L’Encyclopédie/1re édition/SALAMANDRE

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SALAMANDRE, s. f. (Zoologie.) reptile asse semblable au lézard, & qui vit sur terre, de même que dans l’eau.

Les reptiles, especes d’animaux les plus acrédités en merveilles chez le vulgaire toujours crédule, & les plus négligés par les gens du monde toujours légers ou toujours occupés de leurs plaisirs, attirent au contraire les regards des Physiciens, avides de s’instruire jusques dans les plus petits sujets de l’infinie variété du méchanisme de la nature. Graces à leurs recherches, les salamandres qui tiennent les premiers rangs dans la classe des reptiles, ont été dépouillées des singulieres propriétés qu’elles ne devoient qu’à l’erreur, & sont devenues en même tems un objet de curiosité. Justifions ces deux vérités par les observations de MM. du Verney, Maupertuis, du Fay & Wurfbainius.

Division des salamandres en terrestres & aquatiques. Tous les auteurs ont rangé les salamandres sous les deux classes générales de terrestres & d’aquatiques ; mais cette distinction paroît peu juste, parce que ces animaux sont réellement amphibies, & ne peuvent être appellés aquatiques, que parce qu’il s’en trouve un plus grand nombre dans l’eau que sur terre ; celles que l’on prend dans l’eau deviennent terrestres, lorsqu’on les ôte de l’eau ; & celles qu’on trouve sur terre vivent communément dans l’eau, lorsqu’on les y met ; mais les unes & les autres semblent encore aimer mieux la terre que l’eau.

On ne doit cependant pas nier qu’il ne puisse s’en rencontrer qui soient uniquement terrestres ; mais c’est ce dont aucun naturaliste n’a donné jusqu’à ce jour des expériences décisives. De plus, on est tombé dans deux excès opposés ; de ne pas assez distinguer des especes différentes, ou de les trop multiplier. Il est vrai qu’il est difficile de statuer le nombre des especes de salamandres, parce que le sexe & l’âge font de grandes variétés dans la même, & que pendant presque toute l’année on en trouve de tous les âges. La division faite par M. du Fay, des salamandres qu’on nomme aquatiques en trois especes ; cette division, dis-je, peche en ce qu’elle n’est que particuliere à une certaine étendue de pays ; c’est pourquoi sans rien statuer sur une énumération dont la fixation nous manque encore, il nous suffira de décrire la salamandre commune, que tout le monde connoît & qui se trouve par-tout.

Description générale de la salamandre commune. Elle est longue d’environ cinq pouces, & a la forme d’un lésard, si ce n’est que le corps est plus gros, & que la queue est plate ; sa peau n’est point écailleuse comme celle du lésard, mais remplie de petits tubercules, & comme chagrinée ; elle est brune sur le dos, jaune sous le ventre, & toute parsemée de bandelettes ou taches noires ; ces taches sont peu apparentes sur le dos, mais très-distinctes sur le ventre, à cause de son jaune orangé.

Sa tête est plate & large comme celle de la grenouille ; sa gueule est fort grande, garnie de petites dents ; ses yeux sont assez gros & saillans. On voit au-dessus de la mâchoire supérieure deux très-petites ouvertures, qui sont les narines ; ses pattes sont brunes par-dessus, jaunes par-dessous, & semées de taches noires comme le reste du corps : les pattes de devant n’ont que quatre doigts ; mais celles de derriere en ont cinq. Sa queue, qui est environ longue comme la moitié de son corps, ressemble à celle du lésard, si ce n’est qu’elle est plus grosse & plus charnue.

On en peut distinguer le sexe à la vue. On ne peut pas facilement distinguer le sexe par les parties extérieures de la génération ; elles sont pareilles dans l’un & dans l’autre, & à l’inspection on les jugeroit toutes femelles ; mais il y a dans d’autres parties du corps deux marques sensibles qui distinguent les mâles. La plûpart des auteurs les ont prises pour des marques caractéristiques d’especes différentes, & en ont ainsi multiplié le nombre par de faux signes.

