La Californie et l’émigration européenne

La bibliothèque libre.
La Californie et l’émigration européenne
Revue des Deux Mondes, Nouvelle périodetome 15 (p. 989-1016).

LA CALIFORNIE


ET


L'EMIGRATION EUROPEENNE.




La Californie, depuis la découverte de ses gisemens aurifères, n’a pas cessé d’attirer l’attention de l’Europe et du Nouveau-Monde. Le travail des chercheurs d’or a été tour à tour étudié dans ses procédés et dans ses résultats ; les mœurs des populations qui se dirigent vers les placers de tous les points du globe ont été retracées dans la bizarrerie et dans la saisissante diversité de leurs aspects ; les conditions matérielles de la vie des émigrans ont été aussi l’objet de recherches minutieuses. Ce ne sont là cependant que les traits mobiles et fugitifs d’un tableau qu’il conviendrait peut-être aujourd’hui d’embrasser dans son ensemble, d’observer surtout dans ses lignes durables. Qu’est-ce que ce pays vers lequel se portent aujourd’hui tant d’inquiets et aventureux pionniers ? A côté des richesses métalliques récemment découvertes, d’autres élémens de prospérité lui sont-ils assurés ? Au milieu des contrastes qu’y multiplie le contact des races et des sociétés les plus diverses, quels sont les traits caractéristiques, quelle est l’histoire de sa population sédentaire ? Quels sont enfin les intérêts nouveaux que la découverte de l’Eldorado californien a créés à l’Europe et à la France ? L’étude de ces questions a tenu trop peu de place jusqu’à ce jour dans les appréciations ou les récits dont le pays des placers a été l’objet. En nous aidant des souvenirs d’un récent séjour en Californie, nous voudrions montrer combien il importe de ne négliger aucun de ces points essentiels du sujet, si l’on veut se faire une idée exacte de l’avenir du nouvel état américain.


I. - LE TERRITOIRE ET LES HABITANS.

Le territoire californien se divise en deux régions très distinctes : la Haute ou Nouvelle-Californie, devenue un état de l’Union américaine ; — la Vieille ou Basse-Californie, soumise encore aujourd’hui à la domination du Mexique. Rien n’appelle notre attention sur la péninsule aride qui forme ce qu’on pourrait appeler la Californie mexicaine. La pêche des perles est la principale industrie des habitans de cette province. C’est la Haute-Californie qui est surtout le théâtre de l’exploitation des placers ; c’est d’elle que nous avons particulièrement à nous occuper.

Le pays désigné géographiquement sous le nom de Haute-Californie (Alta-Califonia) est situé, de l’ouest à l’est, entre l’Océan Pacifique et les Montagnes Rocheuses, sur une largeur de près de 1,200 kilomètres. Du nord au sud, depuis le 42e degré de latitude nord, un peu au-dessus du cap Mendocino, il s’étend, sur une longueur de 1,400 kilomètres, jusqu’à la rivière Gila, qui a son embouchure dans le golfe de Californie à la latitude de 32 degrés nord. La superficie totale de la Haute-Californie peut ainsi être évaluée approximativement à 16,000 myriamètres carrés.

La chaîne de montagnes de la Sierra-Nevada, séparée de l’Océan Pacifique par une distance de 250 kilomètres, traverse ce pays dans toute son étendue, parallèlement au littoral. Au-delà de cette chaîne, dans la direction de l’ouest à l’est, s’étend jusqu’aux Montagnes Rocheuses une contrée encore à peine explorée par les Européens, laquelle forme un bassin d’une superficie de 6,000 myriamètres. Le terrain est recouvert çà et là de belles prairies, de forêts de pins, de lacs très poissonneux, et parsemé, sur la lisière de ce bassin, de nombreux cours d’eaux, près desquels vit, aujourd’hui comme depuis des siècles, une population indienne. Au centre, cette région présente au contraire une très grande aridité ; on n’y rencontre que des collines entièrement nues et des plaines dépourvues de toute végétation.

De l’autre côté des montagnes de la Sierra-Nevada jusqu’à l’Océan Pacifique, sur une largeur de 250 kilomètres, est la seule partie de la Haute-Californie qui ait été fréquentée jusqu’à ce jour par des flots de population venus de presque tous les points du globe. De ce côté, le climat, le sol avec ses collines et d’immenses plaines richement parées par la nature, les précieux métaux qui y sont enfouis avec profusion, font reconnaître un pays des plus favorisés. À l’extrémité nord de la Haute-Californie prend sa source, dans les montagnes de la Sierra-Nevada, le beau fleuve Sacramento, qui fertilise une spacieuse vallée sur une longueur de plus de 500 kilomètres, en la parcourant dans la direction du nord au sud. Ce fleuve vient se joindre dans la baie de Suisan, près de San-Francisco, avec le Saint-Joachim, dont le cours a la même étendue que le Sacramento dans une direction diamétralement opposée. Un autre fleuve d’un développement plus considérable que les deux précédens, appelé le Colorado, qui a son embouchure dans le golfe de Californie, traverse les régions arides et peu fréquentées du même pays. En remontant près de sa source, on rencontre deux rivières connues sous les noms de Green-River et de Grand-River, qui prennent naissance dans les Montagnes Rocheuses. Ces cours d’eau sont assez étendus et forment les principaux tributaires du Colorado. La rivière Gila est la plus grande branche de ce fleuve, qu’elle atteint presque à son embouchure, dans le golfe de Californie.

La vallée du Saint-Joachim est tout aussi belle et fertile que celle du Sacramento. « Cette noble vallée, dit un Américain qui a exploré le Saint-Joachim depuis sa source jusqu’à son embouchure, est certainement la plus importante parmi celles de la Californie et l’une des plus magnifiques du monde. » Elle a une étendue d’environ 800 kilomètres sur une largeur moyenne de 80. Le Saint-Joachim a son lit au milieu de la vallée ; il la traverse pendant la moitié de son parcours et oblique ensuite vers les montagnes de la Sierra-Nevada, dans lesquelles il prend sa source. Les principaux tributaires du Saint-Joachim, au nombre de six, ceux que fréquentent aujourd’hui les mineurs, sont : le Mokelumme. le Calaveros, le Stanislas, le Tawlome, le Mercedé et le Mariposa. On les rencontre successivement, dans l’ordre que je viens d’indiquer, en remontant le fleuve. L’ensemble des vallées qu’ils traversent, et où de vastes forêts alternent avec des terres labourables, forme une région des plus propres à attirer des émigrans industrieux, actifs et intelligens.

Le Sacramento a aussi de nombreux affluens. En remontant ce fleuve, qui se dirige du nord au sud, on rencontre d’abord à l’est la Rivière Américaine (American River), à laquelle se réunissent divers petits cours d’eau. Vient ensuite la Rivière des Plumes (Feather River), qui, elle aussi, a plusieurs affluens, parmi lesquels est la rivière Yuba (Yuba River). Plus au nord, à droite et à gauche du Sacramento, de nombreux cours d’eau, encore peu explorés, viennent se jeter dans ce fleuve, après avoir arrosé, dans la direction de l’ouest à l’est, l’immense vallée qui porte son nom.

La région baignée par ces rivières pourrait, sous l’influence de son climat tempéré, devenir une des plus fertiles du monde. Le Sacramento est entouré sur ses deux rives de terres parfaitement adaptées à la culture des grains de toute espèce, du riz, de la canne à sucre et de l’indigo. L’agriculture y trouverait d’ailleurs de puissans auxiliaires autant dans les nombreux tributaires du fleuve que dans les forêts de chênes, de pins et de cèdres, qui ombragent les collines et la partie inférieure des montagnes de la Sierra-Nevada. Une terre argileuse qui, en certains endroits, recouvre abondamment la plaine, et peut servir à la fabrication des briques, est appelée à prendre place parmi les ressources naturelles que présente ce vaste territoire.

Dans sa partie la plus fréquentée, la Haute-Californie offre, on le voit, à l’exploitation agricole ou métallurgique une superficie considérable qui peut être évaluée à 3,000 myriamètres. Il ne faudrait point voir toutefois dans cette évaluation un nombre correspondant d’hectares propres à être livrés à la culture ; la région aurifère, qui occupe à elle seule près de 800 myriamètres carrés, est d’une aridité complète, et des étendues considérables de terrains rocailleux ou recouverts d’épaisses couches de sable que l’on rencontre en dehors de cette région réduisent dans une forte proportion la partie du sol favorable aux travaux d’agriculture. D’un autre côté, le climat, d’ailleurs très tempéré, occasionne quelquefois, faute de pluies assez abondantes, une sécheresse qui détruit entièrement la récolte et fait succéder une année de disette à une année très productive.

Ce pays n’est point soumis, comme ceux qui sont situés sous des latitudes plus élevées, à de fréquentes alternatives de pluie et de temps sec. À la saison des pluies, dont la durée est permanente en Californie depuis le mois de novembre jusqu’au mois d’avril, succède une sécheresse absolue qui règne tout le reste de l’année. La plupart des rivières qui étaient navigables laissent leur lit à découvert et ne présentent plus qu’un volume d’eau insuffisant à l’irrigation des vallées qu’elles traversent. Sur certains points, il serait possible de suppléer à cette insuffisance par un bon système d’irrigation ou par l’établissement de puits artésiens ; mais ces améliorations seront seulement possibles lorsque le prix de la main-d’œuvre en Californie ne sera plus fixé au taux exorbitant auquel le maintiendra quelque temps encore le produit de la journée des chercheurs d’or.

