L’Encyclopédie/1re édition/SALIQUES

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SALIQUES, adj. pl. (Hist. mod.) nom qu’on donne communément à un recueil de lois des anciens françois, par une desquelles on prétend que les filles des rois de France sont exclues de la couronne.

Plusieurs auteurs ont écrit sur les lois saliques ; mais comme MM. de Vertot & de Foncemagne, de l’académie des Inscriptions, en ont traité d’une maniere plus intéressante, nous tirerons de leurs mémoires sur ce sujet ce que nous en allons dire, d’autant plus qu’ils se réunissent à penser que ce n’est pas précisément en vertu de la loi salique que les filles de France sont exclues de la couronne.

Selon M. l’abbé de Vertot, il n’est pas aisé de décider quel est l’auteur des lois saliques, & bien moins de fixer l’époque & l’endroit de leur établissement. Quelques historiens prétendent que la loi salique tire cette dénomination salique d’un certain seigneur appellé Salegast, qui fut, dit-on, un de ceux qui travaillerent à la compilation de cette loi. C’est le sentiment d’Othon de Frisingue, liv. IV. Avantin dans le IV. liv. de son histoire de Baviere, rapporte l’étymologie de ce mot salique au mot latin sala, comme si les premieres lois des Francs avoient été dressées dans les salles de quelques palais. D’autres auteurs le font venir d’une bourgade appellée Salectinie, qu’ils placent comme il leur plait, sur les rives de l’Yssel ou du Sal. Enfin on a eu recours jusqu’à des fontaines & des puits de sel, & de-là on n’a pas épargné les allégories sur la prudence des premiers François.

Mais il est plus naturel de rapporter l’épithere de salique à cette partie des Francs qu’on appelloit saliens : hac nobilissimi Francorum, qui salici dicuntur, adhuc utuntur lege, dit l’évêque de Frisingue.

Nous avons deux exemplaires de ces lois. Le plus ancien est tiré d’un manuscrit de l’abbaye de Fulde, imprimé en 1557 par les soins de Jean Basile Herold. L’autre édition est faite sur la réformation de Charlemagne ; & il y a à la fin de cet exemplaire quelques additions qu’on attribue aux rois Childebert & Clotaire. Mais l’un & l’autre exemplaire paroissent n’être qu’un abregé d’un recueil plus ancien. Quelques-uns attribuent ces lois à Pharamond & d’autres à Clovis.

Quoi qu’il en soit, on lit à l’article 62 de ces lois un paragraphe conçu en ces termes : de terrâ vero salicâ nulla poreio hereditatis mulieri veniat, sed ad sexum virilem tota terræ hereditas perveniat ; c’est-à-dire pour ce qui est de la terre salique, que la femme n’ait aucune part dans l’héritage, mais que tout aille au mâle. C’est de ce fameux article dont on fait l’application au sujet de la succession à la couronne, & l’on prétend qu’elle renferme une exclusion entiere pour les filles de nos rois.

Pour éclaircir cette question, il est bon de remarquer que dans ce chapitre lxij. il s’agit de l’aleu, de alode, & qu’il y avoit dans la Gaule françoise & dans les commencemens de notre monarchie, des terres allodiales auxquelles les femmes succédoient comme les mâles, & des terres saliques, c’est-à-dire conquises par les Saliens, qui étoient comme des especes de bénéfices & de commanderies affectées aux seuls mâles, & dont les filles étoient exclues comme incapables de porter les armes. Tel est le motif & l’esprit de cet endroit de la loi salique, qui semble ne regarder que la succession & le partage de ces terres saliques entre les enfans des particuliers.

