ; les notes qui le représentent sont de différente nature, placées en différens endroits & diversement éloignées.

12°. Le pouls caprisant est fort analogue au précédent ; il a comme lui beaucoup d’inégalité, & il peut être représenté par la même figure.

13°. Le pouls convulsif est fort élevé, tendu, quelquefois grand, ensuite concentré, il participe de toutes les inégalités.

14°. Le pouls dicrote ou double bat deux coups à chaque pulsation, il a été observé dans un vieillard qui mourut de léthargie peu de tems après ; il est représenté par deux notes blanches entrelacées, posées tantôt entre les paralleles, tantôt sur la premiere ligne.

L’auteur ajoute à ces pouls avec Galien, les pouls tremblans, défaillans, vermiculaires, formicans ou fourmillans, supprimés ou deficientes ; mais il ne dit là-dessus rien de nouveau, & ne les représente par aucune figure.

On ne sauroit disconvenir, qu’il n’y ait entre les mouvemens des pouls & les lois de la musique un rapport assez sensible ; il n’en est cependant pas moins vrai, que les détails pénibles dans lesquels cet auteur est descendu, sont presque sans fondement & sans utilité ; tout au plus, cette comparaison & ces figures pourroient servir, si elles étoient bien justes, à faire concevoir ce qu’il faut exprimer, à donner une idée plus palpable des modifications des pouls en le peignant aux yeux ; & si l’auteur n’a eu que cet objet en vûe, il ne s’est pas beaucoup écarté de son but, & son ouvrage auroit été sûrement très-avantageux, si le système qui en fait la base eût été moins conforme à celui des méchaniciens, moins raisonné & en un mot plus rapproché de l’observation.

Doctrine des Chinois sur le pouls. La connoissance du pouls est la partie fondamentale de la médecine chinoise ; il suffit pour exercer cette profession, dit le célebre Ouang-chon-ho, d’être bien instruit des propriétés du pouls & des drogues : par ce signe bien & longuement examiné, le médecin habile est en état de décider le genre, l’espece, le caractere particulier, la nature & le siége de la maladie qui se présente ; il peut annoncer d’avance quelle sera son issue, dans quel tems elle aura lieu, comment elle se fera ; & il y puise en même tems les indications nécessaires pour l’administration des remedes. Toutes les relations des historiens s’accordent à nous présenter les Médecins de ce pays, comme merveilleux en ce genre ; les idées qu’ils ont sur le pouls, sont ou paroissent très-différentes de celles de tous les autres peuples, peut-être ces différences consistent principalement dans la façon dont ils s’expriment, dans le style allégorique peu compris qu’ils emploient ; les connoissances qu’ils ont sur ce sujet, comme sur bien d’autres sont très-anciennes ; leur origine se perd dans l’antiquité la plus reculée où elle est altérée par des fables ; une tradition constante à la Chine, fait l’empereur Hoamti, successeur de Chiningo ou Xin-num, fondateur de la Médecine chinoise, & auteur de plusieurs traités sur le pouls : mais l’époque de son regne n’est point fixée ; jaloux de leur ancienneté, la plûpart des Chinois la font remonter plusieurs siecles avant la création du monde, telle qu’elle est déterminée par les livres de Moïse ; mais ce sentiment est sans contredit faux, puisqu’il est contraire à la chronologie sacrée, la seule véritable. Il est beaucoup plus naturel, ou du moins plus sûr de croire avec d’autres, que cet empereur vivoit quelque tems avant le déluge vers le quinzieme siecle du monde ; il ne nous reste plus aucun de ses ouvrages sur le pouls, par lesquels on puisse bien constater ce fait & dont on puisse tirer des éclaircissemens ultérieurs ; quoi qu’il en soit, il est toujours très certain que les Chinois sont les peuples qui ont le plus anciennement connu le pouls & appliqué ce signe à la pratique de la Médecine. Ouang-chon-ho qui vivoit sous l’empereur Tsin-chi-hoang, ce fameux bruleur de livres, c’est-à-dire quelques siecles avant l’ere chrétienne, fait dans un ouvrage qui nous reste, mention de plusieurs traités sur le pouls, qu’il distingue dès ce tems-là en anciens & en modernes : cet ouvrage a été traduit en françois par le pere Hervien, & se trouve imprimé avec des notes destinées à l’éclaircir dans le second volume de l’histoire de la Chine, du pere Duhalde ; le traducteur pense que cet ouvrage est plutôt une compilation qu’un traité fait par un seul & même auteur ; je ne serois pas éloigné de ce sentiment, à la vûe des répétitions fréquentes & du peu d’ordre qu’on y rencontre. La doctrine des Chinois y est exposée fort au long, mais c’est un chaos impénétrable ; l’obscurité est si grande qu’on seroit tenté de croire que ni l’auteur, ni le traducteur, ni le faiseur de notes n’y entendoient rien ; il se peut aussi que les ténébres qui paroissent répandues sur cette doctrine soient l’effet de l’ignorance où nous sommes, du fond de médecine suivi par ces peuples, & des idées qu’ils ont sur l’économie animale, ignorance que n’ont pas pu détruire les historiens peu versés eux-mêmes dans les matieres qu’ils traitoient ; nous ne tirons pas beaucoup plus de lumieres du traité qu’André Cleyer a composé sur le même sujet, specimen medicin. sinic. Francof. ann. 1682. Ce traité n’est qu’une collection informe des débris de différens ouvrages ; on en trouve un extrait assez détaillé dans l’histoire de la Médecine, ou des opinions des différens Médecins, donné par Barchusen en 1710 ; enfin les éphémérides des curieux de la nature contiennent un livre du pere Michel Boyme, jésuite polonois, & missionnaire à la Chine, sur le pouls, tom. XI. ann. 1685. il est formé de plusieurs fragmens qu’il avoit composés à Siam en 1658, mais qui étoient dispersés & presque inconnus. M. le Camus qui vante beaucoup la sagacité des Médecins chinois sur ce point, n’entre dans aucun détail de leur doctrine, il se contente d’exposer historiquement quelques pouls qui passent pour être mortels ; c’est de ces différens auteurs que nous allons extraire les matériaux de cet article ; pour exposer d’une maniere exacte & complettement toute la doctrine des Chinois sur le pouls, il faudroit donner un traité général de leur médecine, c’est-à-dire faire un très-gros volume, ce que ni le tems, ni la forme de cet ouvrage ne permettent pas : je m’attacherai seulement à donner une idée légere de leur méthode ; le lecteur pourra trouver dans les ouvrages déja cités de quoi se satisfaire, s’il est curieux de plus longs détails, & s’il ne craint pas le dégoût que produit toujours la lecture d’un livre dont le moindre mot exigeroit souvent un commentaire très-ample.

Différences des pouls ; elles ne sont déduites d’aucun principe général, ni pliées à une certaine méthode, ni enfin restraintes à un nombre déterminé ; fondées sur la différente impression que l’artère fait sur le doigt, en s’élevant ou en s’abaissant, chaque observateur peut en être différemment affecté, la comparer aux objets que lui présente son imagination, & les multiplier à l’infini ; le seul point dont ils conviennent, c’est que le pouls le plus naturel doit battre quatre ou cinq fois pendant l’intervalle de chaque respiration du médecin ; il est censé lent, tardif, tchi & contre nature, lorsqu’il bat moins de quatre fois ; on peut distinguer plusieurs degrés dans cette lenteur, de même que dans la vitesse qui s’estime par le nombre de pulsations qui se font sentir au-dessus de cinq entre chaque respiration ; ils appellent ce pouls, vîte, précipité, fou : parmi les différences qui se présentent ensuite, on en a distingué deux majeures qui se subdivisent en huit à neuf autres, ce sont les pouls qu’ils appellent externes & internes, piao & li, ces dénominations sont fondées sur ce que les uns servent à désigner les maladies internes, & les autres découvrent celles qui sont à l’extérieur ; outre cela les pouls externes sont plus superficiels, ressortent, pour ainsi dire davantage, & les internes sont plus enfoncés, plus profonds, & comme rentrans.

On compte parmi les pouls externes ; 1°. le feon nageant, ou superficiel qui paroît sans appuyer le doigt, & qui fait à-peu-près la même sensation que feroit une feuille d’oignon.

2°. Le kong ou vuide, les doigts posés sur l’artere ne sentent rien au milieu, & sentent aux deux côtés comme des bourlets, de même que si on posoit le doigt sur le trou d’une flûte.

3°. Le hou glissant ou fréquent aigu, dont les pulsations paroissent comme des perles détachées qui glissent sous le doigt.

4°. Le ché, espece de superficiel, qui n’en differe qu’en ce qu’il est plus plein, & qu’on sent comme si la feuille d’oignon à la quelle on l’a comparé plus haut étoit solide & pleine en-dedans ; Cleyer l’appelle plein solide.

5°. Le hien tendu ou trémuleux long, ses pulsations ressemblent assez aux vibrations des cordes d’un instrument nommé tceng, qui a treize cordes.

6°. Le kin ou trémuleux court, variété du précédent, qui a tiré son nom d’un autre instrument chinois appellé ken.

7°. Le hong regorgeant, exundans, dont les pulsations sont élevées & fortes.

Les pouls internes en comprennent huit especes ; 1°. le tchin profond enfoncé, qui ne se trouve qu’en pressant fortement l’artere.

2°. Le ouei petit, qui paroît sous le doigt comme un fil.

3°. Le ouan lent, remissus, qui bat à-peu-près trois fois dans une respiration.

4°. Le aigre, âpre, ou rare, obtus, ses battemens font une impression qui a du rapport à celle d’un couteau qui racle un bambou ou roseau.

5°. Le tchi, lent, rare, tardif, & qui vient comme en cachette.

6°. Le fou fuyant en-bas, se baissant, tombant, qui semble toujours s’enfoncer à mesure qu’on presse, de façon qu’il est peu sensible.

7°. Le sin, mol, fluide, ou mol subtil qui se dissipe, quand on presse, à-peu-près comme une goutte d’eau, ou du coton mouillé.

8°. Le yo assez analogue au précédent qui se sent quoique d’une maniere peu marquée, quand on appuie médiocrement, & qu’on ne sent plus dès qu’on presse davantage ; on compare cette sensation à celle qui seroit excitée par le fait d’une étoffe usée.

A ces différences, les anciens en ajoutoient neuf autres, sous le nom générique de tao, mais que les modernes négligent aujourd’hui ; dans cette classe sont renfermés, 1°. le tchang, long, qu’on sent comme un bâton ou le manche d’une lance.

2°. Le toan ou court qui paroît comme un point indivisible : on lui trouve de l’analogie avec une graine de riz.

3°. Le hin qu’on ne peut appercevoir qu’en plongeant bien avant le doigt. Le pere du Halde l’appelle mal à propos vuide ; le nom de profond lui conviendroit beaucoup mieux.

4°. Le tson qui semble ne passer qu’avec peine sur tout un carpe ; il est serré & gêné : on pourroit l’appeller embarrassé, avec plus de raison que le suivant.

5°. Le kié qui est un peu lent, & semble comme s’arrêter quelquefois.

6°. Le tai, espece d’intermittent : il s’arrête tout-à-coup, & a de la peine ensuite à revenir.

7°. Le sié délié qui paroît sous le doigt aussi fin qu’un cheveu : il est fort analogue au pouls externe ouei petit, ou plutôt il n’en differe pas.

8°. Le tong mobile qui fait une sensation assez semblable à celle du hon glissant, & qui a du rapport à celle que font les petits cailloux qu’on touche dans l’eau.

9°. Le dur qu’on dit faire la même impression qu’une peau de tambour ferme & unie.

La plûpart de ces différences sont connues de Galien, & décrites dans ses ouvrages. Elles sont beaucoup plus simples & mieux déterminées que les autres. Je ne vois pas ce qui peut avoir engagé les Chinois à n’en pas faire usage, à moins que ce ne soit le peu de lumiere qu’on en retire.

Les trois portions que les Chinois distinguent dans l’artere en tâtant le pouls, servent à multiplier prodigieusement les différences que nous venons d’exposer. Ils posent trois doigts sur l’artere du poignet, de façon que l’un répond au commencement du carpe ; le second à l’articulation de ces os avec ceux de l’avant-bras ; & le troisieme à l’apophyse radiale qu’ils nomment, suivant les traducteurs, l’extrémité du cubitus. Les pulsations qui répondent à chaque doigt, peuvent avoir, & ont en effet dans l’état naturel des caracteres différens, analogues à l’action des visceres par qui elles sont modifiées. Ainsi le pouls d’un homme bien portant est fort eloigné d’être égal dans toute sa longueur. La pulsation ou le pouls du carpe differe de celui de la jointure, & celui-ci du pouls du cubitus : d’où il resulte qu’il peut arriver que les différences se repandent inégalement dans ces trois pouls ; & que par conséquent leur nombre augmente à l’infini ; & à proportion la difficulté de les saisir & d’en juger. La variété très-remarquable du pouls dans les deux bras, est encore une source de la multiplicité des différences ; de façon qu’en tâtant le pouls des deux côtés, on peut appercevoir six caracteres simples différens. Quel embarras pour les reconnoître & les distinguer, sur-tout pour en tirer parti ! Mais combien ne sera-t-il pas plus grand, si l’on conçoit qu’à chaque pouls, à chaque pulsation, tous ces caracteres se combinent de ceux qui ne s’excluent pas mutuellement ? Quelle confusion, quel chaos que le tact le plus fin ne sauroit débrouiller, & dont l’imagination même s’épouvante !

A ces différences on peut encore joindre celles qui constituent les dix-huit ou vingt pouls qu’ils appellent monstrueux ou mortels, fondés toujours sur la comparaison qu’ils ont cru entrevoir avec d’autres objets.

1°. Le pouls qui paroît bouillonnant sans regle, comme l’eau sur un grand feu : on l’appelle soufre, bouillon de marmite, ou yong siven, source bouillante.

2°. Celui qui ressemble à un poisson qui nage, ayant la queue ou la tête immobile, les pulsations paroissent & disparoissent : on le nomme yussiang, fretillement de poisson.

3°. Le teon ho, union ou continuité de flots : il tire ce nom de la ressemblance qu’on lui a trouvée avec des flots qui se succedent, de façon que le flot postérieur gagne & empiette sur le précédent, avant qu’il soit applani ; il a quelque rapport avec l’undosus & le dicrote de Galien.

4°. Le tanche, pierre ou balle d’arbalête, qui donne un coup ferme & sec contre les doigts, en paroissant venir de loin, & comme sortir d’entre les os. Les Chinois le nomment aussi l’ame d’un cadavre.

5°. Le tchic tso, picotement d’oiseau ; il vient frapper trois ou cinq fois d’une maniere dure contre les doigts, puis cesse quelque tems, & revient de la même maniere : il a du rapport aux coups que les poules donnent avec leur bec en ramassant du grain ; ou l’appelle l’avant-coureur du cadavre.

6°. Le von leon, fente par où l’eau découle dans une maison. Ce pouls est plein dès qu’il paroît ; & d’abord après il est très-foible : on lui a trouvé du rapport avec une goutte d’eau qui se glisse par une fente ; on lui a donné le nom de cadavre malade.

7°. Kiai so, corde qui se défile, qu’on a aussi nommé ceinture de cadavre. Il est éparpillé & brouillé de telle sorte, qu’on ne le sent point revenir à aucun mouvement réglé ; il ressemble au mouvement d’une corde qui se relâche & qui se denoue ; il est fréquent sans être continuel.

8°. Le thia yeon, allure de crapaud ; il paroît imiter le saut de cet animal : ce pouls est profond ; il se refuse au doigt qui n’appuye pas beaucoup. De tems en tems il survient un battement superficiel mais foible, qui cesse aussi-tôt, & après un tems considérable, revient de même ; c’est ce qui a fait croire qu’il ne battoit qu’une fois pendant l’espace d’une respiration.

9°. Le siun tao ou yan tao, coups de couteaux qui se suivent, connus sous le nom de pouls d’un cadavre ambulant : il est fin & délié comme un fil de soie, & cependant il a des battemens durs & coupans, comme seroient des coups de la pointe d’un couteau ou d’une aiguille.

1°. Le tchouen teon, pois roulant, il frappe le doigt comme des pois ou des amandes ; ses battemens sont assez forts, très-courts, durs & aigus : on lui a donné le surnom de cadavre qu’on jette dehors.

11°. Le sonyé, feuilles éparpillées ; le mouvement de ce pouls imite le mouvement des feuilles qui tombent des arbres par intervalles non réglés.

12°. L’ouei ton, terre qu’on y jette, cadavre détruit. Ce pouls est dur & vuide en même tems : il frappe de la même maniere qu’une motte de terre, & donne neuf ou dix battemens pendant la respiration.

13°. hinen yong, apostême profond & dangereux. Ce pouls est semblable au battement qu’on sent dans une partie enflammée prête à suppurer.

14°. L’yn ynen, il est comme une pilule bien ronde ; il s’échappe de dessous le doigt, lorsqu’il n’est pas bien appuyé.

15°. L’yn kiong a ses battemens très-forts & très-élevés : on le compare à un pilon.

16°. ju tchoni qui semblable à l’haleine d’un homme qui souffle, paroît sortir toujours au-dehors, & ne jamais rentrer.

17°. Le pié lié, roulade de tonnerre : ce pouls est d’abord assez tranquille, ensuite viennent plusieurs battemens qui se succedent avec précipitation : enfin le pouls disparoît à-peu-près comme un léger orage qui se dissipe.

18°. L’y débordant ; ce pouls semble indiquer que le sang, au lieu de suivre son chemin, se détourne & monte sur l’yn tri qui est l’extrémité par laquelle le premier & le plus gros os du pouce tient au carpe.

19°. Le ton retournant, qui fait paroître comme si le sang trouvant un obstacle, étoit obligé de revenir sur ses pas : on l’appelle aussi quelque fois koan ké, grille au passage, sans doute pour exprimer le passage embarrassé.

