L’Organisation militaire - Le Service de deux ans : les finances, la population, le nombre

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L’Organisation militaire - Le Service de deux ans : les finances, la population, le nombre
Revue des Deux Mondes5e période, tome 21 (p. 318-352).
L’ORGANISATION MILITAIRE

LE SERVICE DE DEUX ANS. — LES FINANCES.
LA POPULATION. — LE NOMBRE

Le 27 février et le 12 juin 1903, le Sénat a adopté une proposition de loi provenant de l’initiative de plusieurs de ses membres, tendant à modifier la loi du 15 juillet 1889 et ayant pour objet la réduction à deux ans de la durée du service dans l’armée active. Ce texte, né d’une proposition de M. Rolland déposée le 22 novembre 1898, avait été modifié d’après les desiderata exprimés par le général André et déposé à nouveau, après rectification, le 21 mai 1901. Il fut renvoyé à l’examen de la commission de l’armée de la Chambre des députés, qui désigna comme rapporteur M. Berteaux ; et il sera bientôt discuté, tout de suite après la rentrée des Chambres, et à trop peu de distance des élections de 1906.

L’existence de la patrie en temps de guerre, sa vie, son développement et son essor en temps de paix, sont ainsi remis en question. Et, — si l’on ne peut douter des sentimens patriotiques de chacun des représentans d’une Chambre française, — il est difficile d’être assuré que, dans les circonstances présentes, des considérations pratiques et des résolutions efficaces puissent, même en matière aussi grave, prévaloir contre les passions politiques déchaînées.

Le malheur veut en effet qu’à ce point de vue des nécessités de l’organisation militaire, l’éducation non seulement du peuple, mais même de ceux qui aspirent à le diriger, ne paraisse pas près d’être faite ni même de se faire et que, même en pareille matière, une sorte de dépravation politique, le goût des abstractions, des formules et des utopies menace d’éloigner une fois de plus de la réalité objective et des dures exigences qu’elle comporte les efforts les plus louables et les meilleures intentions.

Est-il besoin de rappeler dans quelle mesure, lorsqu’il s’est agi en 1889 de nous donner l’organisation militaire actuelle, un si redoutable problème s’est trouvé rapetissé à l’unique question de la durée du service militaire, pour mieux servir un dessein surtout politique, et procurer une meilleure affiche électorale ?

Ou bien nous étonnerons-nous que cette organisation militaire où nous poussaient la folie du nombre et l’attrait du mirage égalitaire, sans plus parler de ces misérables questions électorales (organisation dont l’origine compromettait nécessairement la valeur), puisse être, moins de quinze ans après, condamnée par son auteur même, et, de son propre aveu, tomber en ruines ?

On lui reproche aujourd’hui de s’être bornée à réduire à trois ans la durée du service ; on ajoute « qu’en dehors de cette diminution du temps de service, la question n’a pas fait un pas. Parmi les hommes valides, les uns sont instruits pendant trois ans, les autres, en proportion considérable, pendant dix mois seulement ; l’homogénéité de nos réserves est toujours en cause et ne peut être assurée. De plus, par l’octroi de la dispense conditionnelle entraînant le service réduit à dix mois en faveur de toute une catégorie de jeunes gens faisant partie de l’élite de la jeunesse intellectuelle, sans exiger d’eux en retour aucune obligation militaire, la loi tarit en grande partie la source du recrutement des sous-officiers pour le temps de paix, des sous-officiers et des officiers de réserve pour la mobilisation. »

On pourrait ajouter encore que la difficulté d’accorder l’égalité du temps de service avec les conditions variables de l’instruction militaire, et d’en concilier les exigences avec les obligations sociales ; que le peu de solidité des encadremens et surtout le chiffre faible des effectifs du temps de paix, destinés fatalement à être noyés dans la foule des réservistes, au moment même où la cohésion d’une troupe sera le gage principal de sa solidité, et par conséquent de la victoire ; enfin, la lourdeur des masses que mobilise le système actuellement en vigueur, ont permis de concevoir une armée plus forte, au contingent mieux réparti, aux cadres plus solides, au temps de service moins long.

On devrait ajouter surtout que cette loi de 1889 ne se conforme pas aux deux principes essentiels que l’armée allemande a tirés de l’expérience de 1870, qui font toute la force de son organisation présente, et qui rendent plus redoutable la lutte prochaine : la permanence des effectifs et la séparation des combattans et des non-combattans.

En revanche, nous voyons aujourd’hui comme alors, qu’on fait intervenir « les principes démocratiques » dans un système militaire ; on nous assure même que l’objet principal de nos lois de recrutement doit être, non pas de créer une armée la plus forte possible, mais une armée où règne pour tous l’égalité du service.

Lorsqu’un pareil problème se pose, d’où l’avenir de la patrie dépend, il est mauvais que l’oreille du peuple soit ouverte aux sollicitations d’une existence plus facile ; que ses yeux soient attirés vers l’utopie égalitaire ; et qu’en flattant ses instincts, à la fois généreux et faibles, on lui fasse perdre de vue le caractère positif nécessaire d’une organisation militaire vigoureuse et saine, pour le conduire vers le mirage de la milice. C’est un point qui divisera toujours d’une manière irrémédiable les fidèles de la patrie et les utopistes humanitaires ou politiciens. C’est le nœud de la crise présente. Mais il est juste de reconnaître, soit dans le rapport de M. Berteaux, soit dans les articles de M. Gervais, que l’état d’esprit qui régnait en 1889 semble, dans une mesure relative et sur certains points particuliers, s’amélior.er. La gravité du problème militaire actuel, une connaissance plus précise des progrès de l’étranger, l’émoi causé par la décomposition de l’armée depuis que la politique y a été introduite par le ministère actuel, bref, l’urgence d’une solution logique et forte, semblent frapper quelques esprits, et permettent peut-être, dans le désarroi actuel, de compter sur quelques bonnes volontés et sur la clairvoyance du peuple.

Le peuple, a-t-on dit, ne regarde pas au dehors. Il sait seulement de quel poids pèse, sur les difficultés de sa vie quotidienne, le fardeau de la défense nationale, et à quels sacrifices l’oblige la présence prolongée de ses fils sous les drapeaux. Cela peut être vrai, mais s’il ne refuse ni son sang, ni son argent, croyez qu’il se sent le droit de demander que le meilleur usage soit fait de l’un et de l’autre.

Le devoir des gouvernans est différent. Ils doivent fournir au pays la preuve qu’ils mesurent les difficultés de la lutte à prévoir et qu’ils connaissent les moyens du peuple qui la supportera. A celui-ci, ils doivent donner l’assurance qu’ils sauront proportionner les sacrifices à la nécessité de vaincre. C’est ce devoir qu’il semble que l’on commence à comprendre.

De tous côtés, on demande une séparation du « combattant » et du « non-combattant, » et une meilleure constitution des « cadres. » Espérons qu’il y a déjà là le premier germe des réformes nécessaires.

En ce qui nous concerne, nous ne saurions avoir la prétention de verser au débat des documens nouveaux, de formuler des conclusions inattendues et révélatrices. Mais, au moment où les discussions qui touchent à l’intérêt national le plus sacré s’ouvrent dans un vif désaccord, nous voudrions simplement rappeler qu’avant de décider si nous devons être dotés du service de deux ans, ou d’un service encore plus réduit, il eût peut-être été utile de juger ce que semblable réforme suppose ; d’examiner, par conséquent, dans toute son ampleur la réorganisation possible de nos institutions militaires ; et de rechercher, dans un débat de cette importance, quel est le rapport possible des facultés du pays aux nécessités de la lutte.

L’organisation militaire projetée doit donc être conçue comme un édifice de jonction, une sorte de pont, dont il faut calculer la portée avant que le plan n’en soit arrêté. Il faut que la construction en soit objective, et que ses dimensions soient mesurées d’après l’écartement des deux points d’appui donnés : le sol national avec ses ressources, le théâtre d’opérations avec ses exigences. C’est dire que la durée du service ne peut être une chose arbitraire, susceptible d’être examinée au préalable. Elle est nécessairement une conséquence.

L’importance des luttes modernes, que le moindre différend peut faire surgir, et qui soulèvent aussitôt pour une nation la question de vie ou de mort, oblige aujourd’hui à mettre en mouvement la totalité des ressources d’un État ; et, par cela même, intervient la notion que ces ressources sont limitées.

Ce n’est plus comme autrefois, où le maréchal de Broglie pouvait aller « guerroyer dans les Allemagnes ; » ce n’est plus le temps où la vie de nos provinces se continuait durant que les troupes du Roi faisaient, en bataillant, monter l’impôt. Ni 1709, ni même 1792 et 1814, ni même 1870-71, ne peuvent donner une idée complète des perturbations qui attendent les nations belligérantes en Europe. La lutte prochaine engagera, du même coup, les destinées de la France et la totalité de ses ressources en argent et en hommes.

Or, si tout entière la faculté financière du pays, avec la totalité de ses enfans, est, dès le premier jour, jetée dans la balance, nous savons à quel chiffre se monte le bilan de ses ressources et le nombre de ses enfans, nous savons quel en est le total et quelle en sera la limite. Oui, mais cette notion n’est pas suffisante. Il est indispensable de la comparer aux exigences de la guerre pour être certain que cette limite ne sera pas trop basse, que cet effort sera fructueux, afin que nous puissions, si cela est nécessaire et par des moyens spéciaux, obvier à sa faiblesse, remédier à son insuffisance.

