La Capitulation de Soissons en 1814

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LA
CAPITULATION DE SOISSONS
EN 1814
D’APRÈS LES DOCUMENS ORIGINAUX


La capitulation de Soissons est l’événement le plus funeste de notre histoire, après celui qui devait un an plus tard s’accomplir à Waterloo.

THIERS.


La campagne de France, où l’intrépidité des soldats fut égale au génie du capitaine, a trois phases distinctes. La première période, qui s’étend du 25 janvier au 8 février 1814, est marquée par les progrès menaçans des alliés. En vain Napoléon a vaincu à Brienne, en vain il s’est maintenu douze heures à La Rothière contre des forces trois fois supérieures : il bat en retraite. La situation paraît désespérée, le résultat de la guerre proche et certain. L’armée de Bohême et l’armée de Silésie ont fait leur jonction ; elles marchent de concert sur Paris, où elles vont acculer l’empereur et sa dernière armée. Napoléon se sent impuissant devant l’invasion; il ne compte plus sur ses troupes, à peine compte-t-il sur lui-même. Son seul, son suprême espoir, c’est une faute de l’ennemi.

La seconde période, signalée par tant de victoires, pleine de tant d’espérances, s’ouvre le 9 février et se ferme le 2 mars. Tout change. La faute stratégique attendue par Napoléon, les alliés l’ont commise. Au lieu de marcher sur Paris parallèlement, Blücher et Schwarzenberg ont marché excentriquement ; Blücher a tiré trop à droite, vers la Marne ; Schwarzenberg a tiré trop à gauche, vers l’Yonne. L’empereur se jette sur Blücher et bat successivement à Champaubert, à Montmirail, à Château-Thierry et à Vauchamps les quatre corps de l’armée de Silésie, les 10, 11, 12 et 14 février. Puis, laissant Marmont et Mortier en observation sur la Marne et l’Aisne, il marche contre Schwarzenberg, qu’il défait à Mormant, à Nangis, à Montereau, à Villeneuve, à Méry, et qu’il force de rétrograder jusque vers Chaumont et Langres. L’empereur alors revient sur Blücher, aux prises, entre la Marne et l’Ourcq, avec Marmont et Mortier. — Le 2 mars, la situation est celle-ci : les armées de la coalition sont battues et désunies; l’armée de Bohême est à soixante-quinze lieues au sud-est de Paris, l’armée de Silésie est en retraite vers le nord. Vainqueur dans dix combats depuis vingt jours. Napoléon passe la Marne à la tête de 35,000 hommes; ses derrières et son flanc droit sont couverts par les 30,000 hommes de Macdonald et d’Oudinot, qui gardent la ligne de la Seine; ses communications sont établies sur son flanc gauche avec les 20,000 hommes de Marmont et de Mortier, qui poursuivent vigoureusement les Prusso-Russes. Lui-même est au moment d’atteindre Blücher et de détruire l’armée de Silésie.

La troisième période commence le 3 mars et se termine le 30, date de la capitulation de Paris. Le sort journalier des armes tourne contre l’empereur. Les derniers efforts des Français n’aboutissent qu’à des victoires indécises ou stériles, comme Craonne, Reims, Arcis-sur-Aube, Saint-Dizier, et à des défaites glorieuses, comme Laon, Fère-Ghampenoise et Paris. Le 3 mars, l’armée de Silésie opère sa jonction sur l’Aisne avec les corps de Winzingerode et de Bulow ; ces renforts portent les forces de Blücher de 50,000 à 100,000 combattans. Le 7 mars, malgré l’avantage du nombre et d’une position formidable, les alliés sont délogés du plateau de Craonne; mais, dans les sanglantes journées des 9 et 10 mars, ils résistent à l’empereur sous Laon et le contraignent à battre en retraite vers Reims. De leur côté, les 100,000 hommes de Schwarzenberg, ayant repris l’offensive, ont franchi l’Aube et s’avancent dans la direction de Montereau. La tactique qui a si bien réussi à Napoléon pendant la deuxième période de la campagne, tactique consistant à attaquer tour à tour Blücher et Schwarzenberg, n’est plus praticable. L’armée de Silésie est en marche pour se réunir à l’armée de Bohème, et si Napoléon, qui n’a pas d’avance sur Blücher, se porte contre Schwarzenberg, il risque d’avoir à combattre les deux armées réunies ou d’être écrasé entre elles deux. L’empereur alors se dirige sur la Lorraine, où des renforts l’attendent; il compte attirer à sa suite l’ennemi, menacé dans ses lignes de communications. Mais cette audacieuse manœuvre ne déconcerte point les alliés. Ils masquent leur mouvement à Napoléon par un grand rideau de cavalerie et marchent droit sur Paris.

Le passage de la seconde à la troisième période est marqué par la date du 3 mars 1814, jour de la capitulation de Soissons. La reddition de cette place n’est-elle qu’un simple incident; est-ce au contraire un événement capital ? Doit-on croire, avec les apologistes de Blücher, que la prise de Soissons fut sans effet sur la marche des opérations? Faut-il admettre, avec Joseph, avec Marmont, avec Thiers, que si Soissons avait résisté vingt-quatre heures de plus, l’issue de la campagne aurait été changée?


I.

Les opérations militaires, dont le résultat fut modifié peut-être par la capitulation de Soissons, le 3 mars 1814, et qui aboutirent aux batailles de Craonne et de Laon, les 7 et 9 mars, commencèrent le 24 février. Ce jour-là, l’armée de Silésie, qui était à Méry-sur-Seine, menaçant le flanc de l’armée impériale, quitta cette position et rétrograda jusqu’à Anglure, où elle franchit l’Aube. C’était le premier mouvement d’une marche sur Paris, soudainement et hardiment conçue par le feld-maréchal Blücher[1].

Après avoir, du 16 au 19 février, reformé à Châlons ses différens corps d’armée, Blücher s’était dirigé vers Troyes, afin d’y renforcer le prince de Schwarzenberg, en pleine retraite. Arrivé le 21 à Méry, le feld-maréchal avait disputé le lendemain, avec succès, le passage de la Seine à l’avant-garde française (Napoléon, qui avait une autre route pour se porter sur Troyes, n’engagea point un combat sérieux). Le 23, comme Blücher se préparait à continuer sa marche parallèlement à celle de l’empereur, il reçut l’avis que les corps d’armée des généraux Winzingerode et Bulow, le premier fort de 30,000 hommes, le second de 17,000 étaient désormais placés sous ses ordres et qu’ils le rejoindraient dans peu de jours ; il fut informé en même temps que toute initiative lui était laissée. L’adjonction des corps de Winzingerode et de Bulow doublait l’effectif de l’armée de Silésie. Blücher conçut un nouveau plan. Au lieu de suivre Napoléon, qui lui-même poursuivait l’armée de Bohême, il marcherait sur Paris. Entre Paris et lui, il n’ignorait pas qu’il y avait le petit corps du maréchal Marmont ; mais cette poignée de Français ne pouvait opposer une résistance efficace à son armée, dont le chiffre s’élevait à près de 50,000 soldats; 13,500 hommes du corps d’York, 10,000 hommes du corps de Kleist, 13,700 du corps de Sacken, et environ 11,000 hommes, détachés du corps de Langeron, sous les ordres des généraux Kapzewitch, Rudzewitch et Korff. A la vérité, Blücher s’attendait d’avoir à combattre sous les murs de Paris des forces assez considérables ; mais, avant qu’il fût arrivé là, il comptait être rejoint par Winzingerode et Bulow, qui étaient le 24 février, le premier à Reims et le second à Laon, et dont il se rapprochait en remontant vers la Marne. D’autres renforts encore étaient en route. Le général comte de Langeron, qui avait quitté Mayence le 2 février, sur les ordres pressans de Blücher, était le 24 à Vitry-le-François, et son lieutenant, comme lui émigré au service de la Russie, le général comte de Saint-Priest, entrait alors en Lorraine. Blücher pensa que si une partie seulement de ces troupes le rejoignait à temps, les autres serviraient à protéger ses derrières contre un retour éventuel de Napoléon. D’ailleurs, pour le moment, le feld-maréchal croyait n’avoir rien à redouter de l’empereur. Il le savait entraîné à la poursuite de l’armée de Bohême et estimait que les 100,000 hommes du prince de Schwarzenberg suffiraient à l’occuper quelques jours.

Ainsi, le 24 février, Blücher se mit en marche, ayant pour objectif tactique Marmont, et pour objectif stratégique Paris. Le 25, les têtes de colonnes de l’armée de Silésie attaquèrent le petit corps de Marmont, sur les hauteurs de Vindé, en arrière de Sézanne. Les Français se retirèrent à pas comptés, couverts par des échelons d’artillerie qui arrêtèrent les charges incessantes de la cavalerie ennemie. Le 26, Marmont atteignit La Ferté-sous-Jouarre, toujours suivi par les Prussiens de Kleist et d’York, tandis que les Russes de Sacken et de Kapzewitch marchaient directement sur Meaux par la grande route de Coulommiers. A La Ferté-sous-Jouarre, Marmont fut rejoint par le maréchal Mortier, auquel il avait demandé de réunir ses forces aux siennes, selon les ordres du major-général. Les deux maréchaux se trouvaient désormais à la tête d’une dizaine de mille hommes. Ils résolurent de défendre à tout prix la rive droite de la Marne, de façon à couvrir Paris, et ils passèrent la rivière à Trilport dans la matinée du 27. Marmont dirigeait le passage des troupes, lorsqu’il entendit soudain une vive fusillade du côté de Meaux. Il y court en un temps de galop, rallie dans les rues deux ou trois cents hommes, canonniers de la marine et gardes nationaux, et, mettant l’épée à la main, charge les Russes, qui déjà s’étaient emparés du pont du Cornillon et de l’une des portes de la ville. L’ennemi recule et abandonne le pont, que les canonniers brûlent presque sous ses pas. Le gros des troupes françaises arrive de Trilport. Le corps de Marmont s’établit à la droite de la ville, le corps de Mortier à la gauche. Les Russes, renonçant à l’attaque, bivouaquèrent sur les hauteurs qui dominent Meaux au sud. Toute la nuit on vit leurs feux; le lendemain, 28 février, ces troupes avaient disparu.

Blücher, n’osant pas forcer le passage de la Marne sous le tir convergent des deux maréchaux, avait combiné un autre mouvement qui consistait à traverser la rivière à La Ferté-sous-Jouarre, où ne se trouvait plus un seul Français, et dont le pont n’avait pas été détruit. L’armée de Silésie s’avancerait ensuite jusqu’à Lizy-sur-Ourcq ; et, le passage de l’Ourcq effectué sur ce point, elle viendrait prendre à revers les Français restés devant Meaux. La brusque disparition des Russes et l’examen de la carte révélèrent à Marmont le plan de Blücher. Sans différer il quitta sa position de Meaux et se porta sur Lizy-sur-Ourcq. Mais le corps de Kleist, tête de colonne de l’armée de Silésie, avait déjà franchi l’Ourcq et s’était solidement établi à Gué-à-Tresme, derrière la Thérouanne. Kleist comptait résister là aux Français, ou du moins les arrêter assez longtemps pour permettre au gros de l’armée d’arriver au bord de l’Ourcq et de passer cette rivière sans coup férir. Mortier avait suivi Marmont. Les deux maréchaux se décidèrent à attaquer Kleist, quel que fût l’avantage de sa position et bien que le jour commençât de tomber. Une division de la vieille garde, commandée par le général Christiani, s’élance à l’attaque ; Marmont, avec tout ce qu’il a d’infanterie, appuie le mouvement. Après une heure d’un furieux combat, les Prussiens plient de tous côtés et se retirent à plus de huit kilomètres en arrière, par la route de La Ferté-Milon. La nuit était venue, et Mortier était d’avis de s’arrêter jusqu’au lendemain sur la position conquise. Mais Marmont, stratégiste plus sagace, représenta au duc de Trévise que leur succès serait sans effet s’ils n’occupaient point avant le jour la rive droite de l’Ourcq, qu’il fallait défendre coûte que coûte. Après quelques instans de repos donnés aux troupes, on se remit en mouvement. Une petite marche de nuit porta Mortier à Lizy-sur-Ourcq. Marmont s’avança un peu plus loin, au-dessus du village de May, que Kleist, restant toujours sur la rive droite de l’Ourcq, avait dépassé dans sa rapide retraite.

Le lendemain, 1er mars, Blücher dont toute l’armée était arrivée au bord de l’Ourcq, prit ses dispositions pour passer cette rivière qui lui barrait la route de Paris. Ardent comme l’était le feld-maréchal, son esprit ne pouvait concevoir, sa vanité ne pouvait souffrir qu’une poignée de Français s’avisât de disputer le passage d’un méchant ruisseau à une armée de 48,000 hommes qu’il commandait en personne. L’ennemi exécuta deux attaques simultanées. Sacken fit une énergique démonstration sur Lizy que défendait Mortier, tandis que Kleist, par la rive droite de l’Ourcq, et Kapzewitch, par la rive gauche, tentaient d’enlever les positions de Marmont à May et à Crouy. Prussiens et Russes furent également bien reçus, d’autant mieux reçus que, pendant la nuit, il était arrivé de Paris aux deux maréchaux 7 à 8,000 hommes de troupes fraîches, dont la 3e division de la jeune garde, qui comptait plus de 5,000 fusils.

