L’Exil et la Mort du général Moreau/02

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L’Exil et la Mort du général Moreau
Revue des Deux Mondes5e période, tome 48 (p. 400-431).
L’EXIL ET LA MORT
DU
GÉNÉRAL MOREAU

II.[1]
DE LA PRISON DU TEMPLE AUX ÉTATS-UNIS


I

Au sortir de l’audience où, au mépris de toute justice, il venait d’être condamné, Moreau écrivait à sa femme : « On vient, ma chère amie, de me condamner à deux ans de prison. C’est le comble de l’horreur et de l’infamie. Si je suis un conspirateur, je dois périr. Certes, il ne peut pas y avoir de circonstances atténuantes, comme le jugement le porte. C’est, évidemment, un jugement dicté pour justifier le rapport du Grand Juge. Je serai au Temple dans une heure. L’indignation m’empêche de t’en dire davantage. Je ne veux aucune grâce. Envoie-moi mes conseils demain. »

On retrouve les mêmes sentimens dans une note que, quelques jours plus tard, Moreau rédige de sa main. Il a été averti par des rumeurs, dont il ne peut, d’ailleurs, vérifier l’exactitude, des dispositions de Napoléon à son égard. On lui a dit que l’Empereur, d’abord irrité de la modération des juges et de leur sentence, songe maintenant à lui faire remise de cette peine qu’au moment où elle était prononcée, il a jugée trop légère et à y substituer un décret d’exil, si Moreau veut signer son recours en grâce. On a même ajouté, qu’au prix d’une soumission éclatante et de regrets solennellement exprimés, le condamné pourrait être réintégré dans l’armée. Sans savoir si ces rumeurs méritent créance, il y répond :

« Le jugement qui me condamne à deux ans de prison est trop ridicule pour ne pas expliquer les motifs qui l’ont fait naître. Il fallait justifier le rapport du Grand Juge, les ordres de Murat[2], les dix mille adresses, la liste des brigands, etc. S’il y avait conspiration et s’il est constant que j’y avais pris part, je devais être condamné à mort comme le chef. Personne ne croira qu’il y ait eu de cause atténuante pour moi, qui m’ait fait condamner comme si j’y avais joué le rôle d’un caporal. Nul doute qu’il y avait ordre de me condamner à mort. La peur a empêché les juges de se prêter à cet acte d’atrocité. Alors, on a marchandé sur la punition, et les deux ans de détention ont paru suffisans au gouvernement pour se consolider pendant que je serais séquestré de la société et au Grand Juge pour justifier les rapports et les adresses. Les juges ont consenti à ce marché honteux.

« Je connais les inconvéniens de la détention. Mais on ne conserve jamais son honneur sans danger, et nul doute qu’une capitulation de ma part me le fait perdre sans retour. Si le gouvernement ne se trouve pas encore assez rassuré parce que je suis dans une prison d’Etat et veut ordonner un exil hors de France, je m’y soumettrai puisqu’il n’y a jamais déshonneur à obéir à la force. Mais je ne peux négocier sur ce point. Mon consentement en ferait une grâce et je n’en veux pas.

« Quant à reprendre mon grade dans l’armée, ni le gouvernement ni moi ne pouvons faire un tel arrangement. D’un côté, défiance continuelle ; de l’autre, mécontentement. C’est un gâchis que personne ne pourrait expliquer. Ainsi, si le gouvernement ne me trouve pas bien ici, qu’il prenne une mesure d’exil, plus sévère ; à la bonne heure. Mais je ne puis consentir que ce soit un adoucissement.

« Pourquoi n’ai-je pas vu encore mes conseils ? Je n’ai plus que deux jours pour l’appel en cassation et je crois que c’est le moyen le plus raisonnable. Si le jugement est cassé, alors, je peux traiter sans déshonneur. »

Le pourvoi en cassation, dont parlait Moreau, fut signé par lui vingt-quatre heures plus tard. A tort ou à raison, il était convaincu que le jugement qui le condamnait serait cassé. Tout autorise à supposer que telle était aussi la pensée de Napoléon, on peut même dire sa crainte, car, déjà violemment irrité de n’avoir pu arracher au tribunal une sentence de mort qu’il se serait fait gloire de commuer en une peine moindre, il ne pouvait envisager sans déplaisir l’hypothèse d’une décision de la cour suprême, favorable au condamné. Soit qu’il eût cédé à cette crainte, soit qu’il considérât comme propre à grandir Moreau, sans le faire oublier, une détention de deux années et qu’il préférât l’éloigner du territoire français, le général, en même temps que s’élaborait le décret qui le rayait du contrôle de l’armée[3], apprenait que, s’il se désistait de son pourvoi, remise lui serait faite de sa peine, à condition qu’il partirait pour l’Amérique.

On l’a vu, dans une des lettres qu’il écrivait à sa femme, au cours de sa détention, exprimer le désir de quitter la France. La décision prise par l’Empereur ne pouvait donc que lui plaire et il eût été surprenant qu’il ne l’acceptât pas. Il est certain, d’ailleurs, que Napoléon avait hâte de le savoir au-delà des mers[4]et c’est afin de faciliter son prompt éloignement qu’il ordonna de lui acheter la terre de Grosbois ainsi que sa maison de la rue d’Anjou, afin de lui assurer les ressources dont il avait besoin pour vivre à l’étranger[5].

Bien que le jour de son départ ne fût pas encore fixé, Moreau ne s’occupa plus que des préparatifs de son voyage. Il les dirigeait du fond de sa prison, tantôt en en parlant avec sa femme quand elle était admise à le voir, tantôt en lui envoyant ses instructions.

Il avait exigé qu’elle ne quittât Paris qu’après lui. Alors grosse de six mois, elle était tenue à des ménagemens incompatibles, avec les conditions dans lesquelles devait voyager son mari prisonnier, et d’autre part, le soin de régler leurs affaires, en vue d’une absence dont il était impossible de prévoir la durée, nécessitait plus de temps qu’on ne lui en laissait à lui-même. Comme il était averti que, l’Empereur désirant qu’il partît non d’un port de France, mais d’un port d’Espagne, on le conduirait jusqu’à la frontière, sur la route de Barcelone, il avait donné rendez-vous à Mme Moreau dans cette ville.

C’est en ces circonstances que, le 25 juin, Georges Cadoudal et ses complices, condamnés à mort, furent exécutés. Le même jour, à onze heures du soir, le général Savary, aide de camp de l’Empereur, se présentait au Temple, en compagnie du commandant Henry et invitait Moreau à se tenir prêt à partir à minuit pour l’Espagne. Le proscrit voyagerait jusqu’à la frontière sous la garde du commandant ; de Barcelone, il devrait se rendre sans retard à Cadix où il s’embarquerait sur le premier navire en partance pour l’Amérique.

Moreau s’étonnant qu’on ne lui accordât même pas le temps d’embrasser sa femme, Savary répliqua qu’elle le suivrait bientôt et qu’ils ne tarderaient pas à se réunir au terme de leur route. Le condamné se récria ; il déclara que, ne voulant pas laisser Mme Moreau faire seule un pénible voyage de mer, il attendrait à Barcelone qu’elle fût en état de partir. Savary se le tint pour dit et se retira après avoir renouvelé au prisonnier l’ordre d’être prêt à se mettre en route, à minuit.

La lettre que, durant cette soirée, Moreau écrit à sa femme le montre s’appliquant à dissimuler le véritable état de son âme, à cacher l’indignation que déchaîne en lui ce départ précipité ; il feint d’être uniquement dominé par des préoccupations d’ordre matériel.

« Je pars cette nuit, ma bien chère amie, et on m’annonce que tu me suivras bientôt ; mais, comme je dois voyager nuit et jour, dans l’état où tu es, il n’était pas possible de te faire voyager aussi promptement ; et puis, il te faut bien quelques jours pour les préparatifs d’un aussi long voyage.

« Comme nous allons dans un pays de chasse, n’oublie pas d’emporter mes fusils montés à gauche et les ustensiles qui en dépendent. Tu feras aussi quelques liasses de livres ; il est impossible d’ici que je t’indique ceux que tu pourras emporter. Je laisse à ta sagacité à emporter ceux qui me seront le plus utiles, comme les livres d’histoire, de diplomatie, de philosophie…, etc. Quant à mes campagnes, tu prendras toutes les mesures possibles pour qu’on envoie tout à Mme Hulot, qui mettra les originaux à part et m’enverra des copies sur lesquelles je travaillerai.

« On ne me laisse qu’un très petit moment pour t’écrire ; on m’a prévenu à onze heures qu’on viendrait me chercher à minuit. J’ignore à quoi attribuer ces précautions et autant de précipitation ; mais il paraît à cet égard que les ordres sont très sévères… »

Le silence des documens ne nous permet pas de suivre Moreau de Paris à la frontière. De son voyage, nous ne savons qu’une chose, c’est qu’il se fit pour ainsi dire sans débrider. On courut nuit et jour. On ne s’arrêtait qu’aux relais, pour changer les chevaux et aux auberges, à l’heure des repas. Aucun incident ne semble s’être produit ni sur la route, ni aux étapes. Le 28 juin, Moreau passait la frontière et entrait en Espagne. Là, nous le perdons de vue jusqu’au 16 juillet, date de son arrivée à Barcelone, où il descend à « la Fontaine d’Or. » Il y reçut un accueil digne de sa renommée. Dans les rares notes où il mentionne, en deux lignes, ses allées et venues, il constate que, le 19, assistante une course de taureaux, il a été reconnu par les spectateurs et vivement applaudi. Le 22, sa femme le rejoignait et ils s’embarquaient bientôt sur la Vierge du Carmel pour se rendre à Cadix. Ils avaient préféré la voie de mer à la route de terre, par crainte des mauvais gîtes et des bandits. Ils étaient à Cadix le 2 août. Leur fils Eugène, alors âgé de trois ans, était resté en France avec sa grand’mère, Mme Hulot, qui devait le leur envoyer un peu plus tard.

