L’Exposition universelle (partie scolaire) ; ce qu’elle devra comprendre

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L’EXPOSITION UNIVERSELLE,
partie scolaire, ce qu’elle devra comprendre.


Parmi les produits de l’industrie nationale, qui vont être admis à figurer dans le vaste palais du Champ-de-Mars, ce n’est pas sans raison que l’on a voulu accorder une place honorable aux choses de l’enseignement et à tout ce qui regarde l’éducation, puisque cette industrie, si l’on peut ainsi parler, est le point de départ et en quelque sorte le fondement de toutes les autres. C’est par une éducation bien réglée, sage et féconde, appropriée aux diverses aptitudes et ne laissant en friche aucune des portions du fonds national, qu’un peuple agrandit de jour en jour la sphère de son activité et de sa puissance. Les trois ordres ou degrés de l’enseignement y concourent, chacun dans sa mesure : mais nous ne nous occuperons ici que de l’enseignement primaire.

A côté des travaux distingués et des savantes découvertes de nos professeurs de l’enseignement secondaire ou supérieur, l’école primaire, bien qu’elle n’ait à montrer que des œuvres très-modestes, mérite cependant, par son caractère d’universalité, non moins que par l’urgence du besoin social auquel elle correspond, d’attirer aussi les regards. C’est donc à nous instituteurs ou amis dévoués de l’école, à faire en sorte que notre exposition pédagogique ne soit pas indigne de l’attention dont elle sera l’objet.

Il est clair que cette exposition devra comprendre nécessairement et en premier lieu, ce que comprennent toutes les expositions de ce genre, savoir : plans de maisons d’école, matériel d’enseignement, devoirs de tout genre faits par les écoliers, travaux à l’aiguille, etc. Mais ce ne serait pas suffisant ; il faut qu’on voie le for intérieur de notre enseignement, c’est-à-dire nos méthodes.

J’examinerai ici ce que comporte, à cet égard, chaque branche de notre système scolaire : on me pardonnera d’être un peu technique ; la matière l’exige.

Lecture. La lecture joue le premier rôle dans la classe, et rien de plus juste, puisque c’est, après la parole, le moyen de transmission le plus naturel et le plus sûr. Les instituteurs exposants auront à montrer comment ils dirigent cet exercice, à faire toucher du doigt les procédés de leur méthode, soit qu’il s’agisse de déchiffrer les éléments de la lecture, soit que la leçon porte sur une lecture courante à expliquer, soit enfin qu’ils fassent voir comment ils entendent les règles de la lecture à haute voix. A cet effet, le mieux sera de présenter un modèle-type de chacun de ces exercices de lecture et, autant que possible, des devoirs d’élèves pour ce qui concerne la lecture expliquée et les règles de la lecture à haute voix.

Quant à ce qui est du déchiffrement des éléments syllabiques, ils feront bien d’indiquer eux-mêmes quelle méthode ils jugent la plus facile, la plus courte, la plus normale, pour habituer l’enfant à transformer en sons les caractères typographiques qu’on lui met sous les yeux. Il y à bien des dissentiments et il y a eu bien des discussions à ce sujet ; mais l’expérience est le meilleur juge, et les résultats sont la meilleure garantie. Il faudra donc indiquer en combien de temps, par tel ou tel procédé, un enfant d’intelligence moyenne arrive à savoir lire, et citer des exemples.

Les appareils pour l’apprentissage de la lecture trouveront naturellement leur place dans cette série. Habituer l’enfant à unir les diverses articulations avec les divers sons-voyelles, est sans doute le point essentiel de cet apprentissage. Il ne faudrait pas toutefois épuiser les combinaisons, si multiples, que comporte ce rapprochement ; plus tôt l’enfant sera à même de lire une petite phrase ayant un sens, mieux cela vaudra. Il cesse alors d’être une machine à sons, il a du plaisir à comprendre ce qu’il lit, et ce plaisir seconde ses efforts. C’est un apprenti nageur qui vient d’exécuter sa première brasse et qui dès lors fait des progrès rapides, sans que le maître de natation ait besoin de le tenir constamment à la lisière.

Ainsi, les méthodes présentées, ou les appareils remplaçant les méthodes, devront, ce me semble, abréger autant que possible les exercices de vocalisation machinale, pour hâter le moment où l’intelligence sera elle-même admise à participer aux premiers essais de lecture.

Un des points essentiels de cet exercice est d’obtenir que les enfants lisent sans ces intonations traînantes ou chantantes, qui leur sont si habituelles. Quels moyens convient-il d’employer pour cela, puisqu’il est certain que les avertissements réitérés ne peuvent venir à bout de cette désagréable habitude, d’autant plus fâcheuse que le maître, lassé de gronder, finit par s’habituer aussi à la tolérer ? serait-il bon qu’il prit la peine, avant chaque lecture, de lire lui-même à haute voix le morceau, afin de donner l’impulsion et de mettre à profit l’instinct imitateur des enfants ? Ou à quels autres moyens réellement efficaces pourrait-on recourir ? C’est ce qu’il serait bon d’exposer.

En ce qui regarde les livres de lecture courante, il y en a beaucoup de bons ; cependant il n’y en a pas de parfaits, et l’on aimerait à voir les meilleurs maîtres présenter le plan d’un livre de lecture, tel qu’ils le conçoivent d’après l’expérience qu’ils ont des besoins de l’enseignement sous ce rapport.

