L’Idéalisme américain - Les Poésies de Henry van Dyke

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L’idéalisme américain – Les poésies de M. Henry van Dyke [1]
E. Sainte-Marie Perrin

Revue des Deux Mondes tome 48, 1908


L’IDÉALISME AMÉRICAIN

LES POÉSIES DE M. HENRY VAN DYKE[2]

Il serait bon, pour notre complète intelligence des États-Unis contemporains, que nous connussions davantage, et comme « de plus près » quelques-uns des écrivains qui, dans ce pays, représentent les tendances idéalistes. Tant d’autres tendances y sont plus apparentes, qu’on pourrait douter de l’existence de celles-là. Pourtant, dans les veines de l’Américain positif d’aujourd’hui circule encore le sang des Puritains d’Angleterre et de Hollande, et le vœu d’Emerson pour sa patrie continue de s’accomplir : que pour chercher la lumière au-dessus des exigences matérielles, le regard des hommes « soulève leurs paupières pesantes[3]. » M. Henry van Dyke est un exemple de la persistance d’un idéalisme sain aux Etats-Unis. En même temps qu’un talent littéraire d’un grand charme, qu’il a diversement manifesté comme orateur, essayiste, conteur d’histoires et poète, — souplesse d’esprit qui n’est pas sans exemple dans l’histoire des lettres américaines, — son œuvre révèle une personnalité indépendante, sincère, fidèle à une conception très haute et très reposante du monde et de la vie. Il est peut-être imprudent de dire d’un écrivain qu’il n’a pas cherché le succès, mais on peut dire avec certitude de celui-là que le succès a laissé intacte sa sincérité. Suivre d’une marche tranquille la route qui vous semble la meilleure, sans que l’opinion bonne ou mauvaise d’autrui vous en détourne ou vous immobilise à un tournant glorieux ; se laisser guider par des préférences intérieures ; vivre enfin sa vie avec vérité et travailler dans le silence, cela exige partout des énergies peu communes. Plus encore peut-être en Amérique qu’ailleurs, ces énergies méritent la sympathie : l’atmosphère y est moins favorable au recueillement, et il semble que ce soit là-bas la loi de toute production d’être hâtive, aisément rémunératrice, et peu exigeante d’effort prolongé.

M. van Dyke se place aujourd’hui parmi les quatre ou cinq écrivains les plus célèbres des États-Unis. Le talent littéraire fut jadis chose rare dans ce pays ; épanoui soudain au milieu du dernier siècle en quelques hommes d’une si haute valeur qu’ils suffirent à créer une littérature nationale, il est maintenant multiplié, éparpillé même. Parmi tant de figures d’auteurs, celle de M. van Dyke est de beaucoup une des plus personnelles ; elle est expressive et fine ; et son œuvre, empreinte de cette noble sincérité que j’ai essayé de dire, mérite une attention un peu profonde, et l’attire par un don mystérieux et rare de sympathie.

Cette œuvre, en apparence diverse et décousue, est, à la bien comprendre, unie par un même élément vital qui est la poésie. C’est à cette source de beauté que s’alimentent son éloquence forte, ferme, élargie d’images ; ses nouvelles d’un charme original et prenant ; ses livres d’ « essais » qui sont d’une poésie si personnelle et si vivante que ceux qui en lisent certaines pages comme : les Petites Rivières, la Magie des Bois, les Trois sortes de bruyère ou les Goélands, sentent que leur vision de ces choses recevra désormais un peu de l’empreinte de sa vision. Or, pour connaître réellement un écrivain à travers son œuvre, c’est non aux pages de raisonnement, mais aux pages de poésie qu’il faut demander la clef secrète de sa personnalité ; et les traits de sa race se reconnaîtront à ce qui est chez lui impulsif et non acquis. La poésie, qu’elle vivifie la prose, qu’elle s’exprime dans les arts, ou qu’elle se taise, cachée dans les âmes de silence, la poésie est bien réellement le plus intime de nous-même. Mouvemens indistincts et confus de notre imagination et de notre sensibilité qui échappent au contrôle de la volonté ; intuitions que l’intelligence ne dirige pas ; avertisseurs fragiles de la conscience sur lesquels la conscience n’a point de prise, ces gestes obscurs du rêve produisent la poésie ; et, à moins que toute expression ne soit chez nous artificielle, nulle voix ne peut être plus intérieure que la sienne.

Si M. van Dyke n’avait pas fait de vers, c’est donc par l’abondante poésie de ses nouvelles et de ses « essais » que j’aurais étudié sa manière de regarder au-dessus de la terre, son idéalisme. Mais du moment qu’il a écrit des vers, c’est à eux que je vais de préférence. Rythmée, la poésie multiplie ses puissances en paraissant les asservir ; et ce qu’il y a d’essentiel dans une œuvre poétique se rassemble et se condense en ces lignes mesurées.

Pour classer d’une manière générale la poésie de M. van Dyke parmi les manifestations diverses de cet art aux nombreux domaines, un vers de lui nous guidera. C’est une poésie si imprégnée de souffle humain que, dans l’atmosphère qu’elle crée, on voit soudain


Comme une étoile nouvellement apparue, se lever une âme.


Voilà quelle est la première apparence de son œuvre en vers. Ce n’est pas nécessairement celle de toute poésie : il suffit parfois pour nous ravir de faire chanter des syllabes musicales, et parfois aussi une voix subtile ou dolente, toute chargée de véhémence ou de sensibilité, échoit à cette tâche de nous révéler un être. Mais si, dans un chant harmonieux, à travers l’enchantement des rythmes et la grâce des formes, sans effort et sans bruit, soudain « une âme se lève, » alors nous ressentons l’émotion d’une rencontre mystérieuse entre cet être et nous, et pour toujours nous fondons avec lui une invisible et sereine amitié.

Les vers de M. van Dyke sont de ceux où l’on sent un être humain vivre. Je n’entends aucunement par là qu’il s’y étudie. Il est ennemi de la complaisance sentimentale, et il n’est pas de ceux qui font avant tout de la poésie une analyse pieuse de leurs désenchantemens, cultivés et sélectionnés comme des chrysanthèmes monstres. Il est sobre de confidences, et il estime que la « figure de la poésie doit être éloquente par la stabilité de son attitude, et non par l’abandon de son geste. » Mais il n’a jamais séparé l’art des sources intérieures qui l’alimentent ; il a écrit comme il a agi, avec son être tout entier, et la chanson diverse de ses poèmes n’est que l’écho de la chanson vivante de son âme au cours des années. Y a-t-il rien de plus reposant, de plus joyeux, de plus ennoblissant aussi, que d’avoir, près de la route où l’on se fatigue à marcher, une rivière qui coule, pleine et chantante ? C’est une dispensatrice de lumière ; elle garde jusqu’au soir, et la dernière, ce qui reste de soleil sur la terre, et par la coulée confiante de ses eaux lisses vers le but qu’elle ne connaît pas, elle est conseillère de sérénité. M. van Dyke, qui aime d’amour les rivières, les grandes et les humbles, a eu le rare bonheur d’être accompagné par la poésie, qui leur ressemble, tout le long de son chemin ; et, très simplement, il en a noté la musique changeante.

Sa vie fut simple et unie, mais vécue avec intensité. Le père de Henry van Dyke était ministre presbytérien à Germantown en Pensylvanie, quand son fils naquit en 1852 ; mais peu après, il fut nommé à Brooklyn, et toute la jeunesse du futur écrivain se passa dans cette moitié de New-York où l’enfant, ardent aux joies des pays libres où il passait ses vacances, se complaisait, faute de mieux, à lire des livres d’aventures ; et, inconsciemment enquête de chemins de rêve, suivait des yeux avec amour les vols innombrables des mouettes qui tournoient dans le port. Sa famille était très ancienne sur la terre d’Amérique ; un des premiers bateaux qui, en 1652, amenèrent des Hollandais à la colonie, avait à son bord un van Dyke, qui était de la famille du grand peintre. Etre d’une bonne race influe sur la nature du talent d’un homme ; et si à la vérité on perdrait bien du temps à distinguer ceux des caractères hollandais qu’a pu garder ce descendant du Puritain de 1652, fortement américanisé par deux siècles, il est facile de voir dans ses œuvres que son esprit affiné, sa délicatesse simple et son élégante dignité d’attitude ne sont pas le fruit d’une seule génération.

Comme son père, son grand-père et son bisaïeul, Henry van Dyke fut étudiant de Princeton, et l’un de ses premiers succès poétiques fut même un de ces chants de louange à l’Université choisie, louanges commandées qui sont si froides chez nous, mais qui là-bas, dans ces immenses collèges où passe toute la jeunesse cultivée du pays et qui gardent leurs traditions, leur vie personnelle et leurs refrains, respirent tant d’attachement loyal et de candide fierté. A partir de ces années d’étudiant où son penchant littéraire se dessine pourtant, il se prépare à une vie différente : il suivra la même carrière que son père. Il entre donc au séminaire de théologie de Princeton, puis il part étudier en Allemagne, il voyage une année à travers l’Europe ; enfin, revenu en Amérique, muni de titres de plusieurs Universités, esprit richement et diversement doué, travailleur et volontaire, il est nommé ministre d’une église indépendante à Newport, puis d’une importante église presbytérienne à New-York, et mène la vie de pasteur pendant plus de vingt ans. Et comme il est très éloquent, comme par ailleurs il comprend gravement et ardemment ses charges et ses devoirs, que son autorité s’accroît et que les sympathies qu’il inspire s’étendent, ces années sont extrêmement laborieuses. Mais quels merveilleux repos ! Hors de la ville et des soucis il s’évade chaque année ; depuis son enfance, les grandes pêches l’ont emmené l’été dans les contrées encore sauvages et libres de son pays, presque toujours au Canada, et lui servent de prétexte ou d’occasion pour d’admirables flâneries le long des rivières indéfiniment désertes, dans de grands pays sans hommes, sans route, sans barrières, où la nature est à la fois grande et amicale. Il avoue n’avoir jamais résisté à l’appel du mois de juin, et j’imagine que les jours où il partait avec ses guides, ses canots, ses lignes, son fusil, et pas un seul livre, vers les espaces où l’on couche sous la tente entre une rivière et une forêt, lui étaient des jours de libération.

