L’Encyclopédie/1re édition/TACHE

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TACHE, TÂCHE, s. f. (Lang. franç.) la prononciation détermine le sens de ces deux mots, qui signifient deux choses toutes différentes. Le premier veut dire une marque, une impression étrangere qui gâte quelque chose ; & le second, un ouvrage que l’on doit finir dans un certain tems, soit par devoir, soit pour de l’argent. La premiere syllabe du premier mot est breve ; on alonge au contraire la premiere syllabe du second mot, & l’on y met un accent circonflexe. Ménage avoue qu’il ignore l’origine du mot tache ; mais Casseneuve a remarqué qu’autrefois on s’en servoit pour exprimer les bonnes & les mauvaises qualités d’un homme, ou d’une bête. L’ancienne chronique de Flandres, parlant de Marguerite, comtesse de Flandres, dit ch. xxvj. « Et elle avoit quatre taches ; premierement, elle étoit une des plus grandes dames du lignage de France ; secondement, elle étoit la plus sage & la mieux gouvernant terre qu’on sçeust », &c. Les autres deux taches sont qu’elle étoit libérale & riche. Le livre intitulé, Li établissement de li roi de France. « Or si aucun menoit sa bête au marché, ou entre gens, & qu’elle mordist ou prist aucun, & cil qui seroit blessé se plaingnist à la justice, & li autres dist, sire, je n’en sçavoye mie qu’elle eût telle tache, &c. »

Quant au mot tâche, les uns le dérivent de taxa, taxatio ; d’autres nous apprennent pour expliquer son étymologie, qu’on appelloit autrefois tâche, une pochette, parce que plus on travaille à la tâche, & plus on rassemble d’argent dans sa poche. On prétend même qu’on appelle encore tâche en Bourgogne, une pochette.

On dit dans quelques provinces, donner des fonds à tâche, c’est-à-dire, sous la redevance d’une certaine partie des fruits, selon que l’on en convient. Le fonds est appellé tachable ou tachible Ce droit ressemble au champart qui ne porte ni lods, ni mi-lods, & ne change point la qualité de l’héritage. (D. J.)

Taches, en Astronomie, ou maculæ, endroits obscurs qu’on remarque sur les surfaces lumineuses du soleil, de la lune, & même de quelques planetes. Voyez Soleil, Lune, Planete, Face, &c.

En ce sens, taches, maculæ est opposé à facules, faculæ ; ces taches du soleil sont des endroits obscurs d’une figure irréguliere & changeante qu’on observe sur la surface du soleil ; entre toutes les taches que nous voyons, il y en a qui ne commencent à paroître que vers le milieu du disque, & d’autres qui disparoissent entierement après s’être détruites peu-à-peu, à mesure qu’elles se sont avancées. Souvent plusieurs taches se ramassent ou s’accumulent en une seule, & souvent une même tache se resout en une infinité d’autres extrémement petites.

Il n’y a pas long-tems qu’on a remarqué des taches dans le soleil : elles varient beaucoup quant au nombre, &c… Quelquefois il y en a beaucoup, & quelquefois point du tout. Galilée est le premier qui les ait découvertes aussitôt après l’invention du télescope : Scheiner les observa dans la suite avec plus de soin, & a publié un gros livre à ce sujet : dans ce tems là on en voyoit plus de cinquante sur le soleil ; mais depuis 1753 jusqu’en 1670, à peine en a-t-on découvert une ou deux ; depuis elles ont reparu assez souvent en abondance, & il n’y a presque point de volume de l’académie des sciences où il n’en soit fait mention. Il semble qu’elles ne suivent aucune loi dans leurs apparitions.

Quelques-uns s’imaginent que ces taches peuvent devenir en si grand nombre, qu’elles cachent toute la face du soleil, ou du-moins la plus grande partie, & c’est à cela qu’ils attribuent ce que dit Plutarque, la raison pour laquelle la premiere année du regne d’Auguste la lumiere du soleil fut si foible & si obscure, qu’on pouvoit aisément la considérer sans en être ébloui.

Les histoires sont pleines de remarques sur des années entieres où le soleil a paru fort pâle & dépouillé de cette vive lumiere à laquelle les hommes sont accoutumés ; on prétend même que sa chaleur étoit alors sensiblement ralentie ; ce qui pourroit bien venir d’une multitude de taches qui couvroient alors le disque apparent du soleil. Il est certain que l’on voit souvent des taches sur le soleil dont la surface excede non-seulement l’Asie & l’Afrique, mais même occupent un plus grand espace que n’occuperoit sur le soleil toute la surface de la terre. Voyez Eclipse.