À cette question de la lecture se rattache celle des bibliothèques scolaires. Il serait embarrassant pour les instituteurs de dresser une liste des ouvrages qui méritent le mieux d’y figurer, attendu qu’il ne leur est guère possible de connaître la multitude des écrits entre lesquels devrait se fixer leur choix. Mais ils peuvent du moins indiquer vers quelles lectures se portent de préférence les goûts des enfants et, s’il y a lieu, des familles. On a cru, par exemple, qu’il fallait combler ces bibliothèques d’ouvrages d’agriculture, et il s’est trouvé que presque personne ne les demandait. Il importe donc, sans toutefois faire de concessions à des goûts futiles, de concilier l’agrément avec l’utilité. Les maîtres peuvent à cet égard, d’après l’usage qui est fait de la bibliothèque de leur école, émettre des observations bonnes à recueillir. La plupart des campagnards, et même des ouvriers des villes, une fois sortis des bancs de la classe où du cours d’adultes, n’écrivent plus guère, n’ayant que peu d’occasions de s’y exercer, et leurs doigts, souvent endurcis par de rudes travaux, en perdent peu à peu l’habitude. Mais ils aiment toujours à lire. S’ils avaient sous la main quelques ouvrages vraiment intéressants, ni trop sérieux, ni trop romanesques, ne seraient-ils pas portés à en profiter ? Dans les villages d’Allemagne, c’est assez ordinairement, avec la Bible populaire et un recueil de chants, le livre de classe lui-même qui forme la petite bibliothèque du foyer rural. Ce livre de lecture, qui est en général le même pour toutes les écoles d’une province, présente dans son ensemble une sorte d’encyclopédie élémentaire, renfermant quantité de notions utiles, de traits d’histoire, d’anecdotes, de sentences, de poésies populaires, en un mot tout ce qui peut charmer en instruisant. De pareils livres sont précieux, ils aident beaucoup à la diffusion des lumières, à la civilisation d’un peuple et à la consolidation de son esprit national.

Langue française. Que doit comprendre l’Exposition en ce qui se rapporte à l’enseignement de la langue française ? Verrons-nous s’étaler là nos éternelles analyses grammaticales ou logiques, nos verbes conjugués, nos dictées tourmentées, accumulation trop souvent bizarre de difficultés orthographiques, comme si les règles (d’ailleurs très-arbitraires ) du tout, du quelque, et du fameux participe étaient le nec plus ultra de notre enseignement national ? Déplorable et, à ce qu’il paraît, incurable manie ! Pourtant un homme de bon sens doit reconnaître qu’il ne suffit pas d’envoyer des pages de calligraphie sans fautes d’orthographe, enjolivées d’encadrements et d’arabesques d’or et d’azur. Tout instituteur sérieux se refuse à faire des dictées de simples applications de la grammaire. Elles lui servent surtout à orner l’esprit de l’enfant, à nourrir en lui les bons sentiments dont la nature lui a donné le germe. La commission qui jugera ce concours accueillera, je n’en doute pas, avec plaisir le travail d’un maître, qui aurait coordonné toute une série de dictées d’après un plan d’éducation réelle ; où les vertus domestiques, la piété filiale, le contentement de son état, la tempérance, l’émulation honnête, l’indulgence pour les défauts d’autrui, la modestie, la soumission, la paix du cœur, la persévérance auraient leur place, non sous la forme sèchement didactique, mais sous l’autorité et avec l’intérêt d’exemples courts et bien choisis.

Il existe, dans ce genre, des recueils de morale pratique, dont plusieurs sont assez répandus, et qui tous sont issus, plus ou moins directement, du bon vieux livre intitulé la Morale en action, avec des surcharges empruntées le plus souvent, soit aux rapports de l’Académie sur les prix de vertu, soit au Selectæ. Mais sans exclure systématiquement les histoires relatives aux vertus de Turenne, de Catinat, de Belzunce, etc. (qui forment le fond de la Morale en action), ni les beaux traits des Fabius, des Scipions et d’autres grands hommes de l’antiquité profane, ni même, malgré leur forme trop académique, les extraits des rapports sur les prix de vertu, il serait bon d’emprunter aussi à la vie courante et journalière des exemples plus à la portée des enfants que nous formons. Ces exemples ne manquent pas, et 1l n’est pas de semaine où nous n’en lisions quelque récit : 1l suffit donc de bien choisir.

Aux dictées qui sont la base même de l’enseignement de la langue française, les instituteurs pourront joindre l’énoncé de leurs théories grammaticales, lesquelles seront d’autant plus méritoires qu’elles simplifieront et abrégeront davantage l’étude aride de la grammaire.

Écriture. Les pages d’écriture ne feront pas défaut : c’est ce qui abonde ordinairement le plus. Quelle que soit la méthode adoptée par l’instituteur, elle est bonne, si elle produit une écriture bien lisible. J’ai vu avec peine pendant longtemps régner presque sans conteste, dans toutes nos écoles, une écriture illisible en vérité et n’ayant de commun avec l’écriture anglaise que le nom. Il semble toutefois qu’il y ait, depuis plusieurs années, tendance à revenir, dans une mesure raisonnable, à notre écriture plus arrondie, plus ferme et, sinon mieux dessinée, au moins plus aisément lisible. On voulait, disait-on, que l’enfant pût écrire vite, au courant de la plume, et que par conséquent l’écriture fût cursive ou, selon le barbarisme inventé par l’apôtrele plus solennel de l’écriture, que ce fût une citographie. Mais cette rapidité excessive est-elle bien nécessaire ? Il ne s’agit pas d’obtenir un prix de course, mais d’être lu. Toutes ces lettres qui se penchent en avant pour courir plus vite et qui, à force de se pencher, finissent souvent par se coucher pour ainsi dire sur la ligne, offrent-elles un aspect agréable à l’œil et surtout forment-elles d’ordinaire une page commode pour la vue ? En général, les doigts de l’enfant ont plutôt besoin d’être contenus que secondés dans leur précipitation naturelle, il ne faut pas leur mettre la bride sur le cou.

Une écriture rationnelle, c’est-à-dire à la fois facile d’exécution et marquée au coin d’une parfaite lisibilité, n’est pas chose si aisée à trouver qu’on pourrait le croire au premier abord. Ce qui le prouve, c’est que les méthodes, sur ce point, sont très-nombreuses. Il me semble donc qu’il y a là une question à examiner et sur laquelle les instituteurs pourraient énoncer leurs vues, avec exemples et modèles à l’appui.