Cependant, c’étaient des haltes trop brèves : elles ne suffisaient pas à réparer l’usure d’une vie très pleine, et elles augmentaient en lui le besoin d’écrire sans lui en laisser le temps. De sorte que, en 1900, cette double raison de sa santé atteinte et de sa vocation certaine d’écrivain lui firent abandonner le ministère actif et accepter à l’université de Princeton la chaire de littérature anglaise qu’il occupe actuellement.

Cette vie modela son talent en ce sens qu’elle le dirigea vers les problèmes de la vie intérieure autant que son penchant l’entraînait aux impressions de nature. Mais elle explique aussi, en partie, les limites de ce talent même. En effet, cette existence laborieuse retarda jusqu’à la complète maturité de l’écrivain l’expression de la poésie qui s’amassait en lui, et il fut longtemps à cause d’elle un amateur plutôt qu’un écrivain de métier.

Sans doute, aucune condition extérieure n’empêche un homme d’être poète, et, parmi les plus grands, beaucoup ont vu leur vocation soumise plus durement à une destinée contraire. Il est cependant assez rare que la jeunesse d’un homme qui a reçu le don de la poésie soit absorbée, de son libre consentement, non seulement par une série d’occupations matérielles, mais aussi par une direction générale de l’activité, dans un domaine très éloigné de la poésie. M. van Dyke dut faire des vers toute sa vie, mais des vers hâtifs, vite enfermés et oubliés, des vers qui étaient seulement l’épanchement des heures trop lourdes de poésie, et non pas ces objets d’amour et de culte où la pensée se resserre et s’amplifie sous les retouches successives, et dont le travail rend plus riche l’éclosion des germes nouveaux. La poésie demande l’orientation perpétuelle de l’esprit, les heures prodiguement dépensées, et, pendant vingt ans, M. van Dyke n’eut à lui consacrer que des intervalles de temps ; si, pendant ces intervalles, il trouva le moyen décrire, outre des études de philosophie religieuse, un livre de critique sur Tennyson, et quelques amusans croquis de pêches et de campemens, il amassa surtout des matériaux pour sa vie littéraire à laquelle il ne s’est réellement adonné que depuis dix ans[4].

La vocation littéraire de Henry van Dyke résista à cette épreuve qui aurait probablement tari une source moins robuste ; mais dans quelle mesure son talent en souffrit-il ? Au point de vue technique, il en souffrit probablement. Mais au point de vue de l’inspiration, il me semble que ses dons poétiques en furent plutôt transformés qu’amoindris.

En effet, ses émotions poétiques s’accumulaient en lui, source vivante alimentée par une forte vie intérieure et par des contacts avec la nature, des journées de solitude dans la forêt fraîche, de longues nuits d’été en plein paysage, qui n’interrompaient point la rêverie de la journée mais en prolongeaient le charme. La soumission à la volonté d’une force aussi impétueuse et impérieuse qu’est la poésie ainsi renouvelée ne crée-t-elle pas une réserve pour le jour où s’ouvriront les vannes des écluses ? Et par ailleurs, si la technique a perdu à n’être pas longuement étudiée et mûrie, si même une partie des ardeurs et des beaux gestes d’une âme jeune ont été dépensés en pure perte, sans que rien n’en fixât la chaleur et le mouvement, ce qu’il en reste n’est-il pas le plus pur et le meilleur ? Il reste ce qui est vrai, ce que la vie en passant n’a pas réduit en ruines, ce quelque peu d’éternel qui est l’essence même de l’art. Aussi, nous trouverons dans les vers de M. van Dyke, non pas peut-être un essor gigantesque ou un opulent lyrisme, mais l’expression d’une longue et joyeuse méditation du monde ; une grande délicatesse de sensation ; une compréhension profonde, intime, intuitive, des secrets de la nature et des secrets de l’âme humaine qui toutes deux se livrent lentement et ne sont vaincues que par un patient amour.

Tout ce qui est poésie dans l’œuvre de Henry van Dyke vit par trois facultés qui sont les élémens essentiels d’un tempérament de poète, et dont il importe par conséquent de rechercher les indices. C’est tout d’abord la faculté de sentir intensément la beauté de la terre, et de sentir cette beauté dans ses manifestations les plus simples. Nous avons tous un sentiment plus ou moins profond de ce qu’on appelle « les grands spectacles de la nature, » et nous n’y sommes pas indifférens, surtout si l’on a pris la précaution d’éveiller notre admiration engourdie ; mais combien ignorent les visages changeans de leur paysage familier ! Les poètes, eux, ont toujours une porte ouverte au plus léger passage de la beauté ; qu’ils soient écrivains ou artistes, philosophes ou simples rêveurs, ils savent, comme l’a si admirablement dit Keats, que la poésie de la terre ne meurt jamais ; ils possèdent l’éternelle jeunesse du regard, la docilité à l’enchantement des heures diverses, et leur sens de vue se prolonge en un sens de vision. Pour eux, la beauté prodigue du monde se dévoile plus riche que pour les autres hommes, et la mesure de sa libéralité envers eux est la mesure même de leur génie poétique. Ils connaissent les trésors de sa grâce comme on connaît le charme d’un être aimé dont un simple geste éveille dans le secret du cœur tout un monde d’harmonies ; et leur sensibilité frémit de cette constante vibration qu’un de nos poètes contemporains exprimait en disant :


Mon âme est une lyre aux sept cordes tendues.


Il n’y a guère de pages dans l’œuvre de M. van Dyke où ne vibre cette sensibilité, et qui ne révèle le don de recevoir, comme il l’a dit lui-même dans un joli vers, « une joie intérieure de toutes les choses entendues et regardées. »

La seconde faculté est le pouvoir d’éveil. Ce pouvoir est l’âme de tout art et de toute poésie. Mais s’il appartient plus spécialement à la musique qu’aux autres arts parce que c’est le moins explicite, il appartient aussi davantage à la poésie rythmée qu’à la prose. Celle-ci a tous les pouvoirs de description et d’évocation qu’on peut souhaiter ; il lui est possible de transporter l’esprit dans le paysage le plus minutieusement fouillé, dans les profondeurs les plus subtiles d’un cœur, et d’éveiller toute une atmosphère physique et morale. Je crois cependant que la poésie possède un secret de plus : la magie d’évoquer non un paysage défini, mais l’impression demeurée en nous des paysages dont, nous avons reçu l’empreinte la plus profonde ; de ceux, parfois très simples, où le mystérieux accord de l’heure, des lignes, de la lumière et de notre disposition intérieure nous avait parlé un langage inoubliable. Ces impressions mêlées à nous-mêmes, la poésie les éveille, de même que lorsqu’elle exprime une douleur ou une joie, ce n’est pas celle des autres que nous imaginons, mais notre douleur ou notre joie à nous-mêmes, sous la forme particulière qu’elles revêtent en chacun de nous. Le domaine de la poésie est moins l’apparence des choses que leur vie. Et la poésie idéale qui exprimera aussi pleinement que possible cette vie aura plus qu’une autre le pouvoir de faire appel à nos sources intimes. Sans doute une telle poésie est rare ; il suffit cependant de se souvenir par exemple de quelque admirable page de poésie hébraïque, du livre de la Sagesse ou des Psaumes de David, pour comprendre qu’elle existe. Dans chaque langue, elle exerce son pouvoir en son intensité absolue dans quelques centaines de vers, et dans quelques-unes de ces lignes eurythmiques qui tendent à leur être semblables, et qui, comme eux, laissent dans l’imagination des traînées de lumière.

Dans la mesure relative de sa valeur, la poésie de M. Henry van Dyke est très suggestive. Soit par le ton général, soit par le sens des mots, ses vers expriment beaucoup plus de choses qu’ils n’en disent. Il cherche avant tout à produire dans l’âme une atmosphère favorable à l’activité du rêve, en établissant, quand les choses essentielles sont dites, le « grand Empire du Silence » dont parlait Carlyle. Beaucoup d’exemples pourraient en être cités ; je choisirai parmi eux deux groupes de vers qui tous deux se trouvent dans le poème intitulé : « Paix. » Le poète place une des deux retraites de la Paix sur la terre, au sommet inaccessible des montagnes.


Demeure élevée dans la solitude de la lumière — au-delà du monde des ombres — demeure lointaine, belle et claire — où l’avènement de la nuit n’est que la proximité plus radieuse des étoiles ; — Où l’aube est libre, et sans contrainte jaillit par-dessus les barrières — Qui gardent longtemps les terres basses dans l’ombre indécise…


Et plus loin, il compare nos luttes humaines, vues de cette demeure presque céleste,


Aux rides que l’orage creuse en rampant sur la mer — Et qui ne laissent nulle trace de trouble — Sur son visage sans mémoire.


