L’Italie économique

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L’Italie économique
Revue des Deux Mondes3e période, tome 107 (p. 904-944).
L’ITALIE ÉCONOMIQUE

I. Di alcuni indici misuratori del movimento economico in Italia, par M. Bodio, directeur général de la statistique, 2e édition. — II. Les nombreux volumes de la statistique officielle en Italie, et surtout l’Annuario statistico, qui les résume. — III. Gli interessi dell’ Economia nazionale e il riordinamento degli Istituti di emissione, par M. Carlo Bonis. — IV. Pensieri sulla politica italiana, par M. S. Jacini.

Si l’on veut bien comprendre l’état actuel de l’Italie, il est indispensable de remonter le cours de son histoire pour y trouver les causes des faits que nous observons aujourd’hui. Alors seulement bien des choses, qui autrement seraient inexplicables, nous apparaîtront comme logiques et naturelles.

Le comte de Cavour avait donné au gouvernement une impulsion libérale dont les effets continuèrent à se faire sentir quelque temps même après sa mort. Admirateur sincère des libertés anglaises et du self-government, il n’en perdit jamais de vue les principes, même quand il était absorbé par son œuvre capitale : la création du royaume d’Italie. Le prestige de sa haute intelligence et le succès qui avait couronné ses efforts entraînèrent ses collaborateurs à le suivre dans la voie qu’il avait tracée et les y retinrent quand il eut disparu. Mais bientôt une lente désagrégation s’opéra dans leurs rangs. Un fort petit nombre des membres de la droite demeura fidèle aux principes libéraux; le plus grand nombre pencha peu à peu vers la centralisation, l’exagération des attributions de l’État et une partie en arriva à un socialisme d’État plus ou moins déguisé.

L’Allemagne avait vaincu. On ne parlait que de la vertu, de la morale, de la science allemande. Et encore fallait-il distinguer. Vertu, morale, science ne pouvaient se dire vraiment allemandes qu’autant qu’elles étaient agréées par le tout-puissant chancelier. L’économiste Schulze-Delitzch, par exemple, était bien Allemand, mais sa science ne plaisait pas, ou, pour parler plus exactement, ne plaisait plus au prince de Bismarck. Elle était infectée des doctrines de l’école de Manchester et ne méritait nulle attention. La bonne, la vraie science économique allemande était celle que les socialistes de la chaire avaient tirée de leur propre fond, et c’était seulement dans leurs écrits qu’elle brillait de toute sa gloire. Parler encore d’un auteur anglais ou français était devenu le fait d’un esprit étroit, arriéré, cristallisé dans une vaine science, comme disait M. Luzzatti. Les seuls auteurs allemands étaient dignes de créance, et c’est en Allemagne même qu’allèrent alors les étudier tous nos jeunes économistes qui en eurent les moyens. Ils en revinrent imbus de principes autoritaires ; rêvant de les appliquer à l’Italie, sans tenir compte des profondes différences qui existent entre les deux pays. Le mal n’aurait pas été grand s’il s’était borné aux économistes, mais il atteignit les hommes d’État, et bientôt il étendit son influence sur toutes les classes de la société.

L’unité de l’Italie s’était faite en détruisant tous les gouvernemens de la péninsule, sauf un : celui du Piémont, dont les institutions s’étaient ainsi trouvées par la force des choses étendues à tout le pays.

Ces institutions n’étaient pas indigènes. On les avait copiées sur le système parlementaire anglais, et pas même directement, mais sur une autre copie qui en avait été faite en France au temps du règne de Louis-Philippe. Le vrai problème à résoudre pour les hommes d’État italiens était donc de trouver le moyen d’adapter ces institutions étrangères aux mœurs, aux coutumes et à la constitution naturelle du pays. Au lieu de cela, s’éloignant de plus en plus de ce but, et passant d’une imitation à une autre, l’on en arrivait à superposer le système autoritaire allemand au système parlementaire anglais, où, brochant sur le tout, l’on avait une centralisation copiée sur la centralisation française.

De cet assemblage monstrueux rien de bon ne pouvait résulter. S’il est un point bien acquis maintenant à la science de la politique, c’est qu’un des pires gouvernemens qu’on puisse avoir, c’est une dictature parlementaire en possession des forces que donne la centralisation. L’Italie allait en faire la triste expérience.

Le parti de la droite s’était partagé entre deux chefs: Sella, qui avait toujours incliné à étendre l’intervention de l’État dans la vie économique de la nation ; Minghetti, qui, peut-être à cause du rôle qu’il avait eu dans le ministère Cavour, passait au contraire pour pencher vers les doctrines libérales anglaises, mais qui, en réalité, n’a jamais été bien éloigné des théories du socialisme d’État, ainsi qu’on peut déjà le remarquer dans les écrits de sa jeunesse, et même dans son œuvre capitale : Sur les rapports de l’économie politique et de la morale.

Minghetti était au pouvoir quand se dessina un mouvement en faveur du rachat et de l’exploitation des chemins de fer par l’État. Il s’y montra résolument favorable, soit sous l’influence de ses anciennes idées combinées avec les idées allemandes qui gagnaient chaque jour du terrain en Italie, soit dans le dessein de devancer son adversaire Sella, en lui enlevant une arme qui aurait pu servir à abattre le ministère. Un seul homme, parmi les députés les plus en renom de la droite, demeura fidèle en cette occasion aux doctrines libérales : ce fut M. Ubaldino Peruzzi, qui, lui aussi, avait fait partie du cabinet Cavour.

Les événemens du 16 mai 1876 sont trop connus pour les rappeler ici. On sait que le ministère Minghetti tomba en apparence sur une question secondaire relative à l’application de l’impôt sur la mouture, en réalité sur la question du rachat des chemins de fer, et que la gauche arriva au pouvoir.

Maintenant qu’on voit ces événemens à distance, l’on s’aperçoit aisément que ce ne furent là que des causes occasionnelles de la chute de la droite : la cause essentielle était que ce parti avait accompli sa mission. L’unité de l’Italie constituée, la capitale établie à Rome, les rapports de l’Église et de l’État réglés par la loi des garanties, l’équilibre du budget obtenu, sinon d’une façon stable, au moins provisoirement, son programme était terminé, et le fruit étant mur, le moindre choc devait le faire tomber. La droite aurait encore pu se donner un but pour prolonger son existence, si elle était demeurée fidèle aux traditions libérales du comte de Cavour, et si elle s’était posée en face de la gauche comme le défenseur des libertés économiques. L’Italie se serait alors trouvée dans des conditions assez favorables au bon fonctionnement du régime parlementaire, avec deux grands partis politiques : l’un, imbu des idées jacobines et poussant à l’application du socialisme d’État, l’autre, défendant les droits de l’individu contre les envahissemens du pouvoir de l’État, et les libertés économiques contre le socialisme. Mais du moment que la droite désertait ces principes, elle perdait sa raison d’être, elle devait se fondre avec la gauche, ou, si elle s’obstinait à demeurer isolée, ce n’était plus un parti politique, mais seulement une réunion d’hommes qu’associaient une ambition commune et des intérêts matériels. Et cela est si vrai qu’une fois tombée du pouvoir, la droite chercha en vain à formuler un programme d’opposition : elle ne trouva pour s’affirmer que de s’opposer à l’abolition de l’impôt sur la mouture, tandis que ses hommes les plus clairvoyans étaient bien forcés d’avouer qu’un grand parti politique ne pouvait pas exister seulement pour défendre un impôt impopulaire.

La gauche, après sa victoire, avait un programme encore moins défini, si c’est possible, que celui de la droite. Elle aussi avait accompli sa mission, qui avait été de stimuler ses adversaires, de leur rappeler que les intérêts du pays n’étaient pas toujours ceux d’une caste gouvernementale. Mais maintenant qu’elle arrivait au pouvoir, et qu’elle en avait toute la responsabilité, ses procédés révolutionnaires n’étaient plus de mise, et sa tactique, bonne pour un parti d’opposition, se trouvait être complètement en défaut. Aussi vit-on ce phénomène étrange, qu’ayant battu la droite en s’opposant au rachat des chemins de fer, elle les racheta; qu’étant arrivée au pouvoir pour les faire exploiter par l’industrie privée, elle n’eut rien de plus pressé que de les faire exploiter par l’État. Tout ceci était une conséquence de l’inversion des rôles qui avait eu lieu entre les deux partis existans alors en Italie, et qui avait désorganisé la vie politique du pays.

Dans cette confusion des idées et dans cette dissolution des partis, les intérêts matériels et les sentimens égoïstes prirent le dessus, ainsi qu’il arrive toujours dans des cas semblables. Les candidats à la députation ne se présentèrent plus aux électeurs au nom de certains principes, ils se recommandèrent surtout comme d’habiles solliciteurs, et ce mal, sans parler de beaucoup d’autres, n’a pas cessé d’augmenter jusqu’à nos jours. Les citoyens ne se groupèrent plus suivant des idées communes, mais seulement selon leurs intérêts. L’on a vu avec le scrutin de liste des candidats appartenant à des partis les plus différens se coaliser ensemble pour se faire élire, et les électeurs voter à une grande majorité des listes de noms ainsi composées. En quoi ils faisaient preuve sinon de sens moral, au moins de sens pratique, car puisque leurs élus ne devaient être que leurs hommes d’affaires et leurs avocats, c’était, au fond, chose fort secondaire que de se préoccuper des opinions politiques qu’ils pouvaient bien avoir[1]. Au reste, les programmes de la plupart des députés sont devenus si élastiques qu’on y peut trouver tout ce que l’on veut. C’est à croire que ces braves gens ont fait une étude spéciale pour apprendre à parler sans rien dire, et on leur prêterait volontiers les paroles du diplomate sans le savoir de Scribe : que leur opinion est telle qu’ils ne sauraient l’exprimer, mais qu’on la comprendra aisément.

La corruption électorale gagna aussi du terrain. Nous en sommes venus au point que cette année le ministre de l’intérieur, parlant à la chambre, a pu dire à un député : «Pour vous faire élire, vous avez fait voter même les morts ! » Mais celui-ci, sans s’émouvoir, a répliqué: « Que celui qui est sans péchés me jette la première pierre ! » Et personne des députés présens n’a soufflé mot. Il y avait pourtant beaucoup d’exagération dans cette réponse, et bien des pierres auraient pu être à bon droit jetées à son auteur. C’est principalement dans les provinces méridionales que fleurit l’art de manipuler les résultats de l’urne électorale. Il y a même des termes spéciaux pour en indiquer les pratiques. Ainsi le blocco, c’est-à-dire quand on change tout le contenu de l’urne ; la pastetta, quand on ne change qu’une partie des bulletins : faire voter les absens et les morts n’a pas encore de nom, mais cela viendra quand cet usage se généralisera. Les présidens des sièges électoraux se permettent aussi parfois d’étranges licences. La chambre ayant annulé l’élection de Catane, pour cause de corruption électorale, on a procédé maintenant à une nouvelle élection, qui devait porter sur trois candidats. Or une partie des présidens a déclaré élus deux députés, l’autre a proclamé trois autres noms; ce qui fait que le collège électoral se trouve avoir cinq députés, au lieu des trois auxquels il a droit, jusqu’à ce que la chambre ait décidé quels sont les vrais élus.

Ces maux ont toujours été endémiques dans les provinces méridionales; mais depuis quelque temps ils commencent à infester le reste du pays. On a essayé d’y porter remède au moyen d’une loi punissant la corruption électorale. Ce ne sont pas les lois qui manquent en Italie, il y en a sur toute chose, c’est l’application qui est souvent en défaut. Les magistrats n’osent guère toucher à cette loi-ci, dans la crainte de s’y brûler les doigts. Oubliant cette prudente réserve, un préteur (sorte de juge en première instance), à Venise, crut de son devoir d’appliquer la loi à des pratiques mises en œuvre pour faire élire un député ami du gouvernement. Il fut déplacé, et cette punition rendra ses collègues plus sages. Il est, au reste, assez difficile de distinguer bien exactement les personnes auxquelles on pourrait impunément appliquer la loi, car l’adversaire de la veille peut être l’ami du lendemain; et tous les députés ne pratiquent pas les maximes de Louis XII, qui ne se rappelait plus les injures faites au duc d’Orléans.

Cette décadence du régime parlementaire, qui s’est produite surtout après l’année 1876, et qui depuis lors n’a cessé d’augmenter, impressionne vivement tous les bons esprits, et l’on a proposé plusieurs moyens de l’enrayer. Le marquis Alfieri, suivi en cela de plusieurs hommes politiques importans, aurait voulu renforcer l’action du sénat, comme contrepoids à la chambre des députés. Mais l’on conçoit aisément que celle-ci n’est nullement disposée à se dessaisir d’un pouvoir dont elle retire actuellement tant d’avantages, et le pays ne voit pas encore assez clairement les inconvéniens qui résultent des abus de ce pouvoir pour exiger qu’on y porte remède. En attendant, le mal s’accroît et s’étend tous les jours.

Un milieu ainsi constitué devait faire surgir l’homme qui en personnifierait les tendances. Ce fut Depretis. Esprit sceptique, ne s’embarrassant guère de principes ni de convictions, peu soucieux de la vérité, profond connaisseur des faiblesses, des convoitises, des vices des hommes, et sachant en tirer parti sans scrupules pour arriver à ses fins, d’une habileté consommée dans la stratégie parlementaire, prêt à suivre toute voie qui lui assurait la majorité, sauf à rebrousser chemin, dès que le vent venait à tourner, il jouit pendant les dernières années de sa vie de la dictature la plus absolue qui se puisse exercer dans un État parlementaire.

La désagrégation des partis n’était pas son œuvre. Au contraire, son pouvoir en était la conséquence ; mais ce même pouvoir servit à son tour à hâter l’accomplissement de l’œuvre de dissolution dont il était né. Cela s’observe souvent dans les phénomènes sociaux, et l’on voit des faits être à tour de rôle cause et effet et, réagissant les uns sur les autres, augmenter constamment d’intensité. La droite existait encore, au moins de nom. Depretis, par un long et patient travail, réussit à l’absorber dans sa majorité, avec les élémens les plus disparates de la gauche. Un seul lien devait cimenter l’union de ces hommes, hier encore d’opinions si différentes : la satisfaction des intérêts matériels qu’ils représentaient. Ce système reçut un nom, il fut appelé transformisme.

