La Bible enfin expliquée/Édition Garnier/Rois/Livre 2

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Œuvres complètes de VoltaireGarniertome 30 (p. 187-200).
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LIVRE II

Isboseth fils de Saül avait quarante ans lorsqu’il commença à régner sur Israël ; et il régna deux ans ; et il n’y avait que la tribu de Juda qui suivit le parti de David ; et David demeura à Hébron sept ans et demi… il y eut donc une longue guerre entre la maison de Saül et la maison de David… or Saül avait eu une concubine nommée Respha, fille d’Aya. Et le roi Isboseth dit à son capitaine Abner : pourquoi es-tu entré dans la concubine de mon pere ? Le capitaine Abner, en colere, répondit au roi Isboseth : comment donc ! Tu me traites aujourd’hui comme une tête de chien ! Moi qui t’ai soutenu contre la tribu de Juda après la chûte de ton pere et de tes freres ! Il t’appartient bien de me chercher querelle pour une femme[1] ! Que Dieu me traite encore plus mal que toi, si je ne donne à David ton trône comme Dieu a juré de le lui donner, et si je ne transfere le regne de la maison de Saül à celle de David, depuis Dan jusqu’à Bersabée. Isboseth n’osa répondre à Abner, parce qu’il le craignait… après cela Abner parla aux anciens d’Israël… il alla trouver David à Hébron, et il arriva accompagné de vingt hommes… et David lui fit un festin… mais Joab étant sorti d’auprès de David, envoya après Abner, sans que David le sut ; et lorsqu’il fut arrivé à Hébron, il tira Abner à part, et le tua en trahison en le perçant par les parties génitales… le roi Isboseth fils de Saül, ayant appris qu’Abner avait été tué à Hébron, perdit courage…[2]. Or Isboseth avait à son service deux capitaines de voleurs dont l’un s’appellait Baana, et l’autre Rachab. Or Rachab et Baana entrerent la nuit dans la maison d’Isboseth et le tuerent dans son lit ; et ayant marché toute la nuit par le chemin du désert, ils présenterent à David la tête d’Isboseth fils de Saül… David commanda à ses gens de les tuer ; et ils les tuerent…[3]. Alors le roi David, avec ses suivants, marcha contre Jérusalem habitée par des jébuséens… or David habita dans la forteresse ; et il l’appella la cité de David ; et il bâtit des édifices tout au tour… Hiram, roi de Tyr, envoya des ambassadeurs à David avec du bois de cedre, des charpentiers et des maçons pour lui faire une maison… il prit donc encore de nouvelles concubines et de nouvelles femmes, et il en eut des fils et des filles…[4]. David assembla de nouveau toute l’élite, au nombre de trente mille hommes, et alla, accompagné de tout le peuple de Juda, pour amener l’arche de Dieu sur laquelle on invoque le dieu des armées qui s’assied sur l’arche et sur les chérubins. On mit donc l’arche de Dieu sur une charrette toute neuve ; et ils prirent l’arche, qui était au bourg de Gabaa, dans la maison d’Abinadab… et les enfans d’Abinadab, nommés Hoza et Ahio, conduisirent la charrette, qui était toute neuve… mais lorsqu’on fut arrivé près de la grange de Nachon, les bœufs s’empêtrerent et firent pencher l’arche. Hoza la retint, en y portant la main. La colere de Dieu s’alluma contre Hoza, Dieu le frappa à cause de sa témérité. Hoza tomba mort sur la place devant l’arche de Dieu… alors David craignit Dieu dans ce jour, disant : comment l’arche de Dieu entrera-t-elle chez moi ? Et il la fit entrer dans la maison d’un céthéen nommé Obed-édom[5]. Après cela David battit les philistins et les humilia ; et il affranchit le peuple d’Israël… et il défit aussi les moabites ; et les ayant vaincus, il les fit coucher par terre et mesurer avec des cordes. Une mesure de cordes était pour la mort, et une autre était pour la vie. Et Moab fut asservi au tribut… David défit aussi Adadézer roi de Soba en Syrie. Il lui prit sept cents cavaliers et vingt mille hommes de pied. Il coupa les jarrets à tous les chevaux des chariots, et n’en réserva que pour cent chariots. Les syriens de Damas vinrent au secours d’Adadézer roi de Soba ; et David en tua vingt-deux mille… la Syrie entiere lui paya tribut ; il prit les armes d’or des officiers d’Adadézer, et les porta à Jérusalem…[6]. Et en revenant de Syrie il tailla en pieces dix-huit mille hommes dans la vallée des salines… et les enfants de David étaient prêtres…[7]. Cependant il arriva que David, s’étant levé de son lit après midi se promenait sur le toit de sa maison royale ; et il vit une femme qui se lavait sur son toit vis-à-vis de lui. Or cette femme était fort belle. Le roi envoya donc savoir qui était cette femme ; et on lui rapporta que c’était Bethsabé fille d’élie, femme d’Urie l’éthéen. David l’envoya prendre par ses gens ; et dès qu’elle fut venue il coucha avec elle ; après quoi, en se lavant, elle se sanctifia, se purifiant de son impureté… et après que David eut fait tuer Urie, la femme d’Urie, ayant appris que son mari était mort, le pleura… Et après qu’elle eut pleuré, David la prit, grosse de lui, dans sa maison, et l’épousa[8]. Le seigneur envoya donc Nathan vers David… et Nathan lui dit : tu as fait mourir Urie l’héthéen, et tu lui as pris sa femme ; c’est pourquoi le glaive