Les mâles ont sur le dos une membrane large de deux lignes ou environ, dentelée comme une scie, qui prend son origine vers le milieu de la tête, entre les deux yeux, & se termine à l’extrémité de la queue ; elle est plus étroite, & rarement dentelée le long de la queue ; mais elle élargit tellement la queue, que les mâles paroissent l’avoir de moitié plus large que les femelles. L’autre marque qui designe les mâles est une bande argentée qui est de chaque côté de la queue ; elle a deux à trois lignes de largeur ou environ, à l’origine de la queue, & va en diminuant jusqu’au bout. Cette bande est moins marquée lorsque les salamandres sont jeunes, mais elle devient plus sensible au bout de quelque tems ; elle ne se voit jamais que dans les mâles, non plus que la membrane dentelée dont je viens de parler.

Du domicile des salamandres. On trouve par-tout des salamandres, en France, en Allemagne, en Italie, dans de petits ruisseaux clairs, de petites fontaines, dans des lieux froids & humides, aux piés des vieilles murailles, d’où elles sortent quand il pleut, soit pour recevoir l’eau, ou pour chercher les insectes dont elles vivent, & qu’elles ne pourroient guere attraper qu’à demi noyés, &c. Au reste il s’en faut bien qu’elles aient l’agilité du lésard ; elles sont au contraire, paresseuses & tristes.

De la rosée & du lait qui suinte de leur peau. Quoique leur peau soit quelquefois seche comme celle du lésard, elle est le plus souvent enduite d’une espece de rosée qui la rend comme vernie, sur-tout lorsqu’on la touche, elle passe dans un moment de l’un à l’autre état. Outre ce vernis extérieur, il se filtre sous le cuir une espece de lait qui jaillit assez loin lorsqu’on presse l’animal.

Ce lait s’échappe par une infinité de trous, dont plusieurs sont sensibles à la vue sans le secours de la loupe, sur-tout ceux qui répondent aux mammelons de la peau. Quoique la premiere liqueur qui sert à enduire la cuticule de l’animal, n’ait aucune couleur & ne paroisse qu’un vernis transparent, elle pourroit bien être la même que le lait dont nous parlons, mais répandue en gouttes si fines & en si petite quantité, qu’il ne paroît point de sa blancheur ordinaire.

Ce lait ressemble assez au lait que quelques plantes jettent quand on les coupe ; il est d’une acreté & d’une stipticité insupportable ; & quoique mis sur la langue, il ne cause aucun mal durable ; on croiroit voir une plissure à l’endroit qu’il a touché : certains poissons ont mérité le nom d’orties, par la ressemblance qu’ils ont avec cette plante lorsqu’on la touche. Notre salamandre pourroit être regardée comme le tythymale des animaux, si son lait étoit aussi corrosif : pris intérieurement ; cependant lorsqu’on écrase ou qu’on presse ce reptile, il répand une singuliere & mauvaise odeur.

Description anatomique de la salamandre. Mais ce ne seroit point connoître la salamandre que de s’en tenir à ces dehors extérieurs qui frappent la vue ; il faut pour s’instruire, entrer dans les détails anatomiques de la structure des parties qui distinguent les deux sexes. Quoique le mystere de la génération soit des plus cachés chez ces sortes d’animaux, cette obscurité ne doit qu’exciter davantage les recherches des Physiciens, pour décider s’ils sont vivipares, ovipares, ou l’un & l’autre.

On peut regarder comme épiderme, la pellicule dont la salamandre se dépouille tous les quatre ou cinq jours. Si on la disseque lorsqu’elle vient de s’en dépouiller, il est impossible de détacher de son corps une autre pellicule ; si elle est prête à la quitter, elle s’enleve très-facilement. Cette peau étant vue au microscope, paroît n’être qu’un tissu de très-petites écailles, ou plûtôt l’enveloppe des mamelons du cuir ; au-dessous de cette peau on trouve le cuir qui est assez solide, & on le détache des muscles auxquels il est adhérent par des fibres lâches.

Le bas-ventre a trois muscles distincts ; l’un droit avec des digitations, couvre la région antérieure ; & les deux autres obliques, font les parties latérales ; ayant détaché ces muscles, on découvre le péritoine, qui est adhérent au foie par un petit ligament ; le péricarde semble être formé par une continuité du péritoine. Le cœur est au-dessus du foie, & appliqué immédiatement sur l’œsophage.

Le foie est très-grand, & séparé en deux lobes ; sous le lobe droit est la vésicule du fiel, qui n’est attachée que par son canal ; elle est transparente & remplie d’une liqueur verdâtre. Au-dessous du foie on voit quelques replis des intestins ; les sucs graisseux qui sont d’un jaune orangé, & les ovaires dans les femelles.