Au reste, Depretis promettait beaucoup et tenait le moins possible : un peu parce que toutes les ressources de l’État se trouvaient être insuffisantes en comparaison des convoitises qu’allumait le système transformiste ; un peu par calcul, sachant fort bien qu’il vaut mieux compter sur les intérêts des hommes que sur leur reconnaissance. On cite tel député qui attendit plusieurs années un ministère dont il avait la promesse, toujours au moment de l’atteindre, toujours remis au lendemain.

Pour faire approuver par la chambre les conventions des chemins de fer, Depretis promit deux mille kilomètres de nouvelles lignes. Il eut soin de les faire voter en bloc par le parlement, en laissant à une commission la charge de les répartir suivant les demandes qui en seraient faites. Ces demandes atteignirent le chiffre de six mille kilomètres ! Et Depretis sut de nouveau tirer parti de cette circonstance pour se créer des partisans, en faisant espérer son appui à chaque concurrent en particulier.

Pour obtenir le vote des députés napolitains, Depretis promit de faire exécuter entre Rome et Naples une nouvelle ligne de chemin de fer, fort inutile pour le pays. Pour une autre ligne, tout aussi inutile, celle d’Eboli-Reggio, laquelle traverse des contrées à peu près désertes, il y avait deux projets, et la majorité menaçait de se diviser sur cette question. Depretis vint à la chambre, annonçant en plaisantant qu’il ferait éclater une bombe. Et en effet, au milieu de la stupéfaction universelle, il propose et fait approuver qu’on construise les deux lignes ; contentant ainsi tout le monde... aux frais des contribuables.


I.

L’année 1887 vit le triomphe du système transformiste qui, tout en n’étant pas plus moral que celui tristement célèbre de Walpole, était bien plus coûteux; et en même temps elle vit se produire les premières difficultés financières qui en étaient la conséquence inévitable.

Depretis avait échoué avec son premier projet pour les conventions de chemins de fer, parce qu’il avait traité avec un seul groupe de banquiers. Mieux avisé une seconde fois, il sut y intéresser toutes les puissances financières italiennes, même de second ordre. II avait d’ailleurs à leur offrir d’autres spéculations. C’était d’abord celles qui consistaient à bâtir, dans les grandes villes, à y faire des embellissemens, surtout à Rome, à Naples et à Milan.

On vit alors se produire les faits que l’on observe généralement quand sévit la fièvre de l’agiotage. Les terrains à Rome atteignirent des prix insensés ; et l’on se mit à bâtir de tous côtés, sans songer à tenir compte des limites imposées par les besoins que pouvait avoir encore la population pour ses logemens. Les premiers constructeurs de maisons avaient été des gens sérieux, employant leurs capitaux. Mais bientôt ils firent place à une nouvelle couche d’entrepreneurs, le plus souvent sans son ni maille, vivant au jour le jour sans s’inquiéter du lendemain. Une anecdote à ce sujet est caractéristique. Un riche marchand de poutrelles en fer, à Rome, voit un jour se présenter à lui un cocher, qui l’avait quitté depuis quelques mois à peine. Il croit que c’était pour lui demander de rentrer à son service. Point, c’était pour lui acheter des poutrelles. De cocher il s’était fait constructeur, et sans avoir un sou vaillant, il construisait une grande maison !

Le procédé employé par ces gens était simple et ingénieux. Plusieurs banques avaient accaparé des terrains à Rome dans l’espoir de les revendre fort cher. Cela n’étant pas facile argent comptant, elles se contentaient de les vendre à crédit. Ce qui leur importait le plus, c’était de faire croire, au moins, qu’elles réussissaient dans leurs spéculations, et de pouvoir ainsi distribuer des dividendes, plus ou moins réels, pour soutenir le cours de leurs actions, voire même le faire hausser. Un individu se présentait à ces banques, et achetait un terrain. Il y mettait le prix qu’elles voulaient. Il s’en souciait peu, puisqu’il ne le payait pas. Au contraire, il se faisait encore prêter une petite somme pour commencer à bâtir sa maison, le vendeur étant garanti par une hypothèque sur le terrain. Quand la maison commençait à sortir de terre, le constructeur se faisait prêter, soit par la même banque, soit par une autre, une nouvelle somme, qu’il garantissait en hypothéquant l’étage déjà construit. Avec cette somme il construisait un autre étage, et continuant ainsi de suite, il achevait sa maison. Le vendeur portait à son actif le prix du terrain, il présentait de beaux bilans à ses actionnaires, auxquels il faisait observer que ses créances étaient des plus sûres, grâce à la garantie hypothécaire. Les banques, qui faisaient des prêts tout aussi sûrs, disaient-elles, faisaient payer 6 pour 100 d’intérêt, et 1 pour 100 de commission, grossissant ainsi, au moins en apparence, les bénéfices de leurs bilans. Quant au constructeur, il vivait des bribes de l’argent qu’il maniait, et il était fort rassuré sur l’avenir, car n’ayant rien, bien fin aurait été celui qui aurait pu lui prendre quelque chose. Les premiers constructeurs eurent même la chance de gagner. Tant que la fièvre de la spéculation fut dans sa phase ascendante, ils purent vendre dans de bonnes conditions leurs maisons, payer leurs créanciers, et se retirer avec quelque argent. Mais bientôt cette poussée des prix s’arrêta. Le plus grand nombre des constructeurs se trouva possesseur de maisons dont la vente était impossible, et dont les loyers étaient loin de couvrir les intérêts des sommes hypothéquées. La crise alors se déclara. Elle s’annonça dès la fin de l’année 1887, augmentant ensuite chaque jour d’intensité. Les entrepreneurs dont les maisons étaient inachevées durent en suspendre la construction, faute de pouvoir obtenir de nouveaux prêts. Les banques qui avaient vendu le terrain et celles qui avaient prêté pour y bâtir ne reçurent plus les intérêts de leurs capitaux. Les unes procédèrent à l’expropriation, en vertu de leurs droits d’hypothèques, et durent racheter les immeubles qui ne trouvaient pas d’acquéreurs. D’autres tâchèrent de s’arranger à l’amiable, pour éviter au moins les frais des enchères; bref, toutes se trouvèrent posséder des maisons dépréciées, qu’on ne pouvait vendre, si ce n’est à des prix dérisoires. Et ces maisons rapportaient : celles qu’on pouvait louer, une faible partie seulement de l’intérêt des capitaux qu’elles avaient coûté ; celles qui étaient inachevées, rien du tout. Ce fut un effondrement complet. Les actions de la Banque tibérine, par exemple, qui étaient cotées 600 francs en mars 1887, tombent à 35 francs en mars 1891. Celles de l’Esquilino, lesquelles valaient 294 francs en mars 1887, ne se paient plus que 2 francs en mars 1891.

Le groupe vénitien s’était trouvé exclu des conventions des chemins de fer. Il importait au ministère de ne pas se l’aliéner, les députés qui y avaient des attaches étant des plus fidèles de la majorité transformiste. On lui chercha donc une compensation, et il eut à ce titre les aciéries de Terni. Ce ne devait être qu’un premier pas ; les visées de ce groupe étaient beaucoup plus hautes, il voulait fonder avec l’argent des contribuables la grande industrie sidérurgique en Italie, et en demeurer maître. Après les aciéries de Terni, il devait avoir la concession de l’exploitation des mines de fer de l’île d’Elbe, et construire des hauts-fourneaux pour produire la fonte à Civita-Vecchia. Sous prétexte de protéger cette industrie, qui n’était pas encore née, le gouvernement mit sur la fonte un droit d’entrée de 10 francs par tonne, lequel est fiscal, en attendant le jour où il pourra devenir protecteur.

Nous verrons que ces faits, avec ceux que nous allons maintenant exposer, eurent une influence décisive sur l’orientation de la politique économique, et par suite aussi sur celle de la politique générale de l’Italie.

Les industriels s’agitaient pour obtenir des droits protecteurs; mais, abandonnés à leurs propres forces, ils n’auraient probablement abouti à rien, si le gouvernement ne les eût aidés. Depretis vit là une riche mine de convoitises à exploiter. Il ne songea même pas à s’enquérir quel effet une nouvelle politique douanière pouvait avoir sur l’avenir économique du pays. Le fond des questions lui importait peu. Il les jugeait surtout du point de vue de l’influence qu’elles pouvaient avoir pour lui assurer le pouvoir.

Le traité de commerce avec la France était le principal obstacle que rencontraient sur leur chemin les protectionnistes et les fondateurs de l’aciérie de Terni. On opposait sans cesse à leurs demandes la convenance pour l’Italie de pouvoir vendre ses produits en France, et en outre la crainte qu’une rupture commerciale entre les deux pays n’eût pour conséquence de fermer le marché financier français à l’Italie[2]. Celle-ci y avait eu recours jusqu’alors pour les capitaux fort importans dont elle avait eu besoin, et les essais qu’elle avait faits pour en obtenir de l’Angleterre et de l’Allemagne n’avaient pas été très heureux. Qu’adviendrait-il si son seul prêteur vraiment sérieux lui fermait ses guichets, et cela juste au moment où elle allait avoir le plus besoin d’argent, par suite des grandes immobilisations de capitaux qui avaient eu lieu pour transformer les cultures dans le midi de l’Italie, pour construire des chemins de fer, pour les spéculations des constructions dans les villes, et pour les dépenses toujours croissantes de l’Etat?

Les gens perspicaces voyaient poindre l’orage à l’horizon. Ils comprenaient que c’était plutôt le moment de chercher un abri, que de se jeter dans les aventures. Les désillusions de la politique de Depretis avaient déjà commencé à se produire. Il avait promis beaucoup plus qu’il n’aurait pu tenir, même s’il eût eu à sa disposition les ressources d’un pays bien plus riche que ne l’est l’Italie; le moment n’était pas loin où l’édifice laborieusement construit par lui allait crouler comme un château de cartes. Pour attirer à lui les députés du centre, Depretis avait fait l’expédition de Massouah; mais, comme toujours, les moyens qu’il avait employés étaient insuffisans pour le but à atteindre, et il en était résulté la défaite de Dogali. Sous cette impression on lui avait imposé comme collègue M. Crispi, qui se faisait fort d’augmenter les budgets de la guerre et de la marine autant qu’il était nécessaire pour faire de l’Italie une puissance militaire et maritime de premier ordre.

Quand on rencontre incessamment un obstacle sur son chemin, on finit par le prendre en aversion. C’est ce qui arriva à l’égard de la France aux personnes qui étaient intéressées à la protection douanière; et cela souvent même sans parti-pris, sans en avoir conscience, poussées seulement par le désir naturel d’écarter les objections qu’on leur opposait.

Si la France n’achetait plus les produits italiens, on trouverait aisément à les vendre ailleurs. Au reste, la France avait encore plus besoin d’acheter les vins et les soies de l’Italie, que celle-ci de les vendre. Les journaux qui défendaient les intérêts des industriels répétaient à l’envi qu’avec la protection douanière les Italiens se seraient enrichis, et qu’ils auraient pu boire eux-mêmes leur vin, ce qui valait bien mieux que de le vendre aux Français ! Et de telles insanités étaient commentées sur tous les tons et obtenaient créance même parmi les gens instruits. Le marché financier français se fermerait à l’Italie. Eh bien! tant mieux! L’Allemagne n’était-elle pas là, attendant avec impatience de pouvoir largement subvenir avec ses capitaux aux besoins de l’Italie ?

Ce mouvement, provoqué par des gens qui voulaient battre monnaie aux frais de leurs concitoyens, se rencontra avec un autre de nature exclusivement politique, lequel poussait alors l’Italie à s’engager de plus en plus avec l’Allemagne. Ce dernier était surtout l’œuvre des personnes que M. Jacini a si bien caractérisées en les appelant mégalomanes, que le nom leur en est resté. M. de Molinari avait déjà signalé cette tendance d’une partie de la bourgeoisie italienne dans son livre, les Lois naturelles de l’économie politique, et en avait peint les désastreuses conséquences économiques. Nous croyons pourtant que l’appréciation de M. Jacini est d’une portée beaucoup trop générale. La manie des grandeurs n’est pas au fond très répandue parmi les Italiens, lesquels ont souvent au contraire une simplicité de mœurs qu’il n’est pas facile de trouver dans d’autres pays. C’est surtout, et cela est fort différent, parmi les hommes politiques que sévit cette manie. Et pour parler plus exactement, il faudrait dire : parmi les politiciens.

La plupart des partisans de M. Crispi se moquaient souvent avec leurs amis de sa mégalomanie. Ils étaient liés à lui par leurs intérêts, et non par une communauté quelconque de principes. Aussi, quand, après sa chute, ils se furent bien persuadés que son retour au pouvoir n’était pas proche, l’abandonnèrent-ils sans la moindre hésitation. Et maintenant M. Crispi, devant lequel tous les fronts se courbaient, n’a plus vingt députés qui lui soient demeurés fidèles. Mais qu’un mouvement imprévu le porte de nouveau au ministère, et les députés qui l’ont abandonné se presseront encore en foule autour de lui, d’autant plus obséquieux en ce jour qu’ils étaient plus dédaigneux la veille.

Tous ces gens, au reste, ne forment qu’une faible minorité dans le pays. La grande masse de la population est honnête et laborieuse; seulement, elle n’a pas pour la chose publique l’intérêt qu’y prennent d’autres peuples, comme l’Anglais et même l’Allemand. Seule, la moitié des électeurs inscrits se soucie d’aller voter; en un mot, l’éducation politique manque encore.

Les deux mouvemens, l’un économique, l’autre politique, n’auraient probablement pas pu produire beaucoup d’effet, s’ils fussent demeurés isolés. Le bon sens des hommes pratiques se serait opposé aux entreprises des mégalomanes. Agriculteurs, industriels, commerçans, rentiers, ouvriers, tout ce qui, en somme, était en dehors de la classe des politiciens, auraient imposé un peu de modération à M. Crispi et à ses amis. De leur côté, les mégalomanes se seraient abstenus de mesures qui appauvrissaient le pays, dont ils avaient besoin de tirer les fortes sommes toujours nécessaires aux gens atteints de la manie des grandeurs. Ce ne fut qu’en réunissant leurs forces que les mégalomanes, les protectionnistes et les fournisseurs de la marine et de la guerre réussirent à entraîner le pays. Ils étaient parfaitement organisés, ils avaient de l’argent, ils disposaient des forces du gouvernement et de la presse ; et l’on s’explique aisément que, bien qu’en petit nombre, leur influence ait été prépondérante.