La partie du territoire californien qui a été le plus cultivée jusqu’à ce jour comprend un espace assez étroit situé entre les collines qui, sous le nom de Low-Range (basse chaîne), s’étendent le long de la côte. La vallée du Sacramento offre à l’agriculture de bien plus grandes ressources que cette partie plus anciennement cultivée ; mais ce n’est que depuis deux années que la charrue a commencé à en sillonner les plaines. Les missionnaires qui vinrent habiter la Haute-Californie ne pénétrèrent point jusque-là, pour y établir les nombreuses missions qui acquirent par la suite une certaine célébrité. Celles-ci furent réparties sur cet espace étroit du territoire qui avoisine la mer, et qui forme encore aujourd’hui le district le moins improductif de toute la contrée.

Les vallées baignées par le Sacramento, le Saint-Joachim, — la région comprise entre les Low-Range et la mer, — la région moins connue qu’arrose le Colorado, — telles sont les trois zones qu’on peut distinguer dans la Haute-Californie. Les deux premières de ces zones sont seules fréquentées. Deux civilisations, la civilisation indienne, si les mœurs des tribus indigènes méritent encore ce nom, puis la civilisation espagnole, — se sont succédé avec des fortunes diverses dans ces territoires, où maintenant un nouveau centre politique tend à se former. L’histoire des sociétés qui se sont partagé la Californie jusqu’à l’arrivée des Américains est bonne à consulter pour ceux mêmes qui aujourd’hui ont remplacé les premiers possesseurs du sol.

La Haute-Californie a été, à l’origine, habitée presque exclusivement par des Indiens de l’Amérique disséminés par tribus dans les bois et les vallées. Ces peuplades préféraient généralement à tous autres lieux le voisinage des rivières et des ruisseaux. Chaque tribu avait son chef qu’elle choisissait parmi les plus habiles chasseurs ou parmi ceux qui portaient sur le corps le signe de la bravoure, ou bien des traces d’une lutte désespérée avec d’autres Indiens d’une tribu ennemie. Cette vie indépendante plaisait aux sauvages peuplades dispersées dans la Haute-Californie ; car, après avoir été, — quelques-unes d’entr’elles au moins, — converties au christianisme par de courageux missionnaires qui les assistèrent pendant une assez longue période, elles saisirent les premières occasions qui se présentèrent de retourner à leur ancien état. Ces Indiens reconnaissaient l’existence de l’Être suprême, qu’ils adoraient sous la forme d’un animal grossièrement sculpté en bois et qu’ils appelaient Chinigchinich. Cette image avait de nombreux temples d’une construction essentiellement primitive, établis dans les forêts ou dans des cavités ménagées entre les rochers.

La surveillance des chefs assurait à chaque tribu son approvisionnement. Les chefs partageaient les fatigues et les dangers communs. Quant aux femmes, elles étaient, comme chez tous les peuples sauvages, traitées en esclaves ; elles accomplissaient les travaux les plus pénibles, goûtaient rarement les douceurs du repos, se voyaient condamnées à subir les plus rigoureuses punitions et souvent la mort pour une légère offense. Les moins âgés et les plus belliqueux parmi les hommes fabriquaient des arcs et des flèches qui leur servaient à chasser l’antilope, le cerf, le chevreuil et une espèce de gros rat, dont la chair fournissait une substantielle nourriture et dont les peaux étaient utilisées pour la confection des vêtemens ; d’autres avaient pour tâche d’amasser des glands. Les vieillards et les enfans consacraient leur temps à la pêche, à la fabrication de paniers et d’ustensiles domestiques, ou transportaient de légers fardeaux. Chaque année, il fallait s’occuper de l’approvisionnement de la tribu. Les femmes étaient alors forcées de parcourir d’immenses savanes pour y récolter les graines de plusieurs plantes qu’elles rapportaient dans de vastes paniers ; elles étaient aussi occupées à la recherche de certaines herbes et à la récolte des fruits qui viennent naturellement dans ces régions. Les travaux de l’approvisionnement achevés, la tribu regagnait son village, composé d’un amas de huttes coniques légèrement construites avec des bâtons et des branches d’arbre recouvertes d’herbes. Jusqu’à épuisement complet des provisions, les Indiens restaient dans une inaction dont ils ne sortaient que pour se livrer avec frénésie aux plaisirs du chant et de la danse. Les étranges cérémonies de leur croyance et les fréquens combats qu’ils se livraient de tribu à tribu se partageaient avec ces divertissemens leurs heures de loisir.

On retrouve ces mœurs dans toute leur rudesse primitive du côté oriental des montagnes de la Sierra-Nevada ; c’est de là que viennent assez souvent, dans la partie la plus fréquentée de la Haute-Californie, des bandes d’Indiens animés d’intentions hostiles envers la nouvelle population. Des attaques sérieuses de leur part ont même nécessité l’intervention réitérée du gouverneur de la Californie. Aux débuts de l’exploitation des terrains aurifères, plusieurs émigrans ont eu à se défendre contre ces bandes sauvages, qui ont fait souvent de nombreuses victimes, autant par leur habileté à lancer des flèches que par leur système d’attaques soudaines et imprévues. Ce danger pour l’émigrant diminue chaque jour, au fur et à mesure des vigoureuses résistances et des pertes qu’éprouvent les Indiens, lorsqu’ils viennent disputer le sol à la nouvelle population. L’accroissement de celle-ci ne tardera pas à le faire disparaître entièrement. Quant aux Indiens qui vivent entre la Sierra-Nevada et la mer, sans être plus civilisés que ceux dont je viens de parler, ils sont généralement inoffensifs. Entourés d’Américains et d’Européens, ils n’ont jusqu’à présent puisé dans leur commerce avec les émigrans qu’une triste propension à l’ivrognerie.

Au mois de décembre 1850, j’étais allé faire une excursion sur les placers de la Yuba avec deux fort aimables compagnons de voyage, tous deux anciens officiers de l’armée française ; chemin faisant, nous rencontrâmes de ces Indiens isolés ou réunis par tribus qui paraissaient tous d’une excessive timidité ; les plus jeunes se cachaient derrière les arbres à notre approche ; les autres pouvaient à peine supporter nos regards, malgré notre ardent désir de ne pas les intimider. Je pensai d’abord que la vue de nos armes à feu avait pu leur inspirer des craintes ; mais je ne tardai pas à m’apercevoir, par une plus longue fréquentation, que les Indiens de la Californie avaient constamment la même attitude vis-à-vis des Européens. Ces nomades habitans des solitudes californiennes sont en général d’une taille élevée, et qui semble indiquer un tempérament robuste. Leur couleur est à peu près celle du mulâtre, mais avec un reflet rougeâtre ou plutôt cuivré ; leurs traits sont empreints d’une grande grossièreté, et leur conformation gênérale est très inférieure à celle du noir de la race africaine. Ils ont les lèvres moins saillantes que celles des hommes de ce dernier type ; leur nez, court et droit, a des narines très prononcées. Ce qui les distingue essentiellement du nègre proprement dit, c’est une chevelure abondante, lisse, non crépue, d’un noir très prononcé, — une énorme tête et un visage en proportion. Les Indiens sont présentés par les anciens habitans du pays comme très vindicatifs et très perfides. — Ils n’ont, assurent ceux-ci, aucun souvenir des bienfaits qu’ils reçoivent ; l’ingratitude leur est commune. L’éducation à laquelle ils sont assujettis dès leur enfance n’est guère propre à développer leur faible raison. L’usage continuel du sweat-house (lieu où ils transpirent abondamment) les dispose de bonne heure à la faiblesse et à l’indolence. Les rhumatismes et les spasmes qui les affectent le plus ordinairement sont une triste conséquence de cette habitude ; mais ce qui exerce sur cette population le plus de ravages et s’oppose à son accroissement est un mal vénérien dont le germe est inné chez elle. On peut s’expliquer ainsi l’énorme différence qui existe entre les naissances et les morts, et par suite la décroissance rapide de la population indienne en Californie.

Tels sont les aborigènes du vaste pays aujourd’hui occupé par les énergiques enfans de l’Amérique du Nord. Ce portrait peu flatté n’est que trop exact. C’est à cette population à demi sauvage qu’appartenait le sol quand les Espagnols vinrent en prendre possession. Fernand Cortez, après avoir conquis le Mexique, continua ses explorations un peu au nord, et découvrit en 1530 la péninsule qui forme aujourd’hui la Basse-Californie. Malgré l’aspect généralement aride et montagneux que présentait cette contrée, malgré l’inhospitalité de ses habitans, Cortez résolut néanmoins de s’en emparer ; de nombreuses circonstances vinrent à l’encontre de ses projets, qui finalement échouèrent. La Haute-Californie, contrée adjacente à cette péninsule, fut découverte en 1541, d’autres disent en 1548, par un navigateur espagnol nommé Cabrillo. Pendant plus d’un demi-siècle après cette découverte, le pays resta dans l’oubli jusqu’au jour où une expédition espagnole, chargée d’en reconnaître le littoral, y trouva d’excellens abris pour les navires et de vastes étendues de terrains situés près de la mer, paraissant fertiles et d’une occupation facile. La colonie de San-Diego fut alors établie à la jonction de la Haute ou Nouvelle-Californie et de la Basse ou Vieille-Californie. C’est alors aussi que commença la conquête de cette région. Les navigateurs de cette époque furent moins habiles à s’emparer du sol qu’à l’explorer ; dans tous les cas, ils prirent nominalement possession des pays découverts.

