L’Encyclopédie/1re édition/VIVARAIS, le

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VIVARAIS, le, (Géog. mod.) ou le Vivarez ; petite province de France, dans le gouvernement du Languedoc ; elle est bornée au nord par le Lyonnois, au midi par le diocèse d’Uzès, au levant par le Rhône, qui la sépare du Dauphiné, & au couchant par le Vélay & le Gévaudan.

Le Vivarais a pris son nom de la ville de Viviers. Les peuples de ce pays s’appelloient autrefois Helvii, & appartenoient à la province romaine du tems de Jules César. Après la nouvelle division des provinces sous Constantin & ses successeurs, les Helviens furent attribués à la premiere Viennoise. Leur capitale s’appelloit Albe, & même Albe-Auguste, aujourd’hui Alps ; mais ce n’est plus qu’un bourg, qui a succédé à l’ancienne ville ruinée par les Barbares.

Lorsque l’empire romain s’écroula dans le cinquieme siecle, les peuples helviens tomberent sous l’empire des Bourguignons, & ensuite sous celui des François ; tout le pays est nommé dans Pline, Helvicus Pagus ; cet historien en fait mention, ainsi que du vin de son territoire, helvicum vinum.

Le Vivarais est divisé en haut & bas Vivarais par la riviere d’Erieu. Le haut Vivarais est couvert de montagnes qui nourrissent quantité de bestiaux. Le bas Vivarais est encore plus cultivé par l’industrie des habitans.

Argoux (Gabriel) avocat du parlement de Paris, mort au commencement de ce siecle, étoit né dans le Vivarais ; son institution au droit françois est un ouvrage estimé.

La Fare (Charles-Auguste de) né en 1644 au château de Valgorge en Vivarais, mourut à Paris en 1712. Il est connu par ses mémoires & par des vers agréables où regne le bon goût & la finesse du sentiment. Il la l’amitié la plus étroite avec l’abbé de Chaulieu, & tous deux faisoient les délices de la bonne compagnie. Inspirés par leur esprit, par la déesse de Cythere & par le dieu du vin, ils chantoient délicatement dans les soupers du Temple les éloges de ces deux divinités. Mais ce qu’il y a de singulier, c’est que le talent du marquis de la Fare pour la poésie ne se développa que dans la maturité de l’âge.

« Ce fut, dit M. de Voltaire, madame de Cailus, l’une des plus aimables personnes de son siecle par sa beauté & par son esprit, pour laquelle il fit ses premiers vers, & peut-être les plus délicats qu’on ait de lui ».

M’abandonnant un jour à la tristesse,
Sans espérance, & même sans desirs,
Je regrettai les sensibles plaisirs
Dont la douceur enchanta ma jeunesse.
Sont-ils perdus, disois-je, sans retour ?
Et n’es-tu pas cruel, Amour,
Toi que j’ai fait dès mon enfance
Le maître de mes plus beaux jours,
D’en laisser terminer le cours
A l’ennuyeuse indifférence ?
Alors j’apperçus dans les airs
L’enfant maître de l’univers,
Qui plein d’une joie inhumaine,
Me dit en souriant, Tircis, ne te plains plus,
Je vais mettre fin à ta peine ;
Je te promets un regard de
Cailus.

Quoique M. de la Fare vécût dans le grand monde, il en connoissoit aussi bien que personne la frivolité & les erreurs. Voyez comme il en parle dans son ode sur la campagne. Elle est pleine de réflexions d’un philosophe qui nous enchante par sa morale judicieuse.

Je vois sur des côteaux fertiles
Des troupeaux riches & nombreux,
Ceux qui les gardent, sont heureux,
Et ceux qui les ont, sont tranquilles.
S’ils ont à redouter les loups,
Et si l’hiver vient les contraindre,
Ce sont-là tous les maux à craindre ;
Il en est d’autres parmi nous.


Nous ne savons plus nous connoître,
Nous contenir encore moins.
Heureux, nous faisons par nos soins,
Tout ce qu’il faut pour ne pas l’être.
Notre cœur soumet notre esprit
Aux caprices de notre vie ;
En vain la raison se récrie,
L’abus parle, tout y souscrit.


