L’Encyclopédie/1re édition/TAILLE

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TAILLE, s. f. (Jurisprud.) est une imposition que le roi ou quelqu’autre seigneur leve sur ses sujets.

Elle a été ainsi nommée du latin talea, & par corruption tallia, parce qu’anciennement l’usage de l’écriture étant peu commun, l’on marquoit le payement des tailles sur de petites buchettes de bois appellées taleæ, sur lesquelles on faisoit avec un couteau de petites tailles, fentes ou coches pour marquer chaque payement. Cette buchette étant refendue en deux, celui qui recevoit la taille, en gardoit un côté par-devers lui, & donnoit l’autre au redevable ; & lorsqu’on vouloit vérifier les payemens, on rapprochoit les deux petits morceaux de bois l’un de l’autre, pour voir si les tailles ou coches se rapportoient sur l’un comme sur l’autre ; de maniere que ces tailles ou buchettes étoient comme une espece de charte-partie.

Ces buchettes qui furent elles-mêmes appellées tailles, étoient semblables à celles dont se servent encore les Boulangers pour marquer les fournitures du pain qu’ils font à crédit à leurs pratiques ordinaires, & c’est sans doute de-là qu’on les nommoit anciennement talemarii ou talemelarii, & en françois talemeliers.

La taille étoit aussi appellée tolta ou levée, du latin tollere. Les anciennes chartes se servent souvent de ces termes talliam vel toltam, & quelquefois maletoltam, à cause que cette levée paroissoit onéreuse, d’où l’on a donné le nom de maltotiers à ceux qui sont chargés de la levée des impôts publics.

La taille est royale ou seigneuriale : celle qui se paie au roi, est sans doute la plus ancienne ; & il y a lieu de croire que la taille seigneuriale ne fût établie par les seigneurs sur leurs hommes, qu’à l’imitation de celle que le roi levoit sur ses sujets.

L’origine de la taille royale est fort ancienne ; on tient qu’elle fut établie pour tenir lieu du service militaire que tous les sujets du roi devoient faire en personne ; nobles, ecclésiastiques, roturiers, personne n’en étoit exempt.

On convoquoit les roturiers ou villains lorsque l’on avoit besoin de leur service, & cette convocation se nommoit halbannum seu heribannum, herban ou arriere-ban ; & ceux qui ne comparoissoient pas, payoient une amende qu’on appelloit le hauban.

Les nobles faisant profession de porter les armes, & les ecclésiastiques étant aussi obligés de servir en personne à cause de leurs fiefs, ou d’envoyer quelqu’un à leur place, n’étoient pas dans le cas de payer une contribution ordinaire pour le service militaire ; & c’est de-là que vient l’exemption de taille dont jouissent encore les nobles & les ecclésiastiques.

Les roturiers au contraire qui par état ne portoient point les armes, ne servoient qu’extraordinairement, lorsqu’ils étoient convoqués ; & ce fut pour les dispenser du service militaire que l’on établit la taille, afin que ceux qui ne contribueroient pas de leur personne au service militaire, y contribuassent au moins de leurs deniers pour fournir aux frais de la guerre.

On attribue communément l’établissement des tailles à S. Louis ; elles sont cependant beaucoup plus anciennes. Pierre Louvet, médecin, en son histoire de la ville de Beauvais, rapporte une chartre de l’an 1060, par laquelle il paroit que la taille étoit déjà établie, puisqu’il est parlé d’une décharge qui fut donnée de plusieurs coutumes injustes, savoir la taille & autres oppressions, talliam videlicet & alias oppressiones.

La plus ancienne ordonnance qui fasse mention de la taille, est celle de Philippe Auguste en 1190, appellée communément le testament de Philippe Auguste. Elle défend à tous les prélats & vassaux du roi de faire aucune remise de la taille ou tolte, tant que le roi sera outre-mer au service de Dieu ; & comme la taille n’étoit point encore alors ordinaire ni perpétuelle, & qu’on la levoit seulement pour les besoins extraordinaires de l’état, il y a grande apparence que celle dont il est parlé dans ce testament, avoit été imposée à l’occasion du voyage que Philippe Auguste se disposoit à faire outre-mer.

Les seigneurs levoient quelquefois des tailles non pour eux, mais pour le roi. Les prélats en levoient en trois cas, 1°. pour l’ost ou la chevauchée du roi, 2°. pour le pape, 3°. pour la guerre que leur église avoit à soutenir.

Lorsque la taille se levoit pour l’ost du roi, elle duroit peu, parce que le ban qui étoit la convocation & assemblée des nobles & ecclesiastiques pour le service militaire, ne duroit alors que 40 jours.

En général les nobles & ecclésiastiques non mariés & non marchands ne payoient point de taille.

Les clercs mariés payoient la moitié de ce qu’ils auroient payé, s’ils n’eussent pas été clercs.

Les nobles & les clercs contribuoient même en certains lieux ou pour certains biens, suivant des lettres du mois d’Avril 1331, pour la sénéchaussée de Carcassonne, dans lesquelles il est dit que les nobles & ecclésiastiques avoient coutume ailleurs de contribuer aux tailles & collectes pour les maisons & lieux qu’ils habitoient.

On exempta aussi de la taille quelques autres personnes, telles que ceux qui étoient au service du roi, les baillis royaux, les ouvriers de la monnoie.

Les bourgeois & même les villains ne pouvoient aussi être imposés à la taille la premiere année qu’ils s’étoient croisés ; mais si la taille avoit été assise avant qu’ils se fussent croisés, ils n’en étoient affranchis que pour la seconde année, à moins qu’il ne se fît quelque levée pour l’armée : ce qui fait connoitre que l’imposition qui se faisoit pour l’ost & chevauchée du roi, étoit alors différente de la taille.

C’est ce que l’on trouve dans une ordonnance de Philippe Auguste de l’an 1214, touchant les croisés, où ce prince dit encore qu’ils ne sont pas exempts de l’ost & de la chevauchée, soit qu’ils aient pris la croix avant ou après la convocation.

Suivant cette même ordonnance, quand un croisé possédoit des terres sujettes à la taille, il en payoit la taille comme s’il n’étoit pas croisé : ce qui fait voir qu’il y avoit dès-lors deux sortes de taille, l’une personnelle qui étoit une espece de capitation dont les croisés étoient exempts, l’autre réelle qui étoit dûe pour les maisons & terres taillables, c’est-à-dire, roturieres ; les gentilshommes même payoient la taille pour une maison de cette espece, lorsqu’ils ne l’occupoient pas par eux-mêmes.

La taille fut levée par S. Louis en 1248, à l’occasion de la croisade qu’il entreprit pour la terre sainte ; mais ce n’étoit encore qu’une imposition extraordinaire.

Les lettres de ce prince du mois d’Avril 1250, contenant plusieurs réglemens pour le Languedoc, portent que les tailles qui avoient été imposées par le comte de Montfort, & qui peu après avoient été levées au profit du roi, tandis qu’il occupoit en paix ce pays, demeureroient dans le même état où elles avoient été imposées, & que s’il y avoit eu quelque chose d’ajouté, il seroit ôté.

Que si dans certains lieux il y avoit eu des confiscations considérables au profit du roi, la taille seroit diminuée à proportion jusqu’à ce que les héritages confisqués parvinssent à des gens taillables.

Il est encore dit que dans les lieux où il n’y auroit plus de taille, les anciens droits qui étoient dûs dans le pays d’Alby, & qui avoient cessé d’être payés depuis l’imposition des tailles, seront confisqués ; qu’à l’égard des tailles de Calvison & autres lieux des environs de Nismes & des places qui avoient été mises dans la main du roi, & qui servoient aux usages publics, on en composeroit suivant ce qui seroit juste.

Le roi permettoit quelquefois aux communes ou villes & bourgs érigés en corps & communautés, de lever sur elles-mêmes des tailles autant qu’il en falloit pour payer leurs dettes ou les intérêts qui en étoient échus.

Les Juifs levoient aussi quelquefois sur eux des tailles pour leurs affaires communes.

S. Louis fit un réglement pour la maniere d’asseoir & de lever la taille ; nous en avons déja parlé au mot Election.

La taille n’étoit pas encore perpétuelle sous le roi Jean en 1358, puisque Charles V. son fils, en qualité de lieutenant du royaume, promit que moyennant l’aide qui venoit d’être accordée par les états, toutes tailles & autres impositions cesseroient.

Dans une ordonnance du roi Jean lui-même du 20 Avril 1363, faite en conséquence de l’assemblée des trois états de la sénéchaussée de Beaucaire & de Nismes, il est parlé des charges que les peuples de ce pays avoient souffert & souffroient tous les jours par le fait des tailles qui avoient été imposées tant pour la rançon de ce prince que pour l’expulsion des ennemis, que pour les gages des gens d’armes & autres dépenses.

Les autres cas pour lesquels le roi levoit la taille, étoient pour la chevalerie de son fils ainé, pour le mariage de leurs filles. Ces tailles ne se levoient que dans les domaines du roi.

Dans ces mêmes occasions les vassaux du roi tailloient aussi leurs sujets pour payer au roi la somme dont ils devoient contribuer ; & ordinairement ils trouvoient bénéfice sur ces levées.

Ce ne fut qu’en 1445, sous le regne de Charles VII. que la taille fut rendue annuelle, ordinaire & perpétuelle. Elle ne montoit alors qu’à 1800000 liv. & la cotte de chacun étoit si modique, que l’on s’empressoit à qui en payeroit davantage.

Depuis ce tems les tailles ont été augmentées par degré & quelquefois diminuées ; elles montent présentement à une somme très-excédente.

La taille est personnelle ou plutôt mixte, c’est-à-dire, qu’elle s’impose sur les personnes à raison de leurs biens. En quelques provinces, comme en Languedoc, elle est réelle : ce sont les biens qui la doivent.

Dans les pays où la taille est personnelle, elle n’est dûe que par les roturiers ; les nobles & les ecclésiastiques en sont exempts. Il y a encore beaucoup d’autres personnes qui en sont exemptes, soit en vertu de quelque office, commission ou privilege particulier.

L’édit du mois de Novembre 1666 veut que tous sujets taillables qui se marieront avant ou dans leur vingtieme année, soient exempts de tailles jusqu’à ce qu’ils aient 25 ans. Mais l’arrêt d’enregistrement porte que ceux qui contracteront mariage en la vingt-unieme année de leur âge ou au-dessous, & qui prendront des fermes, seront taillables, à proportion du profit qu’ils y feront.

Le grand âge n’exempte point de la taille.

Le montant général de la taille & des autres impositions accessoires, telles que taillon, crue, ustensile, cavalier, quartier d’hiver, capitation, est arrêté tous les ans au conseil du roi ; on y fixe aussi la portion de ces impositions que chaque généralité doit supporter.

Il se fait ensuite deux départemens de ces impositions, l’un général, l’autre particulier.

Ce département général se fait sur chaque élection par les trésoriers de France en leur bureau, en conséquence du brevet ou commission qui leur est adressé par le roi. L’intendant préside au bureau, & après avoir oüi le rapport de celui qui a fait les chevauchées, on expédie en présence de l’intendant les attaches & ordonnances qui contiennent ce que chaque élection doit porter de taille.

Le département particulier sur chaque paroisse se fait aussi par l’intendant avec celui des trésoriers de France qui est député à cet effet, & trois des présidens & élus nommés & choisis par l’intendant ; on appelle à ce département le procureur du roi, le receveur des tailles & le greffier de l’élection.

Cette répartition faite, l’intendant & les officiers de l’élection adressent des mandemens aux maires & échevins, syndics & habitans de chaque paroisse, par lesquels il leur notifie que la paroisse est imposée à une telle somme pour le principal de la taille, crues & impositions y jointes.

Ce mandement porte aussi que cette somme sera par les collecteurs nommés à cet effet repartie sur les habitans, levée par les collecteurs, & payée ès mains du receveur des tailles en exercice, en quatre payemens égaux : le premier au 1er Décembre, le second au 1er Février, le troisieme au dernier Avril, le quatrieme au 1er Octobre.

Ces rôles se font ordinairement dans le mois de Novembre.

On y impose aussi 6 deniers pour livre de la taille attribués aux collecteurs pour leur droit de collecte, & une certaine somme pour le droit de scel, suivant le tarif.

Quand il y a quelque rejet à faire sur la paroisse, on ajoute la somme au rôle des tailles en vertu d’ordonnance de l’intendant.

Les taxes d’office sont marquées dans le mandement qui est adressé aux collecteurs, & doivent être par eux employées dans le rôle sans aucune diminution, si ce n’est qu’il fût survenu depuis quelque diminution dans les facultés du taillable.

Ceux qui étant taxés d’office, se prétendent surchargés, doivent se pourvoir par opposition devant l’intendant.

On ne doit pas comprendre dans les rôles des tailles les ecclésiastiques pour les biens d’église qu’ils possedent, les nobles vivant noblement, les officiers des cours supérieures, ceux du bureau des finances, ceux de l’élection qui ont domicile ou résidence dans le ressort d’icelle, & tous les officiers & privilégiés dont les privileges n’ont point été révoqués ou suspendus.

Les gens d’église, nobles vivans noblement, officiers de cour supérieure & secrétaires du roi ne peuvent faire valoir qu’une seule ferme du labour de quatre charrues à eux appartenante, les autres privilégiés une ferme de deux charrues seulement.

Les habitans qui vont demeurer d’une paroisse dans une autre, doivent le faire signifier aux habitans en la personne du syndic, avant le premier Octobre, & faire dans le même tems leur déclaration au greffe de l’élection dans laquelle est la paroisse où ils vont demeurer.

Nonobstant ces formalités, ceux qui ont ainsi transféré leur domicile, sont encore imposés pendant quelque tems au lieu de leur ancienne demeure, savoir les fermiers & laboureurs pendant une année, & les autres contribuables pendant deux, au cas que la paroisse dans laquelle ils auront transféré leur domicile, soit dans le ressort de la même élection, & si elle est d’une autre, les laboureurs continueront d’être imposés pendant deux années, & les autres contribuables pendant trois années.

Ceux dont les privileges ont été révoqués, qui transferent leur domicile dans des villes franches, abonnées ou tarifiées, sont compris pendant dix ans dans le rôle du lieu où ils avoient auparavant leur domicile.

Les habitans qui veulent être imposés dans le lieu de leur résidence pour tout ce qu’ils possedent ou exploitent en diverses paroisses, doivent en donner leur déclaration au greffe de l’élection avant le premier Septembre de chaque année.

Les rôles sont écrits sur papier timbré avec une marge suffisante pour y écrire les payemens.

Aussi-tôt que le rôle est fait, les collecteurs doivent le porter avec le double d’icelui à l’officier de l’élection qui a la paroisse dans son département, pour être par lui vérifié & rendu exécutoire.

