L’Instruction publique et mouvement intellectuel en Grèce

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DE
L’INSTRUCTION PUBLIQUE
ET DU MOUVEMENT INTELLECTUEL
EN GRÈCE.

Parmi les révolutions que ce siècle a vu s’accomplir, il en est une qui a vivement excité les sympathies de la France, et dont les suites ne sont pas sans importance pour nos propres destinées : c’est la révolution qui a délivré la Grèce. Les hommes de la génération présente, au milieu des débats trop souvent sans grandeur qui les agitent et les divisent, peuvent regretter ces années d’enthousiasme pendant lesquelles, unis pour une cause qui était à la fois celle de la religion et de la liberté, celle des beaux souvenirs et des généreuses espérances, ils suivaient avec un intérêt passionné la lutte héroïque soutenue par les klephtes du Pinde ou les marins d’Ipsara, alors qu’on se racontait dans les salons de Paris les désastres de Missolonghi, les massacres de Chios, les exploits de Canaris. Les femmes quêtaient pour donner de la poudre aux Hellènes, des soldats français allaient les aider à vaincre, des hommes éminens formaient un comité destiné à seconder leurs efforts, M. Villemain retraçait éloquemment leur histoire. M. de Châteaubriand, écrivain, orateur, ministre, prêtait à cette noble cause sa plume, sa parole, ses actes et l’appui de sa gloire.

Les Grecs ont triomphé. À Navarin et en Morée, la France a partagé et assuré leur triomphe. Comment n’y aurait-il pas entre les deux peuples amitié sincère et union constante ? comment ne seraient-ils pas enchaînés l’un à l’autre par ce lien qui subsiste entre deux frères d’armes qui ont combattu côte à côte et vaincu ensemble ? Aussi le nom français est resté populaire en Grèce. La Grèce se défie des Anglais et des Russes, qui ont intérêt à la dominer ; elle aime les Français, qui ont intérêt à ce qu’elle soit indépendante. Ce qu’on appelle en Grèce le parti français n’est pas un parti ; c’est l’opinion nationale, ce sont les meilleurs, les plus fiers et les plus sages patriotes. C’est vers la France que se tournent les regards des hommes désintéressés qui désirent sincèrement que leur pays prospère et s’agrandisse. De son côté, la France aime la Grèce. Elle l’a aidée à naître ; elle suit avec intérêt les premiers pas de cet enfant vigoureux qui est un peu le sien, qu’elle a allaité de son sang, qui étouffe dans les langes étroits taillés avec trop de parcimonie par les avares ciseaux de la diplomatie européenne. Elle voudrait le voir se mouvoir plus à l’aise sous son beau ciel ; elle voudrait et elle doit vouloir qu’un état respectable se fonde entre la Méditerranée, menacée de devenir anglaise, et la mer Noire, devenue Moscovite. Mais quand la France sera-t-elle assez unie pour être forte ? Quand reprendra-t-elle son ancien patronage des états chrétiens de l’Orient ? En attendant cet avenir dans lequel elle s’obstine à espérer, et auquel Dieu nous préserve de renoncer, la Grèce, réduite à elle-même, doit évidemment travailler à développer tout ce qu’il y a d’énergie, d’activité dans ses citoyens, de ressources dans son sol et son climat ; elle doit s’organiser, se fortifier, s’éclairer, s’enrichir, et attendre les évènemens. C’est le parti qu’elle a pris. S’il reste énormément à faire, il faut reconnaître que depuis quinze ans beaucoup de choses ont été faites. D’abord l’ordre a été fondé ; la sécurité règne sur la terre et sur la mer. Ce n’était pas chose facile d’établir une police exacte dans un pays dont les pirates avaient quelque renommée, et qui s’était affranchi surtout par le bras de ses klephtes. Maintenant on navigue sans aucun danger à travers l’archipel. Quant aux klephtes, de peur qu’ils ne continuassent à trop mériter un nom sur lequel leur vaillance venait de jeter tant de gloire, on en a fait des gendarmes, et maintenant il n’y a plus de voleurs en Grèce.

La population s’est considérablement accrue, sous le régime de la liberté et sous l’empire de la paix. La petite île de Syra, qui ne renfermait que quelques maisons, compte aujourd’hui vingt mille habitans. Il ne se passe pas de semaine qu’elle ne lance un navire à la mer. Athènes n’existait plus, pour ainsi dire, après la guerre ; à peine quelques masures étaient encore debout : Athènes renferme aujourd’hui une population de trente mille ames, qui s’accroît chaque jour. Enfin, et c’est là ce qui, malgré toutes les difficultés du présent, répond de l’avenir, le peuple a un profond sentiment de nationalité, un vif et sincère amour de la patrie. Il croit à lui-même, il croit à ses destinées. Il peut faire des fautes, mais il est plein de confiance et de courage. Il se sent Grec, il se veut libre, il se rêve grand. Avec cela, on peut tâtonner, hésiter, souffrir : on ne périt pas.

Rien ne fait mieux sentir ce que vaut la Grèce que de voir la Turquie. Athènes est une bourgade en comparaison de Constantinople, l’immense capitale ; mais Athènes vit, et Constantinople meurt. Ici est l’ardeur imprévoyante de la jeunesse, là l’impuissance résignée de la décrépitude. Ce contraste frappe le voyageur à tout moment ; il le retrouve partout, jusque dans la physionomie ouverte, bienveillante, animée, du jeune roi de la Grèce, et le visage blême et mélancolique de ce prince à peu près du même âge, et qui semble destiné à être le dernier sultan.

Ce qui est surtout honorable pour la nation et pour le gouvernement grec, c’est le zèle que tous deux ont déployé pour fonder l’instruction dans un pays qui semblait si peu préparé à la recevoir. La passion d’apprendre est encore un trait fondamental et glorieux du caractère grec. À ce signe seul, on reconnaîtrait les descendans du peuple qui a inventé les sciences de l’Occident. Cette passion est commune en Grèce à tous les rangs de la société. Ce proverbe populaire a cours parmi les paysans de la Morée : « Celui qui ne connaît pas les lettres n’est pas un homme. » Les villageois d’Éleusis savent dans le plus grand détail tout ce qui concerne les cours et les professeurs de l’université d’Athènes. L’un d’eux disait : « Je dépenserai tout ce que je pourrai dépenser pour l’éducation de mes enfans, parce que maintenant je vois que l’instruction est la chose dont nous avons besoin. Nous ne savons rien, mais il faut que nos enfans sachent. » Un dernier trait montrera jusqu’où peut aller aujourd’hui chez les Grecs ce besoin d’apprendre. Jamais il n’y eut de type plus parfait du héros que ce simple et courageux Canaris, ce matelot qui, après s’être recommandé à Dieu, montait dans une barque et s’en allait à travers mille périls attacher tranquillement son brûlot au vaisseau-amiral de la flotte ottomane. La guerre finie, Canaris se trouvait au premier rang parmi les libérateurs de la Grèce, l’un des hommes les plus considérés de son pays, commandant d’une place forte ; que croyez-vous qu’il ait fait alors ? Alors Canaris, âgé de cinquante ans, s’est mis à apprendre à lire.

Quand un désir si vif d’apprendre travaille toute une nation, il est impossible qu’un système général d’instruction ne s’y organise pas rapidement. C’est ce qui a eu lieu pour la Grèce. Le récit de ce qu’elle a fait dans ce but depuis son affranchissement, le tableau exact et complet de l’état actuel de l’enseignement dans ce jeune royaume, méritent, ce me semble, d’intéresser tous les hommes qui ont à cœur l’avenir de la Grèce et les progrès de la civilisation.