Bien plus, si les coalitions, les mouvemens de la richesse économique, les défaites antérieurement subies, et surtout les défaillances de la natalité, ont affaibli progressivement un pays comme le nôtre, et s’il arrive qu’il ait besoin, pour égaler ou surmonter l’adversaire dans les luttes futures, sinon de disponibilités financières supérieures, du moins de ressources en hommes plus considérables, comment ferons-nous ? Il faudra répondre à cette question angoissante et la résoudre.

Or, si cette hypothèse est la réalité même, qui donc, chez nous, comblera les vides ? Qui multipliera les efforts, augmentera les réserves ? Qui galvanisera l’effort jusqu’à nous conduire au succès ?

Ce prodige ne pourra s’accomplir qu’à la condition de découvrir le secret d’une organisation militaire diminuant les défaillances de nos ressources disponibles en argent et en hommes ; tirant un rendement supérieur des disponibilités présentes ; et permettant, en fin de compte, leur meilleur emploi en temps de guerre, tout en ayant ménagé soigneusement, dès le temps de paix, les nécessités d’une vie sociale qui influe d’un si grand poids sur les naissances et l’essor même de la nation. Seule, une telle organisation pourra prétendre à être définitive.

En somme, elle doit être forte. C’est le lien qui enserrera les ressources qui restent au pays, en finances et en population, pour en former le faisceau capable de résister aux exigences de la guerre, qu’elles soient financières ou numériques.

Nous ne présentons pas pour le moment le projet de cette réorganisation. Nous voulons seulement en déterminer les bases. La conclusion s’imposera d’elle-même, et il ne sera pas nécessaire d’insister pour mettre en évidence, — non pas, d’une façon étroite, lesquels ont raison de ceux qui veulent maintenir le service de trois ans, de ceux qui préconisent le service de deux ans, ou de ceux qui réclament le service de dix-huit ou de douze mois seulement ; — mais combien il est dangereux d’adopter, loin des idées générales, un point de départ aussi restreint qu’un projet de loi de recrutement présenté indépendamment de la loi d’organisation générale de l’armée, et sans la loi des cadres correspondans, pour obtenir seulement l’effet politique de la réduction du temps de service.

Plus tard, et alors plus librement, nous pourrons exposer une théorie qui nous soit personnelle. En tout cas, aucune option n’est plausible, tant que les données générales du problème n’auront été ni posées, ni étudiées. C’est ce que nous voudrions démontrer.


I

L’analyse de nos moyens, de nos ressources en argent et en hommes, est donc la première des questions que nous devions examiner en pareille matière.

Il faut entendre par là, nous l’avons vu, les ressources financières ou humaines dont s’emparera l’organisation du temps de paix pour les égaler aux nécessités de la victoire en temps de guerre. De ces deux sortes de ressources, hommes et argent, l’analyse est faite annuellement, et l’examen auquel cette double opération donne lieu suffit à démontrer combien ces ressources, comparées aux ressources des pays étrangers, sont mesurées en ce qui concerne les finances, précaires en ce qui regarde les hommes. Les ressources financières ? Aussitôt après avoir constaté que leur état de gêne peut être atténué par des économies, nous constaterons malheureusement que la faiblesse de notre natalité a, même sur nos finances, une répercussion désastreuse. Les ressources humaines ? Nous verrons qu’elles sont gravement atteintes et que la décroissance de la natalité décharné nos effectifs.

Examinons successivement ces deux ordres de faits.

Le crédit que la France met actuellement à la disposition de son armée nationale est loin d’être inépuisable, et le budget de la défense nationale, qui absorbe plus d’un milliard par an, ne paraît plus susceptible d’extension.

Les raisons en sont faciles à saisir. Notre budget général est un des plus chargés de la terre. Il semble correspondre à la limite des facultés contributives du pays.

Une dette écrasante réduit d’un tiers la quotité disponible, et le rapport de ce que coûtent la vie civile de l’Etat et sa vie militaire ne semble pas pouvoir être sensiblement modifié.

Enfin, dans la vie militaire elle-même, le rapport entre les différentes catégories de dépenses militaires, navales ou coloniales, ne semble pas moins invariable.

Est-ce à dire que nous devions, comme certains esprits l’ont prétendu, opter résolument entre la puissance sur terre et la puissance sur mer, sérier nos adversaires possibles, et chercher nos économies dans les suites d’une victoire, ou bien sur terre, ou bien sur mer ?

A dire vrai, une pareille politique eût été digne d’examen, si, dès le lendemain de la guerre, nous eussions adopté un programme de revanche à court terme qui nous eût permis, avant que nous eussions commencé notre mouvement d’expansion coloniale, et pendant que nos contingens augmentaient encore, de faire sur la Marine les économies nécessaires, et de pousser jusqu’au paroxysme l’effort militaire et financier, de telle sorte que de cette tension d’héroïsme surgît la résolution de vaincre.

Aujourd’hui, disons-le franchement, pareille thèse n’est plus soutenable. Et les raisons en sont nombreuses : d’une part, les conséquences d’une défaite, qui ne s’est point limitée à la signature d’un traité, mais qui se multiplie sur tous les terrains, politique et économique, industriel et commercial, partout en un mot où se porte l’émulation des peuples, partout où se répercute l’écho de notre chute ; d’autre part, l’obligation de compter avec un empire colonial où se résument heureusement les espérances de la patrie ; la nécessité, aussi, où nous nous sommes trouvés de répondre à des coalitions par des alliances, de telle sorte que nous devons aujourd’hui prêter à nos alliés assistance sur mer et sur terre ; enfin et surtout, l’effort maritime colossal fait en ce moment par l’Allemagne et les Etats-Unis. Ces considérations, qu’il ne serait, hélas ! que trop aisé de développer, suffisent à démontrer que nous n’avons plus, en pareille matière, la liberté de notre choix, et nous devons, aujourd’hui comme hier, développer le plus possible nos forces de terre et de mer pour les égaler, s’il se peut, aux dangers qui nous menacent.

Force est donc de demander les améliorations nécessaires peut-être à un meilleur emploi des ressources financières des colonies appelées chaque jour davantage à alléger le fardeau que supporte la métropole pour leur défense ; mais, surtout, à un meilleur emploi, dans la métropole, des disponibilités financières actuelles, s’il est possible, comme nous le pensons, d’obtenir pour le même prix un organisme militaire plus perfectionné, suivant les progrès de nos voisins, et pouvant peut-être les égaler s’il est mieux conçu.

Dans cet ordre d’idées, il est facile de se rendre compte que, puisqu’il n’est pas possible d’augmenter l’appel fait chaque année à la richesse publique, il n’est pas impossible de militariser, plus largement qu’à l’étranger, certains organes de la nation jusqu’à rendre inutiles les organes correspondans de l’armée, et de réaliser, de ce chef, des disponibilités d’argent pouvant être employées au mieux de la défense nationale.

Est-il exagéré de dire que les services géographiques autonomes de chaque ministère, militaire ou colonial, et surtout les services cartographiques pourraient être utilement fondus ensemble ? Est-il interdit de penser que, même dans le ministère de la Guerre seul, le régiment des chemins de fer pourrait être transformé et remplacé par le personnel même des compagnies instruit périodiquement ? Ne pourrait-on pas réduire les dépenses d’administration dans d’énormes proportions en abaissant le nombre des unités victimes des « mutations, » c’est-à-dire en organisant « la permanence des effectifs, » qui permet la réduction des cadres administratifs ? L’organisation du train des équipages répond-elle au développement des chemins de fer ? Les dépenses de la gendarmerie doivent-elles être maintenues au budget de la Guerre ? Le service des subsistances doit-il prévoir également d’immenses approvisionnemens sédentaires et la mobilité de ses ressources ? N’y a-t-il pas en tout cela des économies considérables à réaliser ? Le service de santé doit-il nécessairement être aussi distinct du corps médical civil ? Les Invalides ne peuvent-ils être supprimés ? Enfin, et surtout, n’y aurait-il pas toute une source d’économies considérables dans la fusion des pensions civiles et des pensions militaires, qui, séparées, grèvent aujourd’hui si lourdement notre budget total ?

En un mot, est-il nécessaire, — comme l’a fait remarquer le rapporteur du budget de la Guerre de 1901, — de conserver tous les rouages d’une armée autonome et distincte de la nation, lorsque notre organisation militaire repose tout entière sur le principe de la nation armée ?

Le devoir de réaliser judicieusement toutes les économies possibles est donc absolu. Il est en outre inévitable ; et, il le paraît davantage encore, si l’on veut bien examiner la question dans ses relations avec le chiffre de notre population, La crise de natalité que traverse la France en ce moment, et que nous allons étudier au point de vue de nos ressources en hommes, a, en effet, une répercussion directe sur la lourdeur de nos dépenses militaires.

L’enchaînement peut paraître inattendu ; et cependant il n’en est pas de plus facile à comprendre. Si le nombre total de notre population paraît stationnaire, le nombre des naissances qui l’alimentent a diminué depuis quarante ans dans la proportion effroyable d’un cinquième. Déjà le nombre des conscrits annuels diminue ; demain, le chiffre total de la population va diminuer, tandis que celle de l’étranger augmente d’une façon constante. Quelle est la conséquence d’un pareil état de choses ? Elle est grave, même au point de vue financier. En effet, si nous supposons arbitrairement que l’on atteigne en France le même chiffre de dépenses militaires qu’en Allemagne, il est aisé de se rendre compte que, par ce seul fait que la population allemande progresse et que la nôtre tend à diminuer, le fardeau se répartira d’un côté sur un nombre de têtes qui va en augmentant, tandis que, de l’autre, il se divisera par un chiffre de têtes qui va aller en diminuant, de sorte que la part proportionnelle à chaque habitant diminuera sans cesse et automatiquement dans le premier pays, tandis qu’elle augmentera automatiquement et sans cesse dans le second.

