L’Imitation de Jésus-Christ (Lamennais)/Livre quatrième/10

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Traduction par Félicité de Lamennais.
Texte établi par M. Pagès, Bonne Presse (p. 307-311).


CHAPITRE X.

QU’ON NE DOIT PAS FACILEMENT S’ÉLOIGNER DE LA SAINTE COMMUNION.
Voix du bien-aimé.

1. Il faut recourir souvent à la source de la grâce et de la divine miséricorde, à la source de toute bonté et de toute pureté, afin que vous puissiez être guéri de vos passions et de vos vices, et que, plus fort et plus vigilant, vous ne soyez ni vaincu par les attaques du démon, ni surpris par ses artifices.

L’ennemi des hommes, sachant quel est le fruit de la sainte Communion, et combien est grand le remède qu’y trouvent les âmes pieuses et fidèles, s’efforce, en toute occasion et par tous les moyens, de les en éloigner autant qu’il peut.

2. Aussi est-ce au moment où ils s’y disposent, que quelques-uns éprouvent les plus vives attaques de Satan.

Cet esprit de malice, comme il est écrit au livre de Job, vient parmi les enfants de Dieu pour les troubler par les ruses ordinaires de sa haine, cherchant à leur inspirer des craintes excessives et de pénibles perplexités, pour affaiblir leur amour, ébranler leur loi, afin qu’ils renoncent à communier, ou qu’ils ne communient qu’avec tiédeur.

Mais il ne faut pas s’inquiéter de ses artifices et de ses suggestions, quelque honteuses, quelque horribles qu’elles soient, mais les rejeter toutes sur lui.

Il faut se rire avec mépris de cet esprit misérable, et n’abandonner jamais la sainte Communion à cause de ses attaques et des mouvements qu’il excite en nous.

3. Souvent aussi l’on s’en éloigne par un désir trop vif de la ferveur sensible, et parce qu’on a conçu de l’inquiétude sur sa confession.

Agissez selon le conseil des personnes prudentes, et bannissez de votre cœur l’anxiété et les scrupules, parce qu’ils détruisent la piété, et sont un obstacle à la grâce de Dieu.

Ne vous privez point de la sainte Communion, dès que vous éprouvez quelque trouble ou une légère peine de conscience ; mais confessez-vous au plus tôt, et pardonnez sincèrement aux autres les offenses que vous avez reçues d’eux.

Que si vous avez vous-même offensé quelqu’un, demandez-lui humblement pardon, et Dieu aussi vous pardonnera.

4. Que sert de tarder à se confesser, et de différer la sainte Communion ?

Purifiez-vous promptement, hâtez-vous de rejeter le venin et de recourir au remède ; vous vous en trouverez mieux que de différer longtemps.

Si vous différez aujourd’hui pour une raison, peut-être s’en présentera-t-il demain une plus forte ; et vous pourriez ainsi être sans cesse détourné de la Communion, et sans cesse vous y sentir moins disposé.

Ne perdez pas un moment, secouez votre langueur, déchargez-vous de ce qui vous pèse : car à quoi revient-il de vivre toujours dans l’anxiété, toujours dans le trouble, et d’être éloigné chaque jour par de nouveaux obstacles de la Table sainte ?

Rien au contraire ne nuit davantage que de s’abstenir longtemps de communier, car d’ordinaire l’âme tombe par là dans un profond assoupissement.

O douleur ! il se rencontre des chrétiens si tièdes et si lâches, qu’ils saisissent avec joie tous les prétextes pour différer à se confesser, et dès lors aussi à communier, afin de n’être pas obligés de veiller avec plus de soin sur eux mêmes.

5. Hélas ! qu’ils ont peu de piété, peu d’amour, ceux qui se privent si aisément de la sainte Communion !

Qu’il est heureux, au contraire, et agréable à Dieu, celui qui vit de telle sorte, et qui conserve sa conscience si pure, qu’il serait préparé à communier tous les jours, et communierait en effet s’il lui était permis, et qu’il pût le faire sans singularité !

Si quelqu’un s’en abstient quelquefois par humilité, ou par une cause légitime, on doit louer son respect.

Mais si sa ferveur s’est refroidie, il doit se ranimer, et faire tout ce qu’il peut ; et Dieu secondera ses désirs, à cause de la droiture de sa volonté qu’il considère principalement.