Blücher voulait renouveler l’attaque le lendemain, mais dans la nuit du 1er au 2 mars, il apprit, par les coureurs du général Korff, des nouvelles qui le forcèrent à changer complètement ses combinaisons stratégiques. Il devait renoncer à l’offensive et battre en retraite au plus vite. Napoléon, à la tête d’un nombre d’hommes que le feld-maréchal ne pouvait évaluer au juste, mais qu’il était porté, comme tous les généraux alliés, à exagérer, marchait sur lui à grandes journées. Averti le 25 février, par une lettre de Marmont, du mouvement des Prussiens sur Paris, l’empereur avait ce jour-là même mis ses troupes en marche. Le 27, il avait quitté Troyes avec sa garde; le 1er mars il était à Jouarre et, le 2, dans la matinée, il arrivait à La Ferté-sous-Jouarre, au bord de la Marne. L’armée impériale comptait environ 35,000 combattans. L’empereur avait avec lui Victor et les divisions de la jeune garde Charpentier et Boyer ; Ney et les divisions de la jeune garde Meunier et Curial et une brigade d’Espagne; Triant et la vieille garde; Drouot et la réserve d’artillerie avec 100 bouches à feu; la division du duc de Padoue; enfin, 10,000 cavaliers de la garde et des dragons d’Espagne. Si Blücher n’avait eu la prévoyance de faire détruire le pont de La Ferté, Napoléon, dans la journée du 2 mars, fût tombé sur l’armée de Silésie en pleine retraite. « Si j’avais eu un équipage de ponts, écrivait-il ce jour-là au duc de Feltre, j’exterminais Blücher. »

L’empereur ne disait là que la vérité. Lorsqu’il apprit la marche de Napoléon, le feld-maréchal n’eut plus qu’une idée, celle de se dérober au plus vite à l’étreinte menaçante de l’armée impériale. Il s’en explique sans réticences dans l’ordre général daté de Fulaines, le 2 mars :


... Comme l’empereur Napoléon, venant d’Arcis, a passé le 28 février à Sèzanne et qu’on ignore s’il traversera la Marne à Meaux, à la Ferté-sous-Jouarre ou à Château-Thierry ; comme en ces circonstances, notre jonction avec les généraux Bulow et Winzingerode devient de la plus haute importance, marcheront : le corps d’York, par la Ferté-Milon et Ancienville sur Oulchy, où il prendra position derrière l’Ourcq, son front vers Château-Thierry; le corps de Sacken, sur Ancienville; le corps de Langeron (Kapzewitch), sur La Ferté-Milon; le corps de Kleist, sur Bournonville et Marolles; les bagages sur Billy-sur-Ourcq...


Ainsi Blücher battait en retraite, et, ne sachant pas si les têtes de colonnes de l’armée impériale ne le joindraient point dès le lendemain matin, il marquait à ses troupes des lieux d’étapes qui pussent le cas échéant devenir des positions de combat. Quand il écrit, en effet, que York établira son front face à Château-Thierry et que les autres troupes, après avoir passé l’Ourcq, bivouaqueront derrière cette rivière, il indique qu’il acceptera la bataille si Napoléon le menace trop vite et de trop près, ou si des renforts arrivent à l’armée de Silésie.

C’était là l’espoir de Blücher. Le 24 février, le feld-maréchal avait envoyé l’ordre à Bulow et à Winzingerode de marcher immédiatement sur Paris, le premier, par Villers-Cotterets et Dammartin, le second, par Fismes, Oulchy et Meaux, et le 28 février, il avait reçu de Winzingerode une lettre l’informant que ses instructions seraient exécutées. D’après les calculs de Blücher, Winzingerode devait arriver à Oulchy le 1er ou le 2 mars, et Bulow devait se trouver à cette date sur la rive gauche de l’Aisne. Si donc l’armée de Silésie pouvait opérer sa jonction à Oulchy avec les corps de Winzingerode et de Bulow, Blücher s’arrêtait, faisait front et livrait bataille, ayant tous les avantages du nombre et de la position[2]. Mais cette espérance s’évanouissait d’heure en heure dans l’esprit de Blücher et de ses conseillers habituels, Gneisenau et Muffling. Comment admettre, en effet, que si les renforts attendus étaient à une journée de marche à peine de l’armée de Silésie, on n’en eût aucune connaissance ? Pourquoi les lieutenans de Blücher ne l’avertissaient-ils pas de leur arrivée? Pourquoi ne lui rendaient-ils pas compte de leurs opérations? Depuis trois jours, le grand quartier-général était sans nouvelles. Plusieurs officiers d’état-major envoyés à la découverte n’avaient point donné signe de vie. L’un d’eux, le major Brunecki, aide-de-camp de Kleist, avait bien envoyé de Braine, le 1er mars, deux dépêches annonçant que les corps de Winzingerode et de Bulow étaient à proximité de l’armée de Silésie, mais ces dépêches n’étaient pas arrivées au quartier-général. Le cosaque qui les portait s’était égaré et avait été fait prisonnier dans la forêt de Villers-Cotterets[3]. Les mouvemens prescrits par Blücher s’opérèrent dans la journée du 2 mars, mais non sans difficultés. Pour masquer la retraite de l’armée, Kleist poussa une forte reconnaissance offensive sur May. Marmont ne se laissa pas prendre au stratagème. Il avertit Mortier de la marche en retraite des alliés et l’invita à le rejoindre immédiatement. Les deux corps réunis reçurent vigoureusement les Prussiens de Kleist et les poursuivirent la baïonnette dans les reins. La marche de l’ennemi s’étant ralentie dans le défilé de Mareuil, son arrière-garde dut quelque temps faire face aux Français et perdit un grand nombre de soldats. L’ennemi se retira, toujours suivi par Marmont, qui franchit l’Ourcq à Fulaines. A minuit, les têtes de colonnes de Marmont arrivèrent à La Ferté-Milon, que Blücher venait à peine d’évacuer. Le lendemain matin, 3 mars, il restait encore une grande masse de troupes sur la rive gauche de la rivière, à Neuilly-Saint-Front. Marmont y courut et les attaqua avec vigueur. L’ennemi, pour arrêter l’élan des Français, mit en batterie vingt-quatre pièces de canons ; grâce à ce feu terrible, l’arrière-garde put achever de passer l’Ourcq. Dans cette chaude affaire, Marmont eut son cheval tué sous lui, traversé d’outre en outre par un boulet.

Bien que le 3 mars au matin, les alliés se trouvassent presque tous concentrés derrière l’Ourcq, la situation de Blücher ne s’était guère améliorée, car s’il avait passé l’Ourcq, Napoléon avait, de son côté, passé la Marne à La Ferté-sous-Jouarre, et il marchait sur l’armée de Silésie. L’avant-garde impériale s’était même avancée jusqu’à Recourt[4]. Chaque jour rapprochait davantage Napoléon de Blücher; déjà l’empereur et Marmont se donnaient la main, puisque de Recourt à Neuilly-Saint-Front il n’y a pas, à vol d’oiseau, plus de 8 kilomètres.

Blücher, nous l’avons dit, espérait trouver à Oulchy, où il arriva dans la nuit du 2 au 3 mars, le corps de Winzingerode ; mais il n’y trouva pas même la moindre nouvelle de ce général. Dans ces circonstances, il y avait pour le feld-maréchal trois partis à prendre. Le premier consistait à s’arrêter derrière l’Ourcq et à attendre dans cette position l’attaque de Napoléon. C’était l’idée que Blücher avait la veille. Mais, d’une part, les renforts sur lesquels il comptait lui faisaient défaut ; d’autre part, Marmont et Mortier, occupant La Ferté-Milon, se trouvaient maîtres du passage de l’Ourcq, et tandis que Napoléon eût abordé l’armée de Silésie de front, les deux maréchaux l’eussent prise en flanc. Le second parti était d’accélérer la retraite, d’atteindre l’Aisne par le chemin le plus direct et de passer cette rivière à Soissons. Mais Blücher n’ignorait pas que Soissons était aux Français, et il ne pouvait songer à emporter cette place en une journée. Or une journée, c’était toute l’avance qu’il eût sur Napoléon ; dans moins de vingt-quatre heures, l’empereur tomberait sur lui. Le troisième parti, enfin, était de se dérober aux Français par la route du nord-est. Il remonterait l’Aisne jusqu’à Berry-au-Bac, où il la traverserait. Mais là encore, Blücher risquait de se heurter à Napoléon, qui pouvait manœuvrer de façon à lui couper sa ligne de retraite.

L’armée de Blücher était dans le pire état de fatigue et de misère. Depuis soixante-douze heures, les troupes avaient livré trois combats et fait trois marches de nuit. Depuis une semaine, elles n’avaient reçu aucune distribution[5]. Depuis le 22 février, plusieurs régimens de cavalerie, entre autres les dragons de Litthau, n’avaient point dessellé; beaucoup de chevaux étaient fourbus, presque tous étaient blessés au garrot[6]. Des trains d’artillerie, embourbés dans des chemins de traverse défoncés par le dégel, en étaient réduits, pour continuer leur marche, à abandonner des caissons de munitions, qu’ils faisaient sauter[7]. Les fantassins allaient pieds nus et en guenilles, portant des armes rouillées. Exténués et affamés, ces soldats marchaient sans ordre, murmurant contre leurs chefs et vivant à la fortune du pillage[8]. Le 3 mars, en arrivant à Oulchy, le général York fit former le cercle à ses brigadiers et à ses colonels. « Je croyais, dit-il, avoir l’honneur de commander un corps d’armée prussien ; je ne commande qu’une bande de brigands. Je suis résolu à faire passer en cour martiale les officiers qui ne sauront pas maintenir la discipline parmi leurs troupes[9]

Avec une pareille armée, et les renforts attendus faisant défaut, Blücher ne pouvait s’arrêter à Oulchy pour y livrer bataille. D’autre part, Soissons était fermé. Restait donc la retraite par Berry-au-Bac ; mais Blücher hésitait à entreprendre une marche de flanc toujours périlleuse. Après bien des hésitations, il s’arrêta à un moyen terme, qui consistait, si la chose était possible, à passer l’Aisne sur plusieurs points : une fraction de l’armée passerait à Berry-au-Bac ; les autres fractions sur un pont de bateaux qu’on établirait entre Soissons et Vailly[10]. Les dispositions furent prises en conséquence. D’après l’ordre de marche pour la journée du 3, daté d’Oulchy, 3 mars, six heures du matin, il fut prescrit aux troupes de se diriger partie sur Fismes, partie sur Buzancy, partie dans la direction de Soissons. Le mouvement devait commencer à midi pour les bagages, de trois à quatre heures seulement pour l’infanterie[11]. Ce retardement s’explique par la nécessité où se trouvait Blücher de laisser à ses troupes une demi-journée de repos. En même temps qu’il dictait cet ordre de marche à Gneisenau, son chef d’état-major, le feld-maréchal envoyait un aide-de-camp avec mission de voir où l’on pourrait jeter un pont sur l’Aisne. Blücher en personne devait se rendre de bonne heure à Buzancy, désigner l’endroit précis aux pontonniers, et faire tenir aux colonnes des ordres définitifs pour le passage.

A peine cet ordre de marche, qui trahit assez l’embarras où se trouvait Blücher, était-il communiqué aux chefs de corps, que le feld-maréchal reçut enfin des nouvelles de ses deux lieutenans. Une estafette, venue à franc étrier, lui remit, vers sept heures du matin, cette lettre de Winzingerode, datée du bivouac devant Soissons, 3 mars, cinq heures du matin :


J’apprends que Votre Excellence se retire par Oulchy. Soissons étant occupé par l’ennemi et une tentative de prendre cette place ayant échoué hier, je ne puis croire autre chose, sinon que Votre Excellence se dirigera sur Reims par Fismes. Dans ces circonstances, je crois bien agir en faisant traverser par la plus grande partie de mon infanterie l’Aisne à Vailly, où Bulow a jeté un pont. Pour moi, j’attendrai le point du jour devant Soissons avec une division d’infanterie et toute ma cavalerie, et s’il n’est rien survenu de nouveau d’ici là, je me mettrai en route au lever du jour pour Fismes, où je m’établirai dans une bonne position.


Ces nouvelles n’étaient pas, il s’en faut, celles qu’attendait Blücher. Ses ordres si précis du 24 février, relatifs à la marche sur Paris, par Fismes et Oulchy, n’avaient pas été exécutés. Winzingerode ayant appris, le 27 février, le mouvement offensif de Napoléon, avait jugé que, dans ces circonstances, il importait à Blücher d’avoir sa retraite par l’Aisne assurée[12]. Or, le meilleur passage de l’Aisne pour l’armée de Silésie, c’était le pont de Soissons. Il avait donc écrit à Bulow, l’engageant à se porter de Laon sur Soissons, tandis que lui-même s’y porterait de Reims ; la place, attaquée par la rive droite et par la rive gauche, serait enlevée en vingt-quatre heures[13]. Bulow avait acquiescé au plan de Winzingerode. Le 1er mars, ces deux corps s’étaient mis en marche; le 2, ils avaient investi Soissons; mais le 3, comme on l’a vu par la lettre de Winzingerode à Blücher, cette ville, qui semblait faire bonne résistance, ne s’était pas rendue, et, comme on l’a vu par la même lettre, le commandant de l’armée russe, désespérant d’enlever la place en temps opportun, se disposait à lever le siège[14].

