L’Occultisme

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L’Occultisme
Revue des Deux Mondes5e période, tome 36 (p. 115-152).


L’OCCULTISME




I. — DÉFINITION DE L’OCCULTISME ET DES PHÉNOMÈNES OCCULTES

L’occultisme n’est pas l’étude de tout ce qui est caché à la science. C’est l’étude des faits qui, n’appartenant pas encore à la science, — je veux dire : à la science positive au sens d’Auguste Comte, — peuvent lui appartenir un jour.

Les faits occultes sont en marge, ou dans le vestibule de la science, s’efforçant de conquérir le droit de figurer dans le texte du livre ou de franchir le seuil du palais. Et il n’y a aucune contradiction logique à ce que ces faits cessent, un jour, d’être occultes pour devenir scientifiques. Le professeur Charles Richet les appelle métapsychiques. Comme en réalité ils sont vraiment psychiques, j’aimerais mieux les appeler juxtascientifiques ou prescientifiques.


La Revue s’est toujours intéressée à l’analyse de ces phénomènes qui paraissent extraordinaires, merveilleux, supranaturels ou supranormaux, tant qu’ils ne sont pas devenus scientifiques. Je rappellerai tout spécialement : en 1833, la lettre de Chevreul à Ampère sur une certaine Classe de mouvemens musculaires ; et, en 1854, les articles de Babinet sur les Sciences occultes au xixe siècle, les tables tournantes et les manifestations prétendues surnaturelles. À ces articles, qui marquent le début des études scientifiques sur les mouvemens involontaires et inconsciens, il faut joindre ceux de Peisse sur les sciences occultes au xixe siècle et sur le magnétisme animal (1812) et de Paul de Rémusat sur le merveilleux autrefois et aujourd’hui (1861).

Ces travaux démontrent d’abord que l’amour du merveilleux a existé de tous temps. L’attraction vers le mystère scientifique n’a été l’apanage d’aucune époque. Les siècles les plus sceptiques sont même souvent les plus crédules[1]. Comme le remarque Paul de Rémusat, Mesmer faisait son entrée à Paris l’année même où Voltaire y venait mourir. À ce moment, « on aimait sans doute très peu les miracles, mais chacun avait soif de merveilles. »

Ces travaux montrent aussi que, si l’amour du merveilleux reste le même à travers les âges, la nature de ce merveilleux change constamment et que ces changemens ne répondent pas à un mouvement circulaire avec retour à la même place (à la façon de l’écureuil), mais à un mouvement incessant de progrès en avant. La plupart des phénomènes étudiés comme occultes, il y a un demi-siècle, ne le sont plus aujourd’hui, et sont devenus scientifiques. La science, qui n’est jamais finie, envahit tous les jours le domaine de l’occultisme, dont les frontières reculent sans cesse et qui est ainsi comme la terre promise de la science. Ainsi, si l’astrologie et l’alchimie sont aujourd’hui remplacées par l’astronomie et la chimie, bien des phénomènes qui, autrefois, appartenaient à la sorcellerie, c’est-à-dire à l’occultisme (anesthésies, convulsions, épidémies saltatoires…) ont définitivement pénétré dans la science et appartiennent aux psychoses, à l’hystérie ou au somnambulisme. Plus récemment, nous avons vu le magnétisme animal devenir scientifique sous le nom d’hypnotisme ; et les tables tournantes, le cumberlandisme avec contact, la baguette divinatoire… cesser d’être des phénomènes occultes depuis les travaux sur les mouvemens involontaires et inconsciens et sur le psychisme inférieur[2].

S’il y a donc toujours un occultisme, et si les phénomènes étudiés sous ce nom varient d’une époque à une autre, il y a donc aussi toujours intérêt à mettre de temps en temps la question au point, afin que le grand public ait un guide ou tout au moins un point de départ précis pour la lecture et la critique des innombrables publications qui paraissent tous les jours sur ces sujets. Et ceci est d’autant plus nécessaire que trop souvent on généraliserait hâtivement et, de ce que beaucoup de phénomènes, autrefois occultes, sont aujourd’hui définitivement admis par la science positive, on conclurait volontiers au caractère également scientifique de tous les autres phénomènes occultes, comme les matérialisations ou la télépathie.

Le docteur Surbled rappelle avec à-propos ce mot d’un mage : « L’hypnotisme nous sert de coin ; nous passerons tous derrière Charcot. » Non. C’est là une erreur ! N’entre pas dans la science qui veut. Le jour où un groupe nouveau de phénomènes occultes aura été analysé et fixé comme l’hypnotisme l’a été par Charcot et par le professeur Bernheim, l’occultisme perdra un chapitre, et la science positive en gagnera un. Mais ce travail de contrôle doit être fait, non en bloc pour tous les phénomènes occultes, mais en détail et successivement pour chaque groupe. Ni les travaux de Charcot sur l’hypnotisme, ni ceux du professeur Pierre Janet sur les tables tournantes, ne justifient certaines affirmations des occultistes contemporains qui ont un retentissement considérable sur le grand public, comme en témoigne le récent jugement de Saint-Quentin, sur lequel je reviendrai.

Rien de plus utile donc que la délimitation précise du champ actuel de l’occultisme. Car la base de toute science vraie est la connaissance des limites exactes de son domaine acquis, des terres inconnues à découvrir au-delà, et de la méthode avec laquelle chacun doit s’efforcer de reculer ces limites et de « désocculter l’occulte. »


Avant de laisser ces généralités et pour préciser encore la définition donnée plus haut de l’occultisme, il faut insister sur ce qu’il n’est pas et faire quelques distinctions nécessaires.

Il est tout d’abord indispensable et facile de montrer en quoi le sens que j’adopte pour le mot occultisme est différent de celui que lui donne Papus (le docteur Encausse) dans son Traité élémentaire de science occulte. Pour cet auteur et ceux qui pensent comme lui, l’occultisme, « partout identique dans ses principes, » est « un code d’instruction » qui « constitue la science traditionnelle des mages. » C’est « une tradition de très haute antiquité dont les théories n’ont pas varié, dans leur base essentielle, depuis plus de trente siècles. » Mais quand on s’efforce de discuter les titres d’une de nos connaissances à l’existence scientifique, on ne peut admettre, comme moyens de démonstration, que l’observation, l’expérimentation, la déduction ou l’induction. Comme le dit très bien M. Maxwell, « l’analogie et les correspondances n’ont pas dans la logique ordinaire la même importance, » et, en science positive, « la vérité ne saurait être utilement cherchée dans l’analyse d’un livre très beau, mais très vieux. »

Je ne m’occuperai pas non plus de la théosophie qui est une sorte de religion, accuse un « curieux mouvement mystique » mais n’a rien à voir, non plus, avec les procédés de la science.

Dans mon esprit, le mot « occulte » n’a donc rien de commun avec les mots « dissimulé, » « réservé aux initiés, » « ésotérique, » « hermétiste… » On peut étudier les phénomènes occultes même les plus complexes comme les matérialisations, sans être occultiste au sens de Papus et sans être théosophe. On peut également les étudier sans être spirite.

C’est là une seconde distinction à faire : il ne faut pas confondre le spiritisme avec l’occultisme. Le spiritisme est une théorie (que je discuterai plus loin) admise par certains auteurs pour expliquer les faits de l’occultisme. Mais on peut étudier ces faits sans adopter cette théorie. On peut faire tourner les tables, on peut être médium sans évoquer les esprits. Un des objets principaux de cet article est précisément de prouver la nécessité d’étudier séparément les théories et les faits.

Enfin la question du surnaturel est, elle aussi, absolument distincte de la question de l’occultisme. Le surnaturel, non seulement n’est pas de la science (ce qui le rapproche de l’occulte), mais n’en sera jamais, ne peut pas en être, et par là il se sépare absolument de l’occulte. Notez qu’en constatant ceci je ne crois en rien diminuer la valeur de nos connaissances sur le surnaturel. Mais la connaissance que nous avons du surnaturel n’est pas d’ordre scientifique, et ne peut pas devenir d’ordre scientifique sous peine de disparaître. Un miracle susceptible d’être, un jour ou l’autre, scientifiquement expliqué ne serait plus un miracle. Ceci pour souligner, une fois pour toutes, que je ne m’occuperai dans cet article ni du surnaturel ni du miracle.


Le terrain me paraît donc nettement circonscrit et défini. Je limite l’occultisme à l’étude des phénomènes qui, 1o n’appartiennent pas encore à la science, 2o peuvent sans contradiction logique en faire partie plus tard.


II. — LES THÉORIES

La Confusion qui règne dans la critique de l’occultisme vient en grande partie de ce que l’on ne discute pas séparément les théories et les faits. J’étudierai donc d’abord les théories et spécialement les deux principales : le spiritisme, et la force psychique radiante ou périsprit.

Spiritisme. — Je prends le mot spiritisme dans son sens étymologique : c’est la doctrine qui attribue les phénomènes occultes à l’évocation des esprits.

« Depuis cinquante ans, dit M. Léon Denis (Dans l’invisible, Spiritisme et médiumnité), une communication intime et fréquente s’est établie entre le monde des hommes et celui des esprits… Le spiritisme n’est pas seulement la démonstration, par les faits, de la survivance ; c’est aussi la voie par où les inspirations du monde supérieur descendent sur l’humanité… C’est l’enseignement du ciel à la terre. » C’est la doctrine qui a été lancée, dès 1847, en Amérique et dont Allan Kardec a écrit l’Évangile, rédigé « selon l’enseignement donné par les esprits supérieurs à l’aide de divers médiums[3]. » Comme dit M. Maxwell (Les phénomènes psychiques), « le spiritisme est une religion, non une science. »

Je crois que rien n’est moins bien démontré que cette « explication systématique » des faits par les esprits.

D’abord cette évocation des esprits est absolument invraisemblable. « Je ne crois pas, dit A. Morin, qu’après avoir eu l’esprit de se débarrasser des entraves du corps humain, une âme soit assez bête pour se fourrer dans un morceau de bois et manifester sa présence par des exercices d’équilibre aussi absurdes. » Babinet, qui cite ce passage, calcule qu’au moment où il écrit, il y a, en Amérique, 60 000 médiums à la disposition desquels tous les morts plus ou moins illustres doivent constamment se tenir. Il faut ajouter qu’à la vérité ces périodes d’hyperactivité posthume sont compensées par de longues périodes de chômage.

Il faudrait donc que le spiritisme fît sa preuve, que les esprits donnassent de leur présence et de leur identité des preuves nombreuses et irréfutables. Or, il n’en est rien.

Les idées exprimées dans les séances d’évocation sont celles du médium ou des assistans, nullement celles du mort qui parle. « Corneille, dit M. Pierre Janet, quand il parle par la main des médiums, ne fait plus que des vers de mirliton et Bossuet signe des sermons dont un curé de village ne voudrait pas pour son prône. Wundt, après avoir assisté à une séance de spiritisme, se plaint vivement de la dégénérescence qui a atteint, après leur mort, l’esprit des plus grands personnages ; car ils ne tiennent plus que propos de démens et de gâteux… Ce serait vraiment à renoncer à la vie future, s’il fallait la passer avec des individus de ce genre. » Il faut lire les livres des professeurs Flournoy (Des Indes à la planète Mars) et V. Henry (Le langage martien) sur Hélène Smith pour voir combien on retrouve la mentalité propre du médium, derrière les évocations de Marie-Antoinette, de Cagliostro ou de l’habitant de Mars[4].