C’est ainsi que déjà la France paye, par tête d’habitant, 18 fr. 72, pour son budget de la Guerre, avec une dépense totale de 720 millions ; tandis que l’Allemagne paye seulement, par tête d’habitant, 15 fr. 13, avec, pour sa part, 803 millions de dépenses militaires. Et, par suite du mouvement que nous venons de signaler, cette charge tend constamment à diminuer de l’autre côté du Rhin, à augmenter de ce côté-ci.

Est-il donc nécessaire de réduire, chaque année, nos dépenses militaires, de les proportionner graduellement au chiffre de nos habitans, et de nous résigner à l’effacement avant qu’une crise n’éclate, ce qui rendrait plus grave et plus douloureuse la résignation nécessaire ? Le cœur saigne devant un pareil avenir. N’y a-t-il pas au contraire un moyen, pour un pays démocratique comme le nôtre, d’obtenir un meilleur rendement des dépenses militaires, non seulement en effectuant ces économies possibles, auxquelles nous avons fait allusion, mais surtout en rendant les dépenses plus profitables par la création d’un organisme militaire supérieur ?

Il est évident qu’il y a là une période de réformes par laquelle nous devons fatalement passer et qui sera profitable, si elles ont pour but la force militaire du pays ; désastreuse, si elles sont guidées par l’intérêt politique. En elles se résume du reste notre dernier espoir ; elles nous permettront peut-être d’attendre l’heure où, après avoir traversé un minimum, le mouvement de notre population reprendra, espérons-le, sa marche ascensionnelle.

Nous ne sommes pas en face d’une hypothèse ; nous sommes en présence de faits indiscutables ; et seuls les esprits téméraires pourraient ne tenir aucun compte des enseignemens qu’ils comportent. Il faut renoncer à suivre simplement la progression de dépenses que supporte si facilement l’adversaire, grâce à l’augmentation naturelle de ses richesses et de sa population, mais tâcher de l’égaler cependant par une meilleure utilisation des ressources. Si nos ressources financières sont, d’une façon absolue, connues et limitées, elles peuvent être augmentées relativement par ce procédé. C’est le seul moyen, tout en sauvegardant l’existence nationale, de ne pas suivre les sacrifices faits par l’étranger pour la prochaine lutte, et dont l’énorme accroissement, qui dépasse si notablement notre effort, a été signalé, dès 1895, par le lumineux rapport de M. Jules Roche.

Ressources financières limitées, nécessité d’économies et d’un emploi plus judicieux de nos moyens, tel est le résumé des observations que suggère nécessairement cet examen sommaire de nos disponibilités pécuniaires.

Voyons maintenant, en étudiant les ressources humaines, c’est-à-dire le nombre des combattans que fournit à la nation l’apport dégressif des naissances, puis des contingens, enfin des effectifs annuels, si nous n’aboutirons pas à des considérations analogues.

À ce point de vue surtout, malheureusement, les inquiétudes sont permises. Pour la première fois, il y a deux ans, on a dû signaler à la commission du budget ce que le rapporteur n’a pas craint d’appeler une véritable crise des effectifs, et ce qui nous apparaît même comme une crise plus générale et plus grave encore. C’est qu’en effet le nombre des naissances dans notre pays diminue, nous l’avons vu plus haut, d’une façon réellement impressionnante, et, avec le nombre des naissances, naturellement, le nombre des hommes de vingt ans qui forment les contingens annuels et, aussitôt après, les effectifs.

Il y a donc une crise. Mais il ne paraît pas qu’elle puisse être seulement appelée et définie : une crise des effectifs. Ce qu’il y a, c’est une crise vitale et qui affecte tout d’abord notre natalité. Il convient donc d’envisager d’abord le désastre qu’elle annonce, et de juger de la répercussion qu’il peut avoir sur les contingens d’abord, puis sur les effectifs.

La diminution des naissances est à elle seule décisive, et, plus que toute autre considération, elle militerait en faveur d’une modification de la loi militaire, si on pouvait lui reprocher, soit d’influer sur le nombre des naissances par les entraves qu’elle apporte aux mariages précoces, qui sont les plus féconds et donnent les enfans les plus vigoureux ; soit de retarder l’âge où l’homme pourra s’établir, et gagner facilement sa vie, c’est-à- dire l’époque propice à la fondation d’une famille.

Il ne paraît pas cependant que ces causes aient une action prépondérante sur l’affaiblissement de notre natalité, car l’origine de la crise des naissances remonte à peu près à la période économique favorable, dotée du système militaire très différent, qui a marqué les débuts du second Empire, et dans lequel l’armée de métier ou prétorienne, suivant le jargon du jour, était distincte de la nation et ne pesait pas sur sa natalité. Pour les mêmes raisons, il n’est pas possible d’apprécier si le second ordre de considérations auquel nous faisons allusion exercera son influence sur une crise qui existait avant le régime militaire actuel.

Quoi qu’il en soit, les naissances masculines françaises, au nombre de 520 000 environ, en 1859, ont été, en 1899, c’est-à-dire quarante ans après, ramenées progressivement, par une diminution constante, au chiffre approximatif de 430 000, C’est, nous l’avons dit, une diminution d’un cinquième en quarante ans. Cela constitue un phénomène terrifiant, et sans analogue depuis l’établissement des recensemens scientifiques. Et ce phénomène semble avoir tellement frappé le gouvernement, que le dénombrement de 1901 a cessé d’enregistrer ces chiffres et d’en renouveler les cartes et graphiques qui rendaient si précieux le remarquable dénombrement de 1886. On pourrait voir dans cette perte absolue le signe irrémédiable de notre déchéance, le présage certain d’un anéantissement progressif de la race française, limitée à une population de vieillards, et à laquelle se substituerait lentement le nombre croissant des étrangers implantés sur notre sol.

Les esprits courageux voudront espérer qu’après avoir traversé pendant quelque temps un minimum, la race française aura la faculté de se ressaisir et de s’accroître à nouveau. En tous cas, il est bien évident, même pour les optimistes, que là doit être la préoccupation majeure, et que le premier des devoirs nationaux, à notre époque, est d’étudier dans quelle mesure on pourrait enrayer, pallier, combattre les menaces d’un tel désastre. Ce devoir se précise immédiatement en ce qui concerne les mesures qui pourraient être destinées à nous donner une organisation militaire meilleure et plus favorable au développement de la vie civile et de la famille.

Quels procédés pourraient assurer ce grand résultat ? On en peut concevoir plusieurs, depuis la réduction du temps de service jusqu’aux faveurs qu’accordent aux soldats pères de famille les propositions du rapporteur, et qui visent, soit une ancienne motion de M. Pourquery de Boisserin, soit les avantages que réservait, aux jeunes gens qui auraient contracté mariage avant l’époque du conseil de révision, la proposition de loi déposée au Sénat, en 1897, par M. Piot.

De toute manière, il faut aviser.

Un espoir non militaire peut se fonder sur les accroissemens de la race française au Canada, en Algérie et ailleurs, accroissemens qui démontrent jusqu’à l’évidence qu’il ne s’agit pas là d’un vice inhérent à la race, mais bien d’un concours de circonstances indéterminées qu’il importe d’étudier au plus vite, avec une méthode et une critique rigoureuses. Mais, en attendant les espérances qui peuvent apparaître du côté de nos naissances coloniales, il faut pallier les insuffisances métropolitaines, il faut surtout pouvoir durer dans l’expectative.

Oui, il y a évidence de danger, surtout si l’on considère qu’à une diminution des naissances correspondent inévitablement une diminution des contingens et, aussitôt après, une crise des effectifs.

Au bout de vingt ans, la courbe des contingens reproduit sensiblement, en effet, le dessin de la courbe des naissances. Il est donc à prévoir que le nombre total des jeunes gens de vingt ans, — qui s’élevait, en 1879, à 316 000 en chiffres ronds, correspondant, pour la naissance, à l’année 1859, précédemment citée, — sera diminué dans la même proportion que le fut le nombre des naissances en quarante ans, c’est-à-dire d’un cinquième ; et que le nombre des jeunes gens de vingt ans, en 1919, ne sera, par conséquent, que de 250 000 environ.

Il y a là matière aux plus sérieuses réflexions ; surtout si l’on songe, qu’à la même époque, en 1919, l’Allemagne pourra enregistrer un nombre d’hommes de vingt ans très supérieur au nôtre. Et cela s’annonce déjà comme inévitable ; car les hommes dont il s’agit ne sont pas à naître, ils sont déjà nés. Mais ce qui n’est pas inévitable, c’est que cette différence, en faveur de la race germanique, soit aussi irrémédiable qu’elle le paraît tout d’abord. La gravité peut en être atténuée, si nous savons faire de notre contingent annuel un usage meilleur que les Allemands ne font du leur.

La chose, il est vrai, n’est pas facile. Il apparaît en effet que les Allemands tirent un meilleur parti de leurs immenses ressources en hommes, étant plus ménagers que nous, à la fois des intérêts militaires et des exigences sociales. Mais nous pourrions faire aussi bien, peut-être un peu mieux. En tout cas, nous devons faire l’impossible pour que, de la baisse des naissances, de la diminution du contingent, il ne résulte pas cette crise des effectifs si redoutée par le rapporteur du budget de la Guerre en 1901, et qui reste aujourd’hui le péril de l’organisation nouvelle.