Certes, il y avait là de quoi surprendre et irriter Blücher (sa colère fut vive, à entendre Muffling.) Non-seulement Winzingerode n’avait pas suivi ses instructions et avait ainsi empêché la concentration à Oulchy, qui était l’objectif indiqué; non-seulement il n’avait pas pris Soissons, ce qui eût justifié en une certaine mesure l’inexécution des ordres reçus, mais encore, sachant la situation périlleuse où se trouvait l’armée de Silésie, au lieu de réunir toutes ses troupes pour marcher rapidement à son secours, il les dispersait et les éloignait en les faisant passer sur la rive droite de l’Aisne[15].

Ce mouvement n’était pas de nature à modifier le plan de retraite conçu par Blücher. Le feld-maréchal maintint ses ordres, et, vers onze heures, il se rendit à Buzancy pour décider du point où devait être jeté le pont de bateaux. Le siège de Soissons au moment d’être levé, le corps de Bulow établi de l’autre côté de l’Aisne, les troupes de Winzingerode prêtes à se disperser sur la rive droite et sur la rive gauche de cette rivière, l’armée de Silésie battant en retraite, serrée de près par Marmont et menacée sur sa droite par Napoléon : telle était la situation dans la matinée du 3 mars. Blücher ne pouvait se dissimuler les périls qu’il courait lorsqu’à midi, il reçut à Buzancy, où il venait d’arriver, une lettre de Bulow lui annonçant que Soissons était pris et que la ligne de retraite était conséquemment assurée : « Je ne doute pas, terminait Bulow, faisant allusion à la sortie des Français avec armes et bagages, que Votre Excellence ne préfère la possession rapide de ce point actuellement si important à la capture incertaine de la garnison, et je me flatte que cet événement vous sera agréable. Il me semble d’autant plus important qu’on entend au loin une vive canonnade[16]... » L’événement, en effet, était important. La reddition de la petite ville de Soissons changeait la face des choses.


II.

Soissons, en 1814, comptait 8,300 habitans et s’étendait sur un périmètre de 4,500 mètres. L’Aisne, qui, à Soissons, coule du sud au nord, séparait la ville proprement dite du faubourg de l’Est (ou faubourg Saint-Vaast,) renfermé comme la ville elle-même dans l’enceinte continue. En dehors des fortifications s’élevaient d’autres faubourgs : le faubourg Saint-Médard, à l’est ; le faubourg de Reims ou faubourg Saint-Crépin, au sud-est; le faubourg de Crise, au sud ; le faubourg Saint-Christophe, à l’ouest. Soissons, qui commandait la grande route de Paris à Mons, était, par cela même, un point stratégique important. La place, bien fortifiée et occupée par une bonne garnison, eût pu faire une longue défense, car, au commencement de ce siècle, les bouches à feu ayant peu de portée, l’on ne pouvait battre les remparts des hauteurs environnantes[17]. Par malheur, les fortifications de Soissons, qui dataient du XVIe siècle, se trouvaient dans un état d’absolue dégradation. Tous les ouvrages extérieurs avaient été détruits, et la ville, qui avait à sa charge l’entretien des remparts, ne s’en inquiétait qu’au point de vue des intérêts de l’octroi ; on se contentait de fermer les petites brèches par lesquelles les fraudeurs pouvaient se glisser nuitamment. Les courtines manquaient de banquettes, la contrescarpe, dépourvue de revêtement, s’était, en maint endroit, éboulée dans le fossé, qui se trouvait à demi comblé. Enfin des auberges construites dans la zone militaire, près des portes de ville, s’élevaient à quelques mètres des remparts ; des combles de ces maisons on dominait le terre-plein de l’enceinte[18]..

Ce fut seulement au milieu de janvier 1814 qu’on s’occupa au ministère de la guerre de la place de Soissons. Les généraux Rusca, Danloup-Verdun et Berruyer, et le colonel du génie Prost, envoyés de Paris, firent commencer les travaux les plus urgens. On répara les brèches, on établit des banquettes, on pratiqua des embrasures, le talus de contrescarpe fut relevé, on brûla quelques-unes des maisons bâties dans la zone militaire, et deux cavaliers furent élevés en avant de la porte de Reims[19]. Les généraux, comptant être attaqués par le sud, avaient pourvu au plus pressé, négligeant un peu les travaux du front nord. Or, par la logique de la fatalité, ce fut de ce côté qu’eut lieu l’attaque des Russes, le 14 février 1814. Composée d’environ 4,000 hommes, presque tous conscrits et gardes nationaux mobilisés, dont la moitié seulement avait des fusils de munition, la garnison était suffisante comme nombre, mais non comme solidité. Pour toute artillerie, huit pièces de campagne servies, sous les ordres de quelques sous-officiers, par des charpentiers de la ville qui s’étaient volontairement improvisés canonniers. À midi, Winzingerode, dont les forces s’élevaient à une quinzaine de mille hommes, fit commencer le bombardement. À une heure, le général Rusca tombait mort, frappé d’un biscaïen à la tête. A deux heures, le feu des pièces de la place étant presque éteint, un bataillon russe pénétrait dans la ville par une ancienne brèche du rempart Saint-Médard, qu’on avait négligé de boucher, tandis que le gros des assaillans forçait la porte du faubourg Saint-Vaast. Il y eut panique. Les officiers ramenèrent leurs soldats au feu. On se battit sur le pont, dans les rues ; enfin, une partie de la garnison put opérer sa retraite par la porte Saint-Christophe et gagner la route de Compiègne. Winzingerode n’occupa point longtemps Soissons. Le 16 février, à la nouvelle des défaites des alliés à Champaubert et à Vauchamps, il évacua la ville, qui fut réoccupée, le 19, par les Français.

Napoléon, que le coup de main des Russes sur Soissons avait à la fois surpris et irrité, donna des ordres formels pour que la ville fût solidement défendue[20]. Le ministre de la guerre dépêcha à Soissons un de ses aides-de-camp, le colonel Müller, avec mission d’inspecter la place. Le rapport conclut que Soissons est tombé au pouvoir de l’ennemi, faute de mesures de défense qu’il eût été aisé de prendre, que la place peut être mise en quelques heures en état da résister, mais que, tout d’abord, « il faut envoyer à Soissons un commandant instruit et ferme[21]. » Le choix du ministre se porta sur un officier qui, rien du moins ne le fait supposer, n’était pas particulièrement instruit et qui, en tous cas, manquait de fermeté. C’était un général de brigade, nommé Moreau[22]. Le 11 février, il avait défendu, ou plutôt il s’était préparé à défendre Auxerre contre les Autrichiens, et Clarke, abusé sur cette prétendue défense, le croyait un foudre de guerre[23]. Le général Moreau partit pour Soissons, où déjà était l’assemblée une nouvelle garnison, peu nombreuse, à la vérité, mais composée de soldats aguerris : un bataillon de la Légion de la Vistule, fort de 800 hommes ; 100 artilleurs de la vieille garde ; 120 canonniers gardes-côtes ; 100 cavaliers des éclaireurs de la garde[24]. La place était armée de vingt canons (dix pièces de 4, huit pièces de 8 et deux obusiers). Outre les troupes de ligne, Moreau pouvait disposer pour la défense de 200 à 300 gardes nationaux de la ville[25]. Enfin, une brigade de gardes nationaux, d’un effectif de 2,550 hommes ayant déjà vu le feu, devait, sous peu de jours, venir compléter la garnison. Mais, par suite de retards et de confusions dans les ordres, ces troupes, qui étaient à Orléans, ne furent mises en route que le 28 et n’arrivèrent pas à Soissons[26].

Pour le seconder dans le commandement, le général Moreau avait le colonel d’artillerie Strols, le chef de bataillon du génie de Saint-Hillier, l’adjudant-commandant Bouchard, qui remplissait les fonctions de commandant de place, enfin le colonel Kozynski, de la Légion de la Vistule. Une commission municipale, siégeant en permanence, remplaçait le maire qui avait fui, le premier adjoint, qui avait fui et le deuxième adjoint, qui avait fui[27]. Presque toute la population aisée avait d’ailleurs quitté la ville. Moreau et Saint-Hillier se hâtèrent de compléter la mise en état de défense. On jeta bas les maisons qui dominaient le terre-plein du côté de la porte de Laon, et les matériaux servirent à garnir le rempart d’un parapet; on ferma les brèches, on excava le pied de l’escarpe, on immergea une partie des fossés, on plaça des chevaux de frise et des palanques en avant de la contrescarpe du faubourg Saint-Vaast; une forte palissade fut élevée sur le pont de l’Aisne. Il semble cependant que, soit manque de temps ou de bras, soit faute d’initiative, soit négligence, Moreau ne se conforma pas autant qu’il l’eût pu aux instructions si précises contenues dans la lettre de Clarke. Ainsi un certain nombre de maisons du faubourg qui pouvaient servir d’abris aux tirailleurs ennemis, ne furent pas démolies. Le ministre avait expressément recommandé de placer une fougasse sous le pont de l’Aisne. Moreau se contenta d’écrire lettre sur lettre pour demander 400 livres de poudre afin de faire fabriquer cette fougasse, et comme la poudre n’arrivait pas, il ne s’avisa point que l’explosion de quelques fourneaux de mine établis sous les piles suffiraient à disloquer le pont et à couper le passage[28].

Moreau croyait avoir du temps devant lui, et déjà Soissons était entouré d’ennemis. Le 1er mars, Moreau réitérait sa demande au ministre de la guerre de 400 livres de poudre de mine ; le 2 mars, il écrivait encore pour demander deux compagnies de renfort. Mais ces dépêches ne témoignent pas que Moreau se préoccupe le moins du monde de la proximité de l’ennemi. Il y parle même, comme de faits sans aucune importance, d’un parti de hussards prussiens enlevés par une reconnaissance de cavalerie et de l’arrivée dans l’Aisne du général Bulow, « qui est, dit-on, du côté de Laon[29]. » Moins d’une heure après avoir écrit cette lettre, Moreau allait savoir autrement que par des on-dit où était le général Bulow.

Ce jour-là, 2 mars, à 9 heures du matin, les grand’gardes signalèrent en même temps des masses ennemies qui s’avançaient de deux côtés différens. Sur la route de Reims, c’étaient les Russes de Winzingerode ; sur la route de Laon, c’étaient les Prussiens de Bulow. On sait que ces deux généraux avaient concerté cette marche sur Soissons ; ils arrivaient sous les murs de la ville au jour fixé et à l’heure dite avec une exactitude vraiment remarquable. Moreau fit prendre les armes. Les canonniers coururent aux bastions. Les Polonais du bataillon de la Vistule furent divisés en trois détachemens : l’un vint occuper les remparts du front sud; l’autre les remparts du front est; le troisième, comptant seulement une centaine d’hommes, forma avec les 100 cavaliers de la garde et la garde nationale une réserve qui se tint au centre de la ville, prête à se porter sur le point le plus menacé. Pendant que la petite garnison gagnait ses emplacemens de combat, l’ennemi faisant à dessein montre de ses forces, se déployait dans la plaine. Le corps de Winzingerode s’étendait, à cheval sur la route de Reims, sa droite à l’Aisne. Bulow avait rangé ses troupes en bataille dans la plaine de Crouy, face au faubourg Saint-Vaast[30].

Le premier coup de canon fut tiré par la place. A dix heures et demie, un boulet lancé du bastion Saint-Médard vint disperser un groupe de cavaliers russes qui s’était avancé à 300 mètres de la porte de Reims. Winzingerode envoya alors un parlementaire. Cet officier n’ayant point été reçu, les batteries ennemies ouvrirent le feu. Les défenseurs ripostèrent vigoureusement. Il y avait parmi les artilleurs de la garde un Soissonnais, nommé François Leroux, si habile pointeur qu’il démonta successivement trois des pièces de l’ennemi[31]. Mais quelles que fussent l’adresse et l’intrépidité des canonniers français, ce duel d’artillerie n’était point égal. Plus de trente pièces de 12 battaient les remparts, et la défense n’avait que vingt canons, dont dix de 4. À midi, plusieurs pièces des bastions étaient déjà démontées et un certain nombre de servans mis hors de combat. Vers trois heures, une forte colonne russe franchit la petite rivière de la Crise et s’élance à l’attaque des remparts. Quelques volées de mitraille et une furieuse mousqueterie arrêtent les assaillans. Kozynski, avec 300 Polonais, sort de la ville, charge l’ennemi et le repousse la baïonnette dans les reins jusqu’au faubourg Saint-Crépin. Là, les Russes font tête, leurs tirailleurs postés dans les maisons. Une dernière charge les débusque de la position et les rejette loin dans la plaine. Quelques instans plus tard, l’ennemi tenta une seconde attaque qui n’eut pas plus de succès. Le bombardement reprit et ne s’arrêta qu’à dix heures du soir. La journée, où artilleurs et fantassins s’étaient vaillamment comportés, coûtait à la petite garnison de Soissons 23 morts et 120 blessés. Parmi ceux-ci, on comptait plusieurs officiers, entre autres le colonel Kozynski, atteint d’une balle en conduisant ses hommes à l’attaque du faubourg Saint-Crépin[32]. L’ennemi avait aussi perdu beaucoup de monde, mais en raison du grand nombre de ses troupes, ces pertes ne l’affaiblissaient pas sérieusement.