Certes, il y avait aussi des gens qui croyaient sincèrement contribuer à la grandeur de leur pays en le poussant à se rapprocher de l’Allemagne ; les uns par crainte d’une tentative de la France pour rétablir le pouvoir temporel du pape ; d’autres effrayés par le danger que la Méditerranée devînt un lac français. Il n’y a, au fond, rien d’impossible en politique. On peut se forger telle chimère qu’on veut, sans crainte qu’elle puisse être démentie d’une façon absolue. Seulement, les peuples, comme les individus, doivent se conduire, non suivant ce qui est purement possible, mais suivant ce qui est probable. Or il faut bien avouer que ces craintes n’ont jamais eu de fondement sérieux. Enfin, il y avait aussi des personnes qui croyaient qu’on n’en arriverait pas à une rupture commerciale avec la France, et que celle-ci devrait céder. Les mouvemens de l’opinion publique sont souvent contagieux, et ils égarent même les bons esprits. On est surpris en voyant un homme aussi intelligent et d’un esprit aussi cultivé que M. Luzzatti se bercer d’illusions au point de se persuader que la France aurait dû en passer par ce que voulait l’Italie pour renouveler le traité de commerce. Peut-être cet homme d’État a-t-il été induit en erreur par sa compétence même en matière de douanes. N’ayant pas l’énergie nécessaire pour résister au courant et pour demeurer dans l’opposition, il espérait, en jouant au plus fin, battre les négociateurs français qu’on lui opposerait. Et il croyait en outre avoir une arme très forte en main : la nécessité, qu’il supposait absolue pour la France, d’importer les vins et les soies de l’Italie. C’est dans ce même ordre d’idées qu’est conçue la communication faite le 5 avril 1888 au gouvernement français par l’ambassadeur d’Italie à Paris. Le gouvernement italien, disait-il, était obligé de répéter qu’il n’avait jamais admis la possibilité d’un retour pur et simple au traité de commerce du 3 novembre 1881, ni d’arrangemens qui auraient été équivalens à cette solution.

Mais en cette occasion M. Luzzatti a pour excuse son erreur même. Il était peut-être, parmi les hommes politiques qui traitaient avec la France, le seul ayant vraiment l’intention de conclure un nouveau traité. Il est vrai que M. Luzzatti ne sut pas prévoir les maux que le nouveau tarif douanier, dont il était le principal auteur, ferait fondre sur l’Italie. Mais, au moins, si d’autres ne se doutaient pas ou ne voulaient pas tenir compte des dangers qu’allait faire courir à l’Italie une rupture commerciale et financière avec la France, M. Luzzatti les voyait, et il espérait manœuvrer assez habilement pour les éviter. Même quand il eut échoué, il était persuadé que la faute en était exclusivement à la visite de M. Crispi à Friedrichsruhe, laquelle avait eu lieu juste au moment où les négociateurs italiens traitaient avec les négociateurs français.

Quant à M. Crispi, il est évident, ne fût-ce que par cette circonstance, qu’il n’avait nulle envie de renouveler le traité de commerce avec la France. Au reste, on a tout lieu de croire que des hautes régions de la politique où il plane, les questions économiques n’ont guère d’importance à ses yeux. Il paraît toujours persuadé que la prospérité économique et financière de l’Italie s’est accrue depuis son alliance avec l’Allemagne ; tout récemment encore, cela était répété dans un article qu’il a publié dans une revue anglaise. On demeure confondu en présence d’un pareil aveuglement. Et l’action des hommes d’État jetant leur pays dans l’alliance allemande, et provoquant ainsi en Italie une crise économique qui est loin de toucher à sa fin demeurerait inexplicable, si l’on n’avait vu quelles passions s’agitaient autour d’eux, de quels intérêts ils furent les instrumens, quelquefois inconsciens, et quels sentimens, les uns des plus respectables, les autres, moins avouables, de convoitise et de cupidité, contribuèrent à former le courant qui entraîna l’opinion publique.

Nous allons maintenant tâcher de préciser avec des chiffres ce que l’état économique de l’Italie est ainsi devenu.


II.

Il est d’usage de commencer l’étude des conditions économiques d’un pays par l’examen de l’état de sa population[3]. Cela est justifié par la considération que le mouvement de la population dépend de toutes les forces économiques qui agissent sur la nation, et qu’il résume leurs effets.

Le recensement, en Italie, se fait tous les dix ans. Le dernier ayant eu lieu le 31 décembre 1881, un nouveau devait se faire à la fin de 1891 ; mais le gouvernement l’a remis à une époque indéterminée, pour faire une économie vraiment mesquine, et qui n’est guère digne d’un peuple civilisé.

En se fondant sur le recensement de 1881, lequel a donné le chiffre de 28,459,628 habitans, ajoutant le nombre des naissances et déduisant celui des morts, on arriverait, pour la fin de 1890, à une population de plus de 31 millions d’âmes. Mais en tenant compte de l’émigration, que l’on ne connaît pas très exactement, M. Bodio, directeur général de la statistique italienne, croit que ce nombre doit être réduit à 30 millions à peu près.

Le mouvement de la population, dans les trois années qui suivirent le recensement de 1871, comparé au mouvement observé pendant une même période après le recensement de 1881, présente, pour la mortalité, une diminution assez considérable, qui est une conséquence de l’amélioration des conditions hygiéniques du pays. Et l’on a tout lieu de croire que, depuis cette époque, de nouveaux progrès en ce sens ont eu lieu[4]. La mortalité des enfans est assez considérable en Italie. On peut, au point de vue économique, regarder comme perdues pour le pays les sommes dépensées pour élever des enfans qui meurent avant l’âge où ils se trouveraient en mesure de produire par leur travail plus qu’ils ne consomment. Cet âge est variable ; mais on peut, en moyenne, le fixer approximativement à dix-huit ans. Or, pour avoir 100 individus de dix-huit ans, il fallait en Italie 185 naissances en 1871, et seulement 178 en 1881. Malgré ce progrès, l’Italie demeure bien inférieure à l’Angleterre, où, en 1881, ce nombre de naissances était de 140 ; à la France, où il était de 144 ; à la Prusse, à la Belgique, à la Suisse, à la Suède, à la Norvège.

La mortalité totale, en Italie, est aussi assez forte. Si l’on prend la moyenne de la mortalité pour les années 1887, 1888, 1889, on trouve 269 morts pour 10,000 habitans en Italie, et seulement 179 en Angleterre. La France occupe une position intermédiaire, avec un chiffre de 214 morts pour 10,000 habitans.

Ce sont surtout les maladies épidémiques, conséquence des mauvaises conditions hygiéniques du pays[5], qui augmentent la mortalité en Italie. On s’en convaincra aisément en comparant la mortalité produite par la rougeole, la scarlatine, la variole, la diphtérie, la fièvre typhoïde et la fièvre paludéenne, en Italie, où elle est de 37 pour 10,000 habitans, et en Angleterre, où elle est seulement de 11[6].

La propagation de la fièvre typhoïde, par une mauvaise eau potable chargée de microbes, est bien connue. On l’observe chaque année à Paris, quand on distribue l’eau de la Seine. En 1890, une épidémie de cette maladie, à Florence, a eu pour cause la mauvaise qualité de l’eau et la négligence avec laquelle les aqueducs étaient entretenus. Naples nous fournit un exemple, en sens inverse, fort remarquable. Depuis qu’on a amené dans cette ville une eau excellente, celle du Serino, la mortalité causée par la fièvre typhoïde a diminué avec une régularité parfaite, à mesure que croissait la quantité d’eau du Serino distribuée aux habitans[7].

La Caisse des dépôts et consignations fait des prêts aux communes qui ont à accomplir des travaux dans l’intérêt de l’hygiène, mais il n’est pas sûr que l’argent ainsi obtenu soit toujours employé exclusivement dans ce dessein[8]. Naples, qui a obtenu des subsides du gouvernement pour assainir la ville, a dépensé de fortes sommes pour faire une place devant le palais municipal, une galerie monumentale, et beaucoup d’autres travaux semblables, qui n’ont qu’un rapport fort éloigné avec l’hygiène.

L’instruction élémentaire a fait d’assez grands progrès en Italie. En 1866, il y avait 60 hommes et 79 femmes pour 100 qui n’ont pas pu signer leur contrat de mariage, et, en 1889, ces proportions se réduisent à 41 pour les hommes et à 60 pour les femmes. L’Italie demeure pourtant bien inférieure, sous le rapport de l’instruction élémentaire, à la plupart des États civilisés de l’Europe[9], et le défaut d’instruction technique pèse lourdement sur le développement de la production industrielle.

Les dépenses totales de l’Italie (État, provinces, communes) pour l’instruction élémentaire étaient de 54 millions en 1887, tandis que la France dépensait alors 173 millions[10]. Il est permis de croire que l’Italie aurait été plus sage si elle avait songé à mieux instruire sa population avant de jeter son argent dans le gouffre des armemens imposés par la triple alliance.

L’émigration se distingue en temporaire et en permanente. L’émigration temporaire est surtout composée de terrassiers, de maçons, de tailleurs de pierre, qui vont chercher de l’ouvrage à l’étranger. Ils partent généralement au printemps et reviennent au commencement de l’hiver. Ils vont en France, en Suisse, en Autriche, et maintenant aussi en Grèce et dans les États des Balkans. L’émigration permanente se dirige principalement vers l’Amérique.

Les chiffres de l’émigration donnés par la statistique ne sont pas, en général, très exacts[11]. Une cause spéciale d’inexactitude pour l’Italie est que, pour échapper aux vexations de la police, beaucoup d’émigrans déclarent s’absenter temporairement pour aller chercher de l’ouvrage à l’étranger; quand ils ont pu passer la frontière, ils s’embarquent pour l’Amérique et ne reviennent plus. Il est utile de comparer les chiffres de la statistique italienne avec ceux que nous fournissent les statistiques étrangères pour les ports d’arrivée des émigrans, et M. Bodio pense que le vrai chiffre doit être compris entre ces deux limites.

La crise économique dont souffre l’Italie est accusée fort nettement par l’augmentation considérable du nombre des émigrans.

La moyenne annuelle de l’émigration permanente est de 73,000 de 1884 à 1886; elle devient de 135,000 pour la période de 1887 à 1890[12]. Quant à l’émigration temporaire, on a respectivement 84,000 pour la moyenne annuelle de 1884 à 1886, et 100,000 de 1887 à 1890[13].

Le gouvernement met tout en œuvre pour empêcher les Italiens d’abandonner leur pays. Sous prétexte de les protéger, on a fait une loi qui édicté des peines sévères contre toute personne conseillant l’émigration sans avoir une patente du gouvernement. On ne laisse pas partir les émigrans jusqu’à ce qu’ils aient passé quarante ans, en alléguant qu’ils doivent encore le service militaire. Après que le Brésil eut proclamé la république, le gouvernement italien défendit pendant plusieurs mois d’émigrer dans ce pays ; on n’a jamais su au juste pour quelle raison. Les journaux officieux publient de temps en temps des descriptions navrantes de la misère qui, selon eux, attend les émigrans italiens à l’étranger. Rien n’y fait, ni les tracasseries de la police, ni les menaces, ni la persuasion. Le nombre des émigrans augmente toujours; on a vu des villages, en Vénétie, se dépeupler presque entièrement. Hommes, femmes, enfans, tout le monde part. Si on les empêche de s’embarquer à Gênes, ils s’échappent clandestinement, et s’embarquent à Marseille, à Bordeaux, ou dans d’autres ports. C’est qu’il n’est pas aussi facile à notre époque, avec les chemins de fer et les bateaux à vapeur, d’attacher le cultivateur à la glèbe, comme on pouvait le faire au moyen âge, et tous les obstacles que met le gouvernement à l’émigration n’ont d’autre effet que de nuire aux compagnies italiennes de transports maritimes. Quand on parle à ces malheureux émigrans de la misère qui peut-être les attend en Amérique, ils répondent : « Ici nous mourons de faim, que peut-il nous arriver de pire là-bas? »

C’est peut-être parce que les maux qu’endure l’Italie ne sont pas assez connus qu’il se trouve encore des hommes d’un esprit droit et humanitaire qui approuvent ou excusent une politique dont le résultat le plus clair est de faire plier le peuple sous le faix d’impôts insupportables. Si, par exemple, M. Gladstone, qui a tant fait pour l’Italie, pouvait passer quelques heures à interroger les malheureux émigrans qui, hâves et défaits, se pressent sur les quais du port de Gênes, si ce sincère ami de l’Italie entendait ces pauvres familles raconter par quelles épreuves elles ont passé, quelles souffrances elles ont supportées avant de se décider à quitter leur patrie, il ne donnerait probablement plus à la triple alliance une approbation aussi entière que celle qu’on lui prête.

Examinons maintenant l’état et l’importance des productions de l’Italie. Les principales de ces productions sont, on le sait, celle de l’agriculture et des industries qui en dépendent directement.

Il n’est pas facile d’avoir des chiffres exacts des productions agricoles. Les vrais statisticiens, comme M. de Foville et M. Bodio, font d’amples réserves à ce sujet[14], mais faute de mieux, on peut citer ces chiffres, en remarquant qu’ils ne sont que grossièrement approchés.

La production du froment en Italie a été de 47 millions d’hectolitres en 1890[15]. Comme terme de comparaison, il est utile de rappeler qu’en France, sauf l’année 1888, qui a donné seulement 99 millions d’hectolitres, on a eu de 1884 à 1889 une production qui s’éloigne peu de la moyenne annuelle de 110 millions d’hectolitres. Ajoutons qu’en Italie la production du froment est de 10 à 11 hectolitres par hectare, tandis qu’en France elle atteint 15 à 16 hectolitres.