Dans l’hypogastre on trouve la vessie adhérente au péritoine par un petit vaisseau : si on la souffle par l’anus ou le canal commun, on voit qu’elle est en forme de cœur. Il y a aux deux côtés du foie, deux especes de vessies remplies d’air ; elles sont très-minces, longues, & finissant en pointe. Voilà toutes les parties qui paroissent lorsqu’on a ouvert la capacité du ventre.

Voici maintenant celles qui sont plus cachées ; le foie & les intestins étant ôtés ou éloignés de leur place, on verra que les sacs graisseux sont séparés en plusieurs lobes, & entourés d’une membrane très déliée, parsemée de vaisseaux sanguins qui les attachent aux ovaires & aux trompes dans les femelles ; & aux enveloppes des testicules & du canal déférent dans les mâles.

Des parties de la génération de la salamandre mâle. Pour suivre d’abord l’anatomie du mâle, on remarque le long de l’épine deux petits tuyaux blancs, qu’on peut appeller canaux déférens, qui font plusieurs plis & replis ; ils se terminent en devenant à rien par leur partie supérieure, dans la membrane qui les attache, & aboutissent vers l’anus, à l’extrémité d’un petit faisceau de filets blancs, qu’on peut regarder comme les vésicules séminales. Ce petit faisceau remonte le long du canal déférent & les reins, & a environ six à sept lignes de long.

On a trouvé beaucoup de variété dans les testicules de cet animal. Le plus souvent il n’y en a que deux, qui sont d’un blanc jaunâtre, de la forme d’une petite feve, assez longs, & ayant chacun une espece de petite glande plus blanche, & presque transparente, appliquée sur la partie supérieure ; ensorte qu’elle semble ne faire qu’un corps avec le testicule, & qu’elle n’en est distinguée que par la couleur. Quelquefois les testicules sont en forme de poire assez irréguliere, & dont la pointe est tournée vers le bas. Assez souvent ils sont joints l’un à l’autre par une espece de petit corps glanduleux. Quelquefois on trouve distinctement quatre testicules, dont les deux inférieurs sont plus petits que les supérieurs. On remarque cette variété dans les différens âges & les différentes especes de salamandres mâles.

La partie supérieure de chaque testicule est attachée au sac pulmonaire vers le milieu de sa longueur par un petit vaisseau ligamenteux ; ou plûtôt ce petit vaisseau ne fait que passer dans la membrane qui attache le sac pulmonaire, & va se perdre dans la même membrane proche du canal déférent.

Le canal déférent se trouve vers l’anus ; dans cet endroit est un corps cartilagineux, long d’environ deux lignes, en forme de mitre, qui selon toutes les apparences, tient lieu de verge à cet animal ; car il est vraissemblable que la salamandre s’accouple réellement, quoiqu’aucun physicien n’ait peut-être pas encore vû cet accouplement ; mais ce qui doit persuader qu’il se fait, c’est que les salamandres sont vivipares.

Wurfbainius rapporte qu’il en a vû une faire trente-quatre petits tous vivans ; & M. Maupertuis assure avoir vû une fois dans une salamandre quarante-deux petits, & dans une autre cinquante-quatre, presque tous vivans, aussi bien formés & plus agiles que les grandes salamandres. Celui qui feroit une distinction & qui diroit que les salamandres terrestres sont vivipares, & par conséquent se doivent accoupler ; mais que les aquatiques sont ovipares, & frayent seulement à la maniere des poissons, on pourroit lui répondre que les organes paroissant les mêmes dans les unes que dans les autres, il y a apparence que la génération se doit faire de la même maniere.

Des parties de la génération de la salamandre femelle. On trouve dans les parties intérieures de la femelle, des différences très-sensibles, & les organes très distingués ; en ouvrant la capacité du ventre, on découvre les ovaires & les sacs graisseux. Lorsqu’on a enlevé les sacs graisseux, l’on voit que les ovaires sont composés de plusieurs lobes, renfermés par une même membrane, qui les separe entr’eux, & les attache aux sacs graisseux, aux trompes, & aux sacs pulmonaires. Cette membrane est toute parsemée de vaisseaux sanguins, qui se partagent en de très-petites branches, sur la surface des ovaires. Les œufs ne sont point flottans dans la capacité de l’ovaire, mais ils y adherent intérieurement, & vraissemblablement passent de-là dans la trompe.