Winzingerode néanmoins ne laissait pas d’être inquiet. Les choses ne marchaient point de la façon qu’il aurait voulu. La garnison faisait trop bonne contenance pour qu’on pût espérer emporter la place par un coup de main, comme cela s’était passé le 14 février ; d’autre part, après douze heures continues de bombardement, on n’avait pas fait brèche. La muraille était à peine entamée, et quand cela eût été, une forte gelée, soudain survenue, rendait la terre de la masse couvrante dure et résistante comme de la pierre. Il faudrait battre le rempart douze heures encore, trente-six peut-être pour faire une brèche praticable[33]. Au plus tôt pourrait-on donner l’assaut le surlendemain 4 mars, et cet assaut réussirait-il ? Or, dans les conditions particulières où se trouvaient les assiégeans, pressés d’avoir le passage du pont de la ville, il ne s’agissait pas de prendre Soissons, avec plus ou moins de gloire, à un jour indéterminé : il fallait l’occuper immédiatement. Winzingerode pensa que des négociations pourraient peut-être lui livrer la place. À dix heures et demie du soir, il envoya un parlementaire. La même idée était venue à l’esprit de Bulow, si bien que, au moment même où le colonel de Lowenstern se présentait à la porte de Reims, au nom du commandant de l’armée russe, le capitaine Mertens se présentait à la porte de Crouy au nom du général prussien. Les deux officiers demandèrent à être conduits près du commandant supérieur, ce qui leur fut accordé sans difficulté. Moreau les reçut dans son appartement particulier[34].

Un officier énergique et bien résolu à se défendre eût arrêté l’entretien au premier mot de capitulation. Le commandant de Soissons n’avait pas à compter encore avec une situation désespérée. Ses remparts étaient à peu près intacts, ses troupes, que douze heures de bombardement et une sortie meurtrière n’avaient diminuées que d’un dixième, avaient montré la plus rare intrépidité, ses munitions étaient en abondance, la nuit allait permettre de réparer les embrasures, les abris, et de replacer en batterie les pièces démontées. De plus, pendant la journée, on avait entendu le canon dans la direction de l’Ourcq[35]. Moreau ne l’ignorait pas, et ce fait d’une si haute importance pour des assiégés devait lui faire repousser toute idée de reddition immédiate. En tout cas, il pouvait sans péril différer les pourparlers jusqu’au lendemain. C’était toujours huit heures de gagnées, huit heures de nuit pendant lesquelles l’ennemi n’était pas à redouter si les grands’gardes ne se laissaient pas surprendre. Au cas où il paraîtrait impossible, le lendemain matin, de continuer la défense, il serait toujours temps de hisser le drapeau parlementaire. Moreau se montra donc à tout le moins inconsidéré en écoutant complaisamment les envoyés de l’ennemi.

Le capitaine Mertens, aide-de-camp de Bulow, était un fin diplomate et un habile parleur. Trois jours auparavant, il avait réussi à obtenir, après cinq heures de conférence, la capitulation de La Fère, justement qualifiée de honteuse par les officiers de cette garnison. Le colonel de Lowenstern n’avait point, à ce qu’il semble, moins de talent comme négociateur. Les deux officiers parlèrent tour à tour, reprenant les mêmes argumens en termes différens et se prêtant mutuellement appui. Ils commencèrent par exalter la vaillance des défenseurs de la place et de celui qui les commandait. Puis, rappelant à Moreau le petit nombre de ses troupes, l’infériorité numérique de son artillerie, l’insuffisance d’une telle garnison pour défendre un pareil périmètre, le mauvais état des fortifications ; ils firent en même temps le tableau que, hélas ! ils n’avaient point besoin d’exagérer, de toutes les forces alliées. Mertens termina en disant que l’honneur était sauf et que le commandant de la place encourrait les plus graves responsabilités en s’obstinant à une défense désormais inutile, et en exposant ainsi la ville, qui serait immanquablement enlevée de vive force, au pillage et à l’incendie. — « Dans deux heures, reprit Lowenstern, nous serons dans la ville, dussions-nous frayer un passage sur les ruines et les cadavres. Réfléchissez que dans une bataille, on reçoit les vaincus à composition, mais qu’après l’assaut tout tombe sous le sabre. La ville et ses habitans seront la proie de nos soldats. » — Les deux parlementaires agissaient successivement par la flatterie et l’intimidation[36]. Moreau, qui ne pouvait pas moins faire, répondit d’abord, selon la formule obligée, « qu’il s’enterrerait sous les ruines de ses remparts, » mais Mertens et Lowenstern ne furent pas déconcertés par ces grands mots, que démentaient l’attitude irrésolue et les hésitations trop visibles de Moreau. Ils reprirent la parole et, donnant de nouveaux éloges au courage des troupes françaises, ils eurent l’habileté de laisser entendre qu’une capitulation avec tous les honneurs de la guerre serait accordée à cette valeureuse garnison, qui se retirerait en aires et serait libre de rejoindre l’armée impériale « où elle pourrait combattre dans une lutte moins inégale[37]. »

C’était un piège tendu à l’esprit de devoir du général. Il est probable que si les clauses de la capitulation avaient été trop dures, si elles eussent porté, par exemple, que la garnison resterait prisonnière de guerre ou tout au moins déposerait les armes, Moreau se fût défendu jusqu’à la dernière extrémité. Mais la proposition des parlementaires était faite pour porter le trouble dans l’esprit de Moreau en lui permettant de peser, au point de vue de l’intérêt de la France, les avantages fort douteux d’une défense sans espoir, et les avantages certains d’une capitulation immédiate. Sous deux jours, sous trois jours au plus, Soissons allait fatalement être enlevé d’assaut; ceux des défenseurs qui n’auraient pas succombé seraient prisonniers. N’était-il pas préférable d’abandonner cette place perdue d’avance et de conserver à l’empereur 1,000 hommes d’excellentes troupes qui lui seraient si utiles? La conscience du commandant de Soissons commençait à fléchir devant cette idée qui n’était que le plus vain des sophismes. Dans une place assiégée, le devoir, pour le gouverneur comme pour le dernier soldat, se réduit à ce seul mot : la consigne. Moreau avait été envoyé à Soissons pour garder la ville, point stratégique, et non pour conserver aux armées d’opération une poignée de soldats. Sa consigne était de défendre Soissons, il n’avait pas à la discuter avec lui-même ; il avait à l’exécuter rigoureusement, dans les termes mêmes des règlemens, c’est-à-dire en « épuisant tous les moyens de défense, » en « restant sourd aux nouvelles communiquées par l’ennemi » et « en résistant à ses insinuations comme à ses attaques. » Le canon entendu au loin dans la journée devait inspirer au gouverneur de Soissons les résolutions les plus énergiques. Il semblait vraiment que l’écho de cette canonnade fut venu juste à point pour rappeler au général ces paroles, prophétiques en la circonstance, du décret de 1811 sur le service des places : « Le gouverneur d’une place de guerre doit se souvenir qu’il défend l’un des boulevards de notre royaume, l’un des points d’appui de nos armées, et que sa reddition, avancée ou retardée d’un seul jour, peut être de la plus grande conséquence pour la défense de l’état et le salut de l’armée. »

Quand un soldat commence à se demander quel est son devoir, il est bien près de n’écouter plus que son intérêt. Moreau était brave sans doute, — sous l’empire on ne parvenait point aux grades élevés sans avoir maintes fois payé de sa personne, — mais il n’était pas héroïque, et son esprit concevait avec peine l’idée de se sacrifier inutilement pour une cause qu’avec beaucoup de généraux d’alors, il regardait comme perdue. Une capitulation si honorable, qui sauvait la ville des horreurs d’un sac et qui conservait à l’empereur une troupe valeureuse, convenait à l’intérêt personnel de Moreau sans porter atteinte, pensait-il, à son honneur de soldat. Donc, le général congédia les parlementaires tout en protestant qu’il s’ensevelirait sous les ruines de la ville, mais en ajoutant que «d’ailleurs il ne pouvait répondre à des propositions verbales faites par des officiers n’ayant aucune pièce établissant leurs pouvoirs de traiter[38]. » N’était-ce pas les inviter à revenir munis de pleins pouvoirs? Au surplus, ces propositions verbales auxquelles Moreau disait ne pouvoir répondre, il avait le tort de les écouter depuis près d’une heure.

Le colonel de Lowenstern et le capitaine Mertens étaient trop perspicaces pour ne pas pénétrer les secrètes pensées de Moreau. Avant qu’il se fut passé une heure, Mertens rentrait dans Soissons, apportant cette lettre de Bulow destinée à lever les scrupules de forme du commandant de Soissons :


2 mars 18H, dans la nuit. — Votre Excellence a désiré que je lui écrive au sujet de la proposition que j’avais chargé un de mes aides-de-camp de lui faire de bouche, et après avoir attendu plus longtemps que je m’en étais flatté. Je veux bien me prêter à une seconde complaisance, pour prouver à Votre Excellence combien je désirerais épargner le sang inutilement versé et le sort malheureux d’une ville prise d’assaut. Je propose à Votre Excellence, de concert avec le commandant en chef de l’armée russe, de conclure une capitulation telle que les circonstances nous permettent de vous l’accorder et de l’obtenir. Je compte sur la réponse de Votre Excellence avant la pointe du jour.


Moreau demanda au capitaine Mertens un délai de quelques heures pour réunir le conseil de défense. Le parlementaire prussien les accorda sans difficulté et se retira. Moreau eut alors l’idée de monter au clocher de la cathédrale, afin, dit-il dans son rapport écrit le lendemain à Compiègne, « de s’assurer de la vérité des rapports qui lui avaient été faits sur la force de l’ennemi. » A se rappeler l’attitude de Moreau avec les parlementaires et à bien pénétrer son caractère, il semble que, en s’astreignant à cette ascension de trois cent cinquante-quatre marches pour observer une dernière fois les positions de l’ennemi, le commandant de Soissons cherchait moins à voir si la défense était encore possible qu’à se confirmer dans l’idée de la nécessité d’une reddition immédiate. Son imagination prévenue montra à Moreau bien des choses qui n’existaient pas. « À ce moment, écrit-il, je vis des obus mettre le feu sur plusieurs points de la ville et je distinguai des prolonges remplies d’échelles pour l’assaut[39]. » Or, en vertu de la trêve implicitement convenue entre le général et les parlementaires, il est peu probable que le feu eût repris à ce moment, et il est prouvé, d’autre part, que les assiégeans n’en étaient point encore à préparer une escalade[40]. De plus, Moreau prétend être monté au clocher à « la naissance du jour. » Dans les premiers jours de mars, le jour n’apparaît guère qu’à six heures du matin, et à trois heures du matin, Moreau, de retour de la cathédrale, présidait le conseil de défense[41]. Ainsi, en pleine nuit, qu’avait pu apercevoir de son observatoire le commandant de Soissons, sinon quelques feux de bivouac?

Au moment où il revenait de la cathédrale, Moreau trouva chez lui un second parlementaire russe, porteur d’une lettre de Winzingerode[42]. Le ton comminatoire de cet ultimatum, où se succédaient les mots d’assaut immédiat, de massacre et de pillage, était fait pour enlever à Moreau le peu de résolution qui pouvait lui rester. Il réunit aussitôt chez lui les officiers composant le conseil de défense. C’étaient l’adjudant-commandant Bouchard, commandant la place, le chef de bataillon Saint-Hillier, commandant le génie, le colonel Strols, commandant l’artillerie, et le colonel Kozynski, commandant l’infanterie, qui bien que blessé, s’était rendu à la convocation. Le général Moreau exposa la situation telle qu’il la voyait et apprit aux membres du conseil les pourparlers engagés avec l’ennemi ; cela fait, il invita chacun des officiers à donner son avis. Le chef de bataillon de Saint-Hillier prit le premier la parole, comme le moins élevé en grade. Selon lui, on pouvait et l’on devait tenir encore. D’une part, l’ennemi n’avait pas fait brèche au corps de place, et deux jours peut-être se passeraient avant que le canon entamât gravement les remparts; si la garnison avait subi des pertes, il restait néanmoins un nombre d’hommes suffisant pour la défense et ils étaient animés du plus grand courage. D’autre part, on avait dans la soirée entendu le canon au loin, ce qui indiquait l’approche d’une armée de secours. Le plus strict devoir commandait donc de prolonger la défense au moins pendant vingt-quatre heures, ce qui, à son avis, était possible[43]. Saint-Hillier, paraît-il, cédant à quelque sentiment de timidité, dont il fut blâmé par le conseil d’enquête, n’osa pas découvrir toute sa pensée, qui était celle-ci : N’y avait-il pas corrélation entre la canonnade entendue la veille et l’insistance des généraux ennemis à proposer une capitulation, insistance tout à fait extraordinaire, puisqu’ils étaient certains de s’emparer de la place sous deux jours? Dans la conjoncture, la reddition immédiate de Soissons ne pouvait-elle pas être de la plus grave conséquence pour la marche des opérations[44]?