Calcul. En ce qui concerne le calcul, je n’ai qu’un vœu à exprimer. C’est que, dans les devoirs qui seront exposés, nous ne soyons pas condamnés à retrouver uniquement ces insipides problèmes de stères de bois, de kilogrammes dé savon, de barriques de vin, de mètres de calicot, et autres analogues, dont les cahiers d’écoliers sont ordinairement bourrés, comme s’il s’agissait de faire d’eux tous des épiciers et des marchands. Le calcul, même élémentaire, se prête À des notions moins banales et d’une utilité plus sérieuse. La statistique administrative ou commerciale, l’économie rurale et domestique, la géographie, l’histoire, la morale même et ses applications diverses peuvent se traduire en données numériques, fournissant matière à des exercices aussi intéressants que variés. C’est à ce point de vue surtout que devront se placer nos exposants arithméticiens.

Histoire et Géographie. La loi a déterminé d’une manière précise les limites dans lesquelles cet enseignement doit se renfermer : l’histoire sainte, les éléments de l’histoire et de la géographie de la France, voilà ce qu’elle demande et les bornes qu’elle prescrit.

Nul embarras quant à l’histoire sainte, pour laquelle nombre de petits résumés classiques s’offrent au choix des instituteurs. Le mieux approprié au premier âge est encore incontestablement celui que Lhomond publia sous le titre de Epitome hisioriæ sacræ, et dont il existe plusieurs traductions à l’usage des écoles primaires. Rien n’empêche d’ailleurs que, après ce petit abrégé, on ne mette entre les mains des écoliers une histoire plus développée, et complétée même par une histoire de l’Église, La vie des saints du diocèse ou de la province ecclésiastique, serait surtout intéressante pour les enfants et formerait un utile appendice de cette dernière partie. Tout cela est subordonné au temps que l’on peut consacrer à cette étude, et malheureusement ce temps est fort court, puisque la plupart des élèves quittent l’école une fois la première communion faite, et que la première communion a lieu à onze ans.

En tous cas, les instituteurs feront bien d’indiquer comment cet enseignement se trouve distribué dans leur programme, et-de joindre à cette indication quelques rédactions, tableaux chronologiques, cartes de Palestine et autres devoirs faits sur cette matière par les élèves.

L’enseignement de l’histoire de France offre de tout autres difficultés que l’histoire sainte. Tout le monde est d’accord, à la vérité, qu’il ne faut pas accabler l’enfant de faits, de dates, de noms propres ; mais en dehors de ce point la divergence commence. Selon les uns, et c’est le plus grand nombre, cette histoire ne doit consister qu’en une série de récits mettant en lumière les grandes actions et les vertus des personnages qui ont illustré nos annales et qui peuvent être proposés à l’admiration de la jeunesse. Clovis, Charlemagne, saint Louis, Duguesclin, Jeanne d’Arc, Louis XII, Bayard, Henri IV, etc., forment ainsi autant de chapitres qui se succèdent, reliés entre eux par de légers sommaires. D’autres, pensant que l’histoire ne doit être ni transformée en une simple Morale en action, ni remplacée par des extraits décousus, et que, même pour des enfants, avec tous les ménagements qu’exige ce jeune âge, elle doit rester l’Histoire, préfèrent laisser toute sa sève à cette leçon que le passé adresse aux générations présentes, et maintenir par conséquent l’intégrité de la suite historique, tout en mesurant, dans une juste proportion, la part qu’il faut consacrer, suivant leur mérite ou leur importance, aux hommes et aux événements. Ils sont convaincus d’ailleurs que les personnages éminents eux-mêmes, un Clovis, un Charlemagne, par exemple, ne se comprennent que si on les place dans le milieu où ils se sont produits ; que la noble figure de saint Louis se détache mieux sur le fond sombre du cadre féodal, comme celle de Jeanne d’Arc apparaît plus sublime après que l’on vient de traverser l’époque néfaste des Bourguignons et Armagnacs, d’Azincourt, du pont de Montereau, du traité de Troyes et du roi de Bourges. Il-y a donc à choisir entre ces deux systèmes ou, si l’on veut, ces deux modes d’enseignement, et je crois que l’avis des instituteurs à ce sujet serait un élément utile d’information.

Outre les réflexions qu’ils auront à énoncer sur cette partie de leur programme, ils peuvent aussi présenter les tableaux, arbres généalogiques, rédactions ou résumés, cartes physiques et historiques, qui se rattachent à l’enseignement de l’histoire de France.

Le chant. Je ne sais si nous sommes un peuple musical ; nos voisins prétendent volontiers le contraire, cependant je ne vois pas de raison pour que la race celtique soit en cela plus déshéritée que les autres. L’usage seul nous fait défaut, et la longue inertie de nos écoles, à ce point de vue, y est pour beaucoup. Les anciens, qui avaient si bien compris que toutes les Muses sont sœurs, s’étaient bien gardés, dans leur système tout libéral d’éducation, de négliger la Muse de l’harmonie. On attache aussi une grande importance à cet enseignement dans les écoles de plusieurs nations modernes ; mais il ne faut pas oublier que, chez ces nations, la plupart protestantes, l’âge scolaire, eu égard à la plus longue durée de la préparation religieuse, est prolongé jusqu’à quatorze ans, ce qui permet, non-seulement de trouver du temps pour tout, mais encore d’avoir affaire à des voix plus formées, déjà assouplies et pouvant se marier pour former des chœurs. Chez nous, il faut attendre que l’enfant ait une voix, et quand il commence à pouvoir exprimer des sons rhythmiques, moduler quelques accords, il quitte l’école : grand et radical obstacle à toute espèce de progrès dans notre enseignement populaire.