« Il faut prévoir dès aujourd’hui, disait-il avec chiffres à l’appui, l’époque peu lointaine où la loi de 1889 cessera de nous procurer les effectifs nécessaires pour l’entretien de l’armée sur le même pied qu’aujourd’hui, puisque cet effectif de 573 000 hommes correspond à un contingent annuel de 210 000 hommes et que les contingens avenir tendront à tomber, à partir de 1911, au-dessous de 190 000 hommes. »

À ce moment donc, le déficit sera de 50 000 hommes, et, si la loi de 1889 devait subsister, « elle ferait faillite, » suivant le mot énergique de M. Raiberti. Il importe que la loi nouvelle, qui va masquer provisoirement cette crise, tienne compte de cette perspective redoutable, si l’on veut que, à peine née, elle ne fasse pas faillite à son tour.

Comment se fait-il, demanderons-nous incidemment, que le rapport de M. Berteaux reste muet sur ce point ?

D’autant qu’à examiner la question des effectifs, il y a une crise qui leur est spéciale. C’est que la quantité des hommes « bons pour le service » n’est pas dans un rapport invariable avec la quantité des jeunes gens de vingt ans qui forment le contingent. En d’autres termes, il y a là encore une réalité douloureuse qui tend à aggraver la situation. Chacun sait que ce contingent, dont nous parlions tout à l’heure, se répartit actuellement en soldats (troupes et services), en exemptés, en dispensés, en hommes des services auxiliaires. Or, de l’expérience des dix dernières années, il ressort que la population des hommes répartis dans ces diverses catégories n’est pas restée constante. Les exemptés, les dispensés, les services auxiliaires ont toujours augmenté en nombre, et, par conséquent, les soldats « bons pour le service » ont diminué dans la même proportion : le contingent utile net a diminué plus vite que le contingent brut.

On prétend, — et ceci n’affaiblit pas notre assertion en ce qui est des autres catégories, — ou prétend que le nombre des exemptés est demeuré constant. Mais il suffit d’interroger un commandant de recrutement consciencieux pour savoir qu’il y a toujours eu, même en ce qui concerne les exemptés, une légère augmentation des hommes auxquels on a reconnu des titres à l’exemption et que ceux-ci, par suite des instructions ministérielles, ont figuré seulement parmi l’augmentation reconnue des services auxiliaires.

C’est un phénomène particulièrement grave ; il tend à démontrer que, si les naissances s’arrêtent, si le contingent diminue, si les effectifs sont amoindris, la qualité des soldats périclite.

Mais il y a plus : en vingt ans, nos coupables erremens et l’incurie qui règne au sujet de nos casernes, — dont les pires ne sont pas démolies pour peu que cela gêne les combinaisons politiques et les intérêts électoraux, — ont coûté à la France 67 021 soldats morts, pendant que l’armée allemande, aux effectifs plus nombreux de 50 000 hommes, ne perdait que 27 053 hommes. D’où l’on pourrait conclure que, si l’Allemagne, à ce qu’il semble, maltraite quelques-uns de ses soldats, elle en tue trois fois moins que nous.

Il est juste de dire que le projet de loi sur le recrutement, dont il est question ici, semble s’être à son tour préoccupé de cette crise et du moyen d’y parer en réservant d’une façon absolue aux élémens combattans la totalité des hommes bons. Dès 1895, la Chambre avait invité le ministre de la Guerre à lui « soumettre un projet de loi réglementant, tant à l’aide de dispositions nouvelles que par une révision d’ensemble des lois, décrets et instructions actuellement existans, l’organisation du service auxiliaire, de manière à assurer, sans prélèvemens sur les effectifs des combattans, les services intérieurs des unités, les services régimentaires et les services extra-régimentaires. »

Malheureusement, l’administration de la Guerre n’a tenu aucun compte de ce vœu, qui est aujourd’hui repris, pour :

1° Rendre des hommes valides au rang, à l’instruction militaire, au service armé ;

2° Permettre aux hommes du service auxiliaire de faire l’apprentissage en temps de paix de leurs fonctions du temps de guerre ;

3° Donner à ces hommes l’occasion de payer leur dette à la patrie, dans la mesure de leurs moyens.

Sur cette persistance à réclamer des dispositions qui ont fait jusqu’à présent, non moins que le nombre, la supériorité de nos adversaires, reposent les quelques espérances exprimées par nous au début de cette étude. Pourquoi faut-il qu’à ces espérances on puisse opposer et la triste constatation de nos mœurs actuelles, et les dispositions contradictoires et inquiétantes qui se rencontrent dans le projet de loi ?

Dans ces dernières années, en effet, on a positivement observé l’affectation des « demi-bons » aux unités combattantes, tandis que, par compensation, des « bons » étaient l’objet d’affectations latérales. C’est qu’à la crise générale des naissances, des contingens et des effectifs, venait s’ajouter la dépravation politique. Elle sévit plus que jamais depuis trois ans sur les opérations de nos conseils de révision ; tout opposant au gouvernement, qui n’est pas absolument hors d’état de servir, est déclaré bon. En revanche, les plus vigoureux et joufflus des garçons sont reconnus délicats s’ils appartiennent à une famille qui vote bien. Et cela aussi influe sur la mortalité désolante de nos soldats.

Dans ces conditions, que restera-t-il de ces vœux platoniques et de ces efforts stériles, qui ne vont même pas, dans le projet d’aujourd’hui, jusqu’à une distinction absolue, comme en Allemagne, entre le combattant et le non-combattant ?

Loin de cela, et par une contradiction inexplicable avec les vœux cités plus haut, la commission de l’armée projette mieux encore que ce système pourri. Elle prévoit, avant le conseil de révision, une « Commission d’examen préparatoire » composée du sous-préfet, d’un officier de recrutement et d’un médecin, pour « préparer les opérations du conseil de révision et noter les conscrits au point de vue de leurs aptitudes, » de manière à « ne pas incorporer des hommes sur l’état physique desquels pourrait subsister le moindre doute. » En réalité, c’est une commission politique précédant la commission militaire où quelquefois l’honnêteté d’un médecin gênait le préfet : c’est préparer l’armée politicienne de Tammany-Hall.

Pendant ces dernières années, en moins de quatre ans, nous perdions en moyenne 30 000 hommes, ou la valeur d’un corps d’armée d’hommes d’encadrement.

Que perdrons-nous avec la nouvelle loi ? Le rapport est muet sur cette question redoutable, il néglige volontairement ce fait capital d’où devrait se déduire l’originalité nécessaire d’une loi française ; et son silence souligne le caractère politique d’une loi isolée, limitée à la question du recrutement, c’est-à-dire du temps de service.

Que perdrons-nous en outre, si les mœurs que nous avons dénoncées, loin d’être réprimées, sont favorisées par la nouvelle loi ?

Si ces signes de décadence devaient se multiplier ou seulement subsister, ils rendraient bien inutile, pour l’étranger, une guerre contre la France, qui semblerait avoir pris à tâche de se détruire elle-même !


II

La notion de ressources financières ou numériques si limitées risque de faire paraît e démesurées, et comme au-dessus de nos forces, les nécessités du temps de guerre en argent et en hommes. Il n’en est que plus indispensable de les envisager sérieusement, car elles constituent le second terme auquel doivent correspondre nos lois et notre organisation militaires. A vrai dire, et malgré qu’on en ait, c’est le terme principal. Il faut, surtout pour assurer la paix, pouvoir répondre aux nécessités d’une guerre éventuelle, et, si la situation paraît grave, le devoir commande d’espérer, fût-ce contre toute espérance, et de préparer à tout prix le succès.

Or, il est possible d’avoir une notion relativement précise des nécessités du temps de guerre comparées aux ressources de l’État, car elles sont, elles aussi, financières et humaines : elles feront appel au Trésor public ; elles demanderont au sol national les légions nécessaires.

Le Trésor public répondra en mettant à la disposition du gouvernement les sommes nécessaires à l’entrée en campagne, puis à l’entretien de la guerre.

Pour l’entrée en campagne, il n’est pas besoin en France, paraît-il, d’avoir recours à une provision comme celle que nos défaites ont mise à la disposition de l’Allemagne, et qui s’appelle « le Trésor de Guerre. »

La Banque de France possède une encaisse métallique qui dépasse les garanties nécessaires au billet de banque. La situation financière de l’État français est, pour le moment, supérieure à celle des autres États de l’Europe ; et, tant que nos capitaux n’émigreront pas à l’étranger, — ce que l’on ne saurait malheureusement pas garantir, — tant que notre richesse procurera des ressources inépuisables à l’impôt français, il y aura certitude que le milliard nécessaire à l’entrée en campagne, et chaque milliard nécessaire à chaque mois de campagne, n’excéderont pas les facultés éventuelles du Trésor. Il en serait de même, on peut le dire hautement, pendant toute la durée de la guerre. Il résulterait d’études faites en vue de cette éventualité par le ministère des Finances, et, si nous avons bonne mémoire, par M. Rouvier lui-même, études qui remontent déjà, il est vrai, à plus d’une dizaine d’années, mais qui n’ont pas cessé d’être exactes, que nos facultés de résistance financière en temps de guerre sont encore, et malgré le poids formidable de notre dette, les meilleures d’Europe. Il ne faut pas oublier qu’en 1870, même à l’époque la plus désastreuse, et lorsqu’on pouvait douter de l’existence même du pays, le billet de banque français n’a pas sensiblement fléchi au-dessous du cours, et que, dans la plupart des pays du monde, il a continué à faire prime.

Il y a lieu d’espérer que cette expérience décisive de la vitalité du crédit français, qui se suffit à lui-même, est un gage sérieux de sa solidité dans l’avenir.

Une autre raison intervient qui confirme ces heureux pronostics, c’est qu’il est permis de croire à la courte durée d’une guerre qui mettrait la France en conflit avec une autre puissance.