ne sortira jamais de ta maison dans toute l’éternité, parce que tu m’as méprisé et que tu as pris pour toi la femme d’Urie héthéen ;… je prendrai donc tes femmes à tes yeux ; je les donnerai à un autre, et il marchera avec elles devant les yeux de ce soleil ; car tu as fait la chose secretement, et moi je la ferai ouvertement à la face d’Israël et à la face du soleil… et David dit à Nathan : j’ai péché contre le seigneur. Et Nathan dit à David : ainsi Dieu a transféré ton péché ; et tu ne mourras point ;…[9]. Et l’enfant qu’il avait eu de Bethsabé étant mort, il consola Bethsabé sa femme ; il entra vers elle, et engendra un fils qu’il appella Salomon, et Dieu l’aima…[10]. Or David assembla tout le peuple, et marcha contre Raba, et ayant combattu il la prit. Il ôta de la tête du roi son diadême, qui pesait un talent d’or, avec des perles précieuses ; et ce diadême fut mis sur la tête de David. Il rapporta aussi un très-grand butin de la ville… et s’étant fait amener tous les habitans, il les scia en deux avec des scies, et fit passer sur eux des chariots de fer ; il découpa des corps avec des couteaux, et les jetta dans des fours à cuire la brique[11]. Immédiatement après, Ammon, fils de David, aima sa sœur appellée Thamar, sœur aussi d’Absalon fils de David ; et il l’aima si fort, qu’il en fut malade ; car comme elle était vierge il était difficile qu’il fît rien de malhonnête avec elle… or Ammon avait un ami fort prudent, qui s’appellait Jonadab, et qui était propre neveu de David. Et Jonadab dit à Amnon : pourquoi maigris-tu, fils de roi ? Que ne m’en dis-tu la cause ? Amnon lui dit ; c’est que j’aime ma sœur Thamar, sœur de mere de mon frere Absalon[12]. Jonadab lui ayant donné conseil… et Thamar étant venue chez son frere Amnon, qui était couché dans son lit… Amnon se saisit d’elle et lui dit : viens, couche avec moi, ma sœur. Elle lui répondit : non, mon frere, ne me violente pas ; cela n’est pas permis dans Israël ; ne me fais pas de sottises ; car je ne pourrais supporter cet opprobre ; et tu passerais pour un fou dans Israël ;… demande-moi plutôt au roi en mariage, et il ne refusera pas de me donner à toi… Amnon ne voulut point se rendre à ses prieres ; étant plus fort qu’elle, il la renversa et coucha avec elle. Et ensuite il conçut pour elle une si grande haine, que sa haine était plus grande que ne l’avait été son amour. Et il lui dit : leve-toi, et va-t-en. Thamar lui dit : le mal que tu me fais à présent, est encore plus fort que le mal que tu m’as fait. Mais Amnon, ayant appellé un valet, lui dit : chasse de ma chambre cette fille, et ferme la porte sur elle…[13]. Absalon, fils de David, ne parla à son frere Amnon de cet outrage ni en bien ni en mal ; mais il le haïssait beaucoup, parce qu’il avait violé sa sœur Thamar… et il donna ordre à ses valets que, dès qu’ils verraient Amnon pris de vin dans un festin, ils l’assassinassent en gens de cœur… les valets firent à Amnon ce qu’Absalon leur avait commandé ; et aussi-tôt tous les enfans du roi s’enfuirent chacun sur sa mule[14]. Or il n’y avait point d’homme dans tout Israël plus beau qu’Absalon ; il n’avait pas le moindre défaut depuis les pieds jusqu’à la tête ; et lorsqu’il tondoit ses cheveux, qu’il ne tondoit qu’une fois l’an parce que le poids de ses cheveux l’embarrassait, le poids de ses cheveux était de deux cents sicles… Absalon demeura deux ans à Jérusalem sans voir la face du roi… ensuite il fit dire à Joab de venir le trouver, pour le prier de le remettre entiérement dans les bonnes graces du roi son pere. Mais Joab ne voulut pas venir chez Absalon… et étant mandé une seconde fois, il refusa encore de venir… Absalon dit alors à ses gens : vous savez que Joab a un champ d’orge auprès de mon champ ; allez et mettez-y le feu… et les gens d’Absalon brûlerent la moisson de Joab… Joab alla trouver Absalon dans sa maison, et lui dit : pourquoi tes valets ont-ils mis le feu à mon orge ? Absalon répondit à Joab : je t’ai fait prier de me venir voir, afin de me raccommoder avec le roi ; je t’en prie, fais-moi voir la face du roi ; et s’il se souvient encore de mon iniquité, qu’il me tue[15]. Joab alla donc parler au roi, qui appella Absalon, et Absalon s’étant prosterné, le roi le baisa… ensuite Absalon se fit faire des chariots, il assembla des cavaliers, et cinquante hommes qui marchaient devant lui… et il fit une grande conjuration ; et le peuple s’attroupa auprès d’Absalon… et, quarante ans après, Absalon dit à David : il faut que j’aille à Hébron pour accomplir un vœu que j’ai voué au seigneur dans Hébron. Et David dit à Absalon : va-t’en en paix. Et Absalon s’en alla dans Hébron ; et Absalon fit publier dans tout Israël, au son de la trompette, qu’il régnait dans Hébron. David dit à ses officiers, qui étaient avec lui à Jérusalem : allons, enfuyons-nous vite, hâtons-nous de sortir, de peur qu’on ne nous frappe dans la bouche du glaive… le roi David sortit donc avec tout son monde, en marchant avec ses pieds, laissant seulement dix de ses concubines pour garder la maison… ainsi, étant sorti avec ses pieds, suivi de tout Israël, il s’arrêta loin de sa maison ; et