L’Instant éternel/La fuite

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E. Sansot et Cie (p. 149-150).


LA FUITE


À peine, si ma bouche avait goûté sa bouche,
Je n’osais pas…
J’étais, tout à la fois, si douce et si farouche
Entre ses bras.

J’ai fui… Mes pleurs tombaient dans l’herbe chaude et verte
Et dans l’odeur
Des forêts qui dansaient dans leur robe entr’ouverte,
Toutes en fleur.

Dans l’ombre s’égouttait la blancheur de mes voiles
Comme de l’eau,
Et le soleil pleuvait en petites étoiles
Sur un bouleau.

Des insectes tournaient, dans le reflet des saules,
D’un lent essor,
Et le bonheur tombait, tiède, sur mes épaules,
Comme de l’or.


Des lis mouraient d’amour, la face ensoleillée.
Des liserons
Mettaient du ciel en pleurs à travers la feuillée
Et les gazons.

J’avais peur de le voir et j’épiais la route,
Dans le désir
Qu’il apparût, soudain, et qu’il m’aspirât toute
Dans un soupir.

J’attendais… Je tremblais… Dieux ! il m’avait suivie…
Il m’appela…
Et j’entendis, au loin, le rire de la vie,
Il était là !…