Enfin, une part plus ou moins large du véritable sens poétique doit être conférée à un homme pour qu’il soit poète. Tous les rimeurs n’ont pas ce sens, mais c’est par lui que se distingue de l’écrivain, si génialement doué d’imagination et de sensibilité qu’on le suppose, l’homme qui a reçu le don, — on pourrait presque dire l’ordre, — d’exprimer sa pensée en vers. Ce sens poétique est en effet aussi distinct du don littéraire que peut l’être le sens musical, car l’idée qui doit être exprimée par la langue chantée n’existe pas à l’état de pensée pure dans le cerveau qui la crée ; elle est inséparable d’une forme sensible, et emprunte pour naître deux élémens qui sont déjà du domaine de l’art et non plus seulement du domaine de l’esprit : le rythme et la sonorité. Le sens poétique exige donc des facultés spéciales, de nature infiniment délicate et mystérieuse. Parmi les caractères les plus apparens auxquels on peut le reconnaître est une sorte d’instinct sûr qui guide l’esprit dans le choix des objets de la poésie. Il y a dans le champ immense des choses qui attendent d’être exprimées, certaines idées, images et sensations, qui ne sauraient éclore et jaillir de la nuit sans porter avec elles leur cadence, comme d’autres portent leur harmonie ou leur couleur. Les vrais poètes sentent ces affinités. Pour montrer que M. van Dyke en a le sens très juste, il suffit de suivre la « donnée » d’un de ses poèmes. Tout y est objet de poésie, destiné à la langue rythmée, fait pour être porté par ses grandes ailes planantes. Celui que nous choisissons, dans l’un des trois petits volumes qui composent toute son œuvre poétique, est un des plus longs, — il a une quinzaine de pages, — et s’appelle Véra. C’est une sorte de légende ou de rêverie sur le mystère du son. Véra vivait dans un monde de silence : elle n’entendait pas. Un univers radieux et muet, telle était sa demeure. Elle savait par ses yeux que cet univers est plein de joie, car elle voyait, comme de soudains rayons de soleil « de clairs sourires briller sur le visage des choses. » Elle savait aussi que ce monde est plein de douleurs : les fleurs qui se fanaient, les feuilles qui tombaient le lui avaient appris, — et aussi ces sombres nuages chargés de larmes, et ces brumes pendantes, sans larmes, qui errent au-dessus de la terre trop triste pour pleurer. Et ce monde changeait sans cesse, et il avait beaucoup de significations diverses, mais nulle parole. Les oreilles de Véra étaient des portes closes et scellées, et l’émerveillement du monde ne pénétrait son âme que par ses regards.

Elle voyait le grand vent traverser les forêts en courbant les arbres et leurs têtes inclinées le saluer ; mais les pins n’avaient point de chanson, ni les chênes n’avaient de rumeur, ni les bouleaux et les peupliers de murmures. Il passait : les arbres enlaçaient leurs bras et agitaient leurs mains : mais tout demeurait silencieux.

Elle voyait les torrens qui dévalent en bondissant les collines et toutes les vagues errantes de la mer ; mais du tumulte des eaux ne venait aucun cri de joie, aucun sanglot de douleur. L’eau immense n’avait point de voix.

Les bêtes de la terre se mouvaient sans bruit. Les oiseaux mêmes, « les plus vivantes des choses vivantes, » les oiseaux « qui sont dans les avenues sombres comme des gouttes du lumière et comme des taches d’ombre dans les champs ensoleillés, » naviguaient sans jeter un cri sur les vagues invisibles de l’air, et, sans une seule note de ralliement, ils se rassemblaient, et leur troupe silencieuse, comme un grand navire, s’en allait vers le Sud.

Mais en regardant les hommes elle avait peu à peu compris que quelque chose du monde lui demeurait fermé. Quel était donc le merveilleux pouvoir des lèvres qui s’ouvrent et se ferment, la magie des gestes muets que font ces lèvres toujours mouvantes ? Véra comprit peu à peu qu’il existait « un murmure de la vie, plus clair que l’action et plus profond que les regards, » qui lui était inconnu. Et elle se sentit comme emprisonnée.

En ce temps-là, le Christ était sur la terre, et Véra se mit à sa recherche. Elle le trouva « et le reconnut à la pitié de son visage. » Elle se mit à genoux devant lui, et lui montrant ses lèvres immobiles, puis ses oreilles, « portes virginales qu’aucune voix n’avait franchies, » elle l’implora avec des yeux qui disaient toute sa peine.

Le Maître resta un instant silencieux, comme s’il songeait aux choses meilleures qu’elle aurait pu demander, puis il sourit et dit : « Entrez, voix des choses vivantes ! mais n’entrez point en tumulte et toutes à la fois ; venez avec douceur, à mon commandement. »

Et d’abord, le vent chanta le prélude de la grande harmonie, puis Véra entendit un ruisseau qui coulait près d’elle, et un oiseau qui passait dans l’air, puis, les unes après les autres, toutes les voix de la terre, et enfin la voix divine du Christ qui l’appelait par son nom.

Quelle extase doit être cette vie nouvelle pour celui qui soudainement entend la voix du monde, et dont le cœur est éveillé brusquement de la nuit silencieuse au jour débordant de musique ! C’est comme une nouvelle création de l’univers, comme si, après la grande semaine de labeur divin et le long repos du septième jour, Dieu eût dit : « Que les choses parlent ! » Le monde répondait avec une joie soudaine, et Véra écoutait. Bientôt elle sut que les chansons des arbres sont aussi diverses que les teintes des feuilles qu’ils portent, que les eaux glissent ou se heurtent avec une musique changeante : tantôt comme des gouttes de pluie sur des feuilles brillantes, tantôt avec une clameur puissante, ou bien en de longs gémissemens rythmés ; que les plus petites créatures ont leur voix à elles, et que, pardessus toutes les autres, la voix humaine a des nuances infinies pour dire la pensée invisible.

Mais bientôt un trouble se mêla à son ravissement : il y avait une note discordante dans le concert des choses. Ce n’étaient pas les bruits sauvages où se révèlent les luttes secrètes de la nature qui la troublaient ; ni les rages de la tempête, ni les complaintes du vent, ni la voix féroce des bêtes en luttes d’amour, ni le cri strident des oiseaux de proie, ni même le tumulte qui monte des grandes villes fiévreuses. En ces choses se révélait la vie ; et la vie est vraie, et même quand elle est triste, la vérité est toujours musicale ; le son discordant de la symphonie humaine était le mensonge. Et le jour où Véra comprit que les paroles des hommes sont un vêtement d’emprunt, elle douta de la beauté du bienfait qu’elle avait reçu, et sentit que le sens du monde lui demeurait caché, au-delà d’autres portes encore closes. Et elle retourna vers le Maître.

Il se tenait au milieu de la foule des hommes, et regardait avec sérénité leur confusion bruyante : « Seigneur, lui dit-elle, votre don était grand, et je vous en ai béni ; mais le monde reste un mystère pour moi. Car, sous le courant des mots que disent les hommes, passe le courant de leurs pensées secrètes. Derrière le masque du langage, j’aperçois les yeux des choses inexprimées, et je sens le battement du cœur sous le déguisement des paroles. S’il est une seconde porte de l’entendement, ouvrez-la, Seigneur, de votre main qui libère, afin que je pénètre le sens mystérieux de la vie. — Ce que tu cherches là, répondit le maître, bien des hommes sages l’ont désiré en vain. Mais bien que tu ne saches pas ce qu’est le pouvoir que tu demandes, je te l’accorde. Tu entendras désormais tout ce que les hommes sentent au dedans de leurs âmes ; et si tu rencontres la souffrance dans ce chemin, reviens vers moi ; il y a un sentier qui mène à la paix… »

Véra entendit alors les voix cachées des âmes. Quel bruit immense et confus ! quelle mêlée gigantesque, de sons enchevêtrés ! Plus d’écluse pour arrêter ce flot ! plus d’apparence d’harmonie, plus d’intervalle de silence pour reposer l’oreille qui écoute ! les voix montent, sans arrêt, dans le calme de la nuit, dans l’assoupissement des heures lasses du milieu du jour, pendant les momens de silence solennel des temples, et durant les heures d’angoisse haletante des chambres de mort ; toujours Véra entend le mouvement incessant des cœurs qui ne se taisent jamais ; les émois, les chants d’amour, les cris de haine, les hymnes de la foi, les mélopées du désespoir, et ces murmures plus profonds et plus vagues que tout, « ces pensées qui naissent et meurent sans porter de nom, ou plutôt qui veulent avoir un nom, et qui hantent l’âme sans jamais vouloir mourir. » Bientôt, dans le tumulte désordonné, la clarté se fit ; elle sut comprendre chaque voix distincte et « suivre chaque sentiment comme un fil de cette toile mystérieuse que la passion tisse d’un cœur à l’autre autour du monde vivant. » Mais parvenue à cet entendement absolu, de nouveau la tristesse l’envahit, et le poids de tout ce qu’elle savait l’oppressa. Alors, dans son inquiétude, elle se rappela que le Seigneur avait dit : « Il y a un sentier qui mène à la paix, » et, pour la troisième fois, elle alla lui porter son âme lourde. — Je sais ce que tu as entendu, lui dit-il, car tout l’étonnement du monde est écrit sur ton visage. Parmi tant de voix as-tu entendu la voix de la paix parfaite ? Et ton cœur qui a entendu les vœux et les désirs des hommes est-il satisfait ? » Elle répondit : « Non. Ce que j’ai entendu trouble mon âme ; car de tous les esprits de l’humanité, et de toutes les pensées inexprimées, s’élève toujours une voix qui questionne et qui demande ; qui demande le sens de ce monde immense et n’obtient pas de réponse, qui demande et demande encore, patiente et plaintive ou déchaînée, et n’éveille d’autre voix que celles des autres questions qui errent à la même poursuite. Et cette voix s’élève au-dessus de toutes les autres, et les rassemble en une seule, une interrogation éternelle et vaine. Oh ! Maître, faites-moi retomber dans le silence d’autrefois ! ou bien, s’il est encore une porte que vous puissiez ouvrir pour moi, faites que je puisse entendre la réponse de la paix. »

Le Christ lui répondit : « J’ai ouvert la porte de tes oreilles et la porte de ton esprit, j’ouvrirai maintenant la porte de ton cœur, et l’entendement absolu te sera donné. Ecoute la pensée certaine qui vit sous les pensées troubles des hommes. Ecoute l’éternelle harmonie que font les messages secrets de Dieu dans l’âme qui sait écouter. »

Comme une fleur en son plein épanouissement déplie ses pétales pour accueillir l’aube, ainsi Véra ouvrit son âme, et la lumière de la joie absolue brilla sur son visage. Qu’entendait-elle ? je ne puis le dire, et sans doute ne le pourrait-elle non plus exprimer, car les mots de l’homme sont vains. Sous la voix profonde des eaux, au-dessus de la voix errante du vent, à travers les voix diverses de toutes les choses vivantes qui emplissent de sons l’univers, Dieu parlait. Et la paix était en Véra.