A quoi Kepler ajoute qu’en 1547 le soleil paroissoit rougeâtre, de même que quand on l’apperçoit à-travers d’un brouillard épais ; & il conjecture delà que les taches qu’on voit dans le soleil sont une espece de fumée obscure, ou nuages qui flottent sur sa surface.

D’autres prétendent que ce sont des étoiles ou des planetes qui passent devant le corps du soleil. Mais il est beaucoup plus probable que ce sont des corps opaques en maniere de croûtes qui s’y forment, comme l’écume sur la surface des liqueurs.

Plusieurs de ces taches paroissent n’être autre chose qu’un amas de parties hétérogenes, dont les plus obscures & les plus denses composent ce qu’Hevelius appelle le noyau, & elles sont entourées de tous côtés de parties plus rares & moins obscures, comme si elles avoient des atmospheres ; mais la figure, tant du noyau que des taches entieres, est variable. En 1644 Hevelius observa une petite tache qui en deux jours de tems devint deux fois plus grosse qu’il ne l’avoit vûe d’abord, paroissant en même tems plus obscure, & avec un plus gros noyau, & ces changemens soudains étoient fréquens. Il observa que le noyau commença à diminuer insensiblement, jusqu’à ce que la tache disparut, & qu’avant qu’il se fut entierement évanoui, il se partagea en quatre portions qui se réunirent de nouveau en deux jours de tems : il y a eu des taches qui ont duré 2, 3, 10, 15, 20, 30, & même, quoique rarement, 40 jours. Kirchius en a observé une en 1681, depuis le 26 Avril jusqu’au 17 Juin. Les taches se meuvent sur le disque du soleil d’un mouvement qui est un peu plus lent près du limbe que près du centre. Celle que Kirch observa fut douze jours visible sur le disque du soleil, & elle fut quinze jours derriere le disque, selon la regle ordinaire qu’elles reviennent au limbe 27 ou 28 jours après qu’elles en sont parties.

Il faut enfin observer que les taches se contractent près du limbe ; que dans le milieu du disque elles paroissent plus étendues, y en ayant de séparées les unes des autres vers le limbe, qui se réunissent en une seule dans le disque ; que plusieurs commencent à paroître dans le milieu du disque, & que plusieurs disparoissent au même endroit, qu’on n’en a vu aucune qui s’écartât de son orbite près de l’horison, au-lieu qu’Hevelius observant Mercure dans le soleil près de l’horison, le trouve écarté de 27 secondes au-dessous de la route qu’il avoit d’abord tenue.

On peut conclure de ces phénomenes, 1°. que puisque la dépression apparente de Mercure au-dessous de la route qu’il devroit suivre, vient de la différence des parallaxes de cet astre & du soleil ; ces taches, dont la parallaxe est la même que celle du soleil, doivent être beaucoup plus près de lui que Mercure ; mais puisqu’elles ont été cachées derriere cet astre trois jours de plus qu’elles n’en ont passé sur celui de son hémisphere qui nous est visible : il a y des auteurs qui concluent delà qu’elles n’adherent pas non-plus à la surface du soleil, mais qu’elles en sont un peu éloignées ; mais il est d’autres auteurs qui ne sont point de cet avis, & qui croient que les taches sont adhérentes à la surface du soleil. Voyez Soleil.

2°. Puisqu’elles naissent & disparoissent au-milieu du disque, & qu’elles subissent diverses altérations, eu égard à leur grandeur, à leur figure & à leurs densités ; on peut conclure delà qu’elle se forment & se dissolvent ensuite fort près du soleil, & que ce sont très-probablement des especes de nuages solaires formés des exhalaisons du soleil.

3°. Puis donc que les exhalaisons du soleil s’élevent de son corps, & se tiennent suspendues à une certaine hauteur de cet astre, il s’ensuit delà, selon les lois de l’hydrostatique, que le soleil doit être entouré de quelque fluide qui puisse porter ces exhalaisons vers en haut, fluide qui comme notre atmosphere doit être plus dense vers le bas, & plus rare vers le haut ; & puisque les taches se dissolvent & disparoissent au milieu même du disque, il faut que la matiere qui les compose, c’est-à-dire, que les exhalaisons solaires retombent en cet endroit ; d’où il suit que c’est dans cet endroit que doivent naître les changemens de l’atmosphere du soleil, & par conséquent du soleil lui-même.