Ici je rêve à quoi nos peres
Se bornoient dans les premiers tems :
Sages, modestes & contens,
Ils se refusoient aux chimeres.
Leurs besoins étoient leurs objets ;
Leur travail étoit leur ressource,
Et la vertu toujours la source
De leurs mœurs & de leurs projets.


Ils savoient à quoi la nature
A condamné tous les humains.
Ils ne devoient tous qu’à leurs mains,
Leur vêtement, leur nourriture.
Ils ignoroient la volupté,

Et la fausse délicatesse,
Dont aujourd’hui notre mollesse.
Se fait une félicité.
L’intérêt ni la vaine gloire
Ne dérangeoient pas leur repos ;
Ils aimoient plus dans leurs héros,
Une vertu qu’une victoire.
Ils ne connoissoient d’autre rang,
Que celui que la vertu donne ;
Le mérite de la personne
Passoit devant les droits du sang.

Heureux habitans de ces plaines,
Qui vous bornez dans vos desirs,
Si vous ignorez nos plaisirs,
Vous me connoissez pas nos peines ;
Vous goutez un bonheur si doux,
Qu’il rappelle le tems d’Astrée ;
Enchanté de cette contrée,
J’y reviendrai vivre avec vous.

Personne n’a mieux rendu que M. de la Fare, le naturel, la tendresse, la délicatesse, & l’élégante simplicité de Tibulle, témoin sa traduction de la premiere élégie du poëte latin : ceux qui la connoissent comme ceux qui ne la connoissent pas, me sauront gré de la leur transcrire.

Que quelqu’autre aux dépens de sa tranquillité
Amasse une immense richesse ;
Pour moi de mes desirs la médiocrité
Me livre entier à la paresse.
Je suis content, pourvû que ma vigne & mes champs,
Ne trompent point mon espérance,
Et que dans mon grenier & ma cave en tout tems,
Je retrouve un peu d’abondance.
Je ne dédaigne point, pressant de l’aiguillon
Du bœuf tardif la marche lante,
De tracer quelque fois un fertile sillon ;
Quelquefois j’arrose une plante.
Si le soir par hasard je trouve en mon chemin
Un agneau laissé par sa mere,
L’appellant doucement je l’emporte en mon sein,
Et je le rends à sa bergere.
Je lave & purifie avec soin mes troupeaux,
Pour me rendre Palès propice ;
Et lorsque la saison produit des fruits nouveaux,
J’en fais à Pan un sacrifice.
Je révere ces dieux & celui des confins,
Et Cérès d’épies couronnée,
Et chez moi, du puissant protecteur des jardins,
La tête de fleurs est ornée.
Et vous aussi, jadis d’un plus ample foyer,
O divinités tutélaires,
Recevez de vos soins un plus foible loyer,
Et des offrandes plus légeres.
J’offrois une génisse, a-présent un agneau
Convient à mon peu de richesse ;
Autour de lui se rend de mon petit hameau
Toute la rustique jeunesse ;
Qui crie à haute voix : ô dieux ! assistez-nous,
Acceptez les présens peu dignes
Qu’humblement nous venons offrir à vos genoux ;
Bénissez nos champs & nos vignes.
La premiere liqueur qu’on versa pour les dieux
Fut mise en des vases d’argille ;
Nos vases, comme au tems de nos premiers ayeux,
Ne sont que de terre fragile.
O vous, loups ravisseurs, épargnez nos moutons,
Allez chercher dans nos prairies,
Pour y rassasier vos appétits gloutons,
De plus nombreuses bergeries.
Je suis pauvre & veux l’être, & ne souhaite pas
Des grands l’importune abondance ;