Lorsqu’il est ainsi vérifie, il doit être lu par les collecteurs à la porte de l’église, à l’issue de la messe paroissiale, le premier dimanche ou jour de fête suivant.

Ceux qui étant cottisés à l’ordinaire, se prétendent surchargés, doivent se pourvoir devant les officiers de l’élection ; mais le rôle est toujours exécutoire par provision. Voyez le glossaire de du Cange & celui de Lauriere au mot taille, le code & le mémorial alphabétique des tailles, & les mots Aides, Collecteurs, Cotte, Surtaux. (A)

Taille abonnée, est celle qui est fixée pour toujours à une certaine somme.

L’abonnement est ou général pour une province, ou particulier pour une ville, bourg ou village.

Ces abonnemens se font en considération de la finance qui a été payée au roi pour l’obtenir.

Il y a des tailles seigneuriales qui ont été abonnées de même avec les seigneurs.

Pour l’abonnement de la taille royale on obtient des lettres en la grande chancellerie, par lesquelles, pour les causes qui y sont exprimées, sa majesté décharge un tel pays ou un tel lieu de toutes tailles moyennant la somme de …… qui sera payée par chacun an, au moyen de quoi, dans les commissions qui sont adressées pour faire le département des tailles, il est dit qu’un tel pays ou lieu ne sera taxé qu’à la somme de … pour son abonnement. (A)

Taille abournée, est la même que taille abonnée ou jugée. (A)

Taille annuelle, est celle qui se leve chaque année, à la différence de certaines tailles seigneuriales qui ne se levent qu’en certain cas & extraordinairement. Voyez Taille aux quatre cas. (A)

Taille ès cas accoutumés, c’est la taille seigneuriale dûe dans les cas déterminés par la coutume ou par les titres du seigneur. Voyez & Taille aux quatre cas. (A)

Taille ès cas imperiaux, étoit celle que les dauphins de Viennois levoient, comme plusieurs autres seigneurs en certains cas. On l’appelloit ainsi parce qu’apparemment les dauphins tiroient ce droit des empereurs, & on lui donnoit ce surnom pour la distinguer de la taille serve ou mortaille. Voyez l’hist. de Dauphiné par M. de Valbonay, quatrieme discours sur les finances. (A)

Taille comtale, tallia comitalis, étoit une taille générale que les dauphins étoient en possession de lever dans plusieurs de leurs terres, comme dans celle de Beaumont, de la Mure d’Oysans, de Vallouyse, de Queras, d’Exille & d’Aulx ; celle-ci étoit différente de l’ancienne taille ou mortaille, qui conservoit encore quelques traces de la servitude. La recette s’en faisoit sur tous les corps de la châtellenie ; elle étoit toujours réglée sur le même pié. On voit dans un compte de 1336, qu’elle y est distinguée du subside du seigneur, qui étoit apparemment le fouage. Cette taille comtale n’a pas été supprimée dans les lieux où elle étoit anciennement établie ; elle fait encore partie de la dotation du monastere de Montfleury, lequel a conservé les portions qui lui en furent cédées par le dauphin Humbert dans le tems de sa fondation. Voyez l’histoire de Dauphiné par M. de Valbonay, quatrieme discours sur les finances. (A)

Taille coutumiere, est celle qu’en vertu d’un ancien usage on a accoutumé de percevoir en certains tems de l’année. Ces tailles sont ainsi nommées dans plusieurs anciennes chartes, notamment dans la charte de commune de la ville de Laon en 1128. Les termes ordinaires étoient à la Toussaints, à Noël, à Pâque & à la St. Jean. Quelquefois la taille coutumiere ne se levoit que trois fois l’an, savoir en Août, Noël & Pâque. Voyez la coutume de Bourbonnois, art. 202.

Taille a discrétion, voyez Taille a volonté.

Taille domiciliaire, est la même chose que taille personnelle ; c’est celle que l’on paye au-lieu de son domicile. Voyez Collet sur les statuts de Bresse, part. 359. col. I.

Taille franche ou libre, est une taille seigneuriale qui ne rend point la personne serve, quoiqu’elle soit imposée sur son chef. Cette taille franche est dûe dans les cas portés par la coutume, ou fixés par l’usage ou la convention par l’homme franc, ou tenant heritage en franchise à devoir d’argent. Voyez la coutume de Bourbonnois, art. 189. celle de la Marche, art. 69 & 132. & les mots Mortaille, Taille serve & Taille mortaille.

Taille haut et bas, dans la coutume du duché de Bourgogne, est la taille aux quatre cas qui se leve sur les taillables hauts & bas, c’est-à-dire tant sur les vassaux & autres tenanciers libres, que sur les serfs & main-mortables. Voyez le ch. x. de cette coutume, art. 97.

Taille jugée ou abonnée est la même chose.

Taille jurée, étoit celle qui se payoit sans enquérir de la valeur des biens des habitans, parce qu’elle étoit abonnée & jugée. Il en est fait mention ès arrêts de Paris du 26 Mai & 1 Juin 1403, & 3 Juillet 1406 & dernier Mai 1477. Voyez le glossaire de M. de Lauriere, au mot taille.

Taille libre, ou franche, voyez ci-devant Taille franche.

Taille a merci, voyez ci-après Taille a volonté.

Taille a miséricorde, voyez ci-après Taille a volonté.

Taille mixte, est celle qui est partie personnelle, & partie réelle, c’est-à-dire qui est dûe par les personnes à proportion de leurs biens : dans tous les pays où la taille est proportionnelle, on peut dire qu’elle est mixte. Voyez Collet sur les statuts de Bresse, p. 362.

Taille mortaille, tributum mortalium, est celle que le seigneur leve sur ses hommes de corps & de condition servile ; savoir la taille une fois l’an, soit à la volonté du seigneur, ou selon quelque abonnement, & la mortaille se paye au décès seulement de l’homme serf sur les biens par lui délaissés, soit qu’il ait des enfans ou non. (A)

Tailles négociales, sont des tailles extraordinaires qui sont pour le général de la province, ou pour les lieux & les communautés particulieres. Voyez Collet sur les statuts de Bresse, p. 359.

Taille du pain et du vin, tallia panis & vini, étoit une levée qui se faisoit sur le pain & le vin en nature au profit du roi ou autre seigneur.

Suivant une charte de Philippe-Auguste, de l’an 1215, pour la ville d’Orléans, il est dit que cette levée seroit faite depuis deux ans.

Louis VIII. accorda en 1225 aux chanoines de l’église de Paris, que la taille du pain & du vin qui avoit coutume de se lever à Paris tous les trois ans, seroit levée par eux dans toute leur terre de Garlande, & dans le cloître St. Benoît, depuis le commencement des moissons, & depuis le commencement des vendanges jusqu’à la St. Martin d’hiver, & que depuis cette fête jusqu’à Pâques, le roi auroit ladite taille, excepté sur les propres blés & vins des chanoines, & autres personnes privilégiées.

Le roi levoit néanmoins les tailles sur les terres de certains seigneurs, & même de quelques églises, comme il paroît par une charte de Philippe le Hardi de l’an 1273, pour l’église de St. Merry de Paris, laquelle charte porte que le roi aura dans toute la terre de cette église & sur ses hôtes le droit de dan, le guet, la taille, host & chevauchée, la taille du pain & du vin, talliam panis & vini, les mesures, la justice, &c.

Dans une délibération de la chambre des comptes de Paris, de vers l’an 1320, il est dit qu’il seroit à propos que le roi fît refondre tous les vieux tournois & parisis qui étoient usés, que le roi est tenu de les tenir en bon point, ou état, car il en a la taille du pain & du vin de sa terre, &c. On voit par-là que cette taille étoit donnée au roi pour la fonte des monnoies. Voyez le glossaire de du Cange, au mot tallia, & Sauval aux preuves, p. 72 & 77. (A)

Tailles patrimoniales, on entendoit autrefois sous ce nom les impositions qui se faisoient pour les réparations des chemins, des ponts, des édifices publics & des décorations. Voyez Collet, sur les statuts de Bresse, p. 361.

Taille personnelle, est celle qui s’impose sur les personnes à proportion de leurs facultés ; elle est opposée à la taille réelle, qui est due par les biens, abstraction faite de la qualité des personnes. La taille personnelle a lieu dans dix-sept généralités. Voyez Taille réelle.

Taille de poursuite, est la taille serve qui se leve sur le main-mortable en quelque lieu qu’il se transporte. Voyez la coutume de Troies.

Taille proportionnelle, (Finances.) le beau rêve de l’abbé de St. Pierre ne s’accomplira-t-il jamais ? Avant sa mort la taille proportionnelle fut établie à Lizieux en 1717, & cet établissement transporta les habitans d’une telle joie, que les réjouissances publiques durerent pendant plusieurs jours. Depuis toutes les paroisses du pays supplierent instamment que la même grace leur fût accordée. Diverses villes présenterent d’un vœu unanime des placets. Des raisons qu’il ne nous appartient pas de deviner, firent rejetter ces demandes ; tant il est difficile de faire un bien dont chacun discourt beaucoup plus pour paroître le vouloir, que dans le dessein de le pratiquer ! La ville de Lizieux vit même avec douleur diverses atteintes données à une régie qui dans un seul jour rétablissoit l’aisance & les consommations. Un trait décisif achevera de donner une idée des avantages que le roi en retireroit ; l’imposition de 1718, avec les arrérages des cinq années précédentes, fut acquittée dans douze mois, sans frais ni discussion. Par un excès le plus capable peut-être de dégrader l’humanité, le bonheur commun fit des mécontens de tous ceux dont la prospérité dépend de la misere d’autrui. C’est alors que le peuple en gémissant s’écrie, si le Prince étoit servi comme nous l’aimons !

Depuis ce tems on a essayé d’introduire la même nature d’imposition en diverses provinces du royaume ; mais elle n’a point réussi dans les campagnes, parce qu’on l’a dénaturée en voulant imposer le fermier à raison de son industrie particuliere, au-lieu de l’imposer uniquement à raison de l’occupation du fonds : dès-lors l’arbitraire continue ses ravages, éteint toute émulation, & tient la culture dans l’état languissant où nous la voyons. C’étoit précisément sur cette répartition plus juste des tailles que se fondoient les plus grandes espérances pour l’avenir ; parce qu’on voyoit clairement qu’augmenter l’aisance du peuple, c’est augmenter les revenus du prince. Considérat. sur les finances. Voyez Taille. (D. J.)

Taille aux quatre cas, est une taille seigneuriale que dans certains lieux les seigneurs ont droit de lever sur leurs hommes taillables en quatre cas différens.

On l’appelle taille aux quatre cas, parce qu’elle se leve communément dans quatre cas qui sont les plus usités ; savoir, pour voyage d’outre-mer du seigneur, pour marier ses filles, pour sa rançon quand il est fait prisonnier, & pour faire son fils chevalier.

Quelques coutumes n’admettent que trois cas.

Dans les pays de droit écrit, cette taille est perçue en certains lieux dans sept ou huit cas, selon que les seigneurs ont été plus ou moins attentifs à étendre ce droit par leurs fermiers. Les barons de Neuf-Châtel en Suisse la levoient dans un cinquieme cas ; savoir, pour acheter de nouvelles terres.

En pays coutumier, ce droit ne se leve ordinairement qu’en vertu d’un titre ; les coutumes qui l’admettent sont celles d’Anjou & Maine, Normandie, Bretagne, Auvergne, Bourbonnois, Bourgogne, Lodunois, Poitou, Tours. Les trois premieres ne reconnoissent que trois cas, les autres en admettent quatre.

Dans la coutume de Bourgogne ce droit est appellé aide, en Normandie, aide-chevel ; en Poitou & ailleurs, loyaux-aides ; en Anjou & Maine, doublage ; en Bourbonnois, quête ou taille aux quatre cas ; en Forez, droit de muage ; en d’autres lieux, droit de complaisance, coutumes volontaires.

L’origine de ce droit est fort ancienne. Quelques uns la tirent des Romains, chez lesquels les cliens étoient obligés d’aider leurs patrons lorsque ceux-ci manquoient d’argent, & qu’il s’agissoit de se rédimer eux ou leurs fils de captivité, ou de marier leurs filles.

D’autres rapportent cet usage au tems de l’institution des fiefs.

Quoi qu’il en soit, il paroît qu’au commencement cette taille ne consistoit qu’en dons & présens volontaires que les vassaux & tenanciers faisoient à leurs seigneurs dans des cas où il avoit besoin de secours extraordinaires, que les seigneurs ont depuis tourné en obligation & en droit.

Cette taille extraordinaire est différente de la taille à volonté, à miséricorde & à merci, qui sont aussi des tailles seigneuriales, mais qui ne se levent que sur les serfs, à la différence de la taille aux quatre cas, qui est aussi due par les vassaux & autres tenanciers non main-mortables.

Le cas de chevalerie étoit autrefois lorsque l’on recevoit la ceinture ou le baudrier ; présentement c’est lorsque l’on reçoit le collier de l’ordre du Saint-Esprit, qui est le premier ordre du roi.

Le cas de rançon n’a lieu que quand le seigneur est pris prisonnier portant les armes pour le service du roi.

Quand les titres ne fixent pas la quotité de la taille aux quatre cas, l’usage est de doubler les cens & rentes des emphitéotes, c’est pourquoi quelques coutumes appellent ce droit doublage.

Cette taille est différente de la taille à volonté, qui est annuelle & ordinaire.

Chaque seigneur ne peut la lever qu’une fois en sa vie dans chacun des cas dont on a parlé ; encore les voyages d’outre-mer n’ont-ils plus lieu, ni les cas de rançon, vû que le service militaire ne se fait plus pour les fiefs, si ce n’est en cas de convocation du ban & de l’arriere-ban ; mais dans ce cas même les prisonniers de guerre ne payent plus eux-mêmes leur rançon.

A l’égard du cas de mariage, quelques coutumes ne donnent la taille que pour le premier mariage de la fille aînée, d’autres pour le premier mariage de chaque fille.

Les coutumes qui admettent cette taille sont celles de Normandie, Bretagne, Auvergne, Bourbonnois, Bourgogne, Anjou, Maine, Lodunois, Poitou, Tours ; elles ne reconnoissent en général que quatre cas, Anjou & Maine n’en admettent même que trois.

Dans les pays de droit écrit on en admet un plus grand nombre, ce qui dépend de la jurisprudence de chaque parlement.

En général la quotité de cette taille, & les cas où elle peut-être perçue, descendent des titres & de l’usage, lesquels ne doivent point recevoir d’extension, ces droits étant peu favorables.