Cette assertion trouve sa preuve dans l’examen des conditions nouvelles faites aux guerres modernes par l’adoption universelle du système de la nation armée.

Lorsque, anciennement, les États jetaient à leurs frontières une armée aux effectifs limités, il était possible de faire des appels successifs aux réserves en hommes dont disposait la nation, de pousser aux frontières, à intervalles variables et selon les chances de la guerre, de nouveaux effectifs prélevés sur la réserve nationale, et, par conséquent, de faire durer la guerre. Les guerres du premier Empire en sont un exemple frappant. D’une manière constante, pendant que les armées combattaient à l’extérieur, des cadres renouvelés sans cesse préparaient en France de nouvelles unités, destinées à remplacer celles qui avaient péri ou qui étaient rapatriées.

En 1870, l’appel des dépôts, puis de la « Mobile, » puis des « mobilisés, » a pu prolonger l’effort, et balancer à certains momens le succès.

Récemment, la guerre faite par l’Angleterre aux Républiques sud-africaines nous a fourni un nouvel exemple ; et nous avons vu les morts et les rapatriés remplacés par de nouvelles levées qui, en maintenant les effectifs au même chiffre, permettaient la prolongation de la lutte.

Tous ces exemples s’entendent d’époques ou de peuples ne connaissant pas, ou n’appliquant pas, le système de « la nation armée. » Mais, sur notre continent, il en est, aujourd’hui, tout autrement.

Lorsqu’un peuple aura jeté dans la lutte, en une, deux ou trois fois au plus, la totalité de la nation armée, avec quels élémens pourrait-il prolonger la lutte ? D’autre part, l’épouvantable perfectionnement des engins de destruction augmente la consommation des combattans, d’une manière toute relative d’ailleurs, dans des proportions incalculables. Il suffit de se rappeler les boucheries de Reichshoffen, de Gravelotte, de Sedan ; il suffit de se dire qu’elles seront plus que portées au double, pour se rendre compte qu’il y aura, dès le premier jour des hostilités, une effroyable consommation de vies humaines ; par conséquent, on jettera immédiatement les réserves dans la balance, et on fera un appel immédiat aux seconds et derniers échelons.

Le perfectionnement des voies ferrées et l’emploi des chemins de fer comme moyen stratégique concourront aussi à pousser plus rapidement sur le théâtre de la guerre les groupemens disponibles.

Toutes ces raisons, et d’autres encore, font que les guerres d’Europe ne paraissent pas devoir durer aussi longtemps que par le passé ; et cela est surtout vrai pour la France et l’Allemagne, qui n’ont pas, pour prolonger la guerre entre elles, les énormes espaces qui séparent les mobilisations de la Russie, par exemple, des groupemens qui pourraient se mobiliser contre elle à l’Occident, ou des adversaires orientaux qu’elle rencontre aujourd’hui.

En résumé, si la guerre est plus courte, s’il est sûr qu’elle mettra plus promptement en danger les ressources et la vie même de la nation, il paraît certain aussi que les facultés de notre système financier égaleront sans peine les difficultés de notre tâche pécuniaire, soit au début de la guerre, soit pendant le cours des hostilités.

Maintenant, et comme nous l’avons dit plus haut, la guerre connaîtra d’autres nécessités que l’appel fait au crédit public : Pour assurer sa sécurité, elle demandera au sol national les combattans nécessaires.

Déjà le caractère de la lutte future, véritable lutte pour la vie, nous a montré que la totalité des hommes disponibles doit se lever pour faire face à l’ennemi, et le projet de loi sur le recrutement dont il est question semble fait pour répondre à cette nécessité. Il montre les ressources de nos contingens classés sur huit listes qui comprennent les jeunes gens déclarés, propres au service armé, aux services auxiliaires, les engagés volontaires, les exclus, les ajournés d’office, les sursis du service auxiliaire et les mobilisables exceptionnels. Et, pour tous, ce projet prévoit qu’ils font partie de l’armée active pendant deux ans, de la réserve pendant onze ans, de la territoriale pendant six ans, de la réserve de l’armée territoriale pendant six ans.

Malheureusement, le défaut de ces prévisions, de ce classement théorique, — qui paraissent tout prévoir puisqu’ils utilisent tous nos enfans sans exception, mais qui en réalité oublient de prévoir la guerre, — apparaît immédiatement. Visiblement, le projet de loi s’est demandé si le service devait être obligatoire et égalitaire ; certainement, il ne semble pas s’être demandé si cette organisation pouvait donner la victoire. La question avait deux faces : un côté social, un côté guerrier. Le premier a été envisagé, le second négligé. Et pourtant il s’agit d’une loi militaire.

On n’a pas cherché si cette foule armée est vraiment nécessaire, et, en admettant qu’elle soit nécessaire, comment les exigences de la guerre veulent qu’elle soit articulée ; s’il n’y a pas des économies d’argent possibles, un meilleur emploi des ressources, une répartition des armées obligatoire et entraînant des dispositions de recrutement spéciales. On a étudié les rapports de la loi avec nos institutions démocratiques : on ne s’est pas demandé quelle serait sa valeur quant au caractère particulier d’une lutte continentale, telle que celle dont la France est menacée.

C’était cependant la seule manière de définir d’une façon certaine le caractère et la durée du devoir militaire.

Le reproche que nous avons fait à ceux qui préconisent, a priori, un service d’un an, ou de deux ans, sans avoir étudié d’abord si cela correspond aux ressources dont nous disposons et aux nécessités de la guerre, s’appliquerait également, il est vrai, à ceux qui voudraient déterminer arbitrairement ces nécessités mêmes. Mais le facteur numérique à dégager, la proportion des échelons successifs, et, par conséquent, la répartition du contingent et du nombre des rengagés nécessaires, ne doivent être, même pour une loi de recrutement, ni laissés de côté, ni étroitement définis. D’autre part, l’organisation projetée ne peut se contenter d’être le produit véritablement trop simple d’une conception égalitaire, et doit, au contraire, prétendre à être la conséquence logique d’une méthode qui donne le meilleur rendement militaire possible, et les meilleures chances de succès. En résumé, le programme de nos lois militaires doit tenir compte de notre situation générale, de notre politique particulière, et surtout du caractère spécial des luttes qui nous menacent.

Aucune autre méthode ne sera utile et efficace et ne permettra à nos lois militaires d’obtenir du chiffre de nos ressources, qui à première vue paraît fixe, un rendement supérieur et des chances décisives.

Examinons successivement ces conditions.

Il est évident que, si nous habitions une île comme l’Angleterre, nous aurions une tout autre conception des formations nécessaires. Il est évident encore que, si nous avions pour voisin un monarque autocrate, nous devrions tenir compte du danger que présenterait sa faculté de décisions sans limite ; aussi bien, si nous étions gouvernés par un monarque absolu, serait-il possible de concevoir un instrument militaire différent de celui qui convient à notre république.

Or, nous sommes en république, et nous avons en face de nous un empire déforme constitutionnelle, mais qui, en matière militaire surtout, offre, de par sa constitution, à l’Empereur des facultés de décision exceptionnelles.

Enfin, nos opérations militaires s’engageront, pour la première fois peut-être dans l’histoire du monde, sur un terrain que les états-majors des deux pays ont respectivement, depuis trente ans, préparé pour la lutte.

Tels sont les deux élémens primordiaux du calcul. L’examen attentif qu’ils méritent peut seul nous conduire à la notion des nécessités de la guerre et, en ce qui concerne nos soldats, à la notion du nombre et des catégories militaires indispensables.

L’Empereur allemand a, disons-nous, l’avantage singulier d’une faculté de décision sans contrôle immédiat. Il est certain qu’il lui est possible, d’abord, de rendre la guerre inévitable, comme le fit la Prusse en 1870 ; ensuite, d’ordonner confidentiellement un commencement de mobilisation, tel qu’il lui donne environ 48 heures d’avance sur nous, sans que nous puissions, — quand ce ne serait que par crainte de provoquer l’irrémédiable, — soit le prévenir, soit même le suivre dans un délai plus court.

Le gouvernement français n’a pas cette faculté de rendre, proprio motu, la guerre inévitable. S’il peut nous l’attirer par une maladresse individuelle, aucun ministère, sans nul doute ne s’y hasarderait, de propos délibéré, dans l’état actuel de l’opinion. Il lui serait même très difficile, pour ne pas dire impossible, de prendre de simples mesures de précaution sans soulever une agitation dangereuse. De tout cela, nous avons fait la triste expérience lors de l’incident Schnæbelé.

Enfin, un vote des Chambres doit, constitutionnellement, précéder l’état de guerre déclaré, et il n’est pas besoin d’insister pour faire comprendre ce que cela comporte de temps précieux perdu. On peut dire, sans aucune exagération, que la différence des deux organisations politiques emporte un avantage de 48 heures au moins en faveur de l’Allemagne.

Loin de nous la pensée de récriminer, de faire intervenir les opinions politiques en une matière où le salut du peuple doit être la loi suprême. Mais il ne faut pas non plus que le loyalisme politique nous fasse perdre de vue la vérité militaire.

Tout arbre produit les fruits que comporte son espèce, et, si les fruits de l’organisation républicaine ont leur valeur dans le monde moderne, il faut cependant reconnaître qu’ils ne sont pas absolument d’essence militaire, et que les organisations politiques de nos voisins paraissent mieux douées sous ce rapport. C’est un devoir de ne pas se bercer d’illusions qui seraient payées beaucoup trop cher au jour du réveil.