tous ses officiers marchaient auprès de lui ; et les troupes des théens, des céréthins, des phélétins, et six cents géthéens, très-courageux, marchaient à pied devant lui…[16]. Tout le peuple pleurait à haute voix ; et le roi passa le torrent de Cédron ; et tout le peuple s’en allait dans le désert…[17]. Après que David fut monté au haut du mont, Siba, intendant de la maison de Miphiboseth petit-fils de Saül, vint au-devant de lui avec deux ânes chargés de deux cents pains, de cent cabas de figues, de cent paquets de raisins secs, et d’une peau de bouc pleine de vin. Le roi lui dit : où est Miphiboseth le fils de votre ancien maître Jonathas ? Siba répondit au roi : Miphiboseth est resté dans Jérusalem, disant : aujourd’hui Israël me rendra le royaume de mon pere. Le roi dit à Siba : eh bien, je te donne tous les biens de Miphiboseth… or le roi David étant venu jusqu’à Bahurim, il sortit un homme de la maison de Saül nommé Séméi, qui le maudit et lui jetta des pierres et à tous ses gens, pendant que tout le peuple et tous les guerriers marchaient à côté du roi à droite et à gauche… et il maudissait le roi en lui disant : va-t’en, homme de sang, va-t’en, homme de Bélial. Cependant Absalon entra dans Jérusalem avec tout le peuple de son parti, et accompagné de son conseiller Achitophel… et Achitophel dit à Absalon : crois-moi, entre dans toutes les concubines de ton pere, qu’il a laissées pour la garde de sa maison, afin que, quand tous les israélites sauront que tu as ainsi déshonoré ton pere, ils en soient plus fortement attachés à toi. Absalon fit donc tendre un tabernacle sur le toit de la maison, et entra dans toutes les concubines de son pere devant tout Israël[18]. Or du temps de David il arriva une famine, qui dura trois ans. David consulta l’oracle du seigneur, et le seigneur dit : c’est à cause de Saül et de sa maison sanguinaire ; parce qu’il tua des gabaonites. Le roi, ayant fait appeller des gabaonites, leur rapporta l’oracle… or les gabaonites n’étaient point des israélites, ils étaient des restes des ammorrhéens, et les israélites avaient autrefois juré la paix avec eux, et Saül voulut les détruire dans son zele, comme pour servir les enfans d’Israël et de Juda… David dit donc aux gabaonites : que ferai-je pour vous ? Comment vous appaiserai-je, afin que vous bénissiez l’héritage du seigneur ?… ils lui répondirent : nous devons détruire la race de celui qui nous opprima injustement, de façon qu’il ne reste pas un seul homme de la race de Saül dans toutes les terres d’Israël[19]. Donnez-nous sept enfans de Saül, afin que nous les fassions pendre au nom du seigneur dans Gabaa ; car Saül était de Gabaa, et il fut l’élu du seigneur… et le roi David leur dit : je vous donnerai les sept enfans… et il prit les deux enfans de Saül et de Respha fille d’Aya, qui s’appellaient Armoni et Miphiboseth, et cinq fils que Michol[20], fille de Saül, avait eus de son mari Adriel… et il mit ces sept enfans entre les mains des gabaonites, qui les pendirent devant le seigneur ; et ils furent pendus tous ensemble au commencement de la moisson des orges[21]. Et la fureur du seigneur se joignit à sa fureur contre les israélites, et elle excita David contre eux, en lui disant : va, dénombre Israël et Juda… le roi dit donc à Joab chef de son armée : promene-toi dans toutes les tribus d’Israël, depuis Dan jusqu’à Bersabé ; dénombre le peuple, afin que je sache son nombre… et Joab ayant parcouru toute la terre pendant neuf mois et vingt jours, il donna au roi le dénombrement du peuple ; et l’on trouva dans les tribus d’Israël huit cents mille hommes robustes tirants l’épée, et dans Juda cinq cents mille combattants… le lendemain au matin David s’étant levé, la parole de Dieu s’adressa au prophete Gad, lequel était le devin, le voyant de David… Dieu dit à Gad : va, et parle ainsi à David : voici ce que dit le seigneur. De trois choses choisis-en une, afin que je te la fasse ; ou tu auras la famine sur la terre pendant sept ans ; ou tes ennemis te battront, et tu fuiras pendant trois mois ; ou la peste sera dans ta terre pendant trois jours : délibere, et voi ce que tu veux que je dise à Dieu qui m’a envoyé[22]. … David dit à Gad : je suis dans un grand embarras ; mais il vaut mieux tomber entre les mains de Dieu par la peste, que dans la main des hommes ; car ses miséricordes sont grandes. Aussitôt Dieu envoya la peste en Israël. Depuis le matin jusqu’au troisieme jour, et depuis Dan jusqu’à Bersabé, il mourut du peuple soixante et dix mille mâles. Et comme l’ange du seigneur étendait encore sa main sur Jérusalem pour la perdre, le seigneur eut pitié de l’affliction ; et il dit à l’ange qui frappait : c’est assez, à présent arrête la main. Or l’ange du seigneur était alors tout vis-à-vis d’Arauna le jébuséen… et David, voyant l’ange qui frappait toujours le peuple, dit au seigneur : c’est moi qui ai péché ; j’ai agi injustement ; ces gens qui sont des brebis, qu’ont-ils fait ? Je te prie, que ta main se tourne contre moi et contre la maison de mon pere[23]. Alors Gad vint à David, et lui dit : monte, et dresse un autel dans l’aire d’Arauna le jébuséen.