Quoi qu’il en soit, et en attendant que nos habitudes ou nos lois aient porté remède à ce fatal état de choses, les bons maîtres s’efforcent néanmoins d’obtenir tous les résultats que comportent des conditions aussi désavantageuses. Or, plus ces conditions sont difficiles, plus il importe que leur méthode soit précise, sûre et féconde, utilisant le mieux possible le peu de temps dont ils disposent et ne s’attardant pas à des procédés surannés. C’est cette méthode que, en tant qu’exposants, ils ont à faire connaître, sans omettre de mentionner les résultats obtenus, les chants appris, les appareils auxiliaires dont ils se servent.

Dans les salles d’asile les petits enfants, à un signal donné, se mettent à entonner en musique 2 fois 2 font 4, 2 fois 4 font 8, 8 fois 3 font 9, etc. ; toute la table de Pythagore se chante ainsi en chœur. Je ne serais pas trop d’avis de transporter dans les écoles cette méthode, qui m’a toujours semblé bizarre ; il n’est pas impossible, je crois, de trouver, même dans les recueils déjà publiés, des mélodies d’un genre simple, où la phrase musicale s’adapte à des pensées et à des sentiments qui conviennent à l’enfance. Il s’agit surtout d’exhausser le niveau moral sans dépasser le niveau intellectuel. Faire servir la musique à l’instruction est un contre-sens, car la musique s’adresse à l’âme bien plus qu’à l’intelligence ; elle est, du moins elle doit être, avant tout, un instrument d’éducation de la sensibilité, échauffer le cœur et faire vibrer en lui les plus nobles cordes. Les Allemands ont un chant populaire qu’ils appellent la Sentinelle sur le Rhin, je l’ai malheureusement entendu jouer et chanter bien des fois ; il est grave et pathétique, simple pourtant et assez facile pour être appris dans toutes les écoles. Qui peut dire combien ce chant a contribué au patriotisme dont nous fûmes victimes ? Musset jadis s’est égayé de ce Rhin allemand dans une agréable chanson satirique : « Nous l’avons eu votre Rhin allemand, il a tenu dans notre verre, etc. » C’est charmant, le Français n’est jamais à court d’esprit ; mais un chant national et populaire eût bien mieux valu, et plût à Dieu que nos grands compositeurs, non contents d’illustrer la scène lyrique, ne dédaignassent pas de doter des productions de leur génie nos écoles, notre enseignement, nos chœurs de laboureurs, d’ouvriers, de soldats ! La Marseillaise, lave issue de la fournaise de 90, a fait son temps : mais quels miracles n’a-t-elle pas enfantés ! Le chant sublime de la Grèce de 1821, « Debout, fils des Hellènes », a suscité des héros, comme jadis les mâles accents de Tyrtée. Que d’exemples de ce genre ne s’offrent pas à quiconque connaît l’histoire des nations ! Mais ceux que je viens de rappeler suffisent pour faire apprécier l’importance, peut-être trop méconnue, de cette branche du système scolaire, et pour engager, non-seulement nos instituteurs, mais tous ceux qui ont souci de l’éducation de la jeunesse, à exposer ce qu’ils croiront propre à favoriser dans les écoles le progrès de l’enseignement musical.

Dessin linéaire. Les travaux de dessin linéaire seront, à n’en pas douter, une des richesses du groupe scolaire de l’Exposition, Je ne voudrais pas que l’on se contentât d’étaler des dessins plus ou moins compliqués de machines ou d’appareils. A quel inspecteur n’est-il pas. arrivé de rencontrer, dans certaines écoles, de ces petits chefs-d’œuvre dont l’exécution ne laissait que peu à désirer, tant pour l’exacte reproduction du modèle, que pour la netteté des traits et l’élégante régularité des courbes ? Mais, quand il interrogeait l’auteur du chef-d’œuvre sur la nécessité et l’emploi de tous ces organes mécaniques, sur leur corrélation et leur dépendance réciproque, sur le nom même de chacun d’eux, l’écolier restait muet. Ce serait donc une chose bien utile que de faire inscrire par l’élève, au bas de son dessin, une petite explication, par laquelle on pût juger qu’il a compris ce qu’il dessinait.

Un autre point bien essentiel serait de présenter, non-seulement des dessins au compas et à la règle, mais aussi et surtout des dessins d’objets réels faits à main levée. Jaime mieux l’élève qui trace à vue le contour d’un chandelier, le port d’une fleur, la forme d’un pupitre, que celui qui passe des semaines à copier péniblement des engrenages multiples, des chapiteaux à feuille d’acanthe, des tourelles gothiques. Les petits dessins à main levée habituent l’enfant à saisir le rapport des lignes et des angles avec le plan visuel des objets, ils l’exercent à avoir du coup d’œil et le sentiment des proportions : si modeste figure qu’ils fassent à côté de leur ambitieuse rivale, la savante épure, ils seront les bien venus.

Ce dessin naturel n’est pas, au surplus, dépourvu lui-même d’une certaine science géométrique, et ce serait se faire une étrange illusion que de le croire subordonné aux seules inspirations du coup d’œil. Un bon maître sait au contraire faire comprendre aux enfants la valeur expressive des lignes suivant leurs inflexions diverses, comme aussi suivant les différents degrés de force du trait qui les accuse, Une simple ligne, diversement infléchie, fait une lèvre rieuse ou chagrine ; un trait plus ou moins accusé traduit dans tel ou tel aspect les dentelures d’une feuille. En rattachant ainsi à des principes sûrs et biens définis, d’ailleurs très-accessibles à l’intelligence de l’enfant, la science du dessin, considéré tant au point de vue des conditions de la perspective que comme assemblage et combinaison de signes idéographiques, le maître rend attrayante et féconde une étude qu’il ne faut pas laisser dégénérer en exercice machinal et stérile. Nous avons beaucoup à faire pour populariser et régulariser en même temps cet enseignement, le seul qui, par son rapport intime avec l’art et avec la nature, suscite chez l’enfant l’idée du beau et mette son intelligence en contact avec tout un ordre de sensations et de jouissances pures, auxquelles la vie rurale, sans cela, demeure presque totalement étrangère.