Et quand le Maître l’interrogea, disant : « Entends-tu ? » elle répondit : « Oui, maintenant enfin j’entends. — Comprends-tu le monde ? — Il ne me trouble plus. — Que te dit la voix de vie ? — Aimez. Ceux qui n’aiment pas ne sont pas vivans et ne peuvent entendre. Mais par l’amour, toute âme peut connaître le secret de Dieu. »


En même temps que la justesse du sentiment poétique qui se révèle dans cette pièce, on peut y apercevoir un des traits qui caractérisent l’imagination de M. van Dyke ; c’est l’union de deux qualités qui souvent s’excluent : l’ampleur et la minutie. Sa poésie est parfois grande, elle n’est jamais vague ; et d’autre part, les détails, précis et colorés, ne distraient jamais du dessin général parce qu’une même impulsion les anime tous. Ce caractère se retrouve dans tous les poèmes de M. van Dyke, qu’ils appartiennent à l’une ou à l’autre des catégories dans lesquelles on peut les classer : poésies lyriques, poésies d’intimité, poésies de pure nature.

Un des meilleurs parmi ses poèmes lyriques, avec Véra, Music dont nous reparlerons, et la méditation sur les deux demeures de la Paix, est ce cantique : God of the open air, où le poète implore Dieu à travers le monde qui est son temple immense ; dans ces strophes d’invocation renouvelées une fois de plus du Cantique des Cantiques, mais avec un accent très personnel, il y a de très beaux mouvemens de poésie large et pénétrante, des intuitions rares, et des développement heureux de cette idée que notre âme devrait être docile et souple, et confiante comme toutes les choses de la création.

Il y aussi quelques légendes parmi ces poèmes lyriques. J’avoue ne pas goûter beaucoup ceux qui sont uniquement mystiques et qui me semblent un peu prédicans, mais le symbolisme est charmant qui a créé la légende de l’Essaim des Abeilles blanches ; ce sont les flocons de neige : abeilles inconnues des saisons ensoleillées, dont les ruches mystérieuses sont aux vergers célestes, et qui, lorsque la beauté de la dernière fleur est morte, descendent d’un vol paresseux, obscurcissant le ciel de leurs essaims compacts, et se posent sur la terre sans que le silence soit troublé par leur chute. « Où est leur reine ? Qui est leur Maître ? Quel miel caché cherchent-elles sur la terre aride ? quelle douceur secrète veulent-elles recueillir dans ce jour désolé où nulle fleur ne luit ? » Pendant la nuit, le vent se lève et pourchasse les abeilles, les remmène au ciel en tourbillons, et, le lendemain, quand le soleil brille, le miel blanc des abeilles blanches couvre la terre, opulente et protectrice récolte.

En abordant ses Poésies d’intimité, une chose surprend : l’absence de passion. Peu de poèmes d’amour, et peut-être intenses, mais jamais tumultueux. J’ai cherché l’explication, et j’ai trouvé ces belles lignes qui, en même temps qu’elles montrent un esprit supérieur à son œuvre et capable de la dominer, illustrent la différence qui doit exister entre les lois qui régissent l’art et celles qui régissent la vie : « Oui, je contiens la passion dans mes vers ; je la réfrène et je la dompte. Car son heure ne doit pas être l’heure de l’art. Il faut choisir, pour l’expression des sentimens humains, non pas le moment aigu de la lutte, mais celui où le conflit s’ouvre vers la paix. »

Il y a donc, dans ces poésies d’intimité, quelques chants de calme tendresse ; puis des poèmes de philosophie personnelle, comme ses trois vigoureux sonnets de Travail, Vie, Amour, ou les petites strophes frappantes de Confiance, et de A Mile with me ; l’Enfant dans le jardin est le retour du poète devenu homme au jardin de son enfance, et l’accueil de pureté qu’il y trouve. Le Vent de Chagrin rajeunit par un souffle de nature libre l’idée si vieille de la tendresse humaine que la douleur ravive. M. van Dyke a fait aussi quelques vers charmans sur ses enfans disparus (il eut la douleur de perdre trois fils encore enfans), des vers légers et souples comme les gestes imprécis de ces petits êtres. C’est une partie de cache-cache dans les bois, avec un petit garçon rieur, et la recherche anxieuse du père dont les appels n’obtiennent plus de réponse. C’est Dulcis Memoria, ou bien le Message, qui est un sourire d’enfant : « Le petit qui habile près de la maison d’où s’est envolé le mien est venu mettre dans ma main sa main de bébé, et il m’a regardé en souriant. L’enfant qui fut à moi avait dû lui confier ce message de tendresse… Les paroles les plus consolantes, les conseils des hommes les plus sages m’ont moins aidé à porter ma peine que les choses que j’ai lues dans ce tout petit sourire. » Il y a un joli sentiment dans l’Automne au jardin, un très vieux jardin où beaucoup d’existences humaines ont passé. Le poète qui s’y promène en les évoquant, et qui suit, entre les plates-bandes démodées, les sentiers patiens où ils ont appris à souffrir dans la solitude du chagrin, termine sa rêverie par ces mots : « Marchons ensemble dans le jardin, ô mon amie ! car ceux qui savent les souffrances des autres vies ne marchent jamais seuls. »

Avec La Lumière entre les arbres, qui dit la longue marche dans la forêt obscure qui couvre les montagnes, et l’apparition de la lumière entre les troncs serrés quand la pente est gravie, nous revenons par cette voie demi-descriptive et demi-symbolique que M. van Dyke affectionne, aux poèmes de pure nature, aux mélodies des « quatre oiseaux et une fleur, » au chaud lyrisme du Printemps dans le Sud, et à ce délicieux Chant de neige où le poète regarde la neige tomber sur la mer.


Quand le vent du Nord souffle,
Quand les nuages sauvages volent bas,
De toutes leurs ailes ténébreuses,
Sifflante et murmurante
Tombe la neige.

Est-ce que la neige cache la mer ?
Dans tous ses replis mouvans
Jamais un flocon ne se pose,
Jamais la tourmente n’amasse de monceau ;
Toujours s’évanouissant,
Dans la mer affamée
Tombe la neige.

Que veut dire la neige sur la mer ?
Dans la rafale qui saute et tourbillonne
Les flocons, foule épaisse, passent ;
Chacun, comme un fantôme d’enfant
Chancelle, et disparaît.
Image du mystère de la vie,
Dans la mer oublieuse
Tombe la neige.


Mais le poème le plus grand qu’ait écrit M. van Dyke, et celui où son talent est comme résumé, est cette ode intitulée Music, qui a donné son nom à son dernier volume de poésie. M. van Dyke mit près de deux années à le composer, cherchant les meilleures formes pour exprimer le sens humain de la musique. Le poème débute par une invocation à la Musique, fille de Psyché, enfantée par le cri d’extase qu’elle poussa en cette nuit tragique où elle vit l’Amour et fut abandonnée :


… Tu es l’ange de l’étang qui sommeille. Ses eaux profondes cachent, en elles la paix et la joie, et elles attendent que tes doigts les touchent. Alors, en longs murmures apaisans, elles rouleront autour de l’âme lasse. Ah ! quand t’approcheras-tu de moi, messagère de pitié dont un chant est la robe ? Depuis longtemps mon cœur solitaire écoute si tu viens. Mais voici qu’aujourd’hui je crois entendre à travers le bruit de la vie et des foules, la chute rythmique de ton pas. Ils sonnent clairs et légers au-dessus des vains bruits et des luttes sans règle, tes pas lointains, tes pas magiques, tes pas précieux. Ah ! détourne-toi de ton chemin, approche et parle-moi !…


Alors, la musique chante au poète une Ronde d’enfant, qui court devant une bande d’enfans rieurs, « comme une petite fille avec des cheveux qui volent, » une fanfare de chasse qui hâte la course du sang dans les veines, des airs de danse, une Berceuse apaisante, enfin une Symphonie. Voici le Chant du sommeil :


Oublie, oublie ! La marée de la vie se retire ; des vagues de lumière déclinent lentement vers l’Ouest. — Au bord de l’obscurité qui monte quelques astres brûlent, pour guider ton esprit vers l’île du repos. — Je te bercerai dans la profondeur calme de mon chant, j’apaiserai l’ardeur et l’élan de ton âme — Et par un peu de repos et un peu de sommeil — Tu oublieras.


Oublie, oublie ! Le jour fut chargé de plaisir, — Mais à présent ses échos meurent sur la colline. — Que les battemens de ton cœur s’accordent à leur lente mesure ! — Écoute : l’écho se balance, et s’affaisse, et faiblit, et s’éteint, puis tout est silence. — Alors, comme un enfant las qui aime à garder bien serré dans ses bras quelque trésor, — Ton âme avec la joie du jour s’abandonnera, endormie, — Et ainsi, tu oublieras.

Oublie, oublie ! Et si tu as pleuré — Laisse s’envoler les pensées qui te lient à la douleur ; — Retrouve la paix ; regarde les anges chantans qui moissonnent — la moisson d’or de ton chagrin, gerbe par gerbe. — Et toi, compte tes joies — Comme le berger compte le soir les agneaux blancs qui, un par un, passent lentement dans le champ tranquille. Ainsi tu oublieras.