Les élémens de cette statistique de l’instruction publique en Grèce ont été recueillis et coordonnés par l’homme que ses antécédens et ses lumières rendaient le plus propre à remplir cette tâche, M. Constantin Schinas, qui a été ministre de l’instruction publique, et qui est maintenant conseiller d’état et professeur à l’université d’Athènes. C’était à lui de traiter à fond un sujet qui lui appartenait doublement, et comme savant profond, comme digne gendre de l’illustre Savigny, et comme l’un des hommes politiques les plus distingués et les plus respectables de son pays. Je tirerai les détails qu’on va lire d’un discours prononcé par lui, en allemand, devant la société philologique d’Ulm.

Avant la révolution, les contrées qui forment aujourd’hui le royaume de Grèce étaient, chose remarquable, précisément, de toutes celles qu’habitent les Hellènes, les plus dépourvues d’écoles, comme elles étaient les moins favorisées sous le rapport matériel. En effet, tandis que la Thessalie, la Macédoine, Janina dans l’Épire, dans la Thrace Constantinople, sur les côtes de l’Asie mineure Smyrne et Cydonie, tandis que des villes situées dans l’intérieur de l’Anatolie, comme Césarée de Cappadoce, tandis que des cités étrangères, où des Grecs avaient été conduits soit par l’émigration, soit par le commerce, telles que Bucharest, Jassy, Odessa, Venise, Livourne, Trieste, possédaient de bonnes écoles, des professeurs distingués et même des imprimeries grecques, le Péloponèse tout entier n’avait qu’une seule école hellénique, dans laquelle étaient employées des méthodes d’enseignement abandonnées partout ailleurs. Pour l’Étolie et l’Acarnanie, il n’existait que l’école de Missolonghi ; une seule aussi pour la Grèce orientale, l’école d’Athènes, et toutes deux fort médiocres.

Quand éclata la grande lutte de 1821, professeurs et élèves, en Grèce et hors de Grèce, désertèrent les écoles pour prendre les armes. Une partie de cette vaillante jeunesse, qui composait le bataillon sacré, tomba à Dragatschan victime du plus généreux enthousiasme. Et telle était l’ardeur qui précipitait au combat tous les Hellènes, que ceux qui étaient à la tête des affaires durent inviter, au nom du pays, les jeunes Grecs qui étudiaient dans les villes étrangères à ne pas abandonner les écoles afin qu’il restât quelqu’un pour éclairer le pays quand il serait libre. Pensée d’avenir remarquable dans un gouvernement qui luttait encore et déjà se montrait préoccupé de l’instruction future de ses concitoyens, pensée également honorable et pour le gouvernement qui se privait courageusement de bras prêts à se lever, en sa faveur, et pour ces nobles jeunes gens dont on ne parvint à modérer l’ardeur pour le péril qu’au nom de cette patrie pour laquelle ils eussent voulu mourir, mais qui voulait se les réserver.

Dans de telles circonstances, on ne pouvait songer à ériger des écoles. Toutefois quelques mesures furent prises par le gouvernement provisoire en faveur de l’enseignement primaire, notamment par le fondateur de l’enseignement mutuel en Grèce, M. Kléobulos.

En ce qui concerne l’enseignement supérieur, un seul savant, M. Gennadios, tout en réclamant dans la lutte armée une part glorieuse, resta fidèle à ses fonctions académiques. Nul n’exhorta plus énergiquement que lui les combattans aux sacrifices et à l’union ; en même temps, autant que les circonstances le permirent, il ne cessa jamais d’instruire la jeunesse. Ce ne fut qu’après la bataille de Navarin, après l’expulsion des troupes égyptiennes par l’armée française, et la reconnaissance de l’état grec par les grandes puissances, qu’on put songer sérieusement à l’organisation de l’instruction publique. Et encore l’attention du président Capodistrias était distraite par bien d’autres sollicitudes. Il se borna, durant son administration d’ailleurs fort courte, à établir dans l’île d’Épire une école centrale et un asile où devaient être recueillis les enfans devenus orphelins par la guerre, et principalement les orphelins rachetés de l’esclavage ; en outre Capodistrias créa environ trente écoles primaires, une école ecclésiastique à Poros et une école militaire à Nauplie. Ce dernier établissement, admirablement conduit par un habile directeur, le capitaine d’état-major français Pauzier, avait, déjà sous l’administration du président, c’est-à-dire dans un espace de trois ans, obtenu d’excellens résultats.

Mais ces écoles, tout-à-fait insuffisantes, furent entièrement désorganisées par suite de la pénurie publique née des évènemens de 1831, de telle sorte qu’à l’avénement du gouvernement royal on ne trouva qu’un petit nombre d’instituteurs, capables, il est vrai, mais dont le zèle était paralysé par la pauvreté. Nulle part il ne restait trace d’une école véritablement en activité.

Aussitôt après son arrivée en Grèce, au commencement de l’année 1833, le gouvernement royal établit en premier lieu une commission chargée de constater l’état de l’instruction publique et de proposer les améliorations nécessaires. Puis, après avoir consacré une somme considérable pour l’époque et pour les circonstances (50,000 drachmes)[1] à indemniser les instituteurs qui étaient restés fidèles à leurs honorables fonctions dans des conjonctures aussi difficiles, il ordonna que dorénavant, à l’exception d’un petit nombre d’individus qui s’étaient acquis, soit comme instituteurs, soit comme savans, une réputation incontestable, personne ne pourrait remplir les fonctions d’instituteur sans avoir passé un examen et obtenu un diplôme.

Le nouveau système d’instruction publique devait se composer d’une école supérieure, de gymnases, d’écoles helléniques et d’écoles communales ; mais il fallut songer avant tout à faire des instituteurs, et comme il se trouva que moins de sujets étaient propres à l’enseignement primaire qu’à l’enseignement supérieur, il fut d’abord urgent de former de bons instituteurs primaires. Le gouvernement se hâta d’y pourvoir en créant une école normale primaire, une des plus bienfaisantes institutions qu’il ait fondées. On créa en même temps, comme accessoire de cette école normale, une école primaire modèle, où les jeunes gens destinés à remplir les fonctions d’instituteurs durent s’exercer à la pratique de l’enseignement. Les professeurs de l’école normale primaire, présidés par son directeur, formèrent la commission d’examen, qui déploya une grande activité et se hâta d’appeler devant elle les instituteurs déjà existans. Tous ceux qui purent subir les examens avec tant soit peu de succès (trente environ) entrèrent immédiatement en fonctions, car il importait que le pays ne fût pas long-temps privé d’enseignement primaire. Toutefois on ne leur confia que la charge d’instituteur de troisième classe, et sous la condition qu’avant l’expiration de deux années ils se représenteraient devant la commission d’examen : alors seulement, s’ils faisaient preuve des connaissances nécessaires, ils pourraient recevoir leur nomination définitive ou un avancement proportionné à leur capacité. Le reste des instituteurs fut congédié, sauf quelques-uns qui ne possédaient, il est vrai, que peu de connaissances, mais qui, ayant fait paraître de bonnes dispositions et du zèle, furent placés aux frais de l’état dans l’école normale pour y perfectionner leur pratique de l’enseignement.