Ce droit est pourtant imprescriptible parce qu’il est de pure faculté, à-moins qu’il n’y eût eu refus & contradiction de la part du taillable, auquel cas la prescription courroit seulement du jour de la contradiction. Voyez Cujas, liv. II. de fundis, tit. 7. Dolive, liv. II. ch. vij. Lapeirere, let. T, n°. 8. Despeisses, tom. III. tit. 6. sect. 1. Salvaing, des fiefs, ch. xljx. (A)

Taille raisonnable ou a volonté raisonnable. Voyez Taille a merci, a plaisir & a volonté.

Taille réelle, est celle qui est dûe par les héritages taillables, abstraction faite de la qualité du propriétaire, soit qu’il soit noble ou non.

Les héritages sujets à la taille réelle sont les biens roturiers, il n’y a d’exempts que les héritages nobles.

Le clergé & la noblesse, & autres privilégiés, payent la taille réelle pour les héritages roturiers ; elle est établie en Languedoc, Guyenne, Provence & Dauphiné.

Taille serve, est celle qui ne se leve que sur les personnes de condition serve & qui les rend mortaillables ou mainmortables. Voyez Mainmorte, Mortaille, Taille franche, & les coutumes de Bourbonnois, art. 189. & la Marche, art. 69. & 132.

Taille tarifée, est la même chose que la taille proportionnelle.

Taille a volonté ou a discretion, a merci ou a misericorde, ad beneplacitum, c’est une taille serve que le seigneur leve annuellement sur ses hommes ; on l’appelle taille à volonté, non pas que le seigneur soit le maître de la lever autant de fois que bon lui semble, mais parce-que dans l’origine le seigneur faisoit son rôle aussi fort & aussi léger qu’il le vouloit ; présentement il se fait arbitrio boni viri, & selon la possibilité. Voyez la Peyrere, lettre T. n. 8.

L’historique de cette imposition est court, mais les réflexions sur la nature de la chose sont importantes.

Les états généraux de France, dit M. de Voltaire, ou plutôt la partie de la France qui combattoit pour son roi Charles VII. contre l’usurpateur Henri V. accorda généreusement à son maître une taille générale en 1426, dans le fort de la guerre, dans la disette, dans le tems même où l’on craignoit de laisser les terres sans culture. Les rois auparavant vivoient de leurs domaines, mais il ne restoit presque plus de domaines à Charles VII. & sans les braves guerriers qui se sacrifierent pour lui & pour la patrie, sans le connétable de Richemont qui le maîtrisoit, mais qui le servoit à ses dépens, il étoit perdu.

Bientôt après les cultivateurs qui avoient payé auparavant des tailles à leurs seigneurs dont ils avoient été serfs, payerent ce tribut au roi seul dont ils furent sujets. Ce n’est pas que, suivant plusieurs auteurs, les peuples n’eussent payé une taille dès le tems de saint Louis, mais ils le firent pour se délivrer des gens de guerre, & ils ne la payerent que pendant un tems ; au-lieu que depuis Charles VII. la taille devint perpétuelle, elle fut substituée au profit apparent que le roi faisoit dans le changement des monnoies.

Louis XI. augmenta les tailles de trois millions, & leva pendant vingt ans quatre millions sept cens mille livres par an, ce qui pouvoit faire environ vingt trois millions d’aujourd’hui, au-lieu que Charles VII. n’avoit jamais levé par an que dix huit cens mille livres.

Les guerres sous Louis XII. & François I. augmenterent les tailles, mais plusieurs habitans de la campagne ne pouvant les payer, vinrent se réfugier à Paris, ce qui fut la cause de son accroissement & du dommage des terres.

Ce fut bien pis sous Henri III. en 1581, car les tailles avoient augmenté depuis le dernier regne d’environ vingt millions.

En 1683 les tailles montoient à trente-cinq millions de livres, ou douze cens quatre-vingt-seize mille deux cens quatre-vingt-seize marcs d’argent, ce qui fait sept pour cent de la masse de l’argent qui existoit alors. Aujourd’hui, c’est-à-dire avant les guerres de 1754, les recettes générales de la taille & de la capitation, étoient estimées à soixante & douze millions de livres, ou quatorze cens quarante mille marcs d’argent, ce qui fait environ six pour cent de la masse de l’argent. Il paroît d’abord que la charge des campagnes de France est moins pesante qu’alors, proportionnellement à nos richesses ; mais il faut observer que la consommation est beaucoup moindre, qu’il y a beaucoup moins de bestiaux dans les campagnes, & que le froment vaut moins de moitié ; au-lieu qu’il auroit dû augmenter de moitié. Mais passons à quelques réflexions sur l’impôt en lui-même ; je les tirerai de nos écrivains sur cette matiere.

M. de Sully regardoit l’impôt de la taille comme violent & vicieux de sa nature, principalement dans les endroits où la taille n’est pas réelle. Une expérience constante lui avoit prouvé qu’il nuit à la perception de tous les autres subsides, & que les campagnes avoient toujours dépéri à mesure que les tailles s’étoient accrues. En effet, dès qu’il y entre de l’arbitraire, le laboureur est privé de l’espérance d’une propriété, il se décourage ; loin d’augmenter sa culture il la néglige pour peu que le fardeau s’appesantisse. Les choses sont réduites à ce point parmi les taillables de l’ordre du peuple, que celui qui s’enrichit n’ose consommer, & dès-lors il prive les terres du produit naturel qu’il voudroit leur fournir jusqu’à ce qu’il soit devenu assez riche pour ne rien payer du-tout. Cet étrange paradoxe est parmi nous une vérité que les privileges ont rendu commune.

L’abus des privileges est ancien ; sans cesse attaqué, quelquefois anéanti, toujours ressuscité peu de tems après, il aura une durée égale à celle des besoins attachés au maintien d’un grand état, au desir naturel de se soustraire aux contributions, & plus encore aux gênes & à l’avilissement. Les privileges sont donc onéreux à l’état, mais l’expérience de tant de siecles devroit prouver qu’ils sont enfantés par le vice de l’impôt, & qu’ils sont faits pour marcher ensemble.

Un premier président de la cour des aides, M. Chevalier, a autrefois proposé de rendre la taille réelle sur les biens. Par cette réforme le laboureur eût été véritablement soulagé ; ce nombre énorme d’élus & officiers qui vivent à ses dépens devenoit inutile ; les frais des exécutions étoient épargnés ; enfin le roi étoit plus ponctuellement payé. Malgré tant d’avantages, l’avis n’eut que trois voix. Ce fait est facile à expliquer ; l’assemblée étoit composée d’ecclésiastiques, de gentilshommes, de gens de robe, tous riches propriétaires de terres, & qui n’en connoissant pas le véritable intérêt, craignirent de se trouver garants de l’imposition du laboureur, comme si cette imposition leur étoit étrangere. N’est-ce pas en déduction du prix de la ferme, & de la solidité des fermiers, que se payent les contributions arbitraires ? La consommation des cultivateurs à leur aise ne retourneroit-elle pas immédiatement au propriétaire des terres ? Ce que la rigueur de l’impôt & la misere du cultivateur font perdre à la culture, n’est-il pas une perte réelle & irréparable sur leur propriété ?

Les simples lumieres de la raison naturelle développent d’ailleurs les avantages de cette taille réelle, & il suffit d’avoir des entrailles pour desirer que son établissement fût général, ou du-moins qu’on mit en pratique quelque expédient d’une exécution plus simple & plus courte, pour le soulagement des peuples.

Il y auroit beaucoup de réflexions à faire sur l’imposition de la taille. Est-il rien de plus effrayant, par exemple, que ce droit de suite pendant dix ans sur les taillables qui transportent leur domicile dans une ville franche, où ils payent la capitation, les entrées, les octrois, & autres droits presque équivalens à la taille ? Un malheureux journalier qui ne possede aucun fonds dans une paroisse, qui manque de travail, ne peut aller dans une autre où il trouve de quoi subsister sans payer la taille en deux endroits pendant deux ans, & pendant trois s’il passe dans une troisieme élection. J’entends déjà les gens de loi me dire, que c’est une suite de la loi qui attachoit les serfs à la terre. Je pourrois répondre, que tous les taillables ne sont pas, à beaucoup près, issus de serfs ; mais sans sonder l’obscurité barbare de ces tems-là, il s’agit de savoir si l’usage est bon ou mauvais, & non pas de connoître son origine. Les rois trouverent avantageux pour eux & pour leur état d’abolir les servitudes, & comme l’expérience a justifié leur sage politique, il ne faut plus raisonner d’après les principes de servitude. (D. J.)

Taille, s. f. terme de Chirurgie, c’est l’opération de la lithotomie, par laquelle on tire la pierre de la vessie. Voyez Calcul.

Cette opération est une des plus anciennes de la Chirurgie ; on voit par le serment d’Hippocrate qu’on la pratiquoit de son tems, mais on ignore absolument la maniere dont elle se faisoit. Aucun auteur n’en a parlé depuis lui jusqu’à Celse, qui donne une description exacte de cette opération. L’usage s’en perdit dans les siecles suivans ; & au commencement du seizieme, il n’y avoit personne qui osât la pratiquer, du-moins sur les grands sujets. Les vestiges que l’ancienne Chirurgie a laissés de l’opération de la taille ne sont que les traces d’une timidité ignorante : la plûpart de ceux qui avoient la pierre, ne trouvoient aucun soulagement : les enfans pouvoient espérer quelque ressource jusqu’à l’âge de quatorze ans ; après cet âge, l’art étoit stérile pour eux.

C’est en France qu’on a d’abord tenté d’étendre ce secours sur tous les âges ; les tentatives effrayerent ; les préjugés des anciens médecins les rendoient suspectes. Selon Hippocrate, les plaies de la vessie étoient mortelles. Germain Collot méprisa enfin cette fausse opinion ; pour tirer la pierre, il imagina une opération nouvelle. Ce cas est célebre dans notre histoire. Voyez l’histoire de Louis XI. par Varillas, page 340. Un archer de Bagnolet (d’autres disent un franc-archier de Meudon) étoit condamné à mort ; heureusement pour lui, il avoit une maladie dangereuse. Le détail n’en est pas bien connu ; l’ignorance des tems l’a obscurci ; la description qu’en ont donnée les historiens, est confuse & contradictoire : on y entrevoit seulement que ce misérable avoit la pierre. Mezeray assure sans fondement que cette pierre étoit dans les reins ; il paroît évident qu’elle étoit dans la vessie. Quoi qu’il en soit, il ne dut la vie qu’à sa pierre. L’opération qui pouvoit le délivrer de ses maux, fit la seule punition des crimes qu’il avoit commis : c’étoit un essai qui paroissoit cruel ; on ne voulut pas même y soumettre ce misérable par la violence ; on le lui proposa comme à un homme libre, & il le choisit. Germain Collot tenta l’opération avec une hardiesse éclairée, & le malade fut parfaitement rétabli en quinze jours. Voyez les recherches historiques sur l’origine, sur les divers états, & sur les progrès de la Chirurgie en France, Paris 1744. La plus ancienne des méthodes connues de faire l’opération de la taille est celle de Celse, à laquelle on a donné le nom de petit appareil. Voici la maniere d’y procéder.

Méthode de Celse ou petit appareil. Un homme robuste & entendu, dit cet auteur, lib. VII. c. xxvj. s’assied sur un siege élevé, & ayant couché l’enfant sur le dos, lui met d’abord ses cuisses sur les genoux ; ensuite lui ayant plié les jambes, il les lui fait écarter avec soin, lui place les mains sur ses jarrets, les lui fait étendre de toutes ses forces, & en même tems les assujettit lui-même en cette situation ; si néanmoins le malade est trop vigoureux pour être contenu par une seule personne, deux hommes robustes s’asseyent sur deux sieges joints ensemble, & tellement attachés qu’ils ne puissent s’écarter. Alors le malade est situé de la même maniere que je viens de le dire, sur les genoux de ces deux hommes, dont l’un lui écarte la jambe gauche, & l’autre la droite, selon qu’ils sont placés, tandis que lui-même embrasse fortement ses jarrêts.

Mais soit qu’il n’y ait qu’un homme qui tienne le malade, ou que deux fassent cette même fonction, les épaules du malade sont soutenues par leur poitrine, ce qui fait que la partie d’entre les îles qui est au-dessus du pubis est tendue sans aucunes rides, & que la vessie occupant pour-lors un moindre espace, on peut saisir la pierre avec plus de facilité ; de plus, on place encore à droite & à gauche deux hommes vigoureux, qui soutiennent & empêchent de chanceler celui ou ceux qui tiennent l’enfant. Ensuite l’opérateur, de qui les ongles sont bien coupés, introduit dans l’anus du malade le plus doucement qu’il lui est possible l’index & le doigt du milieu de la main gauche, après les avoir trempés dans l’huile, tandis qu’il applique légerement les doigts de la main droite sur la région hypogastrique, de peur que les doigts venant à heurter violemment la pierre, la vessie ne se trouvât blessée. Mais il ne s’agit pas ici, comme dans la plûpart des autres opérations, de travailler avec promptitude, il faut principalement s’attacher à opérer avec sûreté ; car lorsque la vessie est une fois blessée, il s’ensuit souvent des tiraillemens & distensions des nerfs qui mettent les malades en danger de mort. D’abord il faut chercher la pierre vers le col de la vessie ; & lorsqu’elle s’y trouve, l’opération en est moins laborieuse. C’est ce qui m’a fait dire qu’il ne falloit en venir à l’opération, que lorsqu’on est assuré par des signes certains que la pierre est ainsi placée ; mais si la pierre ne se trouve pas vers le col de la vessie, ou qu’elle soit placée plus avant, il faut d’un côté passer les doigts de la main gauche jusqu’au fond de la vessie, tandis que la main droite continue d’appuyer sur l’hypogastre jusqu’à ce que la pierre y soit parvenue. La pierre une fois trouvée, ce qui ne peut manquer d’arriver en suivant la méthode prescrite, il faut la faire descendre avec d’autant plus de précaution, qu’elle est plus ou moins petite, ou plus ou moins polie, de peur qu’elle n’échappe, & qu’on ne soit obligé de trop fatiguer la vessie ; c’est pourquoi la main droite posée au-delà de la pierre s’oppose toujours à son retour en arriere, pendant que les deux doigts de la main gauche la poussent en en-bas, jusqu’à ce qu’elle soit arrivée au col de la vessie, vers lequel, si la pierre est de figure oblongue, elle doit être poussée, de façon qu’elle ne sorte point par l’une de ses extrémités ; si elle est plate, de maniere qu’elle sorte transversalement ; la quarrée doit être placée sur deux de ses angles, & celle qui est plus grosse par un de ses bouts, doit sortir par celle de ses extrémités qui est la moins considérable ; à l’égard de la pierre de figure ronde, on sait qu’il importe peu de quelle maniere elle se présente ; si néanmoins elle se trouvoit plus polie par une de ses parties, cette partie la plus lisse doit passer la premiere.