Récemment on a prétendu que le docteur Hodgson, peu de temps après sa mort, avait tenu la promesse faite par lui à la Psychical Society et était revenu donner ses impressions sur l’au-delà. « Le monde ne pouvait demander une preuve plus éclatante. » Malheureusement le professeur Hyslop a démenti cette prétendue promesse ; le docteur Funk a déclaré que « la nouvelle est absolument fausse ; » et ainsi la démonstration rêvée s’est effondrée. Myers « a proposé aux membres de la S. F. P. R. d’écrire sous pli cacheté, avant de mourir, un fait connu d’eux seuls, l’enveloppe ne devant être ouverte qu’après qu’un médium, se prétendant en communication avec l’esprit du mort, aurait cru lire le contenu de la lettre. » L’expérience n’a pas encore été faite ; et M. Marcel Mangin a montré toutes les précautions dont il faudrait l’entourer pour qu’elle ne fût pas illusoire.

Les spirites ne sont d’ailleurs pas d’accord entre eux sur la réincarnation. Il y a sur ce point, dit M. Maxwell, « contradiction formelle, absolue, inconciliable » entre les esprits continentaux et les esprits anglo-saxons. Il est « probable que les messages spirites n’émanent donc point de témoins bien informés. » Aussi certains spirites abandonnent-ils leur doctrine : on trouvera dans le livre du docteur Surbled (Spirites et médiums) l’histoire de la conversion de M. Flammarion.

Je ne vois pas plus d’argumens pour admettre avec le docteur Lapponi (Ipnotismo e spiritismo)[5] que tous les phénomènes du spiritisme sont dus à des êtres immatériels, hiérarchiquement supérieurs à l’homme, qui, quoique dans un monde meilleur, n’ont pas des idées supérieures à celles que la nature et leur culture pouvaient leur fournir…


En définitive, il faut conclure qu’il n’y a aucune preuve en faveur de cette théorie du spiritisme, qui est en elle-même absolument invraisemblable, et que par conséquent on doit rejeter.

M. Charles Richet, lui aussi, « trouve dans le spiritisme des affirmations très invraisemblables : des esprits d’Anglais qui parlent français, des fantômes qui en se matérialisant matérialisent aussi leur chapeau, leur canne et leur lorgnon ; des objets qui sont apportés à travers l’espace ; des prédictions de l’avenir, etc., etc. Dans notre conception actuelle des choses, ce sont là d’effrayantes absurdités. » Seulement il ajoute : « Mais, si les faits sont réels, ce qui est possible après tout, je serai forcé de retourner la proposition et de déclarer que l’absurdité était la négation de ces faits. »

Il n’y a pas de proposition à retourner. L’absurdité serait de maintenir la théorie du spiritisme ou de conclure, de l’effondrement de la théorie, à la non-existence des faits. Pour le moment je conclus contre la théorie du spiritisme, la question de la critique des faits restant entière.


Force psychique radiante. Perisprit. Corps astral. — En face de la théorie spirite, il y a la théorie des radiations humaines qui, dans ses formes contemporaines, est certainement beaucoup moins irrationnelle et moins anti-scientifique que la première.

Dans sa forme occultiste, cette théorie a été exposée par le docteur Encausse (Papus) dans son livre L’occultisme et le spiritualisme. Entre l’esprit immortel et le corps physique de l’homme, il y a un intermédiaire, le corps astral. L’homme est ainsi « comparé à un équipage dont la voiture représente le corps physique, le cheval le corps astral et le cocher l’esprit. » C’est à la « sortie du corps astral » que sont dus tous les phénomènes d’ « extériorisation » depuis les luminosités jusqu’aux matérialisations : tous les phénomènes occultes sont dus à « une action à distance du corps astral du médium. » M. Léon Denis compare encore « l’homme à un foyer d’où émanent des radiations, des effluves qui peuvent s’extérioriser en couches concentriques au corps physique et même, dans certains cas, se condenser à des degrés divers et se matérialiser au point d’impressionner des plaques photographiques et des appareils enregistreurs. »

Cela rappelle l’od de Charles Reichenbach (1845) et le magnétisme animal de Mesmer, « fluide universellement répandu » au moyen duquel « nous agissons sur la nature et nos semblables. » Le docteur Surbled est persuadé (Spiritualisme et spiritisme) « que le fluide magnétique des auteurs n’est que le fluide électrique vital dont l’existence sera prochainement reconnue et démontrée. » Le docteur Baraduc a récemment exposé au tribunal de Saint-Quentin que, d’après lui, « tous les segmens de notre organisme, segment cérébral, segment pulmonaire, segment gastrique, segment génital, ont une radio-activité, une zone de vibrations différentes, comme nature, qui, par leur puissance d’émanation, peuvent exercer une influence télépathique, une sorte de télégraphie sans fil sur la radio-activité passive des organes d’une autre personne, en hypotension vitale. »

On a imaginé pour démontrer et mesurer cette force psychique radiante une série d’appareils. Dans un article de l’Initiation (reproduit par l’Écho du merveilleux), Papus indique : « l’excellent biomètre de Louis Lucas, établi sur le principe du galvanomètre ; » puis le biomètre de l’abbé Fortin… Ensuite vient le biomètre du docteur Baraduc, issu de celui de Fortin sans grande modification. Enfin le docteur Audollent a présenté « un biomètre galvanomètre à très fort enroulement de fil. » En 1904, le docteur Joire a décrit, dans les Annales des Sciences psychiques, un sthénomètre qui lui permet d’affirmer l’existence d’une « force spéciale, qui se transmet à distance, émanant de l’organisme vivant et paraissant spécialement sous la dépendance du système nerveux… »


J’ai cru logique et utile de grouper ces divers travaux qui sont tous susceptibles de graves objections.

La plupart de ces théories (corps astral, perisprit) n’ont pour preuves que les faits mêmes d’extériorisation de la force qu’elles veulent expliquer. Elles expriment simplement en d’autres termes ces faits eux-mêmes. Elles ne peuvent donc pas être démontrées autrement que par la démonstration même des faits que nous examinerons dans les pages suivantes.

Les recherches faites avec les biomètres et sthénomètre veulent donner à la théorie une base expérimentale, autre que les faits à interpréter. En ce sens, elles sont beaucoup plus scientifiques. Mais je ne crois pas qu’elles aient encore conduit à des conclusions fermes. D’abord les divers appareils n’ont pas encore démontré l’existence d’une force qui soit irréductible aux autres formes connues de la force (chaleur, électricité…). Puis, cette démonstration serait-elle faite, rien ne prouverait que cette nouvelle force psychique constitue vraiment un agent de communication directe entre deux psychismes séparés. Or, toute la question est là et c’est cela qu’il faudrait prouver. Dans ces derniers temps, on a découvert bien des radiations nouvelles (ondes hertziennes de la télégraphie sans fil, rayons X, rayons N si discutés d’ailleurs). Certains occultistes ont immédiatement chanté victoire en voyant là une preuve scientifique nouvelle de leurs idées. Il n’en est rien. Il ne suffit pas de découvrir de nouvelles radiations humaines, il faut établir la mise en jeu de ces radiations dans les cas de transmission directe de la pensée et leur objectivation dans les cas de matérialisation… Or, cette démonstration n’est pas faite.

Donc, la théorie des radiations psychiques n’est pas plus établie que la théorie spirite.

Soyons sûrs en revanche, que, du jour où l’extériorisation de la force psychique sera démontrée en fait, les théories seront faciles à trouver pour l’expliquer. Mais il faut d’abord établir la réalité scientifique des faits. Cette démonstration des faits est-elle actuellement possible ? Voilà la grosse, la vraie question que je vais aborder maintenant.


III. — LES FAITS[6]

De tout ce qui précède, il résulte que l’étude de l’occultisme ne doit pas être un exposé de théories plus ou moins vraisemblables, mais une analyse et une critique des faits. Comme l’a très bien dit M. Richet, seuls « les faits ne sont jamais absurdes. Ils sont ou ne sont pas. S’ils existent, l’étude des phénomènes doit précéder la critique des théories. » Beaucoup d’auteurs le reconnaissent aujourd’hui et c’est pour cela que bien des travaux de l’École contemporaine méritent de fixer l’attention du monde savant.

Dès le début de cette étude critique des faits occultes, une première et importante remarque est nécessaire. Je crois qu’il faut absolument renoncer, et pour toujours, à une espérance qui paraît tenir au cœur de plusieurs auteurs, honorables entre tous. Cette espérance, que je crois une illusion, est la pensée qu’on pourrait appliquer la connaissance des phénomènes occultes à l’apologétique et au triomphe ou à la réfutation et à l’écrasement d’une doctrine philosophique ou religieuse quelconque. Je pose en principe qu’aucune doctrine philosophique ou religieuse n’a intérêt au succès ou à l’insuccès de ces recherches. L’avenir d’aucune de ces doctrines n’est lié au sens dans lequel seront formulées les conclusions d’aujourd’hui et celles de demain dans l’enquête que je fais ici. Et c’est fort heureux pour ces doctrines ! Car des faits aussi discutables et discutés ne pourraient donner qu’une base et des argumens bien fragiles à une philosophie ou à une religion.

Il avait paru à beaucoup d’auteurs que le spiritualisme en particulier trouvait dans le spiritisme une sorte de démonstration expérimentale[7]. M. Delanne proclame que là est « la base sur laquelle s’appuiera la démonstration de la survivance ; » et on en est arrivé à confondre presque, comme synonymes, les deux mots « spiritisme » et « spiritualisme. » « Un spiritualiste, dit M. Marcel Mangin, n’a évidemment pas de peine à devenir spirite » et M. Gaston Mery a même prononcé le mot de « catholicisme expérimental. » Bien remarquable à ce point de vue est le dernier chapitre du livre de Myers (La personnalité humaine ; la survivance ; ses manifestations supranormales). « Je prétends, dit-il, qu’il existe une méthode d’arriver à la connaissance de ces choses divines avec la même certitude, la même assurance calme, auxquelles nous devons les progrès dans la connaissance des choses terrestres. L’autorité des religions et des Églises sera ainsi remplacée par celle de l’observation et de l’expérience. » C’est « par nos âmes que nous sommes unis à nos semblables… le corps sépare lors même qu’il semble unir… Grâce aux nouvelles données que nous possédons, tous les hommes raisonnables croiront avant un siècle à la résurrection du Christ, tandis que, sans ces données, personne n’y croirait plus avant un siècle… Si les résultats des recherches psychiques avaient été purement négatifs, les données du christianisme n’auraient-elles pas reçu un coup irréparable ?… Il existe des manifestations indiscutables qui nous parviennent d’au-delà du tombeau. L’affirmation centrale du christianisme reçoit ainsi une confirmation éclatante. » Tous ces faits observés conduisent Myers à corroborer, dans le passé, toutes les bases de la religion chrétienne et à confirmer dans l’avenir, « la conception bouddhiste d’une évolution spirituelle infinie, à laquelle est soumis le Cosmos tout entier. »

Il me paraît que ces citations, à elles seules, suffisent à réfuter ce que l’auteur veut prouver.

