L’Inutilité des Prêtres

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L’Inutilité des Prêtres
Poésies nationales de la Révolution françaiseMichel fils aîné et Bailly, éditeurs (p. 140-144).


L’INUTILITÉ DES PRÊTRES.

1793


Air du vaudeville des Visitandines.

Va, va, mon père, je te jure,
Que par la mort des préjugés,
Les sentimens de la nature
Sont loin d’avoir été changés ; bis.
Pour chérir l’auteur de mon être
Et voter son parfait bonheur
Il me suffira de mon cœur.
Je n’aurai pas besoin, de prêtre. bis

Victime faible, quoique sage,
Des religieuses erreurs,
Ô ma mère, sur ton visage
Pourquoi vois-je couler des pleurs ?
La routine te fait peut-être
Regretter un sot confesseur ?
Verse tes chagrins dans mon cœur ;
Un fils console mieux qu’un prêtre.


Ô mon épouse, ô ma compagne !
Tu vois combien j’avais raison ;
Tu sentiras tout ce qu’on gagne
À régler seule sa maison.
Était-il un guide plus traître
Que ce qu’on nommait directeur ?
Il te suffira de mon cœur ;
Nous n’aurons pas besoin de prêtre.

Viens, mon fils, viens aussi, ma fille
Ne craignez plus qu’un précepteur,
En se glissant dans ma famille,
Vous souffle un venin corrupteur.
Pour vous faire à tous deux connaître
Les vrais principes de l’honneur,
Il me suffira de mon cœur,
Je n’aurai pas besoin de prêtre.

Ô vous que j’aime et que j’honore,
Des campagnes bons habitans,
On voudrait vous tromper encore ;
Mais attendez jusqu’au printemps :
Quand vous verrez les blés renaître,
Quand vous verrez la vigne en fleur,
Avec nous vous direz en chœur :
Et tout ça vient pourtant sans prêtre.


Je suis homme, et de mon semblable
Rien ne saurait m’être étranger ;
Dès que j’entends un misérable
Demander à boire, à manger,
Pour l’abreuver, pour le repaître,
Sans mettre à cela de valeur,
Je ne consulte que mon cœur,
Et je n’ai pas besoin de prêtre.

Examinez ce fin lévite
Et ce gros docteur de la loi,
Tous les deux comme ils passent vite,
Près d’un blessé qui crie : À moi !
Mais il survient un pauvre rêtre
Qui le secourt dans son malheur ;
Jésus veut dire qu’un bon cœur
N’est ni d’un riche, ni d’un prêtre.

Engeance adroite et fanatique
Qui viviez jadis de l’autel,
Voulez-vous de la République
Obtenir un pardon formel ?
En uniforme, en casque, en guêtres.
Armez vos bras d’un fer vengeur,
Et perdez, en prenant du cœur,
Votre caractère de prêtres.


Adieu psaumes, prières vaines,
Faites place à nos chants guerriers ;
Loin des troupes républicaines
Les capucins, les aumôniers !
Pour ne pas recevoir de maître
Et pour nous battre avec valeur,
Il nous suffit de notre cœur,
Nous n’avons pas besoin de prêtre.

Liberté, pour sauver la terre
Tu mis au jour l’Égalité :
De l’Égalité, sans mystère,
Procède la Fraternité.
Ô Trinité de nos ancêtres,
Vaudrais-tu celle aux trois couleurs !
Son culte est fait pour tous les cœurs,
Les Français sont ses premiers prêtres.

Alors qu’il me faudra descendre
Au champ d’un éternel repos.
Ô mes amis, portez ma cendre
Sous l’herbe des rians coteaux.
Et puisse l’écorce d’un hêtre,
Près de là, dire au voyageur :
En ces lieux repose un bon cœur,
Qui n’y fut pas mis par un prêtre.


Et si l’on connaît l’existence
Par-delà ce terme fatal ;
Si Dieu, contre toute apparence,
Me traduit à son tribunal,
Je ne craindrai point d’y paraître
Et de lui dire en ma faveur :
Jamais je ne t’ai, dans mon cœur,
Cru semblable au dieu d’aucun prêtre.


Par Piis.