  1. tout rentre ici pour la premiere fois dans le train des choses ordinaires. L’intervention du ciel ne dispose plus du gouvernement ; on ne voit plus de ces aventures que les incrédules traitent de romanesques, et dans lesquelles les sages commentateurs reconnaissent la simplicité des temps antiques ; tout se fait, comme par-tout ailleurs, par les passions humaines. Le roi Isboseth est mécontent de son général Abner ; et Abner, mécontent de son roi, le trahit pour se donner à David. Joab général de David est jaloux d’Abner ; il craint d’être supplanté par lui, et il l’assassine. Deux chefs de voleurs, qui ont vendu leurs services au roi Isboseth, l’ayant massacré, croient qu’ils obtiendront une grande récompense de David son compétiteur. David, pour se dispenser de les payer, les fait assassiner eux-mêmes. Il semble qu’on lise l’histoire des successeurs d’Alexandre, qui signalerent les mêmes perfidies et les mêmes cruautés sur un plus grand théatre.
  2. il faut qu’il y ait ici quelque méprise de la part des copistes ; car il n’est pas possible que le roi Isboseth ait perdu courage, uniquement parce qu’on avait assassiné son nouvel ennemi Abner ; il perdit sans doute courage, quand son général Abner l’abandonna pour passer au service de son compétiteur David : il y a quelque chose d’oublié ou de transposé dans le texte. Plusieurs incrédules nous reprochent de recourir si fréquemment à la ressource d’imputer tant de fautes aux copistes : ils affirment qu’il était aussi aisé à l’esprit saint de conduire la plume des scribes que celle des auteurs. Nous les confondons en disant, que les scribes n’étaient pas sacrés, et que les auteurs juifs l’étaient.
  3. c’est une excellente politique ; on pourrait la comparer à celle de César qui fit mourir les assassins de Pompée, s’il était permis de comparer les petits événements d’un pays aussi chétif que la Palestine aux grandes révolutions de la république romaine. Il est vrai qu’Isbozeth est fort peu de chose devant Pompée ; mais l’histoire de Pompée et de César n’est que profane ; et l’on sait que la juive est divine.
  4. à cette époque de la prise de Jérusalem commence le véritable établissement du peuple juif, qui jusques-là n’avait jamais été qu’une horde vagabonde, vivant de rapine, courant de montagne en montagne, et de caverne en caverne, sans avoir pu s’emparer d’une seule place considérable, forte par son assiete. Jérusalem est située auprès du désert, sur le passage de tous les arabes qui vont trafiquer en Phénicie. Le terrein, à la vérité, n’est que de cailloux, et ne produit rien ; mais les trois montagnes, sur lesquelles est bâtie la ville, en fesaient une place très importante. On voit que David manquait de tout pour y bâtir des maisons convenables à une capitale, puisqu’Hiram, roi de Tyr, lui envoya du bois, des charpentiers et des maçons ; mais on ne voit pas comment David put payer Hiram, ni quel marché il fit avec lui. David était à la tête d’une nation long-temps esclave, qui devait être très pauvre. Le butin qu’il avait fait dans ses courses ne devait pas l’avoir beaucoup enrichi, puisqu’il n’est parlé d’aucune ville opulente qu’il ait pillée. Mais enfin, quoique l’histoire juive ne nous donne aucun détail de l’état où était alors la Judée, quoique nous ne sachions point comment David s’y prit pour gouverner ce pays, nous devons toujours le regarder comme le seul fondateur. Dès qu’il se vit maître de la forteresse de Jérusalem, et de quinze à vingt lieues de pays, il commença par avoir de nouvelles concubines et de nouvelles femmes, à l’imitation des plus grands rois de l’orient.
  5. l’auteur sacré, qui était sans doute un prêtre, recommence ici à parler des choses qui sont de son ministere. Il dit que le dieu des armées est assis sur l’arche et sur des chérubins. Cette arche, quoique divine, ne devait pas tenir une grande place puisqu’elle n’occupait qu’une simple charrette, laquelle devait être fort étroite, puisqu’elle passait par les défilés qui regnent de la montagne de Gabaa à la montagne de Jérusalem. On ne conçoit pas comment des prêtres ne l’accompagnaient pas, et comment on ne prit pas toutes les précautions nécessaires pour l’empêcher de tomber. On comprend encore moins pourquoi la colere de Dieu s’alluma contre le fils aîné de celui qui avait gardé l’arche si longtemps dans sa grange ; ni comment cet Hoza fut puni de mort subite, pour avoir empêché l’arche de tomber. Les incrédules révoquent en doute ce fait, qu’ils prétendent être injurieux à la bonté divine. Il leur paraît que s’il y avait quelqu’un de coupable, c’étaient les lévites qui abandonnaient l’arche, et non pas celui qui la soutenait. Le Lord Bolingbroke conclut, qu’il est évident que tout cela fut écrit par un prêtre, qui ne voulait pas que d’autres que des prêtres pussent jamais toucher à l’arche. On la mit pourtant dans la grange d’un laïque nommé Obed édom ; et encore ce laïque pouvait être un philistin. Ces commencemens grossiers du regne de David prouvent que le peuple juif était encore aussi grossier que pauvre, et qu’il ne possédait pas encore une maison assez supportable pour y déposer l’objet de son culte avec quelque décence. Nous convenons que ces commencemens sont très grossiers. Nous avons remarqué que ceux de tous les peuples ont été les mêmes ; et que Romulus et Thésée ne commencerent pas plus magnifiquement. Ce serait une chose très curieuse de bien voir par quels degrés les juifs parvinrent à former comme les autres peuples, des villes, des citadelles, et à s’enrichir par le commerce et par le courage. Les historiens ont toujours négligé ces ressorts du gouvernement, parce qu’ils ne les ont jamais connus ; ils s’en sont tenus à quelques actions des chefs de la nation, et ont noyé ces actions, toujours ridiculement exagérées, dans des fratras de prodiges incroyables : c’est ce que dit positivement le Lord Bolingbroke. Nous soumettons ces idées à ceux qui sont plus éclairés que lui et que nous.