Dans sa préface au livre du docteur Dupouy, M. Édouard Drumont dit : « Ce qui est curieux, c’est de voir la science, la science procédant par cette fameuse méthode expérimentale dont on parle tant, attester la réalité de tous les faits surnaturels qu’on traitait au commencement de ce siècle d’impostures et de supercheries. » Et Mgr Élie Meric dans les Préfaces du livre du docteur Surbled (1898) et du livre du R. P. Michel Molli (La magie moderne, 1902) constate que, grâce à toutes ces recherches, « le matérialisme est vaincu[8] » et retrouve dans le phénomène spirite « la confirmation expérimentale de l’enseignement de la théologie touchant les Esprits, leur nature, leur agilité, leur intelligence pénétrante, leurs évolutions prodigieuses, leur présence dans l’espace, leur irruption dans certains personnages dont ils confisquent provisoirement la responsabilité. » Et alors on comprend le R. P. Rolli précisant les cas où l’on a affaire aux « esprits angéliques » et les cas dans lesquels on peut tenir « pour certain que ce sont des démons. »

D’où les conclusions du livre du docteur Lapponi, médecin de Leurs Saintetés Léon XIII et Pie X : « lo spiritismo è la manifestazione di attività di ordine preternaturale… lo spiritismo di oggi è identico alla magia e alla necromanzia dei Greci, dei Romani e del Medio Evo… Lo spiritismo è sempre pericoloso, dannoso, immorale, riprovevole, e da condannare e da interdire severissimamente, senza restrizione, in tutti i suoi gradi, in tutte le sue forme, e sotto tutte le sue possibili manifestazioni. » Cela rappelle la condamnation de l’hypnotisme par l’évêque de Madrid, Mgr Sancha Hervas, dans sa lettre pastorale du 19 mars 1888.

En dehors du catholicisme, le rabbin Dante A. Lattes pense que « le spiritisme, qui est devenu une science expérimentale, sévère, étendue, est sur le point de nous dévoiler les mystères de l’au-delà, en transformant en conviction sûre ce qui n’est actuellement que de la foi. » Au contraire, le protestant Godfrey Raupert s’étonne « du silence des pasteurs et des chefs de l’Église anglicane devant le danger qui, à son avis, menace la foi » et il approuve « les religions orthodoxes dans leur condamnation de l’évocation des esprits comme une chose immorale et comme une violation des secrets que l’Éternel a voulu cacher à l’homme. »


Anathèmes, craintes, illusions, tout cela disparaît, si, comme j’en suis convaincu, il n’y a absolument rien de démontré et de vrai dans l’hypothèse spirite. On peut et on doit discuter l’existence des faits sur lesquels cette théorie s’appuie. Mais ces faits, fussent-ils absolument démontrés, n’impliquent à aucun titre l’évocation d’esprits, et ne prouvent donc ni la survivance, ni les anges, ni les démons.

Le docteur Surbled dit très justement : « Nous n’apercevons pas là une base pour l’apologétique et nous y dénonçons au contraire une illusion dangereuse, une véritable erreur de tactique. »

Il ne faut d’ailleurs pas plus voir dans ces études un instrument de combat contre les doctrines spiritualistes et religieuses. Je ne suis pas de l’avis de M. Richet quand il dit que, depuis et par ces recherches, « le surnaturel est devenu phénomène naturel. » Non ! Comme je l’ai dit plus haut, l’occulte n’a rien à voir avec le surnaturel ni pour l’étayer ni pour le renverser. L’étude de l’occultisme n’est donc pas et ne sera jamais un instrument d’apologétique pour personne, en même temps qu’elle n’est une gêne ou une objection pour personne. Elle est permise à tous, croyans et incroyans, spiritualistes et matérialistes, n’étant, de sa nature, contradictoire à aucune doctrine philosophique ou religieuse.


Cela dit, pourquoi cette étude apparaît-elle si difficile ? Pourquoi le travail de contrôle n’est-il pas encore terminé et comment y a-t-il encore de l’occulte, alors que beaucoup de ces faits sont affirmés et ont été observés, non seulement par des hommes d’une absolue et indiscutée bonne foi, mais par des hommes qui, comme William Crookes et Charles Richet par exemple, sont de vrais savans, savent ce que doivent être une méthode et une expérience scientifiques ?

La raison en est simple : c’est que les phénomènes occultes ne peuvent pas être reproduits à volonté et que, par suite, on ne peut pas leur appliquer les procédés habituels et rigoureux du contrôle scientifique. D’abord il faut un médium, c’est-à-dire un individu particulier, à aptitudes spéciales : on ne peut donc pas, à tout coup, avec n’importe qui, faire une expérience dans un laboratoire, quelque bien outillé qu’il puisse être. De plus, quand on a le médium, l’expérience ne réussit pas toujours ; il y a une contingence dans les résultats, une complexité, et, disons-le, un mystère dans le déterminisme, qui multiplient les échecs et enlèvent même aux expériences qui réussissent, une partie de leur valeur.

M. Maxwell, qui s’efforce de soumettre l’étude de ces phénomènes à la « discipline scientifique, » reconnaît qu’au moins en apparence ils sont « rebelles à cette discipline. » On peut observer, mais non expérimenter, parce qu’on ne connaît que trop imparfaitement les conditions des faits, « antécédens nécessaires du phénomène cherché. » Si les savans « veulent a priori établir les conditions de leurs expériences, ils risquent fort de n’avoir aucun résultat appréciable. » M. Charles Richet déclare aussi qu’il a été « longtemps embarrassé » par « la difficulté d’avoir des expériences précises ; » que « maintenant encore, après de longues années d’études, » cette difficulté lui « paraît des plus sérieuses. » Car « de fait, à mesure qu’on multiplie les précautions, les mensurations, les contrôles, il semble qu’on atténue l’intensité des phénomènes. »

La constatation est très juste. C’est là une difficulté très réelle dans l’étude de l’occultisme. Mais ce n’est pas une difficulté insurmontable, une fin de non-recevoir définitive.

Si ces phénomènes existent vraiment, ils ont leur déterminisme. Ce déterminisme est complexe, encore inconnu ; mais il existe, si les faits existent. Il ne faut donc pas désespérer de le découvrir. En tous cas, on a le droit de le rechercher.

Pour expliquer cette impossibilité actuelle d’expérimenter sur ces phénomènes M. Maxwell dit : « La matière vivante ne réagit pas comme la matière inorganique ou comme les substances chimiques. » Rien de plus juste ! Mais il y a bien des phénomènes biologiques dont on connaît le déterminisme. Toute la physiologie est bien fondée sur l’expérimentation. Le déterminisme biologique est évidemment beaucoup plus complexe et par suite plus difficile à analyser que le déterminisme physico-chimique ; mais il n’est pas inaccessible aux procédés d’étude de la science positive. Même, parmi les phénomènes biologiques, les phénomènes psychiques, qui sont encore beaucoup plus complexes, peuvent être scientifiquement étudiés. Papus oppose, par les caractères indiqués plus haut, le fait psychique au fait scientifique. Ce n’est exact que si on fait du mot psychique un synonyme d’occulte. On peut dire qu’il y a aujourd’hui une étude expérimentale et scientifique du psychisme.

D’ailleurs, ce qui s’est passé pour l’ancien occultisme, pour les phénomènes, autrefois occultes, aujourd’hui « désaffectés, » est singulièrement instructif. Pour l’hypnotisme, pour les tables tournantes, il faut bien un sujet, un médium et cependant on est arrivé à en connaître le déterminisme expérimental et à les faire entrer dans la science positive.

En tous cas, il ne faut se lasser de le redire, parce que là est le nœud de la question, l’existence des phénomènes occultes ne sera scientifiquement et définitivement établie que quand on aura fait pour eux ce que Charcot et le professeur Bernheim ont fait pour l’hypnotisme, quand on en aura fixé le déterminisme. Il y a trois ou quatre ans, M. Charles Richet m’écrivait : « J’ai par devers moi, depuis quelques mois, quelques faits qui me semblent défier toute critique. Ils n’ont qu’un tort, c’est d’être non répétables et uniques, de sorte que ce n’est pas encore le moment scientifique et je ne les publie pas. » On ne saurait mieux dire. Il faut arriver à la constatation du fait scientifiquement répétable. Jusque-là, il n’y a rien de fait.

Une autre difficulté, grave entre toutes, vient encore décourager les travailleurs : ce sont les fraudes des médiums.

Il ne faut rien exagérer, et il serait ridicule de poser d’emblée que tous les médiums fraudent, et surtout de dire qu’ils fraudent toujours, alors même qu’ils sont convaincus d’avoir fraudé quelquefois. Mais enfin, il est certain que les fraudes existent et sont fréquentes. Elles sont de deux genres : les unes sont conscientes et voulues, les autres sont involontaires et inconscientes.

Plus dangereux sont les sujets de bonne foi qui trompent sans le vouloir et sans en avoir conscience. L’existence de ce genre de fraudes est scientifiquement établie depuis qu’on a analysé le mécanisme des tables tournantes. Toute personne d’absolue bonne foi qui fait tourner une table est un fraudeur[9] inconscient.

En tous cas, consciens, inconsciens ou mixtes (comme dit M. Maxwell), nombreux sont les médiums que l’on a convaincus de fraude, au moins dans un certain nombre d’expériences.

Le 17 décembre 1904, est morte en Allemagne Anna Rothe, le « médium aux fleurs, » célèbre par ses apports de fleurs et de fruits. La police prussienne et l’empereur Guillaume lui avaient fait intenter un procès retentissant, dans lequel il a été démontré qu’elle avait fraudé, au moins dans un grand nombre de circonstances. Le médium australien Bailey avait opéré, dans son pays, des apports si extraordinaires que la Société d’études psychiques de Milan l’a fait, à ses frais, venir en Europe. L’organe de la Société Luce e Ombra a rendu compte des expériences faites dans cette ville. Mais, comme l’a remarqué C. de Vesme, il opérait toujours dans l’obscurité et n’a jamais voulu être déshabillé complètement avant les séances, craignant de prendre froid ; en le palpant, on trouva un jour un corps dur, qu’il dit être une loupe et dont on a négligé de préciser l’histoire ultérieure. Quand on multipliait les précautions de surveillance, on avait des séances déplorables. Après l’une d’elles, Bailey, prétextant des affaires de famille, repartit pour l’Australie. On comprend que le romancier Fogazzaro ait trouvé peu sérieuses les manifestations médianimiques ainsi obtenues.