Les instituteurs feront donc bien de joindre aux dessins qu’ils produiront une note explicative énonçant avec précision leur méthode. Il conviendrait en outre qu’ils fissent comprendre de quelle manière ils rattachent l’enseignement du dessin aux autres études scolaires, à la géographie, à l’histoire naturelle, etc., notamment à la géométrie pratique. Il y alà une question de parallélisme fort intéressante qui aurait besoin d’être traitée dans un article à part, mais que je dois me contenter de signaler à l’attention des instituteurs exposants.

Matières facultatives. Un savant prélat (Mgr Donnet), dans une remarquable instruction pastorale adressée à son clergé pour l’exhorter, au nom même des intérêts de la foi chrétienne, à seconder l’essor de l’enseignement populaire, rappelle à cette occasion les propres paroles de l’écriture sainte : C’est Dieu même, dit le livre de la Sagesse (vii, 15-20), quia donné à l’homme de connaître les vertus des éléments dont est formée la matière, leurs vicissitudes et leurs multiples transformations ; le cours successif des saisons et les révolutions des astres ; les divers caractères des races animales, soit domestiques, soit sauvages ; les phénomènes de l’atmosphère et la force des vents ; les richesses végétales du sol et les propriétés des plantes. Ipse enim dedit mihi ut sciam virtutes elementorum, vicissitudinum permutationes ; temporum anni cursus et stellarum dispositiones ; naturas animalium et iras bestiarum ; vim ventorum, et virtutes radicum. « Ces connaissances, dit le prélat, pour lesquelles on ne saurait avoir la prétention de créer des cours méthodiques dans les écoles primaires, doivent être mises à la portée des enfants par des lectures convenablement choisies et dont on exigera périodiquement des résumés, par des explications familières, des entretiens qui, sans être des leçons techniques, n’en vont pas moins au but pratique, simple et indiqué par le bon sens, qu’il faut atteindre. »

Il est certain, en effet, que dans la majeure partie des écoles, surtout rurales, il est impossible, vu le peu de durée de la fréquentation scolaire, d’aborder un enseignement direct et régulier de la géométrie, de la physique et de la chimie, de l’histoire naturelle, de l’arithmétique appliquée aux questions d’intérêt, de banque, etc. Mais est-ce une raison pour que l’enfant reste étranger aux plus simples notions de ces sciences ? S’il ne peut suivre un cours méthodique d’astronomie ou de géologie, faut-il que l’univers soit pour lui un livre fermé ? N’y a-t-1l pas, dans l’enseignement du programme obligatoire, cent occasions de lui apprendre ce qu’il a besoin de savoir sur les animaux, les végétaux, les phénomènes de la nature, sur les procédés industriels, les conditions d’une bonne culture, l’arpentage, l’hygiène ?

Assurément aucun instituteur ne méconnaît l’utilité de ces notions, aucun ne les néglige dans son enseignement. Dictées, lectures, entretiens, exercices de calcul, tout sert pour ouvrir à l’enfant des perspectives sur ces horizons nouveaux. Mais il ne faut pas se dissimuler que ces notions, si elles sont disséminées au hasard et sans suite, ne laisseront dans l’esprit qu’une trace bien fugitive. Il importe donc que chaque maître sache au juste quelles connaissances en ce genre il veut communiquer aux enfants, dans quelles limites il se renfermera, les degrés successifs et la suite qu’il établira, le lien qui unira ces notions éparses, en un mot l’ordre et la méthode qu’il prendra pour guides. Un jour par exemple, il fera faire un problème sur le transport des grosses charges en bateau, en chemin de fer ; un autre jour, une dictée sur le système de navigation intérieure par canaux et écluses ; un exercice de géographie sur les canaux de France ; une lecture sur Riquet : tout cela se tient ; l’enfant ne sait pas où on le mène, mais le maître le sait, parce que cela rentre dans le cadre qu’il s’est tracé d’avance pour l’étude des applications usuelles des sciences ; et c’est ce cadre que je lui demande de faire connaître.

Je n’ai pas besoin de faire remarquer d’ailleurs qu’il convient d’approprier cet enseignement au milieu dans lequel l’école se trouve placée. Tout ce qui se rapporte à la campagne et aux diverses cultures intéresse plus particulièrement l’écolier de village ; à la ville, il faudra plus de notions industrielles et commerciales. L’enseignement primaire devient ainsi un acheminement à l’apprentissage professionnel. Il y a même des pays (comme le Wurtemberg), où des écoles spéciales d’apprentissage « industrie und arbeit schule » sont beaucoup plus fréquemment que chiez nous annexées à des écoles d’instruction ; je ne sais pas jusqu’à quel point ce système pourrait nous être appliqué, mais il a du bon.

J’ai toujours fort regretté que les promenades scolaires ne fussent pas en usage et que, pour cette partie surtout de sa tâche, l'instituteur ne s’aidât pas de ce moyen si précieux d’intéresser et d’instruire les écoliers. Leur faire voir dans les champs mêmes les productions du sol et les leur expliquer sur place, leur faire reconnaître les diverses plantes et les divers terrains, les initier au travail de la nature, ou bien visiter avec eux une usine, un moulin, une manufacture, un atelier, ne serait-ce pas là par excellence l’enseignement par l’aspect ?

Éducation physique. Les enfants de la campagne ont, sous ce rapport, un notable avantage sur ceux des villes. Is ont à leur disposition le grand préau de la nature, Îles champs, les vergers, les courses en plein air par monts et par vaux. C’est là le meilleur gymnase. Il est utile cependant que, même dans les écoles rurales, le maître prenne à cœur cette partie si importante de l’éducation. Quelques agrès, les plus simples et les plus essentiels, ne sont pas fort coûteux, et l’emplacement ne manque pas. L’organisation scolaire doit donc comprendre ces exercices, et les instituteurs auront à donner à cet égard des indications précises.