20°. Enfin on peut ajouter à ces différences exposées dans l’ouvrage d’Ouang chon ho, quelques autres especes de pouls monstrueux qu’on trouve dans Cleyer, Barchusen, dans les Ephémerides des curieux de la nature, & dans le livre de M. le Camus. Tels sont les pouls qu’on a cru ressemblans à un pole, à un homme qui défait sa ceinture, ou qui voulant entortiller quelque chose, n’a pas assez d’étoffe pour faire le tour, à l’impulsion de deux petites féves, aux oscillations d’une corde tendue, au mouvement de la racine de certaines plantes dans l’eau, qui surnage d’abord, & va ensuite au fond, & qu’on a appellé, pour exprimer leur danger, le pouls qui traîne le cadavre au tombeau, qui pleure sur le cadavre, qui emporte le cadavre, cadavre enséveli, cadavre volant, &c. &c.

Causes du pouls. C’est le mouvement, disent les Chinois, qui fait le pouls : ce mouvement est causé par le flux & le reflux du sang & des esprits qui sont portés à toutes les parties du corps par douze routes principales. Le sang coule dans les vaisseaux & les esprits en dehors ; ils sont l’un & l’autre dans un mouvement continuel de circulation. Ces termes traduits fidelement du chinois, sont remarquables ; ils prouvent évidemment que ces peuples connoissoient depuis bien long-tems ce mouvement du sang, qu’on croit avoir été inconnu aux anciens Grecs & Arabes, & dont la découverte a immortalisé Harvey parmi nous. A chaque respiration, le pouls bat communément quatre fois ; & le sang & les esprits font six pouces de chemin : comme dans douze heures chinoises qui font un jour & une nuit, on compte treize mille cinq cens respirations ; le chemin d’un jour doit donc être de huit cent dix tchang, ou huit mille piés de dix pouces : or le plus long chemin du sang & des esprits dans le corps humain, n’étant que de seize tchang & deux piés, il resulte qu’ils font dans un jour & une nuit, cinquante fois le tour de tout le corps. La pression & l’agitation des parois des vaisseaux excitées par le mouvement du sang & des esprits, constitue proprement le pouls qui seroit par-tout égal & toujours régulier, s’il n’étoit dû qu’à cette cause ; mais le battement des arteres est diversement modifié par l’action des différens organes des saisons, des âges, du sexe, &c.

Les Chinois distinguent dans le corps cinq visceres principaux qu’ils appellent tsang, qui sont le cœur, le foie, l’estomac, les poumons & les reins : à ceux-ci sont soumis six autres moins nobles nommés fon : au cœur, les intestins grêles ; au foie, la vésicule du fiel ; à l’estomac, le cardia ou l’orifice supérieur de ce viscere ; aux poumons, les intestins gros ; au rein droit communément appellé la porte de la vie, les trois tsino ou foyers ; & au rein gauche, la vessie : ils appellent au reste tsino ou foyer, des parties qui ne sont point des visceres sensibles & distincts, mais qui aident à l’action des autres organes ; l’un est supérieur, placé à la région du cœur, il retient & resserre, & aide au cœur & aux poumons, à gouverner le sang & les esprits ou l’air : l’autre placé au milieu, au bas du sternum, favorise la digestion ; & le troisieme, inférieur sert à séparer & à pousser : sans lui le foie & les reins ne pourroient filtrer leurs liqueurs : chacun des visceres principaux, avec ceux qui leur répondent, manifestent leur action en différens endroits du pouls.

Le cœur agit particulierement sur le pouls du carpe de la main gauche, & il y est dans l’état naturel, assez plein & regorgeant.

Le foie influe sur la partie qui répond à la jointure du même côté ; & lorsqu’il est dans sa situation ordinaire & sain, il rend ce pouls trémuleux, long.

Le pouls propre à l’estomac, est celui du carpe de la main droite ; son état naturel est une lenteur modérée.

Le poumon affecte le pouls de la jointure du poignet droit, & le rend lorsqu’il est sain, superficiel, aigre, court.

Le pouls des reins est celui du cubitus au bras du côté droit pour le rein droit, & au bras du côté gauche pour le rein gauche : son état naturel, sur-tout en hyver, est d’être profond & glissant.

Les saisons ont une très-grande influence sur le pouls : elles décident ceux qui sont propres à chaque viscere, & lui donnent un caractere particulier dominant : ainsi dans la premiere & seconde lune, c’est-à-dire les deux premiers mois du printems, c’est le pouls du foie qui domine, & qui doit avoir un mouvement de trémulations longues. Dans la quatrieme & cinquieme lune, ou les deux premiers mois d’été, le pouls du cœur prend le dessus, & il est regorgeant. Dans la septieme & huitieme lune, c’est le pouls du poumon qui devient plus général, & qui doit être superficiel, court & aigre. A la dixieme & onzieme lune, répond le pouls des reins qui est profond, délié : enfin à toutes les dernieres lunes de chaque saison, vient le tour du pouls de l’estomac, qui doit avoir une lenteur modérée ; son mouvement est doux & un peu lent, comparable à celui des branches d’un beau saule qu’un petit zéphir agite au printems.

L’influence des élémens & des planetes correspondant à celle des saisons, se manifeste sur le pouls : il y a cinq élémens, la terre, le bois, le métal, le feu & l’eau. La terre répond à Saturne, à la fin de chaque saison, à l’estomac & au pouls du carpe droit ; le bois à Jupiter, au printems, au foie & au pouls de la jointure du côté gauche ; le métal à Venus, à l’automne, au poumon & au pouls de la jointure du côté droit ; le feu à Mars, à l’été, au cœur & au pouls du carpe gauche ; & enfin l’eau à Mercure, à l’hiver, aux reins & aux pouls du cubitus.

Les impressions bien ménagées de ces différentes causes entretiennent le pouls dans son état naturel : deux causes principales alterent son rythme, & troublent son harmonie, les passions & les maladies. Les Chinois distinguent sept différentes affections de l’ame, relativement à leurs effets sur le pouls. 1°. La joie rend le pouls modérément lent ; 2°. la compassion le fait court ; 3°. la tristesse, aigre ; dans l’inquiétude rêveuse, il devient embrouillé ; 5°. dans la crainte, il est profond ; 6°. la frayeur subite l’agite ; 7°. la colere le rend enfin serré & précipité. Quant aux variations qu’occasionnent les maladies sur le pouls, elles sont en trop grand nombre pour pouvoir être exactement détaillées : il suffit de savoir en général que les maladies extérieures produisent les pouls externes, les sept piao ; & que les huit pouls que nous avons appellés internes li, sont la suite, le signe & l’effet des maladies qui ont leur siege à l’intérieur ; que celles qui attaquent quelque viscere particulier, alterent principalement la partie du pouls qui lui répond. Du reste, les changemens arrivés au pouls par une maladie quelconque, s’ils lui sont essentiels, en deviennent le signe ; par conséquent leur exposition rentre plus naturellement dans l’article des présages.

Présages qu’on tire par le pouls. L’homme est, suivant les Chinois, par le moyen des nerfs, des muscles, des veines & des arteres, comme une espece de luth ou d’instrument harmonique, dont les parties rendent divers sons, ou plutôt ont une certaine espece de tempérament qui leur est propre, à raison de leur figure, de leur situation, & de leurs différens usages. Les pouls différens sont comme les sons divers & les diverses touches de ces instrumens, par lesquels on peut juger infailliblement de leur disposition, de même qu’une corde plus ou moins tendue, touchée en un lieu ou en un autre, d’une maniere ou plus forte ou plus foible, rend des sons différens, & fait connoître si elle est trop tendue ou trop lâche. Le pouls naturel est un signe certain que la personne à qui on le tâte, non-seulement jouit-d’une bonne santé, mais en jouira long-tems ; c’est-à-dire, ne sera point attaquée de ces maladies qui se préparent de longue main, & dont le noyau se forme sourdement avant qu’elles éclatent ; car on ne prétend point répondre des maladies plus particulierement connues sous le nom d’accident. Mais pour que le pouls soit naturel, il faut qu’il soit conforme aux saisons, à l’action de différens visceres, à l’âge, au sexe, à la taille & au tempérament des sujets. Nous avons vu en quoi consistoit sa conformité aux saisons & aux principaux organes, nous n’ajouterons qu’un mot sur ce qui regarde l’âge & le sexe ; car les Médecins chinois ne disent point quelle doit être la qualité du pouls dans les différentes tailles & les divers tempéramens.

Dans l’homme adulte, le pouls naturel bat quatre fois dans l’intervalle de chaque respiration du médecin qui l’examine : cette même mesure ne pourroit pas s’appliquer sans inconvénient, & au pouls du jeune enfant, & à celui du vieillard décrépit ; aussi les Médecins chinois ont décidé que le pouls des enfans depuis trois jusqu’à cinq ans, doit battre huit fois pendant l’espace entier d’une respiration, s’ils sont en bonne santé : si le pouls bat neuf fois, ils ont quelque mal intérieur ; & leur maladie est très-dangereuse, si les battemens vont jusqu’à dix ou douze, & surtout s’il s’y joint de l’irrégulatité. Dans un vieillard, le pouls est naturellement assez lent & assez foible, il ne bat que deux ou trois fois entre chaque respiration ; s’il arrive le contraire, c’est maladie. Cependant il se trouve quelquefois des vieillards dont le pouls est fort & assez vite, mais en même tems ferme & non sautillant ; c’est un pouls naturel, signe d’un tempérament très-robuste, aussi ce pouls s’appelle-t-il pouls de longue vie ; mais quand dans un vieillard, le pouls se trouve fort vite, mais en même tems sautillant & comme inquiet, tout ce qui reste de force à cet homme, est en dehors, il n’en a plus au-dedans, il n’ira pas loin. Les égards qu’on pourroit avoir à la taille du sujet, en tâtant le pouls, seroient de ne pas s’effrayer d’un pouls lent dans un grand homme, & d’un pouls un peu vîte dans un petit, parce que, suivant l’observation de M. de Senac, la vîtesse du pouls est pour l’ordinaire, en raison inverse de la grandeur. Quant aux tempéramens, s’ils ne sont, comme le pense M. de Bordeu, que la suite du dérangement insensible de quelque organe, il ne faut qu’une attention réfléchie sur le vice du viscere en défaut.

La principale différence que le sexe produit dans le pouls, consiste en ce que dans l’homme, le pouls du carpe doit toujours être plus vigoureux que celui du cubitus ; & si le contraire arrive, c’est contre l’ordre, & cela indique un dérangement dans les reins. Dans la femme, le pouls du cubitus a plus de force que celui du carpe : l’état du pouls opposé est un signe d’altération du tsiao ou foyer supérieur. Les Médecins chinois croient que le pouls droit de la femme est plus significatif & plus fort ; aussi sont-ils dans l’usage de ne lui tâter le pouls que du côté droit, & à l’homme, du côté gauche : les femmes qui sont enceintes ont aussi leurs pouls particuliers qui changent le plus souvent dans les différens tems de la grossesse, dont ils deviennent par-là un signe plus ou moins assuré. Pendant les premiers mois, le pouls est ordinairement petit au carpe, glissant à la jointure, & vîte au cubitus. Ainsi lorsqu’on observe ce pouls pendant long-tems, constamment & sans irrégularité, excepté qu’il n’y ait quelques battemens semblables aux coups de bec que donne une poule en prenant du grain, on peut assurer que la femme est enceinte, quoique la grossesse ne soit encore manifestée par aucun autre signe ; & si en pressant fortement l’artere, on trouve le pouls petit & éparpillé, la grossesse n’est que de trois mois ; on la juge de cinq mois, si le pouls est semblable, mais simplement vîte, & qu’en pressant, il ne s’éparpille point, & ne devienne pas plus petit. Si un pareil pouls se rencontre au bras gauche, on doit attendre un garçon ; & si c’est au droit, une fille. Le pouls du cubitus plus vite, plus haut & plus fort qu’à l’ordinaire dans une femme qui n’a pas ses regles, est un signe de grossesse. On doit porter le même jugement, suivant l’auteur d’un livre que Ouang chon ho met au nombre des anciens traités du pouls, lorsque les six pouls sont dans l’état naturel, & qu’en appuyant fortement le doigt sur l’artere, ses battemens n’en sont pas moins sensibles. Au sept & huitieme mois de la grossesse, le pouls plein, dur & fort, est un très-bon signe ; le profond & délié est d’un mauvais augure : il annonce un accouchement difficile, & il donne lieu de craindre que la malade n’y succombe. Si le pouls est plein & profond au bras gauche, c’est une marque, dit un ancien auteur, que la femme est enceinte d’un garçon ; s’il est superficiel & haut, il ne faut s’attendre qu’à une fille ; s’il est plein & profond aux deux bras, on peut espérer deux garçons ; & s’il est aussi des deux côtés, superficiel & haut, on doit craindre deux filles. Ces présages sont tout-à-fait contraires à ceux d’Hippocrate, qui sont assez universellement adoptés.

Telles sont les considérations que le médecin doit toujours avoir présentes à l’esprit lorsqu’il tâte le pouls, afin de pouvoir décider au juste s’il est naturel ou non. Les Chinois exigent encore d’autres précautions de la part de celui qui tâte le pouls, afin qu’il en puisse saisir les moindres variations & porter en conséquence un jugement assuré ; ils veulent que le médecin soit dans une situation de corps & d’esprit tranquille, jouissant d’une bonne santé, à jeun s’il est possible, & qu’il visite ses malades le matin ; d’abord il doit s’informer du sexe, de l’embonpoint, de l’âge, & de la taille du sujet, & après quelque tems il prend le bras du malade & le laisse aller à sa posture la plus naturelle, mollement & sans gêne, sur un coussin ; après quoi il applique sur l’artere radiale gauche les trois plus longs doigts du bras droit, qu’il dispose de façon que l’index réponde à l’extrémité du carpe, le doigt du milieu à la jointure, & l’annulaire à l’éminence du radius, qu’ils appellent improprement cubitus ; ils font la même chose ensuite avec la main gauche sur le bras droit : la plûpart prétendent qu’il ne faut tâter, comme nous avons déja dit, que le pouls gauche aux hommes, & le pouls droit aux femmes ; ils examinent d’abord la vîtesse & l’égalité des pulsations, ensuite le pouls propre aux différentes saisons, aux différens organes, aux sexes, & aux circonstances particulieres où les femmes peuvent se trouver, aux tempéramens, aux âges, à la taille, &c. Si le pouls répond exactement à tous ces différens objets, la santé est parfaite & elle sera constante ; s’il s’éloigne de ce juste milieu, dès-lors il y a maladie ou disposition plus ou moins prochaine : or il peut s’en éloigner si sa vîtesse augmente ou diminue, si les pulsations ne sont pas long-tems égales, si pendant une saison on ne trouve pas le pouls conforme ou qu’on y trouve le pouls d’une autre saison ; si de même les différens pouls ne répondent pas aux visceres analogues, s’ils sont altérés, ou s’ils ont simplement changé de place ; si dans un homme on trouve le pouls d’un enfant ou d’une femme, &c. ou si enfin on observe quelqu’un des pouls externes, internes, mortels ou monstrueux, que nous avons exposés.

L’excès de vîtesse dans le pouls indique un excès de chaleur ; elle est modérée si le pouls bat six fois dans un adulte pendant une respiration, elle est très considérable s’il bat sept, le danger est fort grand s’il bat jusqu’à huit fois, & le malade expire s’il y a un plus grand nombre de battemens. La lenteur du pouls est un signe de froid ; à mesure qu’elle augmente, elle dénote un froid plus grand & le danger plus pressant, au point que si pendant deux respirations le pouls ne bat qu’une fois, la mort est prochaine.

Cinquante pulsations égales & sans intermittences sont un signe de santé ; si le pouls s’arrête avant d’avoir battu cinquante fois, il n’est pas naturel, il indique maladie d’autant plus grave, que le nombre des battemens après lesquels il s’arrête est plus petit. Si au bout de quarante battemens le pouls s’arrête, un des cinq tsang ou principaux visceres est gâté, le malade ne doit pas passer quatre ans ; si c’est après trente, la mort survient après trois ans, & l’intermittence à chaque vingtieme annonce la mort dans deux ans ; l’intermittence plus fréquente dénote un danger plus pressant & une mort plus prompte, &c.

Les dérangemens qui arrivent dans le pouls par rapport aux saisons sont plus ou moins dangereux ; en général avoir au printems le pouls de l’estomac ; en hiver, le pouls du cœur ; en été, celui du poumon ; en autonne, celui du foie, c’est un très-mauvais signe : cependant si au printems on observe le pouls propre à cette saison, qui est celui du foie, combiné avec le pouls de la derniere lune de chaque saison ou de l’estomac, la maladie n’est pas dangereuse & on guérit assez souvent sans remedes, alors le pouls est trémuleux, long, & en même tems un peu lent ; mais s’il perdoit sa trémulation, & qu’il n’eût que la lenteur du pouls de l’estomac, le danger seroit pressant. Si les pouls propres aux saisons se dérangent de façon, dit l’auteur que nous analysons, que l’enfant soit soutenu par sa mere, le mal n’est pas grand ; mais si la mere charge l’enfant, la maladie sera longue : il en est de même si le mari & la femme ne se tiennent pas dans l’ordre. Cette façon allégorique de s’exprimer est fondée sur la sympathie, la dépendance mutuelle des visceres, & l’espece de filiation qu’ils ont établie entr’eux ; & pour éclaircir le passage que je viens de rapporter, je n’ai qu’à développer le rôle que les Chinois font jouer à chaque viscere dans cette famille : ils pensent que les reins sont la mere du foie qui a l’estomac pour épouse & le cœur pour fils, que le cœur est le mari du poumon & le pere de l’estomac ; ainsi lorsqu’ils disent que l’enfant est soutenu par la mere, ils veulent faire entendre qu’un viscere prend le pouls de celui qui passe pour son fils, ainsi dans l’exemple proposé : la maladie n’est pas sérieuse, si, lorsque le pouls de l’estomac est haut & regorgeant, celui du cœur (qui est son pere) prend la lenteur modérée qui lui est propre ; si la mere charge l’enfant, ajoute-t-il, la maladie sera longue, c’est-à-dire, si les reins communiquent leur mal au foie, ou le foie au cœur. Avec cette clé on peut résoudre les autres énigmes semblables. « Dans le printems avoir le pouls du poumon, poursuit Ouang chon no, cela est mortel, pour le pouls du cœur passe ; car le cœur est le fils du foie qui a les reins pour mere & l’estomac pour épouse ». Ce prognostic est fondé sur ce que le métal, comme nous avons dit, répond au poumon & le printems au bois, & que le métal détruit le bois, d’où il suit que le malade doit être détruit ; telle est l’explication de tous leurs autres axiomes, je crois que c’en est aussi le fondement ordinaire.