L’Italie produit du vin en abondance, un peu plus que ce qu’en produit la France, depuis les ravages du phylloxéra[16]. Il n’y a, bien entendu, rien de comparable en Italie aux grands crus français. Seul le vin de Toscane est un bon vin de table, d’un type se rapprochant de ceux que produit la France. D’autres crus, comme le Genzano (province de Rome), le Barolo, le Capri, ne sont pas sans mérites. Enfin tout le monde connaît le Marsala, comme vin de liqueur.

Les vins du midi de l’Italie sont surtout des vins de coupage; on en exportait beaucoup en France, avant la rupture du traité de commerce : 1,850,000 hectolitres en 1886 et 2,783,000 en 1887[17]. Cette production enrichissait surtout les Fouilles et la Sicile. L’on fit alors de grandes dépenses pour transformer les cultures et planter la vigne, et l’on obtint de beaux bénéfices. Tout cela maintenant a bien changé ! L’exportation pour la France est tombée à 19,000 hectolitres en 1890 : un peu plus d’un centième de ce qu’elle était en 1886, et la prospérité a fait place à la misère.

Le ministre de l’agriculture a dit, pour nous consoler, dans un récent discours à Naples, qu’il fallait tenir compte de ce que l’exportation du vin pour la Suisse avait doublé. Il est vrai, en effet, qu’elle a augmenté de 133,000 hectolitres de 1886 à 1890, mais c’est là une bien maigre compensation pour les 1,831,000 hectolitres, perdus du côté de la France[18].

Au reste, si nous prenons les chiffres de l’exportation totale du vin en futailles de l’Italie, nous trouvons 2,331,000 hectolitres en 1886, 3,582,000 en 1887 et seulement 904,000 en 1890. Ces faits réduisent à néant toutes les compensations imaginées par les gens qui veulent à tout prix faire croire que l’Italie n’a eu qu’à se louer des résultats de sa nouvelle politique.

Pour tâcher de masquer les maux trop réels dont souffrait le pays, le gouvernement accorda en août 1888 une prime déguisée pour l’exportation des vins. Il fixa, pour cela, à 11 degrés la force alcoolique naturelle des vins des Fouilles, et promit de payer aux exportateurs 1 fr. 62 par degré en plus et par hectolitre, à titre de remboursement de la taxe de l’alcool, qu’il supposait avoir été ajoutée. Or, comme la force alcoolique des vins des Fouilles est généralement de 13 degrés, et quelquefois de 15, il n’y avait nul besoin d’ajouter de l’alcool pour toucher la prime, et l’État dépensait ainsi près de 4 millions par an. La nécessité de faire des économies sur le budget obligea de revenir sur ces dispositions. Elles furent révoquées le 8 novembre 1889, puis de nouveau remises en vigueur par une loi du 10 mai 1890, mais en fixant à 1 million 300,000 francs la somme maxima qu’aurait à payer le trésor pour ces primes. Tout cela n’a servi de rien pour encourager le commerce, et n’a fait que créer de nouveaux abus, en étendant le champ où s’exercent les sollicitations des députés[19].

La France a trouvé facilement à remplacer la quantité de vin qu’elle tirait de l’Italie ; elle l’a reçue de l’Espagne, du Portugal et surtout de l’Algérie, et sans faire de grands sacrifices de prix[20].

La production de l’huile en Italie a un peu diminué ces dernières années[21]. Il paraît que la mosca olearia a fait des ravages extraordinaires. L’exportation de l’huile a été réduite dans de fortes proportions. De 648,000 quintaux métriques en 1886, elle tombe à 378 en 1890.

La soie est une des principales productions de l’Italie. Les organsins (sorte de soie torse) du Piémont n’ont pas de rivaux dans le monde entier. Tous les produits de la filature des cocons sont appréciés.

Cette industrie a aussi beaucoup souffert de la rupture du traité de commerce avec la France. Voici comment s’expriment à ce sujet les associations séricicoles de Milan et de Turin, dans un rapport officiel publié tout récemment. « La rupture des relations commerciales entre la France et l’Italie fut aussi utile à la concurrence asiatique qu’elle fut nuisible à l’industrie de la filature en Italie. Les fabriques françaises substituèrent aux soies italiennes celles de Brousse, de Syrie, et celles de la Chine et du Japon, où, en adoptant les systèmes de filature européens, on a su perfectionner la qualité des produits au point de la rendre égale à celle des nôtres. »

L’Italie n’est pas un pays industriel ; mais ce n’est pas seulement, comme on le répète souvent, parce qu’elle manque de charbon de terre. L’exemple de la Suisse prouve que ce ne serait pas là un obstacle insurmontable, excepté pour certaines industries métallurgiques. Ce qui nuit surtout à l’Italie, c’est d’un côté ses impôts vraiment excessifs, et de l’autre, le fait que le gouvernement s’est mêlé de vouloir protéger certaines industries qui n’avaient aucun élément de succès dans le pays, et que, pour atteindre ce but, il en a sacrifié d’autres, comme par exemple celle de la soie, qui auraient pu, au contraire, se développer naturellement.

On a fait le calcul de ce que paie une famille d’artisans italiens pour les impôts et pour le renchérissement des objets de consommation qui est une conséquence de la protection douanière, et de ce que paie une famille anglaise. L’on a trouvé pour la première 23,9 pour 190 de sa dépense, et pour la seconde seulement 4,8 pour 100[22].

Cette énorme différence pourrait à elle seule suffire pour expliquer les difficultés que rencontre l’industrie en Italie. M. L’ingénieur Chiazzari a fait voir que la différence des prix de la houille pour les grands ateliers de construction de machines à San Pier d’Arena, en comparaison de ce que paient d’autres ateliers semblables situés dans des pays producteurs de charbon de terre, n’entraîne qu’une surcharge qu’on peut évaluer à 4 pour 100 du total de la dépense en main-d’œuvre. Beaucoup moins, comme on voit, que la surcharge dont se trouve grevée cette même main-d’œuvre par les impôts et par la protection.

Il ne faut pas non plus perdre de vue que l’ouvrier mal nourri travaille peu et fait souvent mal son ouvrage. On a fait à ce sujet des observations décisives dans plusieurs pays.

Les impôts italiens grèvent surtout les consommations de première nécessité. Par exemple, l’impôt sur le sel est énorme. Le gouvernement, qui a le monopole de la vente du sel, fait payer le sel gemme soixante centimes le kilogramme, et soixante-seize centimes le sel raffiné[23] ! Une anecdote à ce sujet en dira plus long que tous les raisonnemens. La petite fille d’un paysan venait souvent jouer avec les enfans d’un riche Français qui possède une villa dans les environs de Florence. Quand elle s’en allait, on lui bourrait ses poches de friandises. Un jour elle se hasarda timidement à demander qu’on lui donnât du sel au lieu de bonbons, car, disait-elle, la mère par économie ne mettait pas de sel dans la soupe, qui ainsi était fort mauvaise ! Dans la Vénétie, si les enfans peuvent s’introduire dans une cuisine où il y ait du sel et du sucre, ils mangent plus volontiers du premier que du second. Au reste, la consommation de sel par habitant est de 8 kil. 4 en France, et seulement de 7 kilogrammes en Italie. Cette petite différence dans la moyenne de la consommation représente une somme énorme de souffrance pour le peuple[24].

L’impôt n’atteint pas seulement les consommations de l’ouvrier, il grève encore sous plus d’une forme directement l’industrie. M. L’ingénieur Cottrau, qui a longtemps dirigé une grande usine de constructions métalliques à Castellamare, a publié des documens qui font voir que les usines italiennes paient des impôts de beaucoup supérieurs à ceux qui grèvent les usines belges qui leur font concurrence. Il se plaint aussi que son industrie ait été sacrifiée à celle de la fabrication du fer, laquelle n’a en Italie aucune chance de pouvoir prospérer[25].

Outre les industries de la construction des ponts et des toitures métalliques, des machines, des wagons, etc., il y en a d’autres qui pourraient se développer dans de bonnes conditions en Italie. La principale est certainement celle de la soie, mais il y en a aussi beaucoup d’importance secondaire, comme l’industrie de la paille, des coraux, des verreries de Venise, des brosses[26], des allumettes, des meubles sculptés, des faïences artistiques, etc. On achète à Florence des meubles sculptés pour des prix minimes; dans la même ville, les faïences de Cantagalli sont du meilleur goût et très bon marché, ce qui fait qu’elles s’exportent largement. Tout le monde connaît les mosaïques de Florence et de Rome, les bijoux imités de l’antique, etc. Ce sont ces industries qu’on aurait dû laisser se développer, au lieu de les surcharger d’impôts pour favoriser les gens qui plaisaient au gouvernement. Parmi les obstacles à la production en Italie on doit aussi faire mention de l’intérêt élevé des capitaux. L’État absorbant le capital à mesure qu’il se forme, le loyer de ce qui en reste est assez cher. Que l’on compare seulement l’escompte qui, en Italie, est à 6 pour 100[27], avec celui de la Banque de France, lequel est à 3 pour 100, et ce simple fait suffira pour rendre compte de bien des difficultés que rencontrent non-seulement le développement de l’industrie[28], mais aussi l’amélioration de l’agriculture, et sa transformation par les procédés de la culture intensive.

Si nous examinons maintenant l’ensemble des faits dont nous avons exposé le détail, nous allons voir se confirmer les conclusions qui se dégagent déjà de cette étude.

Le commerce d’un pays se divise en deux grandes branches, le commerce extérieur et le commerce intérieur.

Pour le commerce extérieur, la statistique des douanes nous donne des chiffres assez approchés. Si l’on examine un tableau de la valeur des importations et de celle des exportations annuelles de l’Italie, une chose frappe tout d’abord. La valeur des exportations, laquelle depuis 1877 se maintenait au-dessus d’un milliard[29], sauf une année où elle est inférieure de 50 millions, éprouve à partir de 1887 une dépression subite, qui dure jusqu’à présent, et en 1890 la valeur des exportations tombe à 896 millions.

La première idée qui se présente à l’esprit est qu’il s’agit là d’une de ces crises générales comme le commerce en éprouve périodiquement. Et en effet c’est ce que disait à la chambre M. Crispi. Malheureusement les faits sont absolument contraires à cette hypothèse. Pour toutes les grandes nations commerciales de l’Europe, et même pour une partie de celles de moindre importance, nous trouvons des augmentations, souvent fort considérables, du mouvement du commerce extérieur pendant ces trois dernières années. De 1886 à 1890 l’augmentation de la valeur des exportations françaises est d’environ un demi-milliard, cette augmentation pour l’Angleterre est supérieure à 1 milliard[30], plus du total des exportations Italiennes! L’Allemagne, la Belgique, la Suisse, même l’Espagne, l’Autriche-Hongrie, la Roumanie, la Bulgarie ont vu la valeur de leurs exportations augmenter. Seule l’Italie fait exception à ce mouvement général, et voit la valeur de ses exportations diminuer considérablement.

M. Luzzatti, qui fut rapporteur du projet de loi pour approuver le nouveau tarif douanier, disait vouloir développer les exportations de l’Italie, ou au moins diminuer la différence qui existait entre leur valeur et celle des importations. Or la réduction se trouve être proportionnellement plus forte sur la valeur des exportations que sur celle des importations. C’est donc un résultat précisément contraire à celui que se proposait M. Luzzatti qui a été atteint[31].

On a prétendu que cette diminution de l’importation était un bienfait pour l’Italie ; puisque, dit-on, c’est la production indigène qui s’est substituée à la production étrangère. Cela est vrai en partie, mais pour une autre partie, c’est l’appauvrissement du pays qui en est cause. En effet, l’importation du café a diminué. Où est la production indigène qui peut avoir compensé la différence? La consommation des étoffes de laine a diminué, comme on le constate en réunissant ensemble l’importation et la production indigène[32]. Enfin ce qui est encore plus grave, la consommation du froment a diminué aussi, comme l’a fait voir M. le professeur Mazzola[33], et comme on peut facilement le vérifier. Combien de belles théories s’évanouissent mises en présence des faits !

Il faut encore observer que toutes ces consommations étaient déjà assez faibles ; ce qui dénote la pauvreté du pays[34].

Le commerce intérieur est beaucoup plus difficile à mesurer que le commerce extérieur ; on peut néanmoins en avoir une idée, en prenant pour base le trafic des chemins de fer.

Si nous considérons d’abord l’ensemble du réseau du pays, nous trouvons une diminution assez sensible du produit brut par kilomètre pour ces trois dernières années, tandis qu’au contraire nous constatons une augmentation considérable pour l’Angleterre, et une moindre pour la France. Mais on pourrait objecter à cela que ce fait dépend peut-être de ce qu’en Italie le réseau des chemins de fer s’est augmenté de lignes moins productives. Il est facile de lever cette objection en ne comparant que le produit brut kilométrique d’anciennes lignes de chemins de fer, et l’on constate une diminution pour l’Italie, une augmentation pour la France, l’Angleterre, l’Allemagne, la Belgique, la Suisse, l’Espagne[35].


III.

L’Italie possède six banques d’émission, qui sont, par ordre croissant d’importance : la Banque toscane de crédit, le Banco de Sicile, la Banque romaine, la Banque toscane, le Banco de Naples, la Banque nationale.

La Banque toscane de crédit est la plus petite, mais la mieux administrée de toutes. Elle est comme ces personnes modestes qui ne font jamais parler d’elles. On n’en saurait dire autant de la Banque romaine, dont le gouvernement s’occupe beaucoup. Cette banque a en circulation une quantité de billets supérieure à celle que le public est disposé à accepter, et elle a ainsi de continuelles difficultés pour le change de ses billets. On a prétendu que ces difficultés avaient seulement pour cause le peu d’étendue du territoire dans lequel opère la Banque romaine ; mais cela est démenti par l’exemple de la Banque toscane de crédit, qui opère dans un territoire encore plus restreint, et qui ne souffre pourtant pas des inconvéniens dont se plaint la Banque romaine. Celle-ci les aurait aussi évités si elle n’avait pas immobilisé la plus grande partie de ses ressources pour aider des entreprises amies, ou protégées par le gouvernement.