Le 14 septembre, Mme Moreau accouchait heureusement d’une fille[6]et, bientôt après, elle était en état de se mettre en chemin. Mais, à cette époque, s’était déclarée à Cadix une épidémie de fièvre jaune, importée de Malaga par un navire américain. D’autre part, l’Angleterre étant en guerre avec l’Espagne, une flotte britannique bloquait les côtes d’Andalousie et Moreau pouvait craindre de tomber, en cours de route, aux mains des Anglais. Ces raisons lui parurent décisives en faveur de la prolongation de son séjour en Europe. Ne voulant pas rester à Cadix, à cause de l’épidémie régnante, il alla s’installer à la campagne, dans les environs, afin de se mettre, lui et les siens, à l’abri du fléau.

Une fois encore, à partir de ce moment, nous ne savons ce qu’il devient et le seul motif qui nous autorise à penser qu’il revint bientôt dans cette ville, c’est qu’ayant appris qu’à Paris la police s’étonnait et s’inquiétait de le savoir encore en Espagne, et écrivant le 3 décembre à Fouché, afin de lui faire connaître les causes qui l’y retenaient, il datait sa lettre de Cadix.

« Monsieur, on me mande de Paris que vous avez témoigné beaucoup d’étonnement de ce que j’étais encore à Cadix, que j’aurais dû partir pour l’Amérique sans débotter, et que ma famille m’aurait rejoint au beau temps. Lorsque M. Savary vint à onze heures du soir au Temple, me dire qu’à minuit, je partirais pour l’Amérique, je lui déclarai très positivement, en présence de M. Henry, qu’à la première ville d’Espagne j’attendrais mon épouse et que, sûrement, je ne la laisserais pas faire seule un voyage aussi pénible. On se garda bien de faire aucune observation sur une chose aussi raisonnable.

« Quand j’arrivai à Cadix, mon épouse était enceinte de huit mois et nous n’eûmes que le temps de faire les préparatifs de ses couches. Existe-t-il au monde un être assez dénaturé pour exiger que je me fusse embarqué pour l’Amérique, abandonnant dans un pareil état une femme dont la grossesse avait été aussi pénible ?

« La fièvre jaune avait commencé ses ravages dans la malheureuse contrée que nous habitons : partout, on opposait les cordons les plus rigoureux aux progrès de la maladie. Quel est le vaisseau qui eût consenti à se charger d’une famille qui pouvait porter dans son sein la mort la plus affreuse ? Des agens français ont voulu fuir la contagion : toutes les issues leur ont été fermées. Ce fléau finira sans doute en Europe ; mais, à peine échappé comme par miracle à ce péril, il faut que je me hâte d’y exposer de nouveau ma femme et son nourrisson en les conduisant dans le pays qui en a infesté l’Espagne, ou que je les abandonne dans une terre étrangère.

« On me permettra sans doute de me précautionner, avant de m’embarquer, contre la presque certitude d’être pris. Je n’ai pas le désir d’aller en Angleterre ni comme réfugié, ni comme prisonnier, et la guerre qui vient d’éclater en Espagne en ferme la sortie à tous les vaisseaux. On ne m’objectera sûrement pas que, n’étant qu’un particulier, je ne puisse être soumis aux lois de la guerre ; tous les citoyens les plus étrangers à la profession des armes y ont été assujettis dans la guerre actuelle, et puis, celui qui a commandé des armées en Europe pendant dix ans ne peut plus être un particulier pour les ennemis de sa patrie. Cette vérité a été tellement sentie par le gouvernement français, que c’est sans doute le seul obstacle qu’on a trouvé à me faire partir d’un port de France.

« Je n’ajouterai plus qu’un mot aux observations que je viens de vous faire : il y a aujourd’hui quatre ans que je gagnais la bataille de Hohenlinden. Cet événement assez glorieux pour mon pays, a eu l’avantage de procurer à mes concitoyens un repos dont ils étaient privés depuis longtemps. Moi seul, je n’ai pas encore pu l’obtenir. Me le refuserait-on à l’extrémité de l’Europe et à cinq cents lieues de ma patrie ? »

On doit croire que cette lettre produisit les effets qu’en attendait Moreau. Il n’existe aucune trace de tentatives nouvelles de Fouché pour peser sur ses résolutions et, six mois plus tard, il était encore à Cadix. Il avait eu le bonheur d’y recevoir son fils, le 28 avril, et le désagrément d’y courir, le 5 mai, le plus grand danger. En visitant un vaisseau sur lequel il se proposait de prendre passage, il tomba à fond de cale, au risque de se tuer. Il en fut quitte « pour une meurtrissure générale. » Il dut, cependant, retarder son départ et, en fait, il ne s’embarqua que le 4 juillet, sur le New-York qui faisait voile pour Philadelphie.

Les notes qui nous servent de guide pour le suivre sont aussi laconiques, en ce qui touche sa traversée, que celles d’où sont tirés les détails qui précèdent. Nous y voyons qu’à la sortie de Cadix, le navire fut examiné par la flotte anglaise et qu’un peu plus loin, il rencontra la grande escadre de Nelson dont les officiers, en apprenant que Moreau était à bord du New-York, tinrent à honneur « de lui offrir des rafraîchissemens. » Le 25 août 1805, après cinquante-deux jours de route, il abordait à Philadelphie. « Il y reçoit la visite des corps constitués et de tout ce que la ville compte de considérable, malgré les agens français qui voulaient s’opposer à ce qu’on lui donnât aucune marque d’intérêt. » Dès le lendemain, il se mettait en quête d’une maison de campagne à louer, la trouvait à Morisville, État de Pensylvanie et s’y établissait le 1er septembre.

Toute sa conduite, à ces premières heures de son exil, témoigne d’une tranquillité d’âme qui ne laisserait pas d’étonner, si l’on ne savait que c’est son mérite de savoir se dominer quand sa dignité l’exige et si l’on ne se rappelait aussi qu’il est dans la nature humaine de trouver une jouissance profonde dans l’apaisement qui, le plus souvent, suit les dangers qu’on a courus et les agitations qu’ils ont provoquées. Si cruelle que fût sa destinée, il n’en souffrait pas à cette heure, comme il en avait souffert et comme il en devait souffrir plus tard. Le péril passé, il ne goûtait que le plaisir d’y avoir échappé. Une vie nouvelle s’offrait à son activité ; il y entrait avec l’espoir qu’elle effacerait de sa mémoire les souvenirs amers du passé qui venait de se clore et n’y laisserait que celui des actes éclatans auxquels il devait la renommée et la gloire.

Il ignorait d’ailleurs qu’en ce même moment, en Europe, on s’inquiétait de lui, et que les gouvernemens hostiles à l’empereur Napoléon se demandaient s’il ne conviendrait pas d’employer Moreau contre le conquérant, le dominateur, le despote, qu’ils considéraient comme l’ennemi commun, comme l’obstacle à la paix continentale.

Le fameux libraire Fauche-Borel, cette « mouche du coche » de l’émigration, dont nous avons relevé ailleurs[7]la niaiserie, les vantardises et les mensonges, raconte dans ses Mémoires, qu’étant sorti du Temple où il était détenu en même temps que Moreau, il avait conçu le projet d’utiliser, contre Napoléon et au profit des Bourbons, les talens militaires du général.

Se trouvant à Berlin, au mois de juillet 1805, il se serait ouvert de ce projet à l’ambassadeur de Russie auprès du roi de Prusse et lui aurait remis trois notes dont il reproduit le texte, à l’effet de démontrer les avantages que s’assurerait la Russie en confiant à l’illustre soldat, victime de Napoléon, le commandement d’une armée, Il va jusqu’à prétendre qu’en rédigeant ces notes, il s’était inspiré « des instructions qu’il avait reçues du général Moreau pendant son séjour au Temple, » et il le déclare formellement, en tête de la première, afin, sans nul doute, de frapper l’esprit de l’ambassadeur auquel il s’adressait. Mais son mensonge est éclatant, et c’est lui-même qui nous en fournit la preuve.

Quelques pages plus haut, en effet, il raconte que, pendant son séjour au Temple, la surveillance exercée sur les prisonniers était si rigoureuse qu’il n’a pu s’entretenir avec Moreau qu’une seule fois et pendant quelques minutes à peine ; il répète ce qu’ils se sont dit et il n’y apparaît rien qui ressemble à des instructions formulées par son interlocuteur en vue d’éventualités futures. On doit nécessairement en conclure que s’il a comme il l’affirme, exécuté le projet dont il parle, il est faux que ce projet lui ait été suggéré par Moreau dont les dispositions, révélées par ses lettres à sa femme, étaient alors bien différentes de celles que lui attribue Fauche-Borel.

Celui-ci est du reste contraint d’avouer que ses notes à l’ambassadeur russe restèrent sans résultat. « Leur vrai sens, écrit-il, échappa à l’empereur Alexandre. Les ministres se bornèrent à proposer à Moreau le grade de général dans les armées russes ; il le refusa. Ainsi que je l’avais annoncé, il ne voulait point servir sous les drapeaux étrangers, mais bien comme auxiliaire à la tête d’un corps français sous la protection des alliés. »

Pour la petite part de vérité que contiennent ces lignes, elles prouvent surtout que Fauche-Borel ignorait les véritables dispositions de Moreau.