Sir Francis Drake visita en 1578 la partie septentrionale de la Haute-Californie, à laquelle il donna le nom de New-Albion. Ce navigateur constata déjà, dans des termes peu équivoques, la richesse du sol en métaux précieux. Sébastien Visconio, touchant par hasard à Monterey en 1602, proclama ce pays comme faisant partie du territoire espagnol ; mais tous ces titres de possession furent rarement reconnus par les puissances rivales, qui se disputèrent long-temps, mais avec mollesse, la possession de la Californie jusque vers la fin du XVIIe siècle, époque à laquelle cette contrée fut cédée à des missionnaires européens. L’influence des missions européennes en Californie marque une nouvelle ère dans l’histoire de ce pays. Grâce au discernement, à l’éminente sagacité des missionnaires, à l’art qu’ils possèdent de s’allier les peuplades les plus sauvages, la Haute-Californie atteignit bientôt une prospérité qui, éveillant au loin la cupidité, finit par être une cause d’expulsion pour ceux qui l’avaient fait naître. À la suite d’une révolution, ce pays passa des mains des premiers missionnaires à celles d’autres religieux appartenant à des corporations dont le siège était au Mexique ; celles-ci, travaillant d’un commun accord, se partagèrent l’autorité et l’administration du pays en continuant l’œuvre qu’avaient si bien commencée les premiers missionnaires.

La Haute-Californie, à partir de cette époque, ne tarda pas à acquérir une certaine importance. On avait reconnu la fertilité de son sol et les avantages qui résultaient de sa situation géographique. Le nombre des colons s’accrut rapidement, les habitations se multiplièrent en plusieurs lieux et formèrent les germes de petites cités. — Au commencement de ce siècle, de 1802 à 1803, dix-huit missions étaient établies en Californie, et près de chacune de ces missions se trouvait un village de naturels ou d’Indiens qui avaient été attirés par les dons, les promesses et les encouragemens des nouveaux propriétaires du sol. À la même époque, la population de la Haute-Californie, non compris les tribus insoumises des Indiens, atteignait près de 16,000 âmes, chiffre bien faible sans doute, si on considère l’étendue du territoire ; mais, douze années plus tôt, cette population ne s’élevait pas à 8,000 âmes. Cet accroissement eût été plus considérable, si les administrateurs du pays, jaloux de conserver leur autorité intacte, n’eussent été animés d’un esprit hostile envers les colons qui commençaient à y affluer de toutes les parties du monde et cherchaient à s’établir dans le voisinage des missions. L’occupation par famille et par individu, en facilitant la division du sol, eût contribué puissamment à accroître le développement des germes de richesse qu’y avaient répandus avec un zèle infatigable les mêmes hommes qui, dans des vues personnelles, s’opposèrent plus tard aux progrès du pays.

Depuis l’arrivée des missionnaires mexicains, la Haute-Californie pouvait être considérée comme une province de la république mexicaine, ayant pour chef nominal un commandant-général, dont les attributions étaient déterminées par le président de la république et le congrès du Mexique. Le pouvoir législatif de la Haute-Californie était concentré entre les mains d’une députation composée de sept membres renouvelés partiellement tous les deux ans, et présidée par le chef politique. Le territoire avait été divisé en presidios, missions et petites villes ou villages. Les presidios furent institués pour protéger les prédications apostoliques et défendre les missionnaires et leurs prosélytes contre les attaques soudaines des gentils ou Indiens sauvages groupés dans le voisinage. Le premier de ces établissemens fut construit, en 1769, à San-Diego, près de l’Océan Pacifique, à peu de distance de la baie qui porte ce nom, et où les navires pouvaient trouver un abri accessible et commode à toutes les époques de l’année. D’autres points de défense furent établis successivement, suivant les besoins et les circonstances, toujours à une faible distance de la mer, près des endroits où celle-ci offre des conditions favorables au mouillage des bâtimens. Un fort placé à un ou deux milles de chaque presidio, dominant la mer, en complétait la puissance d’action en même temps qu’il pouvait, à l’occasion, servir à la défense des côtes.

Les missionnaires acquirent bientôt sur les Indiens qui les entouraient une telle autorité morale, que les presidios ne tardèrent pas à devenir complètement inutiles ; plus tard, ils furent abandonnés. Quant aux missions, elles conservèrent long-temps leur importance : pendant plus d’un siècle et demi, elles furent la source du développement moral de ce pays, exclusivement habité par des hordes sauvages. Les établissemens des missionnaires étaient situés dans le voisinage des presidios, c’est-à-dire près du littoral, dans les parties du territoire les plus favorables à la culture. Leurs productions devinrent assez considérables pour nourrir la population indienne groupée dans le voisinage de chaque mission. Le bétail de la plus grande espèce, les chevaux, les moutons, l’avoine, le maïs, le blé, étaient les principales richesses des missions ; les établissemens qui étaient situés le plus au sud fournissaient en outre des raisins et des olives en abondance. La production du bétail acquit par la suite une certaine importance ; elle devint l’objet d’un commerce actif avec les vaisseaux étrangers fréquentant ces parages, et qui, en échange du suif et des peaux de bœuf, cédaient une multitude d’objets manufacturés, bien précieux dans un pays où, en fait d’artisans, on trouvait à peine quelques hommes spéciaux pour le travail du fer et le tissage des étoffes le plus indispensables.

Les missions répandues sur le territoire californien étaient au nombre de vingt et une ; leurs vestiges attestent aujourd’hui ce qu’elles ont été à une époque encore fort rapprochée, car le dernier de ces établissemens fut construit en 1822, sous le nom de San-Francisco-Dolores : c’est celui qui est situé le plus au nord du territoire.

Les habitans des petites villes ou villages appartenaient tous à la race blanche. Pour les distinguer des Indiens, on les appelait vulgairement les gens de raison. Presque tous originaires du Mexique ou descendans d’un petit nombre d’individus venus de ce pays accompagnés de leurs femmes, quelques-uns comme colons, d’autres au service de l’armée, ils en avaient conservé les mœurs et les traditions. Au commencement de ce siècle, les rejetons de ce noyau composaient une population de près de 5,000 ames, qui s’était formée dans l’intervalle d’une cinquantaine d’années. Indolens par caractère, sans industrie, produisant seulement les denrées les plus indispensables à leur alimentation et ne prenant aucune part au commerce établi par les missions, leur condition matérielle resta toujours la même avant comme après leur installation en Californie. Cette population se livrait presque exclusivement aux plaisirs de la danse, du jeu et de l’équitation. Parmi elle étaient recrutées toutes les compagnies militaires qui formaient la défense des presidios, et où se trouvaient, — rapportent quelques Européens qui habitaient le pays à cette époque, — les premiers cavaliers du monde. La fécondité des gens de raison tenait du prodige ; il était assez rare de rencontrer un couple avec moins de douze ou quinze enfans, et souvent ce dernier chiffre était dépassé. Jouissant généralement d’une santé des plus prospères, ils atteignaient communément l’âge de quatre-vingts à cent ans, dans ce climat où la plupart des infirmités sont inconnues, et dont l’influence salutaire est démontrée par la vigueur même des habitans.

On voit quels étaient, il y a environ trente années, l’état social et la condition de la population d’origine espagnole en Californie. Les hommes qui prenaient la plus grande part à la direction des affaires de ce pays avaient, à l’origine, répandu les premiers bienfaits de la civilisation, en s’efforçant, avec une charitable persévérance, d’assimiler les naturels, plongés dans une barbarie profonde, aux autres créatures humaines. Ces louables efforts furent, dans de certaines limites et pendant quelque temps, couronnés de succès, car les Indiens finirent par comprendre le bénéfice qui résultait pour eux de leurs relations avec ces zélés pasteurs : ils se rangèrent en grand nombre sous leur autorité paternelle. Après avoir agi avec tant d’abnégation et apporté de grandes améliorations dans ce territoire et les mœurs de sa population, les mêmes administrateurs, animés plus tard d’un esprit exclusif contre des émigrans industrieux dont la coopération eût été profitable au pays, ne tardèrent pas à perdre le fruit de tant de labeurs. Privés bientôt de la salutaire influence de leur appui, les Indiens retournèrent à cet état primitif et sauvage pour lequel ils avaient un penchant naturel, et devinrent moins accessibles qu’ils ne l’avaient été d’abord aux bienfaits de la civilisation. La période de bon accord entre les Européens et les Indiens dura néanmoins jusqu’en 1835, époque des troubles qui devaient imposer à cette partie du Mexique une autre forme de gouvernement. Les membres des corporations religieuses, placés jusqu’alors à la tête des missions qu’ils avaient fondées et développées, ne furent plus admis à prendre part à la direction de ces établissemens ; ils furent remplacés par de simples pasteurs dont les troupeaux disparurent presque entièrement peu de temps après la formation de la nouvelle administration. Celle-ci, qui n’était que la représentation du gouvernement central, était composée d’hommes intéressés et avides, qui exerçaient sur les naturels de nombreuses exactions, dévastaient le pays et provoquaient de la part de ces derniers de terribles représailles. Dans toute l’étendue du territoire, de l’Océan Pacifique aux montagnes de la Sierra-Nevada, et du cap Mendocino à San-Diego, Indiens et Mexicains étaient constamment engagés dans des luttes stériles qui n’amenaient aucune soumission de la part des vaincus, car le gouvernement mexicain était malheureusement incapable de rétablir l’ordre parmi ses sujets en Californie.

Sous la funeste influence de cette anarchie, le pays rétrograda avec rapidité. Les missions, d’abord si florissantes, furent bientôt abandonnées ; les champs qui les avoisinaient devinrent improductifs, et la contrée intérieure se dépeupla pour rentrer dans le néant d’où elle sortait à peine. Une race entreprenante, possédant au suprême degré l’énergie et toutes les qualités qui font de ses enfans les plus habiles colons du monde, la race américaine, avait alors poussé ses investigations jusque vers ces parages ; elle y avait constaté l’excellence du climat, la fertilité du sol, et, avant toute chose, la situation avantageuse d’un territoire susceptible de donner aux états voisins de l’Atlantique une grande extension commerciale. Des compagnies d’Américains venus par diverses voies, les uns par le chemin périlleux des Montagnes Rocheuses et de la Sierra-Nevada, les autres en doublant le cap Horn ou en traversant l’isthme de Panama, s’étaient installées dans le pays, où ils s’adonnèrent principalement à l’agriculture. Quant à ceux qui étaient habitués à manier la hache et la scie, ils établissaient des constructions propres aux divers usages du colon dans ce singulier style d’architecture qui a toujours l’apparence du provisoire et que paraît affectionner l’Américain. Les États-Unis étaient ainsi, par le fait, en possession de la Haute-Californie avant même d’être en guerre avec le Mexique. Le gouvernement mexicain, épuisé par de vains efforts et affaibli par des divisions intestines, ne put s’opposer à l’invasion des Américains dans le territoire où ils se trouvaient déjà en grand nombre ; ceux-ci, ne rencontrant aucune résistance, occupèrent sans coup férir cette nouvelle contrée, en se portant à la fois à Monterey et à San-Francisco, où flotte depuis le mois de juillet 1846 le pavillon des états de l’Union américaine, orné, depuis l’automne de l’année 1850, d’une nouvelle étoile qui représente l’état de la Haute-Californie.