Au 31 décembre 1890 la Banque romaine avait 3,755,000 francs de crédits hypothécaires, et la Banque toscane de crédit, zéro. La première avait 7,254,000 francs de débiteurs divers, et la seconde rien du tout. La Banque romaine accuse 4,006,000 francs d’effets en souffrance, et la Banque toscane de crédit seulement 25,000[36]. Il faudrait voir aussi comment sont composés les portefeuilles, et les comptes courans actifs ; mais sur ces points, très importans, les renseignement officiels manquent.

La Banque toscane a eu des hauts et des bas. Elle aussi a immobilisé une trop grande partie de ses capitaux ; mais depuis quelque temps elle tient une conduite plus sage, et sa situation s’est fort améliorée.

Le Banco de Sicile et le Banco de Naples présentent cette particularité remarquable qu’ils n’ont pas d’actionnaires.

L’origine de ces banques se trouve dans sept instituts (banchi) dont le premier fut fondé à Naples en 1540 et le dernier en 1640. Leur objet principal, excepté pour le dernier[37], était la bienfaisance, en faisant des prêts, d’abord gratuits, et ensuite à intérêt. Sur ce service vinrent bientôt s’en greffer d’autres. Ces instituts recevaient des dépôts de monnaies et de métaux précieux en donnant en échange de certificats dont la propriété se transmettait par endossement comme celle des chèques modernes, et qui devinrent bientôt un des moyens les plus sûrs et des plus commodes pour effectuer les paiemens[38].

L’histoire des rapports de ces banchi avec les gouvernemens qui se succédèrent à Naples n’est qu’une longue suite de faits honteux d’appropriations, disons le mot : de vols, que commettaient les gouvernemens pour se procurer de l’argent. Les vice-rois espagnols n’avaient guère été scrupuleux, mais le gouvernement de Ferdinand IV fit bien pis. En 1796, il mit la main sans scrupules sur les dépôts des particuliers, et ensuite, s’enfuyant en Sicile, il emporta la caisse même de ces banchi!

Quand Ferdinand IV revint de Sicile, après la chute de Napoléon, il s’appliqua à reconstituer les banchi, et il les fondit en un institut unique, dont il se servit comme tous les gouvernemens se servent des banques d’État.

Le décret du 12 décembre 1816 institua le Banco des Deux-Siciles, avec deux caisses, l’une dite des particuliers, l’autre de la cour. Dans la première on recevait les dépôts des particuliers, et l’on s’en servait pour faire des prêts sur gages. On restitua à cette caisse, comme garantie des dépôts, ce qui restait des propriétés des anciens banchi. La caisse de la cour devait recevoir les impôts et exécuter les paiemens pour compte du gouvernement, mais on y recevait aussi les dépôts des particuliers. Elle eut ensuite comme annexe une caisse d’escompte. Les certificats (fedi di credito) qu’elle émettait pour le compte du trésor constituaient une vraie circulation de papier-monnaie, qui ne se distinguait pas de la circulation des certificats représentant les sommes effectivement versées par les particuliers. En réalité, la séparation qu’on avait voulu établir entre les deux caisses de la cour et des particuliers n’existait pas. Ces deux caisses n’en formaient qu’une, qui était au service du gouvernement.

Un décret du 7 avril 1843 fonda des caisses succursales à Palerme et à Messine, lesquelles, devenues autonomes par les décrets du 27 septembre 1849 et du 15 août 1850, furent l’origine du Banco de Sicile.

Quand le royaume d’Italie fut constitué, le Banco de Naples et celui de Sicile eurent leurs administrations réorganisées, et séparées de celle de l’État. Les membres du conseil d’administration du Banco de Naples sont élus par des chambres de commerce, des conseils provinciaux, communaux, etc.

L’État n’a malheureusement pas cessé d’exercer, au moins indirectement, son influence sur ces banques, et l’on ne saurait affirmer que son action ait toujours contribué à leur donner une bonne administration.

Si les archives du Banco de Naples avaient conservé trace de certaines opérations d’escompte, et qu’elles livrassent leur secret, ces révélations pourraient être bien autrement compromettantes pour le monde parlementaire que ne le furent pour la monarchie absolue les papiers de l’armoire de fer de Louis XVI. Mais même en dehors de cela, les faits qui sont publics suffisent amplement pour condamner l’intervention de l’État dans ces banques. La composition de leurs conseils d’administration, le manque d’actionnaires et du contrôle qu’ils pourraient exercer, tout concourt à augmenter le désordre. Le gouvernement a fait faire une enquête, mais il n’en publie pas les résultats, jugeant probablement qu’il serait imprudent de soulever certains voiles. Il y eut un moment, il est vrai, où l’on put croire que le Banco de Naples allait entrer dans une meilleure voie ; ce fut sous l’administration du comte Giusso. Mais celui-ci dut bientôt résigner ses fonctions, car sa rigide probité ne pouvait convenir à tout le monde, et il n’était pas assez souple pour M. Crispi, qui désirait avoir des instrumens plus dociles.

Le Banco de Naples accuse 16 millions d’effets en souffrance au 31 décembre 1890; mais c’est peut-être là le moindre mal de son bilan. Quant au Banco de Sicile, il a eu de grandes pertes et a traversé d’étranges péripéties qui ont largement défrayé la chronique des journaux. Il y a même eu des incidens dramatiques, comme celui du vol des documens confidentiels adressés par le gouverneur de cette banque au ministre. Heureusement il paraît que maintenant le Banco de Sicile jouit d’une meilleure administration.

La Banque nationale est la plus importante, et, après la Banque toscane de crédit, la mieux administrée des banques d’émission italiennes. Malheureusement, dans ces dernières années, elle s’est mise à la remorque du gouvernement, espérant, à force de complaisance, obtenir le monopole de l’émission des billets de banque. Elle avait la promesse de M. Crispi, mais il tomba avant d’avoir pu exécuter ses projets, et il ne resta à la Banque nationale que les charges dont elle avait grevé son budget pour courir après ce leurre.

M. Crispi ne voulait pas, ne pouvait pas admettre qu’une politique aussi parfaite que la sienne pût produire une crise économique dans le pays. Les journaux officieux disaient que la baisse des valeurs à la Bourse n’était due qu’à de coupables manœuvres. Pour les déjouer, on défendit de crier les cours des titres à la Bourse de Rome, on emprisonna à Turin un agent de change, dont les cliens, paraît-il, vendaient beaucoup plus de titres qu’ils n’en achetaient. Enfin, quelques correspondans de journaux s’étant permis de ne pas voir en rose l’avenir économique de l’Italie, M. Crispi les fit expulser manu militari.

Ces mesures sages et énergiques n’ayant produit aucun effet, et la baisse des titres ayant continué dans de fortes proportions, il n’est peut-être pas téméraire de supposer qu’elle avait des causes plus réelles que celles que lui assignait M. Crispi.

Or pour empêcher qu’une supposition aussi pernicieuse se répandît dans le pays, il était nécessaire d’éviter certaines faillites par trop importantes; car ce sont là des faits qu’il est malaisé et même impossible de nier. Il est d’ailleurs facile d’être généreux quand, pour cela, on n’a qu’à créer du papier-monnaie. La Banque nationale fut invitée à en imprimer pour 50 millions, qu’on distribua à des établissemens turinois. D’autres occasions semblables permirent au gouvernement d’étendre ses bienfaits à aussi peu de frais; et, depuis ce temps, les bilans officiels que publie la Banque nationale portent au chiffre de la circulation la singulière note que voici : « A déduire, 69,151,525 francs, qui représentent: billets de la Banque romaine dans les caisses de la Banque nationale, 15,401,525 francs; avance faite à la province de Cagliari, 3,750,000 francs, et circulation extraordinaire en faveur des établissemens turinois, 50 millions. »

On a voulu établir une analogie entre cette manière de procéder et les interventions de la Banque d’Angleterre et de la Banque de France dans des crises récentes. Mais ce sont là des choses essentiellement différentes. D’abord, la Banque de France comme la Banque d’Angleterre continuent d’échanger leurs billets contre de l’or à guichet ouvert : elles sont donc intervenues à leurs risques et périls. Au contraire, les banques d’émission italiennes ont créé du papier-monnaie que la loi oblige les citoyens à recevoir pour une valeur qu’il n’a pas. Ensuite, en Angleterre et en France il s’agissait d’une liquidation, et non d’une opération sur des immeubles comme en Italie.

Il faut dire, à la louange des administrateurs du Banco de Naples, qu’ils se refusèrent absolument à entrer dans cette voie. Ce fut la Banque nationale qui fournit presque toutes les subventions que désirait le gouvernement pour masquer la crise, et ces subventions ne sont pas toutes en évidence dans les bilans qu’on publie.

La Banque nationale n’accuse que 17 millions d’effets en souffrance au 31 décembre 1890. Mais des 402 dont, à la même époque, se composait son portefeuille, quelle partie sera réellement payée à l’échéance, et quelle partie n’a que l’apparence de lettres de change à trois mois, et représente en réalité des opérations d’une plus longue durée[39]? Les débiteurs divers figurent pour 372 millions, c’est-à-dire pour une somme presque égale à celle du portefeuille. Est-ce bien là le rôle d’une banque d’émission et d’escompte que de grossir ainsi le chiffre des immobilisations aux dépens du portefeuille [40]? On nous donne la justification de 281 millions du chiffre de ces débiteurs divers[41], mais les autres 91 millions, par quoi sont-ils représentés ?

Vu l’impossibilité de ramener la circulation dans ses limites légales, on a fait une loi qui sanctionne la situation de fait. Puis l’on a tâché, par un accord des différentes banques d’émission, de mettre un terme au mal chronique dont souffre la Banque romaine, laquelle ne réussit pas à changer ses billets contre des billets d’État ou des billets des autres banques. Cet accord s’est encore fait en grande partie aux dépens de la Banque nationale, qui avait déjà dans ses caisses 15 millions de billets de la Banque romaine, gardés complaisamment pour faire plaisir au gouvernement.

Une banque d’émission n’est pourtant pas un institut de bienfaisance, et la Banque nationale a tort de se laisser entraîner dans cette voie, comme le gouvernement de l’y pousser. La Banque nationale, grâce à sa bonne administration, jouit dans le pays et à l’étranger d’une réputation méritée. Le crédit de cet établissement peut être une ressource suprême pour le pays dans un moment de nécessité absolue, et c’est une lourde faute que d’affaiblir, au lieu de tâcher de renforcer la situation de cette banque.

Le cours forcé des billets de banque existe de fait, sinon de nom, en Italie. L’or qu’on avait fait venir pour rétablir la circulation métallique a repassé en grande partie les frontières, et le papier-monnaie perdait récemment jusqu’à 2 pour 100[42].

A la fin de l’année 1890, il y avait en circulation l,466 millions de francs en papier-monnaie[43], et, en revanche, le stock métallique, dans les caisses des banques et du trésor, n’est que de 591 millions[44].

Les banques d’escompte et de spéculation sont toutes dans une situation qui est loin d’être satisfaisante. Elles aussi se sont laissé entraîner à soutenir des entreprises de spéculation pour constructions dans les villes, à soutenir des établissemens protégés par le gouvernement, à escompter du papier de peu de valeur, soit par l’appât du gain, soit pour s’assurer les bonnes grâces du gouvernement; et maintenant elles se trouvent grevées d’engagemens qui dépassent leurs forces. Les actions du Crédit mobilier, qui étaient cotées à 1,012 francs en décembre 1887, sont tombées à 375 francs. Celles de la Banque générale, de 680 francs, tombent à 288 francs !

M. Bodio, a calculé les réductions qu’ont subies, du 31 mars 1887 au 31 mars 1891, les valeurs des actions des principaux établissemens de crédit, des sociétés industrielles, des chemins de fer, etc.; on voit par ces calculs la baisse énorme qu’a soufferte la richesse mobilière de l’Italie[45]. M. Carlo Bonis a calculé la perte qui en est résulté pour 23 des principales sociétés, et il arrive au total de 609 millions. Si l’on tenait compte de toutes les sociétés et de toutes les entreprises privées, la perte serait évidemment beaucoup plus grande.

Une douloureuse conséquence de cet état de choses, c’est l’augmentation du nombre des faillites, qui en 1886 furent au nombre de 1,310 et en 1889 de 2,015[46]. Les pertes des créanciers furent de 29 millions en 1886 et de 69 en 1889[47].

Pendant que le pays s’appauvrissait de la sorte, l’État augmen- tait considérablement ses dépenses[48]. Et c’est là une conséquence de cette politique qui s’obstine à nier les vérités les plus évidentes, et prétend imposer le mensonge au nom de la patrie. Le pire ennemi de son pays, c’est l’homme qui, voyant la vérité, n’a pas le courage de la dire, dans la crainte de compromettre les intérêts d’un partie d’une secte, ou d’amis personnels. La malice et la folie du petit nombre d’hommes qui ont entraîné l’Italie à sa ruine auraient été impuissantes sans le manque de courage des honnêtes gens, qui, fermant volontairement les yeux à la lumière, ont accepté sans réagir toutes les sottises qu’on leur a débitées, s’imaginant qu’il suffisait d’affirmer que le pays était prospère pour qu’il le lût réellement.

Les dépenses effectives de l’État qui, en 1885[49], étaient de 1,410 millions, et qui en 1887 n’arrivaient encore qu’à 1,461 millions, montent à 1,735 millions en 1889[50]. Ce sont surtout les dépenses pour la guerre et pour la marine qui ont causé cette augmentation. Le budget ordinaire de la marine en 1890 est à peu près le double de ce qu’il était en 1885 et plus du triple de ce qu’il était en 1875[51]. La manie des grandeurs et la protection accordé à l’établissement de Terni coûtent cher! Si l’on réunit ensemble les budgets ordinaires et extraordinaires de la marine et de la guerre on trouve 324 millions en 1885, 554 en 1889 et 432 en 1890[52], le double des dépenses de 1875.

Pour avoir le total des dépenses effectives de l’État (sans les parties d’ordre), il faut encore tenir compte des dépenses pour la construction des chemins de fer. On pourvoit à ces dépenses par des crédits spéciaux qu’alimentent les emprunts. En 1875, on n’a dépensé que 49 millions pour constructions des chemins de fer, en 1885: 73 millions, en J889 : 236 millions[53]. Le gouvernement actuel tâche de réduire dans une forte proportion ces dépenses, mais il n’est pas sûr qu’il y réussisse, car il se heurte à bien des difficultés.