Je ne verrais pas de mal à ce qu’ils indiquassent même quel parti on peut tirer, pour cela, des jeux de récréation ou de promenade. C’est assez l’usage, dans certains établissements libres surtout, que les maîtres ou sous-maîtres président à ces jeux, les dirigent et y prennent part. Je n’ai jamais vu que leur autorité en souffrit la moindre atteinte ; bien au contraire, les enfants leur savaient gré de cette complaisance ; et le jeu, au lieu de devenir, comme il arrive souvent, un désordre confus, se tournait en exercice à la fois amusant et régulier. Nous avons peut-être trop remplacé les jeux par la gymnastique. Quand je vois des enfants, debout en ligne, lever les bras méthodiquement, tendre la jambe, pirouetter, décrire des évolutions pendant une demi-heure, je me demande si un franc jeu de saute-mouton, de barres, de toupie n’exercerait pas tout autant et plus agréablement le jarret, les muscles, le coup d’œil. Ainsi, je ne répugnerais pas à voir les jeux figurer sur les plans d’éducation physique présentés à l’Exposition, et rangés dans un certain ordre correspondant aux divers objets que cette éducation a en vue.

L’Ordre des exercices de la classe. Je conviens que le meilleur maître n’est pas toujours celui qui se conforme le plus ponctuellement à l’ordre invariable du tableau dit de l’emploi du temps, lequel est ordinairement affiché dans la classe. Le vrai zèle, l’aptitude, l’industrie pédagogique ne se mettent pas en tableau. Il faut en outre, dans tout enseignement, laisser une part à la spontanéité : telle circonstance, tel incident fortuit, telle inspiration du moment peuvent suggérer à un maître des réflexions utiles, et l’exercice, soit de lecture, soit d’arithmétique ou tout autre, s’allonger ainsi ou se rétrécir, suivant les cas. Les minutes du tableau en pâtiront, mais l’enseignement ne s’en trouvera pas plus mal.

Cette réserve faite, reconnaissons qu’il est opportun de régler la suite des exercices de la classe et que tout instituteur doit établir l’ordre général dans lequel ils se succéderont, pour chaque jour et chaque semaine, dans les différentes divisions de l’école. Si, comme il est désirable, ces tableaux sont présentés à l’Exposition, il est nécessaire qu’ils soient complétés par une récapitulation faisant connaître combien d’heures par semaine, par mois, sont accordées à chaque branche de l’enseignement, suivant le degré de la division où se trouve l’enfant.

Dans plusieurs écoles un bon quart d’heure est réservé à la fin de la classe, pour une lecture intéressante que fait aux élèves le maître lui-même, en l’entremêlant de quelques courtes réflexions. Ce petit couronnement des exercices de la journée est-il utile ? Ce sujet imprévu que chaque jour amène et qu’attend la curiosité des enfants, est-il un moyen de maintenir leur attention fatiguée à la fin du jour, et de les renvoyer de l’école avec l’accompagnement d’une bonne impression ? La théorie semble dire oui ; mais que dit la pratique ?

Discipline. L’école n’est pas un État constitutionnel, ni même républicain ; l’instituteur est roi, et lui seul a l’autorité, parce que lui seul a la responsabilité. Mais tout souverain qu’il est, ses moyens de gouvernement n’en sont pas moins très-bornés et, quel que soit son système de punitions et de récompenses, ce petit peuple d’écoliers qu’il a à conduire s’échappe par toutes les fissures, quand le respect et l’affection pour le maître ne commandent pas l’obéissance. La discipline a donc pour fondement les qualités du maître, et comme ces qualités ne se mettent pas dans une vitrine, c’est une partie de notre régime scolaire qu’il est impossible de faire figurer à l’Exposition. Toutefois il n’est pas indifférent de connaître et d’être à même d’apprécier les moyens accessoires employés pour venir en aide à l’action personnelle de l’instituteur, afin d’obtenir les deux choses qui constituent la vie normale de l’école, le travail, la bonne conduite. Il n’est guère d’instituteur qui n’ait sur ce point, dans les limites du règlement général, son mode particulier et ses moyens à lui, parfois fort ingénieux, de récompenser, d’encourager, de punir. Il y a là toute une science de détail, de gradation, et de connaissance du caractère des enfants qui m’a souvent étonné et qu’il serait bon, je crois, de produire au grand jour. On ne sait pas assez tout ce qu’il y a de sagacité et d’active sollicitude dans le dévouement de nos instituteurs, et nous sommes peut-être trop portés à aller chercher ailleurs des modèles, quand nous avons près de nous de quoi nous contenter.

Que la modestie des bons maîtres se fasse donc violence et nous donne lieu de juger le mécanisme de leur petit code pénal, ainsi que les divers procédés imaginés par eux afin de maintenir l’ordre et d’activer le travail de la ruche écolière.

Des moyens d’exciter l’enfant à bien faire. Nous touchons ici un des côtés les plus délicats de la pédagogie. La discipline, même avec les procédés les plus ingénieux, même avec l’appoint de l’attachement au maître, ne suffit pas pour faire marcher une classe, il faut quelque chose de plus ; car la discipline, en fin de compte, ne produit que l’obéissance, et il faut l’effort. Ce point est capital et demande que nous nous y arrêtions quelques instants, surtout que nous interrogions là-dessus l’expérience des maîtres.

