L’Encyclopédie/1re édition/SABIISME

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SABIISME, (Relig. orient. mod.) religion des anciens Sabéens, appellés aujourd’hui Sabis, Sabaïtes, Mandaïtes ou les chrétiens de S. Jean. Voyez sur leurs prédécesseurs l’article Sabaïsme.

Les mahométans de la secte d’Ali répandus dans la Perse paroissent l’occuper toute entiere ; cependant il se trouve encore entre ces peuples deux religions fort anciennes.

1°. Celle des Guebres ou Parsis qui sont les adorateurs du feu, les successeurs des mages, les disciples du fameux Zerdascht ou Zoroastre.

2°. Celle des Sabiens ou Mandaïtes, que l’on nomme ordinairement les chrétiens de S. Jean, mais qui de l’aveu de tous les voyageurs ne sont ni juifs, ni chrétiens, ni mahométans. On dit au reste qu’ils regardent S. Jean-Baptiste comme un de leurs prophetes.

Ces deux sortes de sectaires se donnent une origine très-ancienne, se vantent aussi d’avoir des livres de la premiere antiquité.

Les Parsis prétendent posséder ceux de Zoroastre, le Zend, le Pazend, l’Ousta, & ils ont le Sadder pour leur canon ecclésiastique.

Les Sabiens, selon M. Simon, hist. crit. liv. I. ont le Sidra laadam ou la révélation adressée à Adam lui-même, les livres de Seth & ceux de quelques autres patriarches.

Eutychès, patriarche d’Alexandrie, donne pour auteur du Sabiisme Zoroastre, qui l’est certainement du Magisme ; & ce qui prouveroit qu’il avoit là-dessus quelques traditions, c’est qu’il indique par son nom jusqu’au premier grand-prêtre de la secte. Selon M. Prideaux, les Mages & les Sabiens étoient très-distingués sous les rois de Perse d’après Cyrus.

Nous apprenons de R. Moïse, fils de Maimon ou de Rambam, de plusieurs passages du thalmud, des commentateurs juifs, de la plûpart des écrivains orientaux soit chrétiens, soit mahométans, qu’Abraham avoit été élevé dans le Sabiisme. Le passage de Josué sur l’idolâtrie de Tharé est un texte irréfragable : la ville de Charan où ce patriarche, en quittant celle de Our, alla faire sa demeure, étoit dès-lors & a toujours été même jusqu’aux derniers tems le siege principal du Sabiisme. Bâtie, dit Abulfaradge, par Caïnan, fils Arphaxad, (mettons Arphaxad lui-même, puisque ce Caïnan est intrus), & illustrée par les observations astronomiques qu’il y fit, ses habitans se porterent d’eux-mêmes à lui dresser des simulacres, & de-là le culte des astres & des statues ; des astres comme d’êtres à la vérité subordonnés, mais médiateurs entre Dieu & les hommes ; des statues comme représentant ces astres en leur absence, par exemple, la lune lorsqu’elle ne paroît plus sur l’horison, les grands hommes lorsqu’ils ne sont plus ou après leur mort.

Voici ce qui dans tous les tems a distingué plus particulierement le Sabiisme : 1°. la connoissance des astres : 2°. l’art de juger par le cours des astres de tous les événemens : 3°. la science des talismans, l’apparition des génies, les enchantemens & les sorts.

Simulacres, arbres dévoués, bois sacrés, temples, fêtes, hiérarchie réglée, adoration, priere, croyance, idée de métempsycose, les Sabiens avoient toutes ces marques de religion intérieures & extérieures ; Corra, astronome sabien illustre, soutenoit encore par des écrits publics, il y a quelques siecles, que toutes ces pratiques leur venoient des anciens Chaldéens.

D’un autre côté, les mathématiciens qui les gouvernoient se livroient à toutes les idées que leur imagination leur présentoit : chacun selon ses calculs & ses systèmes, ils se forgoient des dogmes ou rejettoient ceux des autres. Par exemple, selon quelques-uns, la résurrection devoit se faire au bout de 9000 ans, parce qu’ils fixoient à 9000 ans le tour entier de tous les orbes célestes. D’autres plus subtils vouloient une résurrection parfaite & totale, c’est à dire de tous les animaux, de toutes les plantes, de toute la nature ; cela étant, ils ne l’attendoient qu’au bout de 36426 ans.

Enfin plusieurs d’entre eux soutenoient dans le monde ou dans les mondes une espece d’éternité, pendant laquelle tour-à-tour ces mondes étoient détruits & refaits.

Cette secte obligée par sa propre constitution à observer le cours des astres, a produit plusieurs philosophes, & sur-tout plusieurs astronomes du premier ordre.

Mahomet. Alcoran, sura ou chap. ij. a mis le Sabiisme au rang des religions révélées ; mais comme par-là il a embarrassé les docteurs du Musulmanisme, parce qu’enfin en examinant le Sabiisme de près, ils y ont vu des opinions superstitieuses & ridicules, il ne doit pas être surprenant que ce soit à eux que l’on renvoye pour une connoissance plus intime du Sabiisme. Ainsi après Maimonides, Juda Hallevi & quelques autres espagnols, il faudroit encore consulter Scharestani, Beydawi, Ibn Gannan, Ibn Nedun, Kessai, & parmi nos auteurs Golius, d’Herbelot, Hottinger, & quelques autres.