Peu de chose suffit à mes meilleurs repas,
En mon lit est mon espérance.
O qu’il est doux, pendant une orageuse nuit,
D’embrasser un objet aimable !
Et de se rendormir dans ses bras, au doux bruit
Que fait une pluie agréable !
Qu’un tel bonheur m’arrive ; & soit riche à bon droit
Celui qui bravant la furie
De la mer & des vents, abandonne son toît ;
Pour moi j’irai dans ma prairie,
Eviter, si je puis, la chaleur des étés,
A l’abri d’un boccage sombre,
Et sous un chêne assis à l’ombre,
Voir couler en rêvant les ruisseaux argentés.
Ah ! périssent plutôt l’or & les diamans,
Que je cause la moindre allarme
A ma douce maîtresse, & qu’à ses yeux charmans
Mon absence coûte une larme !
C’est à toi, Messala, d’aller de mers en mers
Signaler ton nom par les armes ;
Je suis avec plaisir arrêté dans les fers
D’une beauté pleine de charmes.
Pour la gloire mon cœur ne peut formet des vœux ;
Oui, je consens, chere Délie,
D’être estimé de tous, foible & peu généreux,
Pour t’avoir consacré ma vie.
Qu’avec toi le désert le plus inhabité
A mes yeux paroîtroit aimable !
Qu’en tes bras, sur la mousse, en un mont écartl
Mon sommeil seroit agréable !
Sans le dieu des amours, sans ses douces faveurs,
Que le lit le plus magnifique
Est souvent arrosé d’un déluge de pleurs !
Car ni la broderie antique,
Ni l’or, ni le duvet, ni le doux bruit des eaux ;
Ni le silence & la retraite,
N’ont assez de douceur pour assoupir les maux
Qui troublent une ame inquiete.
Celui-là porteroit, Délie, un cœur de fer,
Qui pouvant jouir de ta vûe,
S’en iroit, assuré de vaincre & triompher,
Chercher une terre inconnue.
Que je vive avec toi, que j’expire à tes yeux,
Et puisse ma main défaillante,
Serrer encore la tienne en mes derniers adieux !
Puisse encor ma bouche mourante
Recevoir tes baisers mêlés avec tes pleurs !
Car tu n’es point assez cruelle,
Pour ne pas honorer par de vives douleurs,
La mort de ton amant fidele.
Il n’est jeune beauté qui regardant ton deuil
Ne sente émouvoir ses entrailles,
Qui n’en soit attendrie, & n’ait la larme à l’œil,
Au retour de mes funérailles.
Epargne toutefois l’or de tes blonds cheveux,
C’est faire à mes manes outrage
Qu’attenter à ton sein l’objet de tous mes vœux,
Ou meurtrir un si beau visage.
En attendant, cueillons le fruit de nos amours,
Le tems qui fuit nous y convie ;
La mort trop tôt, hélas ! mettra fin pour toujours
Aux douceurs d’une telle vie.
La vieillesse s’avance, & nos ardens desirs
S’évanouiront à sa vûe,
Car il seroit honteux de pousser des soupirs
Avec une tête chenue.
C’est maintenant qu’il faut profiter des momens
Que Vénus propice nous donne,
Pendant qu’à nos plaisirs & nos amusemens
La jeunesse nous abandonne.
J’y veux être ton maître, & disciple à mon tour.
Loin de moi tambours & trompettes,
Allez porter ailleurs qu’en cet heureux séjour
Le bruit éclatant que vous faites.

De la richesse ainsi que de la pauvreté,
Exempt dans ma douce retraite,
J’y saurai bien jouir en pleine liberté
D’une félicité parfaite.

Enfin le célebre Rousseau a consacré un sonnet, ou si l’on veut une épigramme, à la gloire de M. de la Fare. Il fait à son ami, dans cette épigramme, l’application du vers si connu de l’anthologie.

Ἤειδον μὲν ἐγών; ἐχαράσει δὲ θεῖος Ὅμηρος

Cantabam quidem ego : scribebat autem dius Homerus.

L’autre jour la cour du Parnasse.
Fit assembler tous ses bureaux,
Pour juger, au rapport d’Horace,
Du prix de certains vers nouveaux.
Après maint arrêt toujours juste
Contre mille ouvrages divers,
Enfin le courtisan d’Auguste
Fit rapport de vos derniers vers.
Aussi-tôt le dieu du Permesse
Lui dit : je connois cette piece,
Je la fis, en ce même endroit ;
L’Amour avoit monté ma lire,
Sa mere écoutoit sans rien dire,
Je chantois, la Fare écrivoit.


Le chevalier de Jaucourt.