Le colonel Kozynski, appuyant énergiquement la motion de Saint-Hillier, dit qu’il fallait tenir jusqu’à la dernière extrémité. Le colonel Strols, qui par la ensuite, déclara, au contraire, que toute défense étant devenue impossible, on devait se hâter d’accepter les conditions inespérées que proposait l’ennemi. Quel fut l’avis formulé par l’adjudant-commandant Bouchard? Les documens sont muets à cet égard. Mais si l’on songe que cet officier s’était compromis trois jours auparavant dans l’indigne capitulation de La Fère, il est permis de penser qu’il ne se prononça pas pour un parti héroïque. En tout cas, la majorité dans le conseil n’était pas acquise à la capitulation, et l’eût-elle même été que la responsabilité de Moreau n’en eût pas été dégagée. Un conseil de défense est purement consultatif. Le règlement est formel sur ce point : « Le gouverneur, le conseil entendu, prononcera seul et sous sa responsabilité, sans avoir à se conformer aux avis de la majorité... Il suivra le conseil le plus ferme et le plus courageux, s’il n’est absolument impraticable.» Loin de « suivre le conseil le plus ferme et le plus courageux, » Moreau s’empressa d’informer les parlementaires ennemis qu’il était prêt à livrer la place sous certaines conditions : la ville n’aurait à payer aucune contribution et serait préservée du pillage ; la garnison se retirerait avec armes et bagages et avec six pièces de canon[45]. — L’état-major allié ne demandait qu’à tout accorder, pourvu que la ville fût évacuée. Winzingerode envoya aussitôt cette lettre au général Moreau :


Mon général, je consens aux propositions que vous m’avez faites, à condition que nos troupes occuperont sur-le-champ la porte de Reims et la porte de Laon. Vous quitterez la ville comme vous le désirez, et deux pièces de canon, leurs amunitions (sic) et les équipages qui peuvent appartenir aux troupes ; mais vous vous mettrez en marche pas plus tard que quatre heures après-midi, et vous vous dirigerez sur le chemin de Compiègne...<ref> Archives de la guerre, à la date du 3 mars.</<ref>. Moreau communiqua la réponse de Winzingerode au conseil de défense, qui arrêta que : « vu la faiblesse de la garnison et des moyens de la place, et la force des assiégeans, il y avait impossibilité évidente de résister, et qu’en conséquence on devait écouter les propositions de l’ennemi.» Saint-Hillier et Kozynski refusèrent de signer le procès-verbal de cette délibération[46].

Cependant le jour était venu. Le passage continuel des parlementaires, la cessation du feu, ce terrible silence qui, pareil à celui des chambres mortuaires, s’étend à l’heure de la capitulation sur les villes assiégées, commençaient à inquiéter les troupes. Allait-on donc se rendre quand la veille on s’était si bien défendu? Et les soupçons augmentant, les murmures croissaient. On traitait Moreau de traître et de lâche. Non-seulement les soldats, mais la population elle-même, déterminée aux suprêmes sacrifices, exprimait hautement son indignation. « J’entends encore, dit Braver, la rimeur qui s’éleva dans la foule au mot de capitulation[47]. » Il était environ neuf heures. Soudain une canonnade furieuse éclate dans la direction de l’Ourcq. À ce bruit, tout le monde tressaille. C’est une explosion de cris d’espoir et d’exclamations de colère : «C’est le canon de l’empereur!.. c’est l’empereur qui arrive!.. Il faut nous défendre!.. Il faut rompre les pourparlers!.. Si la capitulation est déjà signée, il faut la déchirer!.. L’empereur arrive[48]! »

La capitulation, à ce moment, n’était pas encore signée. Des difficultés s’étaient élevées au sujet des canons. Moreau avait demandé à en emporter six, et les négociateurs, se référant à la lettre de Winzingerode, où il était écrit que les Français quitteraient la ville avec deux canons, ne voulaient pas céder. De son côté, Moreau s’obstinait à réclamer ses six pièces. La discussion devenant très vive, les pourparlers menaçaient d’être rompus, quand le général Woronzof, qui assistait à la scène et qui, lui aussi, entendait la canonnade de l’Ourcq, s’écria en russe : « Donnez-leur les pièces qu’ils demandent et les miennes avec, s’ils les veulent, mais qu’ils partent ! qu’ils partent[49] ! »

En exécution des clauses de la capitulation, les Polonais durent céder immédiatement la garde des portes de Reims et de Laon. Les troupes de la garnison étaient si exaspérées qu’une collision fut au moment de se produire. « Les soldats, dit un témoin oculaire, mordaient leurs fusils de rage[50]. » Vers trois heures, Winzingerode, impatient de prendre possession de la place, entra dans Soissons à la tête de deux bataillons. En débouchant de la rue des Cordeliers, il se trouva face à face avec les Polonais de Kozynski. « C’est encore vous ! dit-il au colonel. — Nous ne devons partir qu’à quatre heures, répondit Kozynski, et nous ferons feu sur vous si vous ne vous retirez pas sur-le-champ. » Winzingerode, regardant sa montre, dit : « C’est juste, — et s’adressant à ses officiers : — Messieurs, en arrière ! » A quatre heures cependant, il fallut évacuer la ville. Les troupes, avec leur artillerie et leurs équipages, défilèrent l’arme au bras et tambours battant devant l’état-major ennemi, qui les salua. Winzingerode, voyant le petit nombre des Français, demanda à Moreau pourquoi il ne faisait pas partir sa division en même temps que son avant-garde. — « Mais, répondit Moreau, c’est là tout ce que j’ai de troupes[51]. » Les paroles de Winzingerode étaient un hommage inconsciemment rendu à la belle conduite de la petite garnison de Soissons.

Les alliés n’avaient pas attendu le départ des Français pour profiter des avantages que leur donnait la capitulation. Dès midi, Bulow faisait établir un deuxième pont sous le canon de la place, vis-à-vis de Saint-Crépin. Ce pont, commencé avec des bois pris dans un chantier du faubourg, fut achevé dans la nuit au moyen du matériel amené en toute hâte de La Fère[52].

Blücher de son côté, averti à midi que Soissons avait capitulé, modifia ses ordres en conséquence. Sur l’avis de Muffling, il arrêta la marche de ses bagages qui se dirigeaient vers Berry-au-Bac par Braisne et Fismes et les fit rétrograder dans la direction de Soissons[53]. Son équipage de ponts fut envoyé de Buzancy à Venizel, où il jeta un pont de bateaux[54]. Enfin, tous les commandans de corps reçurent l’ordre de se replier successivement sur Soissons[55]. Blücher s’y rendit de sa personne, avec l’avant-garde de Sacken, entre quatre et cinq heures du soir. Winzingerode et Bulow se portèrent à la rencontre de leur général en chef, s’attendant à recevoir des félicitations sur le succès inespéré qu’ils venaient d’obtenir. Mais Blücher était irrité de l’inexécution de ses ordres et un peu piqué que les événemens, qui d’ailleurs tournaient bien, eussent donné raison contre lui à ses lieutenans[56]. Le feld-maréchal se trouvait sauvé, pour ainsi dire contre son gré, du plus mauvais pas. Il se l’avouait à lui-même, mais féliciter Winzingerode et Bulow de leur opération, c’eût été reconnaître qu’il leur devait trop. Il reçut les deux généraux avec la plus grande froideur et sans leur dire un mot de la prise de Soissons, pourtant si opportune. Bulow se vengea de cet accueil en disant tout haut, et avec le plus grand sérieux, à la vue des troupes brisées de fatigues qui suivaient Blücher : « Un peu de repos fera du bien à ces hommes-là : Den Leuten wird einige Ruhe wohl thun[57]. »

Bien que le jour tombât, le passage de l’Aisne commença immédiatement sur le grand pont de Soissons et continua pendant toute la journée et toute la nuit du lendemain sur ce même point et sur les quatre ponts jetés sous la ville et aux environs. Les troupes de Winzingerode, qui étaient déjà massées, passèrent les premières ; puis arrivèrent les corps de Sacken et de York, puis les troupes de Kapzewitch et de Kleist ; enfin, l’arrière-garde d’artillerie légère et de cavalerie[58]. Le 5 au matin, il restait encore sur la rive gauche de l’Aisne, échelonnées de Soissons à Berry-au-Bac, deux régimens d’infanterie et six régimens de cosaques. Le plus grand nombre des cosaques, sabrés par la cavalerie de la garde, se retirèrent en désordre par le pont de Berry ; les autres ainsi que les fantassins, traversèrent l’Aisne avec des difficultés infinies sur le pont de Vailly[59]. A l’heure où les alliés achevaient de passer la rivière, Napoléon était à Fismes ; son armée occupait le cours supérieur de l’Aisne, depuis Braisne jusqu’aux environs de Berry-au-Bac ; et Marmont et Mortier, qui avaient arrêté leur poursuite à la nouvelle de la capitulation, bivouaquaient à Hartennes et à Buzancy, à 7 kilomètres de Soissons[60].

Mais les Prussiens ne redoutaient plus désormais l’approche de Napoléon. Depuis deux jours, combien avait changé la situation de Blücher! Au lieu de 48,000 hommes battus, fatigués, démoralisés, il avait près de 100,000 hommes, et les renforts, qui portaient ses forces au double, étaient composés entièrement de troupes fraîches. Au lieu d’une armée désunie, marchant dans la plus extrême confusion, il commandait une armée bien concentrée et manœuvrant suivant un plan arrêté. Au lieu d’avoir à subir l’attaque de l’empereur où le hasard le voulait, en flagrant délit de marche, dans de mauvaises positions, avec une rivière à dos, il allait lui-même choisir l’emplacement où se livrerait la bataille.


III.

Napoléon ayant reçu à Fismes, le 5 mars dans la matinée, la nouvelle de la capitulation de Soissons, écrivit ces lettres au roi Joseph et au ministère de la guerre :

Fismes, 5 mars.

Mon frère, faites mettre la note suivante dans le Moniteur:

« Sa Majesté l’empereur et roi avait le 5 son quartier-général à Berry-au-Bac, sur l’Aisne. L’armée ennemie de Blücher, Sacken, Winzingerode et Bulow était en retraite ; sans la trahison du commandant de Soissons, qui a livré ses portes, elle était perdue[61]. »


Fismes, 5 mars.

Monsieur le duc de Feltre, l’ennemi était dans le plus grand embarras, et nous espérions aujourd’hui recueillir le fruit de quelques jours de fatigue, lorsque la trahison ou la bêtise du commandant de Soissons leur a livré cette place.

Le 3, à midi, il est sorti, avec les honneurs de la guerre, et a emmené quatre pièces de canon. Faites arrêter ce misérable, ainsi que les membres du conseil de défense; faites-les traduire par devant une commission militaire composée de généraux ; et, pour Dieu, faites en sorte qu’ils soient fusillés dans les vingt-quatre heures sur la place de Grève ! Il est temps de faire des exemples. Que la sentence soit bien motivée, imprimée, affichée et envoyée partout...[62].


A première vue, ces deux documens semblent prouver d’une façon péremptoire que Napoléon comptait livrer bataille à l’armée de Silésie sur la rive gauche de l’Aisne, et que la prise de Soissons, en permettant à Blücher de passer sur la rive droite, vint traverser ce plan. Ces mots de la lettre à Joseph : « Sans la trahison du commandant de Soissons, l’armée ennemie était perdue » et ces mots de la lettre à Clarke : « L’ennemie était dans le plus grand embarras, et nous espérions aujourd’hui recueillir le fruit de quelques jours de fatigue » sont des plus explicites. Et cependant, à étudier de près la correspondance de Napoléon, du 26 février au 4 mars, ses instructions données aux généraux, les ordres et les rapports de ceux-ci, on est pris de bien des incertitudes sur les véritables intentions de l’empereur. Sans doute son plan général apparaît clairement. Napoléon manœuvre pour atteindre Blücher et, l’ayant battu, pour se retirer vers le nord, afin d’attirer à sa suite l’armée de Bohême. Mais les moyens d’exécution sont loin d’être nettement indiqués. Cette bataille, où l’empereur compte en finir avec Blücher, veut-il la livrer sur la rive gauche de l’Aisne ou sur la rive droite? S’efforce-t-il d’acculer Blücher à cette rivière, ou marche-t-il pour gagner de vitesse l’armée de Silésie, traverser l’Aisne avant elle, occuper Laon et y attendre l’ennemi en bonne position? La première de ces combinaisons stratégiques paraît assurément plus simple et plus sûre que la seconde. Acculé à la rive gauche de l’Aisne, Blücher se trouvait dans l’impossibilité d’éviter la bataille qui était l’objectif de Napoléon. Si, au contraire, l’empereur se portait sous Laon pour l’y attendre, l’ennemi avait la faculté de refuser le combat. Il pouvait se retirer sur Reims, Châlons et Troyes, de façon à rejoindre l’armée de Bohême. — Mais les meilleures raisons sont de peu de poids contre les pièces authentiques. Si les probabilités et un certain nombre de documens font penser que Napoléon avait conçu le premier de ces plans, d’autres documens peuvent engager à croire qu’il avait adopté le second. Thiers n’a pas pensé à soulever cette question, ou peut-être il n’a pas voulu la soulever de peur de n’y pouvoir répondre. Elle est, en effet, insoluble, les documens sur ce point étant peu nombreux, absolument contradictoires et présentant la plus extrême confusion[63].

