L’Histoire de Merlin l’enchanteur/37

La bibliothèque libre.
Librairie Plon (1p. 125-128).


XXXVII


Ayant ainsi parlé au roi Artus, Merlin alla en la petite Bretagne et il apparut à Léonce de Payerne, qui était régent du royaume de Benoïc, et à la reine. Il leur montra un anneau que le roi Ban lui avait confié pour qu’il pût se faire reconnaître d’eux, et, après leur avoir conté tout ce qui s’était passé en Carmélide et les prouesses des trois rois, il dit à Léonce de Payerne qu’il lui fallait passer la mer avec autant de troupes qu’il lui serait possible d’en amener, afin d’aider le roi Artus à chasser les Saines du royaume de Logres, et que tel était l’ordre du roi Ban.

— Sire, demanda Léonce, en quel lieu devons-nous aller ?

— À la Roche Flodemer, répondit Merlin, et de là aux plaines de Salibery où vous trouverez des princes et des chevaliers de tous pays qui seront venus pour le même dessein. Vous aurez une bannière blanche à la croix vermeille, et ils en auront pareillement : à cela vous vous reconnaîtrez tous, car beaucoup parleront des langues étrangères.

Léonce dit qu’il ferait ainsi. Et Merlin resta quatre jours entiers auprès de lui et de la reine qui le festoyèrent très bien ; puis il partit pour le royaume de Gannes. Il y apparut à Pharien, qui en était régent pour le roi Bohor, et à la reine ; et il leur fit le même récit et leur donna les mêmes instructions qu’à Léonce de Payerne. Puis il vint au royaume de Carmélide dont les barons résolurent de se rendre également aux plaines de Salibery. Enfin il obtint l’aide du roi de Lambale et de divers autres rois étrangers. Et, ayant ainsi travaillé, il se rendit en la forêt de Broceliande auprès de Viviane, sa mie.

Quand elle le vit, elle fit paraître une grande joie, et lui, il l’aimait si durement que pour un peu plus il serait devenu fou.

— Beau doux ami, lui dit-elle, ne m’enseignerez-vous pas quelques nouveaux jeux, et comment, par exemple, je pourrais faire dormir un homme aussi longtemps que je voudrais sans qu’il s’éveillât ?

Il lui demanda pourquoi elle voulait avoir cette science ; mais, hélas ! il connaissait bien toute sa pensée.

— Parce que, toutes les fois que vous viendriez, je pourrais endormir mon père Dyonas et ma mère, car ils me tueraient s’ils s’apercevaient jamais de nos affaires. Et, de la sorte, je vous ferais entrer dans ma chambre.

Bien souvent, durant les sept jours qu’il passa avec elle, la pucelle lui renouvela cette demande. Une fois qu’ils se trouvaient tous deux dans le verger nommé Repaire de liesse, auprès de la fontaine, elle lui prit la tête en son giron et, quand elle le vit plus amoureux que jamais :

— Au moins, dit-elle, apprenez-moi à endormir une dame.

Il savait bien son arrière-pensée ; pourtant il lui enseigna ce qu’elle désirait, car ainsi le voulait Notre Sire. Et beaucoup d’autres choses encore : trois mots, par exemple, qu’elle prit en écrit, et qui avaient cette vertu que nul homme ne la pouvait posséder charnellement lorsqu’elle les portait sur elle ; par là se munissait-elle contre Merlin, car la femme est plus rusée que diable. Et il ne pouvait s’empêcher de lui céder toujours.

Enfin, après une semaine, il la quitta tristement pour aller ou, il devait être, et ce fut dans la forêt de l’Épinaie aux environs de Logres.

Là, il prit l’apparence d’un vieillard tout croulant d’âge, monté sur un palefroi blanc, vêtu d’une robe noire et coiffé d’une couronne de fleurs, dont la barbe était si longue qu’elle faisait trois fois le tour de sa ceinture ; et ainsi fait, il se porta au-devant de Gauvain qui chassait dans la forêt.

— Gauvain, Gauvain, lui dit-il, si tu m’en croyais, tu ferais trêve aux cerfs et aux daims, car il vaudrait mieux pour ton honneur faire guerre aux hommes dans la forêt de Sarpenie.

Là-dessus, il s’éloigna si rapidement qu’on n’aurait pu avoir seulement l’idée de le suivre. Mais à présent le conte se tait de lui et en vient à parler du roi Lot d’Orcanie.