Slade, « l’un des plus célèbres médiums de la deuxième moitié du siècle dernier, » avait pour spécialité « l’écriture directe sur les ardoises. » Un jour, à Londres, « le médium venait à peine de placer sous la table l’ardoise, lorsque Lankeser la lui arracha des mains et constata qu’elle contenait déjà de l’écriture. » Ce fut le point de départ d’un procès qui a fait beaucoup de bruit.

Charles Eldred, de Nottingham, avait obtenu de curieuses matérialisations. Mais on trouva dans le dossier de sa chaise une cachette dans laquelle il y avait « une tête de maille avec un masque couleur de chair ; six pièces de belle soie blanche de la Chine, deux pièces d’un drap noir très fin, trois barbes de formes différentes, deux perruques, une petite lampe électrique avec quatre mètres de fil[10]… » A la même époque, le médium Craddock a été saisi par le bras et retenu par le lieutenant-colonel Mark Mayen au moment où il faisait lui-même l’esprit matérialisé. Il a pour cela été condamné, comme a rogue and a vagabond, à une amende de dix livres sterling ou à un mois de prison[11]. L’année précédente, le médium Ebstein avait été, de même, démasqué, dans une séance de matérialisation, par l’allumage inattendu de la lumière électrique qui montra « un mannequin badigeonné de peinture lumineuse[12]. » Pour Mme  Piper, le grand médium dont les révélations ont permis à Hodgson d’écrire ses « aperçus d’un autre monde, » le docteur Bérillon « a fait les plus expresses réserves ; » Podmore « croit qu’il peut y avoir de grandes présomptions de fraude ; » et M. Maxwell a rappelé ses erreurs et ses efforts « pour tirer les vers du nez de ses cliens. »

M. Maxwell a montré aussi combien ont été superficielles et faussées les expériences de Hodgson avec Davey, notamment pour l’écriture sur des ardoises. « Davey a frauduleusement aussi produit des raps et des matérialisations. » Le même auteur croit que Mlle  Fairlamb, Mlle  Wood et un troisième médium « qui a été plus tard l’objet de discussions assez vives, ont été surpris par divers expérimentateurs, au cours d’une séance, dans des postures qui permettaient de suspecter leur bonne foi. »

Miller, le fameux médium de San Francisco, a refusé à MM. de Rochas, Delanne et de Vesme de faire des expériences qui seraient scientifiquement contrôlées.

Enfin[13] Eusapia Paladino, dont les transes ont été observées et étudiées par des savans de tout premier ordre, a été, elle aussi, surprise fraudant, notamment à Cambridge « où les expérimentateurs ont eu la malchance de ne voir que de la fraude pendant vingt séances. » Ce qui a amené la Society for psychical Researches à décider qu’à partir de ce moment, elle ignorerait ce que ferait Eusapia, comme elle ignore « ce que font les autres personnes adonnées à ce métier malhonnête. »

Cette appréciation est exagérée et ce jugement est anti-scientifique.

De ces exemples de fraudes des médiums il faut se garder de conclure qu’un médium, convaincu de fraude dans certains cas, fraude nécessairement dans tous les cas ; de même qu’il serait faux d’en conclure que tous les médiums fraudent. La seule chose à conclure (et elle est déjà très importante), c’est que la fraude, consciente ou inconsciente, est extrêmement fréquente et parfois très difficile à dépister.

Dès lors, il n’est peut-être pas nécessaire de fonder, comme en Amérique, une Anti-fakirs[14] Society pour démasquer les médiums tricheurs. Mais il est nécessaire de se rappeler dans l’expérimentation un certain nombre de préceptes que je résumerai ainsi : 1o Il faut beaucoup et toujours se méfier des médiums payés, surtout des médiums professionnels et de ceux qui ont un barnum ; 2o Comme l’a très bien remarqué M. Maxwell, il faut se méfier des médiums qui réussissent toutes leurs expériences et obtiennent à tout coup les résultats prévus et annoncés ; 3o Il faut, si possible, opérer en pleine lumière et, si c’est absolument impossible, avoir un dispositif qui permette toujours de refaire brusquement la lumière à un moment absolument inattendu par le médium ; 4o Il est bon d’éprouver la suggestibilité du médium, c’est-à-dire la facilité plus ou moins grande avec laquelle on pourrait, sans qu’il s’en doutât, lui faire faire une fraude…

En un mot, il ne faudrait pas que la connaissance de ces fraudes arrêtât, comme dit Ochorowicz, « l’étude, à peine commencée, des phénomènes médianiques » et décourageât « une grande partie de ceux qui ont été sur le point de l’aborder. » Mais il faut que cette connaissance inspire une grande prudence et beaucoup de réserves dans la discussion et l’appréciation des faits de l’occultisme.


Pour finir sur ce point, je dois, sinon donner une classification des faits occultes, tout au moins indiquer l’ordre dans lequel je vais les passer en revue.

Tous ces faits se ramènent évidemment à un phénomène d’extériorisation du psychisme sous forme de pensée (lecture de la pensée, suggestion mentale), sous forme de mouvement (lévitation, mouvemens sans contact), ou sous forme de sensation (raps, matérialisations, objets lumineux). Quand tous ces faits seront devenus scientifiques, tel sera probablement le point de départ de leur classification.

À la période actuelle (préscientifique) et quand il s’agit de discuter leur existence même, je préfère les classer par la dose plus ou moins grande de merveilleux qu’ils contiennent, et relativement à la distance plus ou moins grande qui les sépare encore de la science.

Je les divise donc en deux groupes. Le premier comprend les faits dont la démonstration, si elle est possible, paraît en tous cas lointaine (télépathie et prémonitions, apports à grande distance, matérialisations). Le second comprend les faits dont la démonstration est peut-être moins éloignée et en tous cas doit être recherchée tout d’abord (suggestion mentale et communication directe de la pensée ; déplacemens voisins sans contact, lévitation et raps ; clairvoyance).

Je commence ainsi par les faits les plus compliqués, les moins vraisemblables, les plus éloignés d’une démonstration scientifique, pour terminer par les moins invraisemblables, ceux auxquels on devrait, à mon sens, limiter les recherches expérimentales actuelles.


IV. — FAITS DONT LA DÉMONSTRATION, SI ELLE EST POSSIBLE,
PARAÎT, EN TOUS CAS, LOINTAINE

Télépathie et prémonitions. — On appelle télépathie[15] une sensation éprouvée par un sujet A quand, à une grande distance, il arrive un événement grave (maladie, accident, mort) à un sujet B que ne relie à A aucun des moyens connus de communication psychique. Ainsi la femme d’un soldat, pendant la guerre de 1870, voit son mari tomber, le pantalon couvert de sang et apprend le lendemain qu’en effet il a eu les deux jambes emportées par un boulet. Voilà de la télépathie.

Dans ce cas, le sujet B n’intervient pas dans la production de la sensation chez A. C’est ce qui, avec la distance, différencie la télépathie de la transmission de la pensée que j’étudierai plus loin.

Si la sensation précède le fait auquel elle correspond, cela devient un pressentiment, une prémonition.

Ne voulant pas m’occuper du tout de surnaturel, je ne parle ici ni de divination ni de prophétie[16]. M. Flournoy m’a reproché d’avoir mis la divination hors de la science actuelle et future. Il reste cependant évident que qui dit divination dit processus anti ou tout au moins extra-scientifique. En science, on peut prévoir, pressentir, c’est-à-dire indiquer des choses futures en se fondant rationnellement sur les choses connues (passées ou présentes) ; mais on ne devine pas, on ne prophétise pas. La divination, étant hors de la science, même de l’avenir, ne fait pas partie de l’occulte, tel que je l’ai défini.

Dans la télépathie, au contraire, il n’y a rien qui soit contradictoire à une démonstration scientifique plus ou moins prochaine. Déjà, en 1890, M. Alfred Fouillée disait dans la Revue[17] : « Il est possible qu’il y ait ou plutôt il est impossible qu’il n’y ait pas des modes de communication à travers l’espace qui nous sont encore inconnus. On peut construire des télégraphes sans tous les fils télégraphiques ordinaires. » La chose est possible, n’est pas anti-scientifique. Il s’agit de savoir si elle existe.

Les faits publiés de télépathie sont extrêmement nombreux. On en trouvera dans tous les journaux spéciaux, dans le livre du docteur Dupouy et surtout dans celui de Gurney, Myers et Podmore (Les Hallucinations télépathiques). Dans ces expériences, l’énormité de la distance à franchir n’est pas un obstacle. Le Light of Truth a publié l’histoire contée par le professeur James Hyslop (de l’Université de Columbia) d’un message transmis, par l’intermédiaire du médium Mme  Eleonora Piper, de l’Amérique du Nord en Angleterre. Ce message envoyé en anglais fut reçu en latin. Hyslop « est bien persuadé » qu’il y a eu un esprit interposé.

M. Xavier Pelletier écrivait tout récemment dans l’Écho du merveilleux : « La faculté de vue à distance, de pressentiment, ne peut plus être niée aujourd’hui, tant sont nombreux les exemples qu’on en rencontre. »

On publie aussi beaucoup de cas de divination et de prophétie. Les Annales des Sciences psychiques se sont souvent occupées de Mlle  Couedon. Dans le même numéro du 1er avril 1906 de l’Écho du merveilleux, il y a une prophétie de Mlle  Couedon (du 5 novembre 1896) sur la séparation de l’Église et de l’État et une prophétie de Nostradamus (de 1566) sur la catastrophe de Courrières[18]. Dans le numéro du 1er mars du même journal, Mme  Maurecy raconte une visite qu’elle a faite à deux voyantes, « qui toutes deux ont la vision de la guerre probable. L’une dit que nous serons vainqueurs, l’autre affirme exactement le contraire. Ce qu’il y a de curieux, ajoute le baron de Novaye (le 15 mars), c’est que pour celui qui a étudié les prophéties, cette contradiction inconciliable en apparence est parfaitement explicable… »

Les personnes capables de mener à bien ces expériences sont si nombreuses que les mêmes journaux ont annoncé un Congrès de prophètes (mai 1906) à Londres dans Exeter Hall, et, vers la même époque, un trust de sorcières dans la province de Bari, à Molfetta.

Dans tous les faits de télépathie proprement dite, le médium est impressionné par un sujet vivant. Cette dernière condition ne paraît pas indispensable et on a utilisé certains médiums pour découvrir des cadavres.

On a vu plus fort encore. Le sujet impressionnant peut être mort depuis un très grand nombre d’années : le médium, s’il est de la variété psychomètre, pourra reconstituer cette personne et la vie de cette personne, pourvu qu’on lui fasse toucher et palper un objet (un bijou par exemple) ayant été porté par cette personne quand elle vivait. Dans l’Écho du merveilleux du 15 janvier dernier, on lisait des expériences de ce genre faites chez M. Dace, et peu après (juillet 1906) on apprenait, non sans quelque étonnement, par tous les grands journaux quotidiens (L’Éclair de Paris, le Matin) que M. Gayet, l’infatigable explorateur d’Antinoë, en ayant rapporté la momie dorée d’une favorite d’Antinoüs, avait confié à un psychomètre une bague trouvée dans ce tombeau afin d’être mieux fixé sur la vie de cette bacchante et de connaître son nom : Arteminisia.