II

L’idée d’employer Moreau contre Napoléon et de tirer parti du ressentiment qu’on devait lui supposer contre l’artisan de son malheur, était si naturelle, qu’on ne saurait s’étonner qu’elle ait été caressée par plusieurs des puissances qu’effrayait l’ambition du nouveau maître de la France. Une dépêche ultérieure du baron Grégoire Strogonoff, ambassadeur russe à Madrid, envoyée par lui à sa cour, permet de supposer que Moreau, pendant le séjour d’une année qu’il fit en Espagne, fut l’objet des sollicitations du premier ministre de ce pays, Godoï, prince de la Paix, sinon pour le présent, du moins pour l’avenir.

« Dans le courant des dernières conférences que j’aie eues avec le prince de la Paix, écrivait Strogonoff, le 5 octobre 1806, il me dit qu’il était étonné que les puissances coalisées n’eussent pas pensé, lors de la dernière guerre, à confier à Moreau le commandement d’une armée contre la France et me confia, sous le plus grand secret, les vues qu’il avait sur ce général, à l’époque où l’Espagne devra agir. Il m’apprit, en même temps, qu’il entretenait avec lui une correspondance suivie et que, ce même jour, il venait d’en recevoir une lettre qui manifestait bien clairement le désir que le général conservait d’épouser la cause d’une puissance assez prépondérante pour l’employer avec succès et le garantir de la persécution de Bonaparte. »

De ce passage de la dépêche de Strogonoff, il résulte que le gouvernement espagnol avait déjà dû faire des propositions à Moreau, dont la correspondance confidentielle, que Godoï prétendait entretenir avec lui, était la suite. Il est vrai que son affirmation ne laisse pas de paraître invraisemblable quand on la rapproche d’une déclaration rédigée par le général pour l’empereur de Russie, au mois de juin 1807, qu’on lira plus loin et dans laquelle, en déclinant les offres positives qui lui sont faites au nom du Tsar, il exprime des sentimens tout contraires à ceux que lui prête Godoï. Il faut aussi se rappeler que le Prince de la Paix est coutumier de mensonges diplomatiques ; ce n’est pas le calomnier de supposer que, pour convaincre l’ambassadeur russe de l’utilité qu’il y aurait à employer Moreau, il a imaginé de toutes pièces cette fable d’une lettre, que, d’ailleurs, il ne communique pas et qui lui aurait apporté le même jour la preuve que les dispositions du général étaient conformes aux vues des alliés.

Au surplus, quelle que soit la vérité sur ce point, il est tout au moins démontré que l’Espagne a songé à utiliser les services de Moreau. Le bruit qui court au même moment que le général a accepté les offres de l’Autriche et qu’il vient d’arriver à Londres, ce dont s’inquiète la police française, autorise à penser que cette puissance a été animée d’un désir analogue à celui de l’Espagne. On va voir enfin par des témoignages plus positifs que c’est aussi le désir de la Russie. Il nous est révélé par une lettre du ministre russe, le prince Czartorisky, à Strogonoff, écrite le 9 août 1805, alors qu’à Saint-Pétersbourg, on ignore encore que le général Moreau s’est embarqué pour les États-Unis.

« Il nous est revenu que le général Moreau, appréciant dans sa retraite la manière d’agir de notre Auguste souverain dans les circonstances critiques où se trouve l’Europe, avait, à plusieurs reprises, fait entrevoir que, si jamais il se décidait à entrer au service de quelque puissance étrangère, il ne passerait qu’à celui de la Russie.

« L’acquisition d’un homme du mérite et de la réputation du général Moreau, pouvant être de la plus haute importance dans l’état actuel des affaires, surtout par l’influence qu’il doit avoir conservé en France, Sa Majesté Impériale vous charge, monsieur, de chercher à vous assurer plus particulièrement des dispositions qu’il a énoncées, et, si le résultat de vos recherches était conforme à ce qui nous est revenu, de lui faire des insinuations propres à le gagner pour le parti de la bonne cause. Vous pourrez vous servir à cet effet d’un des employés de votre mission et préférablement de M. de Hongberg, que vous enverrez auprès du général, si cela peut se faire sans trop risquer, en le munissant d’instructions sur la manière dont il devra s’y prendre avec lui et sur le langage qu’il lui tiendra.

« Il serait à désirer sans doute de pouvoir engager le général à entrer au service de la Russie, qui lui offrirait, outre le même grade qu’il avait en France, tous les avantages et les distinctions auxquels il a droit d’aspirer ; mais, comme il répugnera peut-être à ses principes de se prêter à une pareille proposition dans un moment où l’on peut s’attendre à une guerre prochaine contre le gouvernement français, vous ne manquerez pas en tout cas de lui offrir une retraite honorable dans les États de l’Empereur, où il serait à l’abri de toute persécution de la part de ses ennemis.

« Vous lui ferez sentir en même temps, que l’on désire simplement tirer parti de ses lumières et de son expérience pour terminer le plus tôt possible une guerre qui, si elle a lieu, n’aura été entreprise que pour mettre un frein à l’ambition démesurée de Bonaparte, dont le despotisme est aussi incompatible avec la sûreté générale de l’Europe qu’avec le bien-être de la France même ; que Sa Majesté Impériale connaît parfaitement bien la différence très marquée qui doit être faite entre la nation française et l’heureux aventurier qui l’a fait plier sous son joug ; qu’il ne peut nullement être question d’en vouloir à celle-là, et que, bien au contraire, il ne s’agit que de la délivrer du joug sous lequel elle gémit ; que, dès lors, les résultats d’une pareille guerre ne pourront que tourner à l’avantage de la grande majorité du peuple français, dont les intérêts à cet égard sont les mêmes que ceux des puissances alliées.

« De plus, vous assurerez le général que l’Empereur est fermement intentionné de faire respecter les droits, biens et propriétés d’un chacun et nommément ceux des acquéreurs de biens nationaux ; enfin, vous ajouterez que Sa Majesté est très éloignée de vouloir gêner le moins du monde le vœu de la nation pour tout ce qui regarde l’intérieur ; qu’Elle sera prête à sanctionner tout, mode d’administration que les habitans, d’un vœu libre et spontané, voudront se donner et que, surtout, Elle n’est nullement guidée par une prédilection quelconque pour la maison de Bourbon.

« A l’égard de ce dernier point, il ne serait pas superflu cependant de sonder le général Moreau sur sa manière d’envisager les droits de la Maison royale, ainsi que sur la possibilité de réunir tous les partis si l’on remettait un Bourbon sur le trône, avec les restrictions et modifications qu’exigent les circonstances, et surtout l’opinion publique, qui règne en France.

« Vous chargerez la personne que vous emploierez, dans cette occasion, d’approfondir la manière de penser du général sur cet objet, mais avec la plus grande réserve et en évitant surtout de détruire l’assurance qu’on lui aura donnée à cet égard.

« Je me suis borné à vous indiquer les principaux argumens qui me paraissent capables de décider le général Moreau à se prêter à nos vues et j’abandonne à vos soins d’y ajouter tout ce qui pourra contribuer au succès. Vous êtes même autorisé à lui confier en cas de besoin, mais avec toutes les précautions qu’exige la prudence, le plan et le but de la coalition, ainsi que les moyens que l’on se propose d’y employer. Vous relèverez à ses yeux la nouvelle gloire dont il pourra se couvrir et la reconnaissance qu’il méritera de sa patrie, en coopérant aux efforts communs dont l’un des principaux résultats doit être de la libérer du gouvernement despotique qui pèse sur elle.

« Enfin, si toutes ces raisons réunies produisent sur le général l’effet désiré, vous l’inviterez à se rendre à telle de nos armées soit en Allemagne, soit en Italie, qu’il choisira lui-même. Le général commandant en chef nos troupes sera prévenu de le recevoir sur une lettre ostensible que vous lui donnerez de votre part. Vous tâcherez en même temps de lui fournir tous les moyens et les facilités qui dépendront de vous pour son départ d’Espagne.

« S’il se refusait décidément à entrer à notre service, vous lui ferez entendre, qu’il pourrait également se rendre à l’une de nos armées, en conservant son titre de général français. Les motifs graves qu’a le général Moreau contre le gouvernement qui l’a accablé d’injustices et d’ingratitude, ainsi que ses principes auxquels on ne saurait ne pas rendre justice, le mettront toujours au-dessus de tout ce que la malveillance pourrait trouver à redire. »

Lorsque cette lettre fut écrite, Strogonoff venait de quitter Saint-Pétersbourg pour se rendre à son poste, à Madrid, en passant par Londres et Lisborme. Elle suivit la même voie et le trouva à Londres. Elle n’était que depuis quelques heures dans ses mains, quand lui en arriva une seconde. Après le départ de la première, on avait appris, à Saint-Pétersbourg, que Moreau n’était plus en Espagne et faisait voile vers l’Amérique. Il y avait donc lieu de modifier les instructions données à Strogonoff, et Czartorisky lui en envoyait de complémentaires, propres à faciliter l’exécution des précédentes.

« Au moment de l’expédition de la présente, j’apprends avec peine que le général Moreau s’est déjà embarqué pour l’Amérique. Quoique cette nouvelle ne nous soit parvenue que par les gazettes, cependant je n’en crois pas moins devoir vous donner des directions pour le cas où elle se trouverait être fondée. Ce contretemps serait très fâcheux ; mais, comme l’objet est trop important pour que l’on ne doive employer tous les moyens possibles afin de le remplir, il sera bien que vous tâchiez de trouver une voie non suspecte pour faire parvenir au général Moreau les propositions que vous êtes chargé de lui faire.