On peut juger par-là du danger qui accompagne les transpositions des pouls propres aux différens visceres ; mais ces pouls non-seulement peuvent changer de place, ils s’alterent souvent d’une autre façon & prennent des caracteres plus ou moins dangereux : on peut assurer en général qu’un viscere est sain lorsque son pouls a au-moins quarante-cinq battemens consécutifs sans une interruption considérable. Si le pouls du carpe gauche ou du cœur, après ces quarante-cinq battemens égaux, cesse ou change peu de tems, il n’y a pas grand danger ; si le pouls, après avoir battu trente-une fois, se plonge & tarde notablement à revenir comme auparavant, le malade mourra la saison suivante, &c. si le pouls propre au foie qui est celui de la jointure du poignet gauche, après vingt-six battemens convenables, se plonge & devient profond sans cependant tarder à revenir tel qu’il doit être, c’est signe de chaleur excessive & ventosités dans le foie ; si, après vingt-neuf battemens, il devient aigre & paroît vouloir se cacher, le foie est très-mal affecté, il y a obstruction considérable, les jointures des membres s’en sentent, cela va communément de mal en pis jusqu’à la mort qui s’ensuit ; si, après dix-neuf battemens, il se plonge & se releve alternativement, le foie est entierement gâté, il ne fait plus ses fonctions, & il n’y a plus rien à attendre de la vertu des remedes.

Le pouls du cubitus gauche ou du rein gauche indique chaleur & ventosité dans ce rein, lorsqu’on le sent précipité ou trémuleux long ; s’il devient tout-à-coup très-lent, c’est signe de froid, le mal est très dangereux, demande un prompt secours, beaucoup de soin & de dépense ; si, après vingt-cinq battemens égaux, ce pouls se plonge, ce rein est gâté & ne fait plus ses fonctions : toute l’habileté du médecin ne sauroit sauver le malade, à-peine pourra-t-on différer la mort de peu de jours.

Si le pouls du carpe droit, propre au poumon, se trouve très-précipité, le poumon a souffert de l’air extérieur ; & si, en continuant à compter les battemens & à observer le pouls, « vous trouvez, dit l’auteur, qu’après vingt-sept battemens il devienne considérablement lent, le poumon n’a plus le degré de chaleur nécessaire, ne dites pas c’est peu de chose, remédiez-y promptement ; sans cela, un matin vous trouverez que le pouls se plongera & replongera, que le malade abattu ne pourra quitter le lit, que le poumon ne fait plus ses fonctions, & vous vous repentirez d’avoir dit d’abord que ce n’étoit rien. Que si, après douze autres battemens, le pouls disparoît encore, ou change notablement, bien-tôt le malade sera tourmenté d’une toux fâcheuse, accompagnée ou suivie de crachats mélés de pus, les forces lui manqueront, ses cheveux se hérisseront ; & le fameux Tsin pien tsi ressuscitât-t-il pour le traiter, il ne le pourroit faire avec succès ».

Le pouls de la jointure du poignet droit, propre à l’estomac, devenant trop précipité, dénote que la digestion est troublée par trop de chaleur ; l’extrème lenteur de ce pouls désignera que le mal vient du froid, ce qui est plus ordinaire ; s’il arrive, comme cela est fréquent, qu’il y ait alors des nausées & des vomissemens, le malade n’a plus guere qu’environ dix jours de vie.

Lorsque le pouls de l’extrémité du cubitus droit qui appartient au rein de ce côté, se plonge & se replonge après dix-neuf battemens considérables, c’est un grand prognostic de mort, de cent il n’en réchapera pas un ; & si c’est après sept battemens, sans se relever que long-tems après, le malade n’a plus que quelques heures à vivre. Ce pouls fort précipité tenant du trémuleux, indique des ventosités dans cet organe. Il y a encore du remede.

Ces dérangemens des différens pouls ne sont pas les seuls dont les Chinois tirent des signes dans l’examen & le prognostic des maladies ; ils considerent avec la même attention, & peut-être le même fruit, les différentes modifications que peut prendre chacun de ces pouls ; ils sont en effet susceptibles de tous les caracteres qui constituent les pouls internes, externes & monstrueux ; & la différente combinaison de ces pouls rend les présages extrèmement étendus & compliqués. Nous passerons tout ce détail trop long & sans doute ennuyeux, sous silence ; nous en userons de même à l’égard des pouls externes & internes, parce que les signes qu’ils fournissent relativement à leur différente situation & à leur combinaison sont prodigieusement multipliés ; nous nous contenterons de faire observer que les pouls externes sont toujours plus favorables que les autres, parce qu’ils indiquent que la maladie se porte au-dehors & n’attaque aucun viscere considérable ; outre les signes qu’ils présentent au médecin pour connoître la maladie & en prognostiquer l’issue, ils lui fournissent des indications pour placer avantageusement les remedes : c’est une maxime reçue chez les praticiens chinois, que lorsque le pouls est feou, superficiel, externe, facile à sentir en posant simplement le doigt, il faut faire suer le malade, & lorsqu’il est tschin, profond, & comme rentrant, il faut purger ; ils ne sont cependant pas si scrupuleusement attachés à cette regle, qu’ils ne s’en écartent dans quelques occasions qui sont rares : ils ont une autre maxime assez analogue à celle-là, qui est de purger dans les maladies internes, & de faire suer dans celles qui ont leur siege à l’extérieur. Cependant lorsque dans une maladie intérieure le pouls est externe, ils tirent leurs indications de ce signe ; il survient quelquefois après midi une chaleur intérieure : si le pouls est superficiel & comme vuide, c’est-à-dire, mou, faites suer, recommandent-ils, par le moyen des sommités de l’arbre kouei : de même quand la poitrine est embarrassée, on use communément d’une potion qui, en faisant aller par bas, dégage la poitrine, & qui pour cela s’appelle pectorale ; si cependant le pouls est superficiel, ne purgez point, cela est mortel.

Nous remarquerons en général, sur les pouls monstrueux ou mortels, qu’ils sont tous des signes d’une mort plus ou moins prochaine ; les uns l’annoncent dès le jour même, comme le pouls, fon fæ, bouillon de marmite ; d’autres, dans deux jours, comme le siun tao, qui désigne aussi quelquefois le saignement de nez ; il y en a qui ne l’annoncent que pour trois, quatre jours, ou même pour plus long-tems, pour des années entieres, pour quatre ou cinq ans : on prétend encore que l’empereur Hoamti en a observé qui marquent qu’on ne doit mourir que dans vingt ou trente ans ; ces prédictions paroissent bien hasardées, il doit arriver rarement que le médecin puisse les voir se vérifier.

Réflexions sur la doctrine des Chinois sur le pouls : 1°. sur les différences. Il n’y a pas lieu de douter que les différences des pouls, établies par les Chinois, ne soient fondées sur l’observation ; la maniere dont elles sont exprimées & peintes fait voir évidemment leur origine ; cependant il n’en est pas moins certain que la plûpart sont indéterminées & arbitraires. Les objets qui leur ont servi de point de comparaison ne sont rien moins que fixes & décidés, chacun peut souvent s’en faire une idée très-différente ; il y en a même qui ne présentent aucune image sensible, qui n’offrent aucun sujet d’analogie ; quel rapport en effet peut-il y avoir entre le battement d’une artere & le mouvement de l’eau qui se glisse à-travers une fente, & un homme qui défait sa ceinture, ou qui, voulant entortiller quelque chose, n’a pas assez d’étoffe pour en faire le tour, & une motte de terre, &c. &c. &c. On ne sauroit disconvenir qu’il n’y ait quelqu’une de ces comparaisons heureuses, qui servent à donner une idée assez exacte du pouls ; telles sont celles du pouls glissant, avec des perles, du feou ho, avec des flots qui se succedent ; du trémuleux, avec les vibrations des cordes d’instrument ; du tanche même, avec une pierre lancée par une arbalète ; du vuide, avec le trou d’une flûte, ou l’orifice d’un vase, &c. &c. Cette façon de peindre les modifications du pouls a bien ses avantages, il seroit très à souhaiter qu’on pût trouver pour tous les pouls connus des objets de comparaison assortis ; il est certain qu’on saisiroit plus facilement & qu’on en retiendroit mieux les différens caracteres : parmi ces différences il s’en trouve quelques-unes très-conformes à celles que Galien a établi & que tous les Médecins reconnoissent ; mais la plûpart sont nouvelles pour nous, & paroissent bien minutieuses & bien difficiles à saisir. Ce ne doit cependant pas être une raison pour les regarder comme chimériques : 1°. parce que c’est une absurdité que de nier une chose parce qu’on ne la comprend pas ; 2°. parce qu’il est au-moins très-imprudent de prononcer sur des objets qu’on ne connoît pas ; 3°. parce que les Chinois s’étant adonnés particulierement à ce genre d’étude, il n’est pas étonnant qu’ils soient allés plus loin que nous & qu’ils n’aient des lumieres supérieures aux nôtres ; 4°. enfin, parce que moins légers que nous, ils portent dans l’examen de ce signe une application singuliere dont nous sommes peu capables : je ne prétends cependant pas garantir la vérité de tout ce qu’ils avancent ; mais je voudrois qu’on suspendît son jugement sur des choses qu’on ne connoît pas, & qu’on ne les condamnât qu’après un mûr examen fondé sur des observations répétées.

2°. Sur les causes. La théorie que les Chinois donnent du pouls, ne paroît pas s’écarter beaucoup des idées que nous en avons : d’ailleurs, comme elle tient à leur système général de Médecine & d’économie animale peu connu, nous n’avons pas pû la développer exactement ; si quelque endroit choque notre façon de penser, peut-être le défaut n’est que dans les termes & dans le tour de phrase, ou mérite-t-il encore mieux d’être attribué à la mal-adresse de ceux qui nous ont transmis leurs sentimens, & qui ont prétendu les éclaircir. Quoi qu’il en soit, la comparaison du corps humain avec un luth, ou un autre instrument harmonique, nous paroît très-juste ; la division du corps en deux parties latérales, très-lumineuse ; l’influence des différens visceres sur le pouls, très-conforme à la plus saine doctrine répandue parmi nous : les filiations & les correspondances des visceres entr’eux sont sans doute bien apperçues en général, peut être sont elles mal déterminées & mal exprimées ; leurs idées sur la circulation du sang ne sont pas assez clairement exposées. La maniere dont ce mouvement produit le pouls n’est point suffisamment détaillée, il n’est pas possible de savoir si c’est en irritant les vaisseaux, ou en les distendant, qu’il en occasionne les battemens. Ce qu’ils disent sur les faisons mérite d’être constaté, elles influent sans contredit sur le pouls, elles doivent en variant y occasionner des changemens, mais en résulte-t-il les effets que les Chinois prétendent ? nous n’en savons rien, & nous avons moins de raisons de le nier que de le croire. Seroit-il permis d’imaginer que les climats eussent aussi une influence sur le pouls, & y occasionnassent des caracteres différens que l’on ne trouveroit pas dans d’autres pays très-éloignés ? si ce fait se trouvoit vrai, il mettroit fin à bien des contestations, & débrouilleroit bien des énigmes.

3°. Sur les présages. Il n’est pas possible de décider si tous les signes que les Chinois tirent du pouls sont aussi certains & aussi lumineux qu’ils le prétendent ; on ne peut que suspecter quelques-uns de leurs présages quand on remonte à leur source, ou qu’on en découvre les fondemens ; on voit évidemment qu’ils sont établis moins sur une observation réitérée, que sur des idées théoriques souvent assez peu vraissemblables : tel est, par exemple, le prognostic de mort attaché au pouls du poumon lorsqu’il se rencontre au printems. Il n’est fondé, comme nous l’avons déja remarqué, que sur la correspondance qu’ils admettent entre leurs saisons & leurs élémens ; de ce genre est aussi l’assertion que le pouls de l’estomac est dangereux au printems. Elle porte sur le même fondement ; car, disent-ils, « la terre qui répond au pouls de l’estomac, quand elle domine, engendre le métal, or le métal détruit le bois qui correspond au foie & au printems ; donc, &c ». Malgré cela, on sera forcé de reconnoître la justesse de la plûpart de leurs présages, si dépouillant tout préjugé, on veut faire attention à l’ancienneté des connoissances qu’ils ont sur cette matiere, à l’application avec laquelle ils cultivent cette partie, à la nécessité où ils sont de s’y adonner, au défaut d’autres signes ; car souvent il ne leur est pas permis de voir & d’interroger les malades, sur-tout les personnes du sexe ; ces maris, jaloux à l’excès, redoutent pour leurs femmes, ou plutôt pour eux-mêmes, leur vue indiscrette, & une pudeur déplacée retient dans d’autres cas le médecin circonspect, l’empêchant de porter les yeux & la main autre part que sur les bras des malades ; si à ces raisons, qui ne sont pas de peu de poids, on ajoute des observations authentiques consacrées dans leurs fastes de la Médecine, par lesquelles il conste que les malades les plus voisins des portes de la mort, en ont été retirés en peu de tems par les médecins qui n’avoient d’autre signe & d’autre indication que le pouls ; si on y joint aussi le témoignage unanime des historiens qui s’accordent à dire qu’un habile médecin chinois, après un examen très-long & très-attentif du pouls, décide sans interroger le malade, la partie qui souffre, l’espece de maladie dont elle est atteinte, annonce quand la tête par exemple sera plus libre, quand il recouvrera l’appétit, & quand l’incommodité cessera ; si enfin on fait réflexion qu’il ne meurt pas plus de monde & peut-être pas autant à la Chine par maladie que dans nos pays : de tous ces faits rapprochés, ne conclura-t-on pas qu’il faut que leurs connoissances sur le pouls soient presque aussi certaines qu’elles sont étendues. J’ai moi-même apperçu plus d’une fois que l’on pouvoit tirer différens signes des différens endroits du poignet où l’on tâtoit le pouls. Les variations qu’on y remarque ne sont pas aussi accidentelles qu’on le pense, de même que les différences qu’on trouve dans le pouls des deux bras, le praticien observateur sait seul l’attention qu’on doit y faire. Il paroît que les Chinois se contredisent lorsqu’ils prétendent qu’on ne doit tâter que le pouls gauche aux hommes, & cependant le pouls droit marque l’état du poumon, de l’estomac & du rein droit ; est ce que ces maladies seroient moins fréquentes dans les hommes, & le contraire arriveroit-t-il aux femmes ? Ils doivent aussi quelquefois tomber dans l’erreur, s’ils ne font pas attention aux dérangemens accidentels qui arrivent dans la situation, la figure, la grosseur, &c. de l’artere ; il n’en est pas question dans leurs écrits. Leur distinction des pouls en externes & internes est très-importante ; la même observation qui la leur a découverte, l’a montrée à Galien, & l’a faite adopter par d’illustres médecins modernes. Les indications qu’ils en tirent sont tout-à-fait conformes aux regles proposées par les auteurs de la doctrine du pouls par rapport aux crises ; on ne voit pas par l’extrait imparfait que nous avons de leur médecine, qu’ils aient égard aux mouvemens de la nature, mais il est certain qu’ils laissent souvent les malades sans remedes, & qu’en général ils en donnent peu.

Doctrine de M. de Bordeu sur le pouls. Cette doctrine ne comprend encore que l’histoire de diverses modifications du pouls qui précedent & annoncent les crises ; on attend que l’auteur mette la derniere main à cet ouvrage, & qu’il complette cette partie intéressante de la Médecine, par l’exposition des pouls non critiques. Nous ne faisons point difficulté de mettre cette doctrine en général sous le nom de cet illustre patricien françois, plutôt que sous celui du médecin espagnol D. Solano de Lucques, qui passe communément pour en être l’auteur, & qui est effectivement le premier en date ; on en verra les raisons dans la suite de cet article ; & en comparant les ouvrages de ces auteurs, on s’appercevra facilement que tout ce que Solano a publié sur cette matiere se réduit à quelques observations neuves, il est vrai, mais sans suite & détachées, à quelques regles importantes, mais quelquefois inexactes, qu’il ne se doutoit pas même qu’on pût pousser plus loin & généraliser de façon à en former des principes solides également lumineux pour la pratique & la théorie de la Médecine. Il avoit été précédé d’ailleurs par Galien, auquel même il n’est pas toujours supérieur. M. Bordeu a pu profiter, & il l’a fait sans doute de ses idées, de ses principes & de ses observations ; mais il a laissé bien loin derriere lui son modele, il a découvert de nouvelles especes de pouls critiques, ou excréteurs qui étoient absolument inconnus à Solano, il a ajouté à ses observations un grand nombre de faits, corrigé, étendu & confirmé ses principes, & proposé des idées beaucoup plus générales & fécondes, il en a formé un corps de doctrine neuf & précieux à tous les vrais observateurs. Il s’est servi de quelques matériaux laissés épars çà & là par le médecin espagnol, mais il en a élevé un édifice vaste, superbe & solide dont on ne sauroit lui disputer la propriété, manifesto suum, pour me servir des paroles déja citées d’un auteur dont on ne sauroit suspecter ici la partialité. Ainsi la circulation du sang passe sous le nom d’Harvei, quoiqu’il n’en soit pas l’inventeur, & que Casalpin & d’autres l’eussent annoncée avant lui. Tous les médecins ne s’accordent-ils pas à attribuer à Galien la doctrine du pouls, qu’il a empruntée en grande partie d’Hérophile, Archigene, Erasistrate & autres auteurs anciens, & qu’il a moins enrichie par des faits, la seule vraie & utile richesse, que par des raisonnemens diffus, & des divisions arbitraires, clinquant étranger & superflu ? Il est plus naturel que nous en usions de même dans le cas présent à l’égard de M. Bordeu. Du reste, nous rendrons à chacun ce qui lui appartient, payant à tous le tribut d’une juste reconnoissance.