4°. Puisque la révolution des taches au-tour du soleil est très-réguliere, & que leur distance du soleil est ou nulle, ou au-moins très-petite, ce ne sont donc pas, à proprement parler, les taches qui se meuvent au-tour du soleil, mais c’est le soleil lui-même qui tournant au-tour de son axe, emporte avec lui les taches, soit qu’elles nagent sur la surface de cet astre, ou dans son atmosphere, & il arrive de-là que les taches, étant vues obliquement près du limbe, paroissent en cet endroit étroites & oblongues.

Les taches de la lune sont fixes : quelques-uns prétendent que ce sont les ombres des montagnes ou des endroits raboteux qui se trouvent dans le corps de la lune ; mais leur immobilité détruit cette opinion. L’opinion la plus générale & la plus probable est que les taches de la lune sont des mers, des lacs, des marais, &c. qui absorbent une partie des rayons du soleil, & ne nous en renvoyent qu’un petit nombre, de maniere qu’elles paroissent comme des taches obscures ; au-lieu que les parties terrestres refléchissent à cause de leur solidité, toute la lumiere qu’elles reçoivent, & ainsi paroissent parfaitement brillantes. M. Hartsoeker est d’un autre avis, & prétend que les taches de la lune, ou du-moins la plûpart, sont des forêts, des petits bois, &c. dont les feuilles & les branches interceptent les rayons que la terre reflechit, & les renvoye autre part.

Les astronomes comptent environ 48 taches sur la surface de la lune, à chacune desquelles ils ont donné un nom différent. La 21e est une des plus considérables, & est appellée Tycho.

Taches des Planetes. Les astronomes trouvent que les autres planetes ont aussi leurs taches. Jupiter, Mars & Venus en font voir de bien considérables quand on les regarde avec un télescope, & c’est par le mouvement de ces taches que nous concluons que les planetes tournent sur leur axe, de même que nous inférons le même mouvement dans le soleil, à cause du mouvement de ses taches.

Dans Jupiter, outre ces taches, nous voyons plusieurs bandes paralleles qui traversent son disque apparent. Voyez Bandes, Planetes, Soleil, Phases, &c. Wolf, & Chambers.

Le mouvement des taches du soleil est d’occident en orient, mais il ne se fait pas précisément dans le plan de l’orbite de la terre : ainsi l’axe au-tour duquel tourne le soleil n’est pas perpendiculaire à cet orbite. Si l’on fait passer par le cercle du soleil une ligne parallele à celle de l’orbite terrestre, on trouve que cette ligne fait avec l’axe du soleil un angle de 7 degrés ou environ : ainsi l’équateur du soleil, c’est-à dire le cercle qui est également éloigné des deux extrémités de son axe, ou de ses deux poles, fait un angle de 7 degrés avec l’équateur de la terre ; & si on imagine la ligne où ces deux plans se coupent, prolongés de part & d’autre jusqu’à la circonférence de l’orbite terrestre, lorsque la terre arrivera dans l’un ou l’autre de ces deux points diamétralement opposés, la trace apparente des taches observée sur la surface du soleil sera pour lors une ligne droite : ce qui est évident, puisque l’œil est alors dans le plan où se fait leur vrai mouvement : mais dans toute autre situation de la terre sur son orbite, l’équateur solaire sera tantôt élevé au-dessus de notre œil, & tantôt abaissé, & pour lors la trace apparente des taches observées sur le soleil, sera une ligne courbe.

Si dans un corps aussi lumineux que le soleil il y a différentes matieres, dont la plus épaisse ou la plus grossiere forme les taches qui l’obscurcissent, on ne doit pas être étonné si les planetes qui sont opaques, contiennent aussi des parties solides & fluides qui reflechissent une lumiere plus ou moins vive, & qui l’absorbent presqu’entierement. La surface de toutes les planetes doit donc nous paroître couverte d’une infinité de taches, & c’est aussi ce qu’on a reconnu, soit à la vue simple, soit avec des lunettes. Inst. Astron. (O)