Oublie, oublie ! — Tu es un enfant et tu sais si peu de chose de la vie ! — Mais la musique peut te révéler un des secrets du monde où tu vas — Travaillant avec le chant du matin et te reposant au son des cloches du soir : — La vie est une si profonde harmonie — Que, même quand les notes sont très graves et basses — Tu peux sans crainte dormir en paix : — Dieu n’oublie pas.


SYMPHONIE

O musique, comme ils te font injure, ceux qui disent que tu enchantes les sens seulement !

Car tout mouvement craintif du cœur ; et toute passion trop intense pour porter la chaîne des paroles impuissantes ; Et chaque désir tremblant, qu’affolent ces souffles venus on ne sait d’où et dont on ne sait où ils vont ; Et toute prière inarticulée qui bat de l’aile dans les abîmes de la peine et de l’espoir, comme un oiseau perdu qui cherche son nid et ne sait plus où il est ; Et tous les rêves qui hantent, de leur vague délice, les heures troubles entre le jour et la nuit, entre la nuit et le matin ; Tous, emprisonnés, ils t’attendent ; impatiens, ils crient vers toi, ô Reine qui pourras délivrer ces captifs en leur donnant ta voix !

Pour qu’elle s’enfuie, tu prêtes des ailes à la douleur ; et tu prêtes des ailes à la joie pour qu’elle atteigne des sommets purs ; et le désir muet qui emplit ta poitrine comme d’une tempête, tu l’emportes pour qu’il s’évade dans un chant ou dans un sanglot.


La musique sera la voix de l’amour, de celui qui « humain dans la douleur, est presque divin dans la joie ; » elle se pliera à la passion de chacun des cœurs qui l’écoutent et deviendra leur propre langage. Et voici que cette voix vibre le long de la symphonie qui se déroule, à travers l’Andante, à travers l’Adagio jusqu’à l’Allegro où elle s’épand sur cette mer brillante et vaste. « Dans leurs chants rythmés, éclatans, qui se mêlent, chaque instrument épand librement sa force. Les harpes sonnent comme des carillons d’épousailles, et les trompettes s’emplissent de souffles, autour de la barque d’amour, qui, telle qu’une galère royale, aux rames nombreuses, aborde sous le ciel plein de sourires, au rivage heureux de l’harmonie absolue. »

Aucun poème mieux que Music ne peut aider à comprendre la nature du talent de Henry van Dyke, et comme l’atmosphère de sa poésie. Il y a en effet, dans ce poème, une vue tout intérieure de la musique, une compréhension absolument subjective et sentimentale de cet art dont le côté purement sensible ou, si l’on peut dire, plastique, n’est même pas mentionné ; et on reprochera peut-être à M. van Dyke d’entendre la musique plus en poète qu’en musicien, mais là est justement une manifestation de plus d’une nature qui a pris une direction constante : M. van Dyke sent dans la musique, d’une part, son intime et intense fusion avec notre être le plus secret, son pouvoir de pénétrer jusqu’aux régions de nous-mêmes qu’aucun regard n’atteint ; et d’autre part, la place qu’elle occupe, à côté de la lumière, parmi les choses divines dont Dieu a formé la beauté du monde. Et c’est ce sentiment profond des choses, excluant toute sensation seulement superficielle, que j’ai voulu indiquer en disant au début de cette étude que, dans son œuvre, il y avait toujours une âme présente.

Si des sujets larges nous descendons à ceux qui pourraient exiger seulement de la virtuosité, nous trouvons crue ses pages les plus « extérieures, » alors que ses vers sont le plus gais et descriptifs, sont soudain traversées d’un cri humain, ou bien que comme malgré lui et par une pente naturelle de son esprit toujours un peu penché et attentif, elles s’approfondissent en une songerie grave. Il a noté, par exemple, quelques-uns des refrains que chantent les innombrables oiseaux des solitudes boisées, les oiseaux « qui secouent leurs chansons de leurs ailes. » Henry van Dyke les connaît tous, d’après son principe que, « pour avoir de l’intimité avec les petites choses de la terre, il faut pouvoir les nommer par leur nom ; » et chacun de ses réveils après les nuits sous la tente, à l’heure où tous les oiseaux chantent ensemble à plein gosier, semble être pour lui une heure de fête merveilleuse. Il a dit la douceur candide des petites notes simples du moineau, « qui répète son invitation à la joie jusqu’à ce que les champs résonnent de plaisir ; » le chant clair du Veery, un petit oiseau d’Amérique qui chante, paraît-il, moins passionnément que le rossignol d’Italie, plus doucement que l’alouette d’Ecosse, plus gaîment encore que le merle des verdoyans jardins anglais ; qui chante à la fin du jour, dans les forêts du New-England, des notes claires comme des cloches, et que le poète voudrait entendre « le jour où la lumière de sa vie baissera. » Il a exprimé aussi l’intense mélancolie, terne et lasse, dont le Whip-poor-Will, l’engoulevent de la Virginie, emplit les nuits solitaires, et dont le cri perçant et lugubre révéla le premier à l’enfant qui l’écoutait « qu’il peut y avoir de la tristesse sur la terre. » Dans la poésie anglaise, si bien faite pour ces notations fragiles, il y a peut-être des vers plus habiles que ceux-ci et plus évocateurs des chants d’oiseaux ; je n’en sais pas qui donnent davantage la sensation de l’intimité de l’homme avec ces petites choses joyeuses.

Il faudrait maintenant, après avoir étudié l’inspiration et le sentiment poétique de cet écrivain, parler de ses vers en eux-mêmes et dire la qualité de son « métier. » Mais il est presque aussi difficile de parler réellement de la poésie que de la musique. On peut étudier le sujet d’un poème comme d’une symphonie ; on peut essayer de suivre l’effort d’un homme pour enlacer et confondre la pensée et la forme de son art, afin d’en faire, suivant les belles expressions de M. Gabriele d’Annunzio, « ce vers tout-puissant, absolu, immuable, immortel, qui retient en lui la parole avec la cohésion du diamant, qui enclôt la pensée dans un cercle précis que nulle force ne réussira à briser[5]. » Mais à l’analyse de cet effort, le pouvoir de la parole écrite s’arrête : les lois de son succès lui demeurent cachées. Que sait-elle de la concordance plus ou moins heureuse des sons, de cette puissance de la rime, écho proche ou lointain, sorte d’accord aux tonalités innombrables que d’autres accords séparent et enrichissent ? Comment pourrait-elle exprimer la puissance de ce principal élément de beauté qu’est le rythme : cette division du temps, ce partage de la durée, qui exprime par son mouvement, qui exprime par ses arrêts, qui fait que la poésie est sœur de la musique, et comme elle « un dialogue avec le silence inépuisable[6]. » Cela est d’un domaine réservé où les mots n’entrent guère. Et s’il est difficile de dire par quels moyens toute poésie arrive à être belle, la tâche devient plus malaisée encore quand il s’agit de poésie étrangère. La langue et la prosodie anglaise ont des richesses et des exigences presque opposées à celles du français. La poésie anglaise est aérienne à côté de la nôtre. L’infinie diversité des expressions, leur malléabilité, la souplesse de construction de la phrase, la surprenante faculté de raccourci en font un merveilleux instrument de poésie. Le rythme des vers anglais aussi est poétique inexprimablement. Les « accens » qui en marquent la cadence entre les syllabes sourdes, comme des triglyphes où vient s’accrocher une guirlande, soutiennent la ligne souple du vers et le balancent en des oscillations plus ou moins amples : iambes aux fluctuations courtes comme des vagues de fleuve, anapestes qui, isolés dans un vers d’un autre mètre, en hâtent la course, ou bien qui, se suivant dans le vers démesurément allongé, produisent tantôt un effet de grâce alanguissante, et tantôt une impression de vigueur telle qu’on songe à des bondissemens de bête poursuivie.

Comment M. van Dyke s’est-il servi de toutes ces richesses ? Dans leur traversée de l’Océan, les souffles chargés de germes que lui envoyaient les beaux génies anglais sont parvenus affaiblis ; et ! e disciple de Shelley et de Keats, de Browning, de Wordsworth et de Tennyson n’a pas recueilli tout leur héritage. Pourtant, — je crois l’avoir montré, — ses dons poétiques sont riches et rares, mais la forme ne les égale pas. Dans tous ces grands poètes, les mois sont une nouvelle beauté ajoutée à l’idée qui vibre en eux et leur mouvement en augmente intensité. Pour parler seulement de ceux qui ont davantage conquis mon amitié et qui seront indéfiniment les modèles de tout poète de langue anglaise, les mots de Shelley sont des caresses, fuyans et comme impalpables, ou bien éclatans et lumineux, — et ses strophes, qui parfois glissent comme des reflets, sans secousse, sont ailleurs emportées dans une cadence haletante comme des rafales. Keats, plus humain, sait les mots et les mouvemens qui vibrent comme des sentimens secrets. Tennyson, celui à qui Henry van Dyke ressemble certainement le plus par la nature du talent et qui fut plus particulièrement son modèle, est infiniment musical ; il n’ignore aucune des ressources poétiques et les emploie sans effort. Et dans un poète absolument différent de ceux-là, un païen de la Renaissance italienne égaré dans les brumes anglaises, dans Swinburne, si extérieur toujours et si théâtral parfois, un souffle inlassable fait rejaillir les images les unes des autres, avec quelle ampleur et quelle abondance ! Auprès de ces poètes qui sont de beaux fleuves, la rivière poétique de M. van Dyke apparaît inégale, coupée de chutes, ou bien encombrée de rochers qui arrêtent sa course. Il arrive que le sens musical soit en défaut chez lui ; des mots de sécheresse sans vigueur coupent des vers de pur rêve ; et malgré la variété des rythmes, on sent comme une monotonie de mouvement et d’attitude. Je sais bien que c’est là seulement l’exception dans sa poésie. Elle a d’ordinaire des rythmes et des modulations très chantantes, — très adéquates au sujet, — surtout dans ses vers les plus récens. Mais des imperfections musicales en langue lyrique sont chose grave ; et si je trouve dans Music, inégal dans sa forme et qui vaut surtout par ses suggestions profondes, des pages où les mots se haussent au niveau de la chose louée et participent de sa puissance, j’y trouve aussi des accens qui la heurtent. Et je trouve dans Véra une uniformité de mouvement, une identité de modes poétiques qui nuisent à l’évocation successive et progressivement émouvante des domaines sonores.