En même temps que le gouvernement posait ainsi les bases de l’instruction primaire, il pourvoyait avec un zèle égal à l’organisation de l’enseignement supérieur. Ceux qui étaient aptes à cet enseignement se trouvaient alors pour la plupart hors du royaume. Le gouvernement les fit inviter à venir remplir les postes qui allaient vaquer dans les gymnases et dans l’université. Mais, pour que la jeunesse studieuse ne fût pas, en attendant, tout-à-fait dépourvue d’enseignement supérieur, et aussi pour former des étudians propres à entrer dans l’université future, le gouvernement établit dès-lors à Égine un gymnase, qui fut transféré plus tard à Athènes, et mit à sa tête M. Gennadios, entouré de quelques professeurs capables. Bientôt un autre gymnase fut fondé à Nauplie, et à chacun des deux vint se joindre, comme accessoire, une école hellénique destinée à servir de modèle à ce genre d’établissement. Quant aux autres gymnases et écoles helléniques, ainsi qu’à l’université qui devait s’ouvrir le 1er  octobre 1834, on résolut d’attendre le résultat des invitations qui avaient été expédiées, et de se borner pour le moment à préparer les ordonnances que ces institutions rendraient indispensables.

On en était encore à ces préparatifs, quand un changement dans le personnel de la régence retarda pour long-temps l’exécution de ce projet. Cependant, de loin en loin, plusieurs écoles helléniques s’établirent successivement, et l’on attendait avec une impatience toujours croissante l’établissement de l’université, lorsqu’enfin en 1837 les ordonnances y relatives parurent subitement. Quelques jours après, le roi, qui revenait alors en Grèce avec sa charmante femme, débarquait au Pyrée ; il confirma avec joie l’établissement d’une institution dont il voulait depuis long-temps doter le pays.

Ainsi fut achevé l’édifice de l’instruction publique en Grèce. Le couronnement de cet édifice, l’université, reçut une existence légale. Cependant il y avait encore beaucoup à faire pour que la loi fût une réalité. Parmi les professeurs, un petit nombre seulement avaient eu jusqu’alors occasion de s’exercer à l’enseignement public ; en outre, il était bien difficile de réunir un nombre suffisant d’étudians proprement dits, puisque les gymnases n’avaient pas encore reçu les développemens nécessaires.

De plus, on était presque complètement dépourvu de livres, de collections, d’instrumens de physique et d’astronomie. Il n’existait point de local convenable pour les cours. La seule maison d’Athènes qui, par ses dimensions, pouvait jusqu’à un certain point suffire aux premières nécessités, était d’un accès difficile et même dangereux en hiver et en été. Dans ces circonstances, plusieurs d’entre les personnes les mieux disposées en faveur de l’université pensèrent que cette institution était prématurée. Elles disaient qu’avant de songer à la création d’une université, on aurait dû d’abord organiser complètement les écoles secondaires, notamment les gymnases, leur donner le temps de mettre un nombre suffisant de jeunes gens en état de suivre les cours académiques, enfin profiter de la loi pour former des professeurs d’une capacité éprouvée. Mais, dit M. Schinas, ce système, assez raisonnable en apparence, a été pleinement réfuté par les faits. En agissant ainsi, on serait resté éternellement enfermé dans un cercle vicieux ; car, pour former l’université, il fallait organiser d’abord les gymnases et les écoles helléniques dans leur ensemble. Pour cela, on avait déjà besoin d’instituteurs et de professeurs ; or, ceux-ci ne pouvaient se former qu’au moyen de l’université. Il fallait donc renoncer une fois pour toutes à l’existence d’une université, même dans l’avenir le plus éloigné, ou se résoudre à commencer par fonder le plus tôt possible une université plus ou moins incomplète. En effet, le nouvel établissement ayant été ouvert le 3 (15) mai 1837, deux mois ne s’étaient pas écoulés, et déjà il était visible que cette création exercerait l’influence la plus heureuse sur la condition des écoles secondaires. Le nombre des élèves du gymnase et de l’école hellénique d’Athènes, qui, dans le précédent semestre, n’avait pas dépassé cent vingt ou cent quatre-vingts, s’éleva bientôt à huit cents.

L’université d’Athènes une fois fondée, on ne négligea rien pour remédier aux défauts que présentait cette nouvelle création. Le trésor public se chargea du traitement des professeurs, du loyer des bâtimens occupés ; il fournit les sommes nécessaires à l’achat des livres, des instrumens, etc. Ces objets furent aussi offerts en don à l’Université par des particuliers ; quelques-uns donnèrent des bibliothèques entières. Plus tard, d’autres personnes, parmi lesquelles M. le docteur Brandis, alors en Grèce, M. Rhallis, maintenant ministre de la justice, et M. G. Dokos, qui méritent d’être mentionnés spécialement, conçurent le projet de doter, par des souscriptions volontaires, l’université d’un bel et spacieux édifice, propre à contenir, non-seulement les salles des cours et les amphithéâtres, mais aussi les galeries nécessaires pour les bibliothèques et les collections scientifiques. Grace à ce plan patriotique, la partie la plus dispendieuse des constructions est déjà terminée[2]. Le roi a voulu concourir lui-même à l’accomplissement de cette œuvre d’utilité publique par un don de 6,000 drachmes, pris sur sa cassette particulière.

Telle est l’histoire du progrès de l’instruction publique en Grèce depuis douze ans. Voici maintenant le tableau de l’état actuel de l’enseignement dans ce jeune royaume. Si l’on songe au peu de ressources financières qu’il possède et à ce qu’il y a eu à faire dans un pays où tout était à créer, on reconnaîtra que ce que j’ai dit en commençant du zèle que la nation et le gouvernement apportent à l’organisation et à l’extension de la science n’a rien d’exagéré.

UNIVERSITÉ OTHONIENNE.

Elle compte 30 professeurs, dont 2 appartiennent à la faculté de théologie, 6 à la faculté de droit, 9 à la faculté de médecine, et 13 à la faculté de philosophie ; elle possède en outre un nombre assez considérable d’instituteurs privés. Parmi les professeurs, 20 ont étudié aux universités d’Allemagne, 9 en France, et 1 en Italie. Quant à leur origine, 23 sont Grecs, mais appartenant aux contrées non comprises dans le royaume de Grèce, 2 sont originaires du royaume même, et 5 sont allemands. Se sont fait inscrire comme étudians depuis 1837 192 jeunes gens, dont 24 pour la théologie, 62 pour la jurisprudence, 58 pour la médecine, et 48 pour les sciences philosophiques ou philologiques. — Sur ces 192 étudians, 92 ont achevé leurs études ; les autres les poursuivent sans interruption ; 95 de ces étudians sont nationaux, et 97 sont grecs nés hors du royaume. Outre ces étudians proprement dits, qui ont terminé leurs premières études dans un gymnase quelconque du royaume, ou qui au moins en ont obtenu après examen le certificat de capacité exigé, il existe encore 133 assistans, auditeurs réguliers (τακτικοι ἀκροατοι), classe provisoire tout exceptionnelle de demi-citoyens académiques, entre lesquels on remarque 112 fonctionnaires publics qui, n’ayant pas eu l’occasion pendant la guerre de l’indépendance et plus tard d’acquérir les connaissances générales nécessaires, s’efforcent à présent, après avoir reçu à cette fin une autorisation spéciale du gouvernement, de regagner le temps perdu, autant du moins que le leur permettent leur âge et leurs fonctions.

GYMNASES.