Lorsque la pierre est une fois descendue au col de la vessie, il faut faire à la peau vers l’anus une incision en forme de croissant qui pénetre jusqu’au col de la vessie, & dont les extrémités regardent un peu les cuisses ; ensuite il faut encore faire dans la partie la plus étroite de cette premiere ouverture & sous la peau une seconde incision transversale qui ouvre le col de la vessie, jusqu’à ce que le conduit de l’urine soit assez dilaté, pour que la grandeur de la plaie surpasse celle de la pierre, car ceux qui par la crainte de la fistule, que les Grecs appellent οὐρορυόδα, ne font qu’une petite ouverture, tombent, & même avec plus de danger, dans l’inconvénient qu’ils prétendent éviter, parce que la pierre venant à être tirée avec violence, elle se fait elle-même le chemin qu’on ne lui a pas fait suffisant, & il y a même d’autant plus à craindre, suivant la figure & les asperités de la pierre : de là peuvent naître en effet des hémorragies & des tiraillemens & divulsions dans les nerfs ; & si le malade est assez heureux pour échapper à la mort, il lui reste une fistule qui est beaucoup plus considérable par le déchirement du col, qu’elle ne l’auroit été si on y avoit fait une incision suffisante.

L’ouverture une fois faite, on découvre la pierre dont le corps & la figure sont souvent très-différens ; c’est pourquoi si elle est petite, on la pousse d’un côté avec les doigts, tandis qu’on l’attire de l’autre. Mais si elle se trouve d’un volume considérable, il faut introduire par-dessus la partie supérieure un crochet fait exprès pour cela : ce crochet est mince en son extrémité, & figuré en espece de demi-cercle, applati & mousse, poli du côté qui touche les parois de la plaie, & inégal de celui qui saisit la pierre : dès qu’on l’a introduit, il faut l’incliner à droit & à gauche pour mieux saisir la pierre & s’en rendre le maître, parce que dans le même instant qu’on l’a bien saisie, on penche aussi-tôt le crochet : il est nécessaire de prendre toutes ces précautions, de peur qu’en voulant retirer le crochet, la pierre ne s’échappe au-dedans, & que l’instrument ne heurte contre les levres de la plaie, ce qui seroit cause des inconvéniens dont j’ai déjà parlé.

Quand on est sûr qu’on tient suffisamment la pierre, il faut faire presque en même tems trois mouvemens, deux sur les côtés & un en-devant, mais les faire doucement, de façon que la pierre soit d’abord amenée peu-à-peu en-devant ; ensuite il faut élever l’extrémité du crochet, afin que l’instrument soit plus engagé sous la pierre, & la fasse sortir avec plus de facilité ; que s’il arrive qu’on ne puisse pas saisir commodément la pierre par sa partie supérieure, on la prendra par sa partie latérale, si on y trouve plus de facilité ; voilà la maniere la plus simple de faire l’opération.

Celse dit plus loin, que Mege imagina un instrument droit, dont le dos étoit large, le tranchant demi-circulaire & bien affilé ; il le prenoit entre l’index & le doigt du milieu, en mettant le pouce par-dessus, & le conduisoit de façon qu’il coupoit d’un seul coup tout ce qui faisoit saillie sur la pierre.

Telle est la description que Celse fait de la lithotomie. Tous les auteurs qui l’ont suivi, n’ont presque fait que le copier. Gui de Chauliac donna assez de réputation à cette méthode, pour qu’elle en prît le nom ; & c’est à elle que l’art a été borné jusqu’au commencement du xvj. siecle. Elle ne peut être pratiquée que sur des petits sujets, & la chirurgie étoit absolument sans ressource pour les grands, à-moins que la pierre ne fût engagée dans le col de la vessie ; car hors cette circonstance, il n’est pas possible d’atteindre la pierre avec les doigts, & de la fixer au périnée.

C’est cette opération à laquelle on a donné depuis le nom de petit appareil. On appelle encore ainsi l’incision qu’on fait sur la pierre engagée dans l’uretre. Pour la pratiquer on tire un peu la peau de côté ; on incise la peau, & le canal de l’uretre dans toute l’étendue de la pierre ; on la tire avec le bout d’une sonde, ou une petite curette. La peau reprenant sa situation naturelle, couvre l’ouverture qu’on a faite à l’uretre, & empêche que l’urine ne sorte par la plaie, qui très-souvent est guerie en vingt-quatre heures.

Du grand appareil. La méthode de Celse étoit une méthode imparfaite à plusieurs égards : les grands sujets attaqués de la pierre étoient abandonnés aux tourmens & au désespoir. Le petit appareil étoit la ressource des seuls enfans ; encore cette opération se faisoit ridiculement. Gui de Chauliac prescrivoit la précaution de faire sauter le malade, pour que la pierre se précipitât vers les parties inférieures. On fouilloit sans lumiere dans la vessie, on n’avoit aucun égard à la structure & à la position des parties que le fer intéressoit. Enfin on chercha des regles pour conduire les instrumens avec certitude ; Germain Collot tenta le premier une opération nouvelle qu’il imagina. Cette tentative entreprise avec une hardiesse éclairée, donna les plus grandes espérances ; le malade qui en fut le sujet fut parfaitement gueri en moins de 15 jours, comme nous l’avons dit au commencement de cet article.

Cette opération, malgré de si heureux commencemens, est restée long-tems dans l’oubli. Jean des Romains rechercha la route qu’on pouvoit ouvrir à la pierre, & enfin par ses travaux l’art de la tirer dans tous les âges devint un art éclairé. Marianus Sanctus son disciple, publia cette méthode en 1524. Elle a souffert en différens tems & chez différentes nations des changemens notables en plusieurs points, & principalement dans l’usage des instrumens.

Pour la pratiquer, on fait situer le malade convenablement. Voyez Liens. On lui passe un cacheter dans la vessie, sur lequel on fait avec un lithotome à lancette, une incision commune à la peau & à l’uretre, avec les précautions que nous avons prescrites en parlant de l’opération de la boutonniere ; laquelle ne differe point de l’ancienne méthode de faire le grand appareil pour l’extraction de la pierre.

Les bornes de cette incision exposoient les malades, pour peu que leurs pierres eussent de volume, à des contusions & à des déchiremens dont les suites étoient presque toujours fâcheuses ; après l’incision, on mettoit le conducteur mâle dans la cannelure de la sonde, & on le poussoit jusque dans la vessie. On glissoit un dilatatoire sur le conducteur, afin d’écarter tout le passage, on retiroit le dilatatoire pour placer le conducteur femelle, & à la faveur de ces deux instrumens on portoit une tenette dans la vessie pour tirer la pierre.

Toutes ces précautions ne mettoient point à l’abri du déchirement & de la contusion du col de la vessie. On sentit la nécessité d’étendre davantage l’ouverture vers cette partie. C’est cette coupe à laquelle on a donné le nom de coup de maître : elle a donné lieu à la variation des lithotomes, comme nous l’avons expliqué à cet article. Voyez Lithotome.

M. Maréchal a supprimé le dilatatoire ; il suppléa à son usage par l’écartement des branches de la tenette, lorsqu’elle est introduite dans la vessie. Il trouva de même qu’il étoit moins embarrassant de se servir du gorgeret que des conducteurs, & il abandonna totalement ceux-ci. Voyez Gorgeret.

Quelque perfection qu’on ait tâché de donner à cette opération, elle a des défauts essentiels : la division forcée d’une portion de l’uretre, du col de la vessie, & de son orifice, la contusion des prostates, leur séparation du col de la vessie, comme si elles eussent été disséquées, sont des marques du délabrement qui suit nécessairement cette opération. Si la pierre est grosse, & que le malade ait eu le bonheur d’échapper aux accidens primitifs de l’opération, il reste le plus souvent incommodé d’une incontinence d’urine, & souvent de fistules. La considération de ces inconvéniens & du danger absolu de cette méthode, a fait recouvrir au haut appareil, ou taille hypogastrique, opération au moyen de laquelle on tire la pierre hors de la vessie par une incision que l’on fait à son fond, à la partie inférieure du bas-ventre, au-dessus de l’os pubis. On doit cette méthode à Franco, chirurgien provençal. Voyez Haut appareil.

Corrections du grand appareil, connu sous le nom d’appareil latéral. Le grand appareil, tel que nous l’avons décrit, consiste à faire une incision au périnée parallellement & à côté du raphé : cette incision, comme nous l’avons dit, a été étendue inférieurement du côté du col de la vessie par une coupe interne. Pour la faire cette coupe interne, sans risque de couper le rectum, on a diminué la largeur du lithotome, on l’a même échancré, pour que le tranchant supérieur pût glisser dans la cannelure de la sonde, en s’ajustant à sa convexité. Voyez Lithotome. Toutes ces précautions, & l’attention tant recommandée de ne point faire violemment l’extraction de la pierre, & d’en préparer le passage par des dilatations lentes au moyen de l’écartement des branches des tenettes, précédé de l’introduction du doigt trempé dans l’huile rosat tiede, & coulé dans la gouttiere du gorgeret, toutes ces précautions & ces attentions ne mettent point à l’abri des accidens que nous avons rapportés. Il n’est pas possible d’ouvrir à toutes les pierres un passage qui leur soit proportionné, & l’on ne peut éviter un délabrement fâcheux, pour peu que la pierre ait de volume, parce qu’on est obligé de la tirer par la partie la plus étroite de l’angle que forment les os pubis par leur réunion. On est même fort borné pour l’incision des tégumens ; on ne peut la porter en-bas à cause du rectum ; & si on coupe trop haut, la peau des bourses qu’on a été obligé de tirer vers l’os pubis, se remettant dans sa situation naturelle, recouvre toute la partie supérieure de l’incision de l’uretre, ce qui donne lieu à l’infiltration de l’urine & de la matiere de la suppuration dans le tissu graisseux du scrotum, source des abscès qui surviennent fréquemment à cette méthode, & dont on accuse, souvent mal-à-propos, celui qui a troussé les bourses.

On évite ces inconvéniens en faisant une incision oblique qui commence un peu au-dessus de l’endroit où finit celle du grand appareil décrit, & qui se porte vers la tubérosité de l’ischion. C’est à cette coupe oblique & plus inférieure que celle du grand appareil ordinaire, que les modernes ont donné le nom d’appareil latéral. Mais doit-on donner ce nom à une méthode qui ne permet l’entrée de la vessie qu’en ouvrant l’uretre & le col de cet organe ? La taille de frere Jacques n’étoit que le grand appareil ; son peu de lumieres en anatomie, sur-tout dans les premiers tems, permet de croire qu’il n’étoit que l’imitateur d’un homme plus éclairé que lui, à qui il avoit vu pratiquer cette opération qu’on croyoit nouvelle. On lit dans Fabricius Hildanus, lib. de lithotom. vesicæ, que l’incision de la taille au grand appareil se doit faire obliquement, ab osse pubis versus coxam sinistram. La pratique de notre opération au grand appareil étoit défectueuse ; c’étoit un des effets de la décadence de la chirurgie par l’état d’avilissement où elle avoit été plongée quarante ans auparavant que frere Jacques se fît connoître en France. Voyez le mot Chirurgien.

De l’opération de frere Jacques. Frere Jacques étoit une espece de moine originaire de Franche-Comté, qui vint à Paris en 1697. Il s’annonça comme possesseur d’un nouveau secret pour la guérison de la pierre. Il fit voir aux magistrats une quantité de certificats qui attestoient son adresse à opérer. Il obtint la permission de faire des essais de sa méthode à l’hôtel-Dieu sur des cadavres, sous les yeux des chirurgiens & des médecins de cet hôpital. M. Mery, qui en étoit alors chirurgien major, fut pareillement chargé par M. le premier président d’examiner les épreuves de frere Jacques, & de lui en faire son rapport.

M. Mery dit que « frere Jacques ayant introduit dans la vessie une sonde solide, exactement ronde, sans rainure, & d’une figure différente de celles des sondes dont se servent ceux qui taillent suivant l’ancienne méthode, il prit un bistouri semblable à ceux dont on se sert ordinairement, mais plus long, avec lequel il fit une incision au côté gauche & interne de la tubérosité de l’ischium, & coupant obliquement de bas en haut, en profondant, il trancha tout ce qui se trouva de parties depuis la tubérosité de l’ischium jusqu’à sa sonde qu’il ne retira point. Son incision étant faite, il poussa son doigt, par la plaie, dans la vessie, pour reconnoître la pierre. Et après avoir remarqué sa situation, il introduisit dans la vessie un instrument (qui avoit à-peu-près la figure d’un fer à polir de relieur) pour dilater la plaie, & rendre par ce moyen la sortie de la pierre plus facile sur ce dilatatoire qu’il appelloit son conducteur, il poussa une tenette dans la vessie, & retira aussitôt ce conducteur ; & après avoir cherché & chargé la pierre, il retira la sonde de l’uretre, & ensuite sa tenette avec la pierre de la vessie par la plaie, ce qu’il fit avec beaucoup de facilité, quoique la pierre fût à-peu-près de la grosseur d’un œuf de poule.

» Cette opération étant faite, je disséquai, continue M. Méry, en présence de MM. les médecins & chirurgiens de l’hôtel-Dieu, les parties qui avoient été coupées. Par la dissection que j’en fis, & en les comparant avec les mêmes parties opposées que je disséquai aussi, nous remarquâmes que frere Jacques avoit d’abord coupé des graisses environ un pouce & demi d’épaisseur, qu’il avoit ensuite conduit son scalpel entre le muscle érecteur & accélérateur gauche sans les blesser, & qu’il avoit enfin coupé le col de la vessie dans toute sa longueur par le côté, à environ demi-pouce du corps même de la vessie. »

Sur ce rapport on permit à frere Jacques de faire son opération sur les vivans. Il tailla environ cinquante personnes ; mais le succès ne répondit pas à ce qu’on en attendoit ; on fit de nouveau l’examen des parties blessées, & on reconnut que les unes étoient tantôt intéressées, & tantôt les autres, en sorte qu’on peut dire de frere Jacques qu’il n’avoit point de méthode ; car une méthode de tailler doit être une maniere de tailler suivant une regle toujours constante, au moyen de laquelle on entame les mêmes parties toutes les fois. Ce sont les termes de M. Morand, dans ses Recherches sur l’opération latérale insérées dans les Mém. de l’ac. royale des Scienc. ann. 1731. Frere Jacques n’avoit donc point de méthode : il entamoit la vessie, tantôt dans son col tantôt dans son corps ; il séparoit quelquefois le col du corps ; souvent il traversoit la vessie, & l’ouvroit en deux endroits ; enfin il intéressoit l’intestin rectum qui ne doit point être touché dans cette opération, &c.

