L’Encyclopédie/1re édition/PROVENCE

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PROVENCE, (Géog. mod.) province méridionale de France, bornée au nord par le Dauphiné, au midi par la Méditerranée, au levant par les Alpes & le Var qui la séparent de la Savoie, au couchant par le Rhône, qui la sépare du Languedoc. Son étendue du midi au nord est de 40 lieues, & de 32 du levant au couchant.

On divise la Provence en haute & basse : la haute est au nord, & la basse au midi. La premiere est un pays assez tempéré, qui donne des pommes, du blé, mais peu de vin. Dans la basse, l’air est très chaud ; son terroir est sec & sablonneux, produisant des grenadiers, des orangers, des citronniers, des figuiers, des plantes médicinales, des muscats, &c. M. Godeau l’appelloit ingénieusement la gueuse parfumée. Elle abonde encore en oliviers & en muriers.

Les principales rivieres de la Provence sont la Durance, le Verdon & le Var. Elle comprend deux archevêchés & douze évêchés. Il n’y a plus d’états généraux depuis 1639, mais il y a des assemblées générales tenues tous les ans, par ordre du roi, à Lambesc. L’archevêque d’Aix y préside. Le commerce de cette province est considérable, soit pour le Levant, soit pour l’Italie.

Il y a en Provence des étangs & des golfes de grande étendue. L’étang de Martigues au bord de la mer, entre Marseille & le Rhône, a plus de 4 lieues de large. Le golfe de Griauld, & celui de Toulon, ont chacun environ 4 lieues de longueur. Le port de cette derniere ville & celui de Marseille sont très-renommés. Les îles d’Hieres sont célebres. On appelle mer de Provence la partie de la Méditerranée qui est au midi de cette province. Elle comprend les mers de Marseille, le golfe de Martigues, & celui de Griauld. La religion de Malte posséde de grands biens dans cette province. Elle y a deux grands-prieurés, & soixante & onze commanderies. Aix est la capitale de toute la province.

Le nom de Provence vient de Provincia, que les Romains donnerent à cette partie des Gaules qu’ils conquirent la premiere : elle étoit de plus grande étendue que la Provence d’aujourd’hui ; car outre le Languedoc, cette province Romaine contenoit encore le Dauphiné & la Savoie, jusqu’à Geneve ; néanmoins on voit que communément dans le neuvieme, le dixieme & le onzieme siecles, le nom de Provence étoit donné au pays qui est à l’orient du Rhône, & l’on n’appelloit en particulier le comté de Provence, que ce qui est enfermé entre la mer Méditerranée, le Rhône, la Durance & les Alpes.

Ce pays étoit autrefois habité par les Salyes ou Salices, que quelques-uns écrivent en latin Salvi, & d’autres Saluvii & Salluvii, qui étoient Liguriens d’origine. Les Marseillois venus des Grecs de Phocée en Ionie, s’étoient établis sur les côtes de ce pays-là, où ils avoient fondé plusieurs villes. Les anciens habitans qui souffroient avec peine ces nouveaux venus, les incommodoient par de fréquentes hostilités ; de sorte que les Marseillois furent contraints d’implorer le secours des Romains leurs alliés. Fulvius, consul romain, fut envoyé contre les Salyes, l’an 629 de la ville de Rome, & 125 ans avant J. C. L’année suivante il les battit dans quelques combats, mais il ne les subjugua point ; ce fut le consulaire Sextius qui acheva cette conquête, & chassa le roi Teutomate de ce pays, qu’il abandonna pour se retirer chez les Allobroges l’an 631 de Rome, & 123 avant J. C. Ainsi, les Romains commencerent alors à avoir le pié dans la Gaule transalpine. Ce pays fut des derniers qui leur resta, & qu’ils ne perdirent qu’après la prise de Rome par Odoacre.

Euric, roi des Visigots, s’empara de la Provence, & son fils Alaric en jouit jusqu’à ce qu’il fut tué en bataille par Clovis. Les Visigots, qui étoient maîtres de ce pays, le donnerent à Théodoric, roi des Ostrogots, qui le laissa à sa fille Amalasunte, & à son petit-fils Athalaric. Après la mort d’Athalaric & d’Amalasunte, les Ostrogots pressés par Bélisaire, général de l’empereur Justinien, abandonnerent la Provence aux rois françois Mérovingiens, qui la partagerent entr’eux.

