L’honneur de souffrir/LI. Les morts qui m’ont aimée ont vaincu ta beauté

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Librairie Grasset (p. 84-85).

LI


Les morts qui m’ont aimée ont vaincu ta beauté,
Passant, subit ami révélé, frère étrange,
Beau regard rudoyant et pur, tristesse d’ange,
Azur humain pesant sur mon cœur tourmenté !

Quoi ! quand la créature est chaque jour flétrie,
Quand le corps, même net, brillant et vigoureux,
N’est, dans le jeu voilé des tissus ténébreux,
Qu’une secrète, enclose et vague boucherie,


Tu m’apparus soudain suave et ravissant,
Composé par le miel, l’astre, la tubéreuse.
Plus que le suc des fleurs j’ai révéré ton sang,
Ta grâce m’accablait et me rendait peureuse.

— Et quelquefois encor, si lasse que je sois,
Si livrée au pouvoir des funèbres tempêtes,
Ta rêveuse clarté me fait baisser la tête,
Et mon désir m’enivre autant qu’il me déçoit !