L’Histoire de Merlin l’enchanteur/47

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Librairie Plon (1p. 167-169).


XLVII


Le soir de ce beau jour, quand les chevaliers et les dames furent retournés en leurs logis, Guyomar, le cousin de la reine, demeura à causer avec Morgane dans une pièce basse du palais.

C’était la sœur du roi Artus. Elle était fort gaie et enjouée, et chantait très plaisamment ; d’ailleurs brune de visage, mais bien en chair, ni trop grasse ni trop maigre, de belles mains, des épaules parfaites, la peau plus douce que la soie, avenante de manières, longue et droite de corps, bref charmante à miracle ; avec cela, la femme la plus chaude et la plus luxurieuse de toute la Grande Bretagne. Merlin lui avait enseigné l’astronomie et beaucoup d’autres choses, et elle s’y était appliquée de son mieux : de façon qu’elle était devenue bonne clergesse et qu’on l’appela plus tard Morgane la fée à cause des merveilles qu’elle fit. Elle s’exprimait avec une douceur, une suavité délicieuses, et elle était plus débonnaire et attrayante que personne au monde, lorsqu’elle était de sang-froid. Mais, quand elle en voulait à quelqu’un, il était difficile de l’apaiser, et on le vit bien par la suite, car celle qu’elle aurait dû le plus aimer, elle lui fit tant de peine et de honte que tout le monde en causa : et ce fut la reine Guenièvre. Le conte ne parle pas de cela à cet endroit, car il en sera devisé plus loin ; et ce serait dommage de démembrer un si bon conte : il faut le laisser aller son train.

Quand Guyomar entra dans la chambre où Morgane était, il la salua bien doucement en lui disant que Dieu lui donnât bonjour, et elle lui rendit son salut débonnairement et comme celle qui a la langue bien pendue. Alors il s’assit auprès d’elle. Elle dévidait du fil d’or dont elle voulait faire une coiffe pour sa sœur, la femme du roi Lot d’Orcanie : il se mit à l’aider en lui demandant à quel ouvrage elle travaillait, et à la mettre en paroles sur diverses choses.

Il était beau chevalier, gracieux et bien fait, riant, blond de cheveux et agréable de toutes façons, comme un homme de vingt-huit ans ou environ, de manière qu’elle le regarda très volontiers. De même elle lui plut fort, si bien qu’il la pria d’amour ; et, quand il s’aperçut qu’elle souffrirait de bon cœur ce dont il la voulait requérir, il commença de la prendre dans ses bras et de la baiser très doucement ; puis, s’étant échauffés de la sorte comme nature le voulait, ils s’étendirent tous deux sur une couche grande et belle et firent le jeu commun, comme gens qui tous deux le désiraient : car, s’il le souhaitait, autant le souhaitait-elle.

Ainsi ils s’entr’accueillirent de grand amour, et ce soir-là ils demeureront longtemps ensemble ; puis ils s’aimèrent longtemps sans que nul le sût. Mais un jour la reine Guenièvre l’apprit et les sépara ; dont Morgane la haït et lui fit les pires ennuis. Mais le conte à présent laisse ce propos et devise du roi Artus.