Il doit être formé autant de gymnases qu’il y a de nomarchies ou de districts dans le royaume ; mais comme la Grèce ne possède pas encore, tant s’en faut, un personnel d’instituteurs suffisant pour exécuter dans son ensemble ce vaste projet, il n’a pu être fondé jusqu’ici que quatre gymnases :

1o  Le gymnase d’Athènes (auparavant à Égine), auquel est adjoint une école hellénique. — Les deux institutions prises ensemble comptent 18 professeurs, maîtres et sous-maîtres (dont 8 appartiennent au gymnase et 10 à l’école hellénique), et 800 élèves. La direction de l’ensemble est confiée aux soins de M. le gymnasiarque Gennadios ; l’école hellénique possède en outre un scholarque, subordonné au gymnasiarque. Le gymnase d’Athènes est en même temps dans le fait une véritable école normale pratique pour les écoles helléniques, en ce que les maîtres et sous-maîtres de ce gymnase, après y avoir enseigné pendant deux ans au moins, sont répartis dans les différentes écoles helléniques du royaume, soit comme scholarques, soit comme professeurs, et remplacés à Athènes par d’autres instituteurs qui, ayant déjà terminé leurs études du gymnase, ont aussi achevé leurs trois années d’études à l’université.

2o  Le gymnase de Nauplie, fondé en 1834, et auquel est également adjoint une école hellénique, eut d’abord d’assez brillans résultats, mais tomba bientôt dans un état très fâcheux, et ne compta plus qu’un très petit nombre d’élèves, jusqu’à ce qu’enfin il fut réorganisé en 1841, et sa direction confiée au docteur Anselm, le recteur actuel. Aujourd’hui ce gymnase possède 6 professeurs excellens et un nombre suffisant de maîtres et sous-maîtres. Grace à cette nouvelle organisation, l’établissement prit tout de suite une face nouvelle ; il rivalise aujourd’hui d’activité avec le gymnase d’Athènes, et compte en ce moment un nombre assez considérable d’élèves (plus de 200). Il est permis d’assurer que ces deux gymnases peuvent facilement soutenir la comparaison avec la plupart des gymnases de deuxième rang de l’Allemagne.

3o  Le gymnase de Syra, auquel est adjoint également une école hellénique, existait déjà dans cette île en l’année 1833 comme institution privée de la commune de Chios ; mais il fut réorganisé en 1835 ou 1836 comme gymnase royal. L’établissement compte dans son ensemble 5 professeurs (pour le gymnase), 3 maîtres (pour l’école hellénique), et 255 élèves. Ce gymnase est sans contredit le meilleur après ceux d’Athènes et de Nauplie.

4o  Le gymnase de Patras n’est réellement qu’une école hellénique perfectionnée, avec le titre honoraire de gymnase. Les instituteurs qui y sont établis sont actifs et capables, mais leur nombre est trop restreint, et l’état ne possède pas en ce moment les moyens pécuniaires nécessaires pour changer ce gymnase nominal en une réalité. Cependant le projet bien arrêté du gouvernement est de donner à cet établissement, aussitôt que les circonstances le permettront, les développemens convenables.

ÉCOLES HELLÉNIQUES.

Il en existe 54, dont 3, celles d’Athènes, de Nauplie et de Syra, sont si intimement liées aux gymnases de ces villes, qu’elles ne constituent en quelque sorte que des classes inférieures de ces mêmes gymnases. La première origine de ces écoles remonte à 1833 et 1834 ; ce fut alors en effet qu’en fondant les gymnases d’Égine et de Nauplie, on adjoignit en même temps à chacun d’eux une école hellénique. Suivant le plan originaire, il doit être fondé autant d’écoles helléniques qu’il y a d’éparchies (préfectures) dans le royaume. Or, comme aujourd’hui il existe 54 de ces écoles, en y comprenant celles adjointes aux gymnases, on pourrait supposer que le but du projet est actuellement atteint, et que chaque éparchie renferme au moins une école hellénique. Cependant il n’en est point ainsi : plusieurs éparchies comptent plus d’une école hellénique (comme par exemple l’Attique, qui en a une à Athènes, une au Pyrée, une à Marathon, et enfin une quatrième à Salamine), tandis que d’autres en sont entièrement dépourvues. Il faut en outre observer que ces écoles sont loin d’être toutes complètes et satisfaisantes, ni toutes entretenues aux frais du gouvernement. Seules, les écoles d’Athènes, de Nauplie, de Syra, d’Amphissa, de Chalcis, de Lamia, de Tripolis, de Sparte et de Thera, possèdent le nombre requis d’instituteurs ; ces écoles ont chacune leur scholarque[3]. Toutes les autres écoles helléniques sont incomplètes dans leur personnel, chacune ne possédant qu’un ou deux instituteurs, et aucune n’ayant de scholarque. En ce qui concerne la capacité des instituteurs, il faut observer qu’outre les neuf écoles ci-dessus mentionnées comme possédant un personnel complet, quelques autres, moins bien partagées sous ce rapport, donnent cependant un enseignement solide et renferment des instituteurs fort capables. Malheureusement il s’en trouve un grand nombre qui ne peuvent pas se vanter du même bonheur. Dans celles-là même où la capacité des instituteurs ne laisse rien à désirer, leur nombre est insuffisant. M. Schinas, qui connaît à fond la matière, serait tenté de conseiller une diminution dans le nombre des écoles existantes, afin de les perfectionner et de les compléter en les fondant les unes dans les autres, s’il n’était, d’un autre côté, frappé des inconvéniens de localité qui empêchent de réaliser ce projet. Enfin 32 de ces écoles (en y comprenant celles qui sont adjointes aux gymnases) sont aux frais du trésor public. Parmi les autres, quelques-unes sont entretenues à frais communs par l’état et par les communes respectives (par exemple celle d’Argos), mais le plus grand nombre est aux frais des communes seules, ou subsiste par les secours, les dons volontaires et les legs de citoyens patriotes.

Dans les écoles helléniques, on enseigne, autant que le permet l’état incomplet du personnel des instituteurs, les objets suivans : l’ancien grec, le latin et le français, l’histoire de la bible, l’histoire universelle, la calligraphie, la géographie, l’arithmétique et les élémens de la physique et de l’histoire naturelle. La langue allemande est, d’un autre côté, enseignée dans les gymnases. Le nombre des jeunes gens qui fréquentent les gymnases et les écoles helléniques varie de quatre mille cinq cents à cinq mille.

INSTRUCTION ÉLÉMENTAIRE ET ÉCOLES PRIMAIRES.

1o  École normale primaire. — Cette institution, fondée le 6 (18) février 1834, est présidée par un directeur (aujourd’hui M. F. Kokkonis). Elle compte actuellement huit professeurs enseignant l’histoire sainte, la religion, l’ancien grec, l’histoire universelle, et en particulier l’histoire de Grèce, l’arithmétique, la géométrie, le dessin, la calligraphie, la géographie, les élémens de la physique et de l’histoire naturelle appliquée à l’agriculture, en outre la gymnastique et la musique vocale ; enfin la pédagogique et la didactique. (Cette dernière science s’étudie spécialement à l’aide d’un exercice d’enseignement pratique dans une école primaire modèle attachée à l’établissement.) La durée obligée des cours d’enseignement à l’école normale primaire est de deux ans pour ceux qui, à leur entrée dans l’établissement, possédaient déjà quelque connaissance de l’ancien grec ; elle est de trois ans pour ceux qui ne remplissent pas cette condition. Le nombre des élèves de l’école normale monte presque invariablement chaque année à soixante ou quatre-vingts, dont quarante reçoivent des bourses et demi-bourses du gouvernement sous la condition expresse qu’ils se consacreront à l’enseignement public, ou du moins que, s’ils changent de projet, ils rembourseront au gouvernement les secours qui leur ont été accordés. Actuellement l’école normale fournit annuellement à peu près trente candidats aux fonctions d’instituteurs primaires, et l’on compte, jusqu’à la fin de l’année 1839, 255 élèves ayant obtenu le diplôme d’instituteur. Il est donc déjà visible que dans quelques années on possédera un personnel de bons instituteurs suffisant pour pourvoir aux besoins des écoles primaires dans toutes les communes du royaume.