« Comme, cependant, elles ne seront pas de nature à être confiées au papier, vous verrez s’il n’y a pas moyen de trouver une personne sûre, qui serait dans le cas de se rendre en Amérique, ou bien qui y passerait exclusivement pour l’objet en question, et à laquelle vous puissiez communiquer verbalement les détails de ce que vous avez à dire au général. Il se peut que la présente vous trouve encore à Londres ou à Lisbonne, et dans ce cas, vous êtes autorisé à vous concerter avec le comte de Woronzoff[8]ou bien avec M. de Wassilieff[9]sur le choix de la personne dont je viens de vous parler, lequel devrait se faire toutefois avec le plus de réserve et de prudence possible. Mais, si vous ne parveniez pas à en trouver une, alors il serait bien que vous vous appliquiez à apprendre si le général Moreau n’a point laissé en Espagne ou ailleurs quelque homme de confiance chargé de la direction de ses affaires particulières.

« Si cela est, comme on doit le présumer, vous vous aboucherez avec lui, et s’il était à Cadix ou dans telle autre ville d’Espagne ou du Portugal, vous y enverrez M. de Hongberg ou celui que vous aurez choisi, sous quelque prétexte plausible, pour lui communiquer une plus ou moins grande partie des propositions dont il s’agit, d’après le degré de confiance que ce personnage vous inspirera, afin qu’il les fasse passer au général. Il s’entend que, dans chacun de ces cas, vous devrez redoubler de soins et de circonspection pour ne vous compromettre d’aucune manière.

« Au reste, on ne se dissimule pas ici que la commission dont il s’agit est infiniment scabreuse et qu’il faudra un concours de circonstances très favorables pour que vous puissiez vous en acquitter avec succès. C’est pourquoi je trouve nécessaire de vous prévenir que ce ne sera qu’autant que vous en trouverez les moyens indiqués dans la présente dépêche que vous devez agir, sans vous faire une obligation absolue de combattre des difficultés qui seraient insurmontables. »

La difficulté des communications avec l’Amérique, la surveillance toujours active dont on avait lieu de supposer que, même sur la terre d’exil, Moreau était l’objet de la part du gouvernement français et, enfin, l’absence de toute personne assez liée avec lui pour lui faire part des offres russes, sans l’effaroucher et sans qu’il en transpirât rien au dehors, rendaient presque inexécutable la mission confiée à Strogonoff. Ni de Lisbonne, ni de Madrid où il arriva bientôt après, il ne put établir une communication sûre avec Moreau et il dut en faire l’aveu à Czartorisky. Mais celui-ci n’avait pas attendu sa réponse pour imprimer, par une autre voie, à la négociation qu’il poursuivait, une activité plus grande.

Vers le milieu de septembre, il faisait choix, avec l’autorisation du Tsar, d’un jeune diplomate, le chambellan comte de Pahlen[10], que des circonstances antérieures avaient mis en relations avec le général et le chargeait d’aller le trouver en Amérique afin de s’entretenir avec lui. Les instructions données à l’envoyé, le 23 septembre, et les précautions prises pour envelopper de mystère sa mission, attestent l’importance du prix qu’attachait Alexandre au succès de ces démarches.

Dans la lettre secrète qui accompagne les pièces qui lui sont nécessaires, on lui fait d’abord remarquer que le nom du général Moreau n’y est pas prononcé, « afin qu’en cas d’accident, ni vous ni lui ne puissiez être compromis. C’est par la même raison, qu’après vous être pénétré du contenu de la présente lettre, vous me la renverrez. » On veut, en un mot, que Pahlen ne soit porteur d’aucun papier propre à faire connaître l’objet de son voyage en vue duquel on lui trace des directions précises.

Il devra d’abord, en qualité de simple voyageur, se rendre à Londres où on a recommandé à l’ambassadeur russe, le comte Woronzoff, de le seconder en tout ; il s’assurera si le général a quitté le continent et, dans ce cas, il profitera de la première occasion favorable pour se rendre en Amérique et toujours « à titre de voyageur. » Là, il renouera connaissance avec le général Moreau ; il tâchera de l’amener à s’expliquer sur la manière dont il envisage ce qui se passe en Europe et à savoir s’il est dans ses desseins d’y prendre part.

« Si vous vous aperceviez qu’il n’attend qu’une occasion favorable de se venger des persécutions qu’il a essuyées et en même temps de rendre à son pays la liberté dont il est privé, alors, vous lui communiqueriez les notions contenues dans la note que je vous adresse aujourd’hui ; vous lui montreriez combien le but que notre auguste maître s’est proposé est grand et, en même temps, favorable à la nation française ; vous lui représenteriez qu’il serait beau pour un homme comme lui, qui a toute la confiance de la nation, d’en devenir le libérateur, et vous tâcheriez de l’amener à se concerter avec vous sur les meilleurs moyens d’y parvenir.

« Il serait particulièrement à désirer que vous puissiez faire sentir au général Moreau que le point le plus essentiel serait que les divers partis agissent dans un même sens, par exemple, les républicains avec les royalistes, parce que, sans contredit, c’est de cette union que pourrait résulter le bien, et certainement la France aurait toujours beaucoup gagné si elle pouvait remplacer, par une monarchie mitigée, la véritable tyrannie sous laquelle elle gémit en ce moment. Cependant, vous n’insisterez aucunement pour que le général Moreau agisse de concert avec les Bourbons, si vous remarquiez qu’il y a de la répugnance et vous l’assurerez que nous adopterons avec confiance les plans quelconques qu’il tracera.

« Enfin, si vous aviez lieu de croire que le général Moreau serait prêt à seconder la Russie dans ses vues, vous vous ouvririez entièrement à lui et vous lui annonceriez que l’Empereur, mettant la plus grande confiance dans ses talens, dans son patriotisme et dans sa loyauté, serait charmé qu’il voulût entrer à son service ou prendre une part à la délivrance de la France, de la manière dont il croirait le plus facilement pouvoir y parvenir. Vous lui promettriez les avantages indiqués dans la lettre que je vous adresse sur cet objet[11], et vous l’assureriez que, s’il faut faire des sacrifices pour l’assister dans les plans qu’il formera ou les faire adopter par telle Cour, ou telle personne qu’il indiquera, nous y apporterons tous nos soins, qui ne seront certainement pas sans effet.

« S’il acceptait vos offres, vous vous embarqueriez avec lui pour revenir en Europe. Vous tâcheriez de prendre langue avec l’un de nos ministres soit en Espagne, en Italie, en Angleterre ou en Allemagne, pour savoir quelle est la situation de nos armées et vous conduiriez le général Moreau à celle dont vous pourriez vous approcher avec le plus de facilité.

« Dans l’intervalle, nos généraux seront instruits sur la manière dont ils auront à se conduire à son égard ; mais, avant tout, vous engageriez le général Moreau à mettre ses plans par écrit, et vous nous les feriez parvenir le plus promptement possible. »

Muni de ces instructions, Pahlen partit pour Londres au commencement d’octobre. Il y était depuis un mois à peine et prêt à s’embarquer, lorsque la défaite essuyée à Austerlitz par l’armée austro-russe vint modifier, en ce qui touchait Moreau, les projets du Tsar. Il fallait, avant tout, se remettre de ce sanglant échec et, pour en assurer l’éclatante revanche, entraîner la Prusse dans la coalition. En attendant que ce résultat fût obtenu, Pahlen dut rester en Angleterre et y attendre de nouveaux avis, il y était encore un an après, tandis que la Prusse, cédant aux pressantes sollicitations des alliés, se décidait à embrasser leur cause et à marcher contre Napoléon.

L’heure était solennelle et le monde attendait avec anxiété la rencontre armée qui allait mettre aux prises les Français et les Prussiens. A cette date, de Madrid, l’ambassadeur Strogonoff rappelait à son gouvernement ce qui s’était passé l’année précédente au sujet de Moreau. Dans une dépêche adressée au baron de Budberg qui avait remplacé Czartorisky comme ministre, il l’invitait à recourir au général et, manquant lui-même de moyens pour communiquer avec celui-ci, il suggérait l’idée de recourir aux bons offices de l’Angleterre. Elle était alors en rapports amicaux avec les États-Unis ; elle y était représentée par des agens diplomatiques et, si l’on suivait cette voie, « le succès serait plus prononcé et plus assuré. »

Il n’y a pas lieu de s’attarder à la question de savoir si cette ouverture aurait eu les suites qu’eu espérait Strogonoff. Sa dépêche est datée du 5 octobre 1806, et c’est le lendemain que Napoléon remportait sur les Prussiens à Iéna l’une de ses plus décisives victoires. La nouvelle en arriva à Saint-Pétersbourg presque en même temps que l’envoi de Strogonoff et les résolutions définitives relatives à Moreau furent encore ajournées.

On n’y revint qu’au mois de mars 1807, quelques semaines après la bataille d’Eylau, où les Russes avaient été si près de vaincre que leur souverain, convaincu qu’un effort persévérant arrêterait la fortune de Napoléon, se préparait à de nouveaux combats. Immobilisé à Londres depuis deux ans, Pahlen reçut enfin l’ordre de donner suite à sa mission[12]. On lui envoyait un double des instructions qui lui avaient été remises précédemment. On n’y ajoutait rien que la recommandation d’insister auprès de Moreau « sur le caractère de jour en jour plus odieux et plus atroce qu’a pris la tyrannie de Bonaparte, caractère qui ne peut plus laisser à un bon Français de doute sur ce que le bien de sa patrie exige de lui. »

Le jeune diplomate ne tarda pas à partir. Peu de jours après son arrivée à New-York, il put s’aboucher avec Moreau et lui faire part des offres dont il était porteur. Mais, dès les premières paroles, le général, tout en manifestant sa gratitude envers le Tsar, déclara qu’il ne lui convenait pas d’entrer au service d’un pays en guerre avec la France. Pahlen eut beau insister non sur les avantages matériels qu’on était disposé à lui assurer et dont il eut le bon goût de ne pas faire état, mais sur la gloire que lui vaudrait la part qu’il aurait prise à la délivrance de sa patrie, Moreau resta intraitable.

