La Chèvre d’or/35

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Lemerre (p. 177-180).


XXXV

guerre déclarée


C’est vraiment la guerre !

En quelques jours, se servant habilement des imprudences de Ganteaume, des radotages de Peu-Parle, Galfar et l’estimable M. Blaise ont su ameuter tout le Puget-Maure contre moi.

La chose ne leur a pas été difficile avec cette population de paysans libres et fiers, prompts à rêver trésors pendant les loisirs que leur fait une existence de demi-paresse orientale, tous d’ailleurs plus ou moins faiseurs de poudre ou braconniers, et chez qui, pour un rien, en subites colères, se réveille le vieux sang des corsaires.

Ils s’étaient habitués à vivre pauvres sous leurs oliviers, parmi leurs ravins, se consolant, comme Peu-Parle, à l’idée qu’ils pouvaient se dire riches, après tout.

Cette illusion dorait leur misère, et les faisait regarder de haut les habitants des autres villages.

Chacun d’eux, vaguement, obscurément, espérait qu’un jour, en défrichant quelque aride plateau fleuri de touffes de lavande, deux ou trois coups de pioche heureux mettraient à découvert l’entrée de la caverne féerique. Lequel d’entre eux ne se souvenait pas, étant à l’affût, d’avoir entendu bêler la Chèvre et tinter sa claire clochette ?

Que la Chèvre continue, comme par le passé, à dormir sur une litière d’or au fond de sa retraite ignorée, et que les sequins, les lingots du roi de Majorque restent sous terre pour toujours, ils en sont contents, ils l’admettent sans désirer plus.

Mais je viendrais, moi étranger, à moi tout seul les voler tous et ravir l’immémorial héritage du Puget-Maure ! Ceci aussitôt fait scandale, allume les haines et déchaîne les convoitises.

Je suis surveillé, suspecté.

Dans les rues, je surprends, à chaque tournant, des regards, des gestes hostiles. Les femmes, me montrant, se parlent à voix basse. Les enfants ne m’injurient pas encore, mais déjà ils oublient de me saluer.

Aux champs, il n’y a pas de coin de muraille, il n’y a pas de tronc d’arbre ni de bouquet de cactus, où je ne devine, m’épiant, un œil soupçonneux et noir ; et ce n’est plus uniquement par contenance que je prends mon fusil lorsque je sors en promenade.

Le curé lui-même, cet excellent abbé Sèbe, par amour de la paix, se détourne de moi.

Seul, Peu-Parle ne craint pas de rester notre ami.

Ganteaume va le voir tous les jours, dans son désert, malgré mes recommandations de prudence, et, bavardant avec lui de la Chèvre d’Or, s’exalte aux divagations fatalistes et visionnaire du bonhomme.

Mais hier Ganteaume, qu’enveloppe la tempête déchaînée sur moi, Ganteaume est rentré tout meurtri, après un combat à coups de pierres héroïquement soutenu contre une embuscade des gamins du pays.

Mlle Norette l’a pansé.

Et je suis devenu triste, me rappelant cette parole de Peu-Parle : « Il y a du sang, des gouttes rouges, mêlées aux traces d’or que laisse la Chèvre sur les rochers. »

Pansé par Mlle Norette, lui, Ganteaume était radieux.