Peu de temps avant 1846, la population répartie sur ce territoire, sans compter les Indiens, pouvait être évaluée à 10,000 âmes. Dans ce nombre figuraient 8,000 Californiens originaires du Mexique et 2,000 étrangers arrivés successivement de divers pays et notamment des États-Unis. Parmi les nations de l’Europe qui avaient fourni leur contingent dans ce commencement d’immigration, la France était placée au premier rang. Plusieurs de nos compatriotes se livraient dès cette époque à des opérations commerciales sur le littoral et dans l’intérieur du pays ; quelques-uns même s’adonnaient déjà à certains travaux d’agriculture, à la culture de la vigne par exemple. San-Francisco n’était encore qu’un village de fort peu d’importance, ayant à peine une population de cent cinquante habitans : situé près de la baie la plus vaste et l’une des plus accessibles qu’il y ait probablement au monde, ce point n’était fréquenté que par des navires baleiniers venant y chercher refuge et par un petit nombre de bâtimens marchands, envoyés par des maisons de New-York et de Boston, qui avaient depuis des années le monopole de toutes les transactions opérées sur cette côté de l’Océan Pacifique. Ces bâtimens, installés pour vendre en détail divers objets de première nécessité aux habitans du pays, n’étaient guère que des magasins ambulans qui se transportaient d’un port à l’autre pour échanger leurs produits à des prix exorbitans et recevoir en retour, à des prix minimes, les peaux et le suif que fournissait le bétail des missions. Jusqu’en 1846, le commerce de la Haute-Californie consistait en ces sortes d’opérations d’une importance assez restreinte, mais dont les résultats valurent d’immenses fortunes aux négocians américains qui les avaient dirigées.

En 1847, lors de la cession définitive de la Californie à l’Union américaine, et peu de temps avant la découverte des riches gisemens aurifères, la population de San-Francisco s’élevait à 1,200 âmes. Cet accroissement dans le chiffre des habitans, occasionné par l’arrivée successive d’Américains qui venaient s’y installer, continua dans des proportions analogues jusqu’au commencement de l’année 1848, époque à laquelle fut constatée la présence de l’or sur les bords de la rivière désignée plus tard sous le nom d’American River, l’un des affluens du Sacramento. L’heureux événement ne put long-temps rester secret. Bientôt des colonnes de travailleurs, venant de tous les points du globe, se répandirent dans les vallées du Sacramento et de Saint-Joachim pour prendre leur part du trésor renfermé dans les bassins des nombreux cours d’eau qui sillonnent cette contrée si favorisée.


II. – LA CALIFRONIE SOUS L’ADMINISTRATION AMERIACINE.

Ainsi une période d’indépendance sauvage avant l’arrivée des Espagnols, une période de gouvernement théocratique depuis l’installation des missionnaires, puis quelques années d’agitation entre la guerre d’affranchissement et l’annexion aux États-Unis, — ce sont là trois époques distinctes dans l’histoire de la Californie qu’il importait de noter et de caractériser avant d’arriver à l’époque actuelle.

À la fin de 1849, la population totale de la Haute-Californie, non compris les Indiens, était évaluée à 150,000 âmes. C’est le chiffre auquel elle s’est à peu près maintenue pendant l’année 1850, le nombre des départs compensant celui des arrivées. Les Français entrent pour une proportion considérable dans cette nouvelle population. Il n’y en a pas moins de 18 à 20,000, parmi lesquels 8 à 10,000 sont exclusivement occupés à la recherche de l’or dans les deux vallées principales du Saint-Joachim et du Sacramento et jusque sur les montagnes de la Sierra-Nevada, qui limitent ces deux vastes bassins. Le reste de l’immigration française est réparti dans les villes et sur le littoral, s’occupant généralement de commerce ou s’adonnant à des travaux souvent pénibles, mais que d’impérieuses nécessités ont dû faire accepter. Un tiers de la population totale, c’est-à-dire environ 50,000 individus, se livrent à la recherche du précieux métal ; les deux autres tiers, occupés aux opérations commerciales les plus variées, résident dans des hameaux décorés par avance du nom de villes, ou dans de véritables cités comme San-Francisco, Stockton, Marysville, Monterey et San-José.

San-Francisco ne renferme pas moins de 40,000 habitans, sur lesquels on compte de 5 à 6,000 Français. Cette ville ne partage point, par sa situation, les avantages que présente la baie près de laquelle elle est établie ; elle repose sur le versant d’une colline au sol aride et sablonneux, dont la pente rapide se déroule sans point d’arrêt jusqu’à la mer. Ses quartiers les plus commerçans étaient naguère couverts par les vagues ; remplacement d’une cité active et populeuse n’y existait réellement point. Il n’a rien moins fallu, pour le créer, que des travaux gigantesques comme ceux que comportait l’empiétement sur les vagues d’un immense océan. Ces travaux, qui se poursuivent encore avec activité, ont été néanmoins devancés par l’esprit d’entreprise du peuple américain, qui s’est donné un libre essor en multipliant dans la baie, sur une surface considérable, des quais, des magasins et entrepôts dont l’accès facile économise le temps et simplifie les manœuvres qui accompagnent les nombreuses transactions opérées chaque jour sur ce vaste marché. C’est sur des pilotis, fixés comme par enchantement dans un sol peu résistant, que ces diverses constructions ont été établies. Les nombreux incendies qui se sont succédé depuis moins de deux ans avec tant de rapidité ont amené des améliorations sensibles dans l’art d’édifier les constructions en Californie. Il est vrai qu’à l’origine l’absence ou la rareté des matériaux les plus indispensables en avait élevé le prix dans de telles proportions, que l’établissement définitif d’une cité de l’importance de San-Francisco eût absorbé et au-delà les capitaux de tous les marchés des États-Unis. Les seules constructions possibles dans de semblables conditions se réduisaient à de chétifs abris grossièrement édifiés avec quelques madriers et rapportant néanmoins dans les parties de la ville situées près du port dix ou vingt fois le revenu du plus bel hôtel de Paris dans le faubourg Saint-Germain ou la Chaussée-d’Antin. Les rapides progrès de la spéculation amenèrent bientôt en Californie tous les matériaux nécessaires. Un peu plus tard, des expéditions parties de divers points du globe apportèrent en surabondance dans cette nouvelle contrée les divers produits dont le besoin s’était fait sentir moins d’une année auparavant. Ce fut alors un véritable déluge de matériaux ou de produits manufacturés ; les magasins et entrepôts ne suffisaient pas pour les contenir ; les rues en étaient jonchées, et la dépréciation, pour la plupart des objets importés, atteignit un tel degré, que les frais seuls de débarquement dépassèrent la valeur que le cours de la place leur avait assignée. C’est ainsi que l’on a vu jeter à la mer des maisons en bois venues à grands frais d’Europe et de Chine, des étoffes, des vêtemens, et jusqu’à des produits alimentaires !

Tous ces beaux bénéfices qui, depuis 1848, ont eu tant de retentissement aux États-Unis et en Europe, se traduiraient aujourd’hui, pour le plus grand nombre du moins, par des résultats négatifs ou des pertes réelles, si la balance était opérée pour les transactions effectuées jusqu’en 1850. Les grandes fluctuations dans les prix occasionnées par les arrivages successifs et trop nombreux de navires lancés et partis de toutes les directions ont fini par réduire les affaires à l’état de spéculations aventureuses dont le succès ne pouvait être garanti par le travail et l’intelligence ; c’est un jeu de hasard soumis aux chances les plus capricieuses.

Le nombre de navires, sous divers pavillons et généralement de grande capacité, qui arrivent annuellement à San-Francisco, est évalué à quinze cents, jetant sur cette plage plus de 000,000 tonneaux de denrées et d’articles manufacturés. On peut attribuer ainsi à chaque habitant une consommation moyenne et annuelle de 4 tonneaux sur les marchandises importées. Les États-Unis figurent à eux seuls, dans cette totalité, pour 500,000 tonneaux ; l’Angleterre et ses colonies, pour 60,000 ; la France, la Hollande, les villes anséatiques et le Chili réunis pour 70,000 environ. Ces importations sont d’autant plus disproportionnées, que le pays où elles arrivent produit en abondance du bétail, possède des forêts et des plaines garnies de gibier, des rivières où les meilleurs poissons abondent, et des jardins où la culture des légumes a pris depuis près de deux ans une certaine importance. La farine du Chili, — le sucre, le thé, le café, — les vins et eaux-de-vie de France, certains articles de goût pour lesquels nous n’avons pas de rivaux au monde, forment autant de séries de marchandises dont l’écoulement, dans un délai variable, il est vrai, sera presque toujours assuré en Californie. Aujourd’hui nos exportations pour ce pays devraient se borner exclusivement à nos vins et eaux-de-vie, par des envois successifs et sur des bases raisonnées, de manière à ne point surcharger ce nouveau marché, où les fluctuations défavorables à la valeur des marchandises sont souvent produites par des arrivages peu considérables que la spéculation fait envisager comme un signe précurseur de nouvelles et nombreuses expéditions. L’envoi de nos vins devrait avoir lieu en demi-pièces, solidement établies, afin d’en rendre le transport facile à toutes les époques de l’année jusque sur les lieux de consommation. Il faut d’ailleurs, dans toutes les expéditions de marchandises françaises pour la Californie, agir avec circonspection et redouter les approvisionnemens qui peuvent exister dans les différens ports des États-Unis, comme à New-York, Boston et Baltimore. Les Américains ont établi depuis peu d’années de nouveaux bâtimens taillés pour la course, qui forment aujourd’hui la presque totalité de la marine des États-Unis. Ces navires, bien connus sous le nom de clippers, franchissent fréquemment dans l’intervalle de trois mois l’immense distance qui sépare l’un des trois ports américains de San-Francisco, tandis que nos navires de commerce partis du Havre pour la même destination restent en route communément cinq et six mois.

