L’Encyclopédie/1re édition/PRIMOGÉNITURE, droit de

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PRIMOGÉNITURE, droit de, (Droit natur.) Droit contraire à la nature. C’est l’esprit de vanité, dit l’auteur des lettres persanes, qui a introduit chez les Européens l’injuste droit d’aînesse, si défavorable à la propagation, en ce qu’il porte l’attention du pere sur un seul de ses enfans, & détourne ses yeux de tous les autres ; en ce qu’il l’oblige, pour rendre solide la fortune d’un seul, de s’opposer à l’établissement de plusieurs ; enfin en ce qu’il détruit l’égalité des citoyens qui en fait toute l’opulence.

Il est certain que par-tout où regne cette coutume de favoriser l’aîné, au point de vouloir soutenir les familles par la division inégale des biens paternels, elle est une source d’oisiveté pour les aînés, & empêche le mariage des cadets, qui, élevés de la même maniere que leurs aînés, veulent les imiter dans leur faste, & pour y parvenir deviennent autant de célibataires. Cet usage, qui des monarchies a passé à Venise, est une des causes visibles de la dépopulation & de la décadence de cette république. Il en arriveroit la même chose en Angleterre, si les cadets de famille n’embrassoient de bonne heure des professions qui les rendent des citoyens industrieux & utiles à la patrie.

On ne doit point citer en faveur des droits de la primogéniture, l’usage de plusieurs peuples de l’antiquité. Chez ces peuples, l’aîné étoit regardé comme le chef & le prêtre de la famille, & s’il héritoit d’une double portion des biens paternels, cette double portion devoit servir à faire les frais des festins & des sacrifices.

On peut cependant lire sur cette matiere une dissertation de M. Buddeus, intitulée de successione primogenitorum : c’est la troisieme de ses selecta juris nat. & gentium. Cette dissertation n’est pas à la vérité trop philosophique, mais elle est très-savante. (D. J.)