La Chanson d’Ève/Dans son jardin caché

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Société du Mercure de France (p. 73-74).

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Dans son jardin caché de roses et de silence,
Lente et close elle avance,
Le front las et penché.

Si lente elle va qu’il semble quelle sommeille ;
Non, elle veille ; même elle voit :
Elle regarde, de ses yeux sombres,
Les fleurs de soleil où ses pieds blancs,
Ici, s’arrêtent au bord d’une ombre.

« Qui vient ? » dit-elle… Elle songe, elle attend.
Mais l’ombre approche lentement,
Éteint ses fleurs, éteint ses pieds blancs,
Monte, grandit, l’envahit toute.


Est-ce déjà le soir ? Elle écoute.
Non, ce n’est pas le reflet de la nuit.
Dans le ciel, pas un glissement d’ailes,
Sur terre, pas un bruit.

Et pourtant, il semble, une voix appelle…
Et des mains s’ouvrent dans l’air qui tremble.

Mais doucement elle se dit :
« Il est divin, qui vient ainsi
Comme le souffle où se cache l’arôme,
Comme la fleur où se cache le fruit. »

Elle sourit, et songe encore :
« Comme la douce et profonde nuit… »

Une voix appelle, une bouche approche.
« Comme l’Amour et le Bonheur. »
Sa tête s’incline sous la bouche,
Et ses longs cheveux touchent
La Terre en fleur.