Il peut y avoir dans cette différence entre la marche des navires américains et celle des navires européens l’explication d’un fait étrange qu’on a pu noter fort souvent sur le marché de San-Francisco. Les produits expédiés d’Europe, avec toute la diligence possible et au moment où ils étaient le plus demandés sur le marché, y ont presque toujours, en arrivant, rencontré un encombrement de produits semblables. Au contraire, les marchandises expédiées des mêmes ports pour la même destination, à l’époque où le besoin ne s’en faisait nullement sentir, ont trouvé très souvent, à leur arrivée, un placement facile et avantageux. Il ne faudrait cependant pas déduire de ces remarques une règle générale et une ligne de conduite à suivre : c’est plutôt un fait qu’il faut soumettre à l’appréciation de nos maisons de commerce dont les relations se sont étendues jusque vers cette contrée.

Depuis cinq ans environ que les Américains possèdent la Haute-Californie, d’immenses progrès matériels ont été réalisés dans ce pays ; des travaux d’une importance gigantesque ont été accomplis avec une rapidité qui tient du prodige ; des montagnes entières ont disparu, de vastes cités ont été créées comme par enchantement, des routes ont été percées, et tous les cours d’eau navigables sont aujourd’hui sillonnés par de nombreux bateaux à vapeur. D’autres travaux non moins importans ont facilité l’exploitation des terrains aurifères, dont la production, jusqu’à l’année 1851 inclusivement, peut être évaluée à 800 millions de francs au moins.

Ces résultats sont d’autant plus surprenans, qu’ils ont été obtenus dans les circonstances les plus défavorables où puisse être placé un pays qui sort du néant pour devenir subitement le théâtre d’un commerce considérable, et qui est obligé de rétribuer ses derniers travailleurs, ceux qui n’ont que la force musculaire, à un taux exorbitant[1].

Les Américains se sont montrés beaucoup plus habiles à tirer parti, par petites associations ou individuellement, de tous les avantages naturels que présentait cette contrée qu’à y fonder une administration loyale et éclairée, prêchant par de bons exemples, et n’ayant pour mobile que le développement du pays au double point de vue moral et matériel. L’homme public vraiment désintéressé est une exception qu’on ne rencontre guère en Californie ; le fonctionnaire américain y est venu au même titre que le chercheur d’or des placers ; tous les deux poursuivent les chances de la fortune avec la même ténacité. L’intérêt personnel et le besoin de satisfaire des appétits fort exigeans sont les seuls leviers qui font mouvoir le citoyen américain transporté en Californie ; sa fibre y paraît insensible aux sentimens élevés. Celui qui s’occupe de commerce s’y livre généralement avec la témérité d’un homme qui regarde comme une chimère toute espèce d’engagement moral ; ou, s’il met plus de réserve dans ses transactions, c’est qu’il en connaît d’avance le résultat. À d’honorables exceptions près, le Yankee est non-seulement avide de gros bénéfices, mais encore il aime le succès, et il n’en trouve pas de plus flatteur et d’un plus grand attrait que de surprendre l’ignorance ou la bonne foi d’un client peu expérimenté. Il se livre d’ailleurs aux affaires avec la même ardeur et le même empressement qu’il déploierait pour percer une route ou pour niveler le sol. Tel homme qui, aux États-Unis, était cultivateur ou le plus obscur des artisans se trouve en Californie brusquement transformé en légiste : il remplit, par exemple, les fonctions d’avocat ou de juge de paix. Tel autre qui hier présidait à San-Francisco une table de jeu dans un des nombreux tripots de cette cité occupe aujourd’hui une des plus hautes fonctions dans la magistrature ; enfin il en est qui, choisis par leurs compatriotes pour veiller à la sécurité publique, profitent de leurs nouvelles attributions pour diriger des maisons de jeu ou des lieux de débauche, rendez-vous des gamblers ou joueurs de profession.

L’influence de pareilles mœurs ne détourne point cependant l’immense majorité de ces hommes de la pratique de leurs différens cultes : on les voit déployer une ferveur religieuse capable d’en imposer à ceux qui n’ont pas eu d’intérêts à débattre avec eux. Toutes les affaires sont rigoureusement interrompues le dimanche ; ce jour-là et les autres jours fériés sont consacrés, comme aux États-Unis, à chanter des hymnes au Seigneur dans les diverses chapelles qui ont été les premiers monumens élevés en Californie.

Une administration composée de tels élémens, livrée à tous les désordres qu’amènent la cupidité et le dérèglement des individus qui la représentent, ne peut être entourée de ce prestige d’honorabilité si nécessaire à son existence ; l’autorité qui en émane est purement nominale, et sa protection devient même compromettante dans les momens d’effervescence. L’habitant de ce pays, où il n’existe d’ailleurs aucune espèce de force armée, doit veiller lui-même à sa sûreté personnelle et à celle de ses propriétés. L’insuffisance de la protection individuelle a donné lieu à des associations de citoyens qui, dans les circonstances critiques, instituent des comités de vigilance chargés de sévir contre les auteurs de crimes audacieux que la justice régulière a souvent laissés impunis : triste spectacle où l’on voit un peuple déposer une autorité émanant de son propre choix pour en établir passagèrement une autre à laquelle la précipitation fait commettre quelquefois des erreurs à jamais regrettables !


III. – LES GISEMENS AURIFERES ET LES PROCEDES D’EXPLOITATION.

Le travail est le seul lien qui réunisse les élémens divers de cette population groupée sous la tutelle fort insuffisante, comme on voit, de l’administration américaine, et par travail on ne peut guère entendre aujourd’hui en Californie que l’exploitation des gisemens aurifères. À quels procédés se réduit cette exploitation ? à quels résultats est-elle arrivée ? L’intérêt actuel de cette double question doit seul nous occuper.

La recherche du précieux métal n’exige aucun effort d’imagination ; le géologue le plus pénétrant éprouverait de grandes difficultés à déduire de la nature et des configurations du sol une loi donnant quelques indications sur la répartition de l’or dans les terrains d’alluvion qui le recouvrent. C’est à toutes les profondeurs et sous les dimensions et les formes les plus variées, depuis la parcelle atomique jusqu’à la pépite du poids de plusieurs kilogrammes, que le mineur le rencontre dans les ravines, sur le versant des collines qui forment les derniers échelons des montagnes de la Sierra-Nevada, et dans des espaces plus ou moins considérables, comprenant quelquefois d’immenses plateaux recouverts d’une couche épaisse de terre argileuse résultant du dépôt lent des eaux à diverses époques. L’or natif existe abondamment aussi dans les terrains de transport qui tapissent le lit des rivières, ou qui ont envahi le sol parallèlement au cours de celles-ci, sous la forme de bancs sur lesquels les eaux s’épanchent à l’époque de la fonte des neiges des montagnes les moins élevées. La majeure partie de l’or extrait jusqu’à ce jour provient du lavage de ces alluvions, où il se trouve disséminé, dégagé de toute matière étrangère et réduit à un très grand état de division. C’est sur les bords de ces rivières que furent établis à l’origine les principaux champs d’exploitation des terrains aurifères de la Californie ; l’extraction opérée d’abord par des ustensiles destinés à de tout autres usages donna des résultats inespérés. Le travailleur n’avait pas à faire des recherches pour procéder au triage des terres dont il devait opérer le lavage ; l’or existait partout presque également ; l’examen le plus sommaire en accusait la présence sous la forme de paillettes ou petits grains roulés à angles arrondis. Cependant l’extraction de ces premiers dépôts fut très incomplète, et les mêmes terrains repris et traités aujourd’hui par les machines d’une perfection suffisante, que les Américains ont introduites, donnent de très beaux résultats[2].

Les affluens du Sacramento se sont surtout fait remarquer par la richesse ides alluvions qui y sont déposées et par la facilité du traitement auquel celles-ci peuvent être soumises. Triturées et charriées au loin par l’action puissante des cours d’eau, ces alluvions sont formées en général de fragmens de diverses roches liés entre eux par un ciment argilo-ferrugineux très chargé de sable ; la roche qui domine par ses affleuremens nombreux dans le lit des cours d’eau et dans l’intérieur des vallées est de l’espèce amphibolique, et particulièrement de la variété dite diorite.