M. Méry publia en 1700 un traité sous le titre d’Observations sur la maniere de tailler dans les deux sexes pour l’extraction de la pierre, pratiquée par frere Jacques. L’auteur releve vivement toutes les fautes commises par le nouveau lithotomiste, en donnant des louanges à sa fermeté inébranlable dans l’opération.

Frere Jacques profita de la critique de M. Mery & des conseils qui lui furent donnés par MM. Fagon & Felix, premiers médecin & chirurgien du roi. La principale cause des désordres de l’opération venoit du défaut de guide. Frere Jacques opéroit sur une sonde cylindrique ; mais lorsqu’il eut fait usage de la sonde cannelée, il pratiqua son opération avec beaucoup de succès. On a de lui un écrit intitulé, Nouvelle méthode de tailler, munie des approbations des médecins & des chirurgiens de la cour, qui lui virent faire à Versailles trente-huit opérations sans perdre un seul de ses malades. Frere Jacques y reproche à MM. Mery & Saviard de l’avoir décrié comme sectateur d’un nommé Raoulx qui étoit un fripon, de n’avoir pas assez examiné par eux-mêmes, & d’avoir écrit contre lui sur des ouï-dires, par plaisir de blâmer l’opérateur & l’opération.

M. Raw, fameux professeur en Anatomie & en Chirurgie à Leyde, vit opérer frere Jacques, & pratiqua ensuite l’opération de la taille avec un succès étonnant ; mais il ne publia rien là-dessus. M. Albinus a donné un détail circonstancié de tout ce qui regarde l’opération de M. Raw son prédécesseur. Il prétend qu’il avoit perfectionné la taille du frere Jacques, & qu’il coupoit le corps même de la vessie au-delà des prostates. Mais en suivant la description de M. Albinus, & se servant de la sonde de M. Raw, on voit qu’il est impossible de couper le corps de la vessie sans toucher aux prostates, à son col & à l’uretre, & on pense que M. Albinus s’est mépris sur la méthode de M. Raw dont nous ignorons absolument les particularités, autres que les succès extraordinaires dont elle étoit suivie.

Opération de Cheselden. La dissertation de M. Albimes sur la taille de Raw, excita l’émulation des chirurgiens, & les porta à faire des expériences propres à les conduire à la perfection annoncée dans cet ouvrage.

M. Cheselden fit les premieres tentatives ; il rencontra en suivant ponctuellement la description de M. Albinus, des inconvéniens qui le conduisirent à une nouvelle opération ; voici la méthode de la pratiquer.

On fait situer le malade à l’ordinaire : on introduit un cacheter dans la vessie par l’uretre : on couche le manche de la sonde sur l’aine droite du malade, où, un aide qui doit être très-adroit & très-attentif, la tient assujettie d’une seule main, pendant que de l’autre il soutient les bourses ; par cette situation de la sonde, l’uretre est collé & soutenu contre la simphyse des os pubis, ce qui l’éloigne du rectum autant qu’il est possible de le faire, & la cannelure de la sonde regarde l’intervalle qui est entre l’anus & la tubérosité de l’ischion.

L’opérateur prend un lithotome particulier (Pl. VIII. fig. 3.), avec lequel il fait une très-grande incision à la peau & à la graisse, commençant à côté du raphé, un peu au-dessus de l’endroit où finit la section dans le grand appareil ordinaire, & finissant un peu au-dessous de l’anus, entre cette partie & la tubérosité de l’ischion. Cette incision doit être poussée profondément entre les muscles, jusqu’à ce qu’on puisse sentir la glande prostate : alors on cherche l’endroit de la sonde, & l’ayant fixée où il faut, supposé qu’elle eût glissé, on tourne en-haut le tranchant du bistouri : comme la main gauche de l’opérateur n’est pas occupée à tenir la sonde, le doigt index de cette main étant introduit dans la plaie, reconnoit la cannelure de la sonde, & sert à y conduire surement la pointe du lithotome, & en le poussant de bas en haut, entre les muscles érecteur & accélérateur, on coupe toute la longueur des prostates de dedans en dehors, poussant en même-tems le rectum en-bas, avec un ou deux doigts de la main gauche ; par ces précautions on évite toujours de blesser l’intestin : l’opération se termine de la maniere ordinaire, par l’introduction du gorgeret sur la cannelure de la sonde, & par celle des tenettes sur la gouttiere du gorgeret.

Cette opération a l’avantage d’ouvrir une voie suffisante pour l’extraction des pierres, par la partie la plus large de l’ouverture de l’angle des os pubis, & on est sûr de ne point intéresser le rectum. Toutes les parties qu’on déchire & qu’on meurtrit dans le grand appareil ordinaire, sont coupées dans l’opération de Cheselden ; & c’est un principe reçu que la section des parties est plus avantageuse que leur déchirement, sur-tout lorsque ce déchirement est accompagné de contusion.

M. Cheselden pratiquoit cette opération en Angleterre avec de grands succès ; il avoit abandonné le haut appareil pour cette nouvelle façon de tailler, dont M. Douglass donna la description ; mais les maîtres de l’art ne la jugerent point suffisamment détaillée, pour savoir en quoi consistoit positivement la nouvelle méthode. M. Morand voulut s’assurer des choses par lui-même, il passa en Angleterre, & vit opérer M. Cheselden ; il lui promit de ne rien publier de cette opération, avant la description que l’auteur se proposoit de communiquer à l’académie royale des Sciences. Voyez les recherches sur l’appareil latéral ; mém. de l’acad. des Sciences, année 1731.

Pendant le voyage de M. Morand à Londres, M. de Garengeot, & M. Perchet, premier chirurgien du roi des deux Siciles, qui gagnoit alors sa maîtrise à l’hôpital de la Charité, firent dans cet hôpital plusieurs tentatives sur des cadavres : guidés par les fautes de frere Jacques, & par les observations de M. Mery, ils parvinrent à faire le grand appareil obliquement, entre les muscles erecteur & accélérateur gauches, & à inciser intérieurement le col de la vessie & un peu de son corps. M. Perchet, après bien des expériences, pratiqua cette opération avec réussite. Voyez ce détail dans le traité des opérations, par M. de Garengeot, sec. édit. tom II.

L’opération de la taille étoit, comme on voit, l’objet des recherches des grands maîtres de l’art. Feu M. de la Peyronie, premier chirurgien du roi, aussi distingué par ses grandes connoissances que par la place qu’il occupoit, fut consulté de toutes parts sur la matiere en question. Les chirurgiens lui rendoient compte de leurs travaux, & demandoient qu’il les éclairât de ses conseils ; les magistrats des villes du royaume où il y avoit, ou bien où l’on vouloit avoir des lithotomistes pensionnés pour exercer l’opération, & y pour former des éleves, écrivoient au chef de la chirurgie, pour qu’il décidât quelle étoit la meilleure méthode de tailler. Il travailla en conséquence à la description d’une méthode où l’on incise les mêmes parties que dans l’opération de M. Cheselden, mais par un procedé différent. L’opérateur, entre autres choses, tient lui même le manche de la sonde ; ce que M. Cheselden fait faire à un aide, & qui, selon quelques auteurs, est un inconvénient, parce que la position juste de la sonde, fait toute la sûreté de l’opération ; un aide mal adroit, ou plus attentif à ce que fait l’opérateur qu’à ce dont il est chargé, peut donc faire manquer la route que l’on doit tenir. Je vais donner ici la description dont M. de la Peyronie est auteur, parce qu’elle est faite avec beaucoup de précision, & qu’elle n’a jamais été imprimée.

Opération de M. de la Peyronie. « Il faut situer le malade sur une table, le lier, & le faire tenir à l’ordinaire, le couchant un peu plus sur le dos que dans le grand appareil ; dans cette situation, la partie inférieure du périnée, sur laquelle on doit opérer, se présentant mieux, on opere avec plus de facilité, la sonde cannelée doit être d’acier ; on l’introduit dans la vessie (voyez Cacheterisme), & ensuite l’aide qui est chargé de trousser, assujettit avec le creux de la main droite, tout le paquet des bourses, qu’il range sans le blesser, vers l’aine droite : il étendra le doigt indicateur de la même main, le long du raphé sur toute la longueur du muscle accélérateur gauche, qu’il cache tout entier sous le doigt, il ne découvre tout-au-plus qu’une très petite portion latérale gauche de ce muscle.

» Cet aide couche le doigt indicateur de la main gauche, à trois ou quatre lignes de l’indicateur droit, sur le muscle érecteur gauche, & le couvre entierement aussi, suivant sa direction ; enfin ce même aide étendra autant qu’il pourra la peau qui se trouve entre ses deux doigts indicateurs, en faisant effort comme pour les écarter l’un de l’autre.

» L’opérateur panche vers l’aine droite la tête de la sonde, qu’il tient de la main gauche : alors la partie convexe de la courbure de la sonde, où est la rainure, s’applique à gauche sur toutes les parties où l’on doit opérer ; car premierement elle répond à la partie latérale gauche du bulbe, qui est le premier endroit où le canal de l’uretre sera ouvert, ensuite à la partie latérale gauche de la portion membraneuse de l’uretre ; enfin à la prostate du même côté, & l’extrémité de la sonde s’étend dans la cavité de la vessie, environ à deux ou trois lignes au-delà de son col ; cette courbure de la sonde ainsi placée, fait extérieurement entre les deux doigts de l’aide, une petite éminence à la peau, dont l’endroit le plus saillant répond à-peu-près au bulbe, qui est le lieu par où l’on commencera l’incision.

» Pendant que l’opérateur tient de la main gauche la sonde assujettie en cet état, il s’assure au juste, avec l’indicateur de la main droite, du point le plus saillant de la convexité de la sonde, lequel doit répondre à la partie inférieure latérale gauche du bulbe de l’uretre. Il coupe ensuite avec son bistouri la peau qui couvre cette portion du bulbe, & il continue son incision de la longueur de deux ou trois travers de doigts, ou davantage, selon la grandeur du sujet, en suivant toujours le milieu de l’intervalle qui se trouve entre les doigts indicateurs de l’aide ; cette incision coupe seulement la peau & la graisse, car pour les muscles, il n’y a tout au plus que l’accélérateur qui puisse être effleuré dans sa partie latérale gauche.

» Après cette incision, les parties du conduit qui sont poussées par la courbure de la sonde, forment dans l’endroit où la peau & les graisses sont coupées, une bosse fort sensible, sur-tout vers la partie inférieure latérale gauche du bulbe. Il faut commencer alors par couper cette partie ; pour cet effet on porte la pointe du bistouri au point le plus éminent de cet endroit qui fait bosse, on pénetre jusque dans la cannelure de la sonde, que l’on tient toujours bien assujettie, & l’on coupe la partie latérale gauche du bulbe ; on continue de glisser la pointe du bistouri le long de la cannelure, on coupe tout de suite la partie membraneuse de l’uretre, le muscle transversal gauche, & la bande tendineuse située derriere ce muscle : on coupe enfin la prostate gauche & le bourelet de la vessie : la prostate se trouve coupée dans une épaisseur de deux ou trois lignes, & environ deux lignes à côté du verumontanum.

» Après cette derniere incision, on fait tenir le manche du bistouri par l’aide, avant de retirer la pointe dudit bistouri hors de la cannelure de la sonde, le chirurgien prend le gorgeret avec sa main droite, & le conduit, à la faveur de la lame du bistouri, dans cette cannelure ; lorsqu’il y est placé, l’aide retire le bistouri, afin que l’opérateur puisse glisser ce conducteur, le long de la rainure qu’il ne doit jamais abandonner jusqu’à ce qu’il soit arrivé dans la vessie ; dès qu’il y est, il retire la sonde ; il prend ensuite le manche du gorgeret de la main gauche, & le baisse doucement vers le fondement, pour glisser le long de ce conducteur le doigt indice de la main droite, graisse d’huile : on écartera peu-à-peu avec ce doigt, sans secousses, les levres de l’incision, jusque dans la vessie, afin de dilater l’ouverture que l’on a faite, & de détruire les brides s’il s’y en trouve, & même de les couper s’il y en avoit quelqu’une qui resistât au doigt, ou qui empêchât de l’introduire facilement. Il sera aisé de les couper avec un bistouri ordinaire, conduit sur ce doigt, ou bien le long de la rainure du conducteur ; outre tous ces avantages que l’on retire de l’introduction du doigt dans la vessie, on a souvent celui de toucher la pierre, de s’assurer du lieu où elle est située, de sa figure, de son volume, & de la maniere la plus facile de la charger, & la plus avantageuse pour la tirer : on peut d’ailleurs s’assurer de son adhérence s’il y en a.

» Après avoir ainsi préparé les voies, on introduit aisément la tenette à la faveur du gorgeret ; on touche la pierre avec la tenette, que l’on ouvre & que l’on tourne ensuite de façon qu’une des serres passe dessous la pierre & l’embrasse en maniere de cuillere ; on la charge, & on la tire doucement & sans effort.

» L’opération faite selon cette méthode n’est sujette à aucune variation. On coupe toujours les mêmes parties ; ce qu’on incise, ce qu’on divise ou écarte avec le doigt ou les instrumens, n’est susceptible par lui-même d’aucun accident fâcheux. La seule artere qu’on peut ouvrir, est une branche de la honteuse interne qui se distribue dans le bulbe de l’uretre. Elle se trouve rarement sur la route de l’incision ; quand même on ouvriroit cette artere, l’inconvénient ne seroit pas grand ; elle n’est pas considérable, elle se retire dans les graisses, & tarit ordinairement sans secours. Si elle s’opiniâtre à fournir, il est facile d’en arrêter le sang par la compression. S’il y a des fragmens, ou une seconde ou troisieme pierre dans la vessie, on se conduit comme on a fait pour la premiere pierre.

» Les instrumens pour faire cette opération sont ;

» 1°. La sonde canelée, qui est la même que dans le grand appareil ordinaire. Voyez Cacheter. Cependant elle satisferoit mieux aux vues de cette méthode, si elle étoit un peu plus convexe, & que le bec sût plus long de deux lignes ou environ que les sondes ordinaires.

» 2°. Il faut un bistouri (voyez Lithotome.), dont le tranchant soit large environ de quatre ou cinq lignes, & long environ de neuf ou dix, & que la pointe soit courte. Le manche doit être fixé à la lame ; s’il est mobile, on l’assujettira à l’ordinaire, avec une bandelette.

» 3°. Le gorgeret, comme pour l’opération ordinaire. (Voyez Gorgeret).

» 4°. On a besoin de tenettes de toutes especes, pour employer celle qui paroîtra la plus convenable à chaque opération en particulier ».