2o  Écoles primaires (particulièrement celles des garçons). — En Grèce, on distingue trois sortes d’écoles primaires, suivant l’importance des communes et les connaissances des instituteurs. — Dans les communes de première classe doivent être établies conformément à la loi des écoles primaires de première classe. Les instituteurs qui y sont attachés doivent être ceux qui, aux examens de sortie de l’école normale, ont obtenu le no 1. Ils portent le nom d’instituteurs de nomarchie, et obtiennent un traitement mensuel de 100 drachmes. Dans les communes de deuxième classe doivent se trouver des écoles primaires de deuxième classe dirigées par les instituteurs sortis de l’école normale avec le no 2. On les distingue sous le nom d’instituteurs d’éparchie, et ils obtiennent par mois un traitement de 80 à 90 drachmes (suivant un tarif proportionnel déterminé). Enfin les communes de troisième classe doivent renfermer des écoles de troisième classe, avec des instituteurs du troisième ordre, qui jouissent d’un traitement mensuel de 50 drachmes. Si l’on considère le peu de ressources financières que possède la Grèce, on sera frappé du salaire qu’elle accorde aux instituteurs primaires, et qui est si supérieur à celui que nous donnons aux nôtres.

Outre ces traitemens fixes, les instituteurs des trois classes jouissent du logement, et perçoivent de chaque enfant dont l’indigence n’est pas constatée de 10 à 50 lepta par mois[4]. À la fin de l’année 1839, on comptait dans tout le royaume 225 écoles primaires, fréquentées par 20,506 enfans ; mais déjà, dans le cours de l’année 1840, 27 nouvelles écoles furent établies, représentant 1,500 élèves, tellement qu’à la fin de cette année on put compter en Grèce 252 écoles primaires, donnant l’instruction à plus de 22,000 enfans. Dans ces 252 écoles (dont 28 sont consacrées à l’éducation des filles), les appointemens des instituteurs et institutrices sont fournis, pour 67 exclusivement, par le trésor public, pour 128 par les revenus particuliers des communes. Dans l’île de Tinos, 7 écoles primaires sont entretenues sur les revenus de l’église de l’Annonciation ; enfin 25 écoles primaires sont entretenues aux frais de personnes charitables ou de sociétés bienfaisantes. Outre le secours que le gouvernement accorde à l’instruction élémentaire par l’entretien de l’école normale primaire, par la concession de bourses et demi-bourses à quarante élèves de cette école, et par le paiement des traitemens de 67 instituteurs et institutrices des écoles primaires, secours qui coûte annuellement au trésor public 102,660 dr., le gouvernement vient encore en aide aux autres écoles primaires non entretenues aux frais de l’état, en leur distribuant gratuitement les ouvrages les plus indispensables, pris dans le dépôt général des livres élémentaires publiés par l’état.

On enseigne, dans toutes les écoles primaires, à lire et à écrire, l’arithmétique, l’histoire sainte, le catéchisme et la calligraphie ; — en outre, dans les écoles de première classe et dans un certain nombre de celles de seconde classe, le dessin, l’histoire de la Grèce, la géographie, l’abrégé de la morale et les principes les plus simples et les plus pratiques de la physique et de l’histoire naturelle, puis encore les élémens de la grammaire, l’exercice de la pensée et de la parole, et même en certaines localités la musique et la gymnastique.

Dans toutes ces écoles, on ne se sert exclusivement ni de la méthode lancastrienne ni d’aucune autre méthode systématique : on procède, au contraire, sous ce rapport d’une manière tout éclectique ; on emploie la méthode de l’enseignement mutuel pour la lecture, l’écriture et l’arithmétique, et l’on applique à d’autres objets l’enseignement simultané, sans jamais négliger ce qui, étant dans chaque système digne d’imitation, mérite d’être appliqué de préférence à chaque enseignement en particulier.

En dehors de ces écoles primaires, il existe un certain nombre d’instituteurs répandus dans tout le royaume et entièrement indépendans du gouvernement, qui, s’étant formés eux-mêmes, n’ont point reçu le diplôme d’instituteur public, et dont l’état tolère les établissemens. 10,000 enfans y apprennent à lire et à écrire, en sorte qu’à la fin de l’année 1840, sur une population d’environ 900,000 ames[5], 32,000 enfans recevaient le bienfait de l’instruction élémentaire.

L’instruction élémentaire est beaucoup plus répandue dans les îles de la Grèce que dans les deux autres subdivisions du royaume de Péloponèse et la Grèce continentale). En effet, bien que le Péloponèse renferme plus de la moitié de la population, le nombre des enfans qui y fréquentent les écoles primaires ne dépasse guère le tiers de la somme totale des enfans qui reçoivent l’instruction élémentaire dans tout le royaume. Sur le continent, ce rapport est encore plus défavorable, puisque (si l’on excepte Athènes et son port) on ne trouve plus sur cette grande étendue de territoire que la proportion d’un quart. On peut répartir ainsi les 32,000 enfans ci-dessus mentionnés : Péloponèse, 11,000 ; — Grèce continentale, 8,000 ; — Îles, 13,000. Ces chiffres montrent que l’instruction primaire est infiniment plus avancée dans les îles que partout ailleurs, ce qui s’explique parce que cette partie du royaume a très peu souffert dans la guerre de l’indépendance comparativement au Péloponèse et à la Grèce continentale. La réduction qu’on a opérée récemment dans le nombre des communes permet d’espérer que, grace à l’accroissement de population qui en résultera pour chacune d’elles, dans une dizaine d’années tous les enfans d’un âge convenable fréquenteront les écoles.

ÉCOLES POUR LES FILLES. — SOCIÉTÉ PHILECPÉDEUTIQUE[6]