Ce n’est pas qu’il ne fût déjà las de son exil, dans un pays dont il n’apprenait que difficilement la langue, où il venait de voir mourir son fils et dont le climat ne convenait pas à la santé de sa femme ; mais, dans sa conscience, sa droiture naturelle et son patriotisme parlaient encore plus haut que son désir de se venger.

Comprenant qu’il n’aurait pas raison de sa résistance, fondée sur des motifs aussi honorables, Pahlen lui demanda alors de les développer dans une lettre qui serait remise au Tsar. Moreau y consentit, mais à la condition que l’original de cette lettre lui serait restitué après que Pahlen en aurait pris copie. Cette copie, en date du 23 juin 1807, est tout ce qui reste de la négociation qui se trouve révélée pour la première fois. La voici telle que Pahlen la rapporta en Europe où il débarqua le 21 décembre suivant et qu’il l’envoya de Londres au baron de Budberg, en lui rendant un compte sommaire de sa mission.

« Je n’aurais pas balancé à accepter les propositions généreuses de Sa Majesté Impériale de Russie, déclarait Moreau, si elles m’étaient parvenues avant la guerre qu’elle s’est trouvée forcée de faire au gouvernement français. Il me semble qu’il ne conviendrait ni à la dignité de sa couronne, ni à ma délicatesse, de prendre du service dans son armée pendant la guerre actuelle. On ne considérerait plus cela comme un droit qu’a tout habitant d’un pays qu’il est forcé de quitter, de chercher une nouvelle patrie où elle lui est offerte ; mais il serait facile à un gouvernement, seul maître de toutes les presses, de le faire envisager à mon égard comme un désir de vengeance contre mes compatriotes et à l’égard de Sa Majesté Impériale comme une subornation et une nécessité peu honorable pour elle et son armée.

« En supposant même que je puisse accepter, dès à présent, le service qui m’est offert, les distances où je me trouve le rendraient inutile, la crise actuelle devant avoir une issue très prompte. Quelle que soit l’armée qui triomphe, la paix sera sans nul doute la suite des événemens militaires. S’ils sont favorables aux Russes, il est probable que le chef du gouvernement français succombera, tant par le mécontentement de son armée que de l’intérieur. Et certes, cet événement serait hâté s’il était possible de faire connaître aux Français les intentions modérées et pleines de raison de Sa Majesté Impériale à leur égard. Mais on ne peut se dissimuler les difficultés de rien faire pénétrer dans ce malheureux pays. D’un côté, la surveillance est excessive, et de l’autre, la terreur est telle que trois personnes n’osent se communiquer leur pensée par la crainte d’avoir un traître parmi elles.

« Il y a longtemps que j’ai quitté la France, et les correspondances intimes avec ce pays sont tellement difficiles, pour ne pas dire impossibles, que je ne puis dire ce qu’on doit attendre ou espérer des Français contre le petit nombre de scélérats qui les oppriment. Un voyage en Europe ne m’instruirait pas davantage ; les pays, sous la domination de Bonaparte, sont d’une telle étendue, que je ne serais guère plus rapproché que je ne le suis, et sans nul doute, la surveillance sur les amis que je puis y avoir serait beaucoup plus sévère. Ainsi placé sous sa domination, je serais plus occupé à me cacher qu’à toute autre chose, et parmi les ennemis de sa puissance, il lui serait facile de me faire perdre la popularité que je puis encore avoir en France et par conséquent me réduire à une entière inutilité.

« Cependant, je ne dissimule pas la nécessité de faire connaître dans ce malheureux pays les intentions sages de Sa Majesté Impériale de Russie, que tout désir de partage et de conquête est loin de ses projets et de ses inclinations et qu’Elle laisserait la France se choisir le gouvernement qui lui conviendrait du moment où le tyran qui la gouverne cesserait de la tourmenter, ainsi que l’Europe. Quels que soient les événemens qui suivront la crise actuelle de l’Europe, du moment où mon pays se trouve soumis à une oppression, que je ne veux ni servir, ni partager, je supplie Sa Majesté Impériale de croire que si mes services Lui étaient encore agréables, Elle peut compter sur mon entier dévouement. Mais Elle appréciera sûrement les motifs qui m’engagent à ne les Lui offrir que dans un moment où on ne pourrait attaquer ni ma délicatesse, ni la dignité de Sa couronne. »

La correction de ce langage, l’état d’âme qu’il révèle, les scrupules qu’il exprime et, enfin, la résolution qu’il affirme ne sauraient être trop loués. Plût à Dieu que les dispositions de Moreau fussent restées les mêmes et qu’il eût toujours conformé sa conduite à ces principes ! sa gloire serait restée pure et aucune ombre n’en eût altéré l’éclat. Mais l’influence de l’exil est pernicieuse et il était destiné à la subir, comme l’avaient subie Pichegru et avant lui les émigrés.


III

Installé aux Etats-Unis, Moreau vit retiré et s’applique à ne pas faire parler de lui. Dans les rapports que le général Turreau, ministre de France à Washington, adresse à son gouvernement, il est rarement question de l’illustre proscrit, encore qu’il n’échappe pas toujours à la curiosité dont il est l’objet et aux témoignages de la considération dont on l’entoure. S’il voyage, — et il voyage souvent, — il est respectueusement salué dès qu’il est reconnu. A Philadelphie, il est acclamé ; à la Nouvelle-Orléans, dans la foule qui se presse sous les croisées de son hôtel, figure, — détail assez piquant, — le consul de France, le sieur de Forgues, qui est son ami et qui vient le visiter, ce que Turreau indigné dénonce à son gouvernement.

Les deux présidens qui, pendant son séjour en Amérique, se succèdent à la tête de l’Etat, Jefferson et Madison, ne se font pas faute d’égards envers lui. Ces égards ne peuvent que déplaire au représentant impérial, lequel, mal marié, voit sa vie constamment troublée par des scènes de ménage, en reste tout aigri et ne jouit d’aucun prestige dans la société américaine. Au contraire, le prestige de Moreau est tel que lorsque les Etats-Unis prépareront, en 1812, une expédition contre le Canada, le bruit se répandra qu’il a refusé d’en prendre le commandement. C’est inexact : ce commandement ne lui a pas été offert ; mais le fait que la population l’a jugé digne de l’exercer, est une preuve de l’estime en laquelle elle le tient.

Combien d’attentions iraient à lui s’il ne fuyait volontairement les occasions de se les attirer. Mais il réside le plus souvent sur les terres qu’il a achetées ; il les exploite, les cultive, construit des moulins ; la chasse et la pêche constituent sa principale distraction, et si vif est son désir de modifier le moins qu’il peut son train d’existence, qu’il n’accompagne pas toujours sa jeune femme lorsqu’il juge utile qu’elle aille à New-York pour se distraire ou dans quelque station thermale pour sa santé.

C’est ainsi qu’en 1807, elle est seule aux eaux de Bolston et y rencontre le ménage Hyde de Neuville, qu’un décret de proscription a obligé à quitter la France et qui est venu, comme Moreau, chercher un asile aux États-Unis. Bientôt après, il est vrai, la nouvelle de la mort de Mme Hulot, mère de Mme Moreau, vient assombrir l’intérieur du général exilé et contribue à exciter l’impatience avec laquelle sa femme subit la vie monotone qui lui est faite, si loin de son pays, sous un climat dont la rigueur développe en elle des germes de malaise et de souffrances.

Ce qui est pire encore, c’est que les communications avec la France sont difficiles : les lettres s’égarent ou sont saisies ; on peut toujours craindre qu’elles ne soient lues par la police. En 1807, ces difficultés s’aggravent, grâce à l’Angleterre. Sous prétexte qu’elle est en guerre avec la France, elle s’est arrogé le droit de visite sur les navires des neutres. De là, naît un dissentiment entre elle et le gouvernement américain qui bientôt, lassé de voir ses réclamations rester vaines, met l’embargo sur les vaisseaux britanniques qui sont à sa portée. Puis, ce sera la guerre entre les deux pays qui créera aux relations de nouveaux obstacles[13]. Par suite de ces circonstances, il n’existe aujourd’hui qu’un polit nombre de lettres de Moreau, adressées par lui à sa famille, et encore ne contiennent-elles que des détails de vie privée, soit qu’ayant renoncé à revenir en France, il se désintéresse de ce qui s’y passe, soit qu’il redoute de livrer ses secrets à Napoléon. Du moins, les extraits que nous en donnons nous le montrent tel qu’il fut durant son exil jusqu’au jour où, en 1812, un brusque revirement s’opéra en lui et le poussa à d’inexcusables résolutions[14].


« 27 octobre 1806. New-York. — Je mène ici, comme tous ceux qui n’y font pas d’affaires, une vie très monotone, mais assez agréable, car elle est tranquille et à l’abri de tous les orages. Ce pays s’enrichit des folies guerrières de l’Europe, qui ont été sur le point de finir, mais qui doivent recommencer au dire des gazettes du pays, qui, au surplus, ne disent pas toujours vrai, quand il est question de leurs intérêts… Je suis très peu au courant de ce qui se passe à Paris ; je n’en reçois de nouvelles que pour mes affaires, et jamais on n’y parle de politique ; mais, en récompense, nous sommes inondés de gazettes de toutes les parties de la terre, et rien n’est plus plaisant que d’y voir le récit du même événement rapporté par les diverses parties intéressées : on croirait que l’un est de l’histoire ancienne, et l’autre des temps fabuleux. »


« 17 novembre 1806. Philadelphie. — Tu me demandes ce que je fais en Amérique. J’y mène une vie très monotone, mais très tranquille. Je m’étais figuré les avantages de vivre sous un gouvernement libre ; mais je ne concevais qu’une partie de ce bonheur : ici, on en jouit complètement. On arrive, on part, on change de domicile, on voyage, personne ne s’inquiète de vous ; nulle part, vous ne sentez et ne voyez l’autorité : il est impossible aux hommes qui ont vécu sous un tel gouvernement de se laisser asservir ; ce seraient de bien grands lâches s’ils ne périssaient jusqu’au dernier pour le défendre.