Le traitement de cette catégorie de terrains aurifères est, comme je l’ai dit, fort simple. On se contenta d’abord de l’ustensile le plus primitif, la sébile, désignée sous le nom de bâtée, que remplacèrent dans la suite des vases métalliques d’une forme semblable. On opérait ainsi sur de petites masses de 8 à 10 décimètres cubes par des lavages successifs jusqu’au moment où l’eau, par l’action mécanique que lui donnait le mineur en imprimant à la sébile un double mouvement de rotation, séparait l’or, réduit à l’état de paillettes et de grains roulés, des matières terreuses qui l’accompagnaient. Ce procédé, presque exclusivement employé à l’origine, est aujourd’hui rarement en usage ; il exige de la part du travailleur, une certaine pratique, et les hommes même les plus exercés à ce mode de lavage évaluent le rendement des terrains aurifères à la moitié de celui que donnerait le même volume de matières traité dans les machines à mercure. Les Sonoriens et lus Mexicains, qui excellent dans le traitement de ces terrains, n’ont cependant pas renoncé à l’aire usage du procédé par la bâtée ; ils possèdent au suprême degré ce qu’on peut appeler le tour de main. Eclairés par une longue expérience, ils savent imprimer à ce récipient les mouvemens les plus propres à effectuer la séparation du métal et des matières terreuses, et, lorsque l’état de division de celles-ci est assez avancé, il leur arrive même souvent de substituer à l’action mécanique de l’eau le souffle intense de leurs poumons.

Le procédé par la bâtée, fort imparfait, au moins pour la généralité des émigrans, a toutefois l’avantage de prévenir les débats auxquels donne lieu fréquemment l’association des travailleurs, réduite même à la plus simple expression. Dans l’exploitation du sol aurifère en Californie, le produit ou la rémunération du travail doit être rigoureusement en raison directe des efforts exercés. Le procédé dont je viens de parler résout la difficulté, en ce sens qu’il livre le travailleur à lui-même, et l’oblige à compter seulement sur ses propres efforts.

Les machines américaines, désignées sous le nom de cradle (berceau), qui trouve son explication dans la forme de ces instrumens, sont aujourd’hui généralement employées. Très simplement construites, à l’abri de tout dérangement, d’un poids léger qui en facilite le transport, et d’un prix minime qui les rend accessibles à tous les émigrans, ces machines sont suffisamment perfectionnées pour le traitement des alluvions aurifères. On peut même les disposer de façon à utiliser l’action du mercure[3], qui a la propriété de s’emparer avec avidité de presque toutes les particules d’or en contact avec les matières terreuses, dont le rendement atteint alors les proportions les plus élevées. L’emploi de la machine à mercure n’est cependant pas aussi général qu’il devrait l’être : un désir commun, chez presque tous les mineurs, d’obtenir la poudre d’or avec tout son éclat métallique, et la préférence que les banquiers de San-Francisco accordent à ce métal isolé par des lavages successifs, ont contribué à retarder l’application exclusive du procédé par amalgamation.

Dans les circonstances actuelles, les chiffres suivans expriment la richesse des terrains de transport, ou plutôt la quantité d’or que le travailleur peut en extraire, selon les procédés dont il fait usage : par la bâtée, un homme, travaillant de neuf à dix heures par jour, opérera le lavage d’un mètre cube d’alluvion et en retirera la valeur moyenne de 10 à 12 fr. ; — par la machine désignée sous le nom de cradle, deux hommes associés au même travail traiteront, dans le même intervalle, 3 mètres cubes qui leur produiront une valeur moyenne de 40 à 45 francs ou un peu plus de 20 francs par travailleur ; — enfin, en faisant usage de la même machine appropriée au procédé par l’amalgamation, quatre hommes traiteront dans la même journée 6 mètres cubes d’alluvion et en obtiendront un produit moyen de 45 grammes, correspondant à 150 francs, ou environ 37 francs chacun. La quantité d’or extraite des mêmes terrains varie ainsi du simple au triple, suivant la perfection du traitement auquel on les soumet.

Les gisemens situés dans les ravines des montagnes les moins élevées dont est flanquée la Sierra-Nevada, et ceux qui occupent des espaces souvent considérables dans l’intérieur des vallées, forment deux autres catégories de terrains bien distinctes de celles dont je viens de parler. L’or n’y existe plus au même état ; il a conservé la forme et les dimensions qu’il avait contractées en s’agrégeant au quartz avec lequel on le rencontre fréquemment associé. Le mineur peut y faire de très belles découvertes ; on y a trouvé des lingots d’or pur pesant jusqu’à vingt-trois livres ; j’en ai vu et touché un du poids de treize livres qu’une société de quatre Français avait extrait à un pied au-dessous du niveau du sol. Cependant, si le travailleur n’est pas doué d’une grande persévérance et d’une certaine confiance dans ses efforts, le découragement peut s’emparer de lui, car plusieurs journées d’un travail pénible se passent parfois sans qu’il rencontre la moindre pépite. L’exploitation des bancs d’alluvion offre, on le voit, beaucoup plus de garanties que celle des terrains où l’or se présente par fragmens isolés et de grande dimension. Dans le premier cas, la rémunération est immédiate ; à la fin de chaque jour, le mineur recueille le fruit de son travail.

Le traitement des gisemens dans les ravines est ordinairement le même que celui des alluvions des terrains de transport. Cependant, comme le précieux métal y existe plus inégalement réparti et généralement sous des formes et des dimensions palpables, atteignant même quelquefois le volume des petits cailloux qui l’accompagnent, l’attention du mineur doit être plus soutenue que lorsqu’il s’agit simplement du triage de matières sableuses. On peut néanmoins exploiter les ravines sans recourir à l’opération du lavage. Il y a même des terrains éloignés de tout cours d’eau où des fragmens d’or, mêlés au quartz, sans aucune altération dans leur forme primitive, peuvent être recueillis à la main. De là vient le nom de dry diggings que les Américains ont donné à ces étendues de terrain, formées par le dépôt lent et successif de matières qui proviennent des montagnes et des collines adjacentes. Pour ces deux dernières catégories de terrains, l’extraction peut se continuer pendant le cours des diverses saisons. Il n’y a pas à redouter, comme dans le traitement des sables aurifères près des lits des rivières et notamment dans le bassin du Sacramento, les inondations qui se reproduisent périodiquement au moment des pluies, en grossissant assez les ruisseaux et les rivières pour interrompre le travail pendant le quart ou le tiers de l’année. Située, au contraire, à une certaine hauteur au-dessus de l’Océan Pacifique et d’une configuration accidentée, la vallée du Saint-Joachim, où l’on rencontre surtout les terrains désignés sous le nom de dry diggings (fouilles sèches), est habitable à toutes les époques de l’année, au moins pour le mineur persévérant.

L’or se rencontre aussi en quantité considérable, dont on ne peut encore avoir la mesure approximative, dans les nombreux filons de quartz qui avoisinent les montagnes de la Sierra-Nevada, ou qui se montrent, par leurs affleuremens, dans l’intérieur des vallées. On l’y trouve même sous forme de différentes veines qui sont sans doute les dernières traces des puissantes déjections aurifères venues, comme les roches cristallines, du sein de la planète, et que les eaux, dans leur déchaînement, disséminèrent en tous sens à cette époque qui, dans la série des âges géologiques, précéda l’apparition de l’homme sur la terre. Le plus ordinairement, l’or existe à l’état de mélange intime avec le quartz dans des proportions très variables, mais toujours supérieures aux dépenses que comporte le traitement de la roche pour l’extraction du métal, dépenses que l’on évalue aujourd’hui à 6 centimes par livre de matière traitée.

La source primitive des gisemens divers de l’or californien provient, à n’en pas douter, de ces mêmes filons de quartz qui, en certains lieux, semblent s’être désagrégés sur place, sous l’action lente et successive des eaux pluviales et de l’atmosphère. L’or des dry-diggings a vraisemblablement cette origine. Les observations que j’ai faites sur la répartition de l’or dans les terrains d’alluvion des divers cours d’eau qui sillonnent la Haute-Californie et celles que j’ai recueillies de la bouche des mineurs viennent à l’appui de cette opinion. Ainsi, par exemple, tandis que les affluens des deux fleuves, le Sacramento et le Saint-Joachim, fournissent sur leurs rives, et jusque dans l’intérieur de leurs lits, ces champs d’exploitation qui ont occupé jusqu’à ce jour la majeure partie des travailleurs, ces deux fleuves et la partie du sol qui les avoisine, meublés par un terrain argileux d’une formation postérieure à celle des terrains de transport qui caractérisent le parcours des affluens, ont à peine donné, dans les nombreuses recherches tentées jusqu’à ce jour, des traces du précieux métal. La gangue avec laquelle on le trouve associé, composée toujours de débris de quartz, prouve aussi que le gisement de l’or en Californie s’est rencontré de tout temps dans les roches de cette formation, qui le recèlent encore aujourd’hui en quantité considérable.

Il est probable néanmoins que l’or existe dans toute l’étendue des bassins des deux fleuves principaux., mais à des profondeurs très variables. Les perturbations qui se sont opérées à la surface de la planète ont dû amener, dans cet espace si limité, des résultats généraux. Tous ces débris de roches, transformés par l’action des eaux en couches friables, chargées de particules d’or, doivent être répandus sur la presque totalité de la superficie de ces vallées.

L’activité des émigrans, à une époque peu éloignée, se reportera entièrement vers l’exploitation des mines de quartz, qui constituera alors une industrie régulière, versant chaque année sur les divers marchés du monde une valeur pour ainsi dire déterminée d’avance par le nombre et la puissance des appareils employés à cet effet. Plusieurs tentatives, qui ne permettent plus de douter de la richesse de ces filons, ont été faites par des capitalistes américains et français, et se continuent chaque jour au milieu des difficultés créées par les prix élevés de la main-d’œuvre et par les moyens incomplets que présentent les faibles ressources du pays pour l’établissement de ces engins. L’exploitation des mines ne prendra l’extension dont elle est susceptible qu’à dater de l’épuisement, sinon absolu, au moins relatif, des terrains d’alluvion qui occupent aujourd’hui la population émigrante. Le pays lui-même ne prendra un développement durable qu’à partir du jour où le travail se transformera en une autre source de richesse, soit par la fécondation du sol, soit par l’intervention d’industries nouvelles appropriées à sa situation. Que l’or s’épuise lentement ou avec rapidité dans les terrains d’alluvion qui le recèlent encore aujourd’hui, la production de ce métal ne peut en être affectée ; elle pourra même devenir plus considérable par le traitement exclusif des mines de quartz capables d’occuper des milliers de compagnies pendant des siècles. Il n’est donc pas hyperbolique d’évaluer l’extraction, pour les années à venir, au taux où elle est parvenue l’année dernière, c’est-à-dire à soixante millions de dollars ou 300 millions de francs. Dans l’intervalle de dix années seulement, l’extraction de l’or en Californie s’élèvera ainsi au chiffre de trois milliards ! Il faut ajouter à cette production celle de l’Australie, il faut tenir compte aussi de la richesse des sables aurifères d’Upata dans le Venezuela. — sur lesquels un ingénieur français, M. Alphonse Ride, a donné ici même des indications précieuses[4], pour apprécier toute la portée des modifications que les récentes découvertes peuvent entraîner dans notre système monétaire tel qu’il existe depuis 1802[5].