Après avoir enlevé les ovaires, on découvre les trompes ; elles prennent depuis le col, & faisant plusieurs plis & replis, elles se terminent à l’anus. M. Duverney a fait voir qu’elles avoient à leur extrémité supérieure, une espece d’ouverture ou de pavillon, par lequel entrent les œufs. Lorsqu’ils sont entrés dans les trompes, ils acquierent beaucoup plus de grosseur qu’ils n’en avoient dans l’ovaire ; & lorsqu’ils sont arrivés à l’extrémité inférieure, ils sortent par le canal commun.

Les trompes sont remplies dans toute leur longueur d’une liqueur épaisse, trouble, jaunâtre, en assez grande quantité, & qui ne sort point par le canal commun. Est-ce cette matiere visqueuse qui entoure les œufs, & qui sert de premier aliment au petit germe qui doit éclore ? Les trompes se terminent avec le rectum, & le col de la vessie, dans un gros muscle, auquel est attaché l’extrémité des reins qui adherent aux trompes, dans presque toute leur longueur ; de sorte qu’en enlevant ce muscle, on enleve en même tems les reins, les trompes, l’intestin & la vessie.

Il n’y a point de matrice dans cet animal ; ce sont les trompes qui en servent, puisqu’on y trouve quelquefois des petits tous formés.

La salamandre n’est ni dangereuse, ni venimeuse. Parlons maintenant des propriétés attribuées faussement à la salamandre, & de celles qu’elle possede réellement.

Les anciens, & plusieurs naturalistes modernes, ont regardé la salamandre comme un animal des plus dangereux ; si on les en croyoit, des familles entieres sont mortes, pour avoir bû de l’eau d’un puits où une salamandre étoit tombée. Non-seulement, ajoutent-ils, sa morsure est mortelle, comme celle des viperes, mais elle est même plus venimeuse, parce que sa chair, reduite en poudre, est un poison, au lieu que celle de la vipere est un remede.

Tous ces préjugés ont été généralement reçus, jusqu’à ce que des physiciens de nos jours les aient détruits par des expériences expresses. Ils ont fait mordre divers animaux dans les parties les plus délicates, par des salamandres choisies ; ils leur ont fait avaler des salamandres entieres, coupées par morceaux, hachées, pulvérisées ; ils leur ont donné à boire de l’eau dans laquelle on avoit jetté des salamandres. Ils les ont nourris des mets trempés dans le prétendu venin de ce reptile. Ils ont injecté de son poison dans des plaies faites à dessein ; & néanmoins, aucun accident n’est survenu de tous ces divers essais. En un mot, non-seulement la salamandre n’est plus un animal dangereux, de la morsure duquel on ne peut guerir, c’est au-contraire l’animal du monde le moins nuisible, le plus timide, le plus patient, le plus sobre, & le plus incapable de mordre. Ses dents sont petites & serrées, égales, plus propres à couper qu’à mordre, si la salamandre en avoit la force, & elle ne l’a point.

Elle ne vit point dans le feu. Tandis que cette pauvre bête inspiroit jadis aux uns de l’horreur, par le venin redoutable qu’on lui supposoit, elle excitoit dans l’esprit d’autres personnes une espece d’admiration, par la propriété singuliere dont on la croyoit douée, de vivre dans le feu. Voilà l’origine de deux célébres devises que tout le monde connoît ; celle d’une salamandre dans le feu qu’avoit pris François I. avec ces mots, nutrio & extinguo, j’y vis, & je l’éteins ; & celle que l’on a faite pour une dame insensible à l’amour, avec ce mot espagnol, mas yelo que fugeo, froide même au milieu des flammes.

On regardoit la salamandre comme l’amiante des animaux ; & toute fabuleuse qu’en paroisse l’histoire, elle s’étoit si bien accréditée parmi les modernes, sur des mauvaises expériences, qu’on a été obligé de les répeter en divers lieux, pour en détromper le public. En France, par exemple, M. de Maupertuis n’a pas dédaigné de vérifier ce conte ; quelque honteux, dit-il lui-même, qu’il soit au physicien, de faire une expérience ridicule, c’est pourtant à ce prix qu’il doit acheter le droit de détruire certaines opinions, consacrées par des siecles : M. de Maupertuis a donc jetté plusieurs salamandres au feu : la plûpart y périrent sur le champ ; quelques-unes eurent la force d’en sortir à demi-brûlées, mais elles ne purent résister à une seconde épreuve.

