L’Encyclopédie/1re édition/SICANIENS, les

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SICANIENS, les, (Géog. anc.) ou les SICANES, Sicani, peuples de Sicile, qui en occupoient la partie occidentale. Ce peuple, suivant Thucydide, étoit originaire de l’Ibérie, & venu des bords du fleuve Sicanus, que les écrivains postérieurs ont appellé Sicoris, & que nous nommons Segro. Thucydide ne donne pas ceci comme une simple tradition, mais comme un fait incontestable. Ephorus au rapport de Strabon, & Philiste de Syracuse cité par Diodore de Sicile, tenoient le même langage dans leurs écrits. Il est vrai que le même Diodore se déclare pour le sentiment de Timée, qui regardoit les Sicani comme Autochthones : mais ni l’un ni l’autre n’ont fait réflexion que ce mot d’autochthones ne pouvoit se prendre au sens qu’ils lui donnent, que par ceux qui, selon le système des mythologues grecs, croyoient les hommes sortis même du sein de la terre. Pour Strabon, il suppose avec Ephorus, l’origine ibérienne des Sicani.

Au tems de Thucydide & des autres écrivains allegués ci-dessus, il étoit facile de vérifier le fait. Les Carthaginois employoient des troupes espagnoles dans leurs guerres contre les grecs de Sicile. Ces Espagnols pris dans les combats, & vendus comme esclaves, se trouvoient mêlés avec les Sicani ; & par ce mélange on connoissoit aisément s’ils parloient des dialectes d’une même langue. Dans la guerre que Denis-le-tyran fit aux Carthaginois en 386, un grand nombre de Sicani se joignirent à ses troupes : peu après, un corps d’Espagnols mécontens des Carthaginois, quitta leur service, & renforça l’armée syracusaine. Philiste qui tenoit un rang considérable à la cour de Denis, avoit sans doute profité de l’occasion pour constater l’origine ibérienne des Sicani, en comparant leur langue & leurs coutumes avec celles des Espagnols qui servoient dans la même armée.

Thucydide dit que ces Ibériens, qu’il nomme Sicani, ne passerent en Sicile, que parce qu’ils avoient été chassés par les Liguriens de la contrée qu’ils habitoient auparavant. De ce passage il faut conclure avec M. Freret, que les Sicani avoient autrefois possédé le pays où les Liguriens se trouvoient au tems de Thucydide, c’est-à-dire, vers l’an 430 avant l’ere chrétienne. Or les Liguriens occupoient alors toute la côte de la mer, depuis les Pyrénées jusqu’aux Alpes, & depuis les Alpes jusqu’à l’embouchure de l’Arne. Scylax qui nous a donné une description des bornes de la Méditerranée vers l’an 350, & sous le regne de Philippe, pere d’Alexandre, distingue trois especes de Liguriens : les Ibéroligyes, depuis les Pyrenées jusqu’au Rhône : les Celtoligyes, depuis le Rhône jusqu’aux Alpes : & les Ligyes ou Liguriens proprement dits, depuis les Alpes jusqu’à l’Arne. Les Liguriens étoient si anciennement établis entre le Rhône & les Alpes, que les Grecs crurent pouvoir faire mention d’eux dans les fables qu’ils débitoient sur le voyage d’Hercule.

Observons encore avec M. Freret, que si le pays dont les Ibériens furent chassés, eût été en-deça des Alpes, ces peuples, loin de pouvoir pénétrer en Italie, auroient été contraints de se retirer à l’occident du Rhône. Ils se trouvoient donc alors établis au-delà des Alpes : & c’est de-là que s’avançant toujours de proche en proche jusqu’à l’extrémité de l’Italie, ils passerent enfin en Sicile. Le tems du passage des Sicani n’est pas fixé par Thucydide qui se contente de mettre cet événement avant la prise de Troie, c’est-à-dire, dans sa chronologie, avant l’an 1284 ; mais il paroît par les témoignages d’Hellanicus & de Philiste, que les Sicaniens étoient déja possesseurs d’une partie de l’île en 1364.

Si l’on prenoit à la lettre plusieurs expressions semées dans l’Enéide, on concluroit que les Sicaniens avoient conservé des établissemens aux environs du Tybre ; Virgile en parle souvent, & les nomme veteres Sicani. Mais peut-être, par une licence ordinaire aux poëtes, aura-t-il donné le nom de cet ancien peuple espagnol aux Sicules, nation très-différente, puisqu’elle étoit illyrienne, & dont il restoit en effet quelques peuplades dans le Latium. Mém. des inscriptions, tome XVIII. Hist. pag. 80. (D. J.)