La question reste donc à l’ordre du jour et les faits s’accumulent constamment. J’estime cependant que, malgré cette énorme et envahissante documentation, la preuve scientifique de la télépathie n’est pas encore faite.

D’abord, pour bien déblayer le terrain et limiter le problème, il faut rappeler que les travaux modernes sur le psychisme inconscient et involontaire ou inférieur ont expliqué et par suite désocculté beaucoup de ces phénomènes. Ainsi, si, comme je le crois, il existe de vrais sourciers, — c’est-à-dire des personnes qui ont une aptitude spéciale pour découvrir des sources, — ceci n’a rien de merveilleux ni d’occulte, même quand, sans le vouloir et sans le savoir, ils font tourner leur baguette de coudrier. De même, pour des recherches différentes, certains sujets ont un flair que d’autres n’ont pas et trouvent mieux que d’autres. De plus, dans notre mémoire inconsciente ou inférieure se déposent bien des notions, dont nous ignorons l’origine et qui peuvent, à un certain moment, nous donner l’illusion d’une découverte ou d’une révélation. Maury voit en rêve, plusieurs jours de suite, « un certain monsieur à cravate blanche, à chapeau à larges bords, d’une physionomie particulière et ayant dans sa tournure quelque chose d’un Anglo-Américain. » Ce monsieur lui est absolument inconnu. Mais plus tard il le rencontre, absolument tel que dans un quartier où il était allé souvent avant son rêve et où il l’avait certainement vu, sans s’en rendre compte. Voilà qui donne au rêve l’apparence d’une divination ou d’une prémonition, alors qu’en réalité il s’agit seulement d’une résurrection des impressions inconsciemment reçues et emmagasinées.

Une explication du même genre ne peut-elle pas être admise pour l’observation suivante de M. Maxwell ? une dame regarde dans le cristal et y voit la figure d’un petit chien qui lui était absolument inconnu. Quelque temps après, à son grand étonnement, on lui fait cadeau d’un petit chien pareil à celui qu’elle avait vu dans le cristal. Brakelbank perd un couteau de poche, le cherche vainement, n’y pense plus. Six mois après, il en rêve, voit la poche d’un vieux pantalon abandonné où est son couteau. Il s’éveille, y va, le trouve. Divination ! Non. Souvenir polygonal réapparaissant dans le sommeil. « Mlle  Goodrich Freer, raconte encore Myers, voit dans un cristal l’annonce de la mort d’une de ses amies ; fait totalement étranger à son moi conscient d’ordinaire. En se reportant au Times, elle trouve, dans une feuille dont elle s’était servie pour protéger sa face contre la chaleur de la cheminée, l’annonce de la mort d’une personne portant le même nom que son amie ; de sorte que, ajoute Myers, les mots ont pénétré dans le champ de la vision, sans atteindre son esprit éveillé. »

Tous ces faits (et ils sont nombreux), qui ne sont au fond que du « déjà vu »[19] polygonal, ou plutôt des réminiscences polygonales, disparaissent du domaine de la télépathie et de la prémonition. Mais il en reste un grand nombre d’autres. Pour ceux-ci, je demande la permission de rééditer l’objection, très ressassée mais très vraie, de la coïncidence.

J’ai souvent entendu raconter autour de moi l’histoire, très curieuse, que j’ai citée tout à l’heure, de la femme de soldat qui a eu, à Montpellier, la sensation télépathique de la mort de son mari à la frontière de l’Est. Mais personne n’a relevé les heures d’angoisse antérieures, pendant lesquelles elle avait cent fois pensé à la mort violente de son mari. On n’a retenu que le cas où il y a eu coïncidence avec la réalité.

Les faits isolés ne me paraissent rien prouver. Il faudrait toujours une longue contre-épreuve, c’est-à-dire que la même personne devrait, pendant des mois et des années, noter exactement toutes les impressions fortes pouvant être interprétées comme télépathiques, noter ensuite à côté la concordance ou la non-concordance de l’événement, et on verrait si la proportion des concordances est réellement, pour certains sujets, bien plus grande que ne le veut la loi des probabilités et des coïncidences[20]. À certaines périodes, j’ai noté ainsi, pendant assez longtemps, toutes mes impressions d’apparence télépathique. En voyage notamment, j’ai bien des fois vu un de mes enfans malade, un accident… Jamais l’événement pressenti n’a eu lieu. Une seule fois, j’ai été éveillé brusquement à l’heure où mourait une de mes parentes : mais j’aimais beaucoup cette parente qui m’avait élevé, elle était très âgée, et j’avais passé auprès d’elle toute la soirée précédente, la sachant très malade. Quelle importance attacher à une coïncidence aussi simple ?

À cela on peut répondre que je ne suis pas médium. Rien de plus juste. Qu’on organise donc une vaste observation de ce genre avec des médiums. Qu’on nous donne un grand nombre de faits, négatifs et positifs, avec la même personne. Alors nous jugerons. Tant que ce travail n’est pas fait, je dis que l’existence de la télépathie et de la prémonition n’est pas encore scientifiquement démontrée.

Il faut surtout se garder, dans ces questions, de raisonner par analogie et de dire par exemple que la télégraphie sans fil prouve la télépathie. Pas le moins du monde. La télégraphie sans fil prouve (ce que l’on savait avant) que la télépathie n’est pas impossible. Mais cela ne prouve nullement qu’elle soit réelle.


Apports lointains. — Après les phénomènes de sensation, voici les phénomènes de mouvement à grande distance : ce sont les apports de fleurs, de fruits, de lettres ou d’autres objets venant de loin. J’ai déjà parlé du « médium aux fleurs, » Anna Rothe et de ses infortunes. Un an après la mort d’Anna Rothe, le médium Henri Melzer, de Dresde a renouvelé ces expériences à Leipzig. L’Écho du merveilleux réédite, d’après le Lotus rouge, des expériences du même genre de Mac Nab, le frère du chansonnier[21]. Le docteur Ferroul avait constaté des faits du même ordre avec le médium dont je reparlerai à propos de la clairvoyance…

En général, il semble que, dans toutes ces expériences, le contrôle soit très incomplètement organisé ou révèle des fraudes quand on le perfectionne. M. César de Vesme, à la fin d’une étude critique très complète (1905) des expériences de Bailey, pense qu’il faut « une mentalité toute spéciale, un désir aveuglant du triomphe du spiritualisme, pour fonder, rien que sur des preuves de cette sorte, la croyance à un phénomène si extraordinaire et encore si discuté que l’est celui des apports, de ces apports, dont des psychistes, fort bien disposés et de haute valeur scientifique, tels que sir Olivier Lodge, déclarent ne point connaître un seul exemple scientifiquement prouvé… L’on éprouve une répugnance presque invincible à croire qu’au cours d’une séance, le supposé corps fluidique du médium se dégage à tel point qu’il se rend à Babylone y pratiquer des recherches archéologiques ou bien qu’il court après les oiseaux dans les forêts de l’Australie, pour rapporter ensuite les produits de sa chasse et de ses fouilles à ces messieurs de la Société d’études psychiques de Milan. »

Ici aussi d’ailleurs le psychisme inférieur peut intervenir et produire des fraudes inconscientes. Témoin le fait que raconte M. Pierre Janet dans la Préface de mon Spiritisme devant la science.

Il s’agit d’une hystérique qui présenta à son médecin une série d’objets qui lui avaient été miraculeusement apportés, disait-on dans la famille, par sainte Philomène. C’étaient « des plumes d’oiseau, surtout du duvet qui provient probablement de son édredon, quelques fleurs desséchées, des cailloux colorés bizarrement, quelques fragmens de verre et quelques bijoux communs en argent, comme un petit ange aux ailes déployées qui semble un morceau d’une broche cassée. » La malade est « somnambule, personne n’en doute ; c’est elle qui se levait la nuit en dormant, cherchait au fond d’un coffret une petite pierre bleue en forme de cœur et la cachait dans la poche d’un tablier ou bien disposait les morceaux de verre en croix sur la table avec des plumes tirées de l’édredon. » Parfois même le somnambulisme est diurne : « La malade endormie s’étonne elle-même » en retrouvant des scènes comme celle-ci : « Avant le dîner de famille, elle se voit monter sur la table, y placer un tabouret pour s’élever plus haut et coller des plumes au plafond avec un peu de farine mouillée d’eau ; puis, elle est descendue tranquillement, a tout mis en ordre et est rentrée dans sa chambre pour s’habiller sans aucun souvenir de cette mauvaise plaisanterie. Au dîner, quand les plumes décollées peut-être par la chaleur de la lampe sont tombées, elle a été sincèrement stupéfaite. — Mais, dit-elle, comment se fait-il que j’allais faire ces choses ?… »

Voilà bien la psychologie de la fraude inconsciente.

En somme, pour les apports lointains comme pour la télépathie et la prémonition, la preuve scientifique n’est pas encore faite de leur existence.


Matérialisations. — Je comprends sous ce titre tous les phénomènes lumineux et apparitions de fantômes provoqués par des médiums, et les expériences correspondantes, telles que photographies, empreintes ou moulages de ces spectres. Après l’étude de l’extériorisation de la force motrice, c’est l’étude de l’extériorisation et de l’objectivation de la force psychique.

Car, il faut le bien souligner, je ne rouvre pas la discussion du spiritisme. La question est autre. L’effondrement du spiritisme (théorie) ne préjuge en rien la question des matérialisations de fantôme (fait). Si le fait est, un jour, démontré, il ne prouvera nullement la réincarnation des esprits, mais uniquement une objectivation de la pensée du médium, aboutissant à un objet capable d’impressionner nos sens et la plaque photographique. Avec cette théorie, qui était celle de Lombroso et de Mac Nab, et paraît être celle de MM. Richet, Segard, Maxwell… on ne peut plus objecter aux fantômes la coupe et la forme de leurs vêtemens, la langue qu’ils parlent, la mentalité qu’ils accusent. Tout cela n’est que l’expression du psychisme du médium. En d’autres termes, en discutant la réalité de l’existence de ces matérialisations, nous ne nous servirons d’aucun des argumens déjà présentés contre le spiritisme.

Les phénomènes lumineux ont été observés par beaucoup d’auteurs. Dans certaines conditions spéciales d’expérimentation, M. Maxwell a constaté, à l’état physiologique, des effluves lumineux entre les extrémités des doigts, rapprochés, puis détachés. Cette « sorte de buée grisaille » était une vue colorée pour les personnes douées de facultés psychiques. Il arrive quelquefois, continue le même auteur, « que ce n’est plus l’effluve qui s’aperçoit, mais que la main devienne, en apparence, phosphorescente. » Sur le corsage d’Eusapia il a vu flotter « de grosses gouttes phosphorescentes. » Dans toutes les expériences bien réussies, Mac Nab a observé « la formation de points lumineux ressemblant à des feux follets ; » ils « se déplacent comme de petites comètes, courent les uns après les autres comme des papillons. »

Parmi les fantômes, tout le monde connaît Katie King, observé par William Crookes avec son médium Florence Cook. Aksakof, Mac Nab, MM. de Rochas, Richet, l’archidiacre Colley et bien d’autres[22] ont observé des phénomènes semblables. Et M. Charles Richet a écrit dans le Figaro du 9 octobre 1905 : « Au risque d’être regardé par mes contemporains comme un insensé, je crois qu’il y a des fantômes. »

Tantôt on a des matérialisations incomplètes, d’un bras, d’une main ou d’une tête, que l’on voit ou que l’on sent ; tantôt on a le fantôme complet, qui peut ressembler au médium ou en être tout à fait différent. Il peut se former et se dissoudre en quelques secondes ; dans l’Éclair de Paris M. Georges Montorgueil a raconté le « corps à corps » qu’il avait eu, chez Mac Nab, avec un fantôme qui fondit dans ses doigts quand la lumière fut revenue.