Pour faire face à toutes ces dépenses, on a dû s’endetter; mais au lieu de le faire franchement, on a eu recours à toutes sortes de subterfuges. M. Magliani avait promis qu’après l’emprunt pour abolir le cours forcé l’Italie n’augmenterait plus sa dette. On a tenu parole à l’égard de la dette consolidée, et encore pas très exactement. L’État avait affecté une certaine somme en titres de cette dette pour le service des pensions. On a vendu ces titres et l’on a remis le service des pensions à la charge du budget ! Mais ce qui est plus grave, c’est qu’où a créé toutes sortes d’autres dettes sous les noms les plus variés : obligations 3 pour 100 pour la construction des chemins de fer[54], obligations du Tibre, etc., sans compter les dettes faites par les villes et garanties par l’État.

La dette amortissable de l’État augmente de 567 millions depuis 1884 jusqu’à 1890 et les bons du trésor de 33 millions[55]. Les sommes que le trésor paie à l’étranger pour intérêts et amortissement de sa dette donnent pour 1889 un total de 162 millions, avec une augmentation de 44 millions sur ce que l’on payait en 1885. Il faut bien avouer que jusqu’à présent ces paiemens n’ont pu être faits qu’en créant de nouvelles dettes. M. Luzzatti se propose maintenant de n’avoir plus recours à ce moyen, et cette intention est assurément très louable ; mais si l’Italie ne change pas de politique, l’on ne voit pas bien comment elle pourra se procurer la monnaie métallique nécessaire pour remplir les engagemens contractés à l’étranger.

On a voulu voir la cause des mauvaises conditions où se trouve le budget de l’Italie dans la suppression de l’impôt sur la mouture. M. Crispi, à Turin, s’est exprimé comme si cette suppression avait diminué la charge qui grevait les consommations du pays, et beaucoup de personnes en demeurent persuadées. Ce sont là des choses que répètent les gens qui trouvent commode d’embrasser une opinion toute faite, sans se donner la peine de remonter aux sources et de vérifier les chiffres. La vérité est que l’impôt sur la mouture a été remplacé par d’autres impôts beaucoup plus considérables sur les consommations, et entre autres par un impôt qui lui ressemble fort : le droit d’entrée de 5 francs par quintal métrique sur le blé. Le maximum du produit de l’impôt sur la mouture a été atteint en 1878[56], et cette année-là le total des impôts de consommation, y compris celui sur la mouture, est de 446 millions. Ces mêmes impôts rendirent en 1890 628 milUons, ce qui démontre avec la dernière évidence que non-seulement les consommations ont été grevées de manière à compenser le produit de l’impôt sur la mouture, mais encore qu’elles ont fourni un surplus de 182 millions. Ce sont surtout les douanes qui ont contribué à cette augmentation. De 1878 à 1890, leur produit augmente de 167 millions[57].

Si les budgets de l’Italie présentent des déficits, c’est que les dépenses ont crû dans une plus forte proportion que les recettes.

Il n’est pas facile d’évaluer exactement les déficits des budgets publics, tous les gouvernemens tâchant plus ou moins de cacher la vérité, et ayant recours pour cela aux expédiens les plus subtils. M. Magliani avait, dans ce dessein, imaginé des dépenses ultra-extraordinaires, qui s’ajoutèrent aux dépenses extraordinaires, lesquelles, à leur tour, s’ajoutent aux dépenses ordinaires, et il promettait toujours l’équilibre pour le budget prochain. Cette louable coutume continue à être suivie par ses successeurs. Elle ressemble tort à la promesse inscrite dans certains cabarets de faire crédit un lendemain qui n’arrive jamais.

Les déficits des budgets des recettes et des dépenses effectives commencent en 1886[58], et se continuent jusqu’à présent, en présentant un maximum de 234 millions en 1889. Mais il faut encore tenir compte des dépenses pour la construction des chemins de fer; ces dépenses étant couvertes, pour la plus grande partie, au moyen d’emprunts dont nous avons donné plus haut le chiffre.

Un moyen qui sert aussi assez bien à dissimuler les déficits des budgets est celui des caisses spéciales pour certains services. Nous avons déjà vu comment la caisse spéciale pour le service des pensions avait servi à exécuter un tour de passe-passe, moyennant lequel on avait vendu des titres de la dette consolidée, sans avoir l’air d’emprunter. M. Luzzatti a eu la loyauté de nous avertir que certaines caisses[59], créées par la loi sur les conventions des chemins de fer, « produisaient des dettes en silence. » Ses prédécesseurs n’ignoraient pas cette circonstance, qui est connue de tout le monde, mais ils jugeaient probablement que toute vérité n’est pas bonne à dire.

Il y a ainsi, dissimulés dans les plis du budget, une quantité de petits déficits et d’engagemens pour des dépenses qui grèveront inévitablement les budgets futurs, sans compter les subsides que l’État devra donner à la ville de Rome, et probablement aussi à la ville de Naples.

La comparaison du budget italien avec les budgets étrangers a souvent servi de texte aux hommes politiques pour soutenir l’opinion que l’Italie n’est pas trop chargée d’impôts, et que ses dépenses ne sont pas excessives. Pour cela on compare les recettes ou les dépenses par tête d’habitant, et quand on trouve des chiffres moindres pour l’Italie que pour d’autres pays, on en conclut que les Italiens sont moins grevés que d’autres peuples. M. Crispi a répété plusieurs fois dans ses discours qu’il était injuste d’accuser le gouvernement italien de trop dépenser pour les armemens, puisqu’il dépensait moins par tête d’habitant que la France et que d’autres pays. Il tient beaucoup, paraît-il, à cet argument, car il en fait un usage continuel, et il l’a répété encore dans l’article qu’il a publié dans une revue anglaise.

Or qui ne voit pas que les bases de ce raisonnement sont absolument erronées ? On vous dit : un tel dépense six mille francs par an de loyer, et l’on vous demande: agit-il sagement? Comment répondre si l’on ne sait pas le chiffre de son revenu? Si, par exemple, ce revenu est de huit mille francs, l’individu en question est un fou et un prodigue; c’est au contraire un avare, si son revenu est de cinq cent mille francs. Irez-vous comparer les recettes et les dépenses par tête d’habitant d’une pauvre commune perdue dans les montagnes avec celles de Paris ?

Il est donc évident que pour comparer les dépenses de deux pays, il faut avant tout tenir compte de leurs richesses respectives. Ces richesses sont difficiles à évaluer exactement, mais on peut avoir au moins une idée approchée de leur rapport[60]. On trouve ainsi que la richesse de l’Italie est à peu près un quart de celle de la France; et il faudra en tenir compte toutes les fois qu’on voudra comparer les charges des deux pays.

Pour 1889, le total des recettes (moins les ressources exceptionnelles) du budget ordinaire de la France est de 3,103 millions. Si l’Italie était grevée, seulement proportionnellement à sa richesse, autant que la France, les recettes du budget italien devraient être un quart de celui de la France, soit 776 millions, elles sont en réalité de 1,500 millions! Toujours pour la même année : les douanes (y compris les sucres) donnent en France 495 millions; si les Italiens payaient, en proportion de leur richesse, autant que les Français pour ces impôts, ils devraient payer 124 millions; au lieu de cela, les douanes, y compris les sucres, etc., rendent à l’État 263 millions. Les dépenses pour la guerre et pour la marine des budgets ordinaires et extraordinaires sont pour la France de 928 millions; pour que leur proportion avec la richesse des deux pays fût la même, elles devraient donc être pour l’Italie de 232 millions; elles sont de 554 millions.

Les provinces et les communes suivent pour leurs budgets l’exemple qui leur vient de l’État, et ont des déficits permanens[61]. Le ministère Rudini désire maintenant porter remède à cet état de choses. On a nommé une commission pour étudier la question de ces budgets. Il faut espérer que cette bonne intention ne sera pas de celles dont l’enfer est pavé, mais cela est loin d’être sûr, car bien des intérêts s’y opposent. Les députés se font généralement élire grâce à l’influence de coteries locales, et ils les servent, à leur tour, auprès du pouvoir central.


IV.

Les chiffres que nous avons dû rappeler au lecteur sont un peu arides, mais il était bien difficile d’éviter cet inconvénient sans tomber dans l’autre, encore plus grave, de produire des assertions dénuées de preuves. Nous avons tenu, au contraire, à présenter au lecteur tous les élémens de la question pour qu’il pût en juger par lui-même, et là où le défaut d’espace nous a obligé d’omettre une partie de ces élémens, nous avons toujours indiqué les sources où l’on pouvait les trouver.

En triant les chiffres de la statistique, l’on peut arriver à telle conclusion qu’on veut bien se proposer d’avance, et la vérité même peut être présentée sous un jour exagéré. Nous avons tenu à éviter soigneusement de tomber dans ce défaut. Ainsi, par exemple, si nous nous étions borné à comparer les chiffres de certaines exportations italiennes en 1887 et en 1890, nos conclusions s’en seraient trouvées renforcées. Mais nous aurions été coupables de les avoir exagérées. L’année 1887 a été exceptionnelle pour le commerce de l’Italie. En prévision de la rupture du traité de commerce avec la France, les exportations de l’Italie pour ce pays se sont trouvées portées au-dessus de ce qu’elles auraient été normalement. Nous avons cru de notre devoir d’en avertir le lecteur, et de lui mettre sous les yeux, comme terme de comparaison, les chiffres de l’année 1886, que tout indique avoir été une année normale. De même nous n’avons pas voulu donner aux chiffres de la statistique plus d’autorité qu’ils n’en peuvent avoir, et nous avons indiqué avec soin les cas douteux. Ayant pris toutes ces précautions les plus minutieuses, nous espérons que les conclusions qui se dégagent de ces faits pourront approcher de la vérité, autant que cela est possible dans une matière aussi compliquée. La science sociale ne fait que de naître, et l’on doit être d’une prudence extrême pour toute assertion qui s’y rapporte. Nous croyons toutefois qu’en ce cas les faits parlent d’eux-mêmes.

L’Italie était en voie de pleine prospérité, quand, vers la fin de 1887, s’est produite une recrudescence de la protection douanière, la rupture des relations commerciales et financières avec la France, et un rapprochement plus intime avec l’Allemagne.

Brusquement, sans transition aucune, à peine ces faits accomplis, une crise économique terrible sévit sur l’Italie, et continue jusqu’à présent. Cette crise n’est pas générale en Europe. Bien loin de là, dans les autres pays, le mouvement du commerce international et du commerce intérieur reçoit un accroissement considérable de 1886 à 1890.

Il faut donc qu’il y ait eu une cause spéciale pour la crise italienne. Et cette cause, où la trouver, si ce n’est dans les faits que nous venons de rappeler? Quels autres nouveaux faits se sont produits d’une telle importance qu’on puisse leur attribuer des effets aussi considérables? Dans ce laps de temps, l’Italie n’a pourtant pas eu à souffrir les maux d’une invasion étrangère, ses vignobles n’ont pas été dévastés par le phylloxéra, ni ses troupeaux décimes par quelque épizootie, il n’y a eu ni tremblement de terre, ni inondations importantes, rien enfin, absolument rien, qui, en dehors des causes énoncées, ait pu appauvrir le pays.

L’accroissement des dépenses de l’État a contribué à aggraver la crise, mais ne l’a pas produite. Et, en effet, ce ne sont pas les dépenses du gouvernement qui ont empêché l’Italie d’exporter ses vins, ni ses autres produits, elles ont seulement soustrait au pays le capital qui aurait pu servir à mitiger les effets de la crise[62].

Ces faits sont tellement évidens qu’il est naturel de se demander comment le pays a pu non-seulement s’engager dans une aussi mauvaise voie, mais encore y persévérer après qu’il eût connu les désastres auxquels elle le conduisait.

Pour trouver la réponse, nous avons analysé la vie politique du pays, et nous avons vu que la perversion du système parlementaire a eu pour conséquence de sacrifier les intérêts de la grande masse de la population aux intérêts particuliers et aux passions d’un petit nombre de personnes fortement organisées, et ne reculant devant aucun moyen pour étendre leur influence et pour dominer le pays.

Les tentatives faites par des hommes appartenant aux partis les plus différens pour réagir contre ces funestes tendances sont demeurées jusqu’ici sans résultats bien appréciables.

L’extrême gauche a lutté vaillamment pour empêcher l’Italie de se mettre sous l’entière dépendance de l’Allemagne, et pour la rapprocher de la France. Le leader de ce parti, M. Cavallotti, dans son discours de Milan, a indiqué avec une rare netteté d’idées et d’expressions les maux économiques dont souffre l’Italie. M. Crispi, alors tout-puissant, les niait; et les hommes qui aujourd’hui sont au pouvoir approuvaient; et c’est grâce à leur appui qu’ont pu s’accroître ces mêmes maux, qu’ils disent maintenant vouloir guérir.

M. Cavallotti dénonçait aussi la fausseté des chiffres qu’on avouait à la nation comme représentant les dépenses de la malheureuse aventure africaine. On repoussait dédaigneusement ses observations. N’était-il pas absurde de croire que le gouvernement eût pu faire des dépenses qui auraient échappé au rigoureux contrôle de la comptabilité de l’État? Et pourtant c’était M. Cavallotti qui avait raison. Le marquis de Rudini a dû venir à la chambre demander des crédits et un bill d’indemnité pour ces dépenses faites par son prédécesseur. Et quand, pour d’autres dépenses, on lui demanda s’il était bien sûr du chiffre, il répondit qu’il le croyait vrai, mais n’en saurait jurer, étant devenu fort sceptique en ces matières.

A l’autre extrémité, nous trouvons le parti conservateur, qui pourrait exercer la plus heureuse influence sur la vie politique du pays s’il avait des idées plus claires et plus justes en économie politique, et un peu plus de vigueur. Mais en se faisant les partisans d’une protection douanière des plus exagérées, les conservateurs se sont mis sous la dépendance du gouvernement, qui pourra bien encore à l’avenir trouver parmi eux des frondeurs de sa politique, mais qui ne les aura jamais pour adversaires bien décidés. A cela contribue aussi le manque d’énergie qui caractérise ce parti[63], si nous en croyons un de ses hommes les plus éminens, M. le sénateur Jacini.