« Je te laisse juger des degrés de prospérité où un pays peut aller avec de tels avantages : la propriété et l’industrie y sont sacrées et jamais l’adage sic vos non vobis ne peut être appliqué à ce pays. Il n’est pas cependant sans inconvénient ; mais où n’y en a-t-il pas ? Le plus grand vient de l’imagination des Américains qui ont sur leurs avantages et leur prospérité des idées ridiculement gigantesques, ce qui leur donne des prétentions qu’ils sont incapables de soutenir et les jette dans des spéculations d’agrandissement, qui dispersent leurs moyens et leur force, de manière à les annuler. Ils font consister leur force dans l’étendue du pays qu’ils occupent, quelque dispersée que soit la population. Cette étendue égale presque la moitié de l’Europe, et leur population n’est que de sept millions d’habitans : il est vrai que si la guerre dure encore en Europe dix ans, il se fera ici une émigration considérable, à. en juger par l’actuelle. »


« New-York, 6 mai 1807. — Les Américains sont de très bonnes gens et valent souvent mieux que leur réputation ; leurs progrès dans le commerce et la navigation sont réellement extraordinaires ; on jouit dans leur pays de la liberté la plus illimitée et sans le moindre abus. Leur législation civile est la partie faible de leur gouvernement. Elle est tellement compliquée que les avocats sont très nombreux et très riches, ce qui est sans doute très heureux pour ceux qui exercent cette profession, mais bien sûrement n’est pas une source de prospérité pour ceux qui ont besoin de leur ministère.

« P.-S. — Il paraît qu’on ne va pas si vite avec les Russes qu’avec les Prussiens. »


« New-York, 17 mai 1807. — Je passe ici mon temps très paisiblement, mais d’une manière un peu monotone. Cependant, je n’ai nulle envie de retourner en France, car je préfère le repos sans plaisirs aux jouissances accompagnées de la moindre inquiétude. »


« New-York, 9 septembre 1810. — Comme tu me le mandes, tout le monde a parlé de mon retour en France, mais j’étais le seul qui ne fût pas dans la confidence ; ce pays-ci est assez ennuyeux, mais on y est fort tranquille, et si le repos est un bonheur, on en jouit ici dans toute sa plénitude. »


« 25 mars 1812. — Quelques personnes, dis-tu, t’ont conseillé de venir en Amérique et tu espères par ton industrie y faire quelque chose. Ce que tu me demandes est très facile ; certes, tant que j’aurai du pain, je le partagerai avec toi, et à cet égard tu es assuré de ne pas mourir de faim tant que je pourrai exister. Mais, pour gagner de l’argent, j’ose affirmer que cela est presque impossible, et j’en ai malheureusement l’expérience dans beaucoup de Français qui sont arrivés ici depuis peu et entre autres Rapatel[15]qui a déjà fait beaucoup d’essais malheureux.

« On ne peut rien faire ici sans savoir bien la langue du pays et sans être citoyen américain : ceci s’acquiert par cinq ans d’habitation et on ne peut guère apprendre la langue en moins de trois ans. Tout le monde ici fait des affaires ; dans le temps de la prospérité du commerce, la moitié s’enrichissait par des spéculations hardies ou par les banqueroutes. Les entraves que le commerce éprouve actuellement de la part des puissances belligérantes le réduit des trois quarts ; juge de la concurrence et du désavantage des étrangers ; tous les états mécaniques réussissent ; mais le temps des spéculations est passé. Si tu viens ici sans de l’argent, tu n’en pourras pas perdre ; mais, si tu en portes avec toi, il sera bientôt dépensé, d’autant que ce pays est le plus cher du monde.

« Tu m’as demandé la vérité et je te la devais ; d’après cela, tu feras ce que tu jugeras convenable et, si tu te décides à venir, je te recevrai avec toute l’amitié que j’ai pour toi. »


Ces confidences en disent trop sur la manière de vivre de Moreau, sur les dispositions de son âme, sur l’indifférence où semblent le laisser les événemens qui se déroulent en Europe, pour qu’il soit nécessaire d’en multiplier les citations. On y chercherait en vain la trace d’une irritation contre Bonaparte, la preuve d’un désir de vengeance, le dessein de revenir sur le vieux continent et d’y reprendre un rôle ; elles sont celles d’un homme résigné à son sort. Pour qu’il se transforme tout à coup, pour qu’il s’abandonne au mouvement le plus inattendu, le plus attentatoire à sa renommée jusque-là sans tache, il a fallu des circonstances accidentelles dont, à l’improviste, il a subi l’influence.

Au mois de mai 1812, l’état de sa femme, qui depuis longtemps l’inquiétait, parut s’aggraver. Le malaise dont elle était atteinte tenait à des causes physiques et à des causes morales. Le climat d’Amérique avait altéré sa santé et contribué à lui rendre odieuse une contrée dont elle n’aimait ni les habitans, ni les mœurs ; ce n’était pour elle qu’une terre d’exil, autant dire une prison où elle avait appris la mort de sa mère et vu mourir son fils. Elle avait hâte d’en sortir, ou tout au moins d’aller se retremper dans son pays et d’y renouveler ses forces épuisées. Les médecins consultés déclarèrent qu’il ne se pouvait pour elle de remède plus efficace. Son départ fut donc décidé, sans objection de la part de son mari qui, malgré tout, se leurrait peut-être de l’espoir de retourner en France, si elle était autorisée à y résider.

Une lettre en date du 27 mai, adressée au gouvernement français, par son représentant à Washington, Serrurier, qui, l’année précédente, avait succédé à Turreau, nous apprend que le général s’est présenté à la Légation. N’ayant osé lui fermer sa porte, Serrurier, dans sa lettre, se fait un mérite d’avoir donné l’ordre à ses gens de répondre au visiteur, s’il revenait, que « monsieur le ministre n’y est pas. » Dans l’entretien qu’il a eu avec lui, il a deviné que Moreau voulait « tâter le terrain, » à l’effet d’obtenir un passeport pour sa femme obligée d’aller prendre les eaux de Barèges. En passant, « il a parlé de ses campagnes sur le Rhin » et aussi de la bataille de Wagram, « comme il convenait dans une maison où tout rappelle le souverain qui y a vaincu. » Ce dont l’obséquieux diplomate est moins satisfait, c’est que, durant son court séjour à Washington, Moreau a dîné chez James Monroë, secrétaire d’Etat des A flaires étrangères[16].

Le passeport qu’il demandait, le 13 juin, pour sa femme, ne pouvait guère lui être refusé et lui fut délivré par le Consul de France à New-York. « Il a obtenu du gouvernement des Etats-Unis, malgré l’embargo général, écrivait encore Serrurier, de faire partir en lest un vaisseau, le Pawhattan, capitaine Williams, 17 hommes d’équipage. » Le 20 juin, Moreau annonçait à ses frères le départ de sa femme. « Sa santé la force à quitter ce pays, au moins pour quelque temps. Sûrement, elle fera en France quelque séjour. J’espère que mes lettres passeront l’Atlantique. Mais, après leur arrivée en France, pourront-elles aller jusqu’à vous ? »

Quelques semaines plus tard, Mme Moreau débarquait à Bordeaux. Sa fille Isabelle, alors âgée de huit ans, l’accompagnait. Sur son séjour dans cette ville, les renseignemens sont rares, confus et contradictoires[17]. Ceux que nous avons pu réunir autorisent à croire que ni la police à Paris, ni les autorités de la Gironde ne s’attendaient à la voir arriver et que, sur la demande quelle fit à celles-ci d’être autorisée à se rendre dans une station thermale des Pyrénées, elles lui permirent de rester à Bordeaux jusqu’à ce que le gouvernement, à qui la requête avait été transmise, y eût répondu. Elle y resta provisoirement et vit beaucoup de monde. Le nom qu’elle portait, ses malheurs, sa bonne grâce, son élégance, la gentillesse de sa fille, tout contribuait à la rendre digne d’intérêt. Son frère, le colonel Hulot[18], était venu la retrouver, lui servait de chaperon et dans les sympathies dont elle recueillait les témoignages, elle puisait l’espoir que sa demande serait agréée.

La réponse qu’y fit le ministre de la Police, Savary, duc de Rovigo, détruisit cet espoir. Après avoir pris les ordres de l’Empereur, il enjoignit au commissaire général de police à Bordeaux, de la faire repartir immédiatement pour les Etats-Unis. Elle était alitée quand cette réponse lui fut communiquée. Elle protesta, supplia, allégua l’état de sa santé, de celle de sa fille. Mais tout fut vain, et le commissaire général lui signifia d’avoir à prendre place sur le Wilhem-Guster qui allait mettre à la voile pour New-York.

Elle déclara alors que pour la contraindre à s’embarquer, il faudrait l’arracher de son lit. Autour d’elle, le caractère impitoyable des ordres de Rovigo avait indigné tout le monde, et jusqu’au commissaire de la Marine. Pour faire surseoir à leur exécution, il fallut l’intervention du consul américain et celle des médecins. Mais Mme Moreau dut s’engager par écrit à partir aussitôt qu’il lui serait possible de se mettre en route ; son frère promettait d’aller l’embarquer à La Rochelle, d’où un autre navire, l’Erit, devait partir à quelques jours de là.