Cependant il arrive quelque chose d’assez singulier lorsqu’on brûle la salamandre. A peine est-elle sur le feu, qu’elle paroît couverte de ce lait dont nous avons parlé, qui se raréfiant à la chaleur, ne peut plus être contenu dans ses petits réservoirs ; il s’échape de tous côtés, mais en abondance sur la tête, & sur tous les mamelons, & se durcit d’abord, quelquefois en forme de perles.

C’est cet écoulement qui a vraissemblablement donné lieu à la fable de la salamandre ; toutefois il s’en faut beaucoup, que le lait dont il s’agit ici, sorte en assez grande quantité, pour éteindre le moindre feu ; mais il y a eu des tems, où il n’en falloit guere davantage, pour faire un animal incombustible. Ainsi, l’on auroit dû se dispenser de rapporter dans les Transactions philosophiques, n°. 21. & dans l’abrégé de Lowthorp, vol. II. p. 86. la fausse expérience du chevalier Corvini, faite à Rome, sur une salamandre d’Italie, qui se garantit, dit-on, de la violence du feu deux fois de suite ; la seconde fois pendant deux heures, & vécut encore pendant neuf mois depuis ce tems-là. Les ouvrages des sociétés, & sur-tout des sociétés de l’ordre de celles d’Angleterre, doivent avoir pour objet de nous préserver des préjugés, bien loin d’en étendre le cours.

Elle vit au contraire dans l’eau glacée. Non-seulement les salamandres ne vivent pas dans le feu, mais tout au contraire, elles vivent ordinairement, & pendant assez long-tems, dans l’eau qui s’est glacée par le froid. A mesure que l’eau dégele, on les voit expirer plus d’air que d’ordinaire, parce qu’elles en avoient fait une plus grande provision dans leurs poumons, tandis que l’eau se geloit. On dit qu’on a trouvé quelquefois en été dans des morceaux de glaces, tirées des glacieres, des grenouilles qui vivoient encore : on rapporte aussi dans l’histoire de l’acad. des Sciences, année 1719, qu’on a vu dans le tronc bien sec d’un arbre, un crapaud très-vivant, & très-agile. Si ces deux derniers faits, qui sont peut-être faux, se trouvent un jour confirmés, cette propriété seroit commune à ces différens animaux.

Elle subsiste long-tems sans manger. Les salamandres peuvent vivre plus de six mois sans manger, comme M. du Fay l’a expérimenté. Ce n’est pas qu’il eût dessein de les priver d’alimens, pour éprouver leur sobriété, mais il ne savoit de quoi les nourrir. Tout-au-plus elles se sont quelquefois accommodées ou de mouches à demi-mortes, ou de la plante nommée lentille aquatique, ou de ce frai de grenouille, dont naissent ces petits lésards noirs, auxquels on voit pousser les pattes, dans le tems qu’ils ne sont pas plus gros que des lentilles, mais tout cela, elles le prenoient sans avidité, & s’en passoient bien.

Elle change fréquemment de peau. Les salamandres qui sont dans l’eau, de quelqu’âge & de quelqu’espece qu’elles soient, changent de peau tous les quatre ou cinq jours au printems & en été, & environ tous les 15 jours en hiver, ce qui est peut-être une chose particuliere à cet animal ; elles s’aident de leur gueule & de leurs pattes pour se dépouiller, & l’on trouve quelquefois de ces peaux entieres, qui sont très-minces, flottantes sur l’eau. Cette peau étendue sur un verre plan, & vue au microscope, paroît transparente, & toute formée de très-petites écailles.

Il arrive quelquefois aux salamandres un accident particulier ; il leur reste à l’extrémité d’une patte, un bout de l’ancienne peau, dont elles n’ont pu se défaire : ce bout se corrompt, leur pourrit cette patte, qui tombe ensuite, & elle ne s’en porte pas plus mal ; tout indique qu’elles ont la vie très-dure.