  6. on est bien étonné que David, après la conquête de Jérusalem, ait payé encore tribut aux philistins, et qu’il ait fallu de nouvelles victoires pour affranchir les juifs de ce tribut. Cela prouve que le peuple hébreu était encore un très petit peuple. La maniere dont David traite les moabites, ressemble à la fable qu’on a débitée sur Busiris, qui fesait mesurer ses captifs à la longueur de son lit. On leur coupait les membres qui débordaient, et on allongeait par des tortures les membres qui n’étaient pas assez longs. L’horrible cruauté de David fait de la peine à Don Calmet : cette exécution, dit-il, fait frémir ; mais les loix de la guerre de ces temps-là permettaient de tuer les captifs . Nous osons dire à Don Calmet, qu’il n’y avait point de loix de la guerre, que les juifs en avaient moins qu’aucun peuple ; et que chacun suivait ce que sa cruauté ou son intérêt lui dictait. On ne voit pas même que jamais les peuples ennemis des juifs les aient traités avec une barbarie qui approche de la barbarie juive : car lorsque les amalécites prirent la bourgade Sigelec, où David avait laissé ses femmes et ses enfants, il est dit, qu’ils ne tuerent personne ; ils ne mesurerent point les captifs avec des cordes, et ne firent point périr dans les supplices ceux dont les corps ne s’ajustaient pas avec cette mesure. Plusieurs savants nient formellement ces victoires de David en Syrie et jusqu’à l’Euphrate. Ils disent qu’il n’en est fait aucune mention dans les histoires ; que si David avait étendu sa domination jusqu’à l’Euphrate, il eût été un des plus grands souverains de la terre. Ils regardent comme une exagération insoutenable ces prétendues conquêtes du chef d’une petite nation, maîtresse d’une seule ville, qui n’était pas même encore bâtie. Comme nous n’avons que des juifs qui aient écrit l’histoire juive, et que les historiens orientaux, qui auraient pu nous instruire, sont perdus, nous ne pouvons décider sur cette question. Il n’est pas improbable que David ait fait quelques courses jusqu’auprès de Damas.
  7. des commentateurs, que Calmet a suivis, prétendent que prêtres signifie princes
    il
    est plus probable que David voulut joindre dans sa maison le sacerdoce avec l’empire ; rien n’est plus politique. Au reste ces mots, ils étaient prêtres ; n’ont aucun rapport avec ce qui précede et ce qui suit : c’est une marque assez commune de l’inspiration.
  8. l’avanture de Bethsabé est assez connue, et n’a pas besoin de long commentaire. Nous remarquerons que la maison d’Urie devait être très voisine de la maison de David ; puisqu’il voyait de son toit Bethsabée se baignant sur le sien. La maison royale était donc fort peu de chose, n’étant pas séparée des autres par des murailles élevées, par des tours et des fossés, selon l’usage. Il est remarquable que l’écrivain sacré se sert du mot sanctifier , pour exprimer que Bethsabé se lava après le coït. On était légalement impur chez les juifs, quand on était mal-propre. C’était un grand acte de religion de se laver ; la négligence et la saleté étaient si particulieres à ce peuple, que la loi l’obligeait à se laver souvent ; et cela s’appellait se sanctifier . Le mariage de Bethsabé, grosse de David, est déclaré nul par plusieurs rabins, et par plusieurs commentateurs. Parmi nous une femme adultère ne peut épouser son amant, assassin de son mari, sans une dispense du pape : c’est ce qui a été décidé par le pape Célestin Trois. Nous ignorons si le pape peut en effet avoir un tel pouvoir ; mais il est certain que chez aucune nation policée il n’est permis d’épouser la veuve de celui qu’on a assassiné. Il y a une autre difficulté : si le mariage de David et de Bethsabé est nul, on ne peut donc dire que Jesus-Christ est descendant légitime de David, comme il est dit dans sa généalogie. Si on décide qu’il en descend légalement, on foule aux pieds la loi de toutes les nations : si le mariage de David et de Bethsabé n’est qu’un nouveau crime, Dieu est donc né de la source la plus impure. Pour échapper à ce triste dilemme, on a recours au repentir de David, qui a tout réparé. Mais en se repentant il a gardé la veuve d’Urie ; donc, malgré son repentir, il a encore agravé son crime : c’est une difficulté nouvelle. La volonté du seigneur suffit pour calmer tous ces doutes, qui s’élevent dans les ames timorées. Tout ce que nous savons, c’est que nous ne devons être ni adulteres, ni homicides, ni épouser les veuves des maris que nous aurions assassinés.