Tous savent que les meilleures méthodes d’enseignement n’ont leur pleine efficacité que si l’enfant s’y prête, c’est-à-dire si sa propre volonté seconde celle du maître. Comment agir sur un être inerte, engourdi, et dont l’âme n’a pas de ressort ? IL est donc nécessaire qu’il y ait chez le jeune écolier un principe et une source d’ardeur ; en d’autres termes, de la passion. La passion, en effet, en dépit du sens étymologique du mot, est chez l’homme, à tout âge, le vrai principe et la vraie source de l’activité, L’enfant est un petit homme, il n’échappe pas à la loi commune. Aussi les instituteurs sérieux, et à leur tête le bon Rollin, se sont-ils préoccupés à juste titre de cette partie si essentielle de la pédagogie. L’émulation est le moyen qui s’offre le plus naturellement ; mais elle a ses dangers et ses bornes. Les Anciens, qui sont un peu nos maîtres en tout, surexcitaient chez l’enfant l’amour de la patrie, de ses institutions, de son sol, de son histoire ; ils avaient fait de ce sentiment le nerf de l’éducation publique. L’attachement filial lui-même, le respect pour les vieillards et pour les magistrats, l’obéissance aux lois n’étaient que des dépendances et des corollaires de ce grand amour de la patrie. De nos jours, aux États-Unis, en Allemagne ; toutes les écoles sont animées de ce souffle et, grâce à cette impulsion, une sorte de feu sacré se communique à tout le régime scolaire. Ce moyen est peut-être d’un emploi plus difficile dans un pays où chaque génération semble prendre à tâche de se séparer des précédentes ; cependant nous ne pouvons ni ne devons y renoncer, et tout maître qui comprend sa mission saura bien saisir ou faire naître les occasions d’exciter dans l’âme de ses élèves cette généreuse ardeur. C’est là le ressort puissant qui suscite le zèle, produit le travail et qui, joint à l’émulation scolaire, triomphe des obstacles. « Vincet amor patriæ, laudumque immensa cupido. »

Il serait dommage que l’on pût traiter de chimérique le point de vue que j’envisage ici. Ennoblissons l’école, au lieu de la ravaler à un pur apprentissage mécanique. Je voudrais donc que nos instituteurs, dans l’énoncé qu’ils présenteront des moyens employés par eux pour porter les enfants au travail, fissent belle part, non-seulement à l’émulation, mais encore au mobile que je viens d’indiquer et qui n’est d’ailleurs lui-même qu’une des formes de l’émulation. Les dictées, les récits, les simples causeries, et surtout les grands exemples dont notre histoire abonde peuvent servir à allumer cette flamme, mais il faut que .le maître ait un plan et n’aille pas au hasard. Quels textes, quelles leçons, quels exercices y consacre-t-il ? Où est leur place dans l’ensemble du programme de la classe ? Quelle gradation ou quelle suite établit-il pour cette partie de sa tâche ? Voilà ce qu’il serait bon de faire ressortir. Les vertus civiles, le patriotisme militaire, les institutions nationales, paraissent offrir les trois principales divisions du plan à suivre ; mais l’essentiel est qu’il y ait un plan.

Bien entendu que nous n’excluons pas les autres moyens quelconques qui sont de nature à exciter le zèle des écoliers, le sentiment religieux, l’influence de la famille, etc. : tout cela doit entrer dans le cadre que nous demandons. Mais il y a un moyen qui ne se met pas dans les plans, et qui pourtant est des plus efficaces, c’est l’intérêt que le maître sait donner à son enseignement. Comme cet intérêt naît surtout du mode d’enseignement, nous avons à solliciter, à ce propos, l’avis des bons maîtres sur une question pédagogique aujourd’hui très-discutée :

Le Livre et la Parole. Dans quelle mesure respective le livre et la parole doivent-ils concourir à la formation de l’intelligence de l’enfant, à l’acquisition des connaissances qui lui sont nécessaires, aux exercices d’enseignement et aux procédés d’éducation qui composent le régime scolaire ? C’est un point qu’il convient d’examiner et sur lequel j’ai, pour ma part, plus d’un doute. Les Américains, peuple aussi causeur dans ses écoles que silencieux dans la vie ordinaire, ne vont-ils pas un peu loin dans usage qu’ils font de la conversation enseignante ? Un bon texte, à la fois simple et précis, qui conduit d’une manière directe et sûre à la connaissance que l’on veut faire acquérir à l’enfant, semble offrir un certain avantage sur ce système d’interrogations successives qu’il est si difficile de graduer exactement selon le degré d’intelligence des élèves. Il faudra presque toute la durée d’une classe pour faire dire à un groupe d’enfants que les plantes diffèrent de l’animal en ce qu’elles n’éprouvent pas de douleur, ne changent pas de place, se nourrissent par leurs racines et leurs feuilles : ce chemin n’est-il pas un peu long ? Le raisonnement d’ailleurs n’est pas la faculté principale de l’enfant ; s’il est obligé, pour arriver à une notion, de suivre un enchaînement de déductions, si bien ménagé que soit le passage de l’une à l’autre, il court risque de s’égarer en route. J’ai vu, dans des classes françaises où cette méthode avait été introduite, cinq ou six enfants tout au plus, sur une vingtaine, répondre assez bien aux interrogations très-habilement conduites qui leur étaient adressées : on obtient peut-être une moyenne plus forte avec une leçon de lecture bien expliquée et bien apprise.

Ajoutons qu’il faut au maître un art très-délicat et très-industrieux pour bien conduire ces interrogations enfantines, qui doivent avoir la spontanéité de la conversation et qu’il ne saurait, ce me semble, emprunter toutes faites à un recueil imprimé. Or, il est de principe que toute méthode vraiment applicable doit supposer un maître ordinaire, et non pas un maître en quelque sorte exceptionnel. Pouvons-nous donc leur demander, d’une manière générale, un mode d’enseignement qui parfois embarrasse, rait même des hommes du monde instruits et capables ? Les institutrices, sur ce point, me paraîtraient offrir plus de garanties d’aptitude : elles ont ce tact fin, cet art des détails, ce jeu de conversation et cette spontanéité que l’on chercherait vainement chez la plupart des hommes.