Au lieu d’être extériorisé au médium, le fantôme peut se confondre avec le médium lui-même « transfiguré. »

M. Ernest Bozzano a spécialement étudié les apparitions se produisant au lit de mort, qui peuvent être perçues par le seul mourant, uniquement par les assistans ou simultanément par l’un et les autres.

De ces divers fantômes on a pris des photographies et des moulages.

Le docteur Surbled a bien résumé les premières périodes de la photographie des fantômes, les premières publications de Mumler, Beattie, Wagner, Buguet, puis la photographie des effluves humains par Narkievicz Iodko, de Rochas, Baraduc, Luys et David. Plus récemment, dit M. Delanne, « M. le capitaine Volpi a obtenu la photographie d’une fiancée couchée alors et indisposée. M. Sotrati et le docteur Hasden ont obtenu à grande distance la photographie de l’un d’eux couché alors dans son lit… Le professeur Wagner a fait une photographie où la main de l’apparition sortait d’une manchette qui était bordée d’une broderie identique à celle qui était portée par le médium à ce moment. » À Tours, le commandant Darget, dit Encausse dans Medicina, « est parvenu à enregistrer sur la plaque sensible des formes fortement pensées, » et récemment le docteur A.-M. Veeder a photographié « les ondes émanant du cerveau. » M. Albert de Rochas a publié (1905) des photographies de « doubles… »

Les moulages dans la paraffine, l’argile ou la terre glaise ont été faits avec Eusapia Paladino. On trouve dans le dernier livre de M. Albert de Rochas la photographie d’une empreinte des doigts et d’une empreinte de figure faites à distance par ce célèbre médium. Dès 1875, comme le rappelle Mac Nab, Aksakof avait pris « des moulages de pieds et de mains de fantômes, d’une seule pièce et sans raccords. »


Tous ces faits sont évidemment troublans. Mais je ne les crois pas encore de nature à entraîner une conviction scientifique.

Je n’insisterai pas sur l’objection de l’hallucination. Quoiqu’il y ait des hallucinations en commun, cette explication ne peut guère s’appliquer qu’aux expérimentateurs qui opèrent seuls (ce qui est exceptionnel) ou à des observateurs peu entraînés aux recherches scientifiques. La grosse objection reste la fraude, consciente ou inconsciente. La Tricherie n’a certes pas été constatée dans tous les cas ; mais elle l’a été dans un nombre tel que cela jette un grand discrédit et une vraie suspicion sur tous les autres.

Ainsi, pour les photographies, la fraude a été démontrée pour la première période, notamment pour Mumler en Amérique et Buguet à Paris, qui ont fini en police correctionnelle. M. Guebhard a impressionné les plaques avec un doigt artificiel en caoutchouc, rempli de sable, d’eau ou de grenaille comme avec des effluves humains et a montré les erreurs que l’on peut commettre en omettant uniquement d’agiter son « révélateur. » Pour les empreintes d’Eusapia, « les deux premières épreuves, dit le docteur Surbled, font croire qu’Eusapia a produit elle-même l’empreinte de ses doigts sur le mastic et la dernière n’établit pas qu’elle y a été étrangère. » L’obscurité et le « cabinet » avec son rideau, nécessaires à toutes les séances de matérialisation, sont un élément de suspicion dont la Revue spirite ne diminue guère la valeur en faisant remarquer que la chambre noire est indispensable aux photographes et que, dès la conception, le principe vital a besoin pour se développer de se réfugier « dans l’obscurité des entrailles maternelles. »

« Les phénomènes lumineux, dit M. Maxwell, sont aisés à frauder : l’huile phosphorée[23] et certains sulfures[24] permettent d’imiter des mains, des formes. Je connais une photographie faite au magnésium dans une séance ; le médium ayant une fausse barbe et une serviette blanche autour du cou, imitant une sorte de vêtement. Les personnes qui ont assisté à cette séance ne peuvent admettre qu’elles ont été trompées. L’une d’elles, un de mes amis, très au courant des choses psychiques, mais trop honnête pour soupçonner la fraude, n’a pas cru à mon jugement sur cette photographie. Il a fallu qu’il fût confirmé par le célèbre Papus. Quant aux attouchemens, Dieu sait s’il est facile de les simuler dans l’obscurité. L’on sait le rôle que les poupées, les déguisemens, les compères jouent dans les séances de matérialisation. L’imagination des escrocs est d’une inconcevable fertilité. »

Pour terminer, je rappellerai l’histoire de la villa Carmen qui a fait tant de bruit dans ces derniers temps et dans laquelle il semblait que la valeur des observateurs et toutes les précautions prises mettaient bien à l’abri de la fraude et du truquage.

En novembre 1905, « non sans grande hésitation, » M. Charles Richet a fait connaître dans les Annales des Sciences psychiques des expériences faites, au mois d’août précédent, à la villa Carmen, près d’Alger, chez le général et Mme  Noël, avec Mlle  Marthe B… médium. Le fantôme BB ou Bien-Boa qu’il a vu là à plusieurs reprises n’est ni une image reflétée dans un miroir, ni une poupée, ni un mannequin. « Il possède tous les attributs de la vie. Je l’ai vu sortir du cabinet, marcher, aller et venir dans la pièce. J’ai entendu le bruit de ses pas, sa respiration et sa voix. J’ai touché sa main à diverses reprises. Cette main était articulée, chaude, mobile. » BB souffle avec un tube dans de l’eau de baryte qui devient toute blanche et, comme on crie « bravo ! » le fantôme reparaît et salue à trois reprises. On l’a photographié plusieurs fois pendant une déflagration soudaine d’un mélange de chlorate de potasse et de magnésium… Depuis février 1902, le même fantôme était déjà apparu bien des fois, avec d’autres médiums.

M. Charles Richet, qui avait naturellement pris toutes les précautions d’un expérimentateur averti et faisait lui-même les explorations les plus minutieuses avant et après chaque séance, discute toutes les hypothèses avant d’accepter des faits aussi extraordinaires, proclame ainsi que jusqu’ici les autres expérimentateurs n’ont pas encore entraîné la conviction, et conclut que la seule question est de savoir s’il y a eu, ou non, fraude.

Malheureusement il semble qu’il y ait eu fraude, ou tout au moins la preuve n’est pas faite de la non-tricherie. D’après les publications du docteur Rouby à Alger (les Nouvelles), du docteur Valentin à Paris (la Vie normale), du peintre von Max à Leipzig (Psychische Studien), il semble que, dans les expériences antérieures à celles de M. Richet, la fraude a été volontairement commise par un médecin et par le cocher arabe Areski ; et, dans les expériences de M. Richet, il y a eu fraude, consciente ou inconsciente, du médium, au moins dans beaucoup de séances, dans un nombre suffisant de séances pour qu’on n’ait plus foi dans les autres.

De cette histoire que M. Charles Richet a très bien fait de publier[25] ressort cette double conclusion : 1o la démonstration des matérialisations n’est pas encore faite ; 2o la question ne paraît même pas mûre pour une étude scientifique actuelle.


V. — FAITS DONT LA DÉMONSTRATION EST PEUT-ÊTRE MOINS ÉLOIGNÉE
ET, EN TOUS CAS, DOIT ÊTRE RECHERCHÉE TOUT D’ABORD

Suggestion mentale et communication directe de la pensée. — Beaucoup de personnes croient que la suggestion mentale est scientifiquement établie, c’est-à-dire que, quand un sujet est endormi, l’hypnotiseur peut lui suggérer une idée sans lui parler, sans le toucher, sans employer aucun des moyens connus de communication habituelle entre deux psychismes. Je crois au contraire que cette démonstration n’est pas faite.

En tête du livre d’Ochorovicz (la Suggestion mentale), M. Charles Richet écrit : « Ce n’est pas à dire que je considère, d’ores et déjà, la suggestion mentale comme prouvée rigoureusement. Certes non… Quoique M. Ochorovicz, et d’autres avant lui, aient amassé les preuves, elles n’entraînent pas la conviction absolue, intégrale, mais seulement le doute. » Depuis cette époque (1887), nombreux sont ceux qui ont cherché cette démonstration, qui ont cru même, un moment, l’avoir trouvée. Mais, malgré les expériences de Liébeault et Beaunis, Boirac, Paul Joire, Lombroso, Venzano, Pax, Mac Nab, miss Hermione Ramsden, du docteur d’Ardenne de Tizac, de Fotherby… et les documens contenus dans le livre du docteur Géraud Bonnet (Transmission de la pensée), je ne crois pas que personne ait encore finalement réussi.

Avec une hystérique de mon service que j’ai longuement étudiée, j’ai cru être arrivé à cette démonstration ; j’ai même fait inscrire à un congrès, qui devait avoir lieu quelques mois après, une communication sur la suggestion mentale. Mais une série d’insuccès est venue ensuite me démontrer que la série antérieure de succès ne suffisait pas à établir la preuve scientifique de la chose et j’ai ajourné ma communication sine die.

MM. Bernheim, Pitres, comme antérieurement Charcot, n’ont jamais vu positivement la suggestion mentale.

À ceux que cette étude tenterait, je rappelle qu’il faut pour cela : 1o un sujet (car, si la suggestion mentale existe, elle n’existe pas pour tout le monde ; il faut un sujet hypnotisable, un médium) ; 2o essayer des ordres extrêmement simples : sans geste[26], sans parole, sans grimace, demander mentalement à un sujet de lever un bras, d’ouvrir la bouche, de soulever un pied… ; 3o multiplier et répéter les expériences et tout noter très exactement (il est même bon de mettre préalablement dans un tiroir bien clos les ordres qu’on donnera et que les assistans, d’ailleurs peu nombreux, doivent ignorer ; tous les actes du sujet seront notés, au fur et à mesure de leur production, par un assistant ignorant des ordres donnés : la comparaison des deux listes écrites se fera ensuite).

Je pourrais ajouter un dernier conseil : n’expérimentez pas avec un professionnel liseur de pensées. Comme beaucoup d’autres, j’ai souvent essayé et j’ai toujours échoué, ou du moins je ne suis jamais parvenu à rien, quand le barnum ignorait ma pensée.