Cependant la souplesse du « métier » poétique semble être obtenue avec beaucoup d’aisance par les poètes d’aujourd’hui. En Angleterre et en France tout au moins, les vers exquis de mélodies subtiles, les consonances harmonieuses et les chutes élégantes des rimes qui résonnent, éclatantes comme des couleurs ou sourdes comme des ombres, sont de jolis jeux pour nos contemporains : jeux qui ne sont pas sans danger, puisque quelques-uns de ceux qui s’y plaisent en oublient parfois de meubler d’un corps ce fastueux vêtement. L’absence de cette habileté vient-elle d’une négligence de travailleur chez M. van Dyke, ou de la prédominance d’une préoccupation autre et supérieure ? Si elle a des causes involontaires et qu’elle soit l’indice d’un raffinement insuffisant de la délicatesse artistique, lui est-elle personnelle, ou bien est-elle un trait constant des poètes de sa race ? Nous retrouverons peut-être la réponse à ces diverses questions en replaçant M. van Dyke dans son cadre parmi les poètes d’Amérique. Ici il ne souffre pas de la comparaison ; et je ne vois pas pourquoi, si l’avenir augmente et perfectionne son œuvre poétique, il ne prendrait pas rang à côté des meilleurs poètes des Etats-Unis, dans la lignée classique dont Walt Whitman est le génial contraste.

L’histoire de la poésie en Amérique est moins brillante que celle de la littérature, et le grand poète d’outre-mer que Keats rêvait déjà en 1818 n’est pas encore né, — disons, pour ne décourager aucune ambition juvénile, qu’il n’est pas encore mort.

Depuis le temps de Keats, la littérature américaine s’est révélée par quelques hommes de grande valeur, mais la liste des poètes qu’une anthologie un peu sévère devrait seule retenir tient en quelques noms ; encore représentent-ils des hommes dont beaucoup écrivirent mieux en prose qu’en vers : le vieux William Cullen Bryant, Emerson, Longfellow, Edgar Poe, Whittier, Lowell, Sidney Lanier et Walt Whitman. Pour le souci de la vérité ethnique, il faut mettre à part les deux « poètes du Sud, » Poe et Lanier qui tous deux surent plus que les autres comment la poésie peut être une magicienne ; le premier, parfois admirable, mais inégal, et limité au champ d’inspiration que domine la mort troublante : le second aussi peu « américain » que possible au sens restreint de ce mot, chanteur mélancolique et subtil, harmonieux toujours, mièvre parfois : l’un et l’autre eurent plus de grâce, plus d’expansion que les poètes de l’Est américain, dont la race est celle de M. van Dyke, et dont nous voulons surtout parler. Dans l’ensemble, tous les poètes qui l’ont précédé plus ou moins glorieusement, ont eu, quel que soit leur talent, les mêmes défauts poétiques que lui. Et voilà qui devient très intéressant ; car les points faibles d’un homme cessent d’être simplement désagréables, quand on les retrouve dans un grand nombre d’autres esprits de même formation. Un papillon qui aurait une aile trop courte serait un invalide de médiocre intérêt ; mais il deviendrait singulièrement digne d’attention si l’on découvrait que, dans une région quelconque de la terre diverse, toute une variété de lépidoptères a si l’on peut s’exprimer ainsi, le vol boiteux. Or, c’est tout à fait l’impression qu’on a des poètes d’Amérique. Ils ont une inspiration haute, large, vigoureuse, une belle audace, une gravité parfois âpre, dépourvue de toute mesquinerie et de toute bassesse ; un sentiment d’une grande fraîcheur, un idéalisme enfin d’une qualité rare ; mais l’aile de la forme qui devait égaler l’aile de la pensée, est généralement plus ou moins atrophiée.

Je me hâte de nommer celui qui est une exception à ce caractère commun : Longfellow. Il sut, lui, ce qu’est la mélodie ; il le sut même si bien qu’il en oublia parfois le reste, qui est d’avoir des idées, grandes si possible, et sinon neuves, du moins renouvelées. On imagine qu’il dut être un esprit souple, influençable, d’humeur sereine et joyeuse ; que, s’il fut en toute certitude un poète, il fut aussi un esprit assimilateur ; et que ses dons poétiques : l’abondance limpide du chant et le charme de l’expression, n’auraient pas suffi à produire tant de vers agréables, s’il n’y avait ajouté l’entraînement sans cesse renouvelé d’une culture exceptionnelle.

A quelle plus grande hauteur les vers rugueux d’Emerson nous transportent ! Quelle lumière pure et quels reflets de lumière les mots martelés par lui répandent sur les choses qu’il contemple ! Sa poésie avec ses élans superbes, est bien de la nature de celle que Ronsard comparait à « ces feux jaillissans…


… Jetant de toutes parts
Par l’obscur de la nuit de grands rayons épais.


Malheureusement, chez Emerson, ce ne sont que des éclairs ; la grande inspiration s’enfuit soudain, et brusquement la pénombre se reforme, en attendant une lueur nouvelle. Mais, même en dehors de cette inégalité d’inspiration et de ce caractère heurté de l’expression, Emerson est-il vraiment un poète ? Ne continue-t-il pas à être dans ses vers ce qu’il est avant tout : un génial et noble penseur ? S’il eut le besoin et le désir des vers, c’est parce qu’il savait qu’en cette forme plus parfaite et plus haute se cristalliserait plus purement sa pensée : mais la recherche de leur beauté, la plastique des vers n’existe pas chez lui, et on ne croirait pas qu’il l’eût soupçonnée si l’on ne savait quelles belles et pénétrantes choses il a écrites de la poésie. Il eut pour elle une sorte de culte et de vénération ; il lui confia le soin de porter les fruits les plus beaux de son intelligence, et le rythme doubla parfois de son essor l’essor de son génie. Mais la poésie veut avant tout être aimée. Et dédaigneuse de servir même les desseins de la pensée, elle se prêta à celui qui la maniait de ses mains rudes, pieuses pourtant, sans lui abandonner tout son charme et toute sa grâce.

Elle ne les abandonna pas davantage aux poètes d’un génie moins haut mais d’une jolie ou vigoureuse imagination qui, en même temps qu’Emerson ou après lui, tentèrent de l’étreindre : le grave et sobre Bryant, si réellement poète, si sensible à la beauté sous ses apparences froides, mais si raidi dans son moule poétique ; et chez qui j’ai reconnu parfois un des vrais ancêtres de M. van Dyke par sa façon d’aimer les arbres, de comprendre les êtres humbles de la nature, et de penser à ses fins dernières en regardant une gentiane frangée ; Whittier, ardent et populaire ; Lowell, plus raffiné, d’imagination élégante et d’esprit élevé ; Walt Whitman enfin, le dernier venu, et qui entra dans ce cénacle en bouleversant tout. Whitman était sans doute un poète « génial, » primitif et instinctif, chez qui la veine poétique était vierge, et peut-être celui des poètes d’Amérique qui avait reçu le plus large don de lyrisme. Mais Whitman voulant être à tout prix personnel, le fut agressivement, sans contrôle et sans frein. Rebelle par système encore plus que par instinct, il modela ses vers à la ressemblance de son esprit volontairement disloqué. Aussi, chez lui encore, la poésie n’habite pas toujours : présente en quelques admirables odes, elle le délaissa souvent ; car elle ne peut exister sans la mesure qui est sa force, et ceux qui veulent élargir ses clôtures la laissent s’enfuir. Whitman les brisa d’une main orgueilleuse ; il détendit le rythme en mouvement, ne connut que quelques-unes des richesses de la sonorité, celles qui appartiennent à la parole plutôt qu’au chant, et bien qu’il cherchât le résultat contraire, sa poésie si colorée, si jaillissante et si chaude perdit en profondeur ce qu’elle gagnait en amplitude désordonnée.

tant qu’il est possible d’en juger par quelques-uns, les poètes d’aujourd’hui en Amérique ont une plus grande habileté poétique, mais il semble qu’ils l’aient acquise aux dépens de l’originalité. Et l’on dirait vraiment, à lire tous les poètes des Etats-Unis les uns après les autres, que ceux qui avaient le plus de génie » ont fait les vers les plus heurtés. Il y a là comme un manque d’équilibre. Est-il possible d’en apercevoir quelques raisons ?

Je crois en distinguer trois, desquelles il est assez malaisé de raisonner parce que ce sont des impressions confuses qui redoutent la clarté du jour.

