L’Encyclopédie/1re édition/SUBMERSION par le sable

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SUBMERSION par le sable, s. f. (Physique générale.) les côtes de Suffolk sont exposées à être submergées par le sable. Leur voisinage est rempli de monticules entierement sablonneux, & seulement couverts d’une fine herbe par-dessus. Les vents violens qui surviennent, renversent cette herbe, & portent en forme de pluie le sable caché dessous, dans toutes les plaines voisines, où il s’accumule & forme de nouveaux lits. Rien n’arrête le progrès de l’inondation, ensorte qu’elle gagne sans cesse du terrein. Dans quelques endroits même, la situation du sol favorise le déluge de sable, & lui permet de couvrir des centaines d’arpens. Il descend des collines avec la plus grande rapidité, passe à-travers les haies, s’éleve au-dessus des côteaux, & quand il gagne un village dans son cours, il ensévelit en passant les chaumieres & les cabannes qui ne sont pas bâties à plus grands frais qu’elles ne valent. Il remplit les caves des maisons, & abat quelquefois par sa pesanteur, les murs qu’il trouve sur sa route. Mais il faut lire les détails curieux que M. Wright a donnés de ce déluge sec, dans les Transact. philos. n°. 37.

La portion du pays de Suffolk exposée à cette étrange submersion, est non-seulement sablonneuse par elle-même, mais située est-nord-est d’une partie d’un vaste terrein plat, exposé à des vents impétueux, qui emportent tout le sable qu’ils trouvent sur leur passage, & qui continuent d’agir avec leurs forces entieres, en parcourant sans être brisés ni interrompus, une grande étendue de terres.

On n’a point encore trouvé de meilleur secret pour garantir les habitations précieuses de cette submersion, que de les environner de haies de genêts épineux, qu’on plante serrés par gradation les uns au-dessus des autres. Ceux qui ont eu le courage de faire ces sortes de plantations, ont eu le bonheur d’arrêter & de détourner le progrès du ravage, après avoir vû auparavant dans ces mêmes terres le sable élevé jusqu’à la hauteur de vingt piés.

Près de Thetford, ville de la province de Norfolk, plusieurs villages ont été entierement détruits depuis plus de cent ans par les déluges de sable de Suffolk, & une branche de la riviere de l’Ouse, appellée depuis la riviere de Thetford, en a été tellement bouchée, qu’il n’y a plus que de petits bâtimens qui puissent y passer, au-lieu qu’auparavant les grands vaisseaux y navigeoient. Il est vrai que ce déluge de sable en se jettant dans la riviere, a préservé une partie de la province de Norfolk de la submersion sablonneuse, qui n’eût pas manqué d’y ruiner une grande quantité de son terrein plat, si fertile en blé.

Aux environs de Saint-Paul de Léon en basse Bretagne, il y a sur le bord de la mer un canton, qui avant l’an 1666 étoit habité, & ne l’est plus, à cause d’un sable qui le couvre jusqu’à une hauteur de plus de vingt piés, & qui d’année en année gagne du terrein A compter de l’époque marquée, il a gagné plus de six lieues, & il n’est plus qu’à une demi-lieue de Saint-Paul ; de sorte que, selon toutes les apparences, il faudra abandonner la ville. Dans le pays submergé on voit encore quelques pointes de clochers & de cheminées qui sortent de cette mer de sable : les habitans des villages enterrés ont eu du moins le loisir de quitter leurs maisons pour aller mandier.

C’est le vent d’est ou de nord-est qui avance cette calamité ; il éleve ce sable qui est très-fin, & le porte en si grande quantité & avec tant de vîtesse, que M. Deslandes, à qui on doit cette observation, dit qu’en se promenant en ce pays-là pendant que le vent charrioit, il étoit obligé de secouer de tems-en-tems son chapeau & son habit, parce qu’il les sentoit appesantis. De plus, quand le vent est violent, il jette ce sable par-dessus un petit bras de mer, jusque dans Roscofe, petit port assez fréquenté par les vaisseaux étrangers : le sable s’éleve dans les rues de cette bourgade jusqu’à deux piés, & on l’enleve par charretées.

Ce désastre est nouveau, parce que la plage qui fournit ce sable, n’en avoit pas encore une assez grande quantité pour s’élever au-dessus de la surface de la mer, ou peut-être parce que la mer n’a abandonné cet endroit, & ne l’a laissé découvert que depuis un certain tems. Elle a eu quelque mouvement sur cette côte ; elle vient présentement dans le reflux une demi-lieue au-delà de certains rochers qu’elle ne passoit pas autrefois. Ce malheureux canton inondé d’une façon si singuliere, ainsi que les déluges de sable de la province de Suffolk, dont nous avons parlé au commencement de cet article, ne justifient que trop ce que les anciens & les modernes rapportent des tempêtes excitées en Afrique, qui ont fait périr par des déluges de sable, des villes, & même des armées. Histoire de l’académie des Sciences, 1722. (D. J.)