Au demeurant, la question est de peu d’importance en ce qui concerne le grave événement du 3 mars. Que le dessein de Napoléon ait été de combattre Blücher au bord de l’Aisne ou seulement dans la plaine de Laon, la capitulation de Soissons n’en a pas moins eu les mêmes conséquences. Voici pourquoi. Il est manifeste que Napoléon voulait livrer bataille à Blücher, soit en-deçà, soit au-delà de l’Aisne. Or, si le 3 mars, Soissons n’avait pas ouvert ses portes, forcément, le 4 ou le 5 mars, l’armée de Silésie et l’armée impériale se seraient rencontrées sur la rive gauche de la rivière, entre Braisne et Berry-au-Bac. Il serait insensé de croire que dans ces circonstances, imprévues si l’on veut, mais à coup sûr singulièrement propices, Napoléon se fût refusé à engager une action qui était son objectif depuis huit jours. Combien de fois la rencontre fortuite de deux armées, ou même une simple affaire d’avant-postes, a-t-elle modifié des combinaisons stratégiques, avancé la date d’une grande et décisive bataille ! La fortune livrait Blücher à Napoléon, ailleurs, plus tôt et dans des conditions plus favorables que l’empereur ne s’attendait à le combattre. Napoléon, qui disait de lui-même : « Je vois et je pense plus vite que les autres, » n’était pas homme à ne point profiter de ce coup du sort. C’est pourquoi s’il est excessif, peut-être, de dire avec Marmont que « la fortune de la France, le sort de la campagne ont tenu à une défense de Soissons, de trente-six heures[64],» avec le roi Joseph que « c’en était fait des Prussiens si Soissons tenait un jour[65], » avec Thiers que « la capitulation de Soissons est, après la bataille de Waterloo, le plus funeste événement de notre histoire[66], » on est en droit de conclure que la reddition de cette ville sauva Blücher des plus grands périls.

Cette conclusion, qui ressort de l’examen des documens français, est confirmée par tous les documens de sources russes et allemandes. Pièces officielles, lettres, ordres du jour, journaux de marche, autant de témoignages de la situation dangereuse où se trouvait Blücher dans les journées des 1er, 2 et 3 mars. C’est la dépêche adressée au feld-maréchal par le major Brunecki, officier de l’armée de Silésie ; ce sont les ouvertures faites à Moreau par Winzingerode, si empressé d’accorder à la garnison les meilleures conditions; ce sont les termes de la lettre de Bulow à Blücher, le 3 mars : «... Je ne doute pas que l’occupation rapide de Soissons, ce point actuellement si important... » C’est le rapport de Bulow au roi de Prusse sur la reddition de Soissons : «... La possession de Soissons était d’une nécessité urgente... S’il n’avait pas été mis en possession de cette place, le maréchal Blücher se serait certainement trouvé dans les plus grands embarras... » Ce sont les ordres du jour de Blücher lui-même, des 2 et 3 mars, qui décèlent tant de confusion et trahissent tant d’incertitudes, qui témoignent que le feld-maréchal voulait tour à tour livrer bataille et battre en retraite, ignorait où il pourrait passer l’Aisne, et se hâta de profiter du pont que lui donnait la capitulation de Soissons. Ce sont les paroles de Woronzof pendant les négociations : « Que les Français emportent leurs pièces et les miennes avec, s’ils veulent, mais qu’ils partent ! » C’est la conversation que ce général eut plus tard avec Marmont : « Les troupes de Blücher, dit-il, eussent été perdues si elles avaient été forcées de combattre dans la position qu’elles occupaient. » C’est enfin le Journal de marche du général comte de Langeron, où on lit : « Dans les circonstances où l’on se trouvait, jamais succès ne fut obtenu plus à temps... La prise de Soissons fut de la plus grande utilité et rendit un service bien essentiel à la cause commune[67]. » Après les témoignages des officiers qui furent acteurs dans ces grands événemens, voici le jugement des historiens qui les racontent. Plotho dit : « La possession de Soissons était de la plus grande importance pour l’armée de Silésie, qui, sans le pont de cette ville, ne pouvait passer l’Aisne qu’en faisant de grands détours et avec les plus grandes difficultés[68]. » Rau et Hauel de Cronenthal, non plus que Droysen, ne prononcent, mais du tableau qu’ils présentent des positions de l’armée française et de l’armée alliée le 3 mars, et de la misère et de l’abattement qu’ils signalent chez celle-ci, il résulte que Blücher était en grave péril. Selon Bogdanowitch, enfin, a sans la prise de Soissons, Napoléon eût atteint l’armée de Silésie en pleine dissolution[69]. »

A la vérité, Muffling, Vanhagen von Ense et Damitz prennent parti pour Blücher, qui ne voulut jamais convenir qu’il eût été dans une situation critique. C’eût été reconnaître, d’une part, que sa marche sur Paris avait été au moins imprudente ; d’autre part, qu’il avait été sauvé par ses lieutenans, dont l’un était Russe. En qualité de général en chef, et plus encore de Prussien, — car, tout alliés qu’ils fussent, les Prussiens et les Russes, n’étaient guère camarades, — Blücher était peu disposé à avouer la chose. Comme on l’a vu, le feld-maréchal avait très froidement accueilli Bulow lors de leur première entrevue. Plus tard, il témoigna au roi de Prusse son mécontentement des termes du rapport sur la reddition de Soissons. De même, il se plaignit vivement de Winzingerode, répétant à mainte reprise que ce général n’avait pas exécuté ses ordres ; qu’au lieu de s’attarder devant Soissons, « misérable bicoque, elendes Nest, » dont la position n’avait aucune importance, il eût dû le joindre à Oulchy[70]. Blücher ajoutait que, d’ailleurs, bien qu’il fût séparé de Bulow par l’Aisne, de Winzingerode par une distance de 15 à 20 kilomètres, il ne se trouvait pas dans une situation périlleuse. S’il était pressé en queue par Marmont et Mortier, s’il était menacé sur son flanc droit par Napoléon, les ducs de Raguse et de Trévise n’étaient pas en force pour l’attaquer à fond et il avait un jour d’avance sur l’empereur. Il pouvait donc échapper aux Français par le pont de Berry-au-Bac[71]. Telle est l’argumentation reprise par Muffling et les apologistes de Blücher.

Il est exact que Blücher avait, non point un jour, mais tout au plus douze heures d’avance sur Napoléon[72]. Il est très probable encore, sinon tout à fait certain, que le feld-maréchal aurait eu la coopération de Winzingerode, en cas de combat derrière la Vesle. (Rappelons néanmoins que, d’après la lettre de ce général du 3 mars, cinq heures du matin, Winzingerode comptait faire immédiatement passer l’Aisne à la plus grande partie de son infanterie.) Mais ce qui est faux, c’est que l’avance qu’avait Blücher eût permis à l’armée de Silésie d’opérer son passage avant l’arrivée de Napoléon. En se servant de cinq ponts, dont le grand pont de pierre de Soissons, les alliés mirent plus de trente heures à traverser l’Aisne[73]. Si Soissons se défendait, l’opération présentait d’infinies difficultés, et, par conséquent, exigeait tout autrement de temps. L’ennemi n’avait plus le pont de cette ville; Bulow, d’autre part, ne pouvait, le 3, dès midi, commencer l’établissement d’un second pont sous le canon de la place. C’est seulement à quatre heures que Blücher aurait donné des ordres pour jeter un pont au nord de Buzancy. Il est probable que, opérant en pleine nuit, les pontonniers n’auraient pas pu achever leur travail avant la matinée du lendemain, 4 mars. A cet endroit, la largeur de l’Aisne est d’environ 60 mètres en temps ordinaire; et, à la fin de l’hiver, quand l’année est pluvieuse, — c’était le cas, — la rivière, qui n’est pas encaissée, immerge les prairies et atteint parfois au triple de cette largeur. Ce pont eût-il été praticable à l’artillerie? En tout cas, celui que Bulow avait jeté la veille à Vailly, ne l’était point[74]. Selon Muffling, qui, en qualité de quartier-maître-général de l’armée de Silésie, était bien informé, l’artillerie et toutes les troupes eussent suivi les bagages et passé à Berry-au-Bac : « Toute l’armée de Silésie, dit-il textuellement, aurait effectué son passage à Berry-au-Bac dans la journée du 4. »

C’est à croire, en vérité, que Muffling n’a pas regardé la carte, ou qu’il n’a jamais guidé une colonne avec de l’artillerie et des bagages. D’Oulchy, où se trouvaient concentrées les troupes prussiennes dans l’après-midi du 3, à Berry-au-Bac il y avait 60 kilomètres, car, faute de voie directe, il fallait prendre la grande route de Soissons à Reims[75]. C’eût été miracle pour une armée de faire 60 kilomètres et de passer une rivière sur un seul point en trente heures. Fatiguées comme elles l’étaient, il eût fallu certainement deux étapes aux troupes de Blücher pour atteindre le pont de Berry. Or, comme le mouvement ne devait commencer qu’à quatre heures, le 3[76], les têtes de colonnes seraient arrivées au plus tôt à Berry-au-Bac dans la nuit du 4 au 5 mars. Et quand fussent arrivés le gros et la queue ? Kapzewitch et Korff étaient encore au bord de l’Ourcq, à 70 kilomètres de Berry-au-Bac, le 4, à cinq heures du matin[77]. Si nous remarquons maintenant que, pour aller d’Oulchy à Berry-au-Bac, l’armée devait passer par Braisne et Fismes; que l’avant garde de l’empereur était près de Braisne, le 4 mars, dans la journée[78] ; que Napoléon était à Fismes dans la soirée[79] ; enfin, fait absolument décisif, qu’une colonne de bagages, partie le 3, à midi, d’Oulchy pour Berry-au-Bac, et n’ayant pas reçu contre-ordre la rappelant vers Soissons, fut attaquée le 4, dans l’après-midi, entre Fismes et Braisne, par la cavalerie du général Roussel[80], il devient évident que Muffling est mal fondé à dire que l’armée de Silésie eût passé l’Aisne à Berry-au-Bac sans rencontrer les Français.

Muffling, il est vrai, n’est pas si sûr de son affirmation qu’il ne s’empresse de répondre par avance à ceux qui la mettraient en doute. « Au cas, dit-il, où Blücher n’aurait pu éviter la bataille, il aurait eu le temps de prendre une formation de combat sur le plateau de Fismes, derrière la Vesle, et d’y attendre en bonne position, avec 80,000 hommes, l’attaque des 45,000 hommes de Napoléon. » C’était là, en effet, le plus sage parti qu’aurait pu prendre Blücher. Mais cette seconde assertion de Muffling contient aussi des inexactitudes. Blücher n’aurait eu avec lui 75,000 ou 80,000 hommes que si Winzingerode n’avait pas fait passer l’Aisne à son infanterie le 3, dans la journée, comme il en avait l’intention. Napoléon n’aurait pas eu seulement 35,000 hommes, puisque les corps de Marmont et de Mortier, qui poussaient l’arrière-garde de l’armée de Silésie, seraient arrivés peu de temps après cette arrière-garde sur le terrain de l’action. Les Français se fussent trouvés 55,000 contre 60,000, en admettant que l’infanterie de Winzingerode fût déjà sur la rive droite de l’Aisne : 55,000 contre 80,000, en admettant que ces troupes fussent restées sur la rive gauche. L’inégalité de forces n’en était pas moins très grande; mais quelques jours plus tard, en emportant avec 30,000 hommes seulement le plateau de Craonne, défendu par 50,000 soldats, Napoléon allait prouver que la victoire n’est pas toujours « du côté des gros bataillons. »

D’autre part, l’étude du terrain démontre que la position qu’aurait occupée Blücher n’est pas aussi avantageuse que le prétend Muffling. Entre la Vesle au sud et l’Aisne au nord, s’élève un vaste plateau, d’une altitude moyenne de 100 mètres au-dessus du niveau des deux rivières, et qui s’étend parallèlement à ces cours d’eau sur une longueur de 30 kilomètres et sur une largeur variant entre 2 et 4 kilomètres. La Vesle, qui est peu profonde et qui n’a que 16 mètres de large, n’est pas sans doute un fossé négligeable. Mais il est très possible que l’avant-garde de Napoléon, arrivée à Fismes en même temps que les têtes de colonnes ennemies, auraient abordé le plateau par Braisne, eut commencé par s’assurer le passage sur la rive droite de la Vesle. En tout cas, six ponts traversaient cette rivière, de Saint-Thibaut à Courlandon, et Blücher n’aurait certainement pas commis la faute de disséminer ses forces de façon à défendre le passage sur tous les points. Il faut remarquer enfin qu’étant donné la petite portée des bouches à feu à cette époque, l’artillerie prussienne ne pouvait des crêtes battre les rives de la Vesle. C’étaient donc les hauteurs seules qui constituaient la force de la position. Bien que présentant un front d’attaque de près de 40 kilomètres, cette position était difficile à aborder; mais elle était, si l’on peut dire, inquiétante à défendre. En raison du peu de largeur du plateau, les coalisés, s’ils étaient délogés des crêtes auraient pu difficilement se reformer. De plus, le plateau au nord s’abaisse jusqu’à l’Aisne par des pentes assez raides. Dans l’hypothèse d’une défaite, la retraite était impossible à l’ennemi. Les troupes de Blücher eussent été culbutées dans les ravins avec leur artillerie, et une fois acculées à l’Aisne, elles auraient été forcées de mettre bas les armes. Si donc l’on pèse les avantages et les inconvéniens de cette position pour la défense, si l’on considère la supériorité numérique et aussi la confusion, le découragement, l’extrême fatigue de l’armée de Blücher, si l’on tient compte du génie tactique de l’empereur, de l’élan et de la ténacité de ses troupes, tout porte à penser qu’une bataille livrée sur le plateau de Fismes eût eu pour issue, non point certaine mais probable, la victoire de Napoléon[81].