En prenant cet engagement, elle était résolue à ne pas le tenir. Elle ne voulait pas retourner si vite en Amérique et puisqu’on lui fermait la France, elle irait à Londres. Mais il fallait tromper la police et, à cet effet, elle profitait du départ du Wilhem-Guster pour écrire à son mari une lettre qu’elle supposait devoir être lue par les agens impériaux et lui annoncer qu’on l’obligeait à partir par l’Erit. De nouveaux ordres de Rovigo précipitèrent le dénouement, non celui qu’il poursuivait, mais celui que Mme Moreau avait en vue. Un soir, son coiffeur, en entrant chez elle, à l’Hôtel de France, où elle était descendue, la prévint qu’elle allait être arrêtée et mise de vive force en voiture ; la maison était déjà cernée par la police. Dans ce péril, avec une énergie peu commune, elle joua un va-tout. Elle se sauva, en passant par la fenêtre et en emmenant sa fille. Sa chambre était vide quand les agens l’envahiront et ils ne purent retrouver la fugitive. Les détails manquent sur les suites de ce coup d’audace. Nous savons seulement que le succès le couronna, puisque, au commencement d’août, Mme Moreau était à Londres où elle allait résider jusqu’en 1814.

Au moment où elle se dérobait ainsi aux violences de Rovigo, le gouvernement lisait dans une lettre de New-York, qu’il venait de saisir, que Moreau s’était embarqué pour l’Europe au mois de juin. Il devait donc y être arrivé et on supposait que sa femme était allée le rejoindre à Londres. Les agens secrets que la police entretenait dans cette capitale racontaient en outre qu’il était revenu à l’instigation de Bernadotte, prince royal de Suède. Il s’était fait précéder par son ancien aide de camp Rapatel. Celui-ci avait été vu au théâtre, à Londres, dans la loge d’une illustre cantatrice, la Catalani : elle l’avait présenté à lord Castlereagh.

Exactes, en ce qui concernait Rapatel, ces informations étaient sans fondement, en ce qui touchait Moreau. On en trouvait bientôt la preuve dans d’autres lettres ouvertes au Cabinet noir. Il y était dit que le proscrit ne songeait pas à quitter son asile et que, résolu à rester aux États-Unis, il allait y faire de nouveaux achats de terres. Telle était la vérité. Moreau ignorait encore les indignes traitemens dont sa femme venait d’être l’objet à Bordeaux ; il la croyait en France, autorisée à y résider. Désireux de ne pas l’exposer à subir les contre-coups de sa propre conduite, ce qui serait infailliblement arrivé s’il se fut livré à quelque démarche propre à inquiéter Napoléon, il observait, dans ses mouvemens comme dans ses propos, une réserve rigoureuse, voulant éviter, par-dessus tout, d’attirer l’attention sur lui.

On peut cependant se demander s’il était sincère, en déclarant à tout venant qu’il était bien décidé à ne pas quitter l’Amérique et en s’efforçant d’en convaincre tout le monde autour de lui. Il est plus aisé de poser la question que de la résoudre et mieux vaut, nous semble-t-il, rappeler, en les précisant, les circonstances à la suite desquelles ses dispositions apparentes allaient se modifier tout à coup.

En 1811, la Russie avait pour représentant à Washington ce comte de Pahlen qu’on a vu, en 1807, s’acquitter auprès du proscrit d’un message important et échouer dans sa tentative. Il y était revenu comme chef de la Légation et se préparait à en repartir pour aller au Brésil, en la même qualité. Il n’occupait plus le poste qu’en attendant son successeur. Le 20 août, il écrivait au chancelier Romanzoff « qu’un M. Rapatel, anciennement colonel au service de la France et aide de camp du général Moreau, » s’était adressé à lui pour savoir s’il lui serait possible d’entrer au service de la Russie. « Un an après l’exil du général, ajoutait-il, il est venu le rejoindre aux Etats-Unis. Mais l’ancienne habitude des armes lui fait toujours préférer l’état militaire à celui de négociant ou de fermier. » Il résumait ainsi en peu de mois l’histoire de Rapatel. Cet officier, trop connu par son attachement à Moreau pour poursuivre sa carrière dans la France impérialisée, était allé tenter la fortune en Amérique. Mais ses entreprises avaient échoué et, sur le conseil de son général, il s’était décidé à solliciter du Tsar un emploi dans l’armée russe.

Le 11 décembre, sa prière était exaucée ; Romanzoff en avertissait Pahlen et, le 6 juin 1812, Rapatel, muni d’argent et de recommandations pour les ministres russes à Stockholm et à Copenhague, quittait New-York, chargé en outre des dépêches de la Légation. À cette époque, Pahlen était déjà au Brésil. C’est son successeur, André de Daschkoff[19], qui avait terminé la négociation engagée avec Rapatel et présidé à son départ. À cette occasion, il avait reçu une lettre de Moreau qui lui recommandait le solliciteur.

« Cet officier a été employé à l’armée comme mon aide de, camp et je crois pouvoir assurer que c’est une bonne acquisition pour le service de Sa Majesté l’empereur de Russie. Il a servi pendant toutes les guerres de la Révolution, tant sur mer que sur terre. Son frère, qui m’était particulièrement attaché comme adjudant général, le fit passer au service de terre comme plus avantageux. A beaucoup de bravoure, il joint l’habitude et l’expérience des combats, qualité bien précieuse et qu’aucune science théorique ne peut remplacer. Je crois qu’on ferait bien de l’employer d’abord dans les états-majors où il pourrait se familiariser avec l’organisation d’une armée à laquelle il est entièrement étranger et s’appliquer à l’étude de la langue qu’il doit indispensablement apprendre s’il veut réussir. »

Peu de jours après l’embarquement de Rapatel, Daschkoff alla remercier Moreau de sa lettre. C’était à la veille du départ de Mme Moreau. Il trouva la maison en désarroi, le général en proie au plus grand trouble, très affligé en pensant que sa femme et sa fille allaient s’éloigner de lui. Néanmoins, après avoir accueilli les remerciemens du diplomate russe, il laissa l’entretien s’égarer sur d’autres sujets et notamment sur la déclaration de guerre aux Anglais, que venait de voter le Congrès américain, ainsi que sur la valeur réciproque des troupes qui allaient être aux prises.

— Je ne conseillerais à aucun de mes amis, dit-il, à moins que sa réputation militaire ne fût entièrement perdue, d’accepter un commandement dans l’armée de ce pays. Pour moi, il n’en est que deux où j’aurais du plaisir à commander : l’armée française et l’armée russe.

Daschkoff, ayant alors exprimé le regret qu’au lieu de venir aux États-Unis, le général ne se fût pas établi en Russie, où il eût trouvé tant d’avantages pour la santé de sa femme et l’éducation de sa fille, Moreau avoua s’être souvent dit que ce pays lui aurait offert une plus grande somme de bonheur. Partant de là, il se répandit « en louanges enthousiastes » sur la nation russe, sur le Tsar, protesta de son amour pour ce prince et forma des vœux pour sa prospérité.

Au sortir de cet entretien, Daschkoff en rendait compte à sa cour. « S’il était jamais agréable à Sa Majesté l’Empereur, écrivait-il, d’avoir à son service le général Moreau, on ne pourrait pas trouver un moment plus favorable pour l’y engager. » Il répétait les propos que lui avait tenus Moreau, qui rappelaient « Hercule, malgré son fuseau, » et il ajoutait : « Je ne l’ai pressé sur aucun point, ne me croyant pas en droit de le faire et ne désirant point lui donner le moindre soupçon de mes vues. Cependant, si j’allais tirer des conséquences de ce que je lui ai entendu dire, je croirais, sans pouvoir cependant garantir le fait, qu’il serait assez aisé d’engager le général Moreau au service de Sa Majesté, dans un moment où le départ de sa femme le laisse dans l’isolement et où la vie nonchalante et inactive qu’il va mener servira à rallumer sa passion militaire. » En terminant sa dépêche, Daschkoff faisait remarquer qu’il n’y avait pas lieu de craindre une réconciliation entre Moreau et Bonaparte. Pour l’opérer, il eût fallu un miracle. « Le premier ne fait aucun secret de ce qu’il connaît de Bonaparte et celui-ci a des espions, même dans ce pays, pour avoir l’œil ouvert constamment sur Moreau. »

Lorsque cette lettre arriva en Russie, à l’heure la plus pathétique de la tragédie de 1812, Rapatel s’y trouvait déjà. Il avait été reçu par Romanzoff et conduit au quartier général du Tsar dont la bienveillance avait rempli son cœur de gratitude. Rien ne prouve qu’on lui ait donné connaissance de la dépêche de Daschkoff. Mais il n’est pas douteux qu’on lui parla de Moreau et que ce qu’il en dit contribua à fixer la résolution d’Alexandre. Elle fut communiquée à Daschkoff par un message expédié le 30 septembre et confirmé le H octobre. On le remerciait de son zèle, on en était satisfait et on lui prescrivait de faire des propositions au général « dont les talens, la conduite et la réputation lui ont depuis longtemps acquis l’estime de Sa Majesté, qui désire faire une acquisition aussi utile. »

« S’il les accepte, disait Romanzoff, vous l’engagerez à se rendre au plus tôt en Russie, en l’assurant qu’il y sera très bien reçu et retrouvera dans la bienveillance de Sa Majesté de quoi justifier la confiance qu’il montrera. S’il vous propose des conditions, vous voudrez bien me les transmettre sans délai et je n’en mettrai aucun à vous faire parvenir la réponse de nôtre auguste Maître. »