6. Que si des motifs légitimes l’empêchent d’approcher de la sainte Table, il conservera toujours l’intention et le saint désir de communier ; et ainsi il ne sera pas entièrement privé du fruit du Sacrement.

Quoique tout fidèle doive, à certains jours et au temps fixé, recevoir, avec un tendre respect, le Corps du Sauveur dans son Sacrement, et rechercher en cela plutôt la gloire de Dieu que sa propre consolation ; cependant il peut aussi communier en esprit tous les jours, à toute heure, avec beaucoup de fruit.

Car il communie de cette manière, et se nourrit invisiblement de Jésus, toutes les fois qu’il médite avec piété les mystères de son Incarnation et de sa Passion, et qu’il s’enflamme de son amour.

7. Celui qui ne se prépare à la Communion qu’aux approches des fêtes, ou quand la coutume l’y oblige, sera souvent mal préparé.

Heureux celui qui s’offre au Seigneur en holocauste, toutes les fois qu’il célèbre le sacrifice, ou qu’il communie.

Ne soyez, en célébrant les saints mystères, ni trop lent ni trop prompt, mais conformez-vous à l’usage ordinaire et régulier de ceux avec qui vous vivez.

Il ne faut point fatiguer les autres ni leur causer d’ennui, mais suivre l’ordre commun établi par vos pères, et consulter plutôt l’utilité de tous, que votre attrait et votre piété particulière.

RÉFLEXION.

Qu’il faille exciter des chrétiens à s’asseoir à la Table sainte, à se nourrir du pain de vie, à recevoir en eux l’auteur et le consommateur de la foi[1], le Sauveur des hommes, le Verbe de Dieu ; qu’ils cherchent de tous côtés des prétextes pour se tenir éloignés de lui ; qu’ils regardent comme une dure obligation le devoir qu’impose l’Église de participer, en certains temps, au corps et au sang de Jésus-Christ : c’est quelque chose de si prodigieux et tout ensemble de si effrayant, que l’âme fuit cette pensée, comme elle fuirait une vision de l’enfer. Mais, parmi les fidèles que l’amour attire au banquet sacré de l’Époux, il en est qui, abusés par de tristes et fausses doctrines, ou retenus par les scrupules d’une conscience timide à l’excès, ne se croient jamais assez préparés, et se privent volontairement de la divine Eucharistie, à cause du respect même que leur inspire cet auguste sacrement. Sans doute on doit s’éprouver soi même ; sans doute il serait à désirer que ceux qui mangent le pain des Anges, eussent toute la pureté de ces célestes esprits : mais celui qui connaît notre misère, et qui est venu la guérir, n’exige pas que l’homme soit parfait pour approcher de la source des grâces ; il de mande seulement qu’il se soit purifié par la pénitence, et qu’il apporte au pied de l’autel un cœur contrit et humilié[2], un repentir sincère de ses fautes, une volonté droite, un amour ardent. Tandis que Jésus repousse et maudit les Pharisiens, superbes observateurs de la Loi, il accueille la femme pécheresse, il compatit à son humble douleur, il bénit ses larmes, et beaucoup de péchés lui sont remis, parce qu’elle a beaucoup aimé[3]. Trop souvent les apparentes délicatesses de conscience qui séparent longtemps de la communion, cachent un grand et coupable orgueil. Au lieu de s’abandonner aux conseils du guide qui tient la place de Dieu, on veut se conduire et se juger soi — même : erreur funeste dont le dernier terme, le terme inévitable, est ou le désespoir ou une effroyable présomption. Ne quittez, ne quittez jamais la voie de l’obéissance : toutes les autres aboutissent à la perdition. Si l’on vous interdit l’accès de la Table sainte, abstenez-vous et pleurez ; car quel sujet plus légitime de pleurer ? Si l’on vous dit : Allez à Jésus dans le sacrement de son amour ; approchez avec allégresse. Nulle disposition n’égale le sacrifice entier du raisonnement humain et de la volonté propre ; ayez en tout et toujours la simplicité d’un petit enfant : la simplicité du cœur est chère à Dieu ; il la bénit pour le temps, il la bénit pour l’éternité.

  1. Hebr. xii, 2.
  2. Ps. l, 19.
  3. Luc. vii, 47.