La répartition de l’or extrait des gisemens de la Californie pendant l’année 1851 a eu lieu entre la métropole des États-Unis sur les rives de l’Atlantique, quelques ports de l’Amérique du Sud sur l’Océan Pacifique, et plusieurs points, tels que la Chine, les îles Sandwich, qui, en échange, ont fourni au marché de San-Francisco une partie de son approvisionnement en denrées et en marchandises. Le Mexique par Mazatlan et Acapulco, les pays d’Europe par l’isthme de Panama et la ligne des steamers anglais établie entre Chagres et Southampton, reçoivent aussi directement chaque année une petite fraction de l’or de Californie. Toutefois la majeure partie de ce métal arrive d’abord à New-York, qui en a reçu l’année dernière pour une valeur de 42,671,432 dollars ou 213,357,160 francs. Le marché de San-Francisco en retient une certaine quantité ; on évalue, par exemple, pour la même année, à 6 millions de dollars ou 30 millions de francs l’émission de pièces d’or faite par les cinq établissemens qui frappent monnaie dans cette cité, à 1,200,000 fr. la portion de ce métal employée par les orfèvres et bijoutiers de San-Francisco, et à 2 millions de dollars la réserve des mineurs ou ce qui reste dans leurs ceintures. Ou estime aussi que les chercheurs d’or venant du Mexique, du Chili et de l’Orégon en enlèvent chaque année une valeur de 4 millions de dollars ou 20 millions de francs.


IV. – L’EMIGRATION FRANCAISE EN CALIFORNIE.

La Californie, étudiée tour à tour dans la configuration de son sol et dans son histoire, dans les élémens de la population qu’elle renferme, dans les conditions que la nature y fait au travail de l’homme, nous laisse une dernière question à résoudre. Dans quelle mesure les intérêts français peuvent-ils s’y établir ? Quel rôle peut y appartenir à une émigration française ? Ici encore l’expérience des dernières années peut nous aider à répondre.

C’est à partir de l’année 1849 que commença sur une très grande échelle l’immigration française pour la Californie. Le personnel de cette immigration n’est point, ainsi qu’on pourrait le supposer, un ramassis d’aventuriers éhontés, comme en ont jeté sur cette plage tant d’autres nations européennes. À quelques exceptions près, au contraire, les Français, dans cette partie du monde, forment une classe d’hommes d’élite, entreprenans et énergiques, d’antécédens honorables et bien au-dessus du reste de la population californienne, composée de tant d’élémens divers. J’ai entendu souvent des habitans notables de San-Francisco s’exprimer dans les termes les plus flatteurs sur la conduite des Français qui séjournaient dans cette ville. On citait les auteurs des crimes et délits commis à San-Francisco (Dieu seul en connaît exactement le nombre !) pendant une période de plusieurs mois, et la population française figurait à peine dans cette triste énumération.

Les premiers émigrans qui sont partis de France pour l’Eldorado, depuis la fin de l’année 1848 jusqu’en 1850 inclusivement, s’y sont rendus, beaucoup d’entre eux au moins, sans réflexion et sur la foi de récits fort exagérés, empruntés aux feuilles américaines, un peu intéressées à faire briller ce qui n’était pas toujours de l’or. De pareils renseignemens puisés à une telle source demandaient alors confirmation. D’un autre côté, la langue anglo-américaine est riche en locutions emphatiques singulièrement propres à induire en erreur l’Européen peu familiarisé avec ces raffinemens d’imposture. Toujours est-il qu’un grand nombre de Français de diverses classes, presque tous possédant de l’instruction ou habitués à des occupations sédentaires, médecins, avoués, notaires, avocats, ingénieurs, professeurs, employés d’administration, ouvriers d’industries parisiennes et jusqu’à d’anciens députés, se dirigèrent vers les plages californiennes. Tous ces hommes formaient sans doute une émigration fort honorable, mais ne convenaient nullement pour le genre de travail qu’ils voulaient entreprendre, car chacun partait avec l’intention de se rendre aux placers et de partager les nombreuses privations du chercheur d’or. Les médecins seuls d’entre ces émigrans pouvaient continuer sous le ciel du Nouveau-Monde l’exercice de leur profession. La visite d’un docteur était taxée, à l’origine, à 16 piastres, c’est-à-dire un peu plus de 80 fr. Les hommes habitués aux travaux des champs, — tels que les cultivateurs et les terrassiers qui, comme le marin et le soldat, sont aguerris contre l’intempérie des saisons et peu façonnés à l’existence des grandes villes, — n’entraient que pour une très faible proportion dans le premier groupe de l’émigration française.

Un voyage en Californie, en doublant le cap Horn, est toujours un rude commencement d’épreuve pour ces futurs chercheurs d’or ; mais, Dieu aidant, le voyageur arrive en général sans accident fâcheux au terme de son pèlerinage, et je puis même dire qu’ayant assisté, à San-Francisco, à l’arrivage de tous les navires français pendant près d’une année, je n’ai jamais entendu parler d’un seul cas de décès par suite de maladie contractée à bord de nos navires de commerce ou de l’état. Cependant il s’agit ici d’un transport de plus de trois mille personnes et d’une traversée dont la durée a été le plus ordinairement de cent cinquante à cent soixante jours. Je n’en dirai pas autant des steamers américains qui font le service entre Panama et San-Francisco et vice versa. La mortalité a souvent atteint sur ces steamers des proportions effrayantes dans le parcours d’une distance qui ne demande que dix-huit à vingt jours au plus.

Quoi qu’il en soit, nous supposons l’émigrant français se dirigeant en Californie par le cap Horn. Depuis son départ du Havre, il a pu voir la terre à Rio-Janeiro, ou plus probablement à Valparaiso. Après avoir doublé le cap Horn, il arrive enfin à San-Francisco. Déjà dans la rade le découragement s’est emparé de lui ; il a reçu du pilote ou du consignataire du navire des renseignemens qui l’alarment. Les placers où gît le précieux métal, lui est-il dit, sont à une certaine distance de San-Francisco, le travail y est pénible, sinon impossible, pour l’homme qui n’a pas encore manié la pelle et la pioche, et il ne rémunère pas toujours les efforts les plus persévérans. Pour l’émigrant dénué de moyens pécuniaires, il y a certes, dans ce qu’il a entendu, matière à de bien tristes réflexions. L’impression qu’il éprouve en apercevant la ville de San-Francisco et ses environs n’est point de nature à le rassurer. Jamais, à proximité d’un pays aussi bien partagé que l’est l’intérieur de la Californie, ne s’est trouvé un territoire aussi abandonné par la nature, d’un aspect plus désolé et d’un climat plus incommode pendant la majeure partie de l’année. La résolution prise en France de travailler aux placers est ainsi souvent abandonnée avant même qu’on ait fait la moindre tentative pour la réaliser. Quand l’émigrant toutefois est doué d’assez de persévérance pour donner suite à sa première idée, il explore dès son arrivée les terrains aurifères et y trouve généralement assez d’or pour subvenir à ses premiers besoins. Quelquefois ses forces ne correspondent pas à son courage ; l’absence de soins de toute nature, les privations qu’il a dû subir en partageant les travaux des mineurs, l’affaiblissement de sa santé, l’obligent à revenir à San-Francisco pour y chercher d’autres moyens d’existence. Ces moyens existent là comme aux placers ; mais, pour les émigrans que j’ai cités, ils ne peuvent guère être acceptés qu’à la condition d’immenses sacrifices.

L’émigrant qui possède quelques-unes des qualités nécessaires pour lutter avec l’Américain, c’est-à-dire l’esprit du négoce uni à une grande habileté et à une rare prudence, celui-là est certain de trouver en Californie à occuper son activité. Pour lui, le séjour des villes et des points commerçais sera plus avantageux que la vie nomade des chercheurs d’or. Quant à l’homme exercé dès sa jeunesse à une occupation analogue à celle des placers, aux travaux des champs par exemple, s’il est courageux et persévérant, il peut, lui aussi, envisager sa position en Californie avec assez de confiance. L’émigrant de cette classe arrive ordinairement à recueillir à la fin de la journée une quantité de métal représentant une valeur de 4 à 5 piastres en moyenne, ce qui correspond à 20 ou 25 francs, tandis que ses dépenses peuvent ne pas s’élever à plus du quart de cette somme.