Tache de naissance, (Physiol.) un nombre infini d’arteres & de veines aboutissent à la peau. Leurs extrémités réunies y forment un lacis recouvert par l’épiderme. Dans leur état naturel, ces extrémités des vaisseaux sanguins, ne laissent presque passer que la portion séreuse du sang, la partie rouge continue sa route par d’autres vaisseaux dont le diametre est plus grand ; mais les vaisseaux qui forment le lacis peuvent acquérir plus de diamêtre, donner un libre passage à la partie rouge du sang, devenir variqueux, & par conséquent causer sur la peau une élévation variqueuse, qui paroîtra rouge ou bleuâtre, selon que dans cette dilatation, les tuniques dont les vaisseaux sont composés, auront plus ou moins perdu de leur épaisseur.

Cet accident qui arrive quelquefois après la naissance, n’arrive que trop souvent sur le corps des enfans renfermés dans le sein de leur mere ; les vaisseaux peuvent être trop dilatés lors de la fécondation, & pour peu qu’ils aient été portés au-delà de leur diametre, le mal va presque toujours en augmentant, parce que ce lacis vasculeux n’est contraint par aucune partie voisine. Delà vient que ces taches qu’on attribue faussement à l’imagination de la mere qui a desiré de boire du vin, ou sur qui on en a répandu, s’étendent, s’élevent, débordent au-dessus de la peau, & cause souvent une difformité considérable.

Ce lacis des vaisseaux est différemment disposé & figuré dans les divers endroits du corps. Il est tout autre sur la peau du visage qu’ailleurs ; il est même différent en divers endroits du visage ; on pourroit peut-être expliquer par-là pourquoi une partie du corps rougit plutôt qu’une autre.

C’est sans doute par la raison de cette même différence, que les taches de vin sont plus fréquentes au visage que dans d’autres parties du corps, car une partie du corps ne rougit plus facilement qu’une autre, qu’autant que la partie rouge du sang y trouve un moindre obstacle à passer dans le lacis des vaisseaux. La rougeur se montre plus facilement au visage qu’ailleurs par cette même raison, ensorte qu’un effort léger qui ne produit rien sur une autre partie, produira sur le visage un effet sensible ; aussi quand on examine ces taches à l’aide d’un bon microscope, la dilatation des vaisseaux s’apperçoit clairement, & l’on y voit couler les parties du sang qui les colorent. (D. J.)

Tache du Crystallin, (Médecine.) j’entends par tache du crystallin, une espece de cicatrice qui est communément blanche, qu’on remarque sur sa superficie, & qui blesse la vue.

Elle est le plus souvent la suite d’un très-petit abscès ou pustule qui se forme sur la superficie du crystallin, dont l’humeur étant en très-petite quantité & bénigne, se résout & se consomme, sans causer d’autre altération au crystallin, que celle du lieu où cette petite pustule se trouve ; & cet endroit du crystallin se cicatrise ensuite.

Dans son commencement, on la connoît par un nuage fort léger qui paroît sur le crystallin, & par le rapport du malade qui se plaint que sa vue est brouillée ; dans la suite ce nuage devient plus épais, & blanchit enfin.

On ne peut cependant dans les premiers mois assurer positivement que ce ne soit pas le commencement d’une cataracte, ou d’une ulcération ambulante du crystallin, parce qu’on ne peut juger de la nature de la pustule : mais quand après un, deux ou trois ans, cette tache reste dans le même état, on peut probablement assurer qu’elle y restera toute la vie.

Quand cette tache est blanche, on la voit aisément, & quand elle est noirâtre ou très-superficielle, on ne la peut distinguer ; mais on conjecture qu’elle y est par le rapport du malade.

Selon l’endroit que cette tache occupe, les malades semblent voir devant l’œil, & en l’air, un nuage qui suit l’œil en tous les lieux où la vue se porte.

Les malades en sont plus ou moins incommodés, suivant qu’elle est plus grande, ou plus petite, ou plus profonde, ou plus superficielle.

Les taches du crystallin ne s’effacent point, ainsi les remedes y sont inutiles : elles n’augmentent point, à-moins qu’elles ne s’ulcerent de nouveau ; & elles ne s’ulcerent pas, sans qu’il se fasse une nouvelle fluxion d’humeurs sur cette partie ; mais quand cela arrive, le crystallin s’ulcere quelquefois entierement, & il se forme ainsi une cataracte purulente, ou au-moins une mixte qui tient de la purulente. (D. J.)