L’Encyclopédie/1re édition/THASE

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THASE, (Géog. anc.) île de la mer Egée, sur la côte de la Thrace, à l’opposite de l’embouchure du fleuve Nestus. La plûpart des géographes écrivent Thasus ; mais Polybe & Etienne le géographe, disent Thassos, & Pline Thassus.

Thassus fils d’Agenor, roi des Phéniciens, passe pour avoir peuplé cette île, & pour y avoir demeuré plusieurs années : il lui donna son nom. L’île fut ensuite augmentée d’une nouvelle colonie grecque, qu’on y avoit menée de Paros ; ce qui la rendit considérable entre les autres îles situées dans la mer Egée ; mais elle ne continua guere de jouir de cette heureuse position : elle tomba sous la domination des Cériniens & des Entriens. Ces peuples s’y étoient rendus de la Thrace, ou des confins de l’Asie. A la fin les Athéniens se rendirent les maîtres de Thase ; ils la dépouillerent entierement de sa liberté, en desarmerent les habitans, & pour les tenir plus aisément dans la sujétion, ils les accablerent de continuels impôts.

Les Athéniens en furent dépossedés par les Macédoniens, & ceux-ci par les Romains. Thase essuya depuis le gouvernement tyrannique de plusieurs usurpateurs, & finalement elle fut contrainte de suivre le sort de l’empire de Constantinople, & de subir le joug de la domination turque. Mahomet II. s’en empara dès l’an 1453 ; elle fut traitée d’abord avec la derniere rigueur ; mais dans la suite, les Turcs même y établirent un négoce ; ce qui y attira derechef de nouveaux habitans.

Cette île contient aujourd’hui trois bourgs assez peuplés, & mis par des fortifications en état de défense. On donne même au plus grand de ces bourgs le nom de ville de Thaso. Les deux autres bourgs retiennent en quelque maniere leurs anciens noms ; l’un est appellé Ogygia ou Gisi, & l’autre Etira, ou Tyrra. Le commerce y attire des étrangers, & plusieurs bâtimens dans le port ; il en vient sur-tout de Constantinople.

Le terroir de cette île abonde en toutes choses nécessaires à la vie ; les fruits particulierement sont délicieux ; & elle a un excellent vignoble, célebre déjà dès le tems de Varron ; Virgile, Géorg. l. II. v. 91. en parle ainsi :

Sunt Thasiæ vites, sunt & Maræotides albæ.
Pinguibus hæ terris habiles, levioribus illæ.

Cette île a encore des mines d’or & d’argent, & des carrieres d’un marbre très-fin. Pline remarque que ces mines & ces carrieres rapportoient beaucoup dès le tems d’Alexandre le grand. Les empereurs ottomans ne les ont pas laissées en friche ; Sélim I. entre autres, & Soliman II. en ont tiré un profit considérable. Le sultan Amurath fit creuser avec succès dans la montagne qui est vers le septentrion de l’île, vis-à-vis de celle de Nesso : mais au bout de cinq mois, on discontinua ce travail, parce que la veine étoit manquée, ou plutôt parce qu’on avoit perdu le fil.

Les habitans de l’île de Thase avoient jadis fait une alliance étroite avec ceux de la ville d’Abdera, à dessein de se mettre à couvert des incursions des Sarrasins, & d’autres peuples barbares de l’Asie ; mais ils les abandonnerent dans les plus pressans besoins, lorsque ces barbares vinrent avec une armée ravager toute la côte meridionale de la Thrace. Après leur départ, ceux d’Abdere s’étant remis, penserent aux moyens de se venger des Thasiens qui avoient manqué à la foi promise, de s’assister mutuellement ; ils aborderent pour cet effet à l’impourvu dans cette île, & firent tout leur possible pour s’en rendre les maîtres. Les peuples voisins prirent part à cette guerre, & ils obligerent les Thasiens à donner une satisfaction convenable aux habitans d’Abdere.

Théagene étoit de Thase ; il fut souvent couronné dans les jeux de la Grece, & mérita des statues & les honneurs héroïques dans sa patrie. Un de ses ennemis ayant voulu un jour insulter une de ses statues, vint de nuit la fustiger par vengeance ; comme si Théagene en bronze eût pu sentir cet affront. La statue étant tombée tout-à-coup sur cet insensé, le tua sur la place. Ses fils la citerent en justice, comme coupable de la mort d’un homme, & le peuple de Thase la condamna à être jettée dans la mer, suivant la loi de Dracon, qui veut que l’on extermine jusqu’aux choses inanimées, qui, soit en tombant, soit par quelque autre accident, ont causé la mort d’un homme.

Quelque tems après, ceux de Thase ayant souffert une famine causée par la stérilité de la terre, envoyerent consulter l’oracle de Delphes : il leur fut répondu que le remede à leurs maux étoit de rappeller tous ceux qu’ils avoient chassés ; ce qu’ils firent, mais sans en recevoir aucun soulagement. Ils députerent donc une seconde fois à Delphes, avec ordre de représenter à la Pythie qu’ils avoient obéi, & que cependant la colere des dieux n’étoit point cessée : on dit que la Pythie leur répondit par ce vers :

Et votre Théagene est-il compté pour rien !

Au milieu de leur embarras, il arriva que des pêcheurs retrouverent la statue perdue, en jettant leurs filets dans la mer. On la remit dans son ancienne place ; & dès ce moment le peuple de Thase rendit les honneurs divins à Théagene ; plusieurs autres villes, soit grecques, soit barbares, en firent autant. On regarda Théagene comme une divinité secourable, & les malades sur-tout lui adresserent leurs vœux. (Le chevalier de Jaucourt.)