L’Encyclopédie/1re édition/PROTASE

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PROTASE, s. f. (Littérat.) dans l’ancienne poésie dramatique, c’étoit la premiere partie d’une piece de théatre, qui servoit à faire connoître le caractere des principaux personnages, & à exposer le sujet sur lequel rouloit toute la piece. Voyez Dramatique, Tragédie, &c.

Ce mot est formé du grec προτενω, tenir le premier lieu. C’étoit en effet par-là que s’ouvroit le drame. Selon quelques-uns la protase des anciens revient à nos deux premiers actes ; mais ceci a besoin d’être éclairci.

Scaliger définit la protase, in qua proponitur & narratur summa rei sine declaratione ; c’est-à-dire l’exposition du sujet sans en laisser pénétrer le dénouement ; mais si cette exposition se fait en une scene, on n’a donc besoin pour cela ni d’un ni de deux actes. C’est la longueur du récit, sa nature & sa nécessité qui déterminoient l’étendue de la protase à plus ou moins de scenes, la renfermoient quelquefois dans le premier acte, & la poussoient aussi quelquefois jusque dans le second. Aussi Vossius, instit. poet. lib. II. cap. v. remarque-t-il que cette notion que Donat ou Evanthe ont donnée de la protase, protasi est primus actus, initiumque dramatis, n’est rien moins qu’exacte, & il allégue en preuve le miles gloriosus de Plaute, où la protase, ce que Scaliger appelle rei summa, ne se fait que dans la premiere scene du second acte, après quoi l’action commence proprement. La protase ne revient donc à nos deux premiers actes, qu’à raison de la premiere place qu’elle occupoit dans une tragédie ou une comédie, & nullement à cause de son étendue.

Ce que les anciens entendoient par protase, nous l’appellons préparation de l’action, ou exposition du sujet ; deux choses qu’il ne faut pas confondre. L’une consiste à donner une idée générale de ce qui va se passer dans le cours de la piece par le récit de quelques événemens que l’action suppose nécessairement. C’est d’elle que M. Despréaux a dit :

Que dès le premier vers l’action préparée
Sans peine du sujet applanisse l’entrée.

L’autre développe d’une maniere un peu plus précise & plus circonstanciée le véritable sujet de la piece : sans cette exposition qui consiste quelquefois dans un récit, & quelquefois se développe peu-à-peu dans le dialogue des premieres scenes, il seroit comme impossible aux spectateurs d’entendre une tragédie dans laquelle les divers intérêts & les principales actions des personnages ont un rapport essentiel à quelqu’autre grand événement qui influe sur l’action théâtrale, qui détermine les incidens, & qui prépare, ou comme cause, ou comme occasion, les choses qui doivent ensuite arriver. C’est de cette partie que le même poëte a dit :

Le sujet n’est jamais assez tôt expliqué.

C’est sans doute par cette raison que nos meilleures tragédies s’ouvrent toujours par un des principaux personnages, qui devant prendre un grand intérêt à ce qui va arriver, en a vraissemblablement pris beaucoup à ce qui a précédé, & en instruit quelqu’autre personnage qui, dans le cours de la piece, contribuera beaucoup à l’action principale, ou du moins servira à préparer, à faire naître, à enchaîner les divers événemens, & qui vraissemblablement n’en doit point être instruit. Voyez Protatique.

Cette exposition du sujet ne doit point être si claire qu’elle instruise parfaitement le spectateur de tout ce qui doit se passer dans la suite, mais le lui laisser entrevoir comme une perspective, pour le rapprocher par degrés & le développer successivement, afin de ménager toujours un nouveau plaisir partant du même principe, quoique varié par de nouveaux incidens qui piquent & réveillent la curiosité. Car si l’on suppose une fois l’esprit suffisamment instruit, on le prive du plaisir de la surprise auquel il s’attendoit. C’est précisément ce que dit Donat quand il définit la protase primus actus fabulæ, quo pars argumenti explicatur, pars reticetur, ad populi expectationem tenendam. Voyez Voss. Instit. poetic. Lib. II. cap. v.

Les anciens connoissoient peu cet art, au-moins les Latins s’embarrassoient-ils peu de tenir ainsi l’esprit des spectateurs dans l’attente. Dès le prologue d’une piece, ils en annonçoient toute l’ordonnance, la conduite & le dénouement : témoin l’Amphytrion de Plaute. Les modernes entendent mieux leurs intérêts & ceux du public. Princip. pour la lect. des poëtes, come II. pag. 33. & suiv.