L’art dans l’Afrique australe/04

La bibliothèque libre.
Berger-Levrault (p. 25-).

Intailles et graffites



« Le besoin de l’art est immortel, il existait au cœur de l’homme au temps où à peine homme, il gravait des lignes bizarres sur la corne et le bois. »

H. Warnert.



N n a trouvé, ces dernières années, dans bien des endroits écartés du Sud africain, surtout dans le nord-est de la colonie du Cap, dans l’État libre de l’Orange et dans le sud du Transvaal, de nombreuses intailles gravées sur des rocs très durs, représentant des animaux dont certains, comme les éléphants, ont disparu de ces contrées depuis fort longtemps.

Comme on ne prête qu’aux riches, on a de suite attribué ces dessins rupestres aux Bushmen : le soin avec lequel ils sont traités justifie en grande partie cette opinion. Car il n’y a vraisemblablement que des « hommes des bois » vivant en contact constant avec la nature, qui puissent chercher à ce point à la représenter avec tant de précision, de savoir et de dextérité.


intaille à silhouette martelée provenant de kleksdorp (transvall)
(Musée du Cap)

Ces intailles sont traitées de trois façons : les unes, peut-être les plus anciennes, ne présentent que des silhouettes faites par des coups martelés dans le roc ; dans d’autres, la figuration consiste en un dessin continu, tandis que bon nombre offrent des images en champlevée.

Il y a là une analogie artistique des plus étroites avec certaines gravures sur roc provenant des temps préhistoriques de notre vieux monde, qui n’a pas échappé aux savants[1].

Comme, dans ces intailles, on retrouve les mêmes qualités de fidélité, de vérité et d’élégance que nous avons vues dans les peintures faites par les Bushmen, de savants ethnographes en ont conclu qu’il y avait des Bushmen peintres et d’autres sculpteurs.


intailles faites sur des rocs près eleksdorp (transvaal)
(Musée de Prétoria)

Ce sont peut-être là de bien grands mots ; en tout cas il y a particulièrement dans les intailles une recherche de la ligne tout à fait surprenante, car il n’y a pas là des essais de débutants, ou une simple manière d’écrire ou de fixer des souvenirs, mais plutôt des œuvres d’artistes travaillant con amore.


intailles
(Musée national des antiquités algériennes, Alger)

Il peut être intéressant de rapprocher ces images, dont l’origine exacte nous échappe, de celles qu’on a découvertes il y a quelques années dans l’Algérie du Sud, non loin d’Aïn-Sefra,


un paysage près bushmen’s kop
Le confluent de l’Orange et de la Makbaleng.

qui figurent dans le beau musée d’antiquités, à Alger, et qui sont elles-mêmes aussi une sorte de problème archéologique.

Une observation qu’on peut faire aisément est relative à l’influence que les Bushmen ont exercée sur les races qui les persécutaient ; ces vaincus sont devenus des êtres à part, relevant un peu de la légende et dont on retrouve partout le nom. Non loin de notre station d’Hermon, il y a dans l’État de l’Orange un endroit assez important qu’on nomme Bushmen’s Kop — « la tête de Bushmen » — et bien d’autres appellations comme : fontaine, rivière, route, col, coin, etc., accolées au mot de Bushmen.


poupée bushmanxxxxxxxxxxxxxxxpoupée bushman
Faites dans l’État libre d’Orange

Nous avons parlé ailleurs de poupées en peau, représentant des Bushmen, qui sont des objets de pure curiosité que des dames boerines sont très habiles à confectionner et dont les musées ethnographiques du Trocadéro, à Paris, et celui de Douai contiennent plusieurs exemplaires.

De leur côté, les noirs essaient d’imiter les dessins bushmen, qui contrastent d’une façon très sensible avec leurs propres tentatives artistiques, et assez fréquemment on peut rencontrer des ornements gravés sur une canne ou sur une calebasse, directement inspirés de l’« école bushmen » !


dessins faits sur des calebassesxxxxxxdessins gravés sur une canne

Il faut encore signaler les graffites très étranges, découverts par les missionnaires allemands dans le pays des Damara, au nord-ouest de la colonie du Cap, et qu’on n’a pas manqué d’attribuer aux Bushmen.


inscriptions provenant du grand namaqualand
(D’après des photographies, bibliothèque du Cap)

Ces bizarres inscriptions sont formées de lignes tout à la fois régulières et incohérentes, agrémentées de signes géométriques et aussi de minuscules personnages.


image provenant de pompéi
(Musée de Naples)


reproduction de la photographie d’une intaille
(Musée du Cap)

Il peut être intéressant de relever ces trouvailles faites dans un pays dont le passé préhistorique est encore tout près de notre époque et qui restera vraisemblablement toujours terra incognita.

Nous ne pouvons mieux clore ce court aperçu sur les travaux artistiques des aborigènes de l’Afrique australe et souligner ainsi une opinion déjà émise, qu’en répétant les mots si expressifs avec lesquels le vieux Dante définit les bas-reliefs de la montagne de son « Purgatoire » : « C’est un parler visuel, » « parlar visibile ».

Ce qui n’empêche pas que beaucoup de ces œuvres graphiques puissent avoir plus ou moins de rapport avec la sorcellerie, ou être peut-être de simples signes de ralliement.


signes provenant de cavernes de la colonie du cap


peinture de bushmen dans une caverne près phamong, (sebap)

  1. Voir sur ce sujet le très bel ouvrage de M. E. Cartailhac : La Caverne d’Altamira, publié sous le patronage du prince de Monaco. 1906.