Selon les ordres de l’empereur, le général Moreau fut incarcéré dès son retour à Paris et comparut devant un conseil d’enquête où siégeaient les généraux de division Gassendi, Compans et Chastel. Après avoir pris connaissance des faits, entendu les témoins et interrogé Moreau, le conseil décida que l’ex-commandant de Soissons devait être traduit en conseil de guerre pour n’avoir pas défendu la place « autant qu’il le pouvait et le devait[82]. » Heureusement pour Moreau, qui encourait la peine capitale, le conseil d’enquête ne rendit son avis que le 24 mars, cinq jours avant l’arrivée des coalisés sous Paris. Au milieu des inquiétudes, du trouble, de la démoralisation qui régnaient, personne ne pensait à faire du zèle. Ou les procédures ne furent pas commencées, ou elles furent menées sans vigueur et bientôt abandonnées. Moreau fut un des premiers à se rallier aux Bourbons. Le 7 avril 1814, le lendemain du jour où le sénat décréta l’acte constitutionnel, Moreau écrivit au prince de Bénévent une lettre se terminant par ces mots : « J’ai l’honneur de prier Votre Altesse Sérénissime de vouloir présenter au gouvernement l’offre de mes services pour la cause de Sa Majesté Louis-Stanislas-Xavier et me classer dans le travail des officiers généraux qui lui sont le plus dévoués[83]... »

Un dévoûment si soudain ne pouvait rester sans récompense.

Moreau fut appelé, comme maréchal-de-camp, au commandement du département de l’Indre et nommé chevalier de Saint-Louis[84].

On a prononcé le mot de trahison à propos de la capitulation de Soissons. Le général Moreau ne mérite pas le nom de traître, mais l’insigne faiblesse qu’il montra dans son commandement eut les conséquences d’une trahison. « En épuisant tous les moyens de défense, » comme le lui prescrivaient les règlemens, Moreau eût pu tenir un jour de plus. Saint-Hillier, commandant le génie de la place, l’avait dit au conseil de défense, et la commission d’enquête en jugea de même. La résistance prolongée de vingt-quatre heures, une rencontre entre Blücher et Napoléon devenait inévitable. Il est prouvé, en effet, par la lettre de Winzingerode à Blücher, datée du 3 mars, cinq heures du matin, que si la place ne capitulait pas le 3, on levait le siège aussitôt. En admettant même que Bulow et Winzingerode, se ravisant, fussent restés devant Soissons et qu’un assaut donné le 4 dans la matinée les en eût rendus maîtres, l’armée de Silésie aurait dû néanmoins livrer bataille. Bulow n’aurait pu écrire le 3 à Blücher que le pont de Soissons était libre. Conséquemment, Blücher se serait mis en marche sur Fismes et Berry-au-Bac, et c’est le 4, entre Braisne et Fismes qu’il aurait reçu la nouvelle de la prise de Soissons. Il est peu probable que le feld-maréchal, déjà averti par ses éclaireurs de l’approche de Napoléon, eût alors fait rebrousser chemin à toute son armée, contremarche qui ne se fût pas opérée sans confusion et sans perte de temps et qui eût présenté de graves périls en raison d’une attaque imminente des Français. Bien plutôt, Blücher eût refoulé l’avant-garde impériale sur la route de Fismes et se fût hâté d’occuper le plateau. Ainsi, une grande bataille se serait engagée le 5 mars sur le plateau de Fismes, et, selon les probabilités, c’est Napoléon qui aurait gagné cette bataille.

Le bailli de Suffren disait qu’il faut toujours tirer son dernier coup de canon, car celui-là peut tuer l’ennemi. Le dernier coup de canon de Moreau, tiré le 4 mars au matin, des remparts croulans de Soissons, eût peut-être « tué l’ennemi. »


HENRY HOUSSAYE.