Avant la révolution, il n’existait point d’écoles pour les filles. C’était dans le sein de leur famille que les jeunes personnes riches acquéraient une éducation proportionnée à la condition de leurs parens. En 1828, des missionnaires américains fondèrent les premières écoles de jeunes filles dans la ville d’Athènes, encore soumise à la domination turque, et dans d’autres localités. À l’avénement du gouvernement royal, on sentit qu’il fallait d’abord former des institutrices. En conséquence, dès l’année 1834, immédiatement après l’organisation de l’école normale primaire, le gouvernement royal fonda à Athènes, dans le pensionnat de mistress Hill, douze bourses pour l’instruction de jeunes personnes destinées à remplir plus tard les fonctions d’institutrices ; il détermina en même temps une jeune dame, Mme Hélène Pitadakis, qui venait de terminer de bonnes études dans le pensionnat de mistress Hill, à accepter la direction d’une école communale de jeunes filles fondée à Nauplie par les soins et aux frais de l’état. Le gouvernement vint aussi en aide à une autre institution créée dans la même ville pour l’instruction supérieure des jeunes filles, par Mme Volmérange, Française établie en Grèce ; il y fonda également des bourses pour l’éducation gratuite d’un certain nombre de jeunes personnes. Enfin cette institution, transférée à Athènes, fut confiée, après le départ de Mme Volmérange, aux soins éclairés de Mme Pitadakis, et le gouvernement en prit l’administration et l’entretien entièrement à sa charge. Ces pensionnats et ces bourses furent placés sous la surveillance supérieure du directeur de l’école normale, et aussitôt que les élèves, instruits de cette manière aux frais de l’état, avaient terminé leurs études et soutenu honorablement l’examen exigé, le directeur proposait au gouvernement d’ériger une école de jeunes filles dans une des communes du royaume, et de la mettre sous la direction de la jeune institutrice qui avait subi l’épreuve. Voilà comment s’établirent successivement dans la Grèce les écoles de jeunes filles qui existent aujourd’hui. Cependant cette partie de l’instruction publique réclamait encore les plus grands soins, et le besoin d’un règlement général se faisait surtout de plus en plus sentir. Dans cet état de choses, le directeur actuel de l’école normale primaire, M. Kokkonis, eut l’heureuse idée de fonder une société destinée à favoriser l’instruction élémentaire en général, et particulièrement l’éducation des filles. Son but principal était, si l’on pouvait réunir des souscriptions suffisantes, de créer une sorte d’école préparatoire destinée à former des institutrices, à laquelle serait adjointe une école pratique d’enseignement. Ce projet obtint le plus grand succès. La société fut confirmée par le roi le 28 août (7 septembre 1836) ; d’année en année, le nombre de ses membres alla toujours croissant, et ses résultats devinrent de plus en plus considérables. Elle compte aujourd’hui plus de sept cents membres souscripteurs ou donateurs, dont une partie se trouve à l’étranger, mais le plus grand nombre en Grèce et en Turquie. Le rapport officiel publié à la fin de l’année 1840 fait monter les recettes régulières de la société à la somme annuelle de 36,710 dr. ; ces recettes ont dû augmenter, depuis cette époque, au moins de 5,000 dr., et continuent à s’accroître. Elle possède en outre un capital de 40,000 dr. environ, qu’elle compte employer à la construction d’un local convenable pour la grande école centrale. Cette dernière école, excellente sous tous les rapports, est confiée actuellement à la direction d’une femme très distinguée, Mme Sébasté Mano ; on peut dire que cet établissement est aux écoles primaires des jeunes filles ce que l’école normale primaire est aux écoles élémentaires des garçons. Son principal but est en effet de former des institutrices, et, pour favoriser ce résultat, un certain nombre de bourses y ont été fondées tant par le gouvernement que par la société elle-même, en faveur des jeunes personnes de talent dont les dispositions seront reconnues. C’est encore dans les mêmes intentions qu’a été attachée à cette école une école modèle où les futures institutrices s’exercent sur de petites filles à la pratique de l’enseignement. En outre, dans cette école supérieure, où les jeunes personnes peuvent acquérir un degré d’instruction assez étendu, on reçoit aussi, moyennant une pension modique, des pensionnaires et des externes, ce qui contribue à augmenter les revenus de la société. Enfin, l’école de mistress Hill ayant été dissoute tout récemment, et les bourses qui y avaient été fondées par le gouvernement ayant été transférées à l’école centrale de la société philecpédeutique, celle-ci a vu par là s’accroître ses ressources. Au reste, la société ne borne pas son activité à cet établissement. Elle vient encore en aide à un grand nombre d’écoles primaires, d’instituteurs et d’institutrices dans les provinces, en leur faisant des envois de livres ou d’autres moyens d’étude ; elle a même favorisé la publication d’un grand nombre de livres élémentaires, soit en se chargeant des frais d’impression, soit au moyen de récompenses et d’encouragemens. En un mot, la société philecpédeutique développe de jour en jour une activité plus honorable et plus bienfaisante.

La maison des orphelins, fondée à Égine sous l’administration du président J. Capodistrias, sur un plan trop vaste pour les besoins d’orphelins issus la plupart de parens indigens, transférée en 1834 à Nauplie, a reçu depuis une organisation entièrement nouvelle. On n’y donne pas aux orphelins une éducation savante, mais une instruction élémentaire ; on leur enseigne en outre un métier qui puisse les mettre en état de gagner plus tard leur vie. Conformément à l’ordonnance de 1834, cet établissement devait contenir cent élèves ; aujourd’hui cependant, il n’en compte que trente, dont la plupart se forment aux travaux techniques dans l’arsenal royal de Nauplie.

MOYENS D’INSTRUCTION. — LIVRES CLASSIQUES ET LITTÉRAIRES.

Des ouvrages élémentaires ont été composés et publiés sur toutes les parties de l’enseignement primaire, surtout par les soins du gouvernement, mais aussi par ceux de la société philecpédeutique, et aux frais de quelques particuliers. Tous ces ouvrages sont publiés sous deux formes différentes, la première, destinée à l’instituteur, plus développée, et la seconde, destinée à l’élève, moins étendue. Ces deux éditions de chaque ouvrage forment en quelque sorte deux bibliothèques encyclopédiques, dont la moins considérable ne coûte que quinze drachmes, de telle sorte que le plus pauvre écolier se trouve, à la fin des quatre années qu’il passe à l’école, possesseur de cette petite bibliothèque, presque sans s’être aperçu d’une dépense qui ne s’est pas élevée à plus de trois drachmes et demi par an (environ 3 fr.).

Les autres livres moins élémentaires, destinés à l’usage des gymnases et des écoles helléniques, sont presque tous rédigés par l’ordre et publiés par les soins et aux frais du gouvernement. D’un certain nombre d’exemplaires de tous ces ouvrages, comme aussi de quelques milliers de volumes mis à la disposition du public par de généreux citoyens, par exemple les éditions des classiques grecs, publiées par Koraïs et Ducas, le gouvernement a formé un dépôt central de livres dans lequel il puise, pour fournir gratuitement, et selon l’urgence des besoins, aux écoles et aux écoliers, les livres qui leur sont indispensables, ou bien cède ces livres moyennant des prix très modérés, et emploie les sommes provenant de ces ventes à l’achat de nouveaux ouvrages propres à enrichir la bibliothèque publique. Le gouvernement rassemble aussi, dans ce même dépôt, des tableaux et autres objets nécessaires à l’instruction, afin de les répartir gratuitement entre les écoles les moins favorisées.

COLLECTIONS SCIENTIFIQUES ET ARTISTIQUES.