  9. on demande si le prophete Nathan, en parlant au prophete David de ses femmes et de ses concubines, avec lesquelles Absalon son fils coucha sur la terrasse du palais, lui parlait avant ou après cette avanture. Il nous semble que le discours de Nathan précede de quelques années l’affront que fit Absalon à son pere David, en couchant avec toutes ses femmes l’une après l’autre sur la terrasse du palais.
  10. les critiques prétendent que le seigneur ne fut point fâché que David eût épousé la veuve d’Urie, puisqu’il aima tant Salomon, né de David et de cette veuve. Nathan a prévenu cette critique, en disant que Dieu a transféré le péché de David. Ce fut le premier-né sur lequel le péché fut transporté ; cet enfant mourut, et Dieu pardonna à son pere ; mais la menace, de faire coucher toutes ses femmes et toutes ses filles avec un autre sur la terrasse de sa maison, subsista entiérement.
  11. on prétend qu’un talent d’or pesait environ quatre-vingt-dix de nos livres de seize onces ; il n’est gueres possible qu’un homme ait porté un tel diadême ; il aurait accablé Poliphême et Goliath. C’est-là où Calmet pouvait dire encore, que l’auteur sacré se permet quelques exagérations. Le diadême, d’ailleurs, n’était qu’un petit bandeau. Il est à souhaiter que les inconcevables barbaries exercées sur les citoyens de Raba, soient aussi une exagération. Il n’y a point d’exemple, dans l’histoire, d’une cruauté si énorme et si réfléchie. M Huet ne manque pas de la peindre avec les couleurs qu’elle semble mériter. Calmet dit ; qu’il est à présumer que David ne suivit que les loix communes de la guerre ; que l’écriture ne reproche rien sur cela à David, et qu’elle lui rend même le témoignage exprès, que, hors le fait d’Urie, sa conduite a été irréprochable . Cette excuse serait bonne dans l’histoire des tigres et des pantheres. quel homme, s’écrie M Huet, s’il n’a pas le cœur d’un vrai juif, pourra trouver des expressions convenables à une pareille horreur ? est-ce là l’homme selon le cœur de Dieu ? bella, horrida bella ! nous croirions outrager la nature si nous prétendions que Dieu agréa cette action affreuse de David ; nous aimons mieux douter qu’elle ait été commise.
  12. M Huet s’exprime bien violemment sur cet inceste d’Amnon, et sur tous les crimes qui en résulterent. on ne sort, dit-il, d’une horreur, que pour en rencontrer une autre dans cette famille de David . L’histoire profane rapporte des incestes qui ont quelque ressemblance avec celui d’Amnon ; et il n’est pas à présumer que les uns aient été copiés des autres ; car, après tout, de pareilles impudicités n’ont été que trop communes chez toutes les nations. Mais, ce qu’il y a ici d’étrange, c’est qu’Amnon confie sa passion criminelle à son cousin germain Jonadab. Il fallait que la famille de David fût bien dissolue, pour qu’un de ses fils, qui pouvait avoir tant de concubines à son service, voulût absolument jouir de sa propre sœur, et que son cousin germain lui en facilitât les moyens.
  13. ce qu’il y a de plus étrange encore, c’est que Thamar dit à son frere, demande-moi en mariage, etc. . Le lévitique défend expressément, au chap 18, de révéler la turpitude de sa sœur. Mais quelques juifs prétendent qu’il était permis d’épouser la sœur de pere, et non pas de mere. C’était tout le contraire chez les athéniens et chez les égyptiens : ils ne pouvaient épouser que leur sœur de mere ; il en fut de-même, dit-on, chez les perses. Il fallait bien que les hébreux fussent dans l’usage d’épouser leurs sœurs ; puisqu’Abraham dit à deux rois, qu’il avait épousé la sienne. Il se peut que plusieurs juifs aient fait depuis comme le pere des croyants disait qu’il avait fait. Le chap 18 du lévitique, après tout, ne défend que de révéler la turpitude de sa sœur ; mais quand il y a mariage, il n’y a plus turpitude. Le lévitique pouvait très bien avoir été absolument inconnu des juifs pendant leurs sept servitudes ; et ce peuple, qui n’avait pas de quoi aiguiser ses serpettes, et qui n’avait eu si longtemps ni feu ni lieu, pouvait fort bien n’avoir point de libraire ; puisqu’on ne trouva que longtemps après le pentateuque sous le melk Josias.
  14. c’est une grande impureté de coucher avec sa sœur ; c’est une extrême brutalité de la renvoyer ensuite avec outrage : mais c’est sans doute un crime encore beaucoup plus grand d’assassiner son frere dans un festin. Il est triste de ne voir que des forfaits dans toute l’histoire de Saül et de David. Tous les freres d’Absalon, témoins de ce fratricide, sortent de table et montent sur leurs mules, comme s’ils craignaient d’être assassinés ainsi que leur frere Amnon : c’est la premiere fois qu’il est parlé de mulets dans l’histoire juive. Tous les princes d’Israël, avant ce temps, sont montés sur des ânes. Le pere Calmet dit, que les mulets de Syrie ne sont pas produits de l’accouplement d’un âne et d’une jument ; et qu’ils sont engendrés d’un mulet et d’une mule . Il cite Aristote ; mais il vaudrait mieux sur cette affaire consulter un bon muletier . Nous avons vu plusieurs voyageurs, qui assûrent qu’Aristote s’est trompé et qu’il a trompé Calmet. Il n’y a point de naturaliste, aujourd’hui, qui croie aux prétendues races de mulets. Un bourriquet fait un beau mulet à une cavale ; la nature s’arrête là ; et le mulet n’a pas le pouvoir d’engendrer. Pourquoi donc la nature lui a-t-elle donné l’instrument de la génération ? On dit qu’elle ne fait rien en vain ; cependant l’instrument d’un mulet devient la chose du monde la plus vaine : il en est des parties du mulet comme des mamelles des hommes ; ces mamelles sont très inutiles, et ne servent qu’à figurer.