Enfin, entre les deux extrêmes se place la fédération Cavour, que le marquis Alfieri s’efforce de constituer sur des bases solides, et dont le nom seul suffit à indiquer les tendances libérales qu’elle devrait avoir. Mais ces tendances prendront-elles corps, et se traduiront-elles en faits? Certes ce parti compte parmi ses membres des gens d’un grand savoir et d’un caractère résolu, comme M. Bonfadini, mais le plus grand nombre paraît avoir les mêmes défauts que nous avons notés chez les conservateurs. Si ce parti avait appuyé résolument son chef, le marquis Alfieri, quand celui-ci souleva au moyen de la presse la question de la communication au parlement du traité qui lie l’Italie aux empires allemand et austro-hongrois, le ministère aurait dû céder, sous peine d’être mis en minorité. M. Bonghi, il est vrai, répéta cette demande à la chambre, mais sa voix n’eut pas d’écho, et le gros de son parti le laissa seul sur la brèche.

Le ministère Rudini a pris le pouvoir dans des circonstances assez singulières, il est vrai, car ses membres, deux heures avant de voter contre M. Crispi, en défendaient encore la politique; mais au moins, une fois le ministère constitué, ils paraissaient animés des meilleures intentions. L’exposition financière faite alors par M. Luzzatti est digne des plus grands éloges, car pour la première fois depuis plusieurs années on entendait une parole honnête et franche dire du banc des ministres la vérité sur la situation financière de l’Italie. Et étant donnés le talent incontestable de cet homme d’Etat, et l’ampleur de ses connaissances économiques, on pouvait espérer qu’un meilleur avenir se préparait pour le pays. M. Nicotera promettait une administration libérale à l’intérieur, dans laquelle la loi aurait remplacé l’arbitraire et le bon plaisir que M. Crispi affectionnait ; M. di Rudini faisait entendre qu’on y regarderait à deux fois avant de renouveler la triple alliance[64].

Pourquoi faut-il que la suite n’ait pas répondu à cet heureux commencement? On avait promis un régime financier rigide et sévère; et des erreurs entièrement semblables à celles commises par le passé recommencent à poindre. M. Crispi avait aidé les entreprises de constructions qui périclitaient; M. Luzzatti aide les banques qui ne peuvent pas changer leurs billets, et en même temps il obtient des ressources pour le trésor en créant du papier-monnaie[65]. Pour favoriser des établissemens sidérurgiques amis, le gouvernement ferme les yeux sur de graves abus des douanes. On parle avec insistance d’une entente de l’Italie avec les États de l’Europe centrale, en vue d’établir une ligue douanière, qui serait dirigée contre la France ; comme s’il était de l’intérêt de l’Italie d’aller s’engager dans pareille aventure, où elle jouera le rôle du pot de terre voyageant en compagnie du pot de fer, au lieu de songer à panser les profondes blessures que lui ont faites ses récens désastres économiques.

La triple alliance a été renouvelée bien avant son terme. Et c’est cette occasion que le ministère a choisie pour rompre définitivement avec l’extrême gauche, dont les voix lui avaient pourtant donné le pouvoir, et lui avaient permis de vivre le temps nécessaire pour rallier ceux d’entre les députés qui sont toujours prêts à servir tout gouvernement qu’ils ne peuvent renverser. Comme pour mieux accentuer son retour à la politique de M. Crispi, le ministère Rudini prit pour porte-voix l’ex-ministre de la marine dans le précédent cabinet. Et il est notoire que cet homme d’État partageait les sentimens antifrançais et mégalomanes de M. Crispi, et qu’il le devançait même pour l’application d’une protection exagérée.

Tout en revenant en partie à la politique de leurs prédécesseurs, les membres du cabinet actuel tâchent, avec la meilleure volonté possible, de faire des économies sur le budget. Ce système présente un grand danger, qui est de pousser à entreprendre de grandes choses avec des moyens insuffisans ; et il ne faudrait pas oublier que c’est ainsi que s’est produit le désastre de Dogali.

Il serait injuste de rejeter toute la faute de la volte-face qui s’est accomplie sur les hommes qui composent le ministère Rudini. Leurs intentions demeurent bonnes, et ce n’est que par faiblesse qu’ils pèchent. S’ils avaient pu prendre un point d’appui solide sur un parti libéral-conservateur, leurs préférences les eussent portés de ce côté. Si l’extrême gauche avait été assez forte pour leur imposer sa politique extérieure, ils l’auraient subie sans trop de répugnance. Mais ne trouvant pas la force de ce côté, ils l’ont cherchée où elle était, car au fond la première question pour un ministère est de vivre. Or la force est encore du côté du parti transformiste, et tant qu’elle y demeurera, tous les ministères devront subir l’influence de ce parti, ou seront brisés. Il y a donc peu d’espoir de voir les conditions économiques de l’Italie s’améliorer notablement dans un bref délai. Heureux encore le pays s’il échappe aux dangers que présentent les systèmes qui ne proportionnent pas les moyens au but!

Pourtant il ne faut pas désespérer, et le peuple dont sont sortis les hommes qui ont constitué l’unité de l’Italie peut bien en voir surgir d’autres qui sauront corriger ce que la vie politique du pays présente de défectueux.


VILFREDO PARETO.