  1. Afin d’éviter, dans la Revue, la multiplication des notes, nous ne citerons nos documens, qui sont principalement des pièces d’archives et des ouvrages allemands et russes, que dans le cas d’absolue nécessité, quand nous aurons à produire quelque fait nouveau ou à traiter quelque question controversée.
  2. Muffling, Aus meinem Leben, p. 123-124. Kriegsgeschichte des Jahres 1814, t. II, p. 86. Cf. Bogdanovitch, Geschichte des Krieges 1814 in Frankreich, t. I, p. 300-302. Plotho, Der Krieg des Jahres 1814, t. III. p. 283.
  3. Ces deux lettres sont aux Archives de la guerre. La première, adressée à Kleist, annonce que Bulow et Winzingerode doivent, le 2 mars, attaquer Soissons. La seconde, écrite à Blücher, est intéressante à citer. « .. Ayant appris à Villers-Cotterets que Soissons était encore occupée par les Français, je me suis dirigé, par Chaudun, sur Laon. J’ai rencontré ici (à Braine) l’avant-garde de Winzingerode, qui s’est mise ou mouvement de Reims sur Soissons. J’ai appris par le colonel russe Barnilow que Soissons devait être attaqué demain par les deux rives de l’Aisne: sur la rive droite, par le corps de Bulow, et, sur la rive gauche, par celui de Winzingerode, qui doit arriver aujourd’hui à Soissons. J’espère apprendre à Vailly, qui est occupé par le corps de Bulow, et où j’arriverai cette nuit, que Soissons est pris. Comme j’ai appris l’issue de l’affaire de Lizy, qui a eu lieu hier, ainsi que la direction que Votre Excellence a prise en se retirant, je ne manquerai pas d’en instruire Bulow, notre position pouvant se trouver changée par là. »
  4. Correspondance de Napoléon, n° 21426.
  5. Droysen, Leben des Feldmarschalls York, t. III, p. 332.
  6. Id., Ibid., Cf. Bogdanowitch, t. I, p. 307.
  7. Grouchy à Napoléon, 1er mars. (Archives de la guerre.)
  8. Droysen, Ibid., Cf. Manuscrit de Brayer. (Archives de Soissons.)
  9. Id.,'Ibid.
  10. La veille au soir, 2 mars, Blücher avait déjà envoyé à Bulow (à tout hasard, car il ne savait pas l’endroit précis où celui-ci se trouvait), une lettre où, en même temps qu’il lui ordonnait d’arrêter son mouvement sur Paris et de se joindre à lui, il lui demandait où l’on pouvait jeter un pont sur l’Aisne au-dessus de Buzancy. (Lettre de Blücher à Bulow, citée par Varnhagen, Leben des Generals Bulow, p. 357.)
  11. « Oulchy, 3 mars, six heures du matin.
    « A midi, les bagages des quatre corps d’armée marcheront par Fismes : 1° ceux d’York; 2° ceux de Sacken ; 3° ceus de Langeron (Kapzewitch) ; 4° ceux de Kleist.
    « Les équipages de ponts seront dirigés sur Buzancy.
    « A trois heures, le corps de Kleist marchera sur Buzancy, où le feld-maréchal indiquera où l’on doit jeter les ponts. Ce corps passera le premier, et ensuite le corps de Langeron (Kapzewitch).
    « A quatre heures, les corps de Sacken et d’York marcheront dans la direction de Soissons. Ils recevront ultérieurement des ordres de Buzancy.
    « L’artillerie à cheval et la cavalerie resteront sur l’Ourcq pour couvrir la retraite. Si l’ennemi n’attaque pas, elles quitteront leurs positions le 4 au matin et iront à Buzancy.
    « Les troupes recevront ultérieurement des ordres de Buzancy. »
  12. Journal des opérations du corps du général de Langeron. (Archives topographiques de Saint-Pétersbourg.) Cf. Bogdanowitch, t. 1, p. 302.
  13. Winzingerode à Bulow, 28 février 1814. (Archives topographiques du ministère de la guerre à Saint-Pétersbourg.)
  14. Lettre précitée : (3 mars, cinq heures du matin.) « J’attendrai le point du jour devant Soissons, et, s’il n’est rien survenu d’ici là, je me mettrai en route.. » On ne saurait exprimer plus nettement l’idée de lever le siège. Muffling dit de même que Blücher était d’avis de lever le siège si la place ne se rendait pas dans la journée. (Muffling, Aus meinem Leben, p. 124-125.)
  15. Ce qui prouve combien ce mouvement de Winzingerode était singulier, c’est que le général russe se ravisa presque aussitôt. A sept heures du matin, il écrivait une seconde lettre à Blücher, lui annonçant qu’il avait 10,000 hommes avec lui, sans compter ses Cosaques, et qu’il attendait des ordres du grand quartier-général pour se concentrer à Oulchy ou pour exécuter tout autre mouvement (Damitz, Geschichte des Feldzugs, t. II, p. 469). Par conséquent, il avait ordonné de surseoir au passage de son infanterie Mais Blücher jugea sans doute que, tous les ordres étant donnés pour la retraite, il était trop tard pour songer à la bataille. Et d’ailleurs, peut-être Blücher ne reçut-il cette seconde missive qu’à Buzancy, après avoir appris la reddition de Soissons.
  16. Lettre citée par Varnhagen von Ense, Leben des Generals Grafen, Bulow, p. 359. Cf. Plotho, Muffling, Bogdanowitch, etc.
  17. La distance des remparts aux crêtes varie entre 1,600 et 2,500 mètres.
  18. Manuscrits de Brayer (Archives de Soissons) ; Rapports du général Danloup-Verdun, 22 janvier. (Archives de la guerre.)
  19. Manuscrits de Brayer et de Fiquet (Archives de Soissons) ; Lettres et Rapports des généraux Berruyer, Rusca, Danloup-Verdun, du 22 janvier au 18 février. (Archives de la guerre.)
  20. Correspondance de Napoléon, n° 21,290 et 21,309; Moniteur du 18 février. Mémoires du roi Joseph. (Lettre à Clarke, 25 février.)
  21. Rapport du colonel Müller, 23 février (Archives de la guerre).
  22. Jean-Louis Moreau, baron de l’empire, né à Lyon le 14 janvier 1755. (Dossier de Moreau, Archives de la guerre.)
  23. « J’ai lieu d’être persuadé que vous saurez défendre cette ville (Soissons) avec la vigueur et l’énergie que vous avez montrée pour la dépense de la ville d’Auxerre. » (Lettre de Clarke à Moreau, 27 février, Archives de la guerre). La vigueur et l’énergie de Moreau s’étaient réduites à ceci : le 10 février, Moreau, sommé de capituler par trente dragons autrichiens, avait répondu qu’il «défendrait la ville jusqu’à la mort, » et le 11 février, 2,000 Autrichiens étant en vue, il avait quitté Auxerre sans même attendre l’arrivée du parlementaire, qui fut reçu par les autorités municipales. Pas un coup de feu ne fut tiré. — Il est juste de dire que Moreau avait à Auxerre fort peu de troupes avec lui et que, d’ailleurs, les habitans ne voulaient pas se défendre. Si la conduite de Moreau, dans cette circonstance, ne méritait peut-être pas de blâme, encore moins méritait-elle des éloges.
  24. Lettre de Mortier à Clarke, 24 mars; Lettre de Clarke à Napoléon, 4 février; Rapport de Moreau sur la capitulation de Soissons, 4 mars. (Archives de la guerre.)
  25. Manuscrit de Piquet. (Archives de Soissons.) La garde urbaine se conduisit bien, au point que les soldats dirent aux gardes : « Nous devons être mutuellement contens les uns des autres. »
  26. Archives de la guerre : 23, 24, 26, 27, 28 février, 2 mars, pièces relatives à l’envoi de la brigade Chabert à Soissons, laquelle finit par rester à Paris, le 2 mars, à la disposition de l’empereur.
  27. Manuscrit de Brayer. (Archives de Soissons.)
  28. Archives de la guerre : Lettre de Clarke à Moreau, 27 février; Lettres de Moreau à Clarke, 28 février et 2 mars; Lettre du chef de la 5e division du ministère de la guerre à Saint-Hillier, 2 mars. Cf. le Rapport de Moreau sur la capitulation de Soissons (4 mars), le Rapport du conseil d’enquête, et les manuscrits des Archives de Soissons.
  29. Moreau à Clarke, 1er et 2 mars. (Archives de la guerre.)
  30. Rapport de Moreau, 4 mars. (Archives de la guerre.) Manuscrit de Brayer Archives de Soissons;. Rapport de Bulow au roi de Prusse sur la capitulation de Soissons, 10 mars 1814. (Archives de Berlin.) Cf. Bogdanowitch, t. I, p. 304 ; Plotho, t. III, p. 288,
  31. Manuscrit de Brayer. (Archives de Soissons.)
  32. Rapport de Moreau sur la capitulation de Soissons et lettre justificative. (Archives de la guerre.) — Manuscrit de Brayer. (Archives de Soissons.)
  33. Rapport de la commission d’enquête sur la capitulation de Soissons, 24 mars. (Archives de la guerre.)
  34. Rapport de Bulow au roi de Prusse sur la capitulation de Soissons, 10 mars. Bogdanowitch, t. I, p. 304, 305 ; Plotho, t. III. p. 389. Cf. le rapport de Moreau sur la capitulation de Soissons et sa lettre justificative. (Archives de la guerre.)
    L’importance de cette capitulation était tellement reconnue par les Prussiens et les Russes, — quoi qu’en dise Muffling, — que les historiens russes et prussiens discutent encore pour savoir qui, de Mertens ou Lowenstern, emporta par son éloquence la capitulation. Moreau dit qu’ils se présentèrent tous les deux ensemble. Il est probable qu’ils parlèrent tous les deux à la fois et qu’ainsi il peut y avoir doute sur celui qui intimida Moreau, selon le mot de Brayer.
  35. Rapport du conseil d’enquête sur la capitulation de Soissons. (Archives de la guerre.)
  36. Bogdanowitch, t. I, p. 305-306. Cf. Plotho, t. III, p. 390 ; Rapports de Bulow et de Moreau sur la capitulation de Soissons ; Muffling, Aus meinem Leben, p. 125 ; et le Manuscrit de Brayer.
  37. Bogdanowitch, t. I, p. 306. Cf. le Rapport de Moreau et la Lettre justificative. (Archives de la guerre.)
  38. Rapport de Moreau sur la capitulation de Soissons. (Archives de la guerre.)
  39. Ibid. (Archives de la guerre.)
  40. Cf. le Rapport du conseil d’enquête sur la capitulation de Soissons et la lettre précitée de Winzingerode à Blücher, qui témoigne qu’à cinq heures du matin, le 3 mars, les alliés, loin de penser à donner un assaut, étaient sur le point de lever le siège.
  41. Rapport du conseil d’enquête. (Archives de la guerre.)
  42. Le baron de Winzingerode, général en chef de l’armée russe, à M. le général Moreau : « Avant de donner l’assaut et pour sauver Soissons des horreurs du pillage et du massacre, je propose à M. le commandant de Soissons de rendre la ville à l’armée combinée du nord de l’Allemagne. L’honneur militaire ne commande pas une résistance contre une force aussi disproportionnée et dont les suites immanquables resteront toujours à la responsabilité du commandant devant Soissons. 18 février et 3 mars 1814. — Le général en chef, baron de Winzingerode. » (Archives de la guerre.)
  43. Rapport du conseil d’enquête. (Archives de la guerre.)— Moreau, naturellement, ne parle point de cette motion dans son rapport.
  44. Rapport du conseil d’enquête. (Archives de la guerre.)
  45. Rapport de Moreau. (Archives de la guerre.)
  46. Rapport de Moreau sur la capitulation et lettre justificative. (Archives de la guerre.) — Collection Périn. (Archives de Soissons.)
  47. Manuscrit de Brayer. (Archives de Soissons)
  48. Collection Périn. (Archives de Soissons.)
  49. Mémoires du duc de Raguse, t. X, p. 207. — Marmont assure tenir le mot de Woronzof lui-même, qui le lui répéta plus tard. Bogdanowitch, t. I, p. 307, rapporte aussi le propos, mais il dit qu’il fut tenu non point à Soissons au milieu de la discussion, mais à l’état-major de Winzingerode, quand celui-ci ratifiait la capitulation.
  50. Manuscrit de Piquet. (Archives de Soissons.)
  51. Manuscrit de Leuillé. (Archives de Soissons.)
  52. Lettre de Bulow à Blücher, citée par Vanhagen, p. 358, et collection Périn. (Archives de Soissons.)
  53. Muffling, Aus meinem Leben, p. 124. Cf. Kriegsgeschichte des Jahres 1814, t. II, p. 87. Bogdanowitsch, Plotho, Damitz, Droysen, loc cit. et le Journal de Langeron. (Archives topographiques de Saint-Pétersbourg.)
  54. Voir la lettre de Blücher à Bulow, Oulchy, 2 mars, et l’ordre du jour du 3 mars signé Gneisenau. — Selon un document des archives de Soissons, un troisième pont aurait été jeté en outre, le 4 mars, dans la matinée, à l’entrée du Mail, au moyen de chalands et de barques amarrées aux rives de l’Aisne. Ainsi, l’armée alliée aurait eu cinq ponts en tout pour passer la rivière : 1° le grand pont de pierre de Soissons ; 2° le pont établi le 2 dans la matinée par Bulow à Vailly ; 3° le pont de bateaux que Bulow donna l’ordre de commencer le 3 vers midi, en face du faubourg Saint-Crépin ; 4° le pont de bateaux ou de chevalets que les pontonniers de Blücher construisirent dans la soirée du 3 et la nuit du 4 à Venizel; 5° le pont de bateaux du Mail, commencé le 4 au matin.
  55. En même temps que Blücher indiquait une nouvelle direction à ses troupes, vraisemblablement aussi, il avançait l’heure de leur départ. Ainsi, d’après l’ordre de marche, donné le matin par Gneisenau, le corps de Sacken ne devait se mettre en mouvement qu’à quatre heures de l’après-midi ; or, l’avant-garde de ce corps arriva aux portes de Soissons entre quatre et cinq heures. Elle n’aurait pu franchir la distance en une heure. Elle dut lever le camp à deux heures au plus tard. Ce sont là des détails, mais ils ont, comme on le verra, leur importance dans la discussion.
  56. Muffling, Aus meinem Leben, p. 125. Varnagen von Ense, Leben des Generals Bulow, p. 360.
  57. Muffling, Aus meinem Leben, p. 126. — Ce mot confirme tout ce que nous disent Droysen et Bogdanowitch de l’état de fatigue et de quasi dissolution où se trouvait l’armée de Silésie. — Divers documens des archives de Soissons témoignent aussi que les troupes russo-prussiennes qui traversèrent la ville du 3 au 5 mars «étaient exténuées et marchaient dans le plus épouvantable désordre, avec l’aspect de soldats battus.» Cette même expression : « aspect de troupes battues, » se trouve dans Droysen.
  58. Journal des opérations de Sacken, journal des opérations de Langeron. (Archives topographiques de Saint-Pétersbourg,) Manuscrits de Brayer et de Fiquet. (Archives de Soissons.) Bogdanowltch, I, p. 308; Droysen III, p. 335; Plotho, M. p. 302, 303; Varnhagen von Ense, p. 361, etc.
  59. Bogdanowitch, t. I, p. 310.
  60. Correspondance de Napoléon. n° 21,427, 21,428, 21,429. Lettres de Marmont, Grouchy, Roussel, Clarke, 4 et 5 mars. Journal de la division Roussel. (Archives de la guerre.) — Marmont ayant appris le 4 mars, vers dix heures du matin, à Hartennes, la capitulation de Soissons, et pensant avec raison que cet événement allait modifier les opérations, arrêta sa poursuite qui devenait sans objet du moment que l’ennemi avait le passage libre à Soissons. Il se contenta d’envoyer dans cette direction une forte reconnaissance qui « trouva en avant de la ville toute la cavalerie ennemie, soutenue par de fortes masses d’infanterie.» (Lettre de Marmont à Berthier, Hartennes, 4 mars. Archives de la guerre.) Ce ne fut que le lendemain 5 mars, quand les troupes ennemies eurent achevé leur passage que Marmont tenta un coup de main sur Soissons qui ne réussit pas, mais où il tua 2,000 hommes à Kapzewitch. Sur l’ordre de l’empereur, il rejoignit alors l’armée impériale à Berry-au-Bac. (Mémoires de Marmont, Correspondance de Napoléon, et les Archives de Soissons.) Ce qui était important à établir ici, c’est que si l’ennemi avait pris la route de Fismes, Marmont eût talonné son arrière-garde de très près.
  61. Correspondance de Napoléon, n° 21,438.
  62. Cette lettre citée par Thiers (t. XVII, p. 449), n’est pas reproduite dans la Correspondance de Napoléon. Néanmoins on ne saurait douter de son authenticité.
    La conclusion d’une lettre adressée par Marmont au ministre de la guerre, au sujet de la capitulation de Soissons, vaut aussi d’être citée. « C’est, à ce qu’il me semble, une belle occasion pour faire pendre un commandant de place. » Hartennes, 4 mars. (Archives de la guerre.)
  63. Les lettres de Napoléon (Correspondance, n° 21.380, 21.393, 21.397, 21.398, 21.401, 21.417, 21.418, 21.426, 21.429) et les lettres de Clarke à Maison (3 mars), de Grouchy à Marmont (4 mars), de Marmont à Berthier (4 mars) (Archives de la guerre), où il est question de tomber sur les derrières de l’ennemi et de lui couper la retraite sur Fismes, sont autant d’indices que l’empereur voulait combattre Blücher entre l’Ourcq et l’Aisne. Mais ne peut-on trouver la preuve que Napoléon ne comptait attaquer Blücher qu’au-delà de l’Aisne dans la lettre de l’empereur à Joseph (Fismes, 5 mars). «... La capitulation de Soissons nous fait un tort incalculable. J’aurais été aujourd’hui à Laon, et il n’y a pas de doute que l’armée ennemie était perdue, » et surtout dans la lettre de Berthier à Marmont (Fère-en-Tardenois, 4 mars). «... Si l’ennemi a marché sur Soissons, c’est vraisemblablement pour se porter sur Laon, et si vous êtes à Soissons avec le duc de Trévise, nous pourrons de notre côté arriver en même temps que vous à Laon... » Il faut remarquer d’ailleurs que, nonobstant cette lettre (peut-être, il est vrai, est-elle peu connue?) tous les historiens français et allemands affirment que l’empereur voulait combattre Blücher en-deçà de l’Aisne.
  64. Mémoires du duc de Raguse, t, VI, p. 210.
  65. Mémoires du roi Joseph, t. X, p. 11.
  66. Histoire du Consulat et de l’Empire, t. XIII, p. 444.
  67. Journal de Langeron (Archives topographiques de Saint-Pétersbourg.)
  68. Plotho, t. III. p. 284.
  69. Bogdanowitch, t. I, p. 307.
  70. Varnhagen, p. 359-360. Muffling, Aus meinem Leben, p. 125-120.
  71. Muffling, Aus meinem Leben, p. 124; Kriegsgeschichte des Jahres 1814, t. ii, p. 88.
  72. Le 3 dans l’après-midi, le gros de l’armée de Silésie était à Oulchy, son arrière-garde au bord de l’Ourcq, et le gros de l’armée impériale était à Château-Thierry, son avant-garde à Rocourt. De Château-Thierry à Oulchy, il y a 23 kilomètres par la grande route ; de Rocourt à l’Ourcq, il y a 4 kilomètres. A ne regarder qu’à la distance, Blücher avait donc à peine huit heures d’avance sur les Français. Et comme il lui fallait faire un long crochet pour gagner Berry-au-Bac, par Fismes, il allait même perdre cette avance de huit heures, car Napoléon à Château-Thierry n’était pas plus loin de Fismes que Blücher n’en était d’Oulchy. Si l’on réfléchit cependant que le 3, à quatre heures, l’armée prussienne, ayant bivouaqué depuis la nuit, allait se remettre en marche, tandis que l’armée française, ayant dans la matinée accompli une longue étape, allait s’arrêter à Bézu-Saint-Germain (7 kilomètres de Château-Thierry), il semble, en effet et, que Blücher avait un jour d’avance. Mais ce jour d’avance est illusoire, puisque le lendemain 4, l’armée de Blücher portée par une étape du nuit, de plus de 30 kilomètres, à Braines, allait nécessairement y bivouaquer, tandis qu’au contraire, l’armée française, ayant passé la nuit à Bézu-Saint-Germain, allait se mettre en marche vers Fismes « à la petite pointe du jour » et, conséquemment, y arriver presque en même temps que l’armée prussienne, qui, à en juger par l’ordre de marche de la veille, ne se serait probablement mise en route de Braines que dans l’après-midi. Ainsi dans l’hypothèse qui nous occupe : la marche des Prussiens sur Berry-au-Bac, Blücher était loin d’avoir vingt-quatre heures d’avance sur Napoléon.
  73. Manuscrits de Brayer et de Fiquet et documens de la Collection de Périn. (Archives de Soissons.) Journal du général de Langeron. Journal du général Sacken. (Archives topographiques de Saint-Pétersbourg.) Lettre de Marmont à Bcrthier, Hartcnnes, 4 mars. (Archives de la guerre.) Cf. Bogdanowitch, Droysen, Plotho, etc.
  74. Bogdanowitch, t. I, p. 310.
  75. Voir la carte de Cassini. — Ajoutons qu’il fallait quitter cette route à Fismes et qu’on devait alors faire plus de quatre lieues, par les plus mauvais chemins, pour rejoindre la route de Reims à Berry.
  76. Ordre de marche de Gneisenau pour la journée du 3 mars. Oulchy, 3 mars, six heures du matin.
  77. Journal de Langeron. (Archives topographiques de Saint-Pétersbourg.) Bogdanowich, t. I, p. 311. Cf. Droysen, t. III. p. 334.
  78. Journal de marche de la division Roussel. Lettres de Roussel à Grouchy et de Grouchy à Roussel, 4 et 5 mars. (Archives de la guerre.)
  79. Correspondance de Napoléon, n° 21,427-21.430.
  80. Journal du général Langeron. (Archives topographique de Saint-Pétersbourg.) Journal de marche de la division Roussel, Correspondance entre Grouchy et Roussel, 4 et 5 mars. (Archives de la guerre.)
  81. La bataille de Craonne fut gagnée le 7 mars dans des conditions moins favorables encore. Le plateau de Craonne est d’un accès plus difficile, sa moindre étendue en longueur permet la concentration des défenseurs. Sa configuration fait que, repoussés des crêtes, les défenseurs peuvent se reformer au milieu de la position pour résister de nouveau. Enfin la ligne de retraite en est commode. Quant au nombre des combattans, il était à peu près dans les mêmes proportions : 30,000 Français contre 50,000 Russes.
  82. Rapport du conseil d’enquête sur la capitulation de Soissons. (Archives de la guerre.)
  83. Moniteur du 11 avril 1814.
  84. Dossier du général Moreau. (Archives de la guerre.)