La doctrine des crises suivie avec tant de succès, & si fermement établie par Hippocrate & ses sectateurs, ayant été proscrite de la Médecine par les efforts variés & successifs des chimistes, des méchaniciens & des scholastiques, les signes qui les annonçoient n’étoient ni consultés, ni écoutés. Lorsque cette doctrine fut rappellée sous le nom de stalhianisme, que la nature, qu’on crut être l’ame, eût repris ses droits, les signes qui annonçoient ses mouvemens reprirent leur valeur, & attirerent l’attention des médecins ; mais le pouls ne rentra point dans ses droits, le préjugé contre la doctrine de Galien sur le pouls étoit invincible, tout ce qu’il avoit dit passoit pour un fatras d’absurdités & de fictions ; & cette idée n’étoit malheureusement fausse que parce qu’elle étoit trop générale. Les remarques très-judicieuses de cet auteur sur les pouls critiques resterent confondues avec les fables dont elles étoient environnées, ne percerent point, ne frapperent point les observateurs ; le seul pouls ondulant qui annonce la sueur critique, fut transmis dans les livres, mais jamais employé par le praticien. Boerrhaave s’écrioit du fond de son cabinet : sed & accuratissime est observandus pulsus, &c. « il faut observer le pouls avec une extrème attention, il est un sûr indice de la matiere morbifique lorsqu’elle va se mouvoir, qu’elle se meut, qu’elle est prête à être chassée hors du corps, & que l’excrétion commence à s’en faire, il dénote aussi très-bien le tems le plus convenable pour l’administration des remedes, &c ». Institut. medic. n°. 970. Mais au lit du malade ce théoricien célebre ne tiroit aucune lumiere du pouls ; il semble que l’éloge qu’il en fait soit le fruit d’une pratique conforme, point du tout ; c’est la façon de Boerrhaave, toujours brillant & animé lorsqu’il écrit d’après son imagination, lorsqu’il donne des préceptes ; mais timide & froid lorsqu’il s’agit de les exécuter, & hors d’état de bien observer. Les vérités lumineuses qu’il seme quelquefois dans ses écrits partent d’une imagination vive, qui lui représente l’avenir comme présent, & souvent plutôt ce qui doit, ou pourroit être, que ce qui est en effet. Ce n’est que dans la doctrine que nous allons exposer que le pouls remplit exactement les promesses de Boerrhaave ; & avant Solano, on n’imaginoit pas qu’on pût en tirer le moindre parti pour la prédiction des crises. On n’a qu’à consulter l’article Crise, article très-détaillé, sait par l’auteur des recherches sur le pouls, où il ne donne rien de sa doctrine postérieure à la composition de cet article, & à l’impression du quatrieme volume dans lequel il est contenu. Ce Dictionnaire pourra servir d’époque & de monument à bien des découvertes précieuses. Voici quelle fut l’origine & l’occasion de celle-ci.

Solano étudiant en Médecine en 1707, suivoit en pratique dans les hôpitaux dom Joseph Pablo, professeur, &c. il observa souvent le pouls rebondissant ; il en demanda la raison, & ce qu’il signifioit à dom Pablo, qui lui dit de ne pas faire attention à ces bagatelles qui ne provenoient que des vapeurs fuligineuses ; s’il lui avoit répondu avec nos modernes que ces variations bizarres du pouls n’étoient que des irrégularités de peu d’importance fort communes à certains états de spasme & d’irritation, il eût donné une explication moins ridicule ; mais il n’en auroit pas moins substitué, comme le remarque M. Bordeu, des idées vagues aux nouvelles observations qu’il s’agissoit de faire sur un fait qui méritoit d’être approfondi. Cet exemple peut être présenté en maniere d’apologue à ceux qui seroient tentés d’être aussi prompts dans leur décision sur cette matiere que Joseph Pablo. Solano ne se rebutant point, il continua ses remarques & ses observations ; il vit avec plaisir & une surprise inexprimable survenir une hémorrhagie du nez à un malade auquel il avoit trouvé ce pouls rebondissant ; il réitéra de pareilles observations qu’il étendit aux sueurs & aux diarrhées ; il trouva qu’elles étoient constamment précédées, l’une du pouls intermittent, & l’autre du pouls que Galien appelle ondulant, & auquel il donne le nom d’inciduus ; il vit aussi quelque correspondance entre le pouls intermittent mou & l’excrétion des urines, entre l’intermittent dur & le vomissement ; il vint à bout de se faire des regles assez sûres là-dessus, & il étonna d’abord tout le monde par la nouveauté & la justesse de ses prédictions ; il en rendit plusieurs fois témoins les autres médecins, qui d’abord par une jalousie naturelle & particulierement attachée à la profession, furent ses ennemis ; mais ils ne tarderent pas à rendre témoignage à la vérité, & devinrent ensuite ses amis, ses écoliers & ses admirateurs. Bel exemple qu’on pourroit proposer aujourd’hui à bien des médecins à qui il ne resteroit que la moitié de l’ouvrage à faire, mais la plus noble & la plus difficile ! Les observations de Solano se trouvent répandues dans l’idioma de la natura lezza, ouvrage espagnol peu connu, & dans le lapis lydius Apollinis, immense & ennuyeux in-folio, que nous ne connoissons que par l’extrait qu’en a donné M. Nihell, médecin irlandois, qui restoit à Cadix. Ce livre lui étant tombé entre les mains, il trouva la matiere si importante & si embrouillée, qu’il prit le parti d’aller à Antequerra voir dom Solano, & lui demander les éclaircissemens dont il avoit besoin ; il eut occasion par-là d’être témoin lui-même de la justesse des prédictions de ce médecin faites sur ces principes ; il recueillit de nouvelles observations des autres médecins, ramassa les attestations les plus anthentiques, & il fit ensuite lui-même d’heureuses applications de ces regles ; il forma de tous ces matériaux un recueil intéressant, qui contient, outre la doctrine de Solano éclaircie, commentée, corrigée & confirmée par plusieurs observations, des remarques très-judicieuses sur le parti qu’on peut tirer de cette importante découverte. C’est une obligation que la Médecine & l’humanité ont à cet auteur, d’avoir mis les idées du praticien espagnol dans un nouveau jour, & de les avoir arrachées à l’oubli dans lequel les auroit laissé tomber la négligence indolente de cette nation. Cet ouvrage est écrit en anglois, d’où il a été traduit en latin par M. Noorthwyk, & en françois par M. de la Virotte, sous ce titre : observations nouvelles & extraordinaires sur la prédiction des crises par le pouls, &c. par dom Solano de Lucques, enrichies de plusieurs cas nouveaux, par M. Nihell, &c. chez Debure, Paris 1748.

M. Bordeu ne doit ses premieres idées sur ce sujet, comme il l’annonce lui-même, qu’à la maniere dont il fut frappé plusieurs fois de quelques modifications du pouls qui lui paroissoient singulieres ; cependant il n’osoit encore les regarder que comme des mouvemens bizarres & presque de nulle conséquence ; ce ne fut qu’après avoir vu la traduction de l’ouvrage de Nihell qu’il comprit l’importance & la valeur de ses premieres observations, & qu’il s’attacha sérieusement à les suivre & à les confirmer, soit dans le cours de sa pratique ordinaire, soit dans les hôpitaux où il passoit des journées entieres pendant plusieurs années ; cette assiduité extrème, & sur-tout un génie observateur que la nature seule donne, le mirent bien-tôt en état de confirmer, de perfectionner & d’étendre les observations de Solano, & il eut plus d’une occasion brillante de faire admirer la force, la certitude & la précision de ses pronostics. Ses observations se trouvent exposées au nombre de près de deux cens dans ses recherches sur le pouls par rapport aux crises, à Paris, chez Debure 1756 ; ouvrage précieux, non-seulement par cette multitude de faits intéressans qui y sont rassemblés, mais encore par le corps de doctrine suivi qui y est répandu, & par les réflexions justes dont il est rempli sur la marche, la nature, les terminaisons des maladies, l’évaluation de l’action des remedes, &c. aussi a-t-il obtenu le comble des honneurs littéraires, c’est-à-dire, l’approbation & les applaudissemens des juges impartiaux & éclairés, & le blâme & les censures des envieux & des ignorans. Cependant on y desireroit des remarques plus suivies, plus détaillées sur les avantages qu’on peut en retirer dans le traitement des maladies, plus d’application à la pratique journaliere : toutes ces choses ne sont qu’indiquées, elles auroient dû être décidées. Ces défauts sans doute très-essentiels se trouvent suppléés dans un excellent ouvrage de M. Michel, médecin de Montpellier, qui a pour titre : nouvelles observations sur le pouls par rapport aux crises, à Paris, chez Debure 1757. Cet auteur, plus attentif a rendre hommage à la vérité, que soucieux des impressions fâcheuses que peut faire son éclat peu ménagé sur l’esprit de certaines gens qui ne sont pas accoutumés à la voir, propose avec cette noble fermeté que peut seule donner la conscience du vrai, ses observations, ses idées ; il déduit ouvertement les conséquences qui en résultent, & démontre par des faits combien le système de pratique fondé sur la doctrine du pouls de M. Bordeu devient simple, solide & infiniment plus sûr que tous ceux qui ont été en vogue, ou qui y sont aujourd’hui ; il fait sentir la différence extrème qui se trouve entre une doctrine dictée par la nature même, & les différentes opinions que le caprice, la fantaisie ou la mode ont fait adopter. Nous allons maintenant exposer cette doctrine. Nous n’avons pas cru ces détails historiques déplacés. Lorsqu’il s’agit d’une découverte sur-tout précieuse à l’humanité, on ne sauroit être assez attentif à en bien fixer les auteurs, les dates, les époques & les progrès.

On ne doit pas s’attendre que dans cet exposé nous puissions nous asservir à l’ordre que nous avons suivi jusqu’ici ; la collection des faits n’est que très-difficilement susceptible d’extraits ; elle est souvent irréguliere, & ne sauroit se prêter à une distribution méthodique, différente en cela des systèmes qu’enfante l’imagination où toutes les idées se lient, s’enchaînent & se soutiennent mutuellement, où elles naissent les unes des autres avec plus ou moins d’ordre, de facilité & de vraissemblance, suivant le génie & l’habileté du compositeur. Rien n’arrête l’historien hardi, que les bornes de son imagination ; l’observateur est asservi à la nature, il ne peut s’en écarter sans cesser dêtre vrai. Voyez Observateur. La doctrine de M. Bordeu est dans ce cas à l’égard du système de Galien ; cet ancien médecin a établi d’idée la plûpart de ses différences. On les voit se multiplier en naissant successivement les unes des autres ; les présages en sont déduits avec le même ordre. Dans la nouvelle doctrine les présages sont antérieurs & aux dénominations, & aux caracteres ; ce sont eux qui les ont fixés, qui en sont l’origine & le fondement. Par exemple, un pouls n’est appellé pectoral, que lorsqu’on l’a vu plusieurs fois présent avant & pendant le cours des excrétions critiques de la poitrine. Ce n’est qu’après le même genre d’observations qu’on a décidé qu’il consistoit dans la mollesse, la plénitude, la dilatation, & une espece de rebondissement des pulsations. Ce que nous allons dire n’étant que l’extrait d’un grand nombre d’observations semblables, nous sommes obligés de parler, sous le même article, des différences & des présages qu’on tire par le pouls.

Différence & présage du pouls. L’auteur a retenu quelques différences observées par Galien & Solano qu’il a cependant rectifiées, il a découvert plusieurs caracteres qui leur avoient échappés, il s’est sur-tout appliqué à déterminer la valeur & la signification de ces modifications, ou qu’on n’avoit pas saisie avant lui, ou dont on n’avoit pas songé à tirer avantage, les regardant comme des variations bisarres & sans conséquence, & il est parvenu à ce point en comparant soigneusement, d’après une observation scrupuleuse, la marche, les phénomenes, & les évenemens des maladies livrées à elles-mêmes, ou traitées suivant les préceptes de l’art avec toutes les modifications critiques du pouls observées pendant les différens tems, les différens degrés, & les diverses tournures de ces maladies. Il a tâché d’éviter en évaluant les caracteres du pouls, cet inconvénient dans lequel sont tombés Galien & les modernes, de se servir des modifications vagues, indéterminées que l’on ne peut connoître sûrement sans les rapporter à quelque autre, même souvent fautive ; il a fait ensorte que chaque observateur pût connoître les caracteres distinctifs de chaque pouls sans être obligé de faire aucune comparaison avec des objets peu connus, éloignés, ou mal déterminés. Il les a établis le plus souvent sur l’égalité & l’inégalité des pulsations, l’égalité & l’inégalité des intervalles qui se trouvent entre elles, modifications fort aisées à saisir sans que l’esprit soit distrait & fatigué à chercher des mesures pour les évaluer : il n’a pas pû s’empêcher d’employer quelquefois la mollesse, la grandeur, la dureté, la petitesse, modifications relatives que l’habitude sur-tout apprend à bien déterminer. Il en est de même de la fréquence & de la rareté qu’on peut connoître sans le secours d’un pendule ou d’un pulsiloge, chacun doit l’avoir au bout des doigts. Les observations de M. de Senac ne laissent rien à desirer sur cette partie, elles font connoître la plus grande & moindre fréquence dans l’état naturel & contre nature ; le lecteur peut consulter le traité du cœur, ouvrage immortel de ce grand homme, nous conseillons sur-tout d’en voir la seconde édition, qui contiendra bien des choses relatives à la doctrine que nous exposons ; nous regrettons beaucoup de ne pouvoir y puiser de nouvelles lumieres dans le tems que nous écrivons, elle est encore sous presse, l’auteur a déjà fait des observations qui confirment celles de Solano, & qui constatent la valeur du pouls dans la prédiction des crises. Il en a rendu compte dans une dissertation sur les crises. A Paris, chez Prault fils, 1752. M. Bordeu pour désigner les pouls qu’il a observés, s’est servi d’une nomenclature particuliere, qu’il a étendue même à ceux que Solano & Galien lui ont fournis, moins pour déguiser ou rapporter sous d’autres termes ce qui dans le fond se trouve dans d’autres ouvrages, que pour conserver une uniformité utile & nécessaire, il a tiré ces noms de l’anatomie, de la situation ou de l’usage des parties dont le pouls indique l’action excrétoire ; ces dénominations sont d’autant plus appropriées qu’elles dénotent la marche de la nature dans chaque pouls.

Pour juger & connoitre les différentes especes de pouls, pour déterminer combien leur état est contre nature, il faut établir un pouls qui serve de point fixe & de mesure constante ; ce pouls naturel se trouve chez un très-petit nombre d’adultes jouissant d’une santé robuste & bien constitués de tout point ; on l’observe chez eux égal, mollet, souple, libre, point fréquent, point lent, sans paroître faire aucune sorte d’effort, ses pulsations se ressemblent parfaitement, elles sont à des distances parfaitement égales. Les altérations que la machine éprouve par le sommeil, les veilles, la digestion, les passions, quelque effort, quelque légere douleur, &c. se transmettent aussitôt au pouls & en troublent l’harmonie ; les âges apportent aussi beaucoup de différence dans le pouls ; dans les enfans & les vieillards il s’éloigne également de ce milieu. Celui des premiers est vif, serré, précipité ; à mesure qu’ils grandissent leur pouls se dilate, se ralentit, acquiert du corps & de l’aisance, jusqu’à ce qu’il soit parvenu à ce degré de maturité & de consistance qui caractérise le pouls des adultes ; dès que cet âge est passé, le pouls en perd les qualités, il devient moins souple, moins vigoureux, moins libre, il se durcit, se resserre, s’embarrasse, s’éteint. Le pouls naturel des femmes est en général plus vif, plus rapproché de celui des enfans & de la jeunesse que celui des hommes, il a ses degrés particuliers, sa jeunesse, son âge moyen & sa vieillesse ; du-reste, il varie suivant les différentes situations où elles se trouvent, même dans l’état de santé ; les tempéramens font varier le pouls, ils consistent dans une espece de dérangement habituel non maladif, très nécessaire dans tel âge, tel sexe, tel tempérament, & de façon que les variations du pouls occasionnées par-là sont très-naturelles ; & si dans tous ces cas le pouls prenoit le caractere de celui des adultes, il seroit contre nature & un très-mauvais signe : n’auroit-on pas bien lieu de craindre pour la constitution d’un enfant, par exemple, dont le pouls seroit aussi formé que celui d’un adulte ?