Sous les Carlovingiens la Provence fut possédée par l’empereur Lothaire, qui la donna à titre de royaume à son fils Charles, l’an 855, & ce royaume s’éteignit vers l’an 948. Plusieurs princes en jouirent ensuite à titre de comté, jusqu’à la mort de Charles, roi de Sicile, qui, à ce que prétendit Louis XI. l’avoit institué son héritier, en 1481.

Ce qu’il y a de certain, c’est que Louis XI. prit possession de toute la Provence, & fit ouir en justice plusieurs témoins, qui affirmerent que Charles avoit déclaré hautement avant sa mort, qu’il vouloit que le roi de France fût héritier de tous ses états qu’il laissoit à la couronne. On promit néanmoins aux Provenceaux qu’on leur conserveroit leurs lois particulieres & leurs privileges, sans que par l’union à la couronne leur pays pût devenir province de France. C’est pour cela que dans les arrêts rendus au parlement d’Aix, on met, par le roi, comte de Provence ; & les rois dans leurs lettres adressées à ce pays-là, prennent la qualité de comtes de Provence.

Ce fut en vain qu’après la mort de Louis XI. René, duc de Lorraine, renouvella ses prétentions sur la succession du roi René, son ayeul maternel ; il en fut débouté par une sentence arbitrale, après quoi Charles VIII. unit à perpétuité la Provence à la couronne de France, l’an 1487.

On peut consulter Ruffi, histoire des comtes de Provence ; Honoré Bouche, histoire de Provence ; Petri Quinquerani de Laudibus Provinciæ, lib. III. Paris, 1551. in-fol. & en françois, à Lyon, 1614, in-8°. Voyez aussi Pitton (Jean Scholastique) sentimens sur les historiens de Provence, Aix 1682, in fol. Cet ouvrage vaut beaucoup mieux que le traité latin du même auteur, intitulé de conscribendâ historiâ rerum naturalium Provinciæ, qui parut à Aix, en 1672.

La Provence a produit des hommes célebres, soit dans les siecles d’or de l’église, où florissoit Honorat, Maxime, Léonce, Hilaire, Gennade, &c. soit dans les siecles suivans ; mais je n’ai garde d’oublier Peiresc, Gassendi, & Antoine Pagi ; leurs noms, surtout les deux premiers, sont trop bien gravés dans ma mémoire.

Peu d’hommes ont rendu plus de services à la république des lettres que M. de Peiresc, né dans un village de Provence, le premier Décembre 1580. Il employa ses revenus, non pas seulement à se rendre savant lui-même, à voyager dans toute l’Europe pour le devenir, à encourager les auteurs, à leur fournir des lumieres & des matériaux, mais encore à faire acheter ou à faire copier les monumens les plus rares & les utiles. Son commerce de lettres embrassoit toutes les parties du monde. Ce commerce étoit si grand, que M. de Mazauques, conseiller au parlement d’Aix, possédoit dix mille lettres, qui furent trouvées parmi les papiers de M. de Peiresc. Les expériences philosophiques, les raretés de la nature, les productions de l’art, l’antiquariat, l’histoire, les langues, étoient également l’objet de ses soins & de sa curiosité. Il s’appliqua particulierement au grec, aux mathématiques & aux médailles, dont il avoit une belle collection, dans laquelle, dit Charles Patin, il s’en trouvoit plus de mille grecques. Il apprit en Italie assez d’hébreu, de samaritain, de syriaque & d’arabe, pour être en état de déchifrer les autres médailles.