On sait qu’il est courant dans les foires, ou même dans les cafés, de voir deux individus, dont l’un fait deviner à l’autre les numéros des montres ou le nom du chapelier inscrit au fond des chapeaux. Les trucs sont plus ou moins habiles et plus ou moins connus. Mais ils existent toujours. L’un pose la question en termes différens suivant la réponse à faire, un autre désigne un nombre à deviner par le rang dans un mot convenu (comme « catholique ») de la première lettre des mots qu’il emploie dans sa question. Certains s’arrangent encore pour faire connaître le mot cherché syllabe par syllabe. Dans ce genre je me rappelle une voyante qui s’emballa trop tôt sur « Hippopotame, » alors que le spectateur avait dit au barnum « Hippocrate. »

Le docteur Laurent a reproduit lui-même certaines des expériences de Pickmann : se tenant à quatre mètres, il a constaté qu’il y avait hyperacousie chez le sujet dirigé et perception de mots inconsciemment prononcés par le directeur : à droite, à gauche, oui, non… Lodge raconte l’histoire d’un barnum qui faisait des signes au sujet en soulevant son orteil droit : d’où « un léger mouvement du soulier que des yeux perçans peuvent découvrir, même à vingt yards, » même quand ces yeux portent un bandeau.

Tous ces cas de transmission directe de la pensée ou de cumberlandisme sans contact se ramènent à un truc, le plus souvent à un code convenu entre les deux compères, qui sont très adroits, très entraînés, et dont l’un au moins a des sens très aiguisés[27].


Si l’on veut réellement essayer la transmission de la pensée, il faut, dans un petit groupe de personnes se connaissant absolument et d’indiscutable bonne foi, organiser la petite expérience suivante, qui ressemble à un jeu de salon, et qui a d’ailleurs été essayée bien des fois par des savans très sérieux.

L’expérimentateur bat un jeu de cartes. Il prend une carte, la pense très fortement et les « expérimentés » (qui ne la connaissent pas) notent sur un papier la carte à laquelle ils pensent eux-mêmes à ce moment. Ils ne se communiquent pas leurs résultats. L’expérimentateur passe à une seconde carte et ainsi de suite jusqu’à 10 ou 20 par séance. Puis on reprend et on dit tout haut les cartes sorties, dans l’ordre où elles ont été pensées, et chacun note le nombre de ses succès, c’est-à-dire de ses coïncidences. On répète ces expériences et, si une personne arrive à atteindre, et surtout à dépasser, le 10 pour 100 de succès, on ne chantera pas victoire, mais on pourra renouveler et préciser de nouvelles expériences avec le sujet ainsi découvert.


Déplacement voisins sans contact (lévitation) ; raps. — Les faits que je vais étudier ici sont, vis-à-vis des apports lointains et des matérialisations, ce que sont les faits étudiés dans les pages précédentes par rapport à la télépathie. Ils en sont la réduction. Comme ils sont plus simples, c’est par eux que l’on devra commencer l’étude scientifique de ce chapitre.


Dans les déplacemens voisins sans contact, je place la rotation d’une table qu’on ne touche pas, le déplacement d’un meuble dans une pièce ou même dans un appartement, le soulèvement d’un objet, l’ascension du plateau d’un pèse-lettres… sans contact du médium qui est présent.

Le problème des maisons hantées appartient à cette étude. Car si on élimine les supercheries qui sont très fréquentes (comme dans l’histoire récente du fort de Vincennes[28] par exemple) il y a toujours un médium dans une maison hantée et la question revient toujours à savoir si ce médium touche ou non les objets qui se déplacent. Lombroso a étudié plusieurs de ces faits curieux. On en trouvera une série dans le livre du docteur Dupouy et dans les journaux spéciaux.

Quant aux déplacemens d’objets, il faut lire le beau livre de M. Albert de Rochas (L’extériorisation de la motricité) dont la quatrième édition est toute récente. Les phénomènes sont déjà très bien décrits par le professeur Chiaïa quand il écrit (août 1888) à Lombroso pour lui demander d’expérimenter le nouveau médium Eusapia Paladino. « Attachée sur un siège ou tenue fortement par les bras des curieux, elle attire les meubles qui l’entourent, les soulève, les tient élevés en l’air comme le cercueil de Mahomet et les fait redescendre avec des mouvemens ondulatoires comme s’ils obéissaient à une volonté étrangère ; elle augmente leur poids ou les rend plus légers selon son bon plaisir ; elle frappe, martèle les murs, le plafond, le plancher avec rythme et cadence… Cette femme s’élève en l’air, quels que soient les liens qui la retiennent ; elle reste ainsi, paraissant couchée dans le vide, contrairement à toutes les lois de la statique et semble s’affranchir des lois de la gravité ; elle fait résonner les instrumens de musique, orgues, cloches, tambours, comme s’ils étaient touchés par des mains ou agités par le souffle de gnomes invisibles. »

Lombroso n’accepta qu’en 1891 d’assister aux expériences de Naples avec Ciolfi. Des expériences en grand nombre se sont ensuite échelonnées de 1892 à 1897, et de 1901 à 1905 à Milan, Naples, Rome, Varsovie, à Carqueiranne et à l’île Roubaud, à Cambridge, à l’Agnelas, à Paris, Bordeaux, Gênes, Palerme, avec des hommes comme Aksakof, Charles Richet, de Schrenck Notzing, Ochorovicz, Sigdwick, Lodge, Myers, Segard, Dariex, Maxwell, Sabatier, de Watteville…

À ces expériences faites avec Eusapia Paladino, il faut joindre celles de William Crookes, d’Henri Slade, de Mac Nab, de Pelletier, de Politi, de Maxwell…


De tous ces documens dont plusieurs sont fort recommandables et recueillis avec une absolue bonne foi, peut-on conclure que la démonstration scientifique est faite des mouvemens, à faible distance, sans contact ? Je ne le crois pas.

J’élimine d’abord les maisons hantées parce que les conditions y sont en général trop complexes pour qu’on puisse en tenter une étude vraiment scientifique.

Dans les expériences proprement dites, les plus convaincus reconnaissent que le contrôle est extrêmement difficile. « Les transports d’objets d’un point à un autre d’une chambre en présence d’un médium, dit Mac Nab, sont la chose la plus facile à obtenir et en même temps la plus difficile à contrôler. » Et M. Maxwell : « Il ne faut pas oublier que rien n’est plus facile à frauder qu’une lévitation de la table. » Le plus souvent l’expérience ne réussit que dans l’obscurité plus ou moins complète et la plupart des médiums ont été, un jour ou l’autre, surpris fraudant. Je sais bien que, comme je l’ai déjà dit, cela ne prouve pas qu’ils fraudent toujours. Mais cela jette un doute sérieux et en science il ne faut pas qu’il reste un doute.

Babinet raconte l’histoire d’une jeune fille qui lançait des chaises avec une vitesse redoutable par une contraction des muscles de la jambe dont personne ne se doutait et le mouvement paraissait spontané. En terminant son article, il demande qu’un sujet vienne annoncer à l’Académie des Sciences « qu’au moyen de tant de médiums qu’il voudra, mais sans contact aucun et à distance, il suspend en l’air, sans autre support que la volonté, un corps pesant plus compact que l’air et tout à fait en repos ; si son assertion est reconnue vraie, il sera proclamé le premier des savans du monde entier. »

Ce défi, lancé dans la Revue il y a plus d’un demi-siècle, n’a pas encore été relevé.


À ceux qui voudraient reprendre ces expériences, modestement mais sûrement, je conseille de rechercher d’abord quelqu’un qui soit capable de faire tourner une table sans la toucher. On peut commencer à l’entraîner avec contact comme tout le monde ; mais il faut voir le déplacement du meuble continuer alors que personne n’a plus aucun contact avec lui.

Une fois ce sujet trouvé, la partie sera gagnée. On lui fera faire une autre expérience très simple, celle du pèse-lettres, par exemple, en pleine lumière et devant une commission de l’Académie des Sciences. Le vœu de Babinet sera dès lors réalisé et l’expérimentateur proclamé « le premier des savans du monde entier. »


Une autre expérience qu’on doit essayer de refaire parce qu’elle est simple et scientifiquement contrôlable, est celle des raps.

On appelle ainsi des coups frappés « sur le plateau de la table, sur le plancher ou sur le sol, sur les assistans ou sur les meubles, les murailles et le plafond, » et entendus par les spectateurs. M. Maxwell les a très bien étudiés. Le médium les obtient d’abord en appuyant la main sur la table ; puis il soulève les mains avec une extrême lenteur. Les bruits doivent continuer à se produire sans contact avec la table ni des mains ni de toute autre partie du corps ou des vêtemens. Ils n’ont de valeur scientifique que quand ils se produisent dans ces conditions et en pleine lumière.

Dans certaines expériences de M. Maxwell le médium a pu se tenir à deux ou trois mètres de la table. Le même auteur a découvert un médium avec lequel il a obtenu « des raps retentissans dans des salles de restaurant et dans des buffets de chemin de fer. » Tout le monde les entendait ; les expérimentateurs étaient confus de l’effet produit par ce bruit. Dans la chambre où était mort un écrivain de génie, les raps produits « ont attiré l’attention soupçonneuse du gardien. » Les raps peuvent changer suivant la personnalité actuelle du médium. M. Maxwell a encore insisté sur ce fait que la production des raps est en étroite connexité avec les mouvemens musculaires des assistans. Les raps déterminent chez le médium une sensation de fatigue légère…


Voilà, ce me semble, le type des phénomènes, encore occultes, qui doivent être proposés immédiatement au travail de contrôle et de démonstration des savans.

Pour ce contrôle, il faut se mettre dans des conditions analogues à celles de M. Maxwell. J’ai déjà dit que les maisons hantées, comme celle dans laquelle M. Hjalmar Wijk a étudié les « phénomènes de frappement spontané, » ne peuvent pas servir à une critique scientifique serrée.

Même dans les conditions indiquées par M. Maxwell, les fraudes sont encore faciles : Hodgson, à Cambridge, a attribué certains raps d’Eusapia Paladino « à des coups frappés par la tête du médium sur le plateau de la table. » M. Maxwell a constaté des fraudes positives avec certains de ses médiums ; il a, de plus, étudié les différentes manières d’imiter les raps et il déclare qu’il y en a beaucoup. « Certaines personnes en appuyant le pied d’une certaine façon et en contractant leurs muscles jambiers ou péroniers peuvent imiter les coups frappés sur le sol. » Un étudiant en médecine, « fraudeur incorrigible et névropathe… obtenait des coups assez semblables aux raps en appuyant le coude sur la table et en faisant certains mouvemens de l’épaule… Le jeu de l’articulation du genou a été notamment incriminé par Mme  Sidgwick… Dans l’obscurité, les moyens de fraude sont inimaginables. J’ai vu un jeune médium qui avait réussi à dissimuler un bâton et simulait avec lui des coups frappés au plafond. J’en ai connu deux autres qui donnaient des coups de poing sur la table, d’autres la frappaient par-dessous avec le pied. Tout est possible dans les ténèbres et avec certains observateurs confians. »


Clairvoyance. — Si je mets la clairvoyance ici dans les phénomènes dont la démonstration scientifique me paraît, sinon prochaine, du moins possible, c’est que je n’attache à ce mot aucune idée de divination ou de prophétie. J’en fais uniquement la faculté de voir à travers les corps opaques. J’élimine donc de cette étude les sujets que, dans le public, on appelle des voyantes.