  15. M Huet dit, que cette conduite d’Absalon avec Joab est moins horrible que tout le reste ; mais qu’elle est excessivement ridicule ; que jamais on ne s’est avisé de brûler les orges d’un général d’armée, d’un secrétaire d’état, pour avoir une conversation avec lui ; que ce n’est pas là le moyen d’avoir des audiences. Il va jusqu’à la raillerie : il dit que le capitaine Joab ne fit pas ses orges avec Absalon. Cette plaisanterie est froide ; il ne faut point tourner la sainte écriture en raillerie.
  16. le Lord Bolingbroke raconte que le général Widers, qui s’était tant signalé à la fameuse bataille de Blenheim, entendant un jour son chapelain lire cet endroit de la bible, lui arracha le livre et lui dit : par D chapelain, voila un grand poltron et un grand misérable que ton David, de s’en aller pieds nuds avec son beau régiment de géthéens ; par D. J’aurais fait volte face, jarni D j’aurais couru à ce coquin d’Absalon. Mord… je l’aurais fait pendre au premier poirier. Le discours et les juremens de ce Widers sont d’un soldat ; mais il avait raison dans le fonds ; quoique ses paroles soient fort irrévérentieuses.
  17. si l’auteur sacré n’avait été qu’un écrivain ordinaire, il aurait détaillé la rebellion d’Absalon, il aurait dit quelles étaient les forces de ce prince ; il nous aurait appris pourquoi David, ce grand guerrier, s’enfuit de Jérusalem avant que son fils y fût arrivé. Jérusalem était-elle fortifiée ? Ne l’était-elle pas ? Comment tout le peuple, qui suit David, ne fait-il pas résistance ? Est-il possible qu’un homme aussi impitoyable que David, qui vient de scier en deux, d’écraser sous des herses, de brûler dans des fours, ses ennemis vaincus, s’enfuie de sa capitale en pleurant comme un sot enfant, sans faire la moindre tentative pour réprimer un fils criminel ? Comment, étant accompagné de tant d’hommes d’armes, et de tous les habitants de Jérusalem, ce sémei lui jeta-t-il des pierres impunément tout le long du chemin. C’est sur de telles incompatibilités que les Tilladet, les Le Clerc, les Astruc, ont pensé que nous n’avons que des extraits informes des livres juifs. Les auteurs de ces extraits écrivaient pour des juifs, qui étaient au fait des affaires ; ils ne savaient pas que leurs livres seraient lus un jour par des bretons et par des gaulois. à l’égard de ce pauvre Miphibozeth, fils de Jonathas, fils de Saül, comment ce boiteux espérait-il de régner ? Comment David, qui n’a plus rien, qui ne peut plus disposer de rien, donne-t-il tout le bien du prince Miphibozeth à son domestique Siba ? Fréret dit, que si ce prince Miphibozeth avait un intendant (ce qui est difficile à croire) cet intendant se serait emparé du bien de son maître sans attendre la permission du roi David.
  18. les critiques disent que ce n’est pas un moyen bien sûr de s’attacher tout un peuple, que de commettre en public une chose si indécente. Les incrédules refusent de croire qu’Absalon, tout jeune qu’il était, ait pu consommer l’acte avec dix femmes devant tout le peuple ; mais le texte ne dit pas qu’Absalon ait commis ces dix incestes tout de suite : il est naturel qu’il ait mis quelque intervalle à sa lubricité. Les mauvais plaisants sont inépuisables en railleries sur ces prouesses du bel Absalon ; ils disent que depuis Hercule on ne vit jamais un plus beau fait d’armes. Nous ne répéterons pas leurs sarcasmes et leurs prétendus bons mots, qui allarmeraient la pudeur autant que les dix incestes consécutifs d’Absalon. Les sages se contentent de gémir sur les barbaries de David, sur son adultere avec Bethsabé, sur son mariage infame avec elle, sur la lâcheté qu’il montre en fuyant pieds-nuds quand il peut combattre, sur l’inceste de son fils Amnon, sur les dix incestes de son fils Absalon, sur tant d’atrocités et de turpitudes, sur toutes les horribles abominations des regnes du melk Saül et du melk David.
  19. ce passage a fort embarrassé tous les commentateurs. Il n’est dit en aucun endroit de la sainte écriture que Saül eût fait le moindre tort aux gabaonites ; au contraire, il était lui-même un des habitants de Gabaa ; et il est naturel qu’il ait favorisé ses compatriotes, quoiqu’ils ne fussent pas juifs. Quant à la famine qui désola trois ans le pays du temps du melk David, rien ne fut si commun dans ce pays qu’une famine. Les livres saints parlent très souvent de famine ; et quand Abraham vint en Palestine, il y trouva la famine. On ne sort point de surprise lorsque Dieu lui-même dit à David, que cette famine n’est envoyée qu’à cause de Saül, qui était mort si longtemps auparavant, et parce que Saül avait eu de mauvaises intentions contre un peuple qui n’était pas le peuple de Dieu.