Tout d’abord, les poètes américains sont l’épanouissement d’une nouvelle plante humaine, issue de vieilles variétés, greffée avec incohérence, et qui a poussé tout à fait au hasard, mais qui est bien réellement une plante nouvelle : transformée par le sol, le climat, la liberté de déployer ses exubérans rameaux ; et le jardinier anglais qui avait cru pouvoir étiqueter de son nom de producteur cette variété de ses plates-bandes doit renoncer à en tirer vanité. Mais si c’est bien une nouvelle race que ce peuple d’Amérique, quelle étrange histoire est celle de son intelligence ! Nulle histoire ne ressemble à la sienne. On chercherait en vain la période de recueillement que la culture de tous les peuples a traversée avant de s’affirmer : le cerveau américain, à la fois trop jeune et déjà vieux, n’a pas eu d’adolescence. Pendant deux siècles, le peuple nouveau ne cherche qu’à vivre sur le sol, à y prospérer, à organiser sa liberté et son gouvernement : c’est le souci de l’existence. Mais dès que celle-ci lui est assurée largement, dès que le jeune peuple sent sa force, c’est l’opulence qui arrive, et sa maturité hâtive est vite rassasiée des plaisirs qui s’achètent. Il s’étonne qu’il y ait des joies qui ne puissent s’acquérir, et en devient avide. Il éprouve le besoin du passé, malgré la splendeur du présent et les espoirs démesurés du lendemain ; il sent le besoin de la littérature, de l’art, parce que c’est une floraison de l’humanité et qu’il veut en fournir sa part, lui qui se sent devenir une nation. Mais il n’a d’autre formation que celle que lui ont versée les vieilles races, et c’est dans ses richesses qu’ils ont puisé.

Le génie poétique ne s’improvise pas plus qu’il ne s’acquiert ; le travail secret et silencieux qu’il réclame a manqué à l’enfant trop vite devenu homme, et trop tôt détourné des labeurs de l’esprit par la vie abondante qui émousse les facultés délicates et appesantit les âmes. Et s’ajoutant à cette raison, pour expliquer que, dans cette période de 1840 où quelques beaux écrivains se levèrent, très personnels et fort civilisés, il ne se soit pas levé de poète égal, une seconde cause intervient peut-être.

Ce peuple parle une langue qui n’est pas la sienne. Non seulement les différentes populations des Etats-Unis s’expriment par un même langage, alors que les habitans du Nord et du Sud, de la Nouvelle-Angleterre et de la Californie sont si dissemblables ; non seulement les élémens yankees, allemands, Scandinaves, hollandais et italiens parlent tous anglais ; mais le peuple américain, en tant qu’être nouveau, s’exprime dans une vieille langue qu’il a trouvée toute faite. Sa mentalité neuve se revêt des signes que la mentalité britannique si différente a fabriqués pour son usage. Cependant une langue n’est pas un élément passif et de formation artificielle : c’est une chose vivante, tout imprégnée de la vie d’une nation, de ses habitudes de pensée ; elle est lentement façonnée par ce qu’il y a de plus caractéristique dans une race ; chaque siècle la modifie et chaque tendance profonde la plie à son idéal nouveau. Il n’est pas de peuple si petit qui, abandonné à lui-même et prenant conscience d’une âme nationale, n’ait modifié son langage pour le rendre plus semblable à lui-même. Or, — mettant ici la prose à peu près hors de question, car plus que la poésie elle est un vêtement, — je me demande si dans les vers, créés par deux puissances qui doivent être aussi intérieures l’une que l’autre, il ne pourrait pas y avoir parfois un mystérieux désaccord entre elles. Là, le langage joue un rôle instinctif, impérieux, et doit correspondre aux formes les plus primitives du rêve et du sentiment. Les poètes américains, plus différens sans doute des Anglais par leur terre et par leur vie que les poètes d’Irlande ou d’Ecosse, ont pu trouver là, sans même en avoir conscience, un obstacle à la perfection de leur lyrisme, les mois ne jaillissant pas des sources où se forma leur tempérament ; et vraiment, l’on est un peu tenté de plaindre ce peuple si fier de sa vitalité dont le libre génie n’a pas une voix à lui pour chanter son âme nouvelle…

Le problème est peut-être illusoire, et il se peut qu’un grand poète le démontre magnifiquement demain. En tout cas, je n’ai pas la prétention d’en chercher la solution. Dans la pratique d’ailleurs, elle se trouve dans l’étude acharnée et attentive des vers anglais : rien n’est plus contagieux que la poésie. J’ai voulu simplement indiquer une des causes qui peuvent produire cette différence de technique entre les poètes anglais et les poètes américains, en dépit des dons poétiques de ces derniers.

Il suffit également d’indiquer l’absence de formation musicale (peut-être même de tempérament). Enfin il n’y a pas en Amérique de goût général. Il est inutile et désobligeant d’insister sur cette chose évidente : le goût, le sentiment de la justesse, l’instinct infaillible, ne sont pas parmi les dons innés de l’Américain et n’éclatent pas dans ses productions. Quand il arrive aux raffinemens et à la délicatesse, c’est en général par le contact avec le Vieux Monde. Mais ce serait le rôle de la critique d’éveiller le goût public et d’en faire l’éducation : elle semble faillir à sa tâche. Il serait intéressant de suivre la critique américaine, depuis le temps où les critiques étaient rares et consciencieux comme les œuvres littéraires, — critique fine et forte avec Lowell, impitoyablement railleuse avec Edgar Poë, injuste et excessive parfois, et souvent mal avertie, mais indépendante et respectée à l’égal d’une mission, — jusqu’à l’époque actuelle où cette critique s’est multipliée et amollie avec le pullulement des revues et des magazines.

Il y a aujourd’hui aux États-Unis d’excellens critiques des œuvres du passé, de la littérature anglaise et américaine : M. E. G. Stedman par exemple, M. George Woodberry, M. Hamilton W. Mabie et M. van Dyke lui-même, qui est un critique très pénétrant. Mais la critique étudiant au jour le jour les œuvres des écrivains vivans n’existe pas. Il en existe seulement deux simulacres : la critique de coterie et la critique laudative. La critique de coterie, de clan, est encore exagérée par ce fait de la division du pays en petites patries indépendantes et rivales ; le grand homme des Bostoniens ultra-graves et qui monopolisent la culture intensive des cerveaux, a des chances de ne point être le grand homme des élégans de Washington ; et quant à la littérature californienne, qui semble en plein éveil actuellement, tout l’Est, du haut de ses traditions, la regarde d’un œil soupçonneux. Mais lors même que la critique américaine est indépendante, sincère, elle n’en vaut guère mieux pour la formation publique, car elle cherche aveuglément dans les hommes qu’elle étudie ce qui peut être loué et elle l’exalte, sans paraître soupçonner leurs défauts pourtant probables. M. van Dyke a très justement accusé cette critique de ne point différer de la réclame. Le public, américain a un penchant pour cette critique et l’adopte aisément. Comme il a somme toute, peu de bons littérateurs et un désir immodéré d’en avoir d’excellens, il voue volontiers un culte facile à ses hommes de lettres. Dès qu’un homme a quelque talent, il devient l’enfant gâté du public qui achète cent mille de ses volumes comme nous en achetons dix mille des auteurs que nous aimons ; les revues lui font fête et les maisons d’éditions lui ouvrent à deux battans leurs portes dorées. « Heureux pays ! » songeront tout bas les jeunes littérateurs de nos sociétés encombrées de talens. Non. Pays où la médiocrité est une tentation. Une fois qu’un écrivain est arrivé au succès, la progression de son talent n’est pas nécessaire pour accroître ce succès : la production rapide, en art comme en littérature, est pleine d’attraits : et il faut être particulièrement artiste ou idéaliste pour ne pas se contenter du moindre effort.

En constatant une infériorité d’expression dans la poésie de M. van Dyke, je me demandais si elle venait d’une négligence de sa part ou de la prédominance d’une préoccupation autre ou supérieure. Je crois tout à fait à cette prédominance. Sans doute ce serait mal comprendre Henry van Dyke que de le croire capable d’un dédain de la forme qui ressemblerait à la vieille formule calviniste du « luxe haïssable. » Taine dit que Carlyle considérait que « dans une œuvre d’esprit, la forme est peu de chose et que sitôt qu’un homme a un sentiment profond, son livre est beau. » La manière de voir de M. van Dyke est très éloignée de cette conception, et les preuves en abondent dans ses livres ; son style est toujours soigné, souvent d’un grand charme, et n’a-t-il pas écrit d’ailleurs que « les mots sont des êtres vivans ? » et cependant, une idée plus haute que celle de l’art pur domine son œuvre, et je crois qu’il la mépriserait si elle était simplement jolie : il la veut chargée de signification. Pour lui, l’écrivain a selon l’expression si souvent employée par les critiques américains en parlant de leurs grands auteurs, « un message à porter : » message de paix, de joie, de courage, de réconfort, d’aspiration plus haute, presque tous ces écrivains avaient « quelque chose à dire » à leurs frères d’humanité. Et c’est ce sentiment de mission dont ils étaient pénétrés qui est en littérature le fondement de leur idéalisme.

Depuis le temps héroïque de la Mayflower et des Pères pèlerins jusqu’à l’époque de la littérature véritable, — 1840, — tout labeur d’écriture qui n’était pas historique fut religieux ; et dans la période même dont nous parlons, trois des écrivains parmi les plus grands furent hantés du problème moral : Emerson, qui y consacra sa vie ; Hawthorne, qui plongea ses regards dans le domaine de la conscience, et dans le mystère de l’expiation pour les péchés des ancêtres ; et Thoreau lui-même, l’ermite des bois, qui, au premier abord, semble plus affranchi de cette obsession. Tous ont eu constamment présente à l’esprit, en regardant la vie, la pensée de l’âme humaine.