Le vulgaire peu éclairé, dit M. de Foncemagne, entend par le mot de salique, une loi écrite qui exclut formellement les filles du trône. Ce préjugé qui n’a commencé à s’accréditer que sur la fin du xv. siecle, sur la parole de Robert Guaguin & de Claude de Seyssel, les premiers écrivains françois qui aient cité la loi salique comme le fondement de la masculinité de la succession au royaume de France ; ce préjugé est aussi mal appuyé qu’il est universel ; car 1°. le paragraphe 6. de l’article 62. est le dernier d’un titre qui ne traite que des successions entre les particuliers, & même des successions en ligne collatérale. Rien ne nous autorise à le séparer des paragraphes qui le précedent pour lui attribuer un objet différent, rien ne fonde par conséquent l’application que l’on en fait à la couronne. Peut-on croire en effet que les auteurs de la loi aient confondu dans un même chapitre, deux especes de biens si réellement distingués l’un de l’autre, soit par leur nature, soit par leurs prérogatives ; le royaume & le patrimoine des personnes privées ? peut-on supposer qu’ils aient reglé par un même decret l’état des rois & l’état des sujets ? Il y a plus, qu’ils aient renvoyé à la fin du decret l’article qui concerne les rois, comme un supplément ou comme un accessoire, & qu’ils se soient expliqués en deux lignes sur une matiere de cette importance, tandis qu’ils s’étendoient assez au long sur ce qui regarde les sujets ? 2°. Le texte du code salique doit s’entendre privativement à toute autre chose, des terres de conquête qui furent distribuées aux François à mesure qu’ils s’établissoient dans les Gaules, en récompense du service militaire, & sous la condition qu’ils continueroient de porter les armes, & la loi déclare que les femmes ne doivent avoir aucune part à cette espece de bien, parce qu’elles ne pouvoient acquitter la condition sous laquelle leurs peres l’avoient reçu. Or il est certain par les formules de Marculfe, que quoique les femmes n’eussent aucun droit à la succession des terres saliques, elles y pouvoient cependant être rappellées par un acte particulier de leur pere. Si le royaume avoit été compris sous le nom de terre salique, pourquoi au défaut de mâles les princesses n’auroient-elles pas été également rappellées à la succession à la couronne ? Mais le contraire est démontré par un usage constant depuis l’établissement de la monarchie, & dont l’origine se perd dans les tenebres de l’antiquité. Car pour ne nous en tenir qu’à la premiere race de nos rois, Clotilde, fille de Clovis, ne fut point admise à partager avec ses freres, & le roi des Wisigots qu’elle avoit épousé, ne reclama point la part de sa femme. Théodechilde, fille du même Clovis, fut traitée comme sa sœur. Une autre Théodechilde, fille de Thierry I. selon Flodoar, & mariée au roi des Varnes, selon Procope, subit le même sort. Théodebalde succeda seul à son pere Théodebert au préjudice de ses deux sœurs, Ragintrude & Bertoare. Chrodsinde & Chrotberge survécurent à Childebert leur pere ; cependant Clotaire leur oncle hérita du royaume de Paris. Alboin, roi des Lombards, avoit épousé Closinde, fille de Clotaire I. Mais après la mort de son beau-pere, Alboin ne prit aucunes mesures pour faire valoir les droits de sa femme. Ethelbert, roi de Kent, avoit épousé la fille aînée de Caribert, qui ne laissa point de fils ; cependant le royaume de Paris échut aux collatéraux, sans opposition de la part d’Ethelbert. Gontrant avoit deux filles, lorsque se plaignant d’être sans enfans, il designa son neveu Childebert pour son successeur. Chilperic avoit perdu tous ses fils, Basine & Rigunthe lui restoient encore, lorsqu’il répondit aux ambassadeurs du même Childebert ; « Puisque je n’ai point de postérité masculine, le roi votre maître, fils de mon frere, doit être mon seul héritier ». Tous ces divers exemples démontrent que les filles des rois étoient exclues de la couronne ; mais l’étoient-elles premierement par la disposition de la loi salique ?

M. de Foncemagne répond, que le chapitre lxij. du code salique peut avoir une application indirecte à la succession au royaume. De ce que le droit commun des biens nobles, dit-il, étoit de ne pouvoir tomber, pour me servir d’une expression consacrée par son ancienneté, de lance en quenouille, il faut nécessairement conclure que telle devoit être à plus forte raison la prérogative de la royauté, qui est le plus noble des biens, & la source d’où découle la noblesse de tous les autres. Mais la loi en question renferme seulement cette conséquence, elle ne la développe pas, & c’en est assez pour que nous puissions soutenir que les femmes ont toujours été exclues de la succession au royaume de France par la seule coutume, mais coutume immémoriale, qui sans être fondée sur aucune loi, a pû cependant être nommée loi salique, parce qu’elle tenoit lieu de loi, & qu’elle en avoit la force chez les François. Agathias qui écrivoit au sixieme siecle, appelloit déjà cette coutume la loi du pays, πάτριος νόμος, & dès-lors elle étoit ancienne, puisque Clovis I. a u préjudice de ses sœurs Alboflede & Lantilde avoit succédé seul à son pere Chilpéric. Les François l’avoient empruntée des Germains chez qui on la trouve établie dès le tems de Tacite, qui remarque comme une exception aux coutumes universellement établies parmi les Germains, que les Sitons qui faisoient partie des Sueves, étoient gouvernés par une femme : cætera similes, dit cet historien, uno differunt, quod fæmina dominatur ; de morib. Germanor. in fine, ou pour parler plus exactement, dès le tems de Tacite elle étoit observée par les François, que l’on comprenoit alors sous le nom de Germains, commun à toutes les nations germaniques. Ils l’apporterent au-delà du Rhin comme une maxime fondamentale de leur gouvernement, laquelle avoit peut-être commencé d’être usitée parmi eux, avant même qu’ils eussent connu l’usage des lettres C’est ce qui faisoit dire au fameux Jérôme Bignon, qu’il faut bien que ce soit un droit de grande autorité, quand on l’a observé si étroitement, qu’il n’a point été nécessaire d’en rédiger une loi par écrit. De l’excellence des rois & du royaume de France, pag. 286.