Les dérangemens du pouls sont beaucoup plus sensibles dans les maladies, & sur-tout dans les aiguës ou fébriles ; ces maladies sont analogues au travail de la digestion, ou de quelque excrétion difficile, ne sont autre chose qu’un effort plus considérable de la nature, c’est-à-dire du sang & des vaisseaux, pour rappeller ou suppléer une évacuation suspendue ou dérangée, & dépurer le sang qui a été altéré. On peut y distinguer trois tems très-bien connus par les anciens sous le nom de crudité, de coction, & de crise, qui répondent à ceux que l’auteur appelle d’irritation, de coction, & d’excrétion. Ces trois tems sont très-distincts dans les maladies simples, ils sont plus ou moins longs, & se confondent diversement dans les maladies graves & compliquées. Le premier tems n’est, pour ainsi-dire, que l’appareil de tous les symptomes essentiels dans lesquels toutes les forces du corps se concentrent & se rassemblent, il est marqué par un état de spasme & d’irritation ; le pouls est constamment alors vif, serré, convulsif, non critique, dur, sec, & pressé ; on appelle ce pouls, pouls d’irritation, nerveux, convulsif, non critique, &c. Cette révolution a sa crue, sa gradation jusqu’à l’établissement complet de la maladie ; alors commence une seconde révolution qui n’est que la détermination des forces, ou le méchanisme qui sert à préparer la crise, les forces concentrées commencent à se développer, les humeurs sont altérées & rendues propres à être séparées ; les organes qui doivent y servir éprouvent un changement remarquable ; dans ces circonstances le pouls se dilate, se développe sensiblement, il devient plus plein, plus fort & plus libre, mais sans aucune détermination particuliere & susceptible de les recevoir toutes indifféremment ; on l’appelle simplement pouls développé. Cette révolution dure jusqu’au troisieme tems où les humeurs préparées & les organes bien disposés obéissent au dernier effort qui fait la crise, détermine les excrétions & finit la maladie ; le pouls prend alors un caractere particulier qui varie suivant le couloir par lequel se doit faire l’excrétion critique.

Le pouls d’irritation n’est point par conséquent un mauvais signe au commencement des maladies, c’en est un caractere essentiel, mais il ne doit pas durer trop long-tems ; tant qu’il persiste il ne se fait aucune excrétion salutaire, il accompagne la maladie jusqu’à la fin, quand elle a une issue peu favorable ou qu’elle laisse après elle des convalescences pénibles. Il est entretenu dans cet état par la gravité de la maladie, la variété, la violence & l’anomalie des symptomes, & plus souvent encore par l’inopportunité des remedes ; ce pouls a peu de variétés, ou pour mieux dire, elles ne sont pas encore connues ou détaillées ; le pouls développé a toujours à-peu-près les mêmes caracteres ; il peut être plus ou moins décidé ; il est toujours de bon augure.

Le pouls critique est toujours accompagné & précédé du pouls développé, il emporte & fait cesser son indifférentisme, il n’est proprement que ce pouls auquel la modification critique est sur-ajoutée. Ce pouls paroît sur la fin des maladies ; sa présence indique la fin du combat, la victoire de la nature, & la déroute des ennemis, pour me servir des termes allégoriques mais expressifs des anciens, il manifeste à l’observateur éclairé le couloir que la nature affecte, qu’elle choisit pour l’excrétion des mauvaises humeurs ; mais comme il y a différens couloirs, il y a de même différens pouls critiques ; l’auteur, d’après Hippocrate, établit une division des maladies par rapport à leur siége au-dessous ou au-dessus du diaphragme ; outre les symptomes qui distinguent très-clairement ces maladies, il a observé des différences très-marquées entre le pouls des maladies dans lesquelles les évacuations critiques se font par les organes situés au-dessous du diaphragme, & celui des maladies dont les excrétions se font par des organes placés au-dessus. De cette observation lumineuse est née cette division générale du pouls critique en supérieur & inférieur. Leurs noms indiquent leur signification ; le pouls supérieur est sur-tout remarquable par une reduplication précipitée dans les pulsations ; cette reduplication ne paroît être que le fond d’une seule pulsation partagée en deux tems & en deux pulsations. On pourroit comparer cette dilatation qui se fait par un double effort, à l’effet d’un piston qui pousseroit une liqueur dans un cylindre élastique, de maniere que le second jet n’attendît pas que le premier se fût répandu dans le vaisseau. On a appellé aussi en conséquence ce pouls, rebondissant & redoublé ; c’est proprement le dicrote de Galien. Le caractere principal du pouls inférieur se tire de l’irrégularité des pulsations qui sont inégales entre elles, en plénitude, en dilatation, & en force, & qui se succedent à des intervalles plus ou moins inégaux, quelquefois elles forment des intermittences parfaites.

Comme il y a plusieurs organes sujets aux évacuations critiques, au-dessus & au-dessous du diaphragme, il y a aussi plusieurs especes de pouls, supérieurs & inférieurs, qui ont tous, outre le caractere général propre à leur classe, des caracteres particuliers qui les distinguent les uns des autres ; cette multiplicité d’organes donne lieu à d’autres divisions ; car il peut se faire qu’un seul organe travaille à l’excrétion, alors le pouls n’est modifié que par ce seul effort, & il est critique simple, si la maladie se juge par différentes excrétions, l’action simultanée des différens organes qui y concourent fera autant d’impression sur le pouls ; les caracteres propres à chaque couloir combinés, forment le pouls qu’on appelle critique composé, qu’il ne faut pas confondre avec le pouls compliqué qu’on observe lorsque la crise n’est point parfaite & qu’elle est contrariée par l’état d’irritation subsistant ; alors le pouls est critique & non critique en même tems.

Trois principaux couloirs situés au-dessus du diaphragme servent aux excrétions critiques ; les poumons, la gorge, & le nez ; on compte aussi autant de pouls supérieurs critiques simples relatifs à chacun de ces couloirs, savoir le pouls pectoral, guttural & nasal.

Les caracteres distinctifs du pouls pectoral simple bien décidé sont les suivans : « il est mol, plein, dilaté, ses pulsations sont égales, on sent dans chacune une espece d’ondulation, c’est-à-dire que la dilatation de l’artere se fait en deux fois, mais avec une aisance, une mollesse, & une douce force d’oscillation qui ne permet pas de confondre cette espece de pouls avec les autres ». On observe pour l’ordinaire ce pouls à la fin des fluxions de poitrine, des pleurésies, &c. lorsque la nature n’a point été gênée ou détournée ; l’expectoration est la crise la plus ordinaire, la plus sûre dans les maladies, elle arrive aussi quelquefois dans d’autres où la poitrine ne paroît du-tout point affectée ; ce couloir est plus général qu’on ne pense communément ; il est d’une extrème importance de faire faire attention au pouls qui indique cette crise, parce qu’elle se dérange facilement par les saignées & les purgatifs, remedes fort usités ; il faut dès qu’on observe ce pouls s’en abstenir scrupuleusement, sans quoi on risque, comme je l’ai observé très-souvent, d’occasionner des suppurations toujours fâcheuses, ou même d’attirer une mort plus sûre & plus prochaine.

Le pouls guttural est fort analogue au pectoral, il est développé, redoublé, fort comme tous les pouls supérieurs, il est moins mou, moins plein, souvent plus fréquent que le pouls pectoral, il annonce, lorsqu’il est simple, ce qui est rare, les excrétions critiques des glandes du gosier, les crachats épais & cuits, &c. souvent il est joint au pouls d’irritation, ou compliqué ; plus souvent encore il est composé, uni au pouls pectoral ou nasal ; il se confond quelquefois tellement avec eux, qu’il est bien difficile de l’en distinguer ; du reste la méprise est sans conséquence, parce qu’il faut les mêmes secours, ou plutôt la même inaction dans cette crise que dans les autres ; d’ailleurs on peut tirer de nouvelles lumieres qui décident le prognostic du siége de la maladie, des symptomes, &c.

Les narines étant l’émonctoire le plus ordinaire de la tête, on peut prendre le pouls nasal pour un signe général qui indique le transport des humeurs vers la tête, l’excrétion qui se fait le plus souvent dans les maladies aiguës par les vaisseaux du nez, est une évacuation sanguine ; cette hémorragie n’est pas toujours critique, il est rare qu’elle termine une maladie & qu’elle la juge parfaitement. Le pouls nasal, même celui qu’on appelle simple, est presque toujours compliqué avec le pouls d’irritation. Il est redoublé comme le précédent, mais il est plus plein, plus dur, plus brusque, plus fort, & plus vîte. Solano appelle ce pouls dicrote, après Galien, & le regarde comme un signe certain d’une hémorrhagie critique par le nez ; mais cette regle est un peu trop générale, il arrive quelquefois que la crise préparée ne peut s’exécuter, soit par la résistance des vaisseaux, soit par une détermination plus aisée vers quelque autre partie de la tête, & on voit survenir alors des surdités, des éresipeles au visage, des délires, quelquefois des assoupissemens. Le pouls vibré de Galien a beaucoup de rapport avec celui-ci ; cet auteur a remarqué qu’il précédoit les hémorragies ; mais il y a une autre excrétion du nez un peu plus rare, mais plus critique, c’est l’excrétion abondante de matieres muqueuses, comme purulentes, qui arrive à la fin de quelques maladies, & qui termine pour l’ordinaire les enchifrenemens, connus sous le nom vulgaire inexact de rhumes du cerveau ; le pouls est alors plus critique, plus excréteur, il est moins dur, moins plein, le rebondissement se fait avec moins de force & de constance que dans le pouls de l’hémorrhagie. Les ouvrages cités de Solano, Nihell, Senac, Bordeu, & Michel, sont remplis d’observations qui démontrent combien le pouls nazal est propre à annoncer les hémorrhagies du nez ; on trouvera les exceptions, les remarques particulieres & les observations relatives dans les recherches sur le pouls, ch. vij.

On peut ajouter à ces pouls supérieurs, un pouls qui leur est fort analogue, & qu’il est bien difficile de ne pas confondre avec eux, à-moins d’une attention particuliere & d’une grande habitude, c’est le pouls qui annonce la sueur critique ; en même tems qu’il indique le transport des humeurs vers la peau, il dénote une sorte d’effort vers les parties supérieures, comme on peut s’appercevoir à la rougeur de la face, qui précede si ordinairement la sueur, que les anciens l’avoient mise au nombre des signes qui dénotent cette crise. Ce pouls a été observé par Galien, & décrit, comme nous avons vu, sous le nom de pouls ondulant, ondosus ; il a été conservé dans les écrits des médecins dans la possession d’annoncer les sueurs critiques, sans qu’on s’avisât de constater & d’étendre cette vérité, ou de la restreindre & de la détruire par des observations. Solano a vérifié le fait, peut-être sans se douter que Galien l’eût observé ; il l’a trouvé conforme à la vérité ; il a retenu à-peu-près le caractere de ce pouls, qu’il nomme inciduus ; il ajoute que les pulsations molles, souples, développées, s’élevent au-dessus les unes des autres, de façon que la premiere est moins élevée que la seconde, celle-ci moins que la troisieme, & de même jusqu’à la quatrieme. C’est, suivant Solano, le terme de cette gradation ; il n’a jamais observé plus de quatre pulsations consécutives de cette sorte. Galien & sur-tout Struthius, un de ses commentateurs, parlent clairement de cette élévation. Ainsi Solano n’a rien donné de neuf sur ce point. M. Bordeu regarde le pouls ondulant comme plus analogue au pectoral, & il arrive en effet souvent que les malades suent & crachent en même tems, & que le pouls de la sueur soit composé du pectoral ; il ne nie cependant pas qu’on ne trouve cette ondulation dans le pouls de la sueur ; il a aussi observé cette élévation graduée, de même que la souplesse, le développement, la plénitude des pulsations, & sur-tout plus de mollesse & de dilatation dans la pulsation la plus élevée. Quand ce pouls paroît, on peut prédire sûrement une sueur critique, c’est-à-dire une sueur qui soulage le malade, qui diminue la violence des symptomes, si elle ne fait pas cesser entierement la maladie, ce qui est rare. Souvent les sueurs sont symptomatiques, mais alors il y a une roideur, une tension & une sécheresse considérables dans l’artere, ainsi qu’un sautillement & une inégalité dans les distances des pulsations : on remarque le pouls de la sueur critique dans l’éruption favorable de la rougeole & de la petite vérole, excepté qu’il n’a pas tout-à-fait le même degré de mollesse. Les observations qui font voir la justesse des prédictions fondées sur cet état du pouls, donnent en même tems un nouveau poids à la division lumineuse de Galien, des crises extérieures & intérieures, & aux caracteres du pouls relatifs ; elles peuvent aussi guider le praticien chancelant & embarrassé, à distinguer une sueur symptomatique qu’il faut, ou qu’on peut arrêter, d’avec une sueur critique qu’on doit favoriser, & dont le dérangement seroit funeste au malade. L’état du pouls est une boussole assurée dans ce cas : on en voit un exemple frappant dans les fievres intermittentes ; les sueurs qui terminent les accès ne sont point indicatoires ; le pouls qui les précede n’est point critique. Combien de médecins privés de la lumiere de ce flambeau, pensant suivre & seconder la nature, donnent aveuglément des remedes actifs sudorifiques, inutiles ou pernicieux ! Dans les derniers accès le pouls prend manifestement un caractere critique, & annonce la terminaison de la maladie d’autant plus heureuse, qu’elle est plus naturelle.

Les organes excréteurs sont en grand nombre au-dessous du diaphragme : on y trouve l’estomac, les intestins, le foie, les reins, les vaisseaux hémorrhoïdaux, & la matrice dans les femmes. L’effet général de la nature vers quelqu’un de ces émunctoires, est manifesté par le pouls inférieur ; mais l’effort critique de chaque viscere en particulier, modifie diversement le pouls : les différences qui naissent de ces modifications sont difficiles à saisir, parce qu’il n’est pas rare d’observer les excrétions critiques partagées entre plusieurs organes inférieurs.

La crise propre ou du-moins apparente de l’estomac, est le vomissement ; la crise naturelle seroit de pousser vers le pilore les humeurs qui se ramassent dans sa cavité ; mais on ne sait pas quand elle a lieu, & les caracteres du pouls qui la précede. Le vomissement est quelquefois critique dans les maladies, rarement il termine tout-à-fait les maladies ; plus souvent il ne les juge qu’incomplettement. Solano dit n’avoir jamais observé de crise simple par le vomissement, sans la diarrhée : cette remarque assez généralement vraie, souffre des exceptions dans quelques cas particuliers, sur-tout dans les indigestions. Solano regarde comme signe certain de cette crise, une tension considérable de l’artere jointe à l’intermittence ; mais ce pouls a dû être nécessairement composé, puisqu’il se faisoit deux évacuations, l’une par les intestins, & l’autre par l’estomac. Le pouls simple du vomissement, ou stomachal, est, suivant M. Bordeu, le moins développé de tous les pouls critiques, & le moins inégal de tous les pouls inférieurs ; l’artere semble se roidir & frémir sous le doigt ; elle est souvent assez saillante ; les pulsations sont fréquentes, & leurs intervalles sont assez égaux. Ce pouls s’observe principalement au commencement des maladies : il indique un état de gêne, de spasme ; & en effet l’action par laquelle l’estomac produit cette crise, n’est point naturelle ; c’est une véritable convulsion de l’estomac, un renversement de son mouvement naturel. La présence de ce pouls dans tous les tems de la maladie, favorise l’effet de l’émétique, & peut servir d’indication certaine pour le placer. Lorsque le vomissement naturel ou l’effet de quelque remede est passé, le pouls quitte cet état convulsif, & se développe ; si l’on observe ce changement heureux après l’exhibition de l’émétique, c’est une preuve qu’il a été donné fort-à-propos ; si au contraire le pouls se concentre, devient plus convulsif, plus serré, c’est un signe fâcheux qui montre que le pouls n’étoit pas excréteur lors de l’application de ce remede ; remarques essentielles dont le praticien peut à chaque instant reconnoître l’importance.

Les intestins, organe considérable par son étendue & son influence sur l’économie animale, sont le foyer très-ordinaire des causes de maladie, & le siége familier des excrétions critiques ; ces excrétions qu’on appelle diarrhée, dévoiement, &c. peuvent être naturelles ou excitées par l’art : l’une & l’autre a ses avantages. Le pouls qui précede le dévoiement spontané critique, ouvrage de la nature victorieuse, est connu sous le nom de pouls intestinal, voici ses caracteres déterminés par M. Bordeu, d’après un grand nombre d’observations. « Il est beaucoup plus développé que le pouls du vomissement : ses pulsations sont assez fortes, comme arrondies, & sur-tout inégales tant dans leur force que dans leurs intervalles. Après deux ou trois pulsations assez égales & assez élevées, il en paroît deux ou trois moins développées, plus promptes, plus rapprochées, & comme subintrantes. De-là résulte une espece de sautillement plus ou moins régulier ; aux irrégularités de ce pouls se joignent souvent des intermittences très-remarquables ; il n’est jamais aussi plein, aussi développé que le pouls supérieur ; il n’a point nécessairement d’ordre marqué dans ses intermittences, c’est au contraire par son désordre qu’il se rend reconnoissable ». Cette inégalité du pouls à l’approche des déjections bilieuses, n’avoit pas échappé à Galien, comme nous l’avons remarqué ; il avoit aussi observé que dans toutes les crises intérieures le pouls étoit rentrant ; la petitesse du pouls avoit frappé Avicenne ; Solano n’avoit fait attention qu’à l’intermittence du pouls, qu’il regarde comme un signe assuré de diarrhée critique : il a raison en ce point avec les précautions qu’il prend, mais il se trompe en ce qu’il n’a pas assez vû, car il y a bien des diarrhées critiques qui ne précedent point l’intermittence, mais seulement l’irrégularité du pouls. Les purgatifs, remedes propres à exciter au défaut de la nature les évacuations du ventre, ont été par différens auteurs trop employés & trop négligés ; chacun alléguoit pour appuyer son sentiment, des raisons spécieuses, & faisoit valoir les fautes du parti contraire ; & chacun croyoit avoir raison, parce que tous les deux avoient tort ; ils manquoient l’un & l’autre d’une regle sûre, d’une indication invariable, pour employer les purgatifs ou s’en abstenir. Le pouls devenant intestinal, peut dans les maladies aiguës indiquer le tems le plus propre à administrer ces remedes, en dénotant une disposition des intestins qui favorise leur action ; mais en même tems ce pouls contr’indique les purgatifs forts qui ne manqueroient pas d’exciter dans ces circonstances des superpurgations. Ainsi, en consultant ce signe, on ne sera plus asservi à cette maxime empirique & quelquefois pernicieuse de purger indictinctement un jour & l’autre non. On distinguera avec Hippocrate, certains tems auxquels il est à-propos de purger, & d’autres où il faut s’abstenir de purgatifs efficaces : on verra la raison d’une observation importante faite par plusieurs praticiens, que des purgatifs forts donnés dans certains jours de la maladie, n’opéroient aucun effet, tandis que d’autres jours des legers eccoprotiques procuroient des selles abondantes.