Il mourut le 24 Juin 1637 ; « & si vous me permettez (écrivoit Balzac à M. l’Huillier) de me servir en françois d’une parole empruntée de Grece, nous avons perdu en ce rare personnage une piece du naufrage de l’antiquité, & les reliques du siecle d’or. Toutes les vertus des tems héroïques s’étoient retirées en cette belle ame. La corruption universelle ne pouvoit rien sur sa bonne constitution, & le mal qui le touchoit ne le souilloit pas. Sa générosité n’a été ni bornée par la mer, ni enfermée au-deçà des Alpes : elle a semé ses faveurs & ses courtoisies de tous côtés : elle a reçu des remercimens des extrémités de la Syrie, & du sommet même du Liban. Dans une fortune assez médiocre il avoit les pensées d’un grand seigneur, & sans l’amitié d’Auguste, il ne laissoit pas d’être Mécenas ».

On a de M. de Peiresc plusieurs ouvrages, entr’autres historia Provinciæ Galliæ narbonnensis ; liber de ludicris naturæ operibus ; autores antiqui græci & latini de ponderibus & mensuris ; inscriptiones antiquoe & novæ ; observationes in varios authores ; observationes mathematicoe, &c.

C’est lui qui engagea Grotius à écrire son traité de la guerre & de la paix ; on apprend cette particularité par une des lettres de Grotius même à M. Peiresc, datée du 11 Janvier 1624 Interim, dit-il, non otior ; sed in illo de jure gentium opere pergo, quod si tale futurum est, ut lectores demereri possit, habebis, quod tibi debeat posteritas, qui me ad hunc laborem, & auxiliis & hortatu tuo, excitasti.

Vous trouverez beaucoup d’autres détails dans la vie de notre savant provençal, donnée élégamment & savamment en latin par Gassendi. Cet homme si célébre par toute l’Europe, & dont la mort fut pleurée par tant de poëtes, & en tant de langues ; cet homme enfin qui mit en deuil pompeusement les Humoristes de Rome, étoit inconnu à plusieurs françois de mérite, & presque ses contemporains ; l’auteur des maximes, le duc de la Rochefoucault, n’avoit jamais oui parler de M. de Peiresc.

Gassendi (Pierre) nâquit en 1592, dans un bourg de Provence, du diocèse de Digne, & fut le restaurateur d’une partie de la physique d’Epicure, dont il a donné au public trois volumes. Il sentit, dit M. de Voltaire, la nécessité des atomes & du vuide de Newton, & d’autres ont démontré depuis ce que Gassendi avoit affirmé. Il eut moins de réputation que Descartes, parce qu’il étoit plus raisonnable, & qu’il n’étoit pas inventeur ; mais on l’accusa, comme Descartes, d’athéisme. Il est vrai qu’il étoit sceptique, & que la philosophie lui avoit appris à douter, mais non pas de l’existence d’un être suprème. Il joignoit d’ailleurs aux vertus de l’honnête homme, une belle & grande érudition. Il a publié des ouvrages astronomiques, les vies d’Epicure, de Copernic, de Ticho-Brahé, de Peurbac, de Regiomontan, de Peiresc, des épitres & divers autres traités. Il mourut à Paris le 24 Octobre 1656, âgé de 65 ans. M. Henri-Louis Habert de Montmort, maître des requêtes, le fit enterrer dans sa chapelle à S. Nicolas-des-Champs, & lui fit ériger un monument de marbre blanc, où l’on voit son buste avec une épitaphe au-dessous, & le tout d’une modestie digne d’un philosophe. Le même M. de Montmort & François Henrys, noble lyonnois, avocat au parlement de Paris, prirent soin de recueillir tous les ouvrages de leur ami, dont l’édition complette parut à Lyon en 6 vol. in-folio, en 1659.

Pagi (Antoine), cordelier & savant critique, nâquit à Rogne en Provence, en 1624, & mourut à Aix en 1699. Son principal ouvrage est une critique des annales de Baronius, où en suivant ce savant cardinal année par année, il rectifie une infinité d’endroits, dans lesquels Baronius s’étoit trompé, soit dans la chronologie, soit dans la narration des faits. Cet excellent ouvrage écrit en latin, a été imprimé à Geneve en 1705, in-fol. 4. vol. & le P. Pagi, son neveu, en a donné une nouvelle édition, en 1727, dans la même ville, quoique sous le titre d’Anvers. (Le Ch. de Jaucourt).