En tous cas, c’est une question digne de l’attention des pédagogues, et nos maîtres pourront à ce sujet produire ou leurs réflexions ou leurs exemples.

À part ces conversations didactiques, dont l’emploi peut être plus ou moins étendu ou restreint, ce qui du moins n’est pas contestable ni douteux, c’est l’autorité de la parole du maître, supérieure à tout autre mode d’enseignement. Une leçon de grammaire, d’arithmétique ou autre, : sera toujours plus intéressante et mieux comprise, si le maitre l’expose, que si le livre seul la montre à l’enfant. Aussi, au lieu de rester comme spectateur sur son estrade, ou de n’avoir d’autre voix que celle du signal de buis, comme cela se voit encore dans quelques écoles, le bon maître fait leçon, tantôt à une division, tantôt à une autre ou quelquefois à deux divisions réunies, et loin d’abandonner les enfants à la baguette des moniteurs ou aux exercices de table, il se prodigue lui-même. Le travail général naît de ce zèle, qui se communique promptement aux écoliers, et la classe alors a de la vie, du mouvement, de l’intérêt.

Ainsi, il faut que les programmes envoyés montrent quelle est la part d’intervention du maître dans l’enseignement de chaque division, quelle est celle des moniteurs et, s’il y a lieu, celle des sous-maîtres ; où se placent la leçon collective, l’exercice au cercle, le devoir aux tables. Tout cela est indispensable pour bien juger un régime scolaire.

L’Éducation morale. Il y a une chose qui paraît devoir rester forcément en dehors de cette montre pédagogique, ce sont les fruits d’éducation. Mais est-il impossible d’en faire voir les moyens, et le premier de ces moyens n’est-il pas la manière même dont l’enseignement proprement dit est dirigé ? De quoi s’agit-il en effet ? D’élever l’âme de l’enfant et de la fortifier. Pour atteindre ce but, ce sera déjà quelque chose que d’agrandir le champ des idées ; car l’intelligence ne peut élargir son horizon et embrasser de son regard un plus grand nombre de vérités, sans que la conscience morale en profite et ne reçoive le reflet de ces rayons nouveaux. Qu’il a bien dit le premier qui a dit que l’instruction est une lumière !

Il n’est pas nécessaire, pour cela, que l’enseignement primaire dépasse ses limites. Un enfant à qui on aura fait comprendre l’organisation d’un simple insecte, a des idées aussi justes sur la nature et son divin mécanisme que l’astronome qui étudie l’anneau de Saturne. Les hautes pensées naissent ainsi sans effort dans l’âme de l’enfant ; il contracte l’amour de la vérité, parce que la vérité est admirable : et comme toutes les vérités se tiennent et participent en quelque sorte les unes des autres, le voilà en bon chemin d’éducation.

C’est ce principe inaliénable, le Vrai, que je mettrais volontiers au frontispice de notre édifice scolaire, puisque ce principe a le privilége d’appartenir à la fois à l’ordre intellectuel et à l’ordre moral, et que par conséquent 1il réunit l’instruction et l’éducation. Sans faire un cours de morale, l’instituteur peut et doit rattacher tout son enseignement à cette idée, et en poursuivre dans tous les genres de connaissances les diverses manifestations ou applications. Il arrivera ainsi à fonder sur des principes sûrs, dérivés du bon sens lui-même, les règles de la conduite ; car le bon sens n’est que le sentiment pratique du vrai. Le sentiment du devoir, à son tour, n’est qu’une forme du bon sens, et l’héroïsme n’est que le suprême degré du devoir.

Surtout gardons-nous d’amollir chez les enfants ce sentiment du devoir. La qualité principale de l’âme, c’est la force. Les Spartiates l’avaient bien compris, eux dont tout le système d’éducation avait pour but de fortifier l’âme, de la rendre héroïque. Et c’est une question de savoir si, avec cette seule vertu, ils n’ont pas été un peuple égal ou supérieur à cette brillante Athènes, qui se complaisait à orner l’esprit encore plus qu’à fortifier l’âme de ses jeunes citoyens. Mais nous, que faisons-nous pour donner à l’enfant cette force intérieure, par laquelle plus tard il pourra réagir contre les rudes épreuves de la vie ? Je ne vois pas ce que notre éducation, dans son état actuel, comporte de moyens appropriés à ce but. Ne s’occupe-t-on pas plutôt d’atténuer la sévérité du régime scolaire, d’y introduire le bien-être, la commodité, et d’y semer les roses ? On n’ambitionne que de transformer le travail en amusement ; on déguise la peine et le devoir ; chacun s’évertue à trouver des adoucissements à l’arithmétique, des émollients à la grammaire, des jeux géographiques, des divertissements de syllabation. Sommes-nous dans la bonne voie ? Je demande aux maîtres consciencieux leurs observations à ce sujet.

Dans ces temps-ci où la lutte pour la vie est devenue, entre les nations et les individus, un combat de tous les instants, nous avons certes besoin de tremper énergiquement les caractères, de faire germer dans les âmes l’abnégation, le dévouement, et cette vertu du vouloir dans l’obéissance qui enfante des prodiges. L’instruction primaire y peut beaucoup. Assurément elle n’est pas une panacée universelle ; mais si quelques esprits moroses lui reprochent de n’empêcher pas l’homme d’être cupide, ambitieux, envieux, égoïste, gourmand, paresseux et ami de ses aises, les esprits sages la regardent, non-seulement comme le plus excellent des outils de travail, mais encore comme l’agent le plus actif de l’amélioration morale, puisqu’elle oppose à ces penchants la digue d’une conscience éclairée, et qu’en généralisant le sentiment du bien et de l’honnête, elle lui donne ainsi une force nouvelle. Puisse notre Exposition prouver aux yeux mêmes les plus prévenus son efficacité bienfaisante, et mettre en évidence les mérites et les modestes vertus du personnel si dévoué de nos instituteurs !