Il n’est pas possible encore, au moment présent, de dégager de la littérature américaine les traits de l’idéalisme de ce pays. Les hommes qui le représentèrent sont absolument différens les uns des autres, en cette contrée où plus qu’en aucune autre peut-être la littérature est individualiste. Sans parler des écrivains absolument originaux et ne relevant d’aucune tradition, comme Edgar Poe et Walt Whitman, sans parler de la foule confuse des écrivains des deux sexes qui tiennent la plume avec succès aujourd’hui aux Etats-Unis, et parmi lesquels les idéalistes se font rares, les trois écrivains qui viennent d’être nommés n’ont guère de tendance commune que celle qu’on peut appeler la recherche du problème moral : autant que leurs talens et la nature de leurs œuvres, les fondemens de cette recherche sont dissemblables en eux. Et, par exemple, pour ne citer que l’un des facteurs parmi ceux qui sont les plus importans dans la formation d’un idéal, ce problème moral ne s’appuie que chez Emerson sur la croyance religieuse. Hawthorne et Thoreau ne sont pas chrétiens, ou plutôt ils le sont à leur insu, par la formation de leur nature que le puritanisme de leurs ancêtres a pétrie.

Pour avoir une idée de l’idéalisme américain, d’un idéalisme général et constant, il faut donc attendre que d’autres écrivains s’ajoutent à ceux-ci ; et il faut surtout attendre l’aboutissement de la période actuelle qui est grosse d’évolution, et qui peut modifier beaucoup, non seulement l’idéalisme littéraire que nous étudions, mais l’idéal lui-même des Etats-Unis, l’idéal de Washington, de Lincoln et de Franklin.

Cependant, si une tendance générale de l’esprit américain ne peut encore se définir, on peut voir dès maintenant qu’il se distingue nettement de l’esprit anglais. En termes un peu brutaux, l’idéalisme des Etats-Unis « se porte mieux » que l’idéalisme subtile qu’à force de monter dans l’air pur on le perd parfois de vue ; il est toujours dirigé vers les hauteurs et n’a presque point d’appui sur la terre. L’idéalisme américain jaillit de la vie terrestre, il ne l’oublie jamais et mêle sa substance à la sienne. Cet arbre, d’une belle essence dans tous les pays, croît en hauteur comme un bouleau en Angleterre ; en Amérique, il est comme un cèdre robuste et vaste. La vitalité de l’idéalisme américain se révèle à plusieurs caractères qu’on peut retrouver dans les écrivains américains que nous avons cités, et dans l’œuvre particulièrement de M. Henry van Dyke. C’est d’abord un caractère moral de confiance, de force consciente et affirmée, de possession de l’avenir, sur lequel il est inutile d’insister, et qui s’explique aisément. L’Américain n’a point aux épaules le lourd passé glorieux et las des races anciennes, le passé qui se souvient d’avoir accompli tout ce que nous entreprenons. L’univers et l’activité humaine lui semblent choses neuves, et ses réserves d’orgueil sont dans l’avenir. De plus, si l’idéalisme américain est plus vivant que l’idéalisme anglais, moins abstrait, c’est qu’il est plus capable de mobilité. L’Américain a cette faculté infiniment précieuse de pouvoir se juger lui-même. Certes il ne manque pas de parti pris, mais enfin il se voit. L’Anglais n’a jamais pu se regarder. Si l’étude de l’humour n’était interdite à des réflexions qui n’ont pour base que la poésie, il serait facile de montrer le chemin considérable qu’a franchi cette faculté si anglaise en passant par les cerveaux américains : il s’est tellement transformé qu’il en arrive parfois, non à ressembler à l’esprit français, mais à en avoir la souplesse et la bonne humeur ; il faut convenir que ce point d’arrivée est loin du point de départ. Enfin, la grande modificatrice de l’idéalisme américain, sa grande cause d’épanouissement, c’est la nature. La différence dont se présentent, en Angleterre et en Amérique, le ciel, la mer, les rivières et les bois suffit à expliquer la différence du génie de leurs races de poètes, car on sait combien les lignes d’une terre modèlent une âme attentive. L’Américain connaît une nature libre, immense, dominatrice de l’homme, avec laquelle l’Anglais n’est pas familier, et qui élargit la vision de son âme, l’amplifie, ouvre son horizon intérieur, et lui communique sa béatitude. Car la vision de la nature qu’a le poète américain qui ne la déforme pas, est une impression d’Angleterre. Il est plus sain et plus vivant. Le rêve anglais est une quintessence si heureuse. Les lignes du paysage peuvent être et sont souvent, en New-England surtout, sobres et graves, mais l’air est pur, et d’une inaltérable clarté. Combien l’absence de cette lumière fut une cause de souffrance pour les poètes anglais ! avec quelle passion ils ont chanté l’ensoleillement des terres méridionales ; et Keats n’avait-il pas autant soif de lumière que de chaleur quand il implorait « une coupe pleine de chaud midi ! » Ainsi, loin que le paysage qui l’entoure lui soit une cause de tristesse et l’exhorte à s’abstraire en lui-même, le poète américain a comme une invitation perpétuelle à regarder, et à modeler son idéalisme sur une vie abondante et sereine.

A cette physionomie en formation de l’idéalisme américain, quel trait M. Henry van Dyke ajoute-t-il ? Il a été facile de voir, par les quelques vers de lui qui ont été cités, que, lui aussi, il a « un message à porter. »

Son message, c’est la doctrine de la joie de vivre. Et pour cette leçon si bienfaisante, je voudrais rattacher Henry van Dyke, non aux puritains ses ancêtres, qui certes ignoraient le mot et la chose, mais, au-delà de leur passage sur la terre et de leur sombre empreinte dans les esprits, aux chrétiens de tout âge et de tout lieu qui comprirent le christianisme tout entier. Car la joie de vivre qu’il chante est d’une fort délicate essence, et elle ne saurait exister sans une mentalité avertie et forte. Il est inutile de dire qu’il ne s’agit pas de jouissances brutales ; il ne s’agit pas davantage d’une joie de vivre oublieuse des souffrances, fanfaronne devant la vie où erre la douleur comme la chanson d’un homme effrayé dans la nuit inquiétante. Et ce n’est pas même une joie de dilettante qui se nourrit de petits plaisirs multipliés complaisamment. Il croit tout simplement, d’une foi robuste et virile, que la vie est « une chose harmonieuse » et qu’elle vaut la peine d’être vécue, « même les jours où c’est si dur de vivre. » Et c’est par là que sa conception est chrétienne, car c’est l’acceptation non seulement résignée, mais joyeuse de l’existence tout entière, « faite de misère et de splendeur mêlées. » Il sait que deux choses nous y aident, qui toutes deux sont voulues par une bonté compatissante : le sens du divin, inné en nous, mais dont beaucoup découragent la croissance, et qui peut cependant transfigurer toute vie ; et la beauté de l’univers qui est un inépuisable réservoir de joie. M. Henry van Dyke s’est parfois laissé aller à « prêcher » cette doctrine dans ses livres ; mais le plus souvent il l’a seulement suggérée, ou mieux encore, il l’a fait circuler à travers toute son œuvre comme une sève. Aussi, grâce à cette vie qui en rend l’expression si frappante et si vraie, son idéalisme est assuré de porter longtemps de beaux fruits. Je voudrais, en terminant cette étude, citer un sonnet de M. van Dyke intitulé Vie, et dans lequel, sous une forme serrée et robuste, se résument son existence et son œuvre :


Je veux vivre ma vie, année après année, — Avec un visage qui regarde en avant et une âme qui n’hésite pas ; — Sans me hâter vers le but, et sans m’en détourner jamais ; — Sans gémir sur les choses qui disparaissent — Dans le passé confus, sans reculer d’effroi — Devant celles que l’avenir tient voilées ; mais de tout mon cœur, — Et de toute ma force d’être heureux payer le droit de péage — A la Jeunesse, puis au Déclin, et continuer ma route en paix.

Car alors, que le chemin qui enlace la colline monte ou descende — Qu’il soit rude ou facile, la journée sera douce — Si, continuant à poursuivre ce que je cherchais lorsque je n’étais qu’un enfant, — La vie haute, l’amitié vraie et la récompense promise, — Mon cœur garde le courage de sa tâche, — Et l’espérance que le dernier tournant de la route sera le meilleur.


De tels vers, exprimant un idéalisme aussi élevé, aussi simple et aussi sûr de lui-même, ne répondent sans doute pas à la mentalité moyenne de tous les citoyens des Etats-Unis ; et cependant, écrits et vécus par un New-Englander de vieille souche, descendant des hommes qui ont le plus fortement façonné l’esprit de ce pays, ils sont réellement représentatifs de la meilleure part au moins de l’âme et de la littérature américaines ; et c’est tout à l’honneur de M. van Dyke comme de sa patrie.


E. SAINTE-MARIE PERRIN.


  1. M. Henry van Dyke a été nommé par l’Université de Harvard pour faire cet hiver en Sorbonne la série annuelle des conférences américaines. Il parlera de l’esprit américain, étudié dans la vie passée et présente des États-Unis, dans leur littérature et leurs institutions.
  2. M. Henry van Dyke a été nommé par l’Université de Harvard pour faire cet hiver en Sorbonne la série annuelle des conférences américaines. Il parlera de l’esprit américain, étudié dans la vie passée et présente des États-Unis, dans leur littérature et leurs institutions.
  3. Emerson, The American Scholar.
  4. Au cours de ces dernières années, voici les meilleures œuvres de M. van Dyke :
    Trois livres d’esquisses : Little Rivers (rivières du Canada, de l’Ecosse et du Tyrol), Lisherman’s Fuck et Days Off, récemment paru. Deux livres de longues nouvelles, l’un de vie observée : The ruling Passion (traduit en français sous le titre de l’une des nouvelles : la Gardienne de la Lumière, Calmann Lévy, 1906) et l’autre de contes mystiques, The Blue Flower (des fragmens en ont été traduits en français et publiés chez Fischbacher en 1903) ; enfin trois livres de poésies : The Builders and other Poems, 1897 ; The Toiling of Felix and other Poems, 1900 : et en 1904, Music. (Toutes les œuvres de M. van Dyke sont éditées par Scribner’s Sons, New York.)
  5. Cité par M. E.-M. de Vogué dans Histoire et Poésie (la Renaissance latine).
  6. P. Claudel.