L’Encyclopédie/1re édition/SOPHISTE

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SOPHISTE, s. m. (Gram. & Hist. anc. ecclés.) qui fait des sophismes, c’est-à-dire qui se sert d’argumens subtils, dans le dessein de tromper ceux qu’on veut persuader ou convaincre. Voyez Sophisme & Gymnosophiste. Ce mot est formé du grec σοφὸς, sage, ou plutôt de σοφιστὴς, imposteur, trompeur.

Le terme sophiste, qui maintenant est un reproche, étoit autrefois un titre honorable, & emportoit avec soi une idée bien innocente. S. Augustin observe qu’il signifioit un rhéteur ou professeur d’éloquence, comme étoient Lucien, Athænée, Libanius, &c.

Suidas, & après lui Olar. Celsius, dans une dissertation expresse sur les sophistes grecs, nous déclare que ce mot s’appliquoit indifféremment à tous ceux qui excelloient dans quelque art ou science, soit théologiens, jurisconsultes, physiciens, poëtes, orateurs ou musiciens. Mais il semble que c’est donner à ce mot un sens trop étendu. Il est possible qu’un rhéteur ait fait des vers, &c. mais que ce soit en vertu de son talent poétique qu’on l’ait nommé sophiste, c’est ce que nous ne voyons point de raison de croire. Quoi qu’il en soit, Solon est le premier qui paroît avoir porté ce nom, qui lui fut donné par Isocrate ; ensuite on le donna assez rarement, mais seulement aux philosophes & aux orateurs.

Le titre de sophiste fut en grande réputation chez les Latins dans le douzieme siecle, & dans le tems de S. Bernard. Mais il commença à s’introduire chez les Grecs dès le tems de Platon, par le moyen de Protagoras & de Gorgias, qui en firent un métier infâme en vendant l’éloquence pour de l’argent. C’est de-là que Séneque appelle les sophistes, des charlatans & des empyriques.

Cicéron dit que le titre de sophiste se donnoit à ceux qui professoient la Philosophie avec trop d’ostentation, dans la vûe d’en faire un commerce, en courant de place en place pour vendre en détail leur science trompeuse. Un sophiste étoit donc alors comme à-présent, un rhéteur ou logicien qui fait son occupation de décevoir & embarrasser le peuple par des distinctions frivoles, de vains raisonnemens & des discours captieux.

Rien n’a plus contribué à accroître le nombre des sophistes, que les disputes des écoles de philosophie. On y enseigne à embarrasser & obscurcir la vérité par des termes barbares & inintelligibles, tels que antiprédicamens, grands & petits logicaux, quiddités, &c.

On donna le titre de sophiste à Rabanus Maurus, pour lui faire honneur. Jean Hinton, moderne auteur scholastique anglois, a fait ses efforts pour se procurer le titre magnifique de sophiste.