Les recherches également curieuses & solides de ces deux académiciens confondent pleinement l’opinion téméraire de l’historien Duhaillant, qui avance que le paragraphe 6. de l’article 62. concernant la terre salique, avoit été interpolé dans le chapitre des aleuds par Philippe-le-Long, comte de Poitou, ou du-moins qu’il fut le premier qui se servit de ce texte pour exclure sa niece, fille de Louis-le-Hutin, de la succession à la couronne, & qui fit, dit cet écrivain, croire au peuple françois, ignorant des lettres & des titres de l’antiquité des Francs, que la loi qui privoit les filles de la couronne de ce royaume, avoit été faite par Pharamond.

Que cette loi, dit M. l’abbé de Vertot, ait été établie par Pharamond ou par Clovis, princes qui vivoient l’un & l’autre dans le cinquieme siecle, cela est assez indifférent. Mais l’existence des lois saliques, & plus encore leur pratique sous nos rois de la premiere & de la seconde race est incontestable. Il ne se trouve aucun manuscrit ni aucun exemplaire sans l’article 62. qui exclut de toute succession à la terre salique, preuve que ce n’est pas une interprétation. Le moine Marculphe, qui vivoit l’an 660, cite expressément cette loi dans ses formules, & enfin on étoit si persuadé, même dans le cas dont parle Duhaillant, que tel avoit toujours été l’usage du royaume que, selon Papire Masson, les pairs & les barons, & selon Mézerai, les états assemblés à Paris déciderent que la loi salique & la coutume inviolable gardée parmi les François, excluoient les filles de la couronne, & de même quand après la mort de Philippe-le-Long, Edouard III. roi d’Angleterre, descendu par sa mere Isabelle de Philippe-le-Bel, se porta pour prétendant au royaume de France. « Les douze pairs de France & les barons s’assemblerent à Paris, dit Froissart, liv I. chap. xxij. au plutôt qu’ils purent, & donnerent le royaume d’un commun accord à Messire Philippe de Valois, & en ôterent la reine d’Angleterre & le roi son fils, par la raison de ce qu’ils dient que le royaume de France est de si grande noblesse qu’il ne doit mie par succession aller à femelle ». Mém. de l’acad. des Inscrip. tom. II. Dissert. de M. l’abbé de Vertot, sur l’origine des lois saliques, pag. 603 & suiv. pag. 610, 611, 615, & 617. & tom. VIII. Mém. hist. de M. de Foncemagne, pag. 490, 493, 495, & 496.

Salique, terre, (Hist. de France.) on nommoit ainsi chez les Francs des terres distinguées d’autres terres, en ce qu’elles étoient destinées aux militaires de la nation, & qu’elles passoient à leurs héritiers. On peut, dit M. le président Hainault, distinguer les terres possédées par les Francs depuis leur entrée dans les Gaules, en terres saliques, & en bénéfices militaires. Les terres saliques, continue-t-il, étoient celles qui leur échurent par la conquête, & elles étoient héréditaires : les bénéfices militaires, institués par les Romains avant la conquête des Francs, étoient un don du prince, & ce don n’étoit qu’à vie : il a donné son nom aux bénéfices possédés par les ecclésiastiques ; les Gaulois de leur côté, réunis sous la même domination, continuerent à jouir, comme du tems des Romains, de leurs possessions en toute liberté, à l’exception des terres saliques, dont les Francs s’étoient emparés, qui ne devoient pas être considérables, vu le petit nombre des François & l’étendue de la monarchie. Les uns & les autres, quelle que fût leur naissance, avoient droit aux charges & au gouvernement, & étoient employés à la guerre sous l’autorité du prince qui les gouvernoit. (D. J.)