La fonction particuliere du foie est la secrétion de la bile, & son excrétion par les conduits hépato-cystiques & cholidoques dans la vésicule du fiel & des intestins. On ne sait pas assez que les dérangemens dans la secrétion de cette humeur sont les causes d’un grand nombre de maladies, sur-tout des maladies de la peau, des érésipelles périodiques, des ophtalmies palpebrales, &c. Les icteres sont, de l’aveu de tout le monde, dépendans de cette cause, & ces maladies ne peuvent se guérir que par le rétablissement de cette fonction. Combien aussi de fievres ardentes, de fievres tierces bilieuses, se terminent heureusement par des évacuations critiques de bile ? L’engorgement du foie, l’altération de ses fonctions se manifestent clairement sur le pouls. Les ictériques ont assez constamment un pouls particulier remarquable par sa constriction, son resserrement, son obscurité ; ce pouls devient plus marqué, & se développe un peu lorsqu’il se fait quelque mouvement critique dans le foie ; ce pouls, comme les Chinois l’ont remarqué, est beaucoup plus sensible du côté droit que du côté gauche, remarque qui ne doit point être négligée. Ce pouls n’a ni dureté ni roideur ; il est inégal, & cette inégalité consiste en ce que deux ou trois pulsations inégales entr’elles succedent à deux ou trois pulsations parfaitement égales & naturelles. Ce pouls pour être bien suivi, demande un observateur qui ait le tact fin & habitué : il est souvent composé avec l’intestinal ; l’indication sûre qui naît de sa présence, est de favoriser cette crise par de bons apéritifs amers, résineux, hépatiques, fondans, & des purgatifs cholagogues, l’aloës, le savon, la rhubarbe, la scammonée, &c.

Les reins sont des especes de filtres qui laissent passer les urines sans presque aucun effort de leur part dans l’état de santé ; mais lorsque les maladies se terminent par un flux critique d’urine, que les anciens ont appellé perirrhie, l’action des reins devient plus sensible : il n’est pas rare même alors de voir les reins douloureux ; & cette action & la tendance générale des humeurs, & l’effort de toute la machine, se peignent sur le pouls, & se manifestent par les caracteres suivans : ce pouls, qu’on pourroit appeller rénal ou urinaire, a beaucoup de rapport au pouls intestinal : il a comme lui ses pulsations inégales ; mais il y a dans cette inégalité une sorte de régularité qui manque au pouls intestinal ; les pulsations vont en diminuant jusqu’à se perdre sous le doigt ; leur diminution est graduée, & elles suivent aussi la même gradation, le même ordre en remontant. Les pulsations qui se font dans ces intervalles sont plus développées, assez égales, & un peu sautillantes ; enfin il semble, & cela est très-remarquable, que ce pouls soit l’inverse de celui de la sueur. On voit par-là que c’est le même que Galien a décrit sous le nom de miure, décurté, &c. mais dont il n’a tiré aucun prognostic. Salano a cru que la mollesse des arteres jointe avec l’intermittence, étoit le signe de la crise des urines compliquée avec le dévoiement ; il n’en a jamais observé de simple : le pouls qu’il décrit est évidemment un pouls composé & peu exact ; la crise des urines est quelquefois seule ; les urines sont alors plus abondantes, & renferment beaucoup de sédiment ; elles préviennent des dépôts prêts à se faire, suivant l’observation d’Hippocrate, ou servent à les vuider lorsqu’ils sont déjà formés ; ce qui suffit pour faire sentir de quelle importance il est de connoître d’avance cette crise, & de s’attacher au seul signe qui l’annonce sûrement. Le caractere du pouls que nous avons décrit est établi sur les observations de M. Bordeu, & confirmé par celles de M. Michel, qui nous assure que sans cette connoissance & en suivant les indications que fournissent les systèmes ordinaires de pratique, il n’eût pas manqué de donner des remedes inutiles ou dangereux. Nouvell. observ. sur le pouls, observ. 19. 20. & 21.

Le flux hémorrhoïdal est une évacuation de sang quelquefois habituelle, périodique, & quelquefois critique, qui se fait par les veines hémorrhoïdales ; cette crise est beaucoup plus ordinaire & plus indicatoire dans les maladies chroniques que dans les aiguës ; elle dégage principalement les organes du bas-ventre, & sur-tout le foie, la veine porte, la rate, avec qui les vaisseaux qui servent à cette excrétion communiquent : aussi tous ces visceres semblent conspirer à produire cette crise ; elle paroît être le résultat de leurs efforts simultanés. Il semble qu’on ôte un grand poids de dessus le ventre aux personnes chez qui les hémorrhoïdes viennent à percer ; le pouls qui annonce cette excrétion est un signe d’autant plus précieux, que les autres signes sont très-équivoques & fautifs, & que cette crise ayant lieu dans les maladies chroniques, a plus besoin d’être aidée & déterminée.

« Ce pouls est inégal & en même tems redoublé, les pulsations se ressemblent peu pour la force, & encore moins pour les intervalles ; elles suivent à-peu-près cet ordre : à trois ou quatre pulsations un peu concentrées, vives, roides, presqu’égales, succedent deux ou trois pulsations un peu dilatées, comme arrondies, & moins égales : les trois ou quatre pulsations suivantes se font avec du rebondissement ; mais ces diverses pulsations ont ceci de commun, qu’on y trouve une sorte de tremblotement assez constant, plus de fréquence & de fonds de resserrement que dans les autres especes de pouls inférieurs ; on sent, pour ainsi dire, une sorte de profondeur du pouls, qui jointe à ce tremblotement, semble être un caractere le plus distinctif entre le pouls des regles & celui des hémorrhoïdes ».

M. le Camus persuadé avec raison, qu’on ne peut présenter trop de moyens pour rendre sensibles des objets qu’il est plus facile d’appercevoir que de définir & de faire comprendre, a cru donner un nouveau signe pour faire mieux saisir cette espece de pouls. En pressant fortement sous le doigt l’artere d’une personne sujette aux hémorrhoïdes, on sent toujours, dit-il, le battement du pouls qui devroit disparoître, & qui disparoît en effet dans les autres cas par une forte pression. Cette remarque est très-judicieuse, elle est un commentaire exact de ce fond de resserrement & de cette profondeur du pouls, décrite par M. Bordeu. Mais nous devons à la vérité un avertissement, que cette remarque appartient à M. Michel ; nous suppléons l’hommage que cet auteur riche de son propre fonds, a oublié de lui en faire.

Les regles, évacuation périodique du sang qui se fait tous les mois par la matrice, sont la suite d’un effort critique de ce viscere ; cette excrétion peut être regardée comme une véritable crise qui prévient bien des maladies, & qui quelquefois les termine ou les diminue quand elles sont arrivées. Le pouls qui l’annonce, la précede & l’accompagne, est comme les autres pouls signes d’excrétions sanguines, redoublé, dicrote, & sur-tout fort analogue au pouls hémorrhoïdal ; il est comme lui inégal, irrégulier, rebondissant, mais il est plus développé, les pulsations sont plus élargies & plus saillantes, moins dures & moins profondes. Ce pouls est beaucoup plus sensible chez les jeunes filles qui sont à la veille d’être reglées pour la premiere fois : cette révolution est plus critique, plus difficile, exige plus d’efforts, & est plus souvent même accompagnée de fievre. Il en est de même des femmes qui approchent du tems de perdre leurs regles : la résistance qu’opposent les vaisseaux de la matrice étant plus grande, l’effort pour la vaincre augmente, & en même tems l’impression que le pouls en ressent. Le pouls des regles est aussi très-marqué dans les maladies où cette excrétion est critique ; il y a bien des femmes chez qui cette évacuation se faisant sans peine, & n’étant qu’un simple écoulement, sans action de la matrice, le pouls n’est presque pas changé. M. le Camus dit avoir observé dans le pouls des regles, une espece de balancement, d’oscillation dans les pulsations, qui fait qu’elles ne répondent pas toujours au même point, & qu’elles frappent tantôt une portion du doigt, & tantôt une autre : ce signe est très-facile à distinguer. La matrice est sujette à une autre évacuation que celle du sang : souvent elle donne issue à des matieres muqueuses, putriformes, qu’on connoît sous le nom de fleurs blanches. M. Michel a observé que le pouls avoit alors le caractere du pouls des regles, mais qu’il étoit extrèmement mol. Voyez les observations 2. & 5.

A toutes ces crises simples on peut en ajouter une qui n’a point de siege particulier. Elle affecte ordinairement les organes dont le dérangement a été le noyau de la maladie, l’a précédée & même déterminée. Cette crise est la suppuration que tous les Médecins redoutent, & qu’ils s’efforcent aveuglement de prévenir ; mais il est certain que leur prétention est dans le fond aussi hasardée & même dangereuse, que celle de ceux qui vouloient faire arrêter la petite vérole, & l’accoutumer aux remedes. La suppuration est quelquefois une crise favorable qu’il faut aider, rarement doit-on l’interrompre, plus rarement encore peut-on en venir à-bout. Il est important de connoître la partie où elle se forme, le tems où le dépôt se vuide, & le couloir qu’il choisit. Voyez Inflammation & Inflammatoire, maladies. La partie est décidée par siege de la douleur & des symptomes inflammatoires : le pouls peut aider à éclaircir les autres questions. On doit craindre qu’il ne se fasse quelque suppuration lorsque le pouls, qui a été pendant les commencemens convulsif & acritique, se développe un peu avec une roideur considérable de l’artere, & reste pendant quelques jours dans cet état. Lorsque la suppuration est commencée, le pouls se trouve comme indécis entre le critique & le non critique ; il est développé, mais n’indique aucune voie de curation. Si le pouls prend insensiblement les modifications critiques propres à quelque couloir, s’il devient intestinal, pectoral, &c. on doit présumer que le pus va s’évacuer par les organes dont le pouls indique l’action, ce qu’il est bien important de remarquer pour favoriser à-propos cette excrétion.

Les pouls que nous venons de décrire, sont des pouls simples, propres aux crises qui n’affectent qu’un seul couloir. L’action de cet organe seul modifie le pouls ; ses caracteres sont faciles à fixer & à reconnoître, mais ils se rencontrent rarement ; il est beaucoup plus ordinaire de trouver des pouls composés, de voir des maladies qui se terminent par différentes excrétions. Plusieurs organes conspirent à l’effort critique ; mais chacun a son action particuliere, son méchanisme propre, son influence déterminée sur toute la machine, & singulierement sur le pouls, d’où résulte nécessairement une composition dans ses caracteres : composition que Solano n’a point apperçue, que M. Bordeu a bien sentie & développée, & qui cependant offre encore aux observateurs attentifs, un champ vaste & fécond en découvertes utiles. La matiere est difficile & d’une grande étendue : les maladies sur lesquelles on doit faire ces observations, sont les plus ordinaires, elles se présentent tous les jours au praticien.

Les combinaisons ou compositions des pouls qu’on observe le plus communément sont, 1°. des pouls supérieurs entr’eux ; 2°. de ceux-ci avec le pouls intestinal ; 3°. des différentes especes de pouls inférieurs ; 4°. du pouls pectoral avec celui de la sueur ; 5°. du pouls des différentes hémorrhagies. Cette combinaison peut avoir lieu de deux façons, ou lorsque les caracteres sont mêlés, ou lorsqu’ils se succedent. Je m’explique : il peut arriver, & il arrive en effet fréquemment, qu’en tâtant le pouls, on le trouve tout de suite composé de deux pouls, du pectoral & du nasal, par exemple. Alors on sent quelques pulsations qui ont de la souplesse, l’espece d’ondulation & le rebondissement doux du pectoral ; tandis que d’autres ont la roideur jointe à la réduplication qui caractérisent le pouls nasal. Dans l’autre cas, le pouls reste pendant un certain nombre d’heures, plus ou moins grand pectoral décidé, après quoi il devient nasal. On doit s’attendre alors à deux excrétions, l’une par le nez, & l’autre par la poitrine. Ces compositions doivent d’ailleurs être sujettes à beaucoup de variations, selon la disposition du sujet, la nature de la maladie, & la méthode du traitement.

Ces pouls composés manifestent en général la difficulté de la crise, l’affection de plusieurs organes, & l’indétermination de la nature ; ils sont l’effet & le signe des efforts redoublés qu’elle fait pour emporter les embarras de ces différentes parties : tantôt elle semble vouloir déterminer la crise par plusieurs organes en même tems ; tantôt elle en abandonne un pour s’attacher à un autre, qu’elle quitte ensuite pour revenir au premier qu’elle a entrepris de débarrasser. Toutes ces variations, cette incertitude de la nature qu’expriment foiblement la marche & la bisarrerie des symptomes dans ces maladies graves, sont peintes avec force sur le pouls ; l’observateur exercé distingue au bout des doigts ces mouvemens. Mais il est bien important de savoir quelle est la crise la plus prochaine & la plus décidée, pour ne pas se mettre dans le cas d’hasarder un prognostic nuisible à sa réputation ; ou ce qui est encore pis, un traitement funeste au malade. Pour éviter ces inconvéniens fâcheux, où tombent si souvent ceux qui ne suivent que les regles ordinaires & les méthodes de traitement les plus accréditées, on peut tirer de la nature & des variations du pouls composé les lumieres suffisantes : il est rare que plusieurs crises de différente espece, se fassent en même tems, pour l’ordinaire elles se succedent ; alors les caracteres du pouls propres à l’organe par où doit se faire cette premiere excrétion, prennent le dessus, deviennent dominans, plus marqués, plus forts, plus fréquens, lorsque différens caracteres sont mêlés ; ils sont plus constans, plus durables, paroissent pendant plus long-tems, lorsqu’ils se succedent. On peut sur ce principe établir assez sûrement son prognostic, & fixer son traitement. Il y a d’ailleurs des crises qui sont favorisées par les mêmes remedes, telles que l’expectoration & la sueur ; les différentes hémorragies, les excrétions supérieures, les évacuations du bas-ventre, &c. Dans les autres cas où l’on risqueroit de se méprendre, il n’y a qu’à s’en tenir à une prudente inaction, ne donner aucun remede, ou ce qui est le même, n’en donner que d’indifférens.

Une autre espece de combinaison des pouls, assez ordinaire dans les maladies qui ont une mauvaise issue ; dans les nerveuses & les chroniques, est celle qu’on a plus particulierement appellée complication, qui résulte du mélange du pouls critique avec le pouls d’irritation ; de façon qu’on apperçoit en même tems des caracteres plus ou moins marqués de l’un & de l’autre : cette complication se présente de deux façons, ou les pulsations acritiques succedent aux pulsations critiques, ou les mêmes participent des unes & des autres. Par exemple, on sentira le pouls serré, convulsif pendant plusieurs pulsations, & il sera développé, excréteur même dans quelques autres ; d’autres fois l’état de convulsion sera très-sensible dans les pulsations qui se développent & qui annoncent quelque évacuation critique. L’observation d’accord avec le raisonnement, fait voir que cette espece de pouls est presque toujours fâcheuse & d’un mauvais augure, excepté cependant dans les maladies nerveuses, qui pour se dissiper n’ont besoin ni de crise, ni d’excrétion. L’événement des maladies dans lesquelles on observe le pouls compliqué, est très-douteux ; on peut juger s’il sera favorable ou fâcheux, suivant que le pouls critique ou non critique, prévalent plus ou moins l’un sur l’autre, lorsque le pouls d’irritation prend le dessus, on ne doit attendre aucune évacuation critique salutaire : s’il s’en fait quelqu’une, elle est ordinairement mauvaise, comme Galien l’a fort judicieusement remarqué, & la maladie se termine par la mort, ou par une convalescence longue, pénible & jamais complette, qui prépare ou des rechutes, ou une suite d’incommodités & d’affections chroniques.

Après ces regles générales dont on peut faire l’application à toutes les maladies, l’auteur donne des observations, des remarques spéciales sur quelques maladies particulieres, telles sont les fievres malignes, les maladies par cause externe, les blessures considérables, les amputations, les fleurs blanches, les pulmonies, les hydropisies, les maladies convulsives du bas-ventre, la colique des Peintres, les vers, le scorbut, le rhumatisme, la goutte, les fievres d’accès, l’agonie, la convalescence, & l’état de grossesse. Chacun de ces articles offre à l’auteur matiere à des réflexions, quelquefois neuves & toujours importantes. Il ne nous est pas possible de le suivre dans tous ces détails, nous renvoyons le lecteur aux recherches sur le pouls, nous étant moins proposé de donner un extrait de cet ouvrage, que de la doctrine qui y est contenue. Les principes généraux établis suffisent pour la faire connoître ; par la même raison nous passerons sous silence les différens moyens tirés de la connoissance du pouls, pour évaluer l’action des différens remedes, déterminer au juste leur vertu, & fixer leur usage & le tems de leur application. Il n’y a point de médecin éclairé qui ne sente la difficulté, l’étendue & les avantages de ce genre de recherches ; que d’erreurs à combattre, de préjugés à vaincre, de ténebres à dissiper ! On pourra juger par l’ouvrage de M. Bordeu, ce qu’on est en droit dans ce cas d’attendre du pouls, & quelle lumiere il répand sur des questions aussi obscures & intéressantes. Les remedes sur lesquels il a eu occasion de faire les observations particulieres dont il rend compte, sont les bains, le therme minéral, les lavemens, le mercure, les vésicatoires, l’émétique, les délayans, les purgatifs, la saignée & l’opium. Recherches sur le pouls, ch. xxxij. & xxxiv.

Il ne nous reste plus pour terminer ce qui regarde les différences & les présages, & pour rendre ce signe plus assuré & plus pratique, qu’à indiquer quelques exceptions aux regles générales, & les précautions qu’il faut prendre dans leur application : elles roulent sur les moyens, 1°. de bien saisir les caracteres du pouls, 2°. d’en bien juger.

