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L’Ouest-Éclair n° 5391/Quand on fera de l'or avec du plomb....

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collectif
L’Ouest-Éclair n° 5391

Quand on fera de l’or avec du plomb.... ???


Il n’y aura pas grand’chose de changé

La pierre philosophale, que cherchèrent vainement les alchimistes, serait-elle enfin trouvée ? Le rêve d’hier deviendrait-il une réalité ?

On sait que certains corps possèdent la singulière propriété d’émettre dans l’obscurité des rayons capables d’impressionner les plaques photographiques.

Ce phénomène, connu sous le nom de radioactivité, a été découvert par un grand savant français, M. Henri Becquerel.

Or, Mme Curie l’a récemment démontré, le radium, par exemple, produit en même temps que ce rayonnement caractéristique, une vapeur, un gaz, ou mieux une buée qui, rapidement détruite, laisse en ses lieu et place de l’hélium, c’est-à-dire un métal absolument différent de celui qui a servi de point de départ. Ce phénomène de transmutation a plongé naguère tous les savants du monde entier dans la stupeur.

Aujourd’hui, voici que le professeur Soddy affirme de façon péremptoire que l’on parviendra sans aucun doute à fabriquer de l’or en se servant de thallium, de mercure, voire du vulgaire plomb.

— Malheureusement, ajoute-t-il, il serait nécessaire de disposer d’une énergie, ou mieux d’un potentiel de un million de volts, et nos savants modernes ne peuvent travailler au delà de 100,000 volts. Néanmoins, le problème sera résolu avant longtemps.

L’affirmation si catégorique du professeur Soddy nous laissait entrevoir un abîme désastreux. Que se produirait-il, en effet, si l’or se répandait à flots, demain, sur le marché ?

Pour le savoir, nous avons voulu consulter quelques personnalités du monde financer, particulièrement bien placées pour nous répondre.

« Réfléchissez, nous a dit l’une d’elles. Qu’est-ce que l’or ? Rien, moins que rien ! Qu’il disparaisse ou afflue demain, aucun désastre n’en résultera pour cela.

« Songez que les opérations financières sont surtout basées sur les valeurs mobilières, sur les moyens de crédit.

« Il y a à l’heure actuelle ma vertigineuse somme de 850 milliards de papiers négociables dans le monde, papiers qui s’appellent rentes sur l’État, actions et obligations de compagnies, ou de sociétés, ou de mines, etc.

« En regard de ces 850 milliards de titres négociables, sachez que depuis que le monde existe jusqu’à la fin de 1912, l’or et l’argent extraits de la terre dépassent à peine 159 milliards, et que tous les billets de banque, fin 1912, s’élevaient à peine à 41 milliards et demi.

« Ce sont donc les moyens de crédit qui ont suppûté à l’insuffisance de la monnaie.

« Tous ces papiers, toutes ces valeurs subsisteront donc quand bien même l’or disparaitrait, car ils reposent sur un sentiment très élevé qui ne s’achète pas, quelque prix que l’on voudrait y mettre, car il se donne volontairement et disparait avec la même rapidité quand un doute s’élève ; ce sentiment s’appelle la confiance. »

Comme on le voit, M. Alfred Neymarck est optimiste, et avec des arguments.