Nous serons donc réduits à une situation générale défensive, puisque nous ne serons pas les premiers prêts. Nous ne pourrons pas, comme l’exigeait le comité militaire de 1790, nous organiser de manière à attaquer les ennemis dans leur propre pays et les empêcher par là de pénétrer dans nos provinces frontières et de les dévaster en y établissant le théâtre de la guerre. En outre, cette situation rendra plus difficile l’emploi des facultés d’offensive qui caractérisent la valeur exceptionnelle du soldat français, lequel ne pourra pas profiter de l’avantage que lui donnerait cette qualité maîtresse vis-à-vis d’un ennemi qui serait en retard au lieu d’être en avance.

Inversement, dans le deuxième ordre d’idées auquel nous nous étions arrêtés tout à l’heure, le fait que nous nous battrons en un champ clos préparé depuis trente ans atténue cette situation défavorable. Les fortifications pourront y aider. Ce palliatif a une grande importance ; car il est certain qu’il sera utilisé.

L’emploi des chemins de fer, pour des concentrations stratégiques convergentes où s’accumulent sans cesse les facilités de débarquement rapide, les approvisionnemens et le reste, rend absurde en effet toute hypothèse dans laquelle un des deux combattans se priverait de ce mécanisme, savamment combiné à l’avance, pour courir les chances d’un retard incalculable, sans avantage certain, en dirigeant ses forces vers un théâtre d’opérations imprévu, qu’il soit belge ou suisse.

La question ainsi présentée s’éclaire d’elle-même.

Nous sommes menacés d’une offensive soudaine de nos voisins ; il nous faut, pour y parer, des « troupes de couverture, » et il faut que ces troupes de couverture soient plus fortes que les leurs ; il nous faut également des fortifications capables de mettre à l’abri d’un coup de main les ressources colossales qu’offrirait pour l’ennemi la possession d’une ville comme Nancy, ces fortifications, inexpugnables, mais en petit nombre, pour ne pas paralyser nos ressources, et pour permettre la reprise de l’offensive, étant destinées à recevoir immédiatement les formations territoriales des régions frontières dotées d’une organisation et d’obligations spéciales.

En second lieu, il nous faut, à l’intérieur, des corps d’armée à contexture stratégique et des troupes actives organisées de manière à encadrer, solidement et avec cohésion, les élémens qui constitueront le « gros » dont l’ « armée de couverture » aura été l’avant-garde. Étudions successivement ces deux armées.

Nous avons dit que notre « armée de couverture » devait être supérieure à celle de nos voisins. Allons-nous entrer dans un calcul de corps d’armée, d’ailleurs non comparables, les organisations étant différentes ? Allons-nous dire qu’aux XIVe, XVe et XVIe corps allemands, convergens vers la frontière et doublés des élémens bavarois, hessois et rhénans, immédiatement disponibles, nous devons opposer quatre ou cinq corps d’armée convergens, eux aussi, vers la frontière ? C’est là une question d’organisation générale et stratégique qui sortirait des limites de cette étude.

Nous dirons seulement que l’organisation de la « couverture » allemande lui permet évidemment de masser en quarante-huit heures à une journée de marche de la frontière au moins 300 000 hommes groupés en unités complètes et susceptibles d’être jetés sur Nancy, le second jour. Nous dirons, par conséquent, que nous devons obtenir un résultat, sinon supérieur, du moins égal ; que nos unités échelonnées le long de la frontière doivent donc être aussi nombreuses et susceptibles d’être portées à un effectif tel que, complété par les réservistes stationnés à moins d’un jour de marche de chaque garnison, il mette à notre disposition les mêmes forces.

Elles doivent donc compter en chiffres ronds au moins 200 000 hommes destinés à être complétés par 100 000 réservistes locaux. Nous ne pouvons faire entrer en ligne de compte les territoriaux de la région que la mobilisation pourrait jeter dans les forteresses de la frontière. Ces troupes seraient, par leur destination même, immobilisées et répondent à un autre côté de la question. Il faut, en revanche, défalquer de ce chiffre de 100 000 hommes le nombre considérable de non-combattans nécessaires à ces troupes pour pouvoir être immédiatement mobilisables.

En tous cas, et sans que nous puissions insister sur l’utilité des fortifications de Nancy et sur la révision de notre système de défense, il est un point sur lequel nous devons immédiatement attirer l’attention : c’est la méthode nécessaire pour porter dès le temps de paix nos unités de la frontière au nombre qui leur permettra d’atteindre avec les seuls réservistes de la région le complet de guerre, parce que cette question présente une corrélation directe avec la loi de recrutement, et doit exercer sur elle une influence décisive.

Cela n’est possible que de deux manières :

Soit prévoir pour ces corps un certain nombre de rengagemens, ou même un plus grand nombre de rengagés qu’ailleurs, soit leur attribuer délibérément un effectif du temps de paix plus élevé que celui des corps de troupes de l’intérieur. Cette dernière manière de procéder a d’ailleurs, comme inconvénient évident, « de découvrir saint Pierre pour couvrir saint Paul, » comme dit le proverbe populaire. C’est, en effet, avantager les unités de la frontière au détriment des autres ; c’est aussi prélever, sur les effectifs des unités de l’intérieur, les élémens qui leur sont indispensables. Et, lorsqu’on utilise ce moyen, il suffit que le quart de nos unités soit groupé dès le temps de paix le long de la frontière pour que la valeur de toute notre mobilisation en soit amoindrie. Le premier système paraît donc préférable, et le projet de loi ne paraît pas s’en être préoccupé. En tout cas, il n’apparaît point qu’il ait prévu les rengagés qui pourraient limiter ou remplacer cet emprunt aux unités de l’intérieur.

Passons à l’armée proprement dite : le manque de prévisions du projet de loi au sujet des besoins de la couverture apparaît ici non moins nettement.

Nous avons supposé que le budget permet d’entretenir sous les drapeaux 504 700 hommes qui correspondent en chiffres ronds à l’effectif budgétaire prévu et qui comprennent les 122 000 hommes du contingent permanent répartis sur l’ensemble des corps de troupe. Si nous n’avons pas de rengagés, c’est sur ce chiffre global qu’il faudra prendre les troupes accumulées dans l’Est pour servir de couverture. Défalquons-en 200 000 hommes, il n’en reste plus que 300 000 pour former les cadres actifs dans le reste du pays.

Mais ce chiffre même est une illusion, puisqu’il comprend la masse des non-combattans instruits avec l’argent qui aurait pu et dû nous donner des combattans. Du reste, que deviendra-t-il, si nos contingens appauvris ne nous donnent plus bientôt les 500 000 hommes que nos moyens nous permettent d’entretenir ?

Ne serait-il pas possible de prévoir des rengagés toutes les fois qu’il y aura un déficit dans les effectifs ?

Ne serait-il pas possible de réduire au strict minimum les dépenses nécessaires à l’instruction des non-combattans, si l’on voulait bien renoncer à la chimère égalitaire, et si les hommes des services auxiliaires, conformément aux règles du bon sens, d’une bonne économie des deniers de l’Etat, et d’une meilleure organisation militaire, passaient très peu de temps sous les drapeaux ? 9

Nous sommes donc conduits inévitablement, soit à prévoir une meilleure organisation mettant à notre disposition des ressources pécuniaires plus grandes pour augmenter le chiffre de nos rengagés et en doter largement et les corps de couverture et les corps frappés par la diminution des contingens ; soit à nous résigner à une diminution d’effectifs du temps de paix, et, par corrélation, à une réduction de nos forces du temps de guerre et aux pires hasards.

Mais il y a plus. Il est un principe universellement admis et d’une évidence incontestable : c’est que la cohésion, la discipline et la solidité d’une troupe dépendent surtout de la proportion qui existe entre les élémens permanens et les complémens qu’elle reçoit au moment d’une mobilisation. Moins elle recevra de ces derniers, plus les unités partiront en temps de guerre, comme elles étaient constituées en temps de paix, — et, ajoutons-le, sous le commandement des mêmes chefs, — plus la troupe aura de valeur, plus elle aura de chances de succès.

Inversement, plus les élémens actifs seront noyés sous les flots de nouveaux arrivans, plus ils auront de chefs et de soldats improvisés, et plus on aura de présomptions de défaite.

Ce raisonnement a contre lui d’être en opposition avec le principe même de la loi présentée. Malheureusement pour elle, il est irréfutable.

Il comporte, il est vrai, — à moins des réformes financières dont nous parlions plus haut, — une réduction systématique et voulue de notre faculté d’encadrement, au bénéfice de notre puissance militaire. Il réduit le nombre de notre armée de première ligne, mais pour la rendre plus forte. Mais on pourrait sans doute atténuer cet inconvénient en n’appliquant cette règle qu’aux combattans et en laissant au contraire les non-combattans recevoir une quantité de réservistes prépondérante, ce qui serait rendu facile par le développement des dispositions prévues, jusqu’à distinguer entre eux dès l’entrée au service.

En tout cas, il faut ou contester, ou admettre le principe posé plus haut ; il faut choisir entre la force et le nombre, entre l’armée et la cohue.

C’est, au fond, choisir entre la confiance et la panique.

J’entends bien que les auteurs militaires ont préféré souvent fondre la totalité de nos réservistes avec l’armée active, et pousser ainsi jusqu’à 1 500 000 ou 2 millions d’hommes les armées de première ligne. On attribuait seulement une proportion moins grande de soldats actifs à chaque unité, ce qui permettait d’en économiser un certain nombre, destiné, disait-on, à encadrer une plus grande quantité de réservistes ; mais ce procédé illusoire diminuait inévitablement la qualité de l’unité et aggravait la fragilité de nos formations.