  20. M. A.-A. Renouard pense que c’est par erreur que, dans l’hébreu comme dans la Vulgate, on lit ici Michol au lieu de Mérob
  21. le Lord Bolingbroke, Messieurs Fréret et Huet, s’élevent contre cette action avec une force qui fait trembler : ils décident que de tous les crimes de David celui-ci est le plus exécrable. David, dit M Huet, cherche un infame prétexte pour détruire par un supplice infame toute la race de son roi et de son beau-pere ; il fait pendre jusqu’aux enfants que sa propre femme Michol eut d’un autre mari, lorsqu’il la répudia ; il les livre, pour être pendus, entre les mains d’un petit peuple, qui ne devait nullement être à craindre ; puisqu’alors David est supposé être vainqueur de tous ses ennemis. Il y a dans cette action non seulement une barbarie qui ferait horreur aux sauvages, mais une lâcheté dont le plus vil de tous les hommes ne serait pas capable. à cette lâcheté, et à cette fureur, David joint encore le parjure ; car il avait juré à Saül de ne jamais ôter la vie à aucun de ses enfants. Si, pour excuser ce parjure, on dit qu’il ne les pendit pas lui-même ; mais qu’il les donna aux gabaonites pour les pendre, cette excuse est aussi lâche que la conduite de David-même, et ajoute encore un degré de scélératesse. De quelque côté qu’on se tourne, on ne trouve dans toute cette histoire que l’assemblage de tous les crimes, de toutes les perfidies, de toutes les infamies, au milieu de toutes les contradictions. Ces reproches sanglants font dresser les cheveux à la tête. Le r p Don Calmet repousse ces invectives en disant, que David avait ordre de la part de Dieu, qu’il avait consulté, et que David ne fut ici que l’exécuteur de la volonté de Dieu ; et il cite Estius, Grotius, et les antiquités de Flavien Joseph.
  22. il y a beaucoup de choses importantes à remarquer dans cet article. D’abord, le texte de la vulgate dit expressément, que la fureur de Dieu redoublée inspira David, et le porta, par un ordre positif, à faire ce dénombrement, que Dieu punit ensuite par le fleau le plus destructif. C’est ce qui fournit un prétexte à tant d’incrédules de dire ; que Dieu est souvent représenté chez les juifs comme ennemi du genre humain, et occupé de faire tomber les hommes dans le piege. Secondement, le seigneur a lui-même ordonné trois dénombrements dans le pentateuque. Troisiémement, rien n’est plus utile et plus sage, comme rien n’est plus difficile, que de faire le dénombrement exact d’une nation ; et non seulement cette opération de David est très prudente, mais elle est sainte, puisqu’elle lui est ordonnée par la bouche de Dieu même. Quatriémement, tous les incrédules crient à l’exagération, à l’imposture, au ridicule, d’admettre à David treize cents mille soldats dans un si petit pays ; ce qui ferait, en comptant seulement pour soldats le cinquieme du peuple, six millions cinq cents mille ames ; sans compter les cananéens et les philistins, qui venaient tout récemment de livrer quatre batailles à David, et qui étaient répandus par toute la Palestine. Cinquiémement, le livre des paralipomenes, qui contredit très souvent le livre des rois, compte quinze cents soixante et dix mille soldats : ce qui monterait à un nombre bien plus prodigieux encore et plus incroyable. Les commentateurs succombent sous le poids de ces difficultés ; et nous aussi. Nous ne pouvons que prier l’esprit saint, qu’il daigne nous éclairer. sixiémement, les critiques mal intentionnés, comme Mêlier, Boulanger et autres, pensent qu’il y a une affectation puérile, ridicule, indigne de la majesté de Dieu, d’envoyer le prophete Gad au prophete David, pour lui donner à choisir l’un des trois fléaux pendant sept ans, ou pendant trois mois, ou pendant trois jours. Ils trouvent dans cette cruauté une dérision, et je ne sais quel caractere de conte oriental, qui ne devrait pas être dans un livre où l’on fait agir et parler Dieu à chaque page.
  23. Une peste qui extermine en trois jours soixante et dix mille mâles, viros, doit avoir tué aussi soixante et dix mille femelles. Il leur paraît affreux que Dieu tue cent quarante mille personnes de son peuple chéri, auquel il se communique tous les jours, avec lequel il vit familiérement ; et cela, parce que David a obéi à l’ordre de Dieu même, et a fait la chose du monde la plus sage. Ils trouvent encore mauvais que l’arche du seigneur soit dans la grange d’un étranger. David, selon eux, devait au moins la loger dans sa maison. Enfin M Fréret pense, que l’auteur sacré imite visiblement Homere, quand le seigneur arrête la main de l’ange exterminateur. Selon lui, il est très probable que l’auteur, qu’il croit être Esdras, avait entendu parler d’Homere. En effet, Homere, dans son premier chant de l’iliade, peint Apollon descendant des sommets de l’olympe, armé de son carquois, et lançant ses fléches sur les grecs, contre lesquels il était irrité. Nous ne sommes pas de l’avis de M Fréret. Nous pensons qu’Esdras lui-même ne connut jamais les grecs, et que jusqu’au temps d’Alexandre il n’y eut jamais le moindre commerce entre la Grece et la Palestine. Ce n’est pas que quelque juif ne pût, dès le siecle d’Esdras, aller exercer le courtage dans Corinthe et dans Athenes ; mais les gens de cette espece ne composaient pas l’histoire des israélites. Pour les autres objections, il faut avouer que Calmet y répond trop faiblement. Nous ne croyons pas que le choix des trois fléaux soit puérile ; au contraire, cette rigueur nous semble terrible. Mais qui peut juger les jugemens de Dieu !