Toutes ces différentes manieres de pratiquer la taille au périnée, ont été imaginées dans la vue d’ouvrir un passage suffisant aux pierres qui ont un volume plus que médiocre, & d’éviter les contusions inévitables dans l’opération du grand appareil tel qu’on le pratiquoit avant frere Jacques. Malgré ces perfections, il faut avouer qu’il n’est pas possible de faire, par l’uretre & par le col de la vessie, une ouverture proportionnée au volume des grosses pierres, c’est à dire, une ouverture qui mette à l’abri de meurtrissures & de déchiremens violens. On n’exagere point en disant que depuis vingt ans cent chirurgiens plus ou moins versé, dans l’opération de la taille, ont imaginé des instrumens particuliers pour inciser le col de la vessie avec les prostates, des bistouris lithotomes, des gorgerets à lames tranchantes, qui agissent par des mechaniques différentes ; mais quelqu’attention qu’on donne pour étendre ensuite par l’introduction du doigt & par l’écartement gradué des branches de la tenette la plaie du col de la vessie par de-là son orifice, on sent toujours beaucoup de résistance pour l’extraction d’une grosse pierre ; sa sortie est difficile, la nature des parties s’y oppose : l’uretre est tissu de fibres aponévrotiques qui ne cedent pas aisément ; leur déchirement sera d’autant plus douloureux & accompagné de meurtrissure, que les parties extérieures auront été plus ménagées ; car plus l’incision extérieure sera étendue, moins il y aura de résistance, & plus l’extraction sera facile, sur-tout lorsqu’on aura coupé obliquement fort bas pour pouvoir tirer la pierre par la partie la plus large de l’ouverture de l’angle que les os pubis forment par leur réunion.

Les expériences qui nous ont procuré les différentes méthodes dont nous venons de parler, avoient pour objet d’ouvrir le corps même de la vessie. Tous les praticiens à qui nous en sommes redevables cherchoient à découvrir la route que l’on disoit avoir été tenue par M. Raw. On convenoit généralement qu’une pierre passeroit avec moins de difficulté entre des parties charnues, capables de prêter ou de se déchirer sans peine, qu’entre des parties aponévrotiques qui offroient beaucoup de résistance. Ce seroit sans contredit un avantage des plus grands, surtout dans le cas des pierres molles, qui, malgré toutes les attentions de l’opérateur, se brisent au passage par la résistance des parties ; cet inconvénient oblige à reporter plusieurs fois les tenettes dans la vessie ; on fatigue cet organe, & pour peu qu’il y ait de mauvaise disposition de la part du sujet, les accidens qui surviennent causent souvent des desordres irréparables.

C’est par toutes ces considérations qu’on desiroit pouvoir mettre communément en usage le haut appareil ; il met à l’abri des délabremens du col de la vessie, d’où résultent les fistules & les incontinences d’urine : dans cette méthode la pierre ne trouve à son passage que des parties d’une tissure assez lâche : l’incision des parties contenantes peut être suffisamment étendue ; le corps de la vessie souffre sans résistance une extension assez considérable, & une division qui disparoît presque tout-à-fait aussi-tôt que la pierre en est sortie ; ce seroit donc la méthode de préférence, si certaines circonstances que nous avons rapportées ne la rendoient souvent impraticable ; il y a même des cas où elle seroit possible sans qu’on dût la mettre en usage, comme lorsqu’il faut faire suppurer & mondifier une vessie malade. Tout concourt donc à faire sentir le prix d’une méthode par laquelle on ouvriroit le corps même de la vessie par une incision au périnée, sans intéresser le col de la vessie ni l’uretre. Cette méthode a été trouvée par M. Foubert ; elle est le fruit des recherches qu’il a faites pour découvrir la maniere de tailler attribuée à M. Raw par M. Albinus.

La méthode de M. Foubert est la seule à laquelle on a pu donner légitimement le nom de taille latérale. Nous allons en donner la description, d’après le mémoire communiqué par l’auteur à l’académie royale de Chirurgie, & qui est inséré dans le premier volume des recueils de cette compagnie.

Opération de M. Foubert. La méthode de M. Foubert consiste à ouvrir un passage aux pierres, par l’endroit le plus large de l’angle que forment les os pubis, sans intéresser le col de la vessie ni l’uretre. Toutes les perfections qu’on a données au grand appareil, en procurant une ouverture plus grande que celle qu’on pratiquoit anciennement, tendoient à diminuer les inconvéniens de cette opération, parce qu’elles facilitent l’introduction des instrumens, & qu’elles épargnent une partie du déchirement que feroit la pierre si l’ouverture étoit moins étendue. Cependant il est toujours vrai qu’elles n’empêchent pas que les pierres un peu grosses ne fassent une dilacération fort considérable, & qu’elles ne remédient point à d’autres inconvéniens qui dépendent du lieu où l’on opere, qui est trop serré par l’angle que forment les os pubis, ce qui rend l’extraction de la pierre fort difficile, & occasionne des contusions qui ont souvent des suites fâcheuses. D’ailleurs on ne peut éviter de couper ou de déchirer diverses parties organiques qui accompagnent le col de la vessie, comme un des muscles accélérateurs, le vérumontanum, le prostate, le col même de la vessie & le conduit de l’urine. Le déchirement ou la section de ces parties, qui de plus sont meurtries par la pierre, peuvent avoir beaucoup de part aux accidens qui arrivent à la suite de l’opération, & sur-tout aux incontinences d’urine, & aux fistules incurables qui restent après ces opérations, comme nous l’avons dit plus haut.

La méthode de M. Foubert n’est point sujette à ces inconvéniens. Il entre dans la vessie par le lieu le plus favorable, en ouvrant cet organe à côté de son col & au-dessus de l’uretere. On n’a dans cet endroit d’autres parties à couper que la peau, le tissu des graisses, le muscle triangulaire, un peu du muscle releveur de l’anus, un peu du ligament de l’angle du pubis & la vessie. La figure 3. de la Planche XIII. représente le périnée, où est marquée la direction de l’incision extérieure, selon la méthode de M. Foubert. La figure 4. de cette Planche est une dissection des muscles du périnée, & montre l’endroit de la vessie coupée par l’opération.

Pour pratiquer cette opération, il faut des instrumens particuliers. On pénetre dans la vessie à-travers la peau & les graisses avec un long trocar dont la cannule est cannelée. (Voyez Trocar.) La ponction de la vessie est ou impossible ou dangereuse, si ce viscere ne contient pas une suffisante quantité d’urine. Ainsi cette opération ne convient pas à ceux qui ne gardent point du tout ce liquide. Les personnes fort grasses ne sont pas non plus dans le cas d’être taillées par cette méthode, parce que leur vessie n’est pas ordinairement susceptible d’une suffisante extension, & qu’il y a de l’inconvénient à chercher la vessie cachée profondément sous l’épaisseur des graisses qui recouvrent la partie de cet organe qu’il faut inciser. Dans les cas où la vessie est capable de s’étendre suffisamment & de retenir l’urine, on pratique la méthode de M. Foubert d’une maniere brillante. La difficulté de mettre la vessie d’un pierreux dans l’état convenable à cette opération, n’a été surmontée qu’après bien des tentatives & des réflexions. M. Foubert essaya d’abord les injections : c’est à ce moyen qu’il eut recours pour dilater la vessie du premier malade qu’il tailla en Mai 1731. Il remarqua qu’il étoit extrèmement difficile d’injecter la vessie : car non-seulement l’injection fut fort douloureuse au malade, mais elle ne se put faire même que fort imparfaitement, parce que la douleur l’engageoit à faire des mouvemens ou des efforts qui chassoient une grande partie de l’eau qu’on poussoit dans la vessie. Dans un second malade, M. Foubert s’étant apperçu, en le sondant, que sa vessie étoit spatieuse, & en ayant jugé encore plus sûrement par la quantité d’urine qu’il rendoit à chaque fois qu’il pissoit, il lui recommanda, la veille de l’opération, de retenir le lendemain matin ses urines, ce qu’il fit facilement, M. Foubert l’ayant trouvé endormi lorsqu’il arriva pour le tailler.

La circonstance avantageuse d’une grande vessie se trouve rarement dans ceux qui ont des pierres, sur-tout lorsqu’elles sont grosses ; & c’est dans ce cas précisément où il convient le plus de pratiquer la méthode dont nous parlons. L’auteur, consulté par un malade dont la vessie étoit fort étroite & qui rendoit avec beaucoup de douleur très-peu d’urine à-la-fois, crut que son opération ne pouvoit convenir dans ce cas. Il lui vint cependant en l’idée que s’il accoutumoit le malade à boire beaucoup, la quantité d’urine que formeroit cette boisson pourroit dilater peu-à-peu la vessie : cette tentative eut tout le succès possible ; car non-seulement la vessie parvint à contenir une quantité d’urine assez considérable pour permettre l’opération, mais de plus le malade sentoit beaucoup moins de douleur en urinant.

M. Foubert eut recours au même expédient pour pouvoir tailler par sa méthode un homme qui urinoit à tout instant & très-peu à-la-fois. Il commença à lui faire boire par verrées, de demi-heure en demi-heure, le matin une chopine de tisane faite avec du chiendent, de la reglisse & de la graine de lin. Il lui augmenta cette boison de jour en jour de demi septier, jusqu’à ce qu’il fût parvenu à deux pintes. On s’appercevoit chaque jour de la dilatation de la vessie par la quantité d’urine que le malade rendoit à chaque fois. Au bout de huit jours, il en urinoit au-moins un verre & demi à-la-fois, & avec bien moins de douleur qu’auparavant.

Je me suis étendu sur cette préparation, parce qu’elle est d’une grande utilité. En cherchant à étendre l’usage de la méthode, M. Foubert a rendu un service essentiel à toutes les autres, dont le succès dépend très-souvent de l’état de la vessie. Si cet organe est racorni, les instrumens qu’on y introduira le fatigueront, & pourront même le blesser, quoique conduits par les mains les plus habiles. J’ai éprouvé plusieurs fois l’utilité de la préparation prescrite par M. Foubert ; elle doit passer en dogme, & être mise au rang des découvertes les plus avantageuses qu’on ait faites sur la taille, depuis cinquante ans qu’on travaille sans relâche dans toute l’Europe, à la perfection de cette opération.

Il ne suffit pas que la vessie soit capable de contenir une suffisante quantité d’urine, il faut qu’elle en contienne effectivement pour que l’on puisse tailler suivant la méthode de M. Foubert. Cet auteur a manqué quelquefois d’entrer dans la vessie avec le trocar dans des cas où il ne s’y trouva point d’urine, les malades ayant pissé un peu avant l’opération, sans en avoir donné avis. Pour se garantir de cet inconvénient, il a trouvé un moyen bien simple, par lequel on peut s’assurer du degré de plénitude de la vessie. On introduit un doigt dans l’anus, & avec la main appuyée sur l’hypogastre, on fait plusieurs mouvemens alternatifs, par lesquels on peut connoître exactement à-travers les membranes du rectum le volume ou la plénitude de la vessie. On s’appercevroit facilement, par cet examen, si la vessie n’étoit pas assez remplie d’urine ; alors on différeroit l’opération.

Pour s’assurer de la plénitude de la vessie, il y a encore un autre moyen très-facile & bien sûr. C’est qu’après avoir accoutumé les malades à boire plusieurs jours, jusqu’à ce que leur vessie soit parvenue à contenir un verre ou deux d’urine : il faut, le jour qu’on doit faire l’opération, que le malade boive le matin une ou deux pintes de sa tisane ordinaire, & attendre pour opérer que le besoin d’uriner le presse : dans ce moment, on appliquera le bandage de l’uretre pour retenir les urines (Planche IX. fig. 5.), & on fera sur le champ l’opération.

Elle exige différentes précautions : on doit être attentif, sur tout dans les personnes âgées, à examiner la capacité du rectum, parce qu’il y a des sujets où cet intestin est extrèmement dilaté au-dessus du sphincter. Dans ce cas, on risqueroit non-seulement dans cette méthode, mais dans toutes les autres d’ouvrir le rectum, s’il se trouvoit rempli de matieres, alors il vaudroit mieux remettre l’opération & vuider l’intestin.

Cette précaution est d’ailleurs nécessaire pour que la vessie puisse, lorsqu’on la comprime, comme nous le dirons dans l’instant, affaisser le rectum & approcher davantage de l’os sacrum, afin d’être percée plus sûrement par le trocart à l’endroit qu’il convient : dans cette vue, il ne faut pas manquer la veille de l’opération de faire donner le soir un lavement au malade.

Pour pratiquer cette opération, on place le malade comme dans le grand appareil. Voyez Planche XII. fig. 3 & 4. Un aide releve les bourses de la main droite, & de la main gauche il comprime l’hypogastre avec une pelotte. Voyez Planche XIII. fig. 3. Le chirurgien introduit le doigt index de la main gauche dans l’anus ; il pousse le rectum du côté de la fesse droite pour bander la peau du côté gauche à l’endroit où il doit opérer, & pour éloigner l’intestin du trajet de l’incision qu’il faut faire. Ensuite il cherche à-travers la peau & les chairs avec le doigt index de la main droite, la tubérosité de l’ischium & le bord de cet os depuis l’extrémité de cette tubérosité jusqu’à la naissance du scrotum. Dans les premieres épreuves sur les cadavres, M. Foubert marqua avec un crayon de pierre noire un peu mouillé par le bout, un point environ à deux lignes du bord de la tubérosité & environ à un pouce au-dessus de l’anus, abaissé & tiré du côté opposé par le doigt placé dans le fondement ; il marqua un autre point à quatorze ou quinze lignes plus haut que le premier, environ à deux lignes du raphé, & environ aussi à deux lignes du bord de l’os pubis. Il tira une ligne de l’un de ces points à l’autre pour marquer extérieurement le trajet de l’incision qu’il devoit faire, & qui devoit regner le long du muscle érecteur sans le toucher (Planche XIII. fig. 4.), & aller se terminer au bord de l’accélérateur. Ces mesures bien prises, la ligne qui devoit regler toute l’opération marquée avec exactitude, & le doigt toujours placé dans le fondement pour abaisser le rectum & le porter du côté droit, il prit son trocart de la main droite, il en plaça la pointe à l’extrémité inférieure de la ligne. La cannelure du trocart regardoit le scrotum : il enfonça cet instrument jusque dans le corps de la vessie, en le conduisant horisontalement sans l’incliner ni d’un côté ni d’autre ; il perça la vessie à quatre ou cinq lignes au-dessus de l’uretere, & à-peu-près à la même distance à côté du col de la vessie. La figure 1. de la Planche XIV. est une coupe latérale de l’hypogastre, qui représente la direction du trocart plongé dans la vessie.