Si la clairvoyance est jamais prouvée, le sujet qui en sera doué pourra peut-être révéler dans l’estomac un corps étranger (à la façon des rayons Rœntgen) ; s’il connaît bien son anatomie normale, il pourra se rendre compte qu’un foie est augmenté de volume ou qu’il y a du liquide dans une plèvre. Mais il n’aura pas le pouvoir de diagnostiquer une maladie qu’il ne connaît pas et encore moins d’en indiquer le remède, pas plus qu’il ne pourra découvrir un trésor ou prédire l’avenir.

Ce n’est donc pas sans étonnement que, dans le monde scientifique, on a vu se dérouler récemment certains épisodes du procès de la voyante de Saint-Quentin.

Une hystérique hypnotisable était mise en contact avec les malades, diagnostiquait leur maladie et indiquait le remède. Poursuivie pour exercice illégal de la médecine, elle demande une expertise médicale. Très sagement, le docteur Paul Magnin, désigné par le juge d’instruction, conclut que « l’état d’hypnotisme, même le plus développé, ne confère à ceux qui y sont plongés aucune faculté extraordinaire, aucune aptitude spéciale. » Désigné par l’avocat pour faire une contre-expertise, le docteur Baraduc procède à des expériences, aussi peu concluantes que peu scientifiques, dans lesquelles il fait deviner à la voyante le caractère, la maladie ou le sexe d’un individu par le contact de cheveux, d’un mouchoir ou d’un gilet et conclut qu’« elle est un instrument vivant psychométrique, dont la loi doit reconnaître la véracité, si elle croit en devoir limiter l’emploi. » Adoptant en quelque sorte le grave passage que j’ai souligné, le tribunal de Saint-Quentin a à peu près acquitté la prévenue (mai 1906) en développant longuement les idées exprimées par le docteur Baraduc et en s’appuyant sur le désaccord entre docteurs et professeurs pour ce qui touche à ces problèmes occultes.

Le fait est important et a beaucoup ému le monde scientifique. Il faut en effet rappeler que les idées du docteur Baraduc lui sont toutes personnelles, qu’elles sont généralement considérées comme n’ayant encore été l’objet d’aucune démonstration scientifique sérieuse, et que l’état de la science positive sur ce point a été au contraire très nettement défini par cette proposition, votée à l’unanimité, le 19 juin 1906, par la Société d’hypnologie et de psychologie : « En aucun cas, la production de l’état hypnotique ne dote le sujet hypnotisé des aptitudes et de la compétence que peuvent seules donner la science et l’expérience. En particulier, pour ce qui concerne l’art médical, la prétendue clairvoyance relativement au diagnostic et au traitement est contraire aux faits bien observés et doit être considérée comme inexistante. »


Ceci bien établi, on peut encore se demander s’il y a des sujets capables de voir à travers les corps opaques. A priori, rien d’anti-scientifique à ceci, l’opacité et la transparence étant des choses absolument relatives, témoin les rayons Rœntgen.

J’ai cru trouver le fait démonstratif avec un sujet dont le docteur Ferroul m’avait beaucoup parlé et sur lequel ont été publiés d’intéressans travaux dans les Annales des Sciences psychiques. Une première expérience réussit admirablement : le sujet lut à travers une enveloppe cachetée et un papier d’étain quelques lignes que j’avais écrites en français et indiqua des caractères russes mis au-dessous. Mais une seconde expérience, menée par une commission de l’Académie de Montpellier (dont je faisais partie), échoua complètement et même des plaques sensibilisées furent trouvées voilées par la lumière, quoiqu’elles fussent censées n’avoir pas quitté leur boîte. C’étaient peut-être des fraudes inconscientes. Mais enfin, ce fut un échec complet.

Dans une lettre à M. Charles Richet, M. Marcel Mangin indique très nettement les expériences qu’il faudrait mener à bien pour établir la clairvoyance : « Un grand nombre de coquilles de noix, contenant chacune un mot différent, ayant été mises dans un sac, une de ces coquilles ayant été retirée par l’expérimentateur avec la certitude absolue qu’elle n’a pu être entr’ouverte, lire le mot qu’elle contient. Ou bien encore, le numéro du volume, celui de la page, celui de la colonne, celui de la ligne et celui du mot, dans un grand ouvrage, un Larousse par exemple, ayant été tirés au sort, lire le mot. »


Il faudrait un livre pour faire vraiment la critique complète de l’occultisme. Dans un article comme celui-ci je n’ai pu présenter qu’un plan d’étude.

Des faits et des considérations rapprochés il me semble cependant qu’on peut déjà tirer quelques conclusions.

Les études déjà faites sur l’occultisme ne suffisent pas encore à le supprimer, c’est-à-dire qu’il reste encore des faits occultes hors de la science positive. Mais ces études suffisent à démontrer qu’il n’est pas indigne des savans de s’occuper de ces questions et qu’on peut prévoir le moment où certains de ces faits cesseront d’être occultes pour devenir scientifiques.

En se plaçant à ce point de vue pratique et afin d’obtenir les meilleurs et les plus prompts résultats, il semble que tous les expérimentateurs devraient concentrer leurs efforts sur : 1° la suggestion mentale et la communication directe de la pensée ; 2° les déplacemens voisins sans contact et les raps ; 3° la clairvoyance (vision à travers les corps opaques). On agirait au contraire prudemment en renvoyant à plus tard l’étude des autres phénomènes beaucoup plus complexes, tels que la télépathie et les prémonitions, les apports lointains et les matérialisations de fantômes.

En tous cas, pour étudier tous ces phénomènes, il faut une bonne méthode et pas de théorie. Si les faits sont jamais établis vraiment, la théorie sera facile à trouver et sans qu’il soit besoin de recourir à l’évocation et à la réincarnation des esprits.

J. Grasset.


  1. « L’axiome est celui-ci, dit M. Émile Faguet : l’homme a besoin de croire à quelque chose qui n’est pas prouvé ; ou, en d’autres termes, il a besoin de croire à quelque chose à quoi l’on ne peut croire qu’en y croyant. » Car l’homme est « un animal mystique. » — Si chaque siècle a le surnaturel qu’il mérite, notre époque paraît avoir celui que M. Marcel Prévost appelle « le surnaturel de pacotille, » dont la caractéristique est « l’abus des prétentions scientifiques. »
  2. . Voyez la Revue du 15 mars 1905.
  3. Voyez : Ernest Bersot, Mesmer, Le magnétisme animal ; Les tables tournantes et les esprits ; Jules Bois : Le monde invisible ; Edmond Dupouy : Sciences occultes et physiologie psychique.
  4. Le professeur Hyslop vient de publier un nouveau roman martien fait par son médium Mme Smead.
  5. Voyez dans la Revue du 15 juin 1906 : Un livre du docteur Lapponi sur l’Hypnotisme et le Spiritisme, par M. T. de Wyzewa.
  6. On trouvera de nombreux faits soit dans l’Écho du merveilleux de Gaston Mery, soit surtout dans les Annales des Sciences psychiques de Dariex. La plus grande partie de la documentation de cet article est empruntée à ce Recueil.
  7. Le livre de Léon Denis sur le Spiritisme et la médiumnité porte en sous-titre : Traité de Spiritualisme expérimental.
  8. Le docteur Dupouy termine son livre par ces mois : « Le matérialisme a vécu. »
  9. Il va sans dire que, dans ces cas, comme dans le cas des prestidigitateurs avoués, je détourne les mots fraude et fraudeur de leur sens vrai puisque dans l’espèce il n’y a aucune intention de tromper.
  10. Annales des Sciences psychiques, 1905-1906.
  11. Ibid., 1906.
  12. Medicina, 1906.
  13. Je parlerai plus loin des récentes expériences de la Villa Carmen.
  14. « Dans plusieurs États de l’Amérique, les spirites appellent fakirs les médiums qui trichent. » (Annales des Sciences psychiques, 1906.)
  15. J’aimerais mieux le mot, moins généralement employé, de télesthésie.
  16. Je parlerai plus loin des voyantes et des faux prophètes.
  17. Alfred Fouillée, Le physique et le mental à propos de l’hypnotisme. Revue des Deux Mondes, 15 mai 1891, et la Psychologie des idées-forces, 1893, t. II, p. 394.
  18. Je parlerai plus loin de la voyante de Saint-Quentin.
  19. Sur la sensation du « déjà vu » ou « déjà éprouvé, » voyez le Journal de Psychologie normale et pathologique, 1904, n° 1.
  20. « Pour quelques cas, dit M. Bourdeau, où des pressentimens, des hallucinations coïncident avec des maladies et des morts, combien s’en trouve-t-il où la concordance ne se réalise pas ! Si vous faites tirer un régiment à la cible, dans la nuit, quelques balles, sans doute, atteindront le but sans qu’on en puisse conclure que les tireurs sont doués de seconde vue. »
  21. On trouvera aussi le récit des expériences de Donald Mac Nab (1888) dans le livre d’Albert de Rochas dont je reparlerai.
  22. Reichel avec le médium californien Miller ; Fotherby avec le médium Cecil Husk ; van Velsen avec un étudiant…
  23. Dans beaucoup de ces expériences on a noté une odeur phosphorée. Il est vrai que certains auteurs ont plutôt reconnu, dans ces cas, l’odeur de l’ozone.
  24. « Les objets enduits de sulfure de calcium, de strontium ou de baryum deviennent lumineux dans l’obscurité lorsqu’ils ont été exposés un certain temps à la lumière. » (Maxwell.)
  25. « J’estime, dit très justement M. Flournoy, que, loin de reprocher à M. Richet sa publication, il faut lui savoir gré de ce que, titulaire d’une des plus hautes chaires scientifiques du monde civilisé, il a eu le courage de s’attaquer, sans parti pris et sans siège fait, à un domaine aussi mal noté que celui des phénomènes dits occultes, au risque d’y compromettre, non pas la science qui ne court aucun danger, mais sa réputation personnelle, son prestige officiel, son autorité aux yeux de ses confrères et du grand public cultivé. » — Personnellement, je n’ai jamais regretté d’avoir présidé, à la Faculté de Montpellier, en 1893, la thèse du Dr  Albert Coste sur les Phénomènes psychiques occultes, quoique la chose ait été, à cette époque, je ne dis pas une révolution, mais une innovation universitaire ; pas plus que je n’ai regretté d’avoir publié l’expérience de clairvoyance dont je parlerai plus loin.
  26. Le Dr Sollier a observé un hystérique qui répondait à un geste d’appel fait à une grande distance (hyperacuité sensorielle).
  27. On lira avec intérêt les études que M. Albert Bayeau va publier dans l’Union libérale de Verviers sur de prétendues expériences de lectures de pensées.
  28. Voir l’Écho du merveilleux, 1er mars 1906.