L’Encyclopédie/1re édition/SUESSA ARUNCA

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SUESSA ARUNCA, (Géogr. anc.) ou Suessa simplement, ville d’Italie dans la Campanie. On rapporte, dit Tite-Live, l. VII. c. xv. que les Arunces épouvantés abandonnerent leur ville, & se retirerent avec leurs femmes & leurs enfans à Suessa, qu’ils fortifierent. Cette ville fut nommée Arunca du nom de ces peuples, pour la distinguer de Suessa surnommée Pometia.

L’histoire ne nous apprend point que les Arunces aient été forcés dans Suessa Arunca. Quant à leur ancienne capitale, elle fut détruite par les Fidicins. Dans l’année 440 de la fondation de Rome, le sénat envoya une colonie à Suessa Arunca. Du tems de Ciceron elle avoit le titre de Municipe. Il en fait cet éloge magnifique. Lautissimum oppidum, nunc municipium honestissimorum quondam colonorum Suessam, fortissimorum militum sanguine (Antonius) implevit. Ciceron ne lui donna point en cet endroit de surnom, & Silius Italicus, l. VIII. v. 498 en use ainsi, detritaque bellis Suessa. La raison en est que Suessa Pometia avoit été détruite auparavant.

Suessa Arunca devint pour la seconde fois colonie romaine sous Auguste, selon une inscription ancienne rapportée par Gruter p. 1096, où on lit Ædilis colonia Julia felici classica Suessa. Les habitans de cette ville sont appellés Suessani dans une inscription faite du tems de l’Empereur Adrien, & rapportée par Holstenius p. 257. Qui viam Suessanis Municipiis sua pec. fecit.

Lucilius (Caius) chevalier romain, & poëte latin, naquit à Suessa au pays des Arunces, vers le commencement du septieme siecle de Rome, savoir l’an 605, & mourut à Naples vers l’année 660, âgé d’environ 55 ans. Il porta les armes sous Scipion l’Africain à la guerre de Numance, & il eut beaucoup de part à l’amitié de ce fameux général, & à celle de Lelius ; c’est Velleius Paterculus, l. II. c. ix. qui nous l’apprend. Celebre, dit-il, & Lucilii nomen fuit, qui sub P. Africano Numantino bello, eques militaverat. Pompée du côté maternel étoit petit neveu de Lucilius, ainsi ce poëte étoit de bonne maison. Il commença trente livres de satyres où il censuroit nommément & d’une maniere piquante plusieurs personnes qualifiées. Il ne fut pas l’inventeur de la satyre parmi les latins ; mais il en fut comme le restaurateur, par le nouveau tour qu’il lui donna, en se réglant sur le goût de l’ancienne comédie des Grecs ; avec cette différence qu’il se servoit ordinairement de vers Pithiens, que les grammairiens appellent vers héxametres, au lieu que les poëtes comiques n’avoient employé que des vers ïambes ou coraïques. Il fit plusieurs autres ouvrages, mais il ne nous reste que des fragmens de ses satyres ; ils ont été recueillis soigneusement par François Douza, & publiés à Leide avec des notes l’an 1597. Ils auroient cependant bon besoin d’être encore mieux éclaircis par quelque savant critique, parce qu’on en tireroit beaucoup de lumieres en ce genre. On apprendroit bien des choses dans les autres œuvres de Lucilius qui se sont perdues.

Les anciens ont été fort partagés sur le mérite de ce poëte satyrique. On peut voir ce que dit Horace sat. I. l. II. sat. IV. l. I. & sat. X. qu’il emploie toute entiere à répondre aux admirateurs de Lucilius, protestant en même tems qu’il ne prétend pas lui arracher la couronne qui lui est si justement due. Quintilien étoit extrêmement prévenu en faveur de Lucilius ; mais tous les critiques se sont déclarés pour le jugement d’Horace ; cependant Lucilius a eu le bonheur de certaines femmes qui avec très-peu de beauté, n’ont pas laissé de causer de violentes passions. Ce qu’il y a de singulier, c’est que Ciceron se soit contredit dans ses décisions sur le savoir de Lucilius. Il dit au premier livre de l’Orateur, c. 16 : sed ut solebat C. Lucilius sæpe dicere homo tibi subiratus, mihi propter eam ipsam causam minus quàm volebat familiaris, sed tamen & doctus & perurbanus, sic sentio neminem esse in oratorum numero habendum qui non sit omnibus iis artibus quæ sunt libero homine dignæ, perpolitus. Il lui donne le même éloge de docte au second livre du même ouvrage, & il le lui ôte au premier livre de finibus, c. 3.

Je n’ajoute plus qu’un mot sur Lucilius, parce que j’ai déja parlé de lui à l’article Satyre. Il ne souhaitoit ni des lecteurs ignorans, ni des lecteurs très-savans. Il est vrai que ces deux sortes de lecteurs sont quelquefois également redoutables ; les uns ne voient pas assez, & les autres voient trop : les uns ne connoissent pas ce qu’on leur présente de bon ; & l’on ne sauroit cacher aux autres ce que l’on a d’imparfait. Ciceron ne veut point de lecteurs ignorans, il demande les plus habiles, déclarant ne craindre personne ; mais combien peu de gens peuvent tenir le même langage ? (D. J.)