Aussi-tôt qu’on a pénétré dans la capacité de ce viscere, on en est averti par la sortie de l’urine qui s’échappe par la cannelure du trocart ; alors on retire le doigt du fondement : on quitte le manche du trocart qu’on tenoit avec la main droite pour le prendre de la main gauche, sans le déranger ; on tire le poinçon de sa cannule de quatre ou cinq lignes seulement, afin que la pointe de cet instrument ne déborde pas le bout de la cannule. On prend le lithotome (voyez Planche XXII. fig. 1.) de la main droite ; on glisse le dos de sa lame dans la cannelure jusqu’à ce que la pointe de cet instrument soit arrêté par le petit rebord, qui est à l’extrémité de cette cannelure. La résistance qu’on sent à la pointe du lithotome & une plus grande quantité d’urine qui s’écoule, font connoître avec certitude que l’instrument est suffisamment entré dans la vessie. Il faut alors faire l’incision aux membranes de la vessie ; & pour cet effet, la main droite, avec laquelle on tient le lithotome, étant appuyée fermement sur la main gauche, avec laquelle on tient le manche du trocart, on leve la pointe du lithotome, & dans le même moment on abaisse un peu le bout du trocart, pour faciliter l’incision des membranes de la vessie ; voyez la fig. 2. de la Planche XIV. on incline un peu le tranchant de la lame du couteau du côté du raphé, afin de donner à cette incision une direction pareille à celle de la ligne que nous avons dit avoir été tracée extérieurement pour les épreuves sur les cadavres. Lorsque l’extrémité du lithotome paroît assez écartée de celle du trocart, pour avoir fait à la vessie une ouverture suffisante, qui, sur un sujet adulte de taille ordinaire, doit être d’environ treize ou quatorze lignes ; on rabat la pointe du couteau dans la cannelure du trocart en le retirant d’environ un pouce ; & l’on fait ensuite une manœuvre contraire à celle que je viens de décrire. Car au lieu d’écarter le trocart, la pointe du lithotome, c’est le manche de cet instrument qu’il faut éloigner de celui du trocart, afin d’achever entierement l’incision qu’on a faite à la peau, aux chairs & aux graisses qui se trouvent depuis la surface de cette peau jusqu’à la vessie, & on dirige le tranchant du lithotome selon la ligne que nous avons dit avoir été tracée dans les premiers essais de cette méthode, mais il ne faut pas trop l’étendre, de crainte d’approcher trop de l’uretere & de couper l’accélérateur. On est moins retenu sur l’incision de la peau & des graisses : en retirant le lithotome, on peut étendre cette incision extérieure jusque proche le scrotum. La fig. 2. de la Planche XIV. est une coupe latérale de l’hypogastre qui représente l’incision de la vessie, & les lignes ponctuées montrent l’incision des chairs.

Lorsque l’incision est entierement achevée, on quitte le lithotome, & on prend le gorgeret particulierement destiné à cette opération. Voyez Gorgeret. On glisse son bec dans la cannelure du trocart, pour le conduire dans la vessie de la même maniere qu’on y a conduit le lithotome, c’est-à-dire jusqu’à ce que l’on soit arrêté par le rebord de la cannelure : alors on retire le trocart ; on retourne en-dessus la gouttiere, qui étoit en-dessous lorsqu’on a introduit le gorgeret : ce gorgeret est formé de deux pieces ou branches, qui peuvent s’écarter & servir s’il est besoin de dilatation. On porte le doigt dans cette gouttiere pour examiner l’étendue de l’incision, on introduit les tenettes, on retire le gorgeret, & l’on termine l’opération à la façon ordinaire.

Après l’extraction de la pierre, il faut mettre une cannule dans la vessie, voyez figure 2. Planche XIII. pour entretenir, autant de tems qu’il est nécessaire, le cours des urines & des matieres de la suppuration. Sans cette méthode de panser, lorsque les urines s’arrêtent, ou bien lorsque les suppurations deviennent abondantes, & qu’elles n’ont pas un cours assez libre, le tissu cellulaire s’enflamme & s’engorge ; ce qui occasionne des infiltrations, & même des abscès gangréneux qui causent quelquefois la mort. La canule a encore un autre usage que je ne dois pas omettre, qui est que lorsqu’une pierre trop grosse ou irréguliere a ouvert quelques vaisseaux considérables, on peut facilement par son moyen se rendre maître du sang, parce qu’elle sert à contenir la charpie qu’on emploie pour comprimer les vaisseaux.

Quelques mauvais succès ont fait découvrir un avantage très-important dans cette nouvelle maniere de tailler.

Aucunes méthodes n’ont pu ouvrir aux grosses pierres une issue suffisante pour pouvoir les tirer, sans exposer les parties par où elles passent à une violence, qui a ordinairement des suites funestes ; & quoique M. Foubert ait eu dans ses premieres opérations la satisfaction de tirer heureusement des pierres d’un volume considérable, il lui est cependant arrivé en tirant des pierres extrèmement grosses d’avoir eu à forcer une si grande résistance, que ces pierres ont causé dans leur passage des contusions & des déchiremens qui ont fait périr les malades, les uns fort promptement, & les autres à la suite d’une suppuration très-considérable & très longue.

Ces malheurs porterent M. Foubert à faire l’examen des parties qui paroissoient former le plus d’obstacle à la sortie de ces pierres. Il reconnut que c’étoit le cordon des fibres du bord inférieur du muscle triangulaire, & la partie du muscle releveur qui descend, à la marge du sphincter de l’anus, qui causoient la principale résistance. Voyez Planche XIII. figure 4. Lorsque le volume de la pierre excede l’incision que l’on fait à ces muscles, elle entraîne avec elle vers le fondement les portions de ces muscles qui s’opposent à son passage, & forme en ramassant leurs fibres, une bride très-difficile à rompre. Quand M. Foubert eut reconnu que la résistance dépendoit principalement de ces portions de muscles, il comprit qu’il étoit aisé de lever l’obstacle, non-seulement parce qu’il n’y avoit aucun inconvénient à couper la bride qui le forme, mais encore parce que la pierre qui la porte vers le dehors, rend cette petite opération très-facile. Dans cette idée il fit faire un bistouri courbe à bouton (voyez fig. 1. Pl. XIII.) qui pût être porté facilement entre les branches de la tenette sur la pierre, à l’endroit de la bride, pour la couper. On a quelquefois recours au même expédient dans les autres méthodes, mais avec bien moins d’avantage, parce que l’on coupe la prostate & le col de la vessie ; au lieu que M. Foubert ne coupe qu’un petit paquet de fibres qui est sans conséquence : & depuis qu’il a observé cette pratique, il a tiré des pierres fort grosses avec un heureux succès.

Nouvelle méthode latérale. M. Thomas, persuadé des avantages de la méthode dont nous venons de parler, a travaillé à la rendre plus facile, & a cru pouvoir y ajouter des perfections, en la pratiquant de haut en-bas ; au lieu que M. Foubert incise les parties de bas en-haut : le procédé est tout-à-fait différent ; c’est une autre méthode d’inciser le corps de la vessie vis à-vis le périnée, à côté de son col. Il y a aussi quelque différence dans la coupe des parties. M. Thomas a présenté à l’académie royale de Chirurgie un mémoire dans lequel il admet la supériorité de l’opération, par laquelle on fait la section du corps de la vessie, à la pratique de couper son col ; ensuite il met sa méthode d’opérer en parallele avec celle de M. Foubert. Dans celle-ci le trajet du trocart dans la ponction qui fait le premier tems de l’opération, devient la partie inférieure de l’incision complettée, parce qu’on la fait sur la cannelure du trocart de bas en-haut. M. Thomas agit différemment ; il porte le trocart immédiatement au-dessous de l’os pubis, un peu latéralement ; & le trajet de cet instrument forme la partie supérieure de l’incision. Par cette inversion de méthode, si l’on peut se servir de ce terme, M. Thomas craint moins de manquer la vessie ; il y pénetre sûrement, quoiqu’elle contienne une moindre quantité d’urine. L’incision se fait ensuite de haut en-bas, & l’instrument tranchant après avoir fait l’ouverture suffisante au corps de la vessie, coupe en glissant vers l’extérieur, du côté de la tubérosité de l’ischion, & fait jusqu’aux tégumens une gouttiere, que M. Foubert n’obtient qu’accessoirement par un débridement, au moyen d’un bistouri boutonné, dans le cas de résistance des parties externes à la sortie des pierres considérables : encore la borne-t-il aux fibres du muscle transversal. La section prolongée jusqu’à la peau, est essentiellement de la méthode de M. Thomas, & elle prévient l’infiltration de l’urine dans le tissu cellulaire dont M. Foubert a reconnu les mauvais effets, & qu’il empêche par l’usage d’une canule : mais dans la nouvelle méthode il n’en faut point, si ce n’est en cas d’hémorrhagie ; & l’expérience a déja montré que cet accident n’étoit point ordinaire. M. Thomas pour pratiquer son opération, a un instrument qui réunit au trocart une lame tranchante qui s’ouvre à différens degrés, & un petit gorgeret pour conduire les tenettes dans la vessie lorsque l’incision est faite.

J’ai donné dans un mémoire imprimé, à la fin du III. tome des Mémoires de l’académie royale de Chirurgie, mes réflexions pour la perfection de cet instrument, & pour le plus grand succès de la méthode. J’avois vu à Bicêtre un malade opéré deux mois auparavant par M. Thomas, il étoit resté un petit trou par où suintoit de l’urine fort claire ; la cicatrice étoit d’ailleurs très-solide dans toute son étendue. Quoique cet homme guérît par le seul secours de l’embonpoint qu’il recouvra, je crus pouvoir dire d’après les expériences que j’avois faites de cette méthode de tailler sur différens cadavres, que la fistule pouvoit avoir lieu lorsque l’angle inférieur de la plaie de la vessie seroit au-dessous du niveau de son orifice ; parce que l’urine trouveroit moins de résistance à passer par-là, qu’à reprendre sa route naturelle. Je proposai un moyen fort simple d’éviter cette cause de fistule ; c’étoit de faire coucher le taillé sur le côté opposé à la plaie, & de placer dans la vessie par l’uretre, une algalie, pour déterminer constamment le cours de l’urine par cette voie ; j’avançai même, comme on peut le voir dans le mémoire cité, qu’on obtiendroit en peu de jours la consolidation parfaite de la plaie, lorsque rien d’ailleurs n’y mettroit obstacle. Le succès a passé mes espérances. M. Thomas a taillé en ma présence, & de plusieurs de nos confreres, un jeune homme de vingt ans ou environ : il suivit le conseil donné, & au bout de cinquante heures la plaie étoit très-parfaitement cicatrisée. Cet exemple est très-frappant, & mérite bien qu’on en conserve la mémoire. M. Busnel a pratiqué cette méthode avec succès, & il y a apparence que ceux qui voudront s’y exercer trouveront qu’elle est aussi facile à pratiquer qu’avantageuse. Il en sera sans doute fait une mention plus étendue, dans une dissertation particuliere qu’on lira dans la suite des volumes de l’académie royale de Chirurgie.

Méthode de tailler les femmes. Les femmes sont en général moins sujettes aux concrétions calculeuses dans la vessie que les hommes. La conformation des parties permet en elles la sortie de germes ou de noyaux pierreux assez gros. Cette construction particuliere des organes fait aussi que les différentes manieres de tailler les hommes ne leur sont point appliquables. Je ne rapporterai point ici les différentes méthodes qu’on a proposées, ou mises en usage, pour tirer la pierre de la vessie des femmes. J’en ai fait le parallele dans un ouvrage particulier sur cette matiere, destiné à être publié dans un des premiers volumes que l’académie royale de Chirurgie mettra au jour ; je me bornerai à la description sommaire des opérations d’usage, & auxquelles les Chirurgiens paroissent s’être fixés.

Celle qui est la plus généralement pratiquée se nomme le grand appareil. Elle est fort facile, & c’est probablement cette raison qui en a si long-tems caché les défauts. Pour y procéder, on place la malade de même que les hommes : un aide écarte les levres & les nymphes ; l’opérateur introduit au moyen d’une sonde cannelée, le conducteur mâle dans la vessie, puis le conducteur femelle, voyez Conducteur ; & à l’aide de ces deux instrumens, on pousse la tenette dans la vessie ; on retire les conducteurs ; on charge la pierre & l’on en fait l’extraction. Les instrumens tranchans sont bannis de cette maniere d’opérer ; on croit dilater simplement l’uretre & le col de la vessie très-susceptible d’extension, comme on le prouve par des exemples bien constatés, de la sortie spontanée de très-grosses pierres. J’ai eu occasion d’examiner ces sortes de faits ; j’ai vu à la vérité, des pierres considérables poussées naturellement hors de la vessie, mais ç’a toujours été par un travail très long & très-pénible. Les pierres sont quelquefois plus de six mois au passage avant que de le pouvoir franchir, & les malades pendant ce tems souffrent beaucoup, & sont incommodées d’une incontinence d’urine dont ordinairement elles ne guérissent jamais, à raison de la perte du ressort des parties prodigieusement dilatées, & depuis un si long tems. Pour juger du grand appareil, il faut observer ce qui se passe dans les différens tems de l’opération. Les conducteurs se placent assez commodément ; mais l’introduction des tenettes n’est pas à beaucoup près si facile. C’est un coin que l’on pousse, & qui ne peut pénétrer qu’aux dépens du canal de l’uretre, dont le déchirement est fort douloureux. En forçant ainsi tout le trajet, on meurtrit le col de la vessie ; & il faut avoir grand soin de retenir les croix des conducteurs avec la main gauche ; de les tirer même un peu à soi, pendant que par une action contraire, on pousse les tenettes avec la main droite. Faute de cette précaution, on pourroit par l’effort de l’impulsion, percer le fond de la vessie avec l’extrémité des conducteurs. On lit dans Saviard, observ. xxxvij. un fait sur cet accident.

Lorsque les tenettes sont introduites, & qu’on a chargé la pierre le plus avantageusement qu’il a été possible, on en vient à l’extraction qui ne se fait qu’avec beaucoup de désordre & de difficultés : en tirant du dedans au dehors, on étend forcément le corps de la vessie à la circonférence de son orifice ; on meurtrit & on déchire le col de cet organe ; on en détache entierement le canal de l’uretre, effet nécessaire de l’effort considérable qu’il faut faire, parce que les parties en se rapprochant les unes sur les autres du dedans au dehors, forment un obstacle commun très-difficile à surmonter, ou du moins qu’on ne surmonte jamais qu’avec violence. Le délâbrement que cette opération occasionne est plus ou moins grand, suivant le volume des pierres ; il est de conséquence même dans le cas des petites : je l’ai remarqué dans toutes les épreuves que j’ai faites avec attention, pour m’assurer de l’effet de cette méthode dans différentes circonstances ; & ces épreuves ont été considérablement multipliées pendant six ans que j’ai passés à l’hôpital de la Salpêtriere, où j’ai disposé à mon gré d’un très-grand nombre de cadavres féminins.