1o  Bibliothèque publique de l’Université. — La première bibliothèque publique de la Grèce fut créée par le don de 5,395 volumes que lui fit le baron Sakkellarios, par le legs du baron Bellios, enfin par les dons et les legs des frères Zosima, de MM. de Ducas, Koraïs, Komitas et autres. Bientôt s’y adjoignit la collection, peu nombreuse à la vérité (elle ne compte que 2,000 volumes), mais très précieuse, de M. Dem. Possolakas, achetée par le gouvernement il y a deux ans et demi au prix de 105,000 fr. — Après l’établissement de l’université, on conçut le projet de fonder aussi une bibliothèque spéciale pour son usage. Le gouvernement fit rédiger par les quatre facultés une liste des ouvrages les plus indispensables, et il consacra à l’achat de ces ouvrages la somme de 10,000 fr. Plusieurs personnes firent don d’un certain nombre de livres à l’Université ; mais ce qui contribua le plus à accroître l’importance de la bibliothèque universitaire, ce fut la générosité du grand-duc de Toscane, qui ordonna aux directeurs des différentes bibliothèques de ses états de rassembler tous les doubles qu’elles pouvaient renfermer ; il s’en trouva 5,000 dont son altesse impériale fit don à l’université d’Athènes. Ce noble exemple fut suivi par le roi régnant de Sardaigne, et bientôt une de ses frégates vint déposer au Pyrée près de 6,000 volumes. Plusieurs particuliers, parmi lesquels nous nommerons le professeur C. Rafn, conseiller d’état du roi de Danemark, et M. le docteur Parthey, propriétaire de la librairie Nicolaï à Berlin, envoyèrent aussi à Athènes de précieuses donations de livres. Ainsi s’accrut rapidement la bibliothèque de l’Université. Or, comme depuis l’achèvement de la première moitié du bâtiment universitaire, dans laquelle se trouvent comprises les galeries de la bibliothèque, le gouvernement a cru devoir, pour la plus grande commodité de la jeunesse et du public, réunir les deux bibliothèques en une seule et placer le tout dans les galeries de la nouvelle Université, la bibliothèque actuelle compte en ce moment de 35,000 à 40,000 volumes (parmi lesquels 90 manuscrits). Il est permis d’espérer que les honorables exemples que nous avons cités trouveront de nombreux imitateurs, et que la bibliothèque nationale deviendra bientôt assez complète pour suffire et aux besoins des Grecs studieux, et à ceux des nombreux étrangers qui fréquentent le sol de la Grèce dans des intentions scientifiques.

2o  Une collection importante d’antiquités, c’est-à-dire de statues, bas-reliefs, vases, sarcophages, ustensiles, inscriptions, etc., aujourd’hui dispersée, à la vérité, faute d’un local convenable, en plusieurs endroits de l’acropole ou de la ville (mais réunie en grande partie dans le temple de Thésée), sera, aussitôt après l’accomplissement de la partie non encore achevée du bâtiment universitaire, déposée dans les galeries convenables qu’on y doit construire.

3o  La Collection de monnaies, riche surtout en monnaies byzantines et monnaies russes anciennes, et à laquelle nous devons ajouter quelques objets de prix, tels que pierres précieuses, perles, etc., est un don de feu M. N. Zozimas, de Moscou.

Nous citerons encore :

Une petite collection de tableaux, don du vice-consul de Grèce à Vienne, M. Mantzurani ;

Le Cabinet d’histoire naturelle, fondé par la société d’histoire naturelle, et assez complet en produits du sol grec ;

Une belle et riche collection d’instrumens de physique et d’astronomie formée en partie par les acquisitions du gouvernement et en partie par les dons de M. D’Anastasy et du baron Sina ;

Une collection de préparations chimiques et anatomiques.

FOUILLES, DÉCOUVERTES ET RESTAURATIONS D’ANTIQUITÉS.

À peine établi à Nauplie, le gouvernement royal donna ses soins à la conservation, à la restauration et à la découverte des antiquités ; il créa à cet effet un conservateur général des antiquités, en lui adjoignant trois sous-conservateurs (un pour le Péloponèse, un pour la Grèce continentale, et un pour les îles grecques), auxquels fut remise en même temps une somme aussi considérable que le permettait la pénurie du trésor, pour être employée d’une manière convenable. Plus tard, de 1835 à 1836, le gouvernement ouvrit un crédit de 70,000 dr., et ensuite tous les ans un crédit de 6,000 à 12,000 dr. non-seulement pour subvenir aux besoins d’entretien les plus urgens, mais aussi pour entreprendre les restaurations nécessaires et pour acquérir à l’état les objets précieux découverts par des particuliers, et faire exécuter de nouvelles fouilles. La direction des antiquités fut mise en état de débarrasser l’acropole d’Athènes des décombres que les siècles avaient amoncelés, de restaurer l’Erechtheum et certaines parties du Parthénon, de réédifier le charmant temple de la Victoire, de retrouver les propylées, jusqu’alors à peu près invisibles sous les décombres qui les recouvraient, enfin d’exhumer un grand nombre de statues, de vases, et d’inscriptions, etc. Là où les ressources du gouvernement se trouvèrent insuffisantes, la société archéologique lui vint en aide. Les moyens de cette société étaient à la vérité fort restreints ; cependant, comme elle sut toujours les employer avec une grande sagesse, elle put, en ne se chargeant jamais que d’entreprises proportionnées à ses forces et que le gouvernement ne se sentait pas en état d’exécuter dans un avenir rapproché, effectuer des fouilles et des exhumations importantes (celle par exemple de la tour de Cyrrheste, etc.), des restaurations et des découvertes précieuses.

DÉPENSES ANNUELLES DE L’ÉTAT EN FAVEUR DE L’INSTRUCTION
PUBLIQUE ET DES SCIENCES.

Pour l’année 1841, ces dépenses se sont montées à 461,789 dr. Dans l’année 1842, elles ont été fixées à 492,016 dr. (sans comprendre sur ce chiffre la somme considérable dépensée annuellement par l’état pour l’entretien de l’excellente école militaire du Pyrée). Sur la dépense totale, il faut compter 96,330 dr. rien que pour les traitemens des instituteurs primaires, et 16,800 dr. pour les bourses fondées par le gouvernement dans le but de former des institutrices. Qu’on y ajoute les sommes consacrées à l’école normale primaire (4,447 dr.) et à l’entretien de la maison des orphelins (20,000), et l’on trouvera que l’état dépense, pour l’instruction élémentaire des deux sexes, une somme annuelle de 137,597 dr. Si on réfléchit ensuite que la totalité des recettes publiques du royaume de Grèce ne dépasse guère 18,000,000 de dr., et que le royaume de Prusse, qui est si libéral en faveur de l’enseignement, sur un revenu de plus de 50 millions de thalers, ne consacre pas tout-à-fait un million de th. (plus exactement 986,679 th., 26 groschen, 8 pfennigs.) à l’instruction publique, et si l’on cherche le rapport qui existe entre les dépenses faites par chacun des deux gouvernemens dans l’intérêt de l’instruction publique et leurs revenus, on trouvera que le royaume grec consacre à l’enseignement public un trente-sixième (ou à peu près 3 pour 100), et le royaume de Prusse seulement un cinquantième (ou 2 pour 100) de leurs revenus respectifs.

SOCIÉTÉS SAVANTES.

1o  Société philecpédeutique, dont il a déjà été parlé avec détails. La souscription annuelle des membres se monte à 36 dr.

2o  Société archéologique, à laquelle il a été fait allusion plus haut, et aux frais de laquelle ont été effectuées avec un grand succès plusieurs fouilles et exhumations. Cette société comptait, en 1841, 386 membres ordinaires, et 187 membres extraordinaires ou honoraires, et aussi un certain nombre de protecteurs parmi lesquels les rois de Danemark et de Prusse et le prince royal de Bavière. Le roi des Pays-Bas a également accordé à la société des témoignages marqués de sa haute bienveillance. Jusqu’ici on a toujours élu président de la société M. le ministre des affaires étrangères Risos. (Souscription annuelle des membres ordinaires, 15 drachmes)

3o  Société d’histoire naturelle, fondée en avril 1835 ; elle comptait, en 1841, 56 membres ordinaires et 10 membres honoraires. C’est elle qui a créé le cabinet actuel d’histoire naturelle ; elle publie cinq écrits périodiques sur l’histoire naturelle, en français et en allemand. (Souscription annuelle des membres ordinaires, 36 dr. — Souscription mensuelle, 3 dr.)

4o  Société médicale, fondée en septembre 1835 ; elle comptait en 1841 trente membres ordinaires, et publiait un journal de médecine périodique dont la publication a été interrompue depuis quelque temps. (Souscription annuelle des membres ordinaires, 15 dr.)