  1. La réunion du système parlementaire avec la centralisation a eu pour effet, selon M. Jacini (Pensieri sulla politica italiana, p. 35), « de transformer les représentans de la nation, sous peine en cas de refus de n’être plus réélus, en solliciteurs des intérêts de leurs électeurs, tous ces intérêts aboutissant au pouvoir central ; tandis que de leur côté les ministres sont obligés de céder assez souvent, aux dépens des intérêts du trésor et de ceux de la justice, devant les coalitions des députés solliciteurs.» — Cet auteur, que l’Italie a eu récemment le malheur de perdre, homme modéré, ex-collègue du comte de Cavour, et mêlé depuis à toute la vie politique de l’Italie, décrit admirablement bien les phénomènes qu’elle présente. Seulement son œuvre resta incomplète en ce qu’il négligea absolument le facteur économique, qui est pourtant le plus important. Peut-être est-ce à dessein, car son but n’était pas de faire une étude seulement scientifique, mais plutôt de préparer un programme pour un parti conservateur, et il aura écarté tout ce qu’il aura cru qui pouvait diviser les futurs adhérens de ce parti. La décentralisation telle qu’il la propose servirait à fort peu de chose. Elle ne ferait que déplacer le mal du centre à la circonférence, peut-être même en l’aggravant. Ce qui importe, ce n’est pas que l’État exerce son pouvoir au moyen d’un préfet plutôt que d’un ministre, d’une assemblée provinciale plutôt que de la chambre des députés, mais bien de restreindre le nombre des cas où ce pouvoir s’exerce. Chaque fois que l’État absorbera toute la vie économique de la nation, on observera les mêmes phénomènes de corruption et de désorganisation de la vie politique. C’est là une raison, entre bien d’autres, qui condamne le socialisme.
  2. Le mouvement commercial entre l’Italie et la France était plus considérable qu’entre l’Italie et tout autre pays. De 1885 à 1887, la valeur moyenne annuelle des exportations de l’Italie pour la France est de 496 millions, ce qui représente presque la moitié de la valeur totale des exportations de l’Italie (1,107 millions), et plus de quatre fois la valeur des exportations pour l’Allemagne (110 millions). La valeur moyenne annuelle des importations de la France en Italie pendant la même période est de 373 millions, plus de deux fois, presque trois fois la valeur des importations de l’Allemagne (138 millions).
  3. De Foville, 'la France économique. — Bodio, Di alcuni indici, etc.
  4. Bodio, Quelques renseignemens sur les conditions hygiéniques, etc., inséré dans le Bulletin de l’Institut international de statistique, 1887.
  5. Des expériences récentes ont fait voir que de mauvaises conditions de nutrition contribuent aussi au développement des maladies dues aux microbes. Des animaux, qu’on avait préalablement fait jeûner, ont bien moins résisté à l’inoculation de ces maladies que d’autres animaux bien nourris.
  6. Ces chiffres représentent les moyennes des années 1887-1888-1889. (Pour les détails, voyez Bodio, Di alcuni indici, p. 11.)
  7. Bodio, loc. cit. Il y a eu, à Naples, 468 morts de fièvre typhoïde en 1881, 317 en 1883, 242 en 1886 et seulement 136 en 1890.
  8. Une récente circulaire du ministre du trésor, M. Luzzatti, appelle l’attention des préfets sur cet abus.
  9. Bodio, loc. cit., p. 18. La proportion pour cent des conscrits ne sachant ni lire ni écrire était, en 1889 : Italie 42, France 9, Allemagne, moins d’un (six pour mille), Autriche 24, Hongrie 36, Belgique 13, Suisse et Suède, moins d’un.
  10. Les documens français manquent après 1887. Pour l’Italie, M. Bodio donne 62 millions pour la dépense en 1889. Pour l’Angleterre et le pays de Galles (qui ont une population à peu près égale à celle de l’Italie), la dépense totale (y compris les taxes scolaires, etc.) a été de 183 millions de francs en 1889.
  11. De Foville, la France économique, p. 54; Bodio, loc. cit., p. 8.
  12. Ces mêmes chiffres, suivant les statistiques des ports d’arrivée des États-Unis du nord de l’Amérique et de la république Argentine, de l’Uruguay et du Brésil seraient de 86,000 pour la première période et de 176,000 pour la seconde.
  13. On trouve, pour cette émigration, 88,000 en 1887, 95,000 en 1888, 105,000 en 1889 et 113,000 en 1890.
  14. De Foville, le Vin, p. 12 et 13; Bodio, loc. cit., p. 41 et 42.
  15. 39 millions en 1887, 38 en 1889, 47 comme moyenne de la période de 1879 à 1883, et 50 de 1870 à 1874. Ce sont là les chiffres récemment corrigés par la direction générale de l’agriculture. (Voir Notizie di statistica agraria, 1891, et Bodio, loc. cit.)
  16. En 1885, la production du vin a été, pour la France, de 29 millions d’hectolitres et pour l’Italie de 25; en 1886, la France en donne 25 et l’Italie 38; en 1887, la France, 24 et l’Italie 35; en 1888, la France 30 et l’Italie 33; en 1889, la France 23 et l’Italie 22. En 1890, l’Italie 37.
  17. Ce sont les chiffres de la statistique italienne. Ceux de la statistique française sont : 1,908,000 hectolitres pour 1886, et 2,707,000 pour 1887. Cette année a été exceptionnelle, l’exportation ayant beaucoup augmenté en prévision de la rupture du traité de commerce. Il s’agit seulement des vins en futailles, l’exportation de l’Italie en France du vin en bouteilles est insignifiante. Pour tous les pays, cette exportation a été de 22,000 hectolitres en 1889 (en comptant la bouteille pour 3/4 de litre), tandis que la France a exporté 312,000 hectolitres de vin en bouteilles.
  18. On a voulu voir aussi une compensation à la diminution de l’exportation du vin en futailles dans l’augmentation de l’exportation du vin en bouteilles. Or de 1887 à 1890, l’Italie perd 60 millions de francs sur la première et gagne 1 million 1/2 sur la seconde !
  19. Voir un mémoire de M. M. Pantaleoni inséré dans le Giornale degli economisti, Roma, août 1890. Le remboursement ne s’obtenant généralement que fort tard à cause des lenteurs bureaucratiques, les électeurs influens « intéressaient dans leurs affaires certains députés, lesquels, à force de pressions sur le ministère, réussissaient à faire réduire à deux mois, au lieu de quatre ou six, le temps nécessaire pour être remboursé. Le ministre télégraphiait aux intendans des finances pour faire changer arbitrairement l’ordre dans lequel devaient s’effectuer les remboursemens, et malheur à l’intendant qui voulait résister à ces passe-droits! »
  20. L’Algérie, qui n’avait exporté en France que 487,000 hectolitres de vin en 1886, en a exporté 1,581,000 en 1889. L’importation totale de tous les pays en France était de 10,890,000 hectolitres en 1886 et de 10,243,000 en 1889. Le prix du vin, arbitré par la commission permanente des valeurs de douane en France, est, pour les vins en futailles, de 0 fr. 45 le titre en 1886, de 0 fr. 35 en 1887 et de 0 fr. 35 en 1889. Au contraire, en Italie, les vins des Fouilles, n’ayant plus de débouchés, ont baissé considérablement de prix. — Voir dans le journal la Semaine commerciale, Bari, 4 avril et 26 avril 1891, un article sur la Baisse des prix du vin.
  21. 3,390 (1,000 hectolitres), moyenne annuelle de 1879 à 1883; 2,989 en 1888; 1,540 en 1889; 2,647 en 1890.
  22. Nous avons publié les détails de ces calculs dans le Journal des économistes. Paris, septembre 1890. Il faut ajouter que beaucoup d’artisans parviennent à échapper à l’impôt sur la richesse mobilière, et, dans ce cas, la somme totale des impôts, etc., se réduit à 18,2 pour 100. En revanche, il faudrait ajouter les impôts sur l’esprit-de-vin, le tabac, et celui du lotto, dont il n’a pas été tenu compte dans les dépenses de la famille italienne. Le chiffre donné dans le texte pour la famille anglaise diffère un peu de celui donné dans le journal cité, parce qu’on a ajouté l’inhabited house duty, qui avait été omise.
  23. Il y a du sel de qualité inférieure qui ne coûte que 0 fr. 35; mais le peuple, en Toscane, où l’on vend surtout le sel gemme, prétend que ce sel à 0 fr. 35 sale beaucoup moins que celui de meilleure qualité (probablement il contient plus d’eau), et qu’il n’y a ainsi nul avantage à l’employer.
  24. Pour 1889, l’impôt sur le sel a rendu, en France, 32,849,000 francs et, en Italie, 61,794,000. Par tête d’habitant : en France, 0 fr. 85; en Italie, 2 fr. 06.
  25. Giornale degli cconomisti. Roma, mars 1891. Pour chaque tonne de travées métalliques qu’elle construit, l’usine italienne paie en droits de timbre 13 fr. 20. et l’usine belge seulement 2 fr. 20.
  26. Dans ces dernières années, l’Italie a exporté pour à peu près 5 millions de francs par an de racines pour faire des brosses. La France en reçoit d’Italie à peu près 12,000 quintaux métriques par an.
  27. Tout récemment le gouvernement a fait diminuer l’escompte d’un demi pour cent, mais en revanche il a légalisé l’émission de papier-monnaie précédemment faite par les banques. Dans des circonstances semblables à celles où se trouve l’Italie, la Banque d’Angleterre aurait élevé l’escompte au lieu de le diminuer.
  28. Selon M. Cottrau, pour chaque tonne de travées métalliques, une usine italienne paie pour intérêts, change, impôt sur la richesse mobilière, etc., 29 fr. 70 et une usine belge seulement 2 fr. 50.
  29. On trouvera les chiffres dans les publications officielles. Nous les avons résumés dans l’Economiste français de mai 1891, en donnant aussi les chiffres relatifs au commerce intérieur dont il sera parlé plus loin.
  30. 8,747 millions de francs en 1886, et 10,522 en 1890.
  31. La valeur des exportations annuelles de 1878 à 1887, les métaux précieux non compris, a été de 1,075 millions; de 1888 à 1890 elle a été de 903 millions, la diminution est donc de 172 millions. Pour l’importation, on a, pour la première période, 1,310 millions, pour la seconde, 1,294, différence seulement 16 millions.
  32. L’importation annuelle du café de 1881 à 1887 est de 155,000 quintaux métriques, et seulement de 138,000 de 1888 à 1890. Et il faut noter que la population a augmenté. Pour la laine, voyez l’Annuario statistico 1889-1890. On ne fabrique pas de montres en Italie. Or de 1886 à 1887 l’importation moyenne annuelle en Italie est de 413,000 montres, et seulement de 326,000 en 1890.
  33. Giornale degli economisti. Roma, février 1891.
  34. Un mémoire de M. le docteur Broch, inséré dans le Bulletin de l’institut international de statistique 1887, nous fournit les chiffres suivans relatifs aux années 1880-1884. Consommation du café par tête : Italie, 0k, 49; France, lk, 73; Allemagne, 2k, 31; Suisse, 3k, 25; Belgique, 4k, 48. Pour le sucre on a : Italie, 3k, 45; France, 10k, 26; Angleterre, 31k, 30. — Pour la consommation du blé en France, M. Blaise des Vosges a trouvé (Journal des économistes. Paris, juin 1883) 118 kil. par an de 1821 à 1830 et 193 kil. de 1870 à 1880. Un calcul analogue pour l’Italie de 1886 à 1890 donne seulement 114 kil., c’est-à-dire que sous ce rapport l’Italie serait dans les conditions de la France de 1821 à 1830.
  35. Il serait impossible de donner ici tous ces chiffres; nous devons renvoyer à l’article inséré dans le journal l’Économiste français, déjà cité. Bornons-nous à rappeler que pour l’ensemble des lignes les produits bruts kilométriques ont été les suivans : Italie, en 1886, 20,283 francs; en 1887, 20,876; en 1889 seulement 19,500; France, en 1886, 33,317 francs; en 1889, 34,400; Angleterre, en 1886, 53,543 francs; en 1889, 57,427 francs ; Allemagne, en 1886, 33,720 francs; en 1888, 36,020. (Nous n’avons pas encore les statistiques allemandes pour les années après 1888.) Pour la France, nous avons aussi la statistique des quantités de marchandises transportées sur les cours d’eau administrés par l’État, 2,701 quintaux métriques en 1886 et 3,201 en 1889.
  36. Il ne faut pas oublier que le capital de la Banque romaine est de 15 millions et que celui de la Banque toscane de crédit n’est que de 5 millions. Malgré cela, la différence est énorme.
  37. La banque du Saint-Sauveur. Elle fut fondée en 1640 par les fermiers d’un impôt sur la farine.
  38. En 1788, les sept banchi avaient 21 millions de ducats de circulation et de comptes courans et une réserve métallique de 12 millions de ducats. La somme employée en prêts sans intérêts était de 679,000 ducats.
  39. Bodio, loc. cit., p. 79. « A la fin de 1889, le portefeuille augmente beaucoup parce que la Banque nationale dut faire pour 40 millions de subventions extraordinaires à la Banque tibérine, pour 10 millions à la Foncière italienne, etc. » Ce sont là les instituts turinais dont nous avons parlé plus haut. — Le portefeuille se compose, il est vrai, d’effets à trois mois, que l’on ne doit pas renouveler. Mais quand la Banque veut favoriser un débiteur, elle lui escompte de nouvelles traites avant l’échéance des anciennes, qu’il peut ainsi payer. Et, de la sorte, ses traites se trouvent renouvelées de fait, sinon de nom. Cette situation est si connue que le ministre du trésor lui-même insiste sur le fait qu’une partie du portefeuille de la Banque est immobilisée!
  40. Carlo Bonis, Gli interessi, p. 125 : « La Banque nationale, pendant la crise, sans réussir à reconstituer les forces du crédit et de notre marché monétaire, a engagé par immobilisations, effets en souffrance et secours de bienfaisance, 160 millions. Et son capital versé est de 150 millions. »
  41. « 25 millions, somme destinée pour les opérations de crédit foncier, 249 millions de prêts fonciers et 7 millions de comptes courans ordinaires. » (Bilan officiel au 31 décembre 1890.) Ce mélange de crédit foncier avec les opérations d’une banque d’émission est loin d’être digne d’éloges.
  42. La statistique donne comme excès de l’exportation sur l’importation des métaux précieux, de 1884 à 1890, 365 millions. M. Bodio, loc. cit., p. 92, croit que c’est là à peu près la diminution qu’a subie le stock des métaux précieux en Italie, et ce chiffre correspond approximativement avec celui qu’on obtient par une autre voie. Pour abolir le cours forcé, M. Magliani avait fait venir, en Italie, 644 millions de monnaie métallique. De ce fond il ne restait plus que 9 millions à la fin de 1890, tandis que les réserves métalliques des banques avaient augmenté seulement de 200 millions ; il manque donc 435 millions pour arriver au total de 644 millions, et la plus grande partie de cette différence doit avoir été exportée.
  43. 1,126 millions pour compte des banques d’émission et 340 millions de billets d’État.
  44. 409 millions dans les caisses des banques, 9 millions, reliquat de l’emprunt de 644 millions pour l’abolition du cours forcé, 173 millions qui constituent un fonds propre du trésor de l’État.
  45. Bodio, loc. cit., p. 95-96. Les calculs sont faits sur le capital versé. Voici quelques-uns de ces chiffres. Valeur au 31 mars 1891, pour 100 de la valeur au 31 mars 1887 : Banque nationale, 72; Banque générale, 35; Crédit mobilier, 45; Crédit méridional, 13; Caisse d’escompte, 29; Banque d’escompte et Soie, 19; Esquilino, 0.68! Foncière italienne, 3; Eau Marcia (Rome), 51; Société immobilière, 20. Et la baisse continue encore!
  46. 1,623 en 1887, 2,200 en 1888.
  47. 85 millions en 1888. (Bodio, loc. cit., p. 97.)
  48. Ce sujet a été traité théoriquement d’une manière fort claire par M. le professeur Mazzola, I dati scientifici della finanza pubblica.
  49. Depuis 1884, les budgets s’établissent du 1er juillet d’une année au 30 juin de l’autre. Pour ne pas répéter chaque fois ces dates, nous indiquons simplement le quantième de l’année où finit le budget. Ainsi les dépenses de 1885 sont celles qu’on a faites du 1er juillet 1884 au 30 juin 1885. Avant 1884, les budgets s’établissent suivant l’année solaire. Les dépenses effectives comprennent toutes les dépenses de l’État, excepté les parties d’ordres et les dépenses pour les chemins de fer.
  50. 1,573 millions en 1888, 1,637 en 1890.
  51. 32 millions en 1875, 53 en 1885, 69 en 1887, 84 en 1888, 88 en 1889, 102 en 1890.
  52. Seulement 216 millions en 1875; puis 353 en 1887, 424 en 1888.
  53. 170 millions en 1886, 190 en 1887, 298 en 1888.
  54. L’émission de ces obligations a commencé en 1887, et a continué jusqu’à octobre 1889. La somme totale émise est de 1,227 millions (valeur nominale). (Bodio, loc. cit., p. 88.)
  55. Au 30 juin 1890, la dette consolidée est de 9,108 millions pour lesquels on paie 455 millions d’intérêts. Le capital de la dette amortissable est de 2,692 millions, ses intérêts de 107 millions. Les bons du trésor donnent une somme de 277 millions. (Bodio, loc. cit., p. 103.) La France a 2,600 millions de francs de la dette consolidée de l’Italie, et l’Allemagne 43 millions seulement!
  56. 83 millions.
  57. 108 millions en 1878, 275 en 1890. La participation de l’État aux octrois des villes a donné 70 millions en 1878 et 81 millions en 1890.
  58. 23 millions en 1886, 73 en 1888, 74 en 1890.
  59. Les sociétés n’ont que l’exploitation des chemins de fer dont la propriété est demeurée au gouvernement. Celui-ci doit donc faire certaines dépenses d’entretien et d’amélioration, et l’on a chargé de ce service une caisse dite « caisse patrimoniale, » Malheureusement, il ne suffit pas de créer des caisses pour qu’elles fonctionnent, il faut encore les remplir. Le gouvernement n’ayant oublié que cela, il en est résulté les dettes chroniques caractérisées par l’expression pittoresque de M. Luzzatti.
  60. Nous ne pouvons pas traiter ici par incidence une question aussi importante, et nous devons renvoyer à l’œuvre magistrale de M. Bodio, Di alcuni indici, ecc., où l’on trouvera analysés les travaux les plus récens sur ce sujet. M. de Foville a le premier calculé la richesse de la France en prenant pour base les transmissions de la propriété par suite d’héritage et de donation entre vifs. M. le professeur Pantaleoni a calculé de la même manière la richesse de l’Italie. Seulement M. de Foville a pris trente-cinq ans pour la vie moyenne, et M. Pantaleoni trente-six. Il faut donc augmenter le chiffre donné par M. de Foville d’un 35e pour le comparer à celui donné par M. Pantaleoni. De la sorte, ces chiffres deviennent entièrement comparables, et leur rapport sera même plus approché que ne le sont les chiffres absolus. Car si l’on suppose que la méthode employée produise une erreur de près d’un 10e sur chaque chiffre, cette erreur disparaît en prenant le rapport des deux chiffres. M. Bodio a refait les calculs de M. Pantaleoni, le chiffre ainsi trouvé pour l’Italie de 1880 à 1885 est de 54 milliards. Pour la France, M. de Foville donne le chiffre de 210 milliards, qui, augmenté d’un 35e devient 216. Et l’on voit que le rapport est bien à peu près de 1 à 4. — M. Giffen a calculé la richesse de l’Angleterre suivant une autre méthode. Prenant pour bases les résultats de l’income-taxe, il trouve 250 milliards. Ce chiffre n’est pas parfaitement comparable aux précédens, parce qu’on les a obtenus par une méthode différente. (Pour la France, voir A. de Foville, la France économique.)
  61. Les résultats de ces budgets de recettes et de dépenses effectives en 1889 sont, pour les provinces : recettes, 88 millions; dépenses, 94; déficit, 6; pour les communes : recettes, 398 millions; dépenses, 486; déficit, 88. (Bodio, loc. cit., p. 104.) Le déficit pour les bilans des communes n’était que de 33 millions en 1883. Il parait que la mégalomanie ne sévit pas seulement sur les hommes d’État.
  62. De 1888 à 1890, l’État a dépensé en tout 561 millions de francs en plus de ce qu’il aurait dépensé s’il avait maintenu le budget dans les limites de 1887. Or nous avons vu que, sur une seule catégorie de valeurs mobilières, le pays avait perdu plus de 609 millions. La perte résultant de la protection est encore plus considérable. Si les exportations avaient continué de 1888 à 1890 dans la mesure de la moyenne des dix années précédentes, elles auraient donné une plus-value de 507 millions. Mais ce n’est là que le moindre mal causé par la protection. Il faut tenir compte de la baisse des prix du vin et d’autres produits semblables, et de la destruction énorme de richesse faite par les industries protégées.
  63. « C’est le propre du caractère des conservateurs d’être peu énergique. Qu’on ne leur demande donc pas ce qu’ils ne se sentiraient pas la force de donner. Abandonnés à eux-mêmes, bien que les circonstances présentes les favorisent, ils ne réussiraient pas, du moins, j’en suis convaincu, à constituer un parti militant. » (Jacini, le Forze conservative nella nuova Italia, Roma, 1891, p. 52.)
  64. Il ne manque pas de personnes impartiales en Italie, même en dehors de l’extrême gauche, qui reconnaissent que la France a mille fois raison d’être indignée de la garantie donnée par l’Italie à l’Allemagne pour la possession de l’Alsace-Lorraine, et que cette action de l’Italie n’a pas même pour excuse, si c’en est une, d’être utile au pays. — M. Jacini dit : « La France n’oublie pas qu’elle a versé tant de sang pour notre délivrance en 1859. Ne devait-elle pas frémir d’indignation en pensant que nous sommes entrés dans une alliance en nous engageant à verser notre sang pour empêcher sa délivrance quand viendra pour elle son 1859? » (Pensieri, etc., p. 108.) Il revient plusieurs fois sur cette idée, et dans une autre brochure il dit : « Les Alsaciens sont d’origine allemande, mais, pour la plupart, ils veulent redevenir Français. Encore plus les Lorrains qui sont d’origine française,.. nous nous sommes laissé entraîner à garantir à l’Allemagne... la possession de ces territoires contestés et tous les efforts militaires qui nous ruinent ont pour but de faire honneur à cet engagement. Que les journaux allemands chantent Hosanna, que le fonds des reptiles, avec ses affiliations même en Italie, s’évertue à exalter l’habileté de notre politique, cela se comprend. Nous rendons à l’Allemagne un service énorme, impayable. Qui ne le voit pas? Mais nous ne devons pas nous étonner si les Français en sont indignes. » (Le Forze conservative nella nuova Italia. Roma, 1891, p. 42.)
  65. Voir Proroga del corso forzoso, publié sur le Giornale degli economisti. Roma, juillet 1891.