C’est à ces extensions forcées & à ces déchiremens inévitables, que l’on doit attribuer les incontinences d’urine que tous les praticiens disent être fréquemment la suite de cette opération ; maladies fâcheuses dont il n’est pas possible d’espérer le moindre soulagement lorsque la pierre est grosse, & qu’en conséquence le délâbrement a été considérable. En supposant même, comme le dit M. Ledran dans son traité d’opérations, que la malade ne périsse pas de l’inflammation ; ce que plusieurs personnes préféreroient, s’il étoit permis, à une guérison qui leur laisse une infirmité aussi désagréable que l’est une incontinence d’urine.

Pour éviter les déchiremens que cause une grosse pierre, M. Ledran pratiquoit la méthode suivante. Il introduit une sonde dans la vessie ; il tourne la cannelure de cette sonde de maniere qu’elle regarde l’intervalle qui est entre l’anus & la tubérosité de l’ischion. On passe le long de cette cannelure un petit bistouri, jusque par-delà le col de la vessie, pour l’inciser. L’opérateur a un doigt dans le vagin, pour diriger la cannelure de la sonde, afin de ne pas couper le vagin. Après avoir fendu par l’introduction du bistouri, l’uretre & le col de la vessie, on retire le bistouri ; on introduit un gorgeret, le long duquel on porte le doigt dans la vessie, pour frayer le passage à la tenette avec laquelle on saisit la pierre.

Cette opération est précisement pour les femmes, ce qu’est l’opération attribuée à M. Cheselden pour les hommes. C’est la même méthode d’opérer ; il faut dans l’une & dans l’autre un aide pour tenir la sonde : ce sont les mêmes parties qui sont intéressées, l’uretre & le col de la vessie ; elles doivent donc avoir les mêmes inconvéniens. On peut les voir dans le parallele des tailles de M. Ledran, à l’article de la méthode qu’il attribue à M. Cheselden. J’ai pratiqué la méthode de M. Ledran sur les cadavres ; elle permet l’introduction des tenettes sans résistance : mais pour peu que la pierre ait de volume, elle ne sort pas sans effort. M. Ledran a parfaitement observé les déchiremens que produit la sortie de la pierre dans cette méthode ; & il décrit en praticien éclairé, les pansemens méthodiques qui conviennent pour donner issue aux suppurations qui en sont la suite. J’ai examiné en différentes occasions, quelles pouvoient être les causes de ces desordres ; je me suis apperçu que l’ouverture intérieure étoit, dans cette méthode, plus étendue que l’extérieure ; & qu’ainsi toutes les parties à-travers lesquelles la pierre doit passer, se rassemblant pendant l’extraction, formoient une résistance commune qu’on ne pouvoit vaincre qu’en froissant, meurtrissant & déchirant comme dans le grand appareil. Si au contraire la coupe externe avoit plus d’étendue, la pierre passeroit toujours d’un endroit étroit par un plus large ; la résistance des fibres ne seroit point commune, leur rupture seroit successive : on éviteroit par-là les inconvéniens de meurtrissures & des déchiremens forcés.

J’ai cru qu’une opération, au moyen de laquelle on feroit une incision des deux côtés, auroit tous ces avantages. Il n’y a certainement par rapport à la plaie, aucun inconvénient à faire des deux côtés, ce qui se pratique à un. Je fis faire d’abord une sonde fendue des deux côtés, pour pouvoir faire deux sections latérales à l’uretre en même tems. Les épreuves de cette opération sur les cadavres, m’y firent remarquer des avantages essentiels. 1°. On peut tirer des grosses pierres avec facilité, l’uretre étant coupé latéralement dans toute son étendue, & le bourrelet musculeux de l’orifice de la vessie, étant incisé intérieurement. J’ouvre par cette double incision une voie d’autant plus libre à la sortie des pierres, que l’ouverture est toujours plus grande à l’extérieure que dans le fond, parce que l’instrument tranchant qui entre horisontalement, fait son effet en poussant vers l’intérieur les parties externes qui sont les premieres divisées : de façon, qu’en retirant du dedans au-dehors les tenettes chargées de la pierre, elles passent successivement par une voie plus large. Le second avantage essentiel, est de pouvoir mettre dans beaucoup de cas, les malades à l’abri de l’incontinence d’urine, parce que la plaie étant faite par un instrument bien tranchant, & les parties divisées faisant peu d’obstacles pendant l’extraction, elles n’en sont pas fatiguées ; leur réunion peut donc se faire d’autant plus facilement, que l’incision qui a été faite transversalement, lorsque le sujet étoit en situation convenable, ne forme plus ensuite que deux petites plaies latérales & paralleles, qui viennent obliquement du col de la vessie aux deux côtés de l’orifice du vagin ; plaies dont les parois s’entretouchent exactement même sur le cadavre, en mettant un peu de charpie mollette dans le vagin, pour lui servir de ceintre.

Assuré par un grand nombre d’épreuves, de l’effet que produisoit cette méthode, je fis faire un instrument qui la rend plus prompte, plus sûre & plus facile à pratiquer. Cet instrument réunit à la fois les avantages de la sonde, du lithotome & du gorgeret. Il est composé de deux parties, dont l’une est le bistouri, & l’autre un étui ou chappe, dans laquelle l’instrument tranchant est caché. Voyez la description que j’en ai donnée au mot Lithotome.

Pour faire l’opération, il faut mettre le sujet en situation convenable, & qu’un aide souleve & écarte les nymphes. Je prends alors l’instrument, la soie du bistouri dégagée du ressort qui la fixoit. J’en introduis le bec dans la vessie. Je le contiens avec fermeté par l’anneau avec le doigt index & le pouce de la main gauche. Mon instrument étant placé, & dans une direction un peu oblique, ensorte que l’extrémité soit vis-à-vis du fond de la vessie, je presse le lithotome, & je fais invariablement deux sections latérales d’un seul coup. Je retire de suite le tranchant dans la chappe, & je tourne mon instrument d’un demi-tour de poignet gauche, en rangeant la canule dans l’angle de l’incision du côté droit. J’introduis les tenettes dans la vessie à l’aide de la crête qui est sur la chappe, après leur avoir fait le passage par l’introduction du doigt index de la main droite, trempé dans l’huile rosat. On cherche la pierre & on la tire avec facilité : cette opération se fait très-promptement, & l’on est sûr des parties qu’on coupe, l’instrument ne pouvant faire ni plus ni moins que ce que l’on a dessein qu’il fasse. M. de la Peyronie, dont le nom est si cher à la Chirurgie, approuva les premiers essais de cette méthode : je l’ai pratiquée avec le plus grand succès, & entr’autres sur une dame âgée de plus de soixante ans, qui souffroit depuis dix ans de la présence d’une pierre considérable dans la vessie. Au bout de huit jours elle a été parfaitement guérie ; & dès le quatrieme elle conservoit ses urines. M. Buttet, maître ès arts, & en Chirurgie à Etampes, témoin de cette opération, l’a pratiquée depuis avec un pareil succès, dans un cas qui en promettoit moins, puisque les pierres étoient multipliées, & que la plus grosse se brisa en plusieurs parties, les fragmens sortirent d’eux-mêmes dans la suite du traitement, & le malade malgré une réunion plus tardive de la plaie, guérit sans incontinence d’urine. M. Caqué, Chirurgien en chef de l’hôtel-dieu de Rheims, a aussi adopté ma méthode qui lui a réussi ; je donnerai l’histoire de l’origine & des progrès de cette opération dans un plus grand détail, mais qui seroit déplacé dans un dictionnaire universel. (Y)

Taille, s. f. (Minéralogie.) c’est ainsi qu’on nomme dans les mines de France, l’endroit où des ouvriers détachent la mine ou le charbon de terre.

Tailles de fond, & Tailles de point. (Marine.) Voyez Cargues de fond, & Cargues point.

Taille, s. f. tenor, s. m. la seconde, après la basse, des quatre parties de la Musique. C’est la partie qui convient le mieux à la voix ordinaire des hommes ; & qui fait qu’on l’appelle aussi voix humaine.

La taille se divise quelquefois en deux autres parties ; l’une plus élevée, qu’on appelle premiere ou haute-taille ; l’autre plus basse, qu’on appelle seconde ou basse-taille.

Cette derniere est, en quelque maniere, une partie mitoyenne ou commune entre la taille & la basse, & s’appelle aussi à cause de cela concordant. Voyez Parties. (S)

Taille de Haut-bois, (Lutherie.) instrument de Musique à vent & à anche, & qui est en tout semblable au haut-bois ordinaire, au-dessous duquel il sonne la quinte. Son étendue est comprise depuis le fa de la clé de f ut fa des clavecins, jusqu’au sol, à l’octave au-dessus de celui de la clé de g re sol des mêmes clavecins. Voyez la table du rapport de l’étendue des instrumens, & l’article Haut-bois.

Taille de violon, (Lutherie.) instrument de Musique, est la même chose que la quinte de violon. Voyez Quinte de violon.

Taille, (Gravure.) incision qui se fait sur les métaux, ou sur d’autres matieres, particulierement sur le cuivre, l’acier & le bois. Ce mot se dit aussi de la gravure qui se fait avec le burin sur des planches de cuivre & tailles de bois, de celles qui sont gravées sur le bois. Les Sculpteurs & Fondeurs appellent basses-tailles, les ouvrages qui ne sont pas de plein ronde-bosse ; on les nomme autrement bas-reliefs. Taille se dit aussi de la gravure des poinçons quarrés qui servent pour frapper les diverses especes de monnoies, d’où les ouvriers qui y travaillent sont appellés tailleurs. (D. J.)

Tailles, c’est dans la gravure en bois la même chose que traits ou hachures dans celle de cuivre.

Les tailles courtes ou points longs, servent comme dans celles en cuivre, à ombrer les chairs, & doivent se retoucher à-propos, mais elles ne sont guere d’usage dans la premiere, parce qu’on y fait rarement des figures assez grandes pour devoir y être finies avec cette propreté que donne le burin dans les estampes gravées en cuivre.

Les tailles perdues, ce sont des tailles ou traits rendus trop fin & plus bas que la superficie des autres, ce qui les empêche de marquer à l’impression, particulierement quand elles se trouvent dans une continuité de tailles égales, & toutes d’une même teinte ; c’est un défaut irrémédiable, parce qu’on ne peut remettre le bois qui aura été ôté mal-à-propos à de telles tailles. Tailles troisiemes, se dit dans la gravure en cuivre des tailles qui passent sur les contre-tailles ou secondes tailles ; on les appelle aussi triples-tailles, mais particulierement dans la gravure en bois.

Taille, (Joaillerie.) ce terme se dit des diverses figures & facettes que les Lapidaires donnent aux diamans & autres pierres précieuses, en les sciant, les limant & les faisant passer sur la roue. (D. J.)

Taille, (Marchands Détailleurs.) morceau de bois sur lequel ils marquent par des hoches ou petites incisions, la quantité de marchandise qu’ils vendent à crédit à leurs divers chalans : ce qui leur épargne le tems qu’il faudroit employer à porter sur un livre tant de petites parties. Chaque taille est composée de deux morceaux de bois blanc & léger, ou plutôt d’un seul fendu en deux dans toute sa longueur, à la réserve de deux ou trois doigts de l’un des bouts ; la plus longue partie qui reste au marchand, se nomme la souche ; l’autre qu’on donne à l’acheteur, s’appelle l’échantillon. Quand on veut tailler les marchandises livrées, on rejoint les deux parties, ensorte que les incisions se font également sur toutes les deux ; il faut aussi les rejoindre, quand on veut arrêter le compte ; l’on ajoute foi aux tailles représentées en justice, & elles tiennent lieu de parties arrêtées. Dict. de Savary. (D. J.)

Taille, (Monnoyage.) c’est la quantité d’especes que le prince ordonne être faites d’un marc d’or, d’argent ou de cuivre : ce qui fait proprement le poids de chaque piece. On dit que des especes sont de tant à la taille, pour signifier qu’on en fait une certaine au marc. Ainsi l’on dit que les louis d’or sont à la taille de vingt-quatre pieces, & les louis d’argent ou écus à la taille de six pieces, lorsqu’on fait vingt-quatre louis d’or d’un marc d’or, & six écus du marc d’argent. La taille des especes a de tout tems été réglée sur le poids principal de chaque nation, comme de livre chez les Romains qui étoit de douze onces ; en France la taille se fait au poids de marc qui est de huit onces ; c’est aussi au marc que se fait la taille de la monnoie en Angleterre & dans d’autres états : ce qui s’entend selon que le marc est plus fort ou plus foible dans tous ces endroits. Boisard. (D. J.)

Taille, (Maréchal.) les chevaux sont de diverses tailles ; les plus petits ont trois piés, & les plus grands cinq piés quatre ou six pouces. Différens corps de cavalerie sont fixés pour leurs chevaux à des tailles différentes ; ainsi il y a des chevaux taille de dragons, de mousquetaires, de gendarmes, &c. Les chevaux de belle taille pour la selle ne doivent être ni trop grands ni trop petits.

Taille, (terme de Peigniers.) on nomme taille dans la fabrique & commerce des peignes à peigner les cheveux, la différence qui se trouve dans leur longueur, & ce qui sert à en distinguer les numeros. Chaque taille est environ de six lignes, qui ne commencent à se compter que depuis les oreilles, c’est-à-dire entre les grosses dents que les peignes ont aux deux extrémités. Savary. (D. J.)

Taille se dit de la hauteur & de la grosseur du corps humain. Cet homme est d’une haute taille ; il se dit plus particulierement de la partie du corps des femmes comprise depuis le dessous des bras jusqu’aux hanches ; si elle est toute d’une venue, grosse, courte, on dit que cette femme n’a point de taille, & qu’elle est mal faite ; si elle est légere, svelte, qu’elle aille depuis la poitrine jusqu’aux hanches en diminuant selon une belle proportion, & qu’au-dessus des hanches elle soit très-menue, on dit qu’une femme a la taille belle. Les vêtemens de nos femmes sont destinés à leur donner de la taille quand elles en manquent, & à la faire valoir, quand elles en ont ; pour cet effet on tient ce qu’on appelle leurs corps très-évasés par le haut, & très-étroits par le bas, d’où il arrive qu’on les étrangle, qu’on les coupe en deux comme des fourmis, & qu’on rend mal par art ce que la nature avoit bien fait. Grace aux précautions qu’on prend pour faire la taille, à l’usage des jarretieres & à celui des mules étroites & des petits souliers, il est presque impossible de trouver une femme qui n’ait le pié, la jambe, la cuisse & le milieu du corps gâté.

Taille, au pharaon, à la bassette, au lansquenet & autres jeux pareils, où l’on retourne les cartes deux-à-deux, dont l’une fait perdre & l’autre gagner le banquier ou celui qui taille, les pontes, ou ceux qui jouent contre le banquier. Ces deux cartes retournées s’appellent une taille.