5o  Société pharmaceutique, fondée en avril 1838 ; elle doit publier incessamment un journal pharmaceutique.

6o  Le Museum, c’est-à-dire une société fondée par des étudians pour leurs communications réciproques et pour la lecture des journaux scientifiques. Des professeurs font dans le local de ce musée différens cours gratuits.

7o  Il sera fondé bientôt une société philharmonique et une société pour l’amélioration des vins.

IMPRIMERIES ET LIBRAIRIES. — JOURNAUX ET ÉCRITS PÉRIODIQUES.

Il existe à Athènes onze imprimeries, en y comprenant l’imprimerie royale. Parmi les imprimeries particulières, on distingue celles de MM. Andr. Koromilas et Garbolas. On compte à Athènes quatre librairies bien approvisionnées, celles de MM. Koromilas, Garboas, Nast et Bunt. Les deux premiers sont aussi éditeurs. Il existe encore des imprimeries et des librairies à Patras et à Syra.

On publie à Athènes, Syra, Patras, un assez grand nombre de journaux. Dans la capitale seule paraissent plus de seize différens journaux ou écrits périodiques : 1o  le Journal du Gouvernement, 2o  le Courrier grec, journal semi-officiel en grec et en français, 3o  l’Observateur grec (également en grec et en français), 4o  l’Athéna, 5o  l’Acon, 6o  l’Ami du Peuple, 7o  le Fils de la Patrie, 8o  la Guêpe, 9o  le Zéphir, 10o  le Progrès, 11o  le Socrate, 12o  l’Abeille, 13o  la Renommée, 14o  l’Eranistès, journal purement littéraire, 15o  la Revue archéologique, 16o  l’Asclepios, revue de médecine, etc. Ces journaux représentent les diverses opinions et les divers partis qui divisent la Grèce. Plusieurs d’entre eux sont d’une très grande violence, et donnent le spectacle curieux d’un peuple qui n’a pas de représentation nationale et chez lequel la liberté de la presse existe avec tous ses excès. Du reste, les journaux qu’on dévore dans les cafés d’Athènes exercent peu d’influence dans les provinces, où les passions et quelquefois les intrigues locales ont plus de puissance que l’impulsion lointaine et un peu factice des partis qui s’agitent bruyamment dans la capitale.

PROGRÈS DE LA LANGUE NATIONALE.

La langue grecque a fait, depuis 1833, les progrès les plus surprenans. Déjà, pendant la guerre de l’indépendance, on introduisit dans le langage usuel des expressions tirées de l’ancien grec, pour les usages de la vie publique, pour l’administration et surtout pour le service militaire, à l’instigation de l’excellent colonel (aujourd’hui général) Rhodios. Mais ce temps était le temps des grandes actions, non celui de la philologie et du purisme. Depuis l’avénement du gouvernement royal, on a déployé, sous ce rapport, la plus grande activité. La chose en elle-même était plus importante, mais en même temps plus difficile qu’on ne le suppose généralement. Chez toutes les nations, le développement de la langue et des termes techniques a avancé graduellement et en suivant le développement des idées ; le contraire eut lieu en Grèce. Comme, par l’effet de la domination turque, toute culture intellectuelle, et toute trace surtout d’une existence publique avaient disparu, peu à peu les expressions techniques qui se rapportaient aux arts, aux sciences et à l’état, s’étaient perdues. Si quelques hommes écrivaient encore le grec ancien dans toute sa pureté, ces mêmes hommes étaient pauvres en idées, ils ne traitaient guère que des points de dogme, de morale, de grammaire, de sorte que la langue des sciences, des arts, des métiers, de la guerre, de l’administration, du droit, etc., fut entièrement abolie. Bien plus, le petit nombre d’idées relatives à l’industrie, à l’administration et à l’art militaire, qui restèrent encore familières au pays, furent rendues par des mots turcs hellénisés. Tout à coup, par le fait de la révolution nationale, et encore plus par le retour du repos et de l’ordre public en 1833, se répandit le trésor des idées européennes. Pour ces idées, il fallait en très peu de temps, c’est-à-dire en quelques mois, en quelques jours, ou souvent même en quelques heures, trouver des expressions convenables : or, ceci pouvait se faire de deux manières, soit en prenant dans l’ancienne langue grecque des expressions déjà existantes et en les appliquant à l’usage vulgaire, soit en créant des termes convenables suivant les analogies de cette langue. Le premier pas dans cette voie fut de rendre leurs anciens noms helléniques à toutes les localités et provinces de la Grèce qui les avaient perdus, puis vinrent les traductions des quatre codes composés par M. de Maurer, du code civil français et du code de commerce, et encore la rédaction en grec de plusieurs ordonnances touchant les communes, la gendarmerie, la marine, etc. ; par-là la langue vivante fut enrichie d’emprunts de toute nature faits au grec ancien. Après la création de l’Université, plusieurs professeurs (notamment le savant docteur Philippos) contribuèrent puissamment, chacun dans sa spécialité scientifique, au développement progressif de la langue. Enfin il fut possible à trois hommes aussi capables qu’ils étaient actifs, Al. Rhangavis, Samurkassis et H. Levadeus, de recueillir dans un dictionnaire toutes ces nouvelles richesses de l’idiome régénéré et d’y ajouter encore.

La modestie de M. Schinas l’a empêché de rappeler, dans son discours, que lui-même est un de ceux qui ont concouru le plus puissamment à ce résultat. En effet, il a pris la plus grande part aux traductions des codes français, qui ont servi plus que tout le reste à rapprocher le grec moderne du grec antique. M. Schinas exprime avec énergie l’espérance de voir ce progrès devenir chaque jour plus considérable. On peut se demander s’il est possible à une langue de remonter vers le passé, de se refaire et de se rajeunir. Ce serait, il faut l’avouer, un spectacle assez nouveau dans le monde. Jusqu’à présent, on ne peut qu’applaudir à l’esprit qui a inspiré ces tentatives et aux résultats obtenus.

De tout ce qu’on vient de lire doit résulter, ce me semble, un certain respect pour un peuple qui, avec si peu de ressources et en si peu d’années, a tant fait pour répandre et propager les bienfaits de l’instruction. Heureux si ce tableau fidèle contribuait à raviver les sympathies de la France pour un pays qui a droit aux sympathies de toutes les nations civilisées. La Grèce a allumé le flambeau des connaissances humaines dans l’antiquité, et l’a rallumé au XVe siècle. Toute l’Europe a été éclairée de cette lumière ; la Grèce seule était privée des rayons qu’elle répandait sur le monde ; aujourd’hui elle redemande un peu de ce qu’elle a tant donné. À défaut d’autre appui, du moins ne donnerons-nous pas l’encouragement de nos louanges à ce peuple qui aime la gloire ? Nous lui devons notre renaissance : refuserons-nous de saluer et d’aider la sienne ?


J.-J. Ampère.
  1. La drachme vaut un peu moins d’un franc, 18 sous environ.
  2. Le bâtiment de l’université est construit avec goût dans le style antique. La bibliothèque, qui en fait partie, peut contenir deux cent mille volumes.
  3. L’école de Patras est encore plus complète, mais elle ne porte point le titre d’école hellénique.
  4. Le lepton est peu près la centième partie de la drachme.
  5. M. Strong donne le chiffre de 926,000 en 1837 ; M. Mure, de 856,470 en 1840. Voy. Quarterly Review, no 139, page 152.
  6. Ou société des amis de l’enseignement.