Il faut observer que si l’on n’a pas une notion raisonnable de cette secte & de ses pratiques, quoiqu’absurdes la plûpart, il y a dans Moïse, & en général dans l’Ecriture plusieurs passages que l’on n’entendra jamais.

Nous parlerons maintenant de l’étendue du Sabiisme : Maimonides & Ephodi, & R. Schem Tob ses commentateurs ont envisagé presque toute l’idolâtrie comme une suite des idées sabiennes, & par-là ils y ont enveloppé nécessairement les cultes de toute la terre. Eutychius avoit la même idée, puisqu’après avoir pris le Sabiisme en Chaldée, de-là, dit-il, il est passé en Egypte, de l’Egypte il fut porté chez les Francs, c’est-à dire en Europe, d’où il s’étendit dans tous les ports de la Méditerranée. Et comme le culte du soleil & des étoiles, la vénération des ancêtres, l’érection des statues, la consécration des arbres constituerent d’abord l’essence du Sabiisme ; cette espece de religion, toute bisarre qu’elle est, se trouva assez vîte répandue dans toutes les parties du monde alors connu, jusqu’à l’Inde & jusqu’à la Chine ; de sorte même que ces vastes empires ont toujours été pleins de statues adorées, & ont toujours donné la créance la plus folle aux visions de l’astrologie judiciaire, preuve incontestable de Sabiisme, puisque c’en est le fond & le premier dogme ; la conclusion est simple que soit par tradition, soit par imitation & identité d’idées, le monde presqu’entier s’est vu & se voit encore sabien. Ce qu’on ne peut pas nier, c’est que pour les régions orientales, le Magisme paroît avoir été resserré dans la Perse & dans quelques contrées voisines, & que le Sabiisme paroît avoir été reçu également dans la Chaldée, dans l’Egypte, dans la Phénicie, dans la Bactriane & dans l’Inde ; car s’il étoit clair que les opinions de la religion égyptienne étoient passées & y subsistent encore aujourd’hui, il est évident aussi qu’il s’y étoit mêlé du sabiisme, ce que prouvent assez & Batroncheri & la plûpart des romans indiens.

Ajoutons un mot de la durée du Sabiisme. Qui croiroit que pendant que tant d’autres hérésies, même depuis le Christianisme, se sont éteintes & presque évanouies à nos yeux ; qui s’imagineroit, dis-je, que celle-ci la premiere de toutes, connue avant Abraham, est demeurée jusqu’à nos jours entre le Judaisme, le Christianisme & le Musulmanisme ? Nous avons une Homélie de S. Gregoire de Nazianze contre les Sabiens, ainsi de son tems il y en avoit dans la Cappadoce. L’alcoran, tous les historiens, tous les auteurs persans en parlent comme d’une religion subsistante chez eux, & cela n’est pas étonnant, puisque Charan & Bassora sont si proches de l’Arabie & de la Perse.

Une circonstance curieuse, ce seroit de savoir pourquoi & depuis quel siecle les Sabiens s’appellent mendaï Jahia, les disciples ou les chrétiens de S. Jean. Il n’est pas facile de déterminer ; mais il semble que l’histoire arabe nous en donne une époque assez vraissemblable du tems d’Almamon. Ce prince passant par Charan, & sans doute en ayant entendu parler comme d’une ville de Sabiens, en fit assembler les principaux habitans ; il voulut savoir quelle étoit véritablement la religion qu’ils professoient. Les Charaniens chagrins d’une telle demande, & ne sachant où elle tendoit, ne se dirent ni juifs, ni chrétiens, ni mahométans, ni sabiens, mais charaniens, comme si c’eût été un nom de religion. Cette réponse assez fondée d’ailleurs, mais que le prince musulman prit ou pour une impiété, ou pour une dérision, leur pensa couter la vie. Almamon en colere leur déclara qu’ils pouvoient opter entre les quatre religions permises par le prophete, sans quoi à son retour leur ville seroit passée au fil de l’épée. Là-dessus un vieillard leur conseilla en reprenant leur ancien nom de religion de se dire sabiens. Cela étoit fort sensé ; mais apparemment qu’alors entre les Charaniens & leurs freres les véritables Sabiens il y avoit des divisions & des haines. Plusieurs d’entr’eux aimerent mieux se faire chrétiens ou musulmans : mais ce qui sera arrivé, c’est qu’avec les Musulmans ils se seront dits chrétiens, & qu’avec les Chrétiens ils auront affecté de se faire nommer chrétiens de S. Jean, ou chrétiens mendaï Jahia, disciples de S. Jean.

Il est vrai que du tems de l’Evangile S. Jean a eu des disciples, & que nous n’avons aucune preuve, malgré la prédication du précurseur, qu’ils ayent tous embrassé le Christianisme. Il est vrai encore que les Sabiens d’aujourd’hui font par-tout, & dans leurs liturgies, & dans leurs livres, une commémoration honorable de S. Jean ; de sorte que le nom de chrétiens de S. Jean ou de disciples de Jean pourroit avoir une époque plus ancienne, & être des premiers tems du Christianisme : on a même quelques livres de missionnaires qui les ont prêchés, où l’on voit les articles de leur créance, & il y est parlé du baptême. Mais une secte ne se connoît jamais à fond que par la lecture de ses propres livres, & comme nous en avons à la bibliotheque du roi trois manuscrits assez considérables, ces livres examinés en détail pourront mettre en état d’en parler avec plus de certitude. Extrait des Mémoires de l’acad. des Inscr. t. XII. (D. J.)