1°. Pour sentir exactement les modifications du pouls, il faut que la situation de tout le corps & du bras sur-tout, soit propre à laisser à l’artere toute sa liberté, & qu’elle n’en gêne point les mouvemens. Pour cela il faut que le malade soit assis, ou couché sur le dos ; le bras auquel on tâte le pouls doit être, ainsi que les doigts, plutôt étendu que plié, abandonné sans effort à son propre poids, appuyé sur toute sa longueur, & sur le bord qui répond au petit doigt : la posture du médecin ne doit pas non plus être gênée. Les regles que les Chinois prescrivent là-dessus, sont très-bonnes & très-utiles.

2°. Il est à-propos de commencer par plonger un peu les doigts, & de presser l’artere pour la bien sentir ; après quoi il faut la livrer à elle-même, & la suivre dans toutes les positions dans lesquelles on peut la saisir. Il y a des personnes qui ont l’artere enfoncée, d’autres l’ont très-superficielle ; il n’est pas nécessaire d’avertir qu’il faut proportionner la pression à la profondeur de l’artere : en se rappellant les caracteres du pouls hémorrhoïdal, on voit qu’il est nécessaire de presser l’artere un peu fortement.

3°. Il faut tâter le pouls aux deux bras, parce qu’il est très-ordinaire de le trouver différent ; ces variétés ne sont pas fortuites, elles aident à en déterminer les caracteres, & ne sont pas sans utilité dans la pratique ; elles confirment les observations des Chinois ; leur division du corps en deux moitiés latérales semble donner du poids à l’idée des anciens qui croyoient qu’on ne devoit pas faire les saignées indifféremment des deux côtés. Si le pouls étoit supérieur d’un côté & inférieur de l’autre, ne seroit-il pas plus convenable de faire la saignée, si elle étoit indiquée du côté où le pouls est supérieur ? on pourroit aussi tirer quelques lumieres de l’examen du pouls dans les autres parties.

4°. On sentira mieux les pulsations, en tâtant avec la main droite le pouls du bras gauche, & avec la main gauche le pouls du bras droit, comme font les médecins chinois ; il vaut aussi mieux se servir à leur exemple de deux ou trois doigts, que de n’en employer qu’un seul, on apperçoit beaucoup mieux tous les mouvemens de l’artere, & sur-tout les vibrations de ses parois ; on applique pour cela l’indicateur sur la partie de l’artere la plus voisine du carpe, & les suivans adosses l’un contre l’autre & paralleles par leurs extrémités.

5°. Il est très-important de tâter le pouls pendant long-tems, les modifications qui décident les caracteres ne paroissent souvent qu’après un certain nombre de pulsations ; nous ne proposons pas pour modele la lenteur excessive des Chinois, mais aussi il faut bien se garder de suivre ces médecins qui prétendent décider de l’état du pouls, pour avoir simplement posé la main sur l’artere ; il est nécessaire & il suffit de tâter cinquante ou soixante pulsations pour saisir tous les caracteres du pouls.

6°. Enfin, il convient de le tâter à différentes reprises, parce que la moindre émotion y occasionne des changemens qui pourroient induire en erreur ; & la présence du médecin produit assez ordinairement dans les malades, & sur-tout dans les personnes du sexe plus sensibles & plus impressionables, une espece d’agitation qu’on observe bien peinte sur le pouls ; on le trouve alors plus élevé, plus vîte, ou plus serré, suivant la pression qui est excitée. Les Praticiens ne perdent jamais de vûe ce pouls qu’ils appellent le pouls du médecin ; c’est pour quoi ils laissent, avant de tâter le pouls, revenir le malade de ce trouble passager qui en masqueroit le véritable état.

Après qu’on a pris ces précautions pour bien s’assurer de l’état du pouls, il faut encore beaucoup de circonspection & de prudence pour en tirer des signes certains ; il ne faut jamais perdre de vûe que différentes circonstances, outre l’effort critique, peuvent changer le pouls, & même empêcher ou déguiser les modifications critiques : ce sont ces circonstances qu’il est absolument nécessaire de connoître & d’évaluer.

1°. Il faut se rappeller que l’âge, le sexe, le tempérament, l’idiosyncrasie produisent des altérations dans le pouls, & l’éloignent plus ou moins du pouls parfait des adultes, sans que la santé en soit ou paroisse aucunement altérée ; c’est sur cette observation qu’est fondée la nécessité d’être instruit des modifications du pouls propre aux enfans, aux adultes, aux vieillards, aux femmes, à chaque tempérament, & même à chaque sujet particulier. Le pouls des enfans n’est jamais bien critique, bien développé ; la marche des maladies n’est pas aussi-bien marquée que dans les adultes, & les crises ne s’y font pas avec la même régularité. En général on tire peu de lumieres de l’état de leur pouls ; peut-être ne manque-t-il au sujet qu’un plus grand nombre d’observations mieux suivies, & peut-être pourroit-on venir à bout par ce moyen d’asservir ce pouls aux principes établis dont il paroît souvent s’écarter. Le pouls des vieillards prend difficilement les modifications critiques ; durci & ralenti par l’âge, il a beaucoup de peine à se développer ; l’intermittence est un de ses caracteres plus familiers, aussi n’est-il pas rare de les voir fatigués par des dévoiemens habituels : d’ailleurs qui est-ce qui ignore que dans les vieillards la tendance des humeurs est décidée vers les parties inférieures ? Le pouls des filles qui sont dans l’âge de puberté, & celui des femmes qui sont à la veille de perdre leurs regles, tient toujours quelque chose du caractere propre du pouls de la matrice ; cette disposition du pouls peut masquer les autres caracteres, & faire prendre le change à un observateur peu attentif. Les tempéramens sanguins ont évidemment le pouls tendant à la dilatation, au redoublement, à la force & à l’égalité, qui caractérisent le pouls supérieur ; il devient plus facilement critique lorsque les crises doivent se faire au-dessus du diaphragme, & c’est ce qui arrive le plus souvent. Les mélancoliques ont presque toujours le pouls inférieur plus ou moins serré, inégal, irrégulier, compliqué ; les bilieux & les pituiteux ont le pouls fort analogue à celui des mélancoliques ; les crises inférieures sont plus ordinaires chez eux & beaucoup mieux marquées sur le pouls. Tous ces rythmes particuliers du pouls sont des suites nécessaires de la disposition particuliere des différens sujets, & prouvent évidemment que tous les tempéramens sont dûs au plus ou moins de ressort, d’action ou de sensibilité qu’ont certains organes. L’idiosyncrasie, ou la constitution propre de chaque sujet, donne lieu à bien des variétés sur le pouls. Toutes les personnes qui ne jouissent pas d’une santé invariable, ont le pouls habituellement dérangé ; les uns l’ont toujours dirigé vers quelque organe, de façon qu’il ne peut que difficilement se plier à l’action des autres ; d’autres l’ont muet, incapable de recevoir aucune modification critique, trop fort, trop dur pour pouvoir obéir aux différentes impressions des organes ; il y en a dans qui l’artere est souvent agitée par des tremblemens, des secousses, des spasmes habituels, qui dérangent le pouls, empêchent le développement critique, & rendent par-là le pouls faux : tous ces pouls habituellement irréguliers ne sont pas critiques, comme Solano l’a déja remarqué. Quelques-uns peuvent cependant le devenir par la force de la fievre ; il arrive même souvent que des pouls inégaux, intermittens, deviennent par la fievre égaux & réguliers, & qu’ils quittent entierement le caractere habituel, pour prendre les modifications relatives à la maladie présente ; les pouls des tempéramens sont rendus semblables par la fievre, & le pouls pectoral d’un homme sanguin sera le même que celui du mélancholique : s’il en differe, ce ne sera que par la force, différence accidentelle qui ne change point l’espece.

2°. On peut déduire de ces considérations 1°. qu’il est beaucoup plus facile de réduire les pouls des maladies en classes particulieres, & de les ranger dans celles qui ont été exposées, que de faire la même réduction par rapport au pouls dans l’état de santé ou dans les légeres incommodités. 2°. Que l’on est beaucoup plus sûr dans le prognostic qu’on tire par le pouls dans les maladies que dans la santé. 3°. Les crises annoncées par le pouls manquent rarement lorsque la fievre a précédé & qu’il y a eu des signes de coction ; il faut toujours attendre ce tems pour faire ces prédictions, & ne négliger aucune des précautions nécessaires, sans quoi on s’expose à faire mépriser l’art & celui qui l’exerce.

3°. Quand on veut juger de l’état critique du pouls, il faut prendre garde de ne pas le tâter pendant la digestion, à la suite d’une passion vive, d’un mouvement trop considérable, après l’exhibition des remedes, les efforts de la toux, du bâillement, &c. Toutes ces causes ne peuvent manquer de déranger le pouls ; l’action des remedes suspend & masque pour quelques heures, & même pour des jours entiers, sa marche ; les saignées, les purgatifs réitérés & les lavemens dérobent quelquefois à la nature la matiere des évacuations annoncées par le pouls qu’elles suppléent rarement, quelquefois aussi ces remedes troublent l’opération de la nature & font avorter les crises ; dans le somme il le pouls est souvent moins marqué que dans la veille, on sentira quelquefois le pouls égal & non critique quoiqu’il y ait une crise prochaine ; & si on éveille le malade, & qu’on occasionne par-là quelque agitation dans le pouls, on y découvre alors la modification critique dominante : il est très-inutile d’aller chercher le pouls critique au commencement de la maladie, ou d’un redoublement, on le trouve aussi très-rarement critique dans les maladies chroniques & compliquées ; elles croisent les efforts critiques du pouls, le compliquent, & le rendent très-difficile à caractériser. Il en est de même des maladies nerveuses & des maladies convulsives des femmes ; elles rendent le pouls variable, incertain, égaré, faux, c’est-à-dire, que quoiqu’il semble d’abord critique, ou excréteur, il ne l’est pourtant pas toujours ; mais s’il se soutient quelque tems dans cet état, on doit s’attendre à quelque changement en mieux quoiqu’il n’arrive pas d’évacuation, elles sont très-rares dans ces maladies.

4°. L’on sera encore plus sûr dans la prédiction des crises par le pouls, s’il vient à se developper ; on prendra une modification critique un des jours remarquables qu’Hippocrate a notes, auxquels se fait le plus ordinairement la révolution qui détermine les crises. Ces jours sont les septenaires & les demi-septenaires ; les Praticiens, exacts observateurs, ont eu plus d’une occasion d’appercevoir la vérité de la doctrine d’Hippocrate sur ce point, sur-tout quand on la restreint aux simples faits, & qu’on la dépouille de cette prétendue influence qu’il attachoit aux nombres, ou de cette vertu particuliere qu’il croyoit inhérente à certains jours plutôt qu’à d’autres. Il est hors de doute qu’il n’y ait des périodes réglées pour la marche, la révolution, & l’issue de la plûpart des maladies ; la petite vérole en offre un exemple bien sensible que personne ne sauroit désavouer : ainsi lorsque le pouls paroîtra critique le 4, le 7, le 11, &c. d’une maladie, on est beaucoup plus fondé à attendre l’évacuation annoncée ; mais pour quel tems faut-il l’attendre ? la réponse à cette question se tire de la même observation. Solano avoit pensé qu’il n’y avoit d’autre indice que la fréquence des pulsations critiques ; ainsi par exemple il jugeoit qu’une hémorrhagie étoit plus ou moins prochaine suivant que les rebondissemens reparoissoient après un plus ou moins grand nombre de pulsations ; il attendoit de même une diarrhée critique dans plus ou moins de tems suivant la distance des intermittences entr’elles, &c. mais ces regles ne sont pas toujours justes dans l’application ; il est beaucoup plus sûr de faire attention aux jours hippocratiques ; une crise annoncée par le pouls le quatrieme jour, par exemple, ne manque pas d’arriver le septieme, lorsque la nature n’est point dérangée par quelque accident, ou par l’inopportunité des remedes. Alors le pouls conserve sans altération son caractere critique, déterminé pendant plus d’un jour ; si au contraire la crise se trouve retardée par quelque événement, ce délai se marque sur le pouls ; la modification critique, auparavant constante & continuelle, se perd par intervalles, ne paroît pas du tout pendant quelque tems ; alors il faut attendre la crise vers le septieme jour, à compter de celui auquel les pulsations critiques se sont montrées pour la premiere fois ; lorsque le pouls se trouve composé, qu’il précede plusieurs crises, il est rare que ces différens caracteres soient également décidés & uniformément mêlés ; si cependant cela se rencontre, ces diverses crises se feront en même tems. Il est plus ordinaire que lorsque deux pouls excréteurs paroissent, il y en ait un qui soit plus fort, plus sensible, plus constant, qui ait ses intervalles plus courts, &c alors il faut attendre la premiere évacuation qu’indique ce pouls, elle aura lieu quatre ou sept jours après, suivant que les caracteres seront plus ou moins marqués & continuels.

5°. Enfin, pour donner au prognostic qu’on portera en conséquence du pouls le plus haut degré de certitude, il faut y joindre les signes qu’on peut tirer des autres phénomenes, vis unita major. Le médecin qui réunira ces connoissances, aura un avantage infini sur celui qui, n’ayant pas pû ou voulu s’exercer à saisir les différentes modifications des pouls, sera obligé de s’en tenir à d’autres signes souvent peu lumineux, & quelquefois fautifs, ou, ce qui est encore pis, n’en consultera aucun, n’ayant d’autre regle qu’un empirisme hardi & une aveugle routine.

Causes du pouls. Uniquement occupé à rassembler des faits, & à établir des regles pratiques, M. Bordeu a presque entierement négligé la partie théorique, l’étiologie du pouls ; persuadé qu’on ne peut parvenir à la connoissance des causes que lorsque les faits sont généralement connus, très-multipliés, & surtout bien constatés. Il n’a pas jugé à-propos de mettre au jour cette branche curieuse & intéressante de son système, & qui est souvent nécessaire pour exciter les petits esprits qui ne veulent croire que ce dont ils voient, ou croient voir la raison. Il se contente de faire observer que tous les faits sur lesquels porte sa doctrine sont absolument inexplicables dans les théories ordinaires des écoles, qui ne sont pas non plus trop conformes aux lois incertaines généralement adoptées de la circulation du sang, & qu’enfin on doit en chercher la cause dans la sensibilité des nerfs, du cœur & des arteres, dans l’action propre particuliere de chaque viscere, dans l’influence déterminée de chaque partie sur les organes de la circulation par le moyen des nerfs. Le pouls, dit-il, doit être mis dans la classe des fonctions dans lesquelles le mouvement est évident, & le sentiment moins évident ; chaque organe étant sensible à sa maniere, & ne pouvant exercer ses fonctions, surtout d’une maniere un peu forcée, sans faire quelqu’impression sur le genre arteriel & veineux, ainsi que sur tout le système nerveux ; il est évident que chaque organe doit faire sur le pouls une impression particuliere : cette impression sera presque insensible, comme dans l’état naturel, lorsque l’organe ne sera pas plus agité qu’à l’ordinaire ; elle sera au contraire très-évidente, comme dans l’état d’un effort critique, lorsque l’organe sera gené dans ses fonctions, & fera quelqu’effort extraordinaire. Recherches sur le pouls.

Réflexions sur la doctrine de M. Bordeu sur le pouls. 1°. Sur les différences & les présages. On doit s’être apperçu par l’extrait que nous venons de donner de cette doctrine, qu’elle n’est qu’une collection, une suite, un enchainement de faits. C’est sur ce fondement solide qu’elle est fondée, établie ; ainsi donc à l’abri de toute discussion théorique, elle ne peut être cimentée, étendue, ou restreinte & détruite que par de nouveaux faits conformes ou contradictoires. Les avantages qu’on peut en retirer dans la pratique ne sont pas équivoques : cependant cette doctrine dès qu’elle a été publiée, a essuyé des contradictions, excité des clameurs : eh ! quelle découverte intéressante n’a pas fait bourdonner les frélons, sifler les serpens de l’envie ? Plusieurs parmi les médecins, poussés par différens intérêts, ont renouvellé les scenes ridicules qu’ils ont déja joué avec tant d’indécence lors de la découverte de la circulation du sang, de l’antimoine, du quinquina, &c. Les uns ont attaqué la vérité des faits ; d’autres, forcés par le nombre & l’esprit des témoignages d’en reconnoître l’authenticité, ont nié les avantages ; mais tel est l’empire de la vérité, qui reçoit un nouvel éclat, & que ses fondemens s’affermissent par les efforts impuissans qu’on fait pour les renverser : cette doctrine prouvée par des faits incontestables, pouvoit tirer un nouveau genre de preuves des critiques qu’on en a faites ; elles se sont presque toutes réduites à des clameurs vagues, à des murmures sourds, à des traits lancés dans l’obscurité de la nuit, dont on pourroit rougir, si on ne s’étoit ménagé l’indigne subterfuge de pouvoir les désavouer : combien perdroient-elles encore de leur poids ces critiques, si on remontoit à leur source ; on les verroit dictées par la jalousie, attribut trop ordinaire, opprobre avilissant d’une profession noble, qui, si elle n’étoit pas infectée de cet affreux venin, rendroit, suivant l’expression d’un ancien, ceux qui l’exercent semblables aux dieux ; par l’orgueil qui croît, ou veut ne rien ignorer, & qui est choqué du rôle d’écolier, qu’il faudroit recommencer ; par la paresse, qui aime mieux nier qu’approfondir ; par l’enthousiasme outré pour les dogmes anciens ; par un aveugle esprit de parti, &c. Il y a des médecins très-éclairés, qu’il faut bien se garder de confondre avec les précédens, qui, faute d’occasion d’avoir pu s’assurer par eux-mêmes de la vérité & des avantages de cette doctrine, ne peuvent pas s’y conformer dans le cours de leur pratique, mais ils gardent le silence : ils ne s’avisent point de prononcer, encore moins de blasphémer contre une chose qu’ils ignorent, ils encouragent plutôt à suivre ce genre d’observation ceux qui sont à portée de les faire, ceux qui fréquentent les hôpitaux, qui voient un grand nombre de malades, cette conduite est très-prudente & désintéressée.

