L’Histoire de Merlin l’enchanteur/05

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Librairie Plon (1p. 15-18).


V


Cependant ils approchaient de la cour du roi Vortiger. Quand ils n’en furent plus qu’à une heure de route, ils demandèrent à Merlin ce qu’ils diraient au roi.

— Contez-lui ce que vous avez vu, leur conseilla-t-il, et assurez-lui que je lui enseignerai pourquoi sa tour s’écroule toujours.

Ce qu’ils firent ; et le roi émerveillé commanda qu’on lui amenât Merlin. Celui-ci le salua le plus poliment du monde :

— Roi Vortiger, tu veux savoir pourquoi ta tour ne peut tenir ? C’est qu’il y a dessous la terre, à l’endroit où elle s’appuie, deux dragons qui ne voient goutte, l’un roux et l’autre blanc, qui dorment sous deux grandes pierres. Quand ils sentent le poids de la tour, ils se tournent, et elle croule. Si ce que je dis est faux, condamne-moi au feu ; si c’est vrai, accuse tes clercs et tes astronomes qui prétendent connaître tout et ne savent rien.

Aussitôt le roi fit rassembler les ouvriers du pays pour creuser la terre, lesquels travaillèrent si bien qu’on mit à jour les deux grandes pierres qu’avait annoncées Merlin. Et dès qu’on en eut soulevé la première, un dragon blanc apparut, si grand, si fier et si hideux, que tout le monde se hâta de reculer. Puis, sous la seconde, on découvrit un dragon roux, qui sembla encore plus grand et plus sauvage. Et tous deux ne tardèrent pas à s’éveiller et à se jeter l’un sur l’autre, en se déchirant horriblement des dents et des griffes. La bataille dura tout le jour, toute la nuit et le lendemain jusqu’à l’heure de midi. Longtemps le blanc eut le dessous ; mais, à la fin, il lui sortit une flamme de la bouche et des narines qui consuma le roux ; après quoi le vainqueur se coucha et mourut à son tour. Et Merlin dit au roi que maintenant il pouvait faire bâtir sa tour.

— Mais, demanda celui-ci, il faut que tu nous apprennes ce que signifie la lutte des deux dragons.

— Promets-moi donc, sur ta foi, qu’il ne me sera fait aucun mal.

Le roi promit.

— Je te dirai que le dragon roux signifie toi, et le blanc le fils du roi Constant, auquel tu as volé son héritage. Et si les deux dragons luttèrent longtemps, c’est que tu tiens depuis longtemps le royaume que tu as pris. Et si le blanc a brûlé le roux, c’est qu’Uter Pendragon, le fils du roi, te fera brûler toi-même. Dans trois jours il débarquera au port de Winchester.

À ces mots le roi fut très effrayé. Il s’empressa d’envoyer une armée à Winchester. Mais lorsque ses gens virent les gonfanons d’Uter Pendragon sur la nef qui l’amenait, ils s’empressèrent de le reconnaître pour leur droit seigneur, de sorte que Vortiger n’eut que le temps de gagner un de ses châteaux avec un petit nombre de serviteurs. Il résista là quelque temps ; mais, en donnant l’assaut, Uter Pendragon mit le feu à la forteresse, et Vortiger périt dans les flammes. Ainsi en soit-il de tous les déloyaux.