On ne saurait trop le répéter, le travail des placers exige une persévérance d’autant plus grande qu’il est soumis à des influences dont la moins pénible n’est pus celle d’une température qui s’élève pendant quelques mois de l’année à plus de 40 degrés centigrades. Trop souvent le mineur, même fort expérimenté, abandonne une place où son travail était amplement rémunéré pour se transporter vers d’autres lieux qu’une importante découverte vient de lui signaler. Les résultats obtenus sur ces terrains devraient au contraire le mettre en défiance, car il est généralement reconnu que près des endroits où a existé une pépite de belle dimension et par conséquent d’une valeur élevée, le précieux métal ne se trouve plus que dans des proportions très minimes. Quoi qu’il en soit, et malgré tant de chances contraires, le travail des fouilles des terrains aurifères offre toujours des revenus, sinon brillans, du moins très acceptables pour la classe d’hommes qui sont appelés à s’y livrer. Je citerai, à cette occasion, un des plus laborieux chercheurs d’or parmi ceux que j’ai rencontrés en Californie. Un ancien soldat d’artillerie, plus tard cultivateur dans l’un des départemens du midi de la France, ne trouva pas même assez d’or pour vivre pendant les six premiers mois de son séjour aux mines ; ses camarades, mieux partagés, l’assistèrent en lui prêtant un peu de l’or qu’ils avaient su découvrir en plus grande abondance. Continuant toujours à travailler avec la même ardeur que s’il eût été favorisé dès son début, il parvint à recueillir successivement, pendant les trois mois suivans, la valeur de trois mille piastres, c’est-à-dire plus de quinze mille francs. Cet exemple n’est pas le seul que je pourrais citer ; plusieurs de nos compatriotes jouissent aujourd’hui paisiblement du fruit de leurs travaux et des privations morales et physiques qu’ils se sont imposées en venant en Californie. Presque tous ces derniers appartiennent à cette classe d’hommes de la campagne, laborieux, sobres et patiens, que les difficultés ne découragent pas, et qui comptent seulement sur leurs efforts personnels pour acquérir, par d’opiniâtres efforts, ce que le destin, qui distribue les positions sociales, ne leur a point dévolu.

Une autre catégorie de chercheurs d’or français, marins de profession et ayant fait partie des équipages de nos navires de commerce qu’ils abandonnaient par une désertion générale dès leur arrivée dans le port de San-Francisco, a été souvent favorisée par le travail des fouilles des terrains aurifères. Cette classe d’hommes qui, encore plus que la précédente, est habituée par état à supporter tous les climats de la terre et à endurer de nombreuses privations, est parvenue plus d’une fois à faire de riches découvertes. Malheureusement une conduite déréglée, des goûts extravagans lui enlevaient presque toujours le fruit de si pénibles labeurs.

Jusqu’en 1850, des hommes aventureux, un petit nombre de vrais travailleurs et une foule d’émigrans impropres au pénible labeur des mines composaient la population française en Californie. Depuis le commencement de l’année dernière et même dès la fin de 1850. l’émigration française a pris un tout autre caractère ; ce ne sont plus d’anciens fonctionnaires et des ouvriers invalides comme ceux que transportèrent presque exclusivement à San-Francisco les premiers navires partis du Havre, Ce sont presque tous aujourd’hui de ces hommes robustes et sobres qui auront raison des difficultés créées par la nature, en recherchant quelquefois le précieux métal dans les parties du sol les plus impénétrables, et qui rivaliseront de zèle avec l’entreprenant Américain et le nonchalant, mais adroit Mexicain, dans les fouilles des terrains aurifères de la Californie. Pour les hommes dont je viens de parler, mais seulement pour eux, le moment est et sera long-temps encore favorable à une émigration vers les plages californiennes. Les conditions actuellement faites au mineur y sont peut-être plus avantageuses qu’à l’origine de la découverte des gisemens. À cette époque, il ne s’agissait cependant que de gratter le sol pour en extraire journellement la valeur de 60 à 80 francs, et même au-delà ; mais qu’importe au mineur de recueillir par jour une pareille valeur, s’il doit en déduire les cinq sixièmes pour ce qui peut être appelé le prix de la main-d’œuvre, c’est-à-dire l’alimentation et l’entretien de sa personne ? Aujourd’hui le chercheur d’or ne trouve plus que la valeur de 20 à 25 francs, il est vrai, mais il n’est plus astreint qu’à une dépense qui peut ne pas excéder 1 piastre ou 5 francs, en satisfaisant complètement aux premières nécessités de la vie[6]

Les intérêts français en Californie acquièrent de jour en jour une importance plus considérable, autant par le nombre de nos émigrans que par le chiffre élevé des capitaux qui s’y trouvent engagés. Le goût de nos produits, nos usages et nos habitudes tendent à se propager dans un pays qui est appelé à devenir un des plus vastes entrepôts du monde. Les améliorations qui ont été obtenues dans les dernières années et celles qu’on est sur le point de réaliser dans les moyens de transport[7] vont placer prochainement le port de San-Francisco au même rang que celui de New-York, sur les rives de l’Atlantique. L’opinion publique s’est déjà prononcée si énergiquement aux États-Unis pour l’exécution du chemin qui doit traverser le continent américain dans sa plus grande largeur, qu’il est permis d’espérer de voir, dans un temps peu éloigné, s’opérer la jonction des deux rives orientale et occidentale de l’Amérique, entre New-York et San-Francisco. Ici les difficultés sont immenses, le travail est gigantesque ; mais les obstacles de la nature sont autant d’attraits pour l’énergique persévérance du peuple américain. Les mines de la Californie, en attirant sur les fertiles rivages de l’Océan Pacifique une population jeune, active et entreprenante, doivent exercer sur la civilisation et le développement du génie humain une incalculable influence. La France a compris le rôle que lui imposent ces grandes éventualités, et aujourd’hui vingt mille de ses enfans la représentent noblement sur ces plages lointaines.


MARTIAL CHEVALIER.

  1. Ce taux est déterminé par la journée du chercheur d’or, qui est aujourd’hui de 20 à 25 francs, et qui était, il y a moins de deux ans, de 60 à 80 francs.
  2. Je visitai en 1851 le champ d’exploitation désigné par les mineurs sous le nom de Long-Bar, sur les bords de la rivière Yuba, l’un des affluens du Sacramento ; les alluvions qui y sont déposées, presque entièrement abandonnées alors, sont néanmoins fort riches ; partout je voyais l’or briller de son éclat métallique. En expérimentant sur un volume d’alluvion d’environ 80 décimètres cubes, je retirai par le procédé le plus simple, c’est-à-dire en faisant usage de la bâtée, une valeur correspondant à 2 fr. 50 c. La même opération, répétée sur d’autres points, donna des résultats presque équivalens.
  3. Les riches gisemens de cinabre (bi-sulfure de mercure) exploités depuis quelques années en Californie par M. Forbes, consul de sa majesté britannique, et d’autres non moins importans qu’on a découverts ou mis récemment en exploitation, répandent sur le marché de San-Francisco ce métal en assez grande abondance pour le maintenir toujours à des prix peu élevés.
  4. Voyez la livraison du 1er novembre 1851.
  5. L’effet déterminé par cet accroissement si considérable, dans la production de l’or ne peut être cependant immédiat, il sera atténué quelques années encore par des exigences nouvelles à satisfaire et par des besoins qui se l’ont sentir depuis long-temps. L’or sera bientôt d’un emploi plus universel qu’aujourd’hui dans la confection des objets de luxe, il va se répandre dans les pays où il circule encore très lentement, comme en Allemagne, en Prusse et surtout en Autriche, où la pénurie des monnaies d’or est si complète, qu’on y est obligé de se servir presque exclusivement de papier-monnaie ; enfin, dans le système monétaire, l’or parait appelé, dans un avenir peu éloigné, à se substituer presque intégralement, d’une manière successive, à l’argent, qui, par son poids et son volume encombrant, offre de réels inconvéniens dans les transactions usuelles. Dans ces derniers temps, l’active fabrication en France des pièces de 20 fr. et de 10 fr. et l’émission considérable aux États-Unis d’aigles et demi-aigles (26 fr. et 13 fr.) ont diminué les demandes de l’argent en le rendant par conséquent moins rare comme métal. Avant 1850, le monnayage de l’or en France avait varié de 2,080,420 fr. (en 1846) à 39,697,740 fr. (en 1848) ; en 1850, il s’est élevé à 85 millions, et en 1851 il est parvenu à 254,500,000 fr pour les dix premiers mois seulement, ce qui suppose une émission de plus de 300 millions pour l’année entière. Aux États-Unis, pendant la période prolongée de 1792 à 1847 inclusivement, c’est-à-dire pendant cinquante-cinq ans, le monnayage en pièces d’or représente une valeur de 72,565,928 dollars ou environ 362,829,640 fr.* donnant une moyenne de 6,596,902 fr., tandis que, pendant l’année 1851 seulement, il a été frappé en aigles doubles, aigles, demi-aigles et dollars une somme équivalente à 52,143,446 dollars ; représentant 260 millions 717,230 fr., c’est-à-dire quarante fois l’émission annuelle et moyenne antérieure à l’année 1847.
    • Le monnayage des monnaies d’argent avait été, dans la même période, de 71,426,465 dollars ou environ 357,132,325 fr.
  6. Grâce à la facilité des voies de communication, des dépôts et marchés considérables pour l’approvisionnement du mineur sont placés à proximité des terrains exploités de manière à lui permettre d’acheter lui-même, sans intermédiaire, les objets nécessaires à sa consommation. Ce que l’émigrant payait, il y a moins de trois ans, des prix excessifs et fabuleux auxquels refusaient de croire nos ménagères d’Europe, est généralement obtenu aujourd’hui à des prix presque ordinaires, au moins pour les Américains. À l’origine, la farine coûtait, près des lieux où l’or est extrait, 10 fr. la livre, le sucre et le café 20 fr. ; un œuf frais y a été payé jusqu’à quarante francs ! Les autres denrées étaient vendues en proportion. Actuellement le pain frais ne revient qu’à 50 centimes la livre, et les principales substances alimentaires peuvent souvent être acquises aux mêmes conditions qu’en Europe.
  7. D’une part entre les métropoles orientales des États-Unis et la partie occidentale du nouveau continent, d’autre part entre San-Francisco et la Chine, par de nouvelles lignes de steamers qui verseront en Californie tous les produits de l’Asie et de l’Océanie.