Les faits qui font la base de cette doctrine sont assez prouvés par l’autorité de celui qui les apporte : on ne peut les nier sans convaincre, ou, ce qu’on fait plus souvent & plus injustement, accuser de mensonge l’auteur qui les a observés, & qui en est lui-même garant ; mais comme les faits deviennent moins étonnans & plus croyables à mesure qu’ils sont plus fréquens & attestés par un plus grand nombre de personnes ; nous joignons à cette autorité respectable celle de Galien, qui a fait, comme nous l’avons vu, des observations conformes ; celle de Prosper Alpin, de præsagiend. vit. & mort. lib. & cap. xj. de Wireus apud Georg. hont. sen. observ. med. singul. lib. XI. observ. 8. & d’un grand nombre d’autres médecins qui, sans avoir aucune idée de la valeur du pouls pour la prédiction des crises, ont décrit ses caracteres à l’approche d’une évacuation critique, tels qu’on les observe communément aujourd’hui, & qu’ils ont été exposés : ici se présentent le témoignage de dom Solano, de Nihell, de huit ou dix médecins espagnols, & de plusieurs personnes de considération, observat. nouv. & extraord. sur les crises, &c. celui de l’illustre M. de Sénac dissertat. sur les crises ; celui de M. Lok, médecin anglois, qui rapporte plusieurs observations sur le pouls intermittent, signe de diarrhée critique, dans un traité anglois dont on est actuellement occupé à enrichir la France ; toutes ces observations confirment en général la solidité & la vérité du système ; mais la doctrine de M. Bordeu est plus particulierement constatée par les témoignages publics, & les observations de M M. Michel & le Camus. Voyez leurs ouvrages cités, par les faits rapportés dans une des theses soutenues cette année en 1760 pour la dispute d’une chaire de professeur dans la célebre université de Montpellier ; je pourrois joindre ici toutes les observations dont j’ai été témoin oculaire, ou qui m’ont été communiquées par des personnes dignes de foi. Je n’ajouterai plus qu’un mot sur celles que j’ai eu occasion de faire moi-même pour répondre à quelques personnes qui, ayant distingué dès le premier pas quelques caracteres faciles à saisir, se sont rebutées de la difficulté qu’elles ont trouvées à appercevoir ceux qui étoient plus composés, & les ont regardé comme des divisions arbitraires, productions frivoles d’un esprit abusé. Dès que l’ouvrage de M. Bordeu parut, un professeur illustre de Montpellier, le célebre M. de Lamure, me conseilla de le lire, & d’essayer cette méthode aux hôpitaux que je fréquentois ; il m’assura que dans le cours de sa pratique ordinaire il avoit observé plus d’une fois le pouls intermittent précéder les diarrhées critiques ; je m’empressai de vérifier des observations qui me parurent importantes & douteuses ; je ne tardai pas à me convaincre de la vérité de quelques unes, je saisis en peu de jours le pouls pectoral, & je vis bientôt avec une extrème plaisir survenir les crachats annoncés par le pouls ; je fis les mêmes observations sur le pouls nasal & sur l’intestinal ; il m’a paru que ces trois especes étoient les plus aisées à distinguer ; je voyois toujours avec satisfaction mon pronostic se vérifier exactement ; je rendis plusieurs jeunes médecins témoins de la justesse de mes prédictions ; il me fallut un tems beaucoup plus considérable pour bien saisir les pouls stomacal, de la sueur, des urines, &c. & les pouls composés & compliqués ; quelques pronostics que je hasardai avec ce peu de connoissance, & qui ne se vérifioient pas, me décourageoient beaucoup ; je désesperais presque de parvenir à quelque chose de positif & de certain ; je n’étois pas éloigné de croire qu’il y avoit beaucoup plus d’ideal que de réel dans ces derniers caracteres, & peu s’en fallut que je n’abandonnasse entierement l’ouvrage ; cependant par le moyen des pouls simples, que je connoissois bien, je faisois souvent de nouvelles prédictions qui se rencontroient très-justes ; elles me convainquirent que le peu de succès que j’avois dans les autres cas, devoit plutôt être attribué à mon impéritie qu’au défaut de la méthode ; la suite confirma mon opinion, & justifia ma façon de penser ; je suis venu à-bout par un travail assidu, que je continue tous les jours, à saisir presque tous les caracteres des pouls critiques, composés & compliqués. Avec un peu moins de constance & de courage, j’eusse peut-être été injuste, j’eusse ridiculement, comme tant d’autres, opposé mon inexpérience à des faits positifs, & condamné des choses que je ne connoissois pas. Je puis au contraire opposer ma propre expérience soit à ceux qui ne conviennent pas des faits, soit à ceux qui prétendent que la pratique de la médecine ne peut en retirer aucune utilité ; la forme de cet ouvrage & la longueur déja excessive de cet article, m’empêchent d’entrer dans le détail des observations que j’ai faites, ou dont j’ai été témoin, elles pourront être la matiere d’un ouvrage particulier.

A l’expérience, j’ajoute encore un raisonnement fort simple & décisif contre ceux qui ont l’inconséquence de reconnoître la vérité de cette doctrine, & d’en désavouer les avantages. On ne sauroit disconvenir qu’une maladie est d’autant plus facile à guérir, ou à traiter qu’elle est mieux connue, que les maladies aiguës fébriles n’étant autre chose qu’une agitation plus grande dans les humeurs, ou dans les vaisseaux, ou dans les unes & les autres, ou tendent à rétablir, ou suppléer les excrétions dont le dérangement les a excitées, que cette agitation, effort de la nature, suite de l’organisation animée de notre machine, ne peut cesser sans qu’il se fasse une évacuation critique : peut-on après cela contester l’utilité d’un signe qui dissipe l’obscurité répandue sur bien des maladies, qui dévoile la marche de la nature, qui indique le temps le plus propre pour l’exhibition des remedes, qui en détermine la qualité, qui annonce la terminaison des maladies, qui fait connoître d’avance & l’évacuation prête à se faire & le couloir par lequel elle aura lieu : or, quel médecin, muni de ces connoissances, n’opere pas efficacement, & ne prédit pas avec sureté, travaillant en même tems à la santé du malade, & à sa propre réputation. Suivons-le au lit des malades, interprete & ministre de la nature, dont il a su pénétrer les mysteres, éclairer la marche, qui connoît son pouvoir & sa maniere d’agir, son but & les moyens qu’elle prend pour parvenir, il ne voit dans la maladie la plus orageuse, qu’un travail forcé de la nature ; il sait séparer les accidens les plus capables d’en imposer du fond de la maladie, par le peu de changement qu’ils font sur le pouls ; il suit la nature pas-à-pas, modere ses efforts trop violens, les augmente quand ils sont foibles, s’il voit de loin la mort déja décidée, il ne l’accelere pas par des remedes déplacés, si la nature ménage une terminaison heureuse, il en est instruit d’avance, il la rend plus facile, plus sûre & plus heureuse, en préparant les voies, disposant les vaisseaux, & sollicitant doucement les humeurs vers les organes qui doivent être le siege de l’excrétion indicatoire ; les malades bientôt hors de danger, sans éprouver les langueurs ennuyeuses d’une pénible convalescence, sont tout aussitôt bien portans ; ils passent rapidement des horreurs de la mort & de la maladie aux délices de la vie & de la santé ; il me seroit facile de relever ce tableau, qui n’est point chargé par le contraste de celui que présentent les médecins qui, sourds à la voix de la nature, qu’ils ne connoissent pas, négligent les moyens les plus assurés pour s’instruire de sa marche, ne voyant dans les maladies que l’assemblage effrayant des symptômes dangereux qui leur paroissent tendre manifestement à la destruction du principe de la vie ; interdits & tremblans ils se hâtent d’arracher l’épine fatale qui cause tous ces accidens, ils n’oublient rien ; donnent remedes sur remedes, & redoublent à chaque instant sans choix & sans considération des efforts inutiles ou pernicieux ; semblables à ces personnes qui, prêtes à se noyer, tâchent par la multiplicité de leurs mouvemens, d’échapper à une mort prochaine ; ils se débattent en vain ; leurs efforts, peu moderés & mal dirigés, ne servent qu’à les affoiblir, & à les précipiter plutôt : par cette pratique aveugle, par ces remedes donnés sans indications, ces médecins tantôt diminuent la force d’une fievre nécessaire, tantôt détournent la nature d’une métastase salutaire, souvent suspendent des excrétions critiques & décisives, pour en procurer d’autres qui sont indifférentes ou nuisibles. Les morts qui succedent en foule, deviennent, pour celui qui sait en profiter, l’école la plus avantageuse, mais horrible, où il ne s’éclaire qu’en gémissant.

La doctrine du pouls fait revivre les droits de la nature, rappelle la vraie médecine d’observation, appuyée sur les crises, & pratiquée avec tant d’éclat par le grand Hippocrate. Un des plus singuliers reproches qu’on lui ait fait, & qui en est un éloge très flatteur, est d’empêcher qu’on ne donne beaucoup de remedes ; on ose avancer, pour en faire un crime, que les recherches sur le pouls, quelquefois obscures, souvent inutiles, sont aussi capables d’arrêter le médecin dans ses opérations. Voyez le rapport de la faculté de Médecine de Paris, joint à l’ouvrage cité de M. le Camus. Eh ? que peut-il arriver de plus heureux à un médecin que d’épargner au malade le désagrément, l’incommodité & les suites fâcheuses d’un remede dégoutant, fatiguant, très-souvent inutile, & quelquefois pernicieux, & de s’épargner à soi-même les plaintes & les reproches du malade, les murmures des parens, les clameurs des amis & les remords de sa conscience.

2°. Sur les causes. L’impossibilité de comprendre comment le pouls pouvoit se modifier diversement par l’action des différens organes, a fait douter plusieurs personnes de la vérité de cette doctrine, & les a détournés de cette étude. Etrange façon de penser, de fonder la nullité de faits bien attestés sur le défaut apparent de raisons qui les étayent ! On a cherché inutilement des explications dans la théorie ordinaire des écoles extrèmement bornée, absolument insuffisante, & même contraire dans le cas présent. M. Flemming a essayé de plier cette doctrine aux idées d’économie animale reçues ; mais il n’est pas possible de se contenter des absurdités qu’il débite là-dessus. Qu’on en juge par un exemple, par l’explication très-obscure qu’il donne du pouls intermittent : il dit que « l’intermittence a lieu, lorsque pendant une contraction du système artériel, le sinus veineux & l’oreillette droite tardant trop à se remplir, à être distendues, ne peuvent dans le tems accoutumé se vuider dans le ventricule correspondant, d’où naît un retardement dans sa contraction, & par conséquent une distance plus grande dans les pulsations, qui constitue le pouls intermittent ; lorsque la nature médite & fait effort pour opérer un devoiement critique, les humeurs se portent abondamment des vaisseaux sanguins dans les lymphatiques ou sereux, qui s’ouvrent en très-grand nombre dans la surface interne très-étendue des intestins, d’où il arrive que les vaisseaux sanguins sont moins pleins que le sinus veineux & l’oreillette droite, ne sont pas remplis, distendus & vuidés dans le même tems : ce qui occasionne le retardement dans la contraction du cœur & des arteres, ou l’intermittence. Plus les humeurs qui abordent aux intestins sont abondantes, plus aussi l’intermittence sera durable & fréquente : ce qui est très-conforme aux observations de Solano ». de Francise. Solani invent. circa arter. puls. &c. programma in quo ex secund. recept. in œconom. animal. leges solvuntur & explicantur. L’explication que donne Chirac, & après lui un grand nombre d’auteurs, de l’intermittence du pouls, fondée sur les divers degrés de grossiéreté des différentes portions du sang, n’est pas moins fausse & ridicule. Mais on devroit savoir 1°. que des faits pour être inexplicables, ne sont pas moins certains, qu’il arrive souvent au vrai de n’être pas vraissemblable. 2°. Que souvent ces faits sont inexplicables, parce qu’on se sert des principes faux & peu féconds.

Il ne seroit pas difficile de prouver la possibilité & la vraissemblance des faits énoncés ; on n’a qu’à bien comprendre le peu de mots qu’on a dit sur les causes du pouls ; il faut pour cela, dépouillant tous les préjugés scholastiques, cesser de regarder avec les méchaniciens & les boërrhaavistes, le corps humain de même que celui des animaux, comme une machine brute, où toutes les actions & les parties sont indépendantes les unes des autres, où tous les mouvemens isolés s’exécutent mollement par des puissances inanimées ; tout doit changer de face ; le corps ne doit paroître que comme un assemblage infini de petits corps semblables, également vivans, également animés, qui ont chacun une vie, une action, une sensibilité, un jeu & des mouvemens propres & particuliers, & en même tems, une vie, une sensibilité, &c. communes & générales. Toutes les parties concourant chacune à leur façon, à la vie de tout le corps, influent réciproquement les unes sur les autres, & se correspondent toutes ; chaque partie fait ressentir aux autres sa santé ou ses dérangemens ; tel est l’homme sur lequel on doit examiner l’influence, la sympathie mutuelle, les rapports réciproques des différentes parties, les départemens, &c. alors rien de plus naturel que l’action de toutes les parties sur le système vasculeux, organe si étendu & si important ; dans l’état de santé, chaque partie agissant également, il en résulte une action combinée, uniforme, & qui ne tient d’aucun viscere en particulier ; mais si un organe vient à se déranger, dès-lors il y a maladie ; son action sur le pouls est différente de ce qu’elle étoit auparavant, moindre ou plus forte, le pouls change, & cette variation est le tableau & la mesure du dérangement qui l’a excitée.

C’est une opinion & une erreur communes, à mon avis, que la dilatation de l’artere est dûe au sang poussé par le cœur qui en écarte les parois jusqu’à un certain point, les distend, & les excite à la contraction ; il me paroît plus naturel de croire que la contraction des arteres est leur premier mouvement, & que la dilatation n’est que la fin ou la cessation de ce mouvement, & l’état de relâchement de l’artere ; pour s’en convaincre, on n’a qu’à comparer les arteres aux autres muscles, & particulierement au cœur ; on n’a qu’à faire attention que, quoique les arteres soient vuides, si elles sont irritées, surtout intérieurement, par quelque agent physique ou méchanique, elles se contractent aussi-tôt, & se relâchent ensuite, ou se dilatent, & continuent ainsi pendant quelque tems cette alternative de contraction & de dilatation. Le même phénomène s’observe sur un cœur détaché, d’où il faut conclure que les arteres ne sont que des especes de cœur alongé, que le sang poussé dans leur cavité ne produit d’autre effet que celui d’irriter leurs parois, d’en exciter la contraction, qui venant à cesser, est suivie du relâchement & de la dilatation ; qu’ainsi, comme Galien l’a pensé, les arteres reçoivent le sang, parce qu’elles se dilatent, & ne se dilatent pas parce qu’elles le reçoivent ; que les contractions des arteres sont comme celles du cœur, les vraies causes du mouvement du sang, de quelque façon qu’il se fasse ; si l’on veut se former une idée de la maniere dont les visceres concourent au mouvement & aux contractions des arteres, & comment ils le font varier, qu’on imagine des cordes qui partant de chaque viscere, de chaque partie considérable, viennent aboutir à un artere ; de la tension uniforme de toutes ces cordes résultera un effort combiné auquel l’artere obéissant exécutera ses mouvemens avec uniformité. Si l’on suppose à présent qu’une de ces cordes tire avec plus ou moins de force, l’équilibre sera détruit, il arrivera nécessairement un changement dans l’effort des autres cordes ; elles tireront plus ou moins ; comme chaque viscere a son méchanisme particulier qui lui est propre, le plus ou moins de tension qu’il imprimera à sa corde, sera marqué différemment sur l’artere qu’un autre dérangement, & ce même viscere fera sur le pouls un effet différent, suivant l’espece d’altération qu’il éprouvera ; telles sont les variétés du pouls qu’un observateur habile essaye de saisir, & dont il vient à bout par un travail assidu, de reconnoître l’origine ; ces cordes que nous avons supposées, ne sont point étrangeres ; transformez-les en nerfs, & vous aurez une idée de la plupart des dérangemens de l’économie animale, qui sont tels que la tension d’une partie est produite par le relâchement d’une autre : vérité lumineuse qu’il est bien important de ne pas perdre de vue dans la pratique.

Nous ne poussons pas plus loin ces explications : ce que nous avons dit peut suffire à ceux qui veulent entrevoir la raison des faits avant de les croire. Nous avouerons qu’on ne peut pas expliquer d’une maniere aussi satisfaisante, pourquoi une diarrhée est précédée du pouls intermittent plutôt que du dicrote, pourquoi il est dicrote dans l’hémorragie du nez plutôt que l’hépatique, &c. Ceux qui voudront s’exercer à suivre ces détails curieux, trouveront des principes très-lumineux & féconds dans le nouveau plan d’économie animale publié depuis quelques années par un médecin célebre ; ils sont exposés dans deux ouvrages excellens, dont l’un a pour titre : Specimen novi medecinæ conspectûs ; & l’autre. Idée de l’homme physique & moral. On peut aussi consulter sur cette matiere dans ce Dictionnaire les articles Économie animale & Spasme. Nous nous hâtons de terminer un article déjà fort étendu ; nous prions le lecteur, qui ne manquera pas de trouver qu’il a passé de justes bornes, de considérer que la matiere que nous avions à traiter, étoit négligée, peu connue, presque neuve : qu’elle est le sujet d’une découverte importante, très-avantageuse à l’humanité, l’objet des clameurs & des contradictions : que c’est d’ailleurs un des plus vastes sujets de la Médecine, auquel tous les autres points se rapportent : qu’on y a en conséquence renvoyé un grand nombre d’articles de ce Dictionnaire, & qu’enfin nous n’avons pas eu le tems d’être plus courts. (m)