Elle a des ouies qui s’effacent au bout d’un certain tems. Dans un certain tems de l’âge d’une salamandre, on lui voit, lorsqu’elle est dans l’eau, deux petits pennaches, deux petites houpes frangées, qui se tiennent droites, placées des deux côtés de sa tête, précisément comme le sont les ouies des poissons ; & ce sont en effet des ouies, des organes de la respiration ; mais ce qui est très-singulier, au bout de trois semaines, ces organes s’effacent, disparoissent, & n’ont par conséquent plus de fonction. Il semble alors que les salamandres fassent plus d’effort pour sortir de l’eau, qui ne leur est plus si propre, cependant elles y vivent toujours. M. du Fay en a conservé pendant plusieurs mois, après la perte de leur ouies, dans de l’eau où il les avoit mises. Il est vrai qu’elles paroissent aimer mieux la terre, mais peut-être aussi cette nouvelle eau leur convenoit-elle moins que celles où elles étoient nées. Le lésard est le seul animal que l’on sache, qui perde ses ouies de poisson ; mais il les perd pour devenir grenouille, & en se dépouillant d’une enveloppe générale, à laquelle ses ouies étoient attachées ; ce qui est bien différent de la salamandre.

Elle périt si on lui jette du sel sur le corps. Quoiqu’elles aient la vie extrémement dure, on a trouvé le poison qui leur est mortel, c’est du sel en poudre. Wurf bainius l’a dit le premier, & M. du Fay en a vérifié l’expérience. Il n’y a pour les tuer, qu’à leur jetter du sel pulvérisé sur le corps ; on voit assez par les mouvemens qu’elles se donnent, combien elles en sont incommodées ; il sort de toute leur peau, cette liqueur visqueuse, qu’on a cru qui les préservoit du feu, & elles meurent en 3 minutes.

L’histoire naturelle des salamandres demande de nouvelles recherches. La salamandre pourra sans doute fournir encore un grand nombre d’observations, & il y en avoit plusieurs dans les papiers de M. Duverney, trouvés après sa mort, qui n’ont point été imprimées. Nous n’avons touché que quelques-unes des propriétés connues de ce reptile ; mais combien y en a-t-il, qui nous sont inconnues ? Combien de faits qui la concernent, qui méritent d’être approfondis ? Tel est, par exemple, celui de sa génération ; s’il y a des salamandres vivipares, n’y en auroit-il pas aussi d’ovipares ? Des physiciens ont trouvé des petits formés dans leurs corps ; d’autres disent avoir vu des salamandres frayer à la maniere des poissons.

La salamandre a fourni de nouveaux termes inintelligibles à la science hermétique. Au reste, il n’étoit guere possible que la célébrité de cet animal ne vînt à fournir des termes au langage des alchimistes & des chimistes, & c’est ce qui est arrivé. Ainsi, dans la philosophie hermétique, la salamandre qui est conçue & qui vit dans le feu, dénote ou le soufre incombustible, ou la pierre parfaite au rouge, qui sont autant de mots inintelligibles. En chimie, le sang de la salamandre, désigne les vapeurs rouges, qui, dans la distillation de l’esprit de nitre, remplissent le récipient de nuées rouges ; ce sont les parties les plus fixes & le plus fortes de l’esprit ; mais ce terme offre une chimere ; car le nitre ne donne point de vapeurs dans la distillation.

Elle n’a point de vertus médicinales. Entre les médecins qui se sont imaginés que la salamandre n’étoit pas sans quelque vertu médicinale, les uns l’ont mise au nombre des dépilatoires en l’appliquant extérieurement. Les autres ont recommandé ses cendres pour la cure des ulceres scrophuleux, en en saupoudrant les parties malades. D’autres encore en ont vanté la poudre, pour faciliter l’évulsion des dents ; mais il est inutile de faire une liste de puérilités.

Auteurs. Ce n’est pas Aldrovandi, Gesner, Rondelet, Charlton, Jonston, &c. qu’il faut lire sur la salamandre ; c’est Wurfsbainius (Jok Pauli) salamandrologia, Norib. 1683. in-4°. avec figures, & mieux encore les mémoires de MM. de Maupertuis & du Fay, qui sont dans le recueil de l’acad. des Sciences, années 1727 & 1729. (Le chevalier de Jaucourt.)

Salamandre fossile, (Hist. nat.) quelques auteurs se sont servi de ce nom pour désigner l’amianthe, à cause de la proprieté qu’il a de ne souffrir aucune altération de la part du feu. Ils l’appellent en latin salamandra lapidea. Voyez Lin fossile & Amianthe.

Salamandre de pierre, (Hist. nat.) nom donné par quelques auteurs à la pierre connue sous le nom d’amianthe ou de lin fossile.