Ces ordres parvinrent à Daschkoff, le 24 février 1813. Sa réponse, en date du même jour, témoigne de son émoi, provoqué moins encore par l’importance de la mission qu’on lui confiait et dont il promettait de s’acquitter, que par une lettre de Moreau, datée de Philadelphie, qu’il venait de recevoir et qui semblait devoir la lui faciliter. Cette lettre, dont il envoyait à Romanzoff la copie en chiffres, Moreau la lui avait écrite après en avoir reçu une de Rapatel. Celui-ci lui mandait de Riga, le 26 octobre, que l’accueil du Tsar avait dépassé ses espérances et qu’il resterait à jamais reconnaissant de tant de bontés, qui tiraient un plus grand prix des éloges prodigués par ce prince à Moreau, au cours de ses conversations. Tout échauffé par ces éloges, Moreau chargeait Daschkoff d’en rendre grâces à son maître. Puis, s’inspirant des détails que lui donnait Rapatel sur les péripéties de la campagne où Napoléon venait de voir périr son armée et auxquelles il s’était dérobé par la fuite, il émettait un avis précis et formel sur les moyens les plus sûrs de précipiter la chute du « lâche auteur de tous ces maux. »

« Il est bien malheureux qu’il ait seul échappé au désastre de son armée. Il peut encore faire bien du mal, tant est grand l’ascendant que lui donne la terreur sur les trop faibles et trop malheureux Français. Il n’est pas douteux pour moi qu’il a autant fui ses soldats indignés que les lances de vos cosaques. Les prisonniers en Russie doivent être furieux de ce qui leur est arrivé et ne doivent respirer que vengeance. Si un nombre assez considérable de ces malheureux consentait à être jeté sur la côte de France sous mes ordres, j’ose répondre que Bonaparte n’y échapperait pas. Mais je me rappelle l’affaire de Quiberon[20]et connais la précaution qu’il faut prendre pour l’éviter. Il est nécessaire que les chefs se compromettent vis-à-vis du tyran de l’Europe, en le demandant eux-mêmes. Je ne me hasarde à vous parler avec cette franchise que d’après ce que Rapatel m’a mandé du résultat des audiences qu’avait bien voulu lui accorder l’Empereur de Russie. »

Nous voilà bien loin du Moreau de 1807, qui refusait d’entrer au service d’un pays en guerre avec la France. Pour la première fois, on le voit manifester le désir de rompre avec son inactivité et de se jeter dans la mêlée. C’est que, lorsqu’il a senti Napoléon perdu, ses vieilles rancunes et ses anciennes ardeurs se sont réveillées, sans qu’on puisse préciser autrement que d’après ses dires ultérieurs, s’il cherche à se venger ou si, au contraire, il ne veut, comme il l’affirmera, que délivrer sa patrie du fléau le plus funeste. Sous le grand patriote qu’il fut toujours, perce un homme en qui l’exil a lentement obscurci la vision du devoir et qui ne croit pas l’enfreindre en allant combattre sous ces drapeaux étrangers que les Français, qui n’ont pas quitté la France, considèrent comme des drapeaux ennemis. Il ne rêve encore, il est vrai, que de marcher à la tête d’une armée de Français et il ne prévoit pas que la voie où il s’est engagé est trop glissante pour qu’il puisse s’y arrêter à son gré.


ERNEST DAUDET.

  1. Voyez la Revue du 15 octobre.
  2. Murat était gouverneur de Paris. En cette qualité, il avait signé les ordres, rendus publics, aux termes desquels, aux mois de février et de mars, les portes de Paris furent fermées et un régime de terreur imposé, durant plusieurs jours, à la capitale.
  3. Il fut promulgué le 17 messidor (6 juillet).
  4. « Moreau libre en Amérique était moins dangereux pour lui que Moreau prisonnier en France. » (Mémoires du chancelier Pasquier.)
  5. Acquise par Barras comme bien national, la terre de Grosbois lui avait été achetée par Moreau au prix de 200 000 francs dont la moitié fut payée comptant. Au cours de sa possession, Moreau l’agrandit et l’embellit, et lorsque, après sa condamnation, Bonaparte, pressé de se débarrasser de lui, proposa de la lui faire racheter, on en estima la valeur à 500 000 francs. Le contrat fut passé entre Fouché, ministre de la police et Mme Hulot munie de la procuration de son gendre, le 9 thermidor an XII (28 juillet 1804). Sur le prix d’achat, les 100 000 francs dus à Barras lui furent payés, plus 40 000 francs que Moreau lui devait d’autre part. Le surplus fut touché par Mme Hulot. Au lendemain du procès, l’Enregistrement avait mis sur la propriété une hypothèque « pour sûreté de 300 000 francs, frais présumés du procès. » Mais Bonaparte fit rayer l’inscription. L’année suivante, le 17 messidor an XIII (6 juillet 1805), Fouché vendit Grosbois au général Berthier, plus tard prince de Wagram, dont les héritiers en sont restés possesseurs. (Archives notariales). La maison de la rue d’Anjou, achetée à Moreau dans les mêmes conditions, fut donnée par Bonaparte à Bernadotte.
  6. Le fils de Moreau étant mort peu de temps après son arrivée en Amérique, cette fille, née à Cadix, fut son unique enfant. Elle épousa plus tard M. de Courval.
  7. Voyez mon livre : La Conjuration de Pichegru et, dans mon Histoire de l’Émigration, le récit de la prétendue négociation de Fauche-Borel avec Barras, par l’intermédiaire de David Monnier.
  8. Ambassadeur de Russie en Angleterre.
  9. Ministre de Russie en Portugal.
  10. Fils du général comte de Palhen qui fut le principal organisateur du complot dans lequel l’empereur Paul Ier perdit la vie.
  11. Cette lettre n’a été retrouvée ni dans les Archives de Russie, ni dans les papiers de Moreau.
  12. D’Alopéus, qui avait remplacé Woronzoff à l’ambassade de Londres, fut chargé de remettre cet ordre à Pahlen et, en même temps, de lui compter deux mille ducats pour ses frais de voyage.
  13. Elle fut déclarée en 1809 par le Congrès américain, sous la présidence de Madison qui venait de succéder à Jefferson, et ne prit fin qu’en 1814, bien que la Russie et la Suède eussent offert et fait accepter, en 1813, leur médiation.
  14. Ces lettres, écrites à la diable, comme presque tout ce qu’écrit Moreau, quand il laisse aller sa plume, sont, pour la plus grande partie, adressées à l’aîné de ses frères, Joseph Moreau, qui avait été membre du Tribunat et qui vivait maintenant à Morlaix, son pays natal, surveillé par la police comme tous les membres de la famille du général.
  15. Son ancien aide de camp, le colonel Rapatel venu, peu de temps après lui, en Amérique, d’où il partit, en 1812, pour entrer au service de la Russie.
  16. En 1817, Monroë remplaça Madison à la Présidence.
  17. Ceux que donnent les documens conservés aux Archives nationales sont à peu près nuls. Quant aux Archives de la Gironde, elles ne possèdent pas de pièce relative à Mme Moreau, ce qui permet de supposer que le dossier qui les contenait a été enlevé à une autre époque.
  18. Le colonel Hulot était alors un des plus jeunes officiers supérieurs de l’armée. Né comme sa sœur, à l’Ile de France, en 1783 et entré au service en 1799, il avait, dès l’année suivante, conquis l’épaulette et se trouvait, ayant à peine dix-huit ans, aide de camp de Moreau, devenu depuis peu son beau-frère.
    Dès ce moment, on le voit s’efforcer de justifier, par sa bravoure, cette extraordinaire faveur. Il est partout où l’on se bat et toujours s’y distingue assez pour que sa réputation le défende de la disgrâce à laquelle semblait devoir l’exposer sa parenté avec Moreau. Colonel en 1810, il demande sa mise à la retraite en 1813 ; il allègue qu’il a onze compagnes et six blessures ; l’une d’elles, reçue à Essling, a entraîné l’amputation du bras droit, l’autre la perte d’un œil. Mais sa jeunesse, — il atteint à peine sa trentième année, — fait douter de la réalité de son impuissance à servir, et il reçoit l’ordre de partir pour l’Espagne comme chef d’état-major de la 2e division d’infanterie de l’armée d’Aragon. Il résiste et finalement il est mis à la retraite (7 janvier 1814).
    On doit croire qu’en réalité, s’il avait quitté le service, c’était pour tirer avantage de la protection qu’accordait alors le tsar Alexandre à la veuve et aux alliés du général Moreau. Il partit alors pour la Russie ou il reçut un emploi de son grade. Il y resta jusqu’au 23 août et en revint comme maréchal de camp. Mais, lorsqu’il voulut être réintégré dans l’armée française, il se heurta contre l’ordonnance qui en excluait les officiers mutilés. Il dut cependant à sen âge, aux démarches de sa belle-sœur et à la protection de la duchesse d’Angoulême d’être l’objet d’une mesure exceptionnelle. Il fut replacé et nommé chef d’état-major de Macdonald à l’armée de la Loire, puis, en août 1816, définitivement remis en inactivité, en même temps qu’il était autorisé, étant né comte, à joindre à son nom celui de d’Ozery et enfin, en 1823, nommé lieutenant-général honoraire. Le général comte Hulot d’Ozery mourut en 1852. Sous l’Empire, il y en a eu deux autres du même nom que lui. L’un d’eux est inscrit sur l’Arc de triomphe de l’Étoile.
  19. Il était antérieurement consul général. On disait à Saint-Pétersbourg qu’il devait à l’influence de sa femme sur Romanzoff d’avoir été nommé ministre plénipotentiaire en remplacement de Pahlen.
  20. On sait que les organisateurs de l’expédition de Quiberon commirent l’insigne folie de recruter une partie de leur armée parmi les prisonniers français internés en Angleterre. Une fois débarqués, ces royalistes improvisés allèrent grossir les troupes du Directoire et contribuèrent ainsi à l’écrasement des émigrés.