J’entends bien encore que la loi actuelle est une loi destinée à nous donner une armée de réservistes, et non une armée de ligne renforcée ; mais c’est justement pour ce motif que la loi actuelle nous paraît frappée, comme la précédente, de la « folie du nombre, » d’autant qu’au point de vue numérique, nous sommes déjà certains, malheureusement, de nous battre trois contre quatre ; et, par conséquent, nous ne pouvons plus espérer l’emporter par la supériorité militaire.

Que nos formations de réserve et nos formations territoriales puissent et doivent comprendre la totalité des hommes en état de porter les armes, de manière à appuyer l’armée de première ligne ou bien à remplir ses vides, rien de plus juste ; mais il devrait y avoir une armée de première ligne, composée de soldats invincibles, pour répondre à l’avance politique de l’adversaire et pour encadrer nos réserves.

On est effrayé, quand on regarde de près la fragilité du système proposé et la difficulté d’en obtenir une armée solide : même en admettant un chiffre considérable de rengagés, et la distinction des combattans et des non-combattans, nos 300 000 hommes de l’intérieur ne pourraient guère encadrer utilement plus de 300 000 réservistes, tandis que nos 200 000 hommes de couverture, qui tiendraient d’avance au complet de guerre les unités de la frontière, seraient empêchés par cela même de servir de cadres, et ne pourraient recevoir plus de 100 000 réservistes régionaux, auxquels viendraient s’ajouter les territoriaux de la frontière.

Nous aurions donc une certaine peine à former une armée offensive solide, au chiffre total d’un million de combattans environ, qui aurait derrière elle les armées de seconde ligne, — et de valeur secondaire, — formées exclusivement de réservistes et prêtes à s’amalgamer dans l’armée de première ligne ou à l’appuyer. Mais, au moins, nous aurions une armée.

Notons que, dans cette hypothèse, les armées de deuxième ligne ne seraient pas sensiblement inférieures aux formations qui résulteront du projet de loi actuel, chez lesquelles l’élément actif sera inévitablement noyé dans l’élément réserviste. En revanche, elles emprunteraient une force inappréciable au voisinage de l’armée de première ligne. Si donc on ne veut pas remettre le sort du pays aux mains d’une cohue de deux ou trois millions d’hommes sans esprit et sans force militaire, on ne saurait trop apporter d’attention à cette question si négligée.

Quant aux groupemens territoriaux, ils garderaient la même valeur dans les deux systèmes.

On instruirait ainsi le plus grand nombre possible de véritables soldats aux moindres frais, et nous pourrions espérer obtenir cette force offensive d’environ un million d’hommes qui nous est indispensable.

Malheureusement, cela n’était déjà pas possible avec l’ancien système et le paraît encore moins avec celui que l’on propose. Ce chiffre de 504 000 hommes va comprendre toutes les non-valeurs ; on va perdre deux ans à instruire ainsi inutilement les hommes des services auxiliaires ; on n’aura pas de rengagés : donc, pas d’armée de couverture ; pas d’armée de première ligne ; mais on aura provisoirement un service égalitaire et, sans parler du temps perdu, nous perdrons, pour ce résultat combien spéculatif, l’argent précieux de la défense, l’argent dont nous paierions les rengagés nécessaires, l’argent dont nous paierions peut-être la victoire.

Nous étions loin tout à l’heure de la loi de recrutement en cause, nous y voici revenus. Mais qui ne voit la corrélation nécessaire, l’intime relation du temps de service dans une armée avec les conditions générales de la défense du sol national ?

Certes, si cette méthode rigoureuse et scientifique, qui considère l’armée comme un tout n’ayant pas de raison d’être s’il ne prévoit pas constamment toutes les données et conditions de la guerre, avait prévalu ; si, au lieu de commencer par une loi qui vise le temps de service sans savoir comment on utilisera ce temps de service, sans savoir à quelle loi des cadres, à quelle organisation militaire, à quel résultat, victoire ou défaite, il doit correspondre, on avait décidé de refondre complètement notre organisation militaire de manière à en tirer un tout homogène et puissant, il eût été facile, avec des prémisses ainsi posées, de voir où l’on eût été conduit.

Devant nos nombreuses réserves prêtes à remplir les vides ou à appuyer leurs efforts, les catégories d’hommes constituant notre armée offensive eussent été formées de rengagés, d’appelés et de réservistes. Les idées générales que nous avons exposées plus haut eussent pu servir à déterminer la proportion des unes et des autres, et, par conséquent, à donner une première notion approchée du temps de service moyen considéré comme nécessaire.

Cette durée aurait pu n’être pas fixée a priori, et une étude plus serrée aurait permis d’y apporter des modifications destinées, soit à augmenter la force offensive, soit à hausser un peu la force numérique de l’armée de première ligne. Ces modifications sont possibles.

Faisons varier le chiffre qui fixerait arbitrairement la durée du service, de manière que tout d’abord les nécessités de l’instruction soient sauvegardées, — en augmentant, comme en Allemagne, la durée de l’instruction pour les armes qui ont besoin d’un plus long apprentissage, en la diminuant pour celles qui n’ont besoin que d’une instruction plus rapide à acquérir ; — et nous aurons encore approché de la solution du problème, qui est, pour une même dépense, de donner une plus grande valeur relative à l’une des deux armées.

Révisons et modifions encore ce travail, de manière à obtenir que certains services n’aient besoin que d’une quantité d’instruction très restreinte, et augmentons, par contre-coup, les ressources destinées aux autres armes ; en un mot, distinguons, dès le recrutement, entre les « unités combattantes, » longues à instruire, et les « services non-combattans, » plus rapidement éduqués ; — et le problème se sera resserré encore.

Enfin, fusionnons davantage les services civils avec les services Militaires, de manière à rendre disponible un certain nombre de soldats qui aujourd’hui portent inutilement l’uniforme ; et, poursuivant le même ordre d’idées, limitons « aux services » les élémens malingres et les élémens indispensables à la préservation de l’édifice social, tels ceux qui appartiennent à certaines carrières libérales ; — et le problème sera enfin résolu.

Voilà donc examinées, superficiellement, il est vrai, non seulement les nécessités de la guerre, mais encore les moyens d’y répondre en nous maintenant dans la limite étroite de nos disponibilités, si restreintes qu’elles soient, financières ou numériques. Nous n’avons pu le faire et essayer d’approcher la solution du problème qu’à la condition de suivre l’ordre logique dont nous avons parlé, et qui va des ressources aux nécessités.

Malheureusement, cet ordre logique n’est guère suivi dans le projet qui, du Sénat, va à la Chambre des députés, et qui, prenant le moyen pour le but, part d’une réduction a priori du temps de service pour aboutir à une organisation militaire inétudiée et grosse d’inconnues où l’amour du sophisme égalitaire tue la possibilité du meilleur rendement militaire.

Disons-le franchement ; vouloir à tout prix « mettre la charrue devant les bœufs, » dire arbitrairement : le temps de service sera de deux ans, sans arrêter au préalable les élémens des différentes formations nécessaires, l’effectif des combattans et l’effectif des non-combattans, c’est s’exposer volontairement, nous venons de le voir, à diminuer nos effectifs utiles ; c’est créer une armée de gardes nationaux.

C’est organiser la cohue, c’est préparer la défaite.


III

Ainsi, l’erreur est lourde de commencer par fixer arbitrairement la durée du temps de service, et de ne pas procéder, en matière si délicate, avec la méthode indispensable.

Ainsi, un programme de réorganisation générale, fondé sur la disproportion visible entre les facultés budgétaires et les ressources en hommes du pays, et, d’autre part, sur les dépenses, en argent et en soldats, qu’exigera la lutte future, peut seul nous donner l’instrument militaire à la fois logique et fort qui, par une réforme homogène des lois d’organisation, de recrutement et de cadres, remédiera aux insuffisances de nos ressources et les égalera au nécessaire.

Une telle réforme comporte nécessairement, nous croyons l’avoir démontré, un travail d’ensemble. Il ne doit pas être trop tard pour faire cet examen préalable, ni pour aborder, dans les commissions de l’armée, ces études organiques, alors même que le gouvernement s’est engagé formellement à une réduction du temps de service. D’ailleurs, fût-il trop tard, nous serions à temps pour joindre intimement, au projet de loi qui va venir en discussion, une loi des cadres et des effectifs, « réclamée avec instance au ministre de la Guerre. »

Les leçons d’une expérience trentenaire et, ajoutons-le, les exemples de nos rivaux, sont une base suffisante pour étudier des projets qui auront une répercussion inévitable sur la loi en discussion, car, de l’étude, même rapide, des évolutions parallèles de notre organisation militaire et de celle de nos voisins, se dégage également, avec une clarté intense, le programme de demain.

Lorsque, à la suite de la guerre de 1870, il fut nécessaire de reconstituer nos forces, il ne parut pas possible d’adopter immédiatement le système de la « nation armée, » qui avait conduit nos voisins à la victoire.

Le général de Cissey nous dota, par les lois de 1872 et 1875, d’une organisation extrêmement remarquable, quoique incomplète, et qu’on appela communément le service de cinq ans.

Quinze ans après, sous l’influence de certaines nécessités sociales ou politiques, et conformément à l’avis du général Saussier, généralissime, M. de Freycinet et le général de Miribel nous dotèrent de l’organisation allemande, analogue à celle qui existait outre-Rhin avant 1870, mais sans les réformes que les Allemands avaient introduites en 1873 et 1875, c’est-à-dire : « la permanence des effectifs » dans les unités du temps de paix, et la séparation du « combattant » et du « non-combattant, » comme base de la loi de recrutement.

Ce fut ce qu’on appela, d’un euphémisme, le service à court terme ou de trois ans.

Aujourd’hui, les causes sociales, constamment agissantes et qui font, même du service de trois ans, un fardeau un peu lourd pour les épaules françaises, l’expérience aussi d’une organisation qui a laissé voir ses imperfections et ses lacunes, suscitent un mouvement d’opinion. L’opinion se prononce en faveur d’une meilleure répartition du contingent et d’une réduction du temps de service adoptée d’une manière toute relative, dès 1893, par les Allemands ; en même temps que les militaires de profession, frappés des inconvéniens que présente le système actuel, au point de vue de la guerre, concourent d’autre part à cet état d’esprit en réclamant, eux aussi, une réduction du service militaire ; mais sous bénéfice de l’adoption préalable des réformes négligées jusqu’à ce jour, c’est-à-dire de mesures tendant à organiser fortement les encadremens, et à améliorer les conditions de l’instruction.

L’évolution passée de nos organisations militaires marque donc nettement le sens de l’évolution future vers laquelle le projet de loi nous dirige.

Malheureusement, comme nous l’avons vu, en le présentant isolé, sans la loi d’organisation militaire dont il devrait être la conclusion, non le préambule, on le rend plus dangereux qu’utile, et il ne peut, dans ces conditions, que compromettre une réforme que tout Français eût pu accepter.

Aujourd’hui, il est sans doute trop tard ; mais, même en admettant que la question soit déjà trop mûre pour qu’on s’attarde à un examen d’ensemble, il est au moins possible, et il demeure indispensable, d’agir avec méthode.

Il faut d’abord réaliser, dans la loi présente, les réformes que, depuis 1870, les Allemands ont réalisées dans le leur ; et cela, il faut le faire nettement et sans retard. Le projet actuel vise, il faut le reconnaître, ce desideratum, mais il le vise d’une façon vague : ses effectifs ne seront pas réellement permanens et ne seront pas distincts en effectifs de combattans et de non-combattans. Il est donc nécessaire d’obtenir sur ce point satisfaction complète.

Il faut ensuite poser le principe de n’admettre que des dépenses utiles, et ne pas gaspiller inutilement, à garder deux ans sous les drapeaux des non-combattans, l’argent sacré de la défense.

Enfin, il faut, pendant la discussion même, poursuivre concurremment l’examen et l’étude d’une organisation telle qu’elle réponde aux nécessités du présent ; telle, par conséquent, qu’elle tienne compte de nos facultés pour les égaler à nos ressources, sans oublier qu’elle doit, avant tout, nous donner à la fois de meilleures chances de succès en temps de guerre, et un meilleur état social en temps de paix.

Il faut, par conséquent, déposer sans retard un ensemble de projets de lois réorganisatrices permettant, par leurs conséquences, de revenir sur la loi en discussion. C’est par cet ensemble de lois qu’on pourra reprendre le programme dont nous avons tracé les grandes lignes, et porter successivement son attention sur les questions relatives aux finances, à la population, et au nombre, bases évidentes de toute étude raisonnée de la réorganisation militaire. Disons tout de suite, et aussi énergiquement, que ce programme devra, avec le même scrupule, faire entrer en ligne de compte d’autres élémens de succès, les autres facteurs de victoire.

Nous voulons parler de la qualité des « unités de combat » formées du nombre des combattans fixé par la loi.

Cette qualité, cette valeur des troupes et de leurs cadres, est un élément de succès incomparable. Mais elle dépend, elle aussi, de considérations multiples et d’efforts nécessaires. La discipline, l’instruction et l’entraînement en sont les facteurs essentiels, et seules une bonne loi d’organisation militaire et une bonne loi des cadres peuvent les assurer.

On ne devra pas oublier non plus que le succès pourra naître de la vitesse, c’est-à-dire de la rapidité et de l’aisance données à nos mouvemens par l’importance et la capacité de notre réseau de chemins de fer.

Toutes ces nécessités doivent être visées dans la réorganisation générale de nos forces militaires. Celle-ci doit nous donner, c’est indispensable, la notion qu’elle est, malgré la différence numérique, égale, sinon supérieure, à l’organisation allemande.

Rappelons-nous que, si l’officier et le soldat français ont une valeur incomparable, ils ne doivent pas payer de leur vie les vices d’une organisation défectueuse, et que, à égalité d’organisation avec l’adversaire, leur sang et leur héroïsme doivent seulement solder la victoire.

Si cette organisation s’égale aux difficultés de la guerre, elle doit aussi répondre aux nécessités sociales du temps de paix. La notion de notre crise militaire n’est pas complète, si l’on ne s’aperçoit pas qu’elle se double d’une crise sociale, née d’une équivoque dans les rapports entre la nation et l’armée.

Notre organisme militaire évolue conjointement à un milieu social dont on doit tenir compte, sous peine d’un divorce aux conséquences incalculables. Cette vérité est évidente : il faut qu’il y ait harmonie entre la vie de la nation française et la vie propre de son armée.

Ceux qui prétendent qu’il y aurait incompatibilité foncière et absolue entre une forme de gouvernement qui attribue la souveraineté au suffrage universel et l’exécution à des chefs élus, et une organisation militaire qui confère l’autorité absolue à des chefs non élus et qui impose l’obéissance à la masse, ceux-là sont peut-être des logiciens redoutables, mais surtout redoutables pour leur pays.

Et, d’ailleurs, ce pays lui-même a démontré l’erreur de la thèse qu’ils soutiennent. La France vit depuis trente ans en république avec une armée qui, somme toute, lui fait honneur.

En tout cas, il faut que le système politique et social, ainsi que le système militaire, s’accordent : l’existence de la France en dépend.

Reléguer l’armée à part, c’est faire œuvre de réaction militaire, comme au temps de la Restauration ou au début du second Empire ; c’est préparer la défaite.

Rendre plus intime encore la corrélation de l’armée et de l’état social, c’est faire œuvre de progrès comme à l’époque du comte de Saint-Germain, de la Révolution et du premier Empire : c’est préparer la victoire.

Qui oserait dire qu’une pareille tâche est impossible ? La meilleure manière de la remplir paraît être de calquer l’organisation militaire sur l’organisation politique.

La constitution distingue entre le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif. L’organisation militaire ne peut-elle pas distinguer entre l’administration de l’armée et son emploi ?

Le président de la République est président du Conseil supérieur de la Guerre, et le généralissime en est vice-président. D’eux doivent dépendre la préparation à la guerre et tout ce que la guerre comporte d’attributions.

Le pouvoir législatif organise et subventionne l’armée. Responsable devant lui, le ministre de la Guerre doit être le maître en temps de paix.

Une pareille dualité ne saurait être plus périlleuse, en cas de désaccord, que la dualité constitutionnelle n’est dangereuse pour la République. La hiérarchie des pouvoirs publics sera le sûr garant qu’il y aura toujours accord entre le ministre qui organise et le généralissime qui emploiera, entre le créateur de l’organe et celui qui s’en servira, si cet organe est créé de manière à être fort, et de manière à faire partie intégrante et harmonique de la vie nationale.

Alors, le succès ne sera pas douteux.

C’est dans cette collaboration, dans l’affirmation de cette responsabilité réciproque, qu’on trouvera le moyen de résoudre le problème. Il y a un partage à faire : au ministre, les facultés du pays ; au généralissime responsable, les nécessités de la guerre. Au Conseil supérieur de la Guerre, d’établir les données de la guerre ; à la Commission de l’armée, d’étudier ces données, de définir le programme des réformes, de préparer l’ensemble des lois dont nous parlions plus haut et que le gouvernement doit présenter aussitôt après à la sanction du Parlement,

Si ce programme prévalait, il ne serait peut-être pas trop tard pour asseoir sur des bases solides et larges l’édifice définitif de notre réorganisation militaire, à condition toutefois de réagir immédiatement contre les tendances qui se manifestent dans le projet patronné par le ministre de la Guerre et contre la gangrène politique dont il est infecté, à condition de réduire au silence ceux qui semblent avoir pris pour devise : « La paix à tout prix au dehors. La guerre à tout prix au dedans. »

Comment ! du poids de notre or et du nombre de nos enfans, on ne voudrait pas mesurer le sacrifice ; la protection du foyer, la défense du sol national seraient motifs à querelles politiques ; du chiffre de nos dépenses, du montant de nos contingens, on déduirait seulement la durée du temps de service à inscrire sur les programmes électoraux ! Du danger possible, on conclurait, non aux obligations de la guerre, mais aux utopies égalitaires. Un tel abaissement des âmes, une semblable capitulation des consciences ne doit pas pouvoir être possible. La Chambre saura s’arrêter à temps. La France payerait trop cher un tel défaut de patriotisme et de logique.

Pour nous, malgré le scepticisme que fait naître l’expérience douloureuse des dernières années, nous croirions manquer à un devoir, si nous ne faisions pas encore un effort pour atténuer les inconvéniens de l’imprudente procédure qui s’est ouverte sur l’organisation militaire à venir, et si nous ne continuions à combattre pour sauvegarder, en dépit de la politique, les destinées de la nation.

C’est un sujet à ne plus quitter jusqu’à entière satisfaction.

La réforme intégrale de notre organisation militaire, en vue de la guerre possible et en harmonie avec le développement social, est désormais nécessaire. Il faut la poursuivre immédiatement et sans relâche, si nous voulons envisager sans trop de crainte les conditions auxquelles pourrait être consentie une réduction à deux ans de la durée du service militaire.

Il y va